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Jacqueline Amati-Mehler, Mélancolie, folie, génie ou tristesse ? Les vicissitudes de la formation du moi

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MÉLANCOLIE : FOLIE, GÉNIE OU TRISTESSE ? LES VICISSITUDES DE
L'IDENTIFICATION ET DE LA FORMATION DU MOI
Jacqueline Amati-Mehler
Presses Universitaires de France | « Revue française de psychanalyse »
2004/4 Vol. 68 | pages 1113 à 1131
ISSN 0035-2942
ISBN 2130547230
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Mélancolie : folie, génie ou tristesse ?
Les vicissitudes de l’identification
et de la formation du moi
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Dans toute séparation importante réside un
germe de folie ; il faut penser à le faire éclore
et à l’entretenir avec attention.
J. W. Goethe, Réflexions et pensées.
INTRODUCTION
Après une brève description de l’importance accordée à la mélancolie au
cours des siècles, je m’efforce d’explorer ce syndrome à la lumière des connaissances plus récentes que non seulement Freud, mais aussi les post-freudiens ont
apporté à notre discipline. J’examinerai notamment les implications des différentes vicissitudes ayant trait à l’identification en rapport avec la complexité de
l’organisation psychique et, en particulier, en égard aux relations entre le moi et
le surmoi.
De façon assez singulière, le terme de « mélancolie », qui occupait une
place de première importance dans la philosophie, les arts et la médecine de
l’Antiquité, n’a pas mérité une rubrique propre dans le Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis. Il se trouve inclus dans une rubrique qui a
trait au deuil en tant que résultat particulier du deuil pathologique dont Freud
parle dans son essai fondamental de 1915. La mélancolie semble, par la suite,
davantage à sa place dans des textes littéraires plutôt que dans la littérature
psychanalytique, dans laquelle on trouve la plupart du temps le terme de
« dépression », mais rarement celui de « mélancolie ».
Dans la traduction italienne de l’ouvrage exceptionnel qui rassemble des
textes de Klibansky, Panofsky et Saxl, intitulé Saturn and Melancholy, que j’ai
trouvé très inspirant, quelques lignes de la première page font référence au
Rev. franç. Psychanal., 4/2004
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Jacqueline AMATI-MEHLER
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terme de « mélancolie » et à ses transformations au cours de deux mille ans
d’histoire :
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Comme Starobinski l’a montré avec beaucoup d’érudition, ses origines
remontent à l’ancienne doctrine des quatre humeurs développée au cours de nombreux siècles, de nouvelles significations ayant de temps en temps été ajoutées aux
anciennes. La signification première de « mélancolie » renvoyait à une conceptualisation littérale dérivée d’une partie concrète, visible et tangible du corps, la
bile noire (en grec, melas signifie « noir ») qui, avec le flegme, la bile jaune et le
sang, formait les quatre humeurs. On pensait autrefois qu’elles correspondaient à
des éléments cosmiques contrôlant l’existence et les comportements humains et
qu’à travers leurs différentes combinaisons elles déterminaient les caractères individuels comme flegmatiques, colériques, sanguins et mélancoliques.
Les liens et inférences dérivés des quatre humeurs en rapport avec le tempérament et les théories cosmologiques n’ont essentiellement pas varié jusqu’à
la Renaissance, bien qu’ils soient restés au centre de vives controverses philosophiques.
Les considérations humorales ayant trait à la mélancolie ont toutefois
connu un sort très différent de celles se rapportant aux autres humeurs du fait
qu’elles attiraient l’attention sur le caractère fondamental de ses caractéristiques psychologiques.
Au IVe siècle avant notre ère, aussi bien la folie que la dépression étaient
considérées comme des conséquences de cette « funeste substance » liée à ce qui
était nocturne et mortel. Des mythes et certains philosophes ont toutefois associé l’ « humor melancholicus » à des dieux et héros, bien que Platon ait considéré que la mélancolie pouvait affaiblir l’esprit et la moralité.
La compréhension de la mélancolie fait un pas en avant quand le concept
de folie (furor) apparaît dans la philosophie de Platon qui la décrit comme
« obscurcissement de la conscience », peur et délires qu’il a cependant parfois
tendance à identifier à la « funeste sublimité », idéalisant ainsi furor et maladie
mentale comme des dons divins. Aristote, moins enclin à accepter la fureur
comme divine – bien qu’il reconnaisse que l’excellence humaine dans l’art, la
poésie, la philosophie et la politique soit souvent liée à la mélancolie –, tente
de donner une description plus scientifique de celle-ci, notamment de ses éventuelles conséquences pathologiques tragiques. Dans un essai qui lui est attribué, il décrit de façon détaillée le passage de la dépression et de l’angoisse
– résultat de la bile noire « froide » – comme faisant place à la joie et à
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« Dans le langage moderne, le terme de “mélancolie” (...) est employé pour désigner
indistinctement des choses très différentes. Il peut désigner une maladie mentale caractérisée par des attaques d’angoisse, de dépression et de fatigue, bien que, récemment,
le concept médical se soit sans aucun doute largement désintégré. »
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« Le concept de “fureur” comme unique fondement d’un don élevé de création
appartenait à Platon. Il appartint à Aristote de tenter de faire passer la reconnaissance du lien mystérieux entre génie et folie – que Platon n’avait exprimé que dans le
mythe – dans le domaine de la rationalité scientifique ; de même que ce fut Aristote
qui tenta de résoudre les contradictions entre le monde des objets physiques et celui
des idées à travers une nouvelle interprétation de la nature » (Klibansky, Panofsky,
Saxl, p. 38).
L’évolution de la conceptualisation de la mélancolie a été ensuite, pendant
longtemps, déterminée par l’opposition entre les idées et pratiques médicales
spécifiques et celles des philosophies de la nature ou de la morale. L’idée de la
mélancolie, non pas seulement comme une maladie, mais plutôt comme une
constitution particulière, a fait son chemin au début du IIe millénaire, l’état
mélancolique intéressant alors aussi les théologiens de la morale, certains associant la mélancolie à des influences démoniaques alors que d’autres y voyaient
une punition divine. La dépression monastique caractéristique et la punition
infligée à soi-même dans l’accablement de la culpabilité constituent un chapitre
fascinant dans l’histoire de l’évolution de la mélancolie, de la contamination
mythique et théologique à l’investigation de ses symptômes psychologiques et
physiques. Du Xe au XIIe siècle, les médecins arabes parlent de « maladie de
l’âme » qui pouvait affecter les trois principales vertus du cerveau, c’est-à-dire
l’imagination, la cognition et la mémoire.
À la fin du Moyen Âge, la mélancolie est de plus en plus employée comme
synonyme de simple « tristesse », même lorsque aucune raison reconnaissable
ne pouvait l’expliquer. Il est intéressant de noter que le dictionnaire de la
langue italienne mentionne explicitement le terme malinconia (que je n’ai trouvé
dans aucune autre langue) qui désigne un « sentiment de tristesse doux, presque
mélancolique et nostalgique » (la matière de tant de poèmes) ; aussi, une personne malincolic est définie comme envahie par un état d’esprit apaisant, calme
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l’exaltation (état maniaque), résultat d’un « réchauffement » de la bile. Selon
l’incorporation des différents états possibles de la bile, dit Aristote, la mélancolie et l’état d’excitation peuvent entraîner des dispositions physiologiques
naturelles et temporaires ou des états d’exaltation incontrôlés suivis de graves
tendances suicidaires quand cet état (maniaque) fait place à la mélancolie.
Mais de nouveau, et pendant des siècles, la conviction que certains cas de
mélancolie sont un trait particulier du génie survit à côté de ce type de descriptions cliniques précises. Selon cette conviction, ces cas tombent dans la
catégorie des états d’esprit d’individus exceptionnellement doués sur les plans
intellectuel et moral, mus par la passion – parfois employé comme synonyme
de « mélancolie » – qui gouverne les héros et les personnages des grandes tragédies. Ainsi :
Jacqueline Amati-Mehler
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et mélancolique, temporaire (ou durable), certainement très éloigné de la psychose maniaco-dépressive1.
La signification de l’adjectif « mélancolique » s’est étendue en passant de la
qualification d’un état individuel à une description plus générale de choses ou
de situations, telles celles, par exemple, d’un paysage, une soirée, ou d’un
automne qualifiés de mélancoliques. Des expressions comme celles-ci sont
devenues des composantes de textes littéraires et poétiques.
Selon Klibansky, Panofsky et Saxl, en France le terme de « mélancolie »
dans les récits, la poésie et la prose a été particulièrement adopté par des écrivains des belles-lettres de la fin du Moyen Âge et l’on trouve de nombreux
exemples littéraires dans leurs œuvres. On trouve même dans la littérature française le verbe merencolier comme synonyme d’ « attrister », ou bien, dans la littérature amoureuse, l’expression de petites merencolies pour parler des querelles
entre amants. Autour du XVe siècle, la fusion des termes de « mélancolie » et de
« tristesse » acquiert des significations plus complexes allant des sentiments
subjectifs à la maladie psychique objective mêlée à un sentiment de douleur et
de malheur ; aussi, le sentiment de tristesse mélancolique est évoqué comme faisant partie de la conscience humaine de la finitude et de la mort. Au début des
années 1800, la mélancolie romantique, si chère aux écrivains, poètes et musiciens, exprime ce que l’expression allemande de Welt Schmertz2 illustre particulièrement bien.
Avant de laisser ces considérations et d’entrer dans une discussion plus
spécifiquement psychanalytique, je voudrais noter que le titre du livre que j’ai
cité, Saturn and Melancholy, rappelle la solide conviction (toujours présente à
l’époque de la Renaissance) que la mélancolie a un rapport particulier avec
Saturne considéré comme responsable du « caractère triste et du sort malheureux du mélancolique » (ibid.). Je ne peux, bien entendu, évoquer toutes les
représentations célèbres de la mélancolie dans la sculpture, la peinture et le
design, celle de Dürer, par exemple, ou encore les nombreuses figures de mélancoliques représentant les fils de Saturne. J’ai seulement pris la liberté de citer à
la fin de mon texte un poème de Paul Verlaine, tout à fait évocateur de ce dont
nous parlons ici.
1. Cette façon d’être nostalgique semble se rapprocher de ce que certains phénoménologues tels
que Binswanger et Minkowski ont décrit comme un « monde mélancolique » teinté d’une façon particulièrement pleine de regret de vivre le temps, les relations entre passé, présent et futur. Il y a une tendance à s’attarder sur des pensées telles que : ... si j’avais eu... si je n’avais pas fait ceci ou cela... – un
sentiment d’occasions perdues ou de choses que l’on aurait pu faire qui expose les sujets à la
mélancolie.
2. On peut traduire à peu près cette expression en français par « vague à l’âme ». [N.d.T.]
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Comme je l’ai dit plus haut, le terme de « mélancolie » se trouve actuellement remplacé dans la plupart des textes psychanalytiques par celui, plus général, de dépression dont la signification a aujourd’hui pratiquement perdu sa
spécificité psychiatrique, voire psychanalytique. Le terme de « dépression » est
employé indistinctement pour désigner des états d’esprit, des états affectifs, la
passivité ou l’inactivité, des sentiments de nostalgie, la souffrance psychique, la
tristesse et ainsi de suite.
Dans cette présentation, je ne traite pas de la dépression en tant qu’état
affectif pouvant revêtir de très nombreuses formes et être présent dans des situations pathologiques ou physiologiques très diverses. Je m’intéresse davantage à
la mélancolie elle-même et à ce que le développement de notre discipline peut
ajouter aujourd’hui aux formulations de Freud. J’essaierai plus particulièrement
d’explorer la mélancolie du point de vue de la façon dont nous conceptualisons
l’objet et le moi, en rapport avec les vicissitudes complexes de l’identification
– une question essentielle dans la mélancolie, comme le note Freud.
Nous semblons un peu éloignée de la description que Freud propose de la
mélancolie comme pathologie du deuil qui correspond à la psychose maniacodépressive classique, ou même des formulations postfreudiennes classiques,
telle celle de E. Zetzel (1960) qui écrit : « La dépression, comme l’angoisse, est
une expérience subjective qui fait partie intégrante du développement humain
et de la maîtrise du conflit, de la frustration, de la déception et de la perte. En
même temps, la dépression, à nouveau comme l’angoisse, ne doit pas être
considérée seulement comme une expérience affective d’une portée psychologique générale. Elle est également le principal symptôme d’un syndrome clinique régressif, aussi grave, caractéristique, et bien défini que n’importe quel
autre rencontré dans tout le champ de la psychiatrie clinique. »
Aujourd’hui, malgré des avertissements de ce type, un ensemble de pathologies différentes et même différents types de dépression sont regroupés dans
une même catégorie et traités avec les mêmes médicaments antidépresseurs. On
a tendance – cela fait partie de notre culture actuelle – à recourir à des solutions
rapides, et à éviter des tentatives d’investigations plus précises de différences
tant conceptuelles que cliniques qui pourraient tirer profit d’approches psychanalytiques ou psychothérapeutiques distinctes, associées ou pas à un traitement
psychopharmacologique. À cet égard, je pense qu’il est important de nous
engager à mieux comprendre où nous nous situons quand nous parlons de
mélancolie et/ou de dépression.
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LA MÉLANCOLIE AUJOURD’HUI
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Jacqueline Amati-Mehler
Je pense ainsi que nous devons distinguer :
1 / la dépression comme symptôme (présent dans de nombreuses situations)
ou comme état affectif – dont je ne parlerai pas ici ;
2 / un « mécanisme mélancolique » employé par certains auteurs (C. Chabert,
1999) pour simplement décrire l’ambivalence et la culpabilité suivies d’une
hostilité dirigée vers soi, indépendamment du reste de la situation pathologique ;
3 / un syndrome psychopathologique spécifique, appelé mélancolie, se rapportant à la description freudienne du deuil pathologique associé à des altérations topiques et structurelles du moi, et présentant un ensemble de manifestations caractéristiques.
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« La relation... entre [d’une part] la régression comme perte de fonctions du moi
mâture avec l’émergence de mécanismes primitifs archaïques... et [d’autre part] le processus original de développement et de maturation [qui] reste un domaine très obscur
et controversé. »
Je pense que ces deux processus sont intimement liés. La conscience psychanalytique accrue que nous avons de la grande complexité de l’organisation
psychique nous confronte à des modèles de l’esprit qui distinguent, au sein de la
même structure du moi, différents niveaux de fonctionnement à différents
stades développementaux de maturation, cherchant continuellement l’intégration ou la prévalence de l’un sur l’autre. Si bien que la régression peut
mettre en avant l’un ou l’autre des modes de fonctionnement plus archaïques
liés à des défauts développementaux.
IDENTIFICATION ET MÉLANCOLIE
Comme je l’ai noté plus haut, j’essaierai d’explorer la mélancolie à travers
les vicissitudes complexes de l’identification et du monde des représentations
qui ont un impact sur la dynamique topique et l’organisation structurelle du
psychisme, selon les différents paradigmes psychanalytiques, entre lesquels des
passerelles conceptuelles peuvent se révéler utiles. En fait, l’identification et les
représentations du self-objet en rapport avec la formation du moi et du surmoi,
ainsi que la signification de l’objet lui-même (J. Amati-Mehler, 2001), tellement
essentielle dans la mélancolie, mettent en avant les questions liées aux définitions controversées de l’internalisation, de l’incorporation, de l’introjection et de
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Un point, comme l’a fait remarquer Zetzel (ibid.), demande des éclaircissements et fait, me semble-t-il, encore aujourd’hui problème, c’est :
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l’identification du fait qu’elles tracent les limites entre le monde intérieur et le
monde extérieur, entre l’établissement de l’individuation et de l’altérité (la
reconnaissance de l’Autre comme séparé). Tout cela implique l’intégration
d’une perspective de l’interaction self-objet au sein de la psychologie des pulsions classiques (Dreher, 2000).
Je pense que la mélancolie est l’un des troubles narcissiques. La question
que je voudrais maintenant aborder dans notre discussion porte sur les mécanismes qui configurent sa spécificité, liés aux vicissitudes de l’agressivité et de la
culpabilité. Bien que, comme nous le savons, ces dernières sont présentes dans
de nombreuses autres situations psychologiques ou psychopathologiques, elles
ne sont pas, comme dans la mélancolie, associées à de tels autoreproches conscients et à un sentiment de méprisable ignominie, adressé inconsciemment à
« quelqu’un d’autre », à tel point que, le sens de la réalité étant altéré, les idées
délirantes se trouvent favorisées. De plus, non seulement comme Freud le fait
remarquer, mais aussi comme notre pratique clinique le montre, un autre trait
caractéristique des patients mélancoliques consiste en l’ « auto-exposition » de
leur état. La particularité de ce « quelqu’un d’autre » est que, exactement
comme l’objet a projeté son ombre sur le moi (identifié à l’objet abandonné), le
moi tourmenté « projette » des accusations muettes sur les objets de la vie
actuelle du sujet. Dans la situation thérapeutique, ces accusations sont projetées sur l’analyste, qui se sent ainsi inutile et incapable d’aider, ce qui renforce
chez le patient le sentiment d’être toujours la victime d’un mauvais traitement
et de négligence.
Des considérations fondamentales découlent des développements de théorisations de l’objet interne et des relations self/objet – un sujet cher à Joe Sandler à
qui nous sommes redevable de ses tentatives pour apporter des éléments permettant d’intégrer l’expérience clinique dans différents cadres de référence théoriques.
À cet égard, je voudrais citer Joe et Anne-Marie Sandler (1998), qui, dans
l’introduction à leur dernier livre, Internal Objects Revisited, écrivent :
« ... une clarification des concepts d’objet interne et de relation d’objet interne paraît
de toute évidence nécessaire afin de pouvoir les intégrer de façon plus utile dans la
théorie psychanalytique contemporaine. La psychanalyse classique a limité la notion
d’objet interne aux introjections, que l’on considérait comme constituant le surmoi,
celles-ci se produisant, selon Freud, à l’âge de 5 ans. (...) Pour ce qui est des relations
d’objet, on les considérait en termes d’investissement d’un objet (ou de sa représentation mentale) avec l’énergie libidinale, ou avec une libido désexualisée inhibée quant à
son but ; et le concept de relation d’objet interne n’était pas sérieusement étudié. Les
psychanalystes en viennent néanmoins de plus en plus à penser en fonction de ces
relations internes et de leur externalisation en tant que composante importante du
transfert. De plus, cette externalisation permet d’établir un lien étroit entre le transfert
et le contre-transfert (...) et plus nous savons de ces relations d’objet, mieux nous pouvons comprendre l’interaction entre patient et analyste. »
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Depuis l’essai fondamental de Freud (1923), « Deuil et mélancolie » (mais
aussi « Le moi et le ça »), nous sommes confrontés à la notion de deuil comme
résultat d’un détachement normal d’un objet perdu, alors que la mélancolie
nous met en présence d’un processus pathologique de deuil résultant
d’altérations du moi. Comme vous vous en souvenez peut-être, Freud traite des
deux états conjointement, car :
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Aussi bien Freud qu’Abraham savaient qu’une des principales caractéristiques de la mélancolie était liée à des processus particuliers d’internalisation et
à leurs implications orales archaïques, retournant l’agressivité et l’hostilité (à
l’origine dirigée contre l’objet frustrant) contre le propre moi du sujet, alors
identifié aux aspects négatifs et méprisés de l’objet perdu.
Alors qu’il est devenu de plus en plus clair et généralement admis que la
mélancolie est liée aux vicissitudes développementales et pulsionnelles, une des
questions cruciales qui restent controversées est de nouveau celle de savoir si
nous sommes face à un échec développemental qui prédispose à une réaction
particulière à la perte et au deuil, ou bien face à un processus régressif 1.
Bien entendu, la question se pose de savoir si ces deux hypothèses – échec
développemental ou régression – sont nécessairement incompatibles. Quelle
que soit la réponse, la question centrale porte sur les définitions et le rôle des
processus d’internalisation et de l’identification liés aux interactions expérientielles avec des objets, qui vont déterminer une organisation particulière du
moi. La difficulté, dès lors qu’il s’agit de définir ce que nous entendons par
« identification », est celle de discerner : 1 / les différentes définitions que Freud
en a lui-même données au cours des plus de quarante années au cours desquelles il a développé son modèle de l’esprit, et 2 / les modifications que les connaissances accrues des strates primitives et plus profondes de la psyché ont introduit dans nos conceptualisations. Freud, à propos de la mélancolie, parle de
l’identification comme d’un événement qu’il en vient seulement plus tard à
considérer comme un processus passant par différents stades qui impliquent
des mécanismes tels que l’incorporation orale, l’introjection et l’identification.
Ferenczi et Freud ont initialement employé le terme d’ « introjection »
comme ayant la même signification qu’ « incorporation » et « identification ».
1. Levy et Inderbitzin (1998) traitent largement des différents usages possibles du concept de
régression : formel, temporel, topique, structurel ou instinctuel, qu’il faut spécifier.
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« Dans les deux cas, les circonstances déclenchantes, dues à l’action d’événements
de la vie, coïncident elles aussi, pour autant qu’elles apparaissent clairement.
(...) L’action des mêmes événements provoque chez de nombreuses personnes, pour
lesquelles nous soupçonnons de ce fait l’existence d’une prédisposition morbide, une
mélancolie au lieu du deuil » (Gallimard, 1968, p. 146).
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Dans « Deuil et mélancolie » (1915-1917), Freud parle de l’identification
comme étant étroitement liée à, et peut-être même dépendante de la phase
orale. L’incorporation orale – dans les premiers stades du développement du
moi – devient la première façon dont le moi choisit un objet et « voudrait
s’incorporer cet objet, et cela conformément à la phase orale ou cannibalique
du développement de la libido, par le moyen de la dévoration » (ibid., p. 157),
puis l’anéantit. Freud souligne plus particulièrement dans la mélancolie ce qui a
trait à l’objet perdu et remplacé, à travers la régression, par l’incorporation
orale et l’ « identification » à celui-ci. Par la suite, le thème de l’identification
comme toute première expression d’un lien émotionnel avec un objet se trouve
davantage développé dans les écrits de Freud, et il est devenu le sujet de discussion de nombreux auteurs postfreudiens jusqu’à nos jours.
Il est intéressant de noter comment différents auteurs distinguent l’incorporation de l’introjection. Aujourd’hui, la plupart des auteurs s’accordent
probablement pour appeler introjection la contrepartie psychique la plus
évoluée de l’incorporation, en ceci qu’elle est dotée d’une représentation mentale du processus le plus archaïque – non pas seulement celui de l’incorporation orale – mais aussi des perceptions sensorielles primitives du corps.
Selon Rapaport, si l’introjection peut être intégrée, il est alors possible de parler d’identification. Cela ouvre la question complexe de la distinction des
représentations, c’est-à-dire les contenus de notre esprit et les structures internes qui construisent notre personnalité à travers des identifications. D. Rapaport (1957) propose de distinguer le monde intérieur et les représentations
internes du monde interne, c’est-à-dire de la structure psychique. Il pense que
l’internalisation affecte le monde intérieur (les représentations), alors que les
mécanismes de l’incorporation, de l’introjection et de l’identification sont
impliqués dans le sort de la (structure) interne. Il affirme que les représentations ne modifient en général pas la structure du moi et du surmoi. Ces représentations (de pulsions ou du monde extérieur) peuvent enrichir le monde
intérieur, mais également modifier parfois la structure psychique du fait
qu’elles imposent des processus qui créent des identifications et/ou défenses.
Autrement dit, toute perception peut modifier le monde intérieur (les contenus),
mais seulement certaines peuvent modifier la structure. Il souligne comment
l’incorporation et l’introjection servent souvent à décrire le mécanisme qui
construit les structures appelées identifications. Il ne manque toutefois pas de
faire remarquer la grande complexité de la relation entre monde intérieur et
formation de structures. En 1941, Alix Strachey écrit « A note on the use of
the word “internal” », où elle affirme que, lorsque nous disons « interne »,
nous ne savons pas toujours si nous entendons par là « mental », « imaginaire » ou « à l’intérieur ».
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Dans la section VII de son essai « Psychologie des masses » (1921),
consacrée à l’identification, Freud fait une distinction de la plus grande importance entre être et avoir l’objet :
« Ce qui fait donc la différence, c’est que la liaison s’attaque au sujet ou à l’objet du
moi. C’est pourquoi la première de ces liaisons est possible, préalablement à tout
choix d’objet sexuel. Il est bien plus difficile de donner de cette distinction une présentation métapsychologiquement visualisable » (PUF, 1991, p. 44).
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« Dans ce cas, on ne peut que décrire l’état des choses en disant que l’identification
est apparue au lieu du choix d’objet, et que le choix d’objet a régressé à
l’identification... Le moi prend les caractéristiques de l’objet. »
Selon Freud, du fait du refoulement de l’ambivalence, du conflit et de la
culpabilité, le choix d’objet régresse à l’identification à l’objet – perdu, aimé ou
haï – ou seulement à un trait de l’objet1.
Comme nous le savons, l’hypothèse de Freud était que le ça n’avait peutêtre pas d’autre moyen d’abandonner un objet que celui de l’identification, et
que les introjections parentales étaient le fondement de la formation du surmoi.
Dans la section V de son essai « Le moi et le ça » (1923), il écrit à propos de
l’identification, en ce qu’elle a trait à la mélancolie et à la formation du surmoi :
« Ainsi nous avons dit de façon répétée que le moi, pour une bonne part, se forme à
partir d’identifications qui prennent le relais d’investissements du ça laissés vacants,
que les premières de ces identifications se conduisent régulièrement comme une instance particulière dans le moi, se posent face au moi en tant que sur-moi, alors
qu’ultérieurement le moi renforcé peut bien se comporter de façon plus résistante
envers de telles influences identificatoires » (PUF, 1991, p. 291).
Sandler (op. cit.) pense que Freud « ... n’a pas différencié l’identification
menant au développement du moi (et du self) des identifications qui contribuent à la formation du surmoi », une question que j’aborderai plus tard. La
question de la distinction entre identification primaire et secondaire se pose, de
même que le besoin d’explorer davantage la façon dont les introjections et les
identifications s’établissent et deviennent des structures alors qu’elles émergent
de ce qui est le premier stade de développement, c’est-à-dire une « phase
1. Est-ce la régression ? Ou bien le développement n’a-t-il pas suffisamment progressé pour
atteindre le vrai choix d’objet ?
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Et Freud avait raison : aucun choix d’objet ne peut réellement se faire à un
stade pré-anaclitique précoce, quand le self est en totale fusion avec l’objet qui
n’est pas reconnu comme appartenant au monde extérieur.
Ici, le concept d’imitation fait son apparition et, bien qu’il l’ait moins
exploré, Freud l’avait bien à l’esprit quand il décrit une identification par
« être » comme quelqu’un. À propos de la façon dont Dora imite la toux de son
père, il dit :
Mélancolie : folie, génie ou tristesse ?
1123
d’indifférenciation » du self et de l’objet. Nous sommes ici, me semble-t-il, confrontés à l’un des points essentiels d’intersection qui constituent des repères
dans le développement individuel, mais il s’agit là, également, d’un carrefour
conceptuel du point de vue du développement, mettant en lumière des controverses apparues avec le progrès de la connaissance psychanalytique sur le stade
précoce de l’organisation psychique.
Dans un article qui traite du « travail de la mélancolie » et des vicissitudes topiques, Benno Rosenberg (1991, p. 97) cite l’essai de Freud, « Deuil et
mélancolie » :
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Les affirmations ultérieures de Freud pourraient, en fait, nous faire également penser au même problème que celui qui occupe B. Rosenberg, mais d’un
point de vue structurel plutôt que topique – un problème qui, incidemment,
n’avait pas échappé à la pensée pénétrante de Freud :
« Le sur-moi doit sa position particulière dans le moi ou vis-à-vis du moi [c’est moi
qui souligne] à un facteur qui doit être apprécié des deux côtés ; premièrement, il est
la première identification qui se produisit tant que le moi était encore faible et deuxièmement il est l’héritier du complexe d’Œdipe, donc il introduisit dans le moi les objets
les plus grandioses. (...) Bien qu’il soit accessible à toutes les influences ultérieures, il
garde néanmoins la vie durant le caractère qui lui est conféré par son origine dans le
complexe paternel, à savoir la faculté de se poser face au moi et de le maîtriser. Il est
mémorial de la faiblesse et de la dépendance qui étaient jadis celles du moi et il
continue à dominer même sur le moi mûr » (PUF, 1923, p. 291).
LES VICISSITUDES INTRAPSYCHIQUES
Cette dernière section indique ce qui, pour moi, reste une ambiguïté structurelle qui m’a conduite à explorer des théories conceptualisant une organisation plus complexe du moi, dans lesquelles les limites entre le moi et le surmoi
demeurent pour le moins peu claires du fait de la coexistence au sein du moi (et
du surmoi) de représentations du self et de l’objet différemment investies sur le
plan développemental, et du doute eu égard à la différence avec les identifications ou la coïncidence avec celles-ci.
Malgré leurs différences, les conceptions de l’identification présentent toutefois quelques composants communs tels que le besoin de distinguer les premières identifications (primaires) et celles (secondaires) plus mâtures. Les pre-
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« Il est tentant de chercher, à partir de nos conjectures sur le travail du deuil, une voie
qui nous permette de nous représenter le travail de la mélancolie. D’emblée une incertitude nous arrête. Nous ne nous sommes guère souciés jusqu’ici du point de vue
topique dans la mélancolie, et nous n’avons pas posé la question de savoir dans et
entre quels systèmes psychiques se produit le travail de la mélancolie » (Gallimard,
1968, p. 166).
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Jacqueline Amati-Mehler
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« ... un phénomène primitif qui précède probablement l’identification dans le développement ».
L’internalisation de la réalité implique une modification de l’investissement d’objet :
« Menant à une reconnaissance progressive de la réalité extérieure en tant que séparée
du self, et une part intérieure du moi, plus stable et distincte du non-moi, correspond
à l’accumulation d’imitations et d’introjections assimilées d’une façon réaliste. Imitations et introjections convergent de ce fait dans ce processus, à l’origine fragmentaire
et peu à peu davantage intégré, pour lequel j’aimerais garder le terme d’“identification”. »
Imitations et introjections (au sein de ce que Freud appelle la « relation
narcissique »), pour ce qui est de leurs modèles respectifs corporels fondamentaux de perception sensorielle et d’incorporation orale, donnent lieu à des
« identifications réalistes » qui constituent les identifications secondaires de
Freud. Pour Gaddini, les relations narcissiques ont plutôt à voir avec le self
qu’avec l’objet et elles concernent le domaine perceptif-imitatif dans lequel
l’objet est vécu au service du self ; alors que les « relations anaclitiques » ont
davantage à voir avec l’objet et concernent le domaine de l’incorporation et de
l’introjection où c’est la dépendance réelle de l’objet qui est vécue.
Nous sommes ainsi confrontés à des modes archaïques d’identification. À
ce stade, le nourrisson ne perçoit pas l’objet en tant que tel mais comme une
extension du corps self.
Les formulations de Gaddini sur l’imitation, comme le précurseur de
l’identification à proprement parler, se fondent sur celle de Freud qui parle
d’être plutôt que de posséder l’objet, à laquelle B. Rosenberg (op. cit.) adhère
également. Les processus imitatifs au sein d’une dimension non conflictuelle
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mières (identifications primaires) correspondent à l’état d’avant la constitution
d’une frontière stable entre le self et l’objet (ou entre la représentation du self et
de l’objet), également reconnaissable en tant qu’état d’identité primaire ou de
confusion primaire chez l’enfant et en tant qu’impossibilité de différencier la
représentation du self de celle de l’objet. Les secondes (identifications secondaires) représentent l’incorporation-introjection au sein de sa propre représentation du self d’attributs (réels ou imaginaires) de l’objet, sans que la limite
entre la représentation du self et celle de l’objet ne soit cependant perdue.
Dans son essai bien connu, On Imitation (1969), E. Gaddini essaie de
distinguer d’un point de vue métapsychologique imitation et introjection, qui
contribuent toutes deux à l’identification. Il évoque la tentative de Freud de
distinguer imitation et identification. Mais seuls quelques auteurs ont par la
suite fait cette distinction et peu d’attention a été accordée au concept
d’imitation. Gaddini souligne que c’est :
Mélancolie : folie, génie ou tristesse ?
1125
permettent la prise de conscience immédiate, par le contact avec l’illusion
d’ « être l’objet », échappant par là à l’angoisse de la séparation, à la dépendance et à la maturation de l’intégration. Bien que pour Freud, Sandler,
Gaddini et Rapaport l’identification imitative primaire soit ancrée dans la
même matrice développementale, il existe une différence dans l’interprétation
conceptuelle de ce phénomène et dans la description de son résultat fonctionnel. Malgré les points de vue différents selon les auteurs, la part qui les relie est
tellement grande que l’on ne peut que difficilement discerner les similitudes et
divergences. D’une façon générale, nous pouvons dire que les formulations
ultérieures de Freud sont généralement acceptées :
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Ainsi, l’ « identification narcissique » de Freud comme résultat régressif du
retrait de l’investissement d’objet devient discutable à moins que – et c’est jusqu’à présent la seule façon dont je puisse, pour ma part, résoudre cette
énigme – nous prenions en considération des théories qui voient le moi comme
le dépositaire complexe de différentes identifications primaires et secondaires
plus ou moins intégrées. C’est alors l’histoire expérientielle de l’individu qui
détermine – en cas de perte ou de blessure narcissique – le degré de prévalence
fonctionnelle (dû à la régression et au rétablissement d’un fonctionnement fragmentaire) des structures et défenses internalisées au sein du moi. La tâche serait
sans doute plus aisée si nous pouvions décrire l’organisation de l’esprit comme
un ensemble d’étapes développementales bien intégrées au sein d’un processus
ordonné d’identifications, mais peut-être n’est-ce là qu’une vision utopique
même réductrice, de l’organisation psychique.
Dans ma compréhension clinique de troubles narcissiques graves (dont la
mélancolie), j’ai trouvé très utile la conceptualisation de J. Bleger qui se réfère à
une part régressive non intégrée de la personnalité, le « noyau agglutiné », une
sorte de part encapsulée du moi (d’autres auteurs parlent de parts clivées) :
« caractérisées par une structure syncrétique, au sens d’un manque de distinction ou
différenciation du moi et du non-moi, des différents éléments de la réalité, des multiples identifications, et des différents objets partiaux ou totaux correspondant aux
différents stades du développement. »
La spécificité des différentes identités psychopathologiques dépend :
— de la façon dont le clivage du moi permet de préserver les parts intégrées,
du moi plus mâture ;
— des relations entre le noyau agglutiné et l’autre part du moi quand le clivage
s’effondre.
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« Aux primes origines, dans la phase orale primitive de l’individu, investissement
d’objet et identification ne sont sans doute pas à différencier l’un de l’autre » (1923
[PUF, 1991, p. 273]).
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Jacqueline Amati-Mehler
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LES LIMITES DU MOI ET DU SURMOI
Je me rends bien compte que tout cela nous met face à une énigme difficile,
car, si nous admettons que des identifications précoces pré-œdipiennes, voire
des précurseurs d’identifications, constituent, avec des identifications plus
matures, une part du moi, alors la question suivante se pose : avons-nous
affaire, quand les représentations conflictuelles du self et/ou de l’objet se manifestent, à un conflit entre le surmoi (l’héritier du complexe d’Œdipe) et le moi,
c’est-à-dire à un conflit intersystémique ? ou bien à un conflit intrasystémique au
sein du moi entre différentes identifications à des objets partiels ou à des
aspects contrastés du même objet ? Cela ne dépend-il pas du degré d’organisation structurelle ? Ceci soulève la question de savoir où nous situons le moi
idéal (lié aux stades narcissiques), ainsi que la différenciation du moi idéal et de
l’idéal (ou des idéaux) du moi. Peut-être pourrions-nous relier le moi idéal à ce
que Freud appelle « le surmoi dans le moi », au sens d’identifications fusionnelles précoces du self et de l’objet, tout en reliant le surmoi vis-à-vis du moi à la
définition plus classique du surmoi comme contenant des identifications parentales liées à des exigences environnementales de la réalité ? Le problème de
savoir quelles introjections constituent le surmoi, le moi ou, comme certains
auteurs l’affirment, le self, reste au centre du débat, car, d’une part, notre
connaissance de l’organisation mentale précoce augmente, alors que, d’autre
part, les contradictions entre les théories partielles ne sont pas suffisamment
démêlées. Le concept kleinien de surmoi précoce et la différente conceptualisation des vicissitudes pulsionnelles et structurelles nous confrontent à des problèmes fondamentaux que je ne peux pas traiter ici en détail. Je soulignerai seulement que les théories freudienne et kleinienne donnent une forme différente
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On peut également penser à la théorie de E. Glover selon laquelle le moi
se forme par la synthèse de « noyaux de moi » fragmentaires. Ces fragments
embryonnaires qui s’assemblent pour former le moi peuvent être le dépositaire
de différentes fixations à partir desquelles orienter la recherche étiologique de
différentes situations psychopathologiques. L’activation régressive de ce type
d’ « identifications » fusionnelles précoces entre le self et l’objet peuvent
envahir le reste du moi et produire des états psychotiques temporaires associés
à des mécanismes de défense pervers ou maniaques. Les kleiniens voient
également dans ce type de situations le fondement d’attaques maniaques
visant à contrôler de façon omnipotente des objets et des angoisses régressives
persécuteurs.
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aux objets internes, tant du point de vue structurel que du point de vue subjectif. Des formulations divergentes sur le rôle des pulsions, des fantasmes et des
processus de l’identification servent à expliquer les relations intrapsychiques et
interpersonnelles entre le self-sujet et l’objet réel.
Il faut toutefois rappeler que le développement des formulations kleiniennes émane des conceptualisations de Freud et Abraham sur les psychoses
maniaco-dépressives et de la théorie du surmoi comme résultat des processus
d’internalisation de l’imago parentale. Alors que Freud pense qu’il n’y a pas de
moi au tout début de la vie – si ce n’est le moi corporel –, un état dont émergent
ensuite lentement le « moi psychique » et les représentations mentales, Klein
croit qu’il existe dès le début un moi et des objets distincts du moi, perçus
comme dotés d’une existence réelle qui leur est propre, à l’intérieur ou à
l’extérieur du sujet (Hinshelwood, 1989), et qui créent un monde intérieur de
relations d’objet (J. Amati-Mehler, 2001). Il apparaît ainsi que, lorsque nous
explorons plus en détail quelle sorte d’appareil mental interagit avec les objets
et par quels mécanismes les limites entre « moi » et « pas moi » s’établissent,
nous rencontrons des définitions incompatibles. Il suffit de mentionner le
concept de « position dépressive » (M. Klein, 1935) qui n’a rien de commun
avec le langage freudien se rapportant à la dépression.
Pour Klein, la reconnaissance de l’ « objet total » à partir des « objets partiels » était fondée sur la solution de l’ambivalence, avec pour conséquence
l’intégration de la bonne et de la mauvaise mère. Sans une telle intégration, les
objets et le moi resteraient séparés et le sujet régresserait à la position « schizoparanoïde ». Ces conceptualisations ont été le point de départ des célèbres
« Controversial Discussions » à la Société britannique de psychanalyse.
Dans un manuscrit présenté à un groupe d’étude formé au sein de la
Société britannique, Klein écrit qu’elle distingue les objets internes des introjections parentales parce que les premiers se rapportent plus spécifiquement
« ... à la façon dont il (l’objet installé dans le moi) est vécu à la fois dans l’inconscient
de l’enfant et dans les couches plus profondes de celui de l’adulte. À ces niveaux,
l’objet n’est pas ressenti comme faisant partie de l’esprit au sens que nous donnons au
surmoi comme contenant les voix des parents dans son propre esprit. C’est le concept
qui se rapporte aux couches plus superficielles de l’inconscient. Toutefois, dans les
couches plus profondes, il est ressenti comme un être physique, ou plutôt une multitude d’êtres qui, par leurs activités – à la fois bienveillantes et hostiles –, habitent son
propre corps ... »
Freud, voyait quant à lui, les introjections – appelées « objets internes »
dans le langage kleinien – comme les objets d’investissements pulsionnels et de
fantasmes conscients et inconscients. Klein ne différencie pas les objets internes freudiens (protagonistes du surmoi) de l’image perceptive d’un objet pouvant être ranimée dans la mémoire ou dans les fantasmes conscients ou
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Mélancolie : folie, génie ou tristesse ?
Jacqueline Amati-Mehler
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inconscients. Glover a vivement critiqué cette distinction manquante chez
Klein, mais il est aussi vrai que les formulations freudiennes ne distinguaient
pas clairement des concepts tels que ceux d’identification, incorporation, introjection ou internalisation.
Il peut être utile de noter qu’un groupe spécial avait été créé en 1950 parmi
les analystes britanniques afin de travailler sur le concept de surmoi, le groupe
s’étant trouvé face à des problèmes ayant trait à l’internalisation précisément à
cause de « la tendance à employer des termes tels que “incorporation”, “introjection”, “identification” et “internalisation” de façon interchangeable ». Ce
qui m’intéresse ici, c’est qu’en examinant le matériel clinique d’analyse
d’enfant, il était très difficile de parler d’ « identifications du moi » comme
opposées aux « identifications du surmoi » ; en pratique, il était souvent difficile de distinguer les deux (Sandler, op. cit.)1. Je ne peux continuer à évoquer les
nombreuses formulations qui ont tenté d’introduire des distinctions entre le
moi en tant que structure et le moi comme dépositaire de représentations mentales du self et d’objets, bien qu’il s’agisse là d’une question essentielle dans la
compréhension du transfert et du type de perceptions contre-transférentielles
que notre travail analytique provoque. Je voudrais toutefois souligner que la
formulation d’identifications pré-œdipiennes ou de l’identification avec des
objets partiels nous a permis, comme nous le savons, tant du point de vue clinique que du point de vue théorique, de revoir l’affirmation de Freud selon
laquelle les patients psychotiques ne peuvent établir un transfert, un sujet que le
travail de H. Rosenfeld a largement illustré, et dont j’ai traité ailleurs (J. Amati-Mehler, 1999). La question réside dans la possibilité de l’analyste de percevoir et d’élaborer la projection d’objets partiels sur lui-même et le besoin de
nous servir de notre esprit inconscient et conscient pour aider le patient à rétablir des liens entre des connexions intérieures interrompues afin de trouver de
nouvelles significations. Et cela me semble tout à fait pertinent dans le travail
avec des patients mélancoliques qui, comme Freud le dit, « font d’eux-mêmes
un ennui » ; en analyse, leur constante autodépréciation et leur façon de communiquer que personne ne peut les aider parce qu’ils ne valent rien produit,
comme nous l’avons précédemment évoqué, d’intenses réactions contretransférentielles.
1. Lorsque j’avais déjà fini d’écrire cet article, j’ai eu l’opportunité de converser avec Bill Grossman que je remercie pour m’avoir rappelé qu’à la fin de « Outline » (1938), Freud écrit : « Jusqu’à ce
que le moi est en harmonie avec le surmoi, il n’est pas facile de faire une distinction entre leurs manifestations. »
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Mélancolie : folie, génie ou tristesse ?
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La question qui reste pour moi entière est celle de la relation entre le moi et
le surmoi, tellement cruciale dans la mélancolie et pour laquelle je n’ai trouvé
aucune solution. Peut-être pourrais-je m’aventurer à proposer pour notre
pensée que, d’un point de vue clinique, les limites entre le moi et le surmoi
deviennent pertinentes ou manifestes quand la pression du ça et du principe de
plaisir mettent en danger la fonction de gardien du tabou de l’inceste et du
principe de réalité qu’exerce le surmoi, ou bien quand l’ambivalence et la culpabilité sont favorisées par des introjections gravement persécutrices du surmoi
qui, toutefois, ne mènent pas nécessairement à la mélancolie mais peuvent provoquer ce que Chabert (1991) appelle des « mécanismes mélancoliques ». Seulement, pour ma part, au lieu de me référer au surmoi, je pourrais tout aussi bien
parler d’identifications faisant partie du moi et se trouvant dans différentes
parties d’un moi clivé. On pourrait au contraire formuler l’hypothèse qu’une
relation harmonieuse, non conflictuelle, entre les introjections et les représentations du self estompent les limites structurelles entre le moi et le surmoi parce
qu’elles rétablissent l’ « investissement narcissique » sans mettre en question
l’individuation et l’altérité comme dans la mélancolie.
Nous pouvons seulement confirmer l’affirmation de Freud selon laquelle,
dans la mélancolie, la relation à l’objet n’est pas simple, non seulement parce
que le conflit dû à l’ambivalence la complique, mais aussi parce qu’il y a une
identification narcissique à l’objet, la signification de celle-ci faisant partie de la
controverse. De plus, les concepts postfreudiens de différentes sortes de représentations du self et d’objet fusionnées ou séparées et l’organisation complexe
du moi compliquent encore davantage la compréhension de la mélancolie, et
j’ajouterais de différents types de mélancolie, indépendamment du fait que différentes formations pathologiques ont en commun des symptômes identiques.
Pour Freud, le détachement de l’objet perdu dans le deuil était possible via
la perméabilité topique qui permet le flux de l’inconscient à la conscience et la
reconnaissance de la réalité de la perte de l’objet. Rosenberg (op. cit.) et d’autres
soulignent que cela serait impossible dans la mélancolie du fait de la fusion du
self et de la représentation de l’objet. Rosenberg emploie un langage différent et,
citant Nacht et Racamier, parle d’accolement du sujet (du moi) à son objet. De ce
fait, le travail de la mélancolie serait impossible jusqu’à ce que ce détachement se
soit fait car accepter la perte de l’objet équivaudrait à se perdre soi-même. Cela
me semble très convaincant mais ne résout pas l’énigme : pourquoi les syndromes mélancoliques se présentent-ils chez des personnalités tellement différentes,
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CONCLUSIONS
Jacqueline Amati-Mehler
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avec un fonctionnement du moi différent, et différentes caractéristiques du surmoi et du moi ? Le dilemme que j’ai essayé de vous présenter (peut-être de façon
confuse du fait que je n’ai pas de solution à proposer) reste pour moi entier. En
d’autres termes, le besoin demeure de continuer à explorer et de développer une
meilleure conceptualisation de l’identification dans le cadre de théories de
l’organisation psychique précoce qui ne permettent pas la différenciation de
l’objet objectif et de l’objet subjectif, dont traitent des auteurs tels que Mahler,
Greenacre, Winnicott et d’autres. Je veux en tout cas dire que dans notre travail
nous nous rendons maintenant davantage compte de pathologies liées aux processus de l’individuation – qui ne peuvent toujours être superposés à ceux de la
séparation – et à la façon dont ils sont mêlés à l’interaction du transfert et du
contre-transfert. L’individuation me semble plus proche des processus de distinction des représentations du self de celles de l’objet interne, alors que je vois
les processus de séparation comme davantage liés à la reconnaissance de l’objet
comme élément du monde extérieur impliquant des angoisses de séparation et
de perte et des conflits vis-à-vis de la dépendance. La première est une vicissitude
intrapsychique, alors que le stade de la seconde se joue dans le domaine interpersonnel. Je pense important, d’un point de vue clinique, de distinguer ces deux
niveaux, même s’il se trouvent la plupart du temps profondément entremêlés,
non seulement parce qu’ils sont différents dans le transfert et au sein des perceptions contre-transférentielles, mais aussi parce qu’ils nous intéressent pour la
mélancolie. Dans le deuil, le problème réside dans la séparation de l’objet perdu
et la capacité d’en investir un nouveau, ce qui se révèle difficile dans la mélancolie car l’individuation du self et de l’objet – ou la différenciation du self et de
l’objet, ou encore, pour Nacht et Racamier, le détachement de l’accolement du
sujet à son objet – ne s’est pas faite.
Voici, en résumé, les principaux points que je voudrais soulever ici :
a) Il y a la question de savoir si nous pouvons si facilement différencier le
surmoi du moi d’un point de vue structurel et si cela reste fonctionnel de parler
de la mélancolie comme d’un conflit entre le moi et une instance critique ; ou
bien ce que nous appelons instance critique pourrait-il concerner des identifications qui font partie de la complexité multiple du moi, renfermant l’idéal du
moi ainsi que les idéaux du moi ? Je sais que ma suggestion est provocatrice
mais notre connaissance croissante des processus mentaux précoces ne permetelle pas de tenir compte d’un moi complexe dans lequel des introjections et
identifications contrastées s’efforcent continuellement d’atteindre l’intégration
dans leurs relations aux pulsions, à la défense et à la réalité ?
b) Pouvons-nous maintenir l’affirmation selon laquelle l’identification narcissique coïncide avec le retrait de l’investissement d’objet ? Ne devrions-nous
pas alors préciser de quelle sorte d’objet nous parlons ? Cela veut-il dire qu’une
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Les Sages d’autrefois, qui valaient bien ceux-ci
Crurent, et c’est un point encor mal éclairci,
Lire au ciel les bonheurs ainsi que les désastres,
Et que chaque âme était liée à l’un des astres.
(On a beaucoup raillé, sans penser que souvent
Le rire est ridicule autant que décevant,
Cette explication du mystère nocturne.)
Or ceux-là qui sont nés sous le signe SATURNE,
Fauve planète, chère aux nécromanciens,
Ont entre tous, d’après les grimoires anciens,
Bonne part de malheur et bonne part de bile.
L’Imagination inquiète et débile,
Vient rendre nul en eux l’effort de la Raison.
Dans leurs veines, le sang, subtil comme un poison,
Brûlant comme une lave, et rare, coule et roule
En dévorant leur triste Idéal qui s’écroule.
Tels les Saturniens doivent souffrir et tels
Mourir – en admettant que nous soyons mortels –,
Leur plan de vie étant dessiné ligne à ligne
Par la logique d’une Influence maligne.
Paul Verlaine
(Traduit de l’anglais par Anne-Lise Hacker.)
Jacqueline Amati-Mehler
Via Lucrezio Caro 62
00193 Roma (Italie)
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structure où le self et l’objet sont fusionnés est dépourvue d’investissements
d’objet ou entendons-nous par là que seul un objet reconnu en tant qu’Autre
séparé est investi ? Les identifications qui englobent les vicissitudes pulsionnelles complexes et les investissements de diverses représentations d’objets
constituent les briques avec lesquelles l’organisation du moi se construit ; aussi,
ses interactions avec l’organisation du moi idéal, idéal du moi et surmoi, ainsi
qu’avec leurs limites, restent cruciales dans la compréhension de la mélancolie.
Bien que nous soyons confrontés à la dépression profonde, cet état affectif ne
devrait pas amener à dissoudre la spécificité de la mélancolie, la psychose
maniaco-dépressive, dans l’actuel chaos conceptuel des dépressions.
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