Victor Katembo Musik’e De l’existence humaine comme « être-avec-l‘Absolu », dans la culture du peuple Nande. L’homme étant fini, il a toujours besoin d’un appui extérieur pour qu’il se réalise pleinement. Ainsi, dans l’existence de tous les jours, il est confronté aux problèmes de tous ordres. Mais, il est, parmi toutes les créatures, le seul doté de la raison, grâce à laquelle il parvient à surmonter certains problèmes. Sa raison ne supprime en rien sa finitude. Il est limité et a besoin de ce qui le dépasse. C’est pourquoi la théologie naturelle insiste sur le fait que l’existence de l’homme implique une réalité qui le dépasse. Ceci renvoi nécessairement à l’idée d’un transcendant, auquel la religion attribue le nom de « Dieu ». C’est aussi l’Etre qui le fonde et de qui nous tenons, en tant qu’humain, l’être, la vie et le mouvement. Conscient de cette finitude, l’être humain est habité par une angoisse fondamentale. Il cherche par tous les moyens comment combler son inquiétude. C’est ici que trouvent leur explication, toutes les manifestations de la religion. Au moyen de celles-ci, l’homme veut entrer en relation avec cet être qui est au-delà, car seul, dit-on, l’absolu comble le cœur de l’homme. Et puisque la religion est une manifestation inhérente à l’existence humaine, tout peuple est capable d’initier ses membres à cette quête de l’absolu. Par ailleurs, aucune société ne peut se dire avoir le primat dans la recherche de l’intimité avec le transcendant parce chaque communauté humaine a sa propre expérience avec l’être transcendant. Les différentes appellations attribuées à Dieu trouvent leur explication dans les expériences particulières. Ceci nous place immédiatement dans la perspective de nos sociétés africaine où une multitude de rites, de mythes, des symboles, des chants, des légendes, de mœurs etc. jouent un rôle primordial dans l’explication ou l’initiation à cette relation avec l’absolu. Ces considérations montrent clairement combien la culture Nande a aussi ses propres moyens et pratiques permettant à ses membres à la quête Celui qui fonde tout. Chez le Nande, cet Etre est désigné au nom de Nyamuhanga. Ce terme désigne Dieu, c’est-à-dire le dieu suprême. Etymologiquement parlant ce terme vient de deux autres : nya (la mère) et erihangíka (créer)1. A ce niveau de réflexion plusieurs questions se posent : Existe-t-il vraiment une quête de l’absolu chez les Nande ? comment propose-t-on, dans la culture Nande, le cheminement vers l’union avec la Transcendance ? En d’autres termes, quelles sont les traces d’une spiritualité dans la culture Nande ? Ce sont là les questions auxquelles nous allons répondre dans le développement de notre travail. Les choses étant ainsi, le plan de ce travail se schématise comme suit : nous allons d’abord comprendre Dieu dans la culture Nande avant de faire un survol sur la question du cheminement dans l’union entre l’homme et l’absolu avant de chuter sur la question de sacrifice et l’importance de l’intervention des défunts et des trépassées. Kambale Kavutirwaki et Ngessimo M. Mutaka, Dictionnaire kinande-français, Tervuren (Belgique), Musée royal de l'Afrique centrale, 2012, pg. 132 1 1 Les Nande : un peuple localisable Les Nande habitent principalement la province du Nord-Kivu dans les territoires administratifs de Beni et de Lubero, ainsi que dans la ville de Goma et les territoires voisins de Rutshuru, Walikale, Masisi, Nyiragongo. Les Nandé se retrouvent aussi dans la province voisine orientale (ex-Haut Zaïre) ainsi que dans les principales agglomérations du pays. Au regard des statistiques officielles de la République démocratique du Congo, le peuple Nandé représente 60 % de la population de la province du Nord-Kivu (Recensement scientifique de 1984). Dans la région des Grands Lacs, les Nandé sont pacifiques. Ils ont toujours évité toute hostilité privilégiant le dialogue avec les peuples voisins. Le peuple Nandé est connu dans tout le pays et dans les pays voisins (notamment, l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi, le Kenya et la Tanzanie) comme étant un des peuples les plus entreprenants sur le plan économique. De la compréhension de l’absolu dans la culture Nande : Nyamuhanga Dans les cultures africaines, particulièrement chez les Nande, du point de vue culturel, plusieurs aspects concourent au développement de la vie spirituelle. Cette affirmation s’oppose à l’illusion des occidentaux qui, selon le professeur Ka Mana, croient que l’Africain a perdu la profondeur de son être et qu’il est complétement anéanti par les religions révélées et par le matérialisme 2. Et l’auteur de s’expliquer en soulignant que le langage de l’homme africain s’articule sur des références aux forces de l’invisible, aux génies de la nature, aux esprits des eaux et des forêts, aux énergies des cranes qui agissent et aux présences silencieuses mais active des aïeux à qui l’on peut parler sans peur 3. Les nombreuses questions sur l’origine et la finalité de l’homme renvoient à l’existence d’un Etre absolu. Mais Dieu reste toujours un mystère. Chez les Nande à cet être on attribue le nom de Nyamuhanga. Qui est Dieu pour les Nande ? Berghmans dit à ce sujet que le Munande croit à l’existence d’un Etre suprême, appelé Nyamuhanga ayant fait tout ce qui est4. Dans la culture Nande, cette croyance est commune à tous. Il n’existe, par conséquent qu’un seul Dieu, Nyamuhanga. C’est que, du point de vue religieux, les Nande sont un peuple monothéiste. Le nom de Dieu, dans la plupart des cultures, est souvent associé à une certaine expérience. La culture n’est une exception. Car, en effet dans la conception culturelle des Nande, on ne peut parler de Dieu sans invoquer ses rapports avec l’homme. Le nom de Dieu traduit donc un rapport réciproque de l’homme dans son vécu existentiel avec Dieu, et une reconnaissance de l’Être suprême intervenant dans l’histoire de l’homme et de l’univers5. Ainsi l’affirmation de l’Abbé Waswandi témoigne de cette croyance en ces termes : « En prononçant le nom sacré Nyamuhanga, les Banandes y expriment toute une gamme d’expériences religieuses où se conjuguent l’adoration, le respect, la signification de l’identité et de la personnalité de Dieu »6. L’on peut sans doute constater que toute personne devait à ce nom tout Ka Mana, L’Afrique notre projet, Révélation d’image africaine, ed.Terroirs, 2009, p.316 Ibidem, p. 317 4 L. BERGMANS, Les Wanandes, croyances et pratiques traditionnelles, éd. A.B.B, Butembo, 1971, p.9 5 Ibidem 6 A. WASWANDI,Dieu Nyamuhanga chez les wanandes du Zaire. Essai d’une Christologie africaine, Tome 1, Lyon, 1981, p. 135 2 3 2 honneur et toute gloire. Il était interdit d’évoquer le nom de Nyamuhanga pour ne pas risquer de le banaliser. Ainsi pour éviter cette faute, dans l’usage ordinaire, pour parler de Nyamuhanga on pouvait prononcer le nom de Hangi7. On est arrivé à affirmer que les Banande sont un peuple monothéiste. Ils reconnaissent Nyamuhanga comme unique Dieu et Créateur de tout ce qu’on voit et tout ce qu’on ne voit pas, et dont la nature reste complétement différente à celle de l’homme et des autres créatures. De l’union avec l’absolu : une spiritualité Nande L’homme est un être naturellement religieux, il entretient des relations étroites avec la nature, avec les ancêtres, avec les esprits et avec Dieu. La relation du Nande avec le cosmos, l’attachement à la terre à cause de ses travaux champêtres et agricoles, ses relations communautaires en famille, le clan, et le sa perception indissociable du monde visible et invisible en interaction culminent dans des questions existentielles. Ces interrogations portent essentiellement sur le créateur et la destinée de l’homme. Elles trouvent des réponses dans les manifestations religieuses, les rites, les sacrifices et le culte. La religion pour le Nande devient ainsi une expression de l’expérience vécue de l’homme situé par rapport à lui-même et à la communauté, au monde visible et invisible des défunts, des ancêtres, et du DieuNyamuhanga. Ces tissus de relations constituent alors pour le Nande un univers sacré, indissolublement uni, et régi par Dieu. Ces mêmes relations font appel à une vie de communion. Pour les Nande, le Dieu-Nyamuhanga transmet la vie à travers les ancêtres à la famille qui revêt un caractère sacré et religieux. La vie englobe ceux qui sont unis par le lien du sang, par le pacte de sang, par les relations de parrainage, par une profonde amitié, et même par l’appartenance au même village. Cette union vitale se situe même au-delà de la vie dans le monde de vivants. Les trépassés sont aussi en union avec les vivants. C’est ce qu’explique Matungulu quand il illustre : « Un père de famille meurt. Il cesse de vivre avec sa femme, ses enfants et tous les siens en ce monde. Cet homme qui ainsi meurt aux yeux des vivants n’a pas au fond cessé d’exister selon la vision bantu du monde. Pour le Muntu la vie ne prend fin ici bas, elle continue après la mort au village des ancêtres »8. La croyance à la vie de l’au-delà chez les Banandes s’explique par les cérémonies diverses dont ils entourent les défunts. Soit dit en passant. Au niveau communautaire et social, le Dieu-Nyamuhanga transmet la vie, par le roi, les chefs du clan et de la famille, considérée comme le bien le plus précieux ici sur terre, non seulement pour les individus mais pour la communauté tout entière. Il semble alors que, en vivant des relations harmonieuses avec ces représentants de Dieu dans ce monde, chaque personne reste étroitement unie à l’Etre suprême, et à tous les membres du groupe. On sait assez que, dans la vie ordinaire, la communauté, à son tour, reste traditionnellement liée au monde invisible. Ce fait entraîne une relation profonde avec le divin et les ancêtres à tel point que la Ibidem MATUNGULU, cite par Bernard, A., L’Homme et son accomplissement. Essai d’anthropologie philosophique. Ed. Saint Paul Afrique, Kinshasa, p.158 7 8 3 vie et les activités humaines sont orientées à Dieu. Ce phénomène explique les rites agraires, les rites autour de la naissance, de l’initiation, du mariage, de la vieillesse, et de la mort. La vénération des ancêtres, et le grand culte sacrificiel à Dieu correspondent à cet objectif. Cette religiosité trouve son fondement dans la vision traditionnelle de la religion et de Dieu. Le Dieu unique, Nyamuhanga, dans son mode propre d’existence, se manifeste et intervient, par l’intermédiaire des esprits et des ancêtres, dans les différentes circonstances de la vie humaine selon les besoins de l’homme ou de la communauté. Ces expériences de Dieu poussent les hommes dans diverses attitudes religieuses : la louange, l’intercession, l’imploration du pardon divin, et la crainte de Dieu. Par ailleurs, la conception du Dieu-Nyamuhanga fonde la moralité des Nande qui culmine dans la vénération des ancêtres. En effet, le culte des ancêtres est réservé aux hommes qui ont pleinement vécu les exigences vertueuses de la culture : l’adoration du Dieu unique, la vie familiale féconde et épanouie, la promotion d’un travail réussi, le respect de la coutume ancestrale et de la tradition, et enfin le respect du secret initiatique. C’est alors que nous pouvons comprendre le fait que toute transgression de la tradition ancestrale engendre des perturbations dans la conscience morale de la personne et dans sa vie individuelle. Ainsi les Nande s’évertuent-ils à conformer leur vie aux normes morales de la culture. Elles gardent une dimension théocentrique dans une relation verticale avec Dieu et les Ancêtres, une dimension anthropocentrique dans un rapport horizontal avec le groupe, et une dimension cosmique dans le lien avec l’univers. Cette perspective met au claire une certaine catégorisation de péché chez les Nande. les Nande distinguent les péchés contre Dieu, contre les personnes et les objets sacrés, contre le village, contre soi-même, contre la vie communautaire et contre le pays, et le péché du sorcier, l’asocial. Conclusion : La religion est pour les Nande une expression de l’expérience vécue. Une expérience qui met l’homme en rapport avec Dieu à travers ses rapports à lui-même, à la communauté ou monde visible et au monde invisible des défunts, des ancêtres, et du Dieu-Nyamuhanga9 . Le parcours que nous venons de faire manifeste à l’évidence que pour le banande, la vie de l’outre-tombe d’un homme dépend de celle de cette terre. Dans cette conception, les ancêtres et les défunts sont au-dessus des vivants et sont revêtus d’une puissance extraordinaire et enfin ils sont à côté de Dieu et ils intercèdent pour les vivants. Pour les Banande il est raisonnable de passer par les défunts et les ancêtres pour s’adresser à Dieu. A ce niveau, nous remarquons avec Berghmans, que la chose la plus surprenante est que, selon lui, les Nande, malgré la richesse culturelle de leur religion traditionnelle, n’aient pas développé le sens 9 Liévin BERGMANS, op. Cit. Pg. 37 4 des sacrifices dédiés spécifiquement à Dieu10. Cet auteur ajoute qu’il n’y avait qu’un grand jour du sacrifice annuel (ovuhere vukulu), mis à part les rites et les cultes organisés au niveau de la famille, du village et du royaume par la hiérarchie sacerdotale. En somme, nous ne prétendons pas avoir épuisé la totalité d’informations requises pour sujet aussi pertinent. C’est pourquoi notre recherche n’a aucunement l’intention de dire le dernier mot sur cette question mais elle reste ouverte à tous les compléments des travaux qui seront orientés dans la même perspective. Sources bibliographiques Dictionnaire 1. Kambale Kavutirwaki et Ngessimo M. Mutaka, Dictionnaire kinande-français, Tervuren (Belgique), Musée royal de l'Afrique centrale, 2012 Autres ouvrages 2. A. WASWANDI, Dieu Nyamuhanga chez les wanandes du Zaire. Essai d’une Christologie africaine, Tome 1, Lyon, 1981 3. Ka Mana, L’Afrique notre projet, Révélation d’image africaine, ed.Terroirs, 2009 4. L. BERGMANS, Les Wanandes, croyances et pratiques traditionnelles, éd. A.B.B, Butembo, 1971 5. MATUNGULU, cite par Bernard, A., L’Homme et son accomplissement. Essai d’anthropologie philosophique. Ed. Saint Paul Afrique, Kinshasa 10 Ibidem