Analyses MA TRÈS CHÈRE BANQUE CONTRE-COURANT L’école Vickers ou l’écoleVolcker ? Soft power tous azimuts La séparation bancaire, oui, mais laquelle. La forte ou la faible ? Sport, gastronomie et histoire : la nouvelle panoplie de la politique internationale des États GUILLAUME SARLAT banquier d’affaires à Londres Le Parlement européen a rejeté fin mai le rapport Hökmark, qui défendait, sans grande conviction, une version largement dénaturée de la proposition de séparation bancaire faite début 2014 par Michel Barnier. Dans le texte initial, la Commission européenne proposait d’imposer dès 2017 de nouvelles règles aux plus grandes banques européennes, en leur interdisant le négoce pour leur compte propre (proprietary trading) des produits financiers et des matières premières, et en leur imposant de filialiser la tenue de marché (market making) au-dessus d’un certain seuil. Dans son rapport, Hökmark ne proposait plus d’interdire et de filialiser automatiquement ces activités, mais donnait seulement aux régulateurs la possibilité de le demander au cas par cas, au vu des risques pris par chaque établissement. Le nouveau commissaire aux services financiers, Jonathan Hill, avait laissé entendre fin 2014 que la Commission pourrait décider de retirer ce texte en l’absence d’accord. Il est donc probable que le refus du rapport Hökmark soit le signal d’un abandon de toute velléité européenne de séparation bancaire. Les vicissitudes de la proposition Barnier invitent à rappeler ce que l’on désigne exactement par “séparation bancaire”, et les buts recherchés. En la matière, schématiquement, deux écoles s’opposent. L’école Vickers ou la “séparation forte” La première école est celle de la réforme anglaise dite Vickers, du nom de l’économiste anglais qui a présidé la commission qui l’a définie. En Europe, zone euro mais également Royaume-Uni, c’est principalement le crédit bancaire qui finance l’économie et les entreprises (70 % en zone euro, 50 % au Royaume-Uni), plus que les 10 Paul Volcker, économiste américain et ancien directeur de la Réserve fédérale des États-Unis marchés financiers. Dans ce cas, on peut souhaiter séparer banque de crédit et de dépôt d’un côté, et banque d’investissement (investment banking ou banque de marché) de l’autre, pour s’assurer que les banques concentrent bien leurs moyens (liquidité, capital) sur le crédit bancaire, et ne se dispersent pas dans les activités de marché. C’est ce que l’on peut appeler la “séparation forte”, qui sera effective au Royaume-Uni à partir de 2019. Cette “séparation forte” a également déjà été mise en œuvre aux États-Unis à partir de 1932 avec le Glass-Steagall, jusqu’à son abrogation par Bill Clinton en 1999. l’économie. L’Europe avec la proposition Barnier, de même que la France avec la “loi bancaire” de 2013, ont choisi la “séparation faible”. Ce choix est parfaitement cohérent avec l’initiative européenne d’Union des marchés de capitaux (UMC), soutenue par la France, qui vise à favoriser le financement des entreprises européennes et françaises par les marchés de capitaux. L’Europe continentale et la France souhaitent se rapprocher du modèle américain, alors que l’analyse de la crise financière semble pourtant inviter à d’autres choix. L’école Volcker, ou la “séparation faible” La seconde école est celle de la récente réforme américaine dite Volcker, du nom de l’ancien président de la réserve fédérale américaine (Fed). Aux États-Unis aujourd’hui, le financement des entreprises passe par les marchés financiers (70 % des emprunts), bien plus que par le crédit bancaire (30 %), et cette situation n’a pas été remise en cause par la crise financière. Dans ce contexte, il s’agit moins de s’assurer que des moyens suffisants sont consacrés au crédit bancaire, dès lors que les entreprises ont principalement recours aux marchés pour se financer, que de limiter les risques pesant sur les banques. C’est pourquoi la réforme Volcker a choisi ce que l’on peut appeler une “séparation faible” des activités bancaires, c’est-à-dire une interdiction des seules activités de proprietary trading et une limitation des prises de participations dans des fonds spéculatifs. Un nom, deux visions Sous un même nom de “séparation bancaire”, deux visions très différentes coexistent donc, chacune étant cohérente avec un certain mode de financement de Dans la “séparation faible”, il s’agit moins de s’assurer que des moyens suffisants sont consacrés au crédit bancaire que de limiter les risques pesant sur les banques. (…) L’Europe continentale et la France souhaitent se rapprocher du modèle américain, alors que l’analyse de la crise financière semble pourtant inviter à d’autres choix PASCAL LOROT En politique internationale, toutes les occasions sont bonnes pour asseoir une légitimité écornée ou contestée. Un fait, une commémoration, un événement tout sauf politique, peuvent constituer autant d’opportunités pour rayonner, à tout le moins consolider des positions politiques ou économiques dans un environnement chaque jour plus concurrentiel. L’actualité de ces jours-ci nous en donne quelques belles illustrations. Le sport est connu pour être un outil diplomatique de premier plan. On se souvient de l’effet Coupe du monde de football 98 en France, en interne avec un vent d’optimisme sans équivalent chez nos concitoyens, mais aussi sur l’image portée internationalement par la France. Un peu sur le modèle du Qatar, l’Azerbaïdjan s’est lancé dans une véritable diplomatie sportive. Bakou aura son Grand Prix de Formule 1 en 2016, avant d’accueillir, l’année suivante, les “Jeux de la solidarité islamique”. En attendant, ce sont les premiers “Jeux européens” qui s’y sont ouverts vendredi dernier. Quelque 6000 sportifs participants dans une vingtaine de disciplines auront fait le déplacement et, de fait, cautionné un régime très critiqué en raison de son traitement des droits de l’homme. Espérons à tout le moins que le choix de l’organisation à Bakou de ces jeux d’un mode nouveau n’aura pas été décidé à coup de sombres manœuvres financières, comme semblent l’avoir été certains grands événements sportifs récents… (la France) considéré par beaucoup comme trop envahissant… même si la Belgique n’existait pas en tant que telle à l’époque des faits. On ne peut que regretter que la France ait, elle, l’habitude de commémorer ses défaites (on se souvient de la participation de la marine française au défilé naval organisé par les Britanniques en souvenir de leur victoire à Trafalgar… contre la France) et de ne jamais commémorer ses victoires, pourtant nombreuses et certaines porteuses de sens. Enfin, au moment où se déroule à Bordeaux l’exposition Vinexpo, comment ne pas souligner la formidable force d’image et de rayonnement que représentent gastronomie, vins et arts de la table. La France dispose des plus beaux terroirs, de la plus grande diversité dans les mets et les vins. Cela constitue un capital inestimable qui renforce encore plus l’attractivité de notre pays, à un moment où notre place de première destination touristique au monde est contestée par les États-Unis, mais aussi par nos deux voisins du sud de l’Europe. L’initiative prise par Laurent Fabius, qui a orchestré en mars dernier la première manifestation de diplomatie culinaire à l’échelle de la planète, à savoir l’organisation d’un repas “à la française”, le même jour, par quelque 1500 restaurants répartis dans 160 pays, illustre parfaitement comment un art de vivre peut servir les ambitions politiques d’une nation, mais aussi contribuer à ses grands équilibres économiques et financiers. Commémorations et dégustations Dans un autre registre, il est des pays qui usent de la commémoration systématique des grands faits de leur histoire pour renforcer leur soft power et leur rayonnement, mais aussi pour servir de facteur de cohésion sociale interne. Le Royaume-Uni en est un habitué. On se souvient de la commémoration de sa victoire de Trafalgar. Le 18 juin, le bicentenaire de la bataille de Waterloo donnera lieu à un moment de cohésion nationale en Belgique, un pays divisé entre communautés mais qui, pour l’occasion, pourra communier face à un voisin Il est des pays qui usent de la commémoration systématique des grands faits de leur histoire pour renforcer leur soft power et leur rayonnement, mais aussi pour servir de facteur de cohésion sociale interne. Le nouvel Economiste - n°1770 - Du 19 au 25 juin 2015 - Journal d’analyse & d’opinion paraissant le vendredi