le corps inhabité des enfants autiste

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LE CORPS INHABITÉ DE L'ENFANT AUTISTE
Suzanne Maiello
Presses Universitaires de France | « Journal de la psychanalyse de l'enfant »
2011/2 Vol. 1 | pages 109 à 139
ISSN 0994-7949
ISBN 9782130592693
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-journal-de-la-psychanalyse-de-l-
enfant-2011-2-page-109.htm
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Journal de la psychanalyse de l’enfant, vol. 1, no 2, 2011, p. 109- 139
LE CORPS INHABITÉ DE L’ENFANT
AUTISTE1
Suzanne Ma i e l l o
INTRODUCTION
L’expérience de la réalité de l’existence du corps comme
entité dans l’espace et dans le temps a une fonction fonda-
mentale pour le développement psychique de l’enfant dès
le début de la vie. Les enfants autistes semblent ne pas être
passés à travers cette expérience. Toutefois, bien au-delà de
leur conscience, ils communiquent leurs sensations, percep-
tions et terreurs à travers le corps.
Les états autistiques sont caractérisés par l’absence de la
capacité d’établir des liens avec et dans le monde, soit exté-
rieur soit intérieur. C’est pourquoi l’enfant autiste ne peut pas
entretenir de relation avec son corps de la façon qui nous est
naturelle. Si nous nous référons au corps d’un enfant autiste
comme son corps, nous le faisons du point de vue de notre
propre mode de fonctionnement mental. La capacité de me
référer, non seulement verbalement, mais aussi par les sens
et les sensations, au corps comme « mon corps », n’est pas
possible sans l’existence d’un sujet, d’un « moi » capable
non seulement de faire l’expérience de sa corporalité, mais
aussi d’observer ce corps et de s’observer dans la dimen-
sion corporelle d’un point de vue extérieur, dans une sorte de
miroir virtuel, avec le constat d’avoir un corps, et en même
temps d’être ce corps et de l’habiter.
Freud t un jour une observation de son petit- ls de
24 mois qui, pendant une absence prolongée de sa mère,
joua à disparaître et à réapparaître devant un miroir. Freud
écrit qu’au retour de sa mère, celle- ci fût accueilie par les
1. Texte d’une conférence donnée lors d’un congrès sur l’autisme, organisé au
Palais des Papes d’Avignon par Fabien Joly en 2008.
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mots : « Bebi o- o- o- o ! », communication qui resta d’abord
incompréhensible. Mais il se révéla bientôt que l’enfant,
pendant ce long temps il était seul, avait trouvé un
moyen de se faire disparaître lui- même. Il avait découvert
son image dans le miroir sur pieds atteignant presque le
sol et s’était alors accroupi, de sorte que son image dans
le miroir était « fort » (partie)1. C’était ce moi corporel que
l’enfant fût capable, pour maîtriser le sens d’abandon
à l’absence de la mère, de faire disparaître et puis réappa-
raître.Il observa son corps qui était là- bas, dans le miroir.
visible à ses yeux, puis invisible, puis à nouveau visible. Il
utilisa son corps comme un objet de recherche. La rela-
tion et le jeu avec son propre corps lui permirent au niveau
symbolique de ne pas être submergé par l’angoisse de
séparation, mais de maintenir son équilibre psychique en
anticipant le retour de sa mère.
Une telle expérience est rendue impossible à l’enfant
autiste qui doit éliminer a priori de sa perception tout dan-
ger de séparation et d’absence. Si nous cherchons à nous
approcher des perceptions d’un enfant autiste, nous devons
être prêts à mettre en discussion les fondements- mêmes
de notre expérience qui se base sur la perception de notre
existence comme entité psycho- physique dans l’espace et
dans le temps. Quel est donc le vécu que peut avoir l’en-
fant autiste de la réalité de son corps s’il lui manquent les
fondements- mêmes des dimensions physiques de l’être ?
Peut- il le ressentir comme un objet qui lui appartient (j’ai un
corps), comme forme et expression de son existence (je suis
mon corps), ou comme un contenant duquel il est le contenu
(je suis dans mon corps, j’habite mon corps) ?
Il nous est difcile de nous mettre “dans la peau” d’un
enfant autiste et d’avoir l’intuition de ce qu’il perçoit réel-
lement de soi et du monde qui l’entoure. Je tends à pen-
ser que les barrières autistiques (Tustin, 1986) qu’il a érigé
contre toute perception non seulement de soi comme être
séparé, mais de toute séparabilité (Houzel, 1993) bloquent la
1. Sigmund Freud (1920), Au- delà du principe de plaisir, in Oeuvres complètes,
vol. XV, Paris, PUF, 1996, p. 285.
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voie qui le porterait à la perception de soi comme individu,
et ainsi l’empêche d’utiliser les instruments psychiqes qui lui
permettraient, dans le développement normal, de ressentir
et vivre l’expérience primaire de sa corporalité.
LES PREMIÈRES EXPÉRIENCES CORPORELLES
Freud afrme qu’au début de la vie, « le moi est avant tout
un moi corporel1 ».Ceci signie qu’il est difcile d’imaginer
un corps vivant sans une perception même fugace de soi
comme entité réelle. Être son corps et savoir que l’on est ce
corps fait partie du noyau- même du sentiment d’identité.
Nous savons aujourd’hui que les réminiscences senso-
rielles primaires (tactiles, kinesthésiques, olfactives, auditi-
ves) ont leur origine dans la vie prénatale. Les « antennes »
des sens sont sensibles à l’environnement intra-utérin, et les
traces expérientielles qui dérivent de ce qu’elles ont perçu
sont conservées dans des congurations proto- mentales.
Pendant la vie prénatale l’enfant est également capable
d’établir une sorte de proto- liens mentaux entre les diffé-
rentes perceptions sensorielles et de les transformer en
actions synrythmiques (Trevarthen, 2005). Non seulement
les mouvements de l’enfant non- sont- ils synchronisés
à la rythmicité de la langue maternelle qui l’atteint à tra vers
la voix de la mère, mais le nouveau- montre, en reprodui-
sant avec ses mouvements le rythme spécique de la lan-
gue maternelle en absence de la mère, que ces rythmes se
sont inscrits dans sa mémoire corporelle (Maiello, 1993).
Après la naissance, les réminiscences sensorielles
fuyantes
et uidement combinées de la vie prénatale
doivent s’entretisser dans un réseau perceptif et expérien-
tiel plus différencié pour que puissent se produire et se
fortier les transpositions transmodales (Stern, 1985). La
césure de la naissance ne rend pas seulement possible,
1. Sigmund Freud (1923), Le moi et le ça, in Oeuvres complètes, vol. XVI, Paris,
PUF, 1991, p. 270.
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mais inévitable ce processus de coagulation. Dans le milieu
aquatique prénatal, le corps léger du fœtus est probable-
ment ressenti jusqu’à un certain moment dans le temps
comme uide ottant sans se distinguer nettement de l’en-
tourage uide, quoique l’enfant explore activement les élé-
ments solides de son entourage. Toutefois, à partir d’un
certain moment, quelques semaines avant la naissance, un
changement s’annonce. C’est le moment le contenant
utérin ne peut pas augmenter ultérieurement son volume
et se serre graduellement autour du corps grandissant de
l’enfant en restreignant sa liberté de mouvement, mais en
établissant en même temps des limites et en dénissant
les contours de son corps. Il est probable que ce n’est
pas seulement l’accouchement, mais déjà cette dernière
période de la vie prénatale qui prépare le bébé à se res-
sentir comme entité plus compacte. C’est une période de
« con- centration », un début de solidication. Après l’ac-
couchement, le milieu aquatique devient un milieu aérien
et la force de gravité impose au corps du nouveau- la
pression d’une solidication et d’une différenciation ulté-
rieures. Si au début de la vie prénatale il était uide dans le
uide, il devient un corps solide dans un entourage aérien
ni contenant ni soutenant. Son corps n’est plus déni par
des limites extérieures, mais doit assumer une forme pro-
pre, la peau représentant tant l’enveloppe contenante dans
le sens du « moi- peau » (Anzieu, 1985) que la limite entre
intérieur et extérieur, entre moi et non- moi. Dans le déve-
loppement normal, cela implique inévitablement dès le
début de la vie postnatale un ressenti même fugace de la
propre existence corporelle séparée.
C’est un moment crucial. Si ce changement radical n’est
pas tolérable, si la césure, l’événement de la séparation, est
vécue comme une lacération traumatique et une menace
d’être précipité dans le néant, des réactions protectrices
extrêmes, telles que le recours à une carapace autistique,
peuvent, dans certains cas, se mettre en place. Leur but est
de protéger l’enfant contre le danger d’un changement craint
comme catastrophique, mais en même temps elles empê-
chent qu’il fasse l’expérience d’être un corps, un corps
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