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Le nouvel Economiste - n°1770 - Du 19 au 25 juin 2015 - Journal d’analyse & d’opinion paraissant le vendredi
En politique internationale, toutes les
occasions sont bonnes pour asseoir
une légitimité écornée ou contes-
tée. Un fait, une commémoration,
un événement tout sauf politique,
peuvent constituer autant d’opportu-
nités pour rayonner, à tout le moins
consolider des positions politiques
ou économiques dans un environne-
ment chaque jour plus concurrentiel.
L’actualité de ces jours-ci nous en
donne quelques belles illustrations.
Le sport est connu pour être un outil
diplomatique de premier plan. On se
souvient de l’effet Coupe du monde
de football 98 en France, en interne
avec un vent d’optimisme sans équi-
valent chez nos concitoyens, mais
aussi sur l’image portée internatio-
nalement par la France. Un peu sur
le modèle du Qatar, l’Azerbaïdjan
s’est lancé dans une véritable diplo-
matie sportive. Bakou aura son Grand
Prix de Formule 1 en 2016, avant
d’accueillir, l’année suivante, les
“Jeux de la solidarité islamique”. En
attendant, ce sont les premiers “Jeux
européens” qui s’y sont ouverts ven-
dredi dernier. Quelque 6 000 sportifs
participants dans une vingtaine de
disciplines auront fait le déplacement
et, de fait, cautionné un régime très
critiqué en raison de son traitement
des droits de l’homme. Espérons à
tout le moins que le choix de l’organi-
sation à Bakou de ces jeux d’un mode
nouveau n’aura pas été décidé à coup
de sombres manœuvres fi nancières,
comme semblent l’avoir été certains
grands événements sportifs récents…
Commémorations et dégustations
Dans un autre registre, il est des pays
qui usent de la commémoration systé-
matique des grands faits de leur his-
toire pour renforcer leur soft power
et leur rayonnement, mais aussi pour
servir de facteur de cohésion sociale
interne. Le Royaume-Uni en est un
habitué. On se souvient de la commé-
moration de sa victoire de Trafalgar.
Le 18 juin, le bicentenaire de la
bataille de Waterloo donnera lieu à
un moment de cohésion nationale en
Belgique, un pays divisé entre com-
munautés mais qui, pour l’occasion,
pourra communier face à un voisin
(la France) considéré par beaucoup
comme trop envahissant… même
si la Belgique n’existait pas en tant
que telle à l’époque des faits. On ne
peut que regretter que la France ait,
elle, l’habitude de commémorer ses
défaites (on se souvient de la partici-
pation de la marine française au défi lé
naval organisé par les Britanniques en
souvenir de leur victoire à Trafalgar…
contre la France) et de ne jamais
commémorer ses victoires, pourtant
nombreuses et certaines porteuses de
sens.
Enfi n, au moment où se déroule à
Bordeaux l’exposition Vinexpo, com-
ment ne pas souligner la formidable
force d’image et de rayonnement que
représentent gastronomie, vins et arts
de la table. La France dispose des
plus beaux terroirs, de la plus grande
diversité dans les mets et les vins.
Cela constitue un capital inestimable
qui renforce encore plus l’attractivité
de notre pays, à un moment où notre
place de première destination touris-
tique au monde est contestée par les
États-Unis, mais aussi par nos deux
voisins du sud de l’Europe. L’initiative
prise par Laurent Fabius, qui a orches-
tré en mars dernier la première mani-
festation de diplomatie culinaire à
l’échelle de la planète, à savoir l’orga-
nisation d’un repas “à la française”, le
même jour, par quelque 1 500 restau-
rants répartis dans 160 pays, illustre
parfaitement comment un art de vivre
peut servir les ambitions politiques
d’une nation, mais aussi contribuer à
ses grands équilibres économiques et
fi nanciers.
Sport, gastronomie et histoire : la nouvelle
panoplie de la politique internationale des États
CONTRE-COURANT
Il est des pays qui
usent de la commémo-
ration systématique
des grands faits de
leur histoire pour ren-
forcer leur soft power
et leur rayonnement,
mais aussi pour servir
de facteur de cohésion
sociale interne.
Analyses
Le Parlement européen a rejeté fi n
mai le rapport Hökmark, qui défen-
dait, sans grande conviction, une
version largement dénaturée de la
proposition de séparation bancaire
faite début 2014 par Michel Barnier.
Dans le texte initial, la Commission
européenne proposait d’imposer
dès 2017 de nouvelles règles aux
plus grandes banques européennes,
en leur interdisant le négoce pour
leur compte propre (proprietary
trading) des produits fi nanciers et
des matières premières, et en leur
imposant de fi lialiser la tenue de
marché (market making) au-dessus
d’un certain seuil.
Dans son rapport, Hökmark ne pro-
posait plus d’interdire et de fi liali-
ser automatiquement ces activités,
mais donnait seulement aux régula-
teurs la possibilité de le demander
au cas par cas, au vu des risques
pris par chaque établissement.
Le nouveau commissaire aux ser-
vices fi nanciers, Jonathan Hill,
avait laissé entendre fi n 2014 que
la Commission pourrait décider de
retirer ce texte en l’absence d’ac-
cord. Il est donc probable que le
refus du rapport Hökmark soit le
signal d’un abandon de toute vel-
léité européenne de séparation
bancaire.
Les vicissitudes de la proposition
Barnier invitent à rappeler ce
que l’on désigne exactement par
“séparation bancaire”, et les buts
recherchés.
En la matière, schématiquement,
deux écoles s’opposent.
L’école Vickers
ou la “séparation forte”
La première école est celle de la
réforme anglaise dite Vickers, du
nom de l’économiste anglais qui
a présidé la commission qui l’a
défi nie.
En Europe, zone euro mais égale-
ment Royaume-Uni, c’est princi-
palement le crédit bancaire qui
fi nance l’économie et les entre-
prises (70 % en zone euro, 50 %
au Royaume-Uni), plus que les
marchés fi nanciers.
Dans ce cas, on peut souhaiter
séparer banque de crédit et de
dépôt d’un côté, et banque d’inves-
tissement (investment banking ou
banque de marché) de l’autre, pour
s’assurer que les banques concen-
trent bien leurs moyens (liquidité,
capital) sur le crédit bancaire, et
ne se dispersent pas dans les acti-
vités de marché. C’est ce que l’on
peut appeler la “séparation forte”,
qui sera effective au Royaume-Uni
à partir de 2019. Cette “séparation
forte” a également déjà été mise en
œuvre aux États-Unis à partir de
1932 avec le Glass-Steagall, jusqu’à
son abrogation par Bill Clinton en
1999.
L’école Volcker,
ou la “séparation faible”
La seconde école est celle de la
récente réforme américaine dite
Volcker, du nom de l’ancien prési-
dent de la réserve fédérale améri-
caine (Fed).
Aux États-Unis aujourd’hui, le
fi nancement des entreprises passe
par les marchés fi nanciers (70 %
des emprunts), bien plus que par
le crédit bancaire (30 %), et cette
situation n’a pas été remise en
cause par la crise fi nancière.
Dans ce contexte, il s’agit moins de
s’assurer que des moyens suffi sants
sont consacrés au crédit bancaire,
dès lors que les entreprises ont prin-
cipalement recours aux marchés
pour se fi nancer, que de limiter les
risques pesant sur les banques.
C’est pourquoi la réforme Volcker a
choisi ce que l’on peut appeler une
“séparation faible” des activités
bancaires, c’est-à-dire une interdic-
tion des seules activités de proprie-
tary trading et une limitation des
prises de participations dans des
fonds spéculatifs.
Un nom, deux visions
Sous un même nom de “sépara-
tion bancaire”, deux visions très
différentes coexistent donc, cha-
cune étant cohérente avec un
certain mode de fi nancement de
l’économie.
L’Europe avec la proposition
Barnier, de même que la France
avec la “loi bancaire” de 2013,
ont choisi la “séparation faible”.
Ce choix est parfaitement cohé-
rent avec l’initiative européenne
d’Union des marchés de capitaux
(UMC), soutenue par la France,
qui vise à favoriser le fi nancement
des entreprises européennes et
françaises par les marchés de capi-
taux. L’Europe continentale et la
France souhaitent se rapprocher du
modèle américain, alors que l’ana-
lyse de la crise fi nancière semble
pourtant inviter à d’autres choix.
GUILLAUME SARLAT
banquier d’affaires à Londres
Dans la “séparation
faible”, il s’agit moins
de s’assurer que des
moyens suffi sants sont
consacrés au crédit
bancaire que de limiter
les risques pesant
sur les banques. (…)
L’Europe continentale
et la France souhaitent
se rapprocher du
modèle américain,
alors que l’analyse
de la crise fi nancière
semble pourtant
inviter à d’autres choix
L’école Vickers
ou l’écoleVolcker ?
La séparation bancaire, oui, mais laquelle.
La forte ou la faible ?
MA TRÈS CHÈRE BANQUE
Paul Volcker, économiste américain
et ancien directeur de la Réserve
fédérale des États-Unis