heureux, on note que les verbes au futur sont associés à des négations (nel verrai,
ne vendra), la mort sonne alors comme une délivrance. Elle n’attend plus rien du
destin, comme le montre le vers 2062 : “Quant li dieu n’ont de moy merci” (cad
“Puisque les dieux n’ont pour moi pas de merci”), il s’agit ici de la seule référence
aux dieux païens, un fait notable et caractéristique de la translatio qui vient rompre
avec l’élément topique des textes antiques qu’est l’apostrophe aux dieux ;
l’imploration de Didon laisse place ici à une introspection.
De plus, les dieux semblent être évoqués dans un sens figuratif, celui du destin, de
la fortune, et non comme des entités. Ainsi, Didon n’est plus l’instrument de la
machination des dieux, mais l’héroïne tragique d’un drame humain, celui des
passions. En effet, Didon est le théâtre d’un affrontement entre deux passions
opposées mais complémentaires qui jouent pour elle le rôle du Destin qui la mènera
à la mort ; la première est bien sûr sa relation courtoise avec Eneas, la seconde son
amour chaste pour Sychée, dont elle évoque la trahison au vers 2073-4 : “Pour quoy
trepassay je la foy que je plevis a mon seignor, Pour quoy me venqui si Amor”
(Pourquoi ai-je trahi la promesse que je fis à mon époux, pourquoi Amour m’a t il
ainsi vaincu ?), ici le seignor renvoie à l’époux, aussi maître du coeur de Didon,
souligné par la rime avec Amor, qui apparaît comme une entité dévastatrice : la
translation semble mettre un point d’honneur à la complexité des passions
humaines, en faisant de l’amour une divinité toute puissante, et innove dans une
certaine mesure en mobilisant à la fois une Didon furieusement amoureuse issue de
l’imaginaire de Virgile et chaste jusqu’à la mort comme dans la tradition grecque
reprise par Justin.
Le premier mouvement se caractérise donc par un discours tragique d’un genre
nouveau : la fatalité divine laisse place à un drame humain, dans lequel Amor mène
Didon à la deveri. S’il était plutôt question d’un discours pathétique jusqu’ici, le
soliloque va prendre une tournure autre en montrant une Didon ambivalente, d’abord
victime du destin, elle devient maîtresse du sien, d’abord faillible dans sa parole,
c’est au nom de celle-ci qu’elle prend la décision de se donner la mort ; ce deuxième
mouvement la voit également glisser vers la folie.
L’adverbe “Ore” que l’on pourrait traduire par “A cette heure”, ou “à présent” marque
une rupture ; il ne s’agit plus du temps du regret mais celui de l’action, on en trouve
d’ailleurs trois occurences en 14 vers. Didon ne se pose plus en victime d’un dessein
qui lui est supérieur, mais admet sa responsabilité en insistant sur sa transgression,
par l’évocation à deux reprise du terme “mentie” aux vers 2074, 2082 que l’on peut
traduire littéralement par “manquer à sa parole”. Paradoxalement, La translation
élève Didon en une figure de sagesse en lui insufflant une prise de conscience de sa
propre intempérance. Dans l’absolu, elle pourrait continuer de vivre en prenant un
autre seignor, cependant c’est une éventualité qu’elle refuse en l’évoquant par le
biais de questions rhétoriques, notamment lorsqu’elle dit : “Feray je dont tel
deshonneur ?” (Commeterai-je un tel déshonneur ?), une question à laquelle elle