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Management & Sciences Sociales
N° 21 Juillet-Décembre 2016 • RSE et éthique - Impacts sur l’enseignement du management
Introduction
Certains  observateurs  n’hésitent  pas  à
affirmer que le monde a tourné la page de la
civilisation précédente pour rentrer dans une
nouvelle civilisation celle du « numérique1».
Marylène  Patou-Mathis2,  préhistorienne,
spécialiste  du  temps  long,  est  moins
affirmative,  cependant  elle  confirme  le
tournant pris et les prémices d’une nouvelle
civilisation.  Elle  rappelle  que  les  civilisations
se succèdent, « qu’aucune n’est supérieure à
la  précédente  »,  que  «  les  cultures  sont
buissonnantes  »  mais  pas  hiérarchiques  et
met en garde contre toute vision  linéaire  et
progressiste de l’humanité. 
Le numérique est à l’origine d’un changement
majeur  comme  l’ont  été,  dans  l’histoire  de
l’humanité,  l’introduction  de  l’outil,  du  feu,
de  l’écriture  ou  de  l’imprimerie.  Ces
innovations  fondamentales  ont  chacune
engendré  des  effets  sociaux  considérables  :
des  frictions,  des  coopérations,  des
mobilités…  Le  feu  a  ainsi  eu  pour
conséquence directe la mobilité des humains,
il  a  alimenté  la  cosmogonie  qui  s’est  créée
autour  de  lui.  L’introduction  du  numérique
provoque  elle  aussi  des  changements
sociaux, économiques, organisationnels…
À  la  différence  des  précédents
bouleversements  technologiques,  l’introduc-
tion du numérique est beaucoup plus rapide
et  touche  plus  de  monde.  Elle  n’est  pas
limitée à une zone géographique même si des
disparités  existent,  les  deux  tiers  de  la
population  mondiale  ne  sont  pas  connectés
mais la progression est très rapide.
Fin  2015,  l’Union  Internationale  des
Télécommunications3recense  3,2  milliards
d’internautes contre 400 millions en 2000 et
7  milliards  de  téléphones  mobiles  dans  le
monde contre 1 milliard en 2000.
Nous assistons à l’une des mutations les plus
rapides  de  notre  civilisation  planétaire
induite par la technologie et entamée avec le
Web en 1989 qui se répand de façon massive
à  partir  de  1993  et  qui  a  transformé  les
manières d’apprendre,  de  vivre, d’aimer,  de
faire de la politique4, de faire des affaires, de
vendre, d’acheter, de gérer... 
Bien plus qu’une innovation technologique, le
numérique  est  un  phénomène  plus  large  et
plus complexe qui touche à toutes les sphères
de la vie de chacun. Ce sont aussi des usages,
des manières d'utiliser des sites, des services,
des  applications,  des  manières  de  les  faire
entrer dans nos vies personnelles, comme le
font  Facebook,  Skype,  Tinder,  Alibaba,  My
Bank,  ou  Le  Bon  Coin,  pour  n’en  citer  que
quelques-uns,  mais  aussi  dans  nos  vies
professionnelles.  La  numérisation  des  actes
de  gestion  et  leur  dématérialisation  sont
devenues banales.
Les  entreprises  ont-elles  pris  la  mesure  de
cette  révolution  en  cours  ?  Certes,  elles
utilisent l’outil mais, au-delà de l’instrument,
elles  commencent  tout  juste  à  mesurer
l’ampleur  du  changement  de  société  et
l’impérieuse  nécessité  de  repenser  les
modèles  d’affaires,  les  modèles
organisationnels, les relations sociales et  les
procédures  qu’elles  pensaient  immuables.
Dans ce  monde  en  train  de  s’inventer,  nous
nous  intéressons  aux  mutations
organisationnelles  et  notamment  au
management à distance d’équipes dispersées
et  multiculturelles.  Les  Technologies  de
l’Information et de la Communication (TIC) si
elles effacent les distances géographiques ne
réduisent  pas  pour  autant  les  distances
culturelles.
L’intermédiation par les TIC du management
international  dispense-t-elle  de  la
connaissance de l’autre ?
3.  http://www.itu.int/en/ITU-D/Statistics/Documents/
facts/ICTFactsFigures2015.pdf
4. Intervention de Alexandre Lacroix dans « Le numérique
fait-il  de nous  une  civilisation  supérieure ?  »,  29  janvier
2016 France Culture, « Du grain à moudre ».