Chapitre 6
Les espaces Lp
6.1 Définitions et premières propriétés
6.1.1 Les espaces Lp, avec 1p < +
Soient
(E,T,m)
un espace mesuré,
1p < +
et
f∈ M =M(E,T)
(c’est-à-dire
f: E R
, mesurable). On
remarque que
|f|p∈ M+
, car
|f|p=ϕf
ϕ
est la fonction continue (donc borélienne) définie par
ϕ(s) = |s|p
pour tout
sR
. (Noter que
p > 0
et on rappelle que
|s|p=epln(|s|)
pour
s,0
et
|s|p= 0
pour
s= 0
.) La quantité
R|f|pdm
est donc bien définie et appartient à
R+
. Ceci va nous permette de définir les espaces de fonctions de
puissance p–ième intégrable. On retrouve, pour p= 1, la définition de l’espace des fonctions intégrables.
Définition 6.1 (Les espaces Lp)
Soient
(E,T,m)
un espace mesuré,
1p < +
et
f
une fonction définie de
E
dans R, mesurable. (On a donc |f|p∈ M+.)
1. On dit que f∈ Lp=Lp
R(E,T,m)si R|f|pdm < +. On pose alors :
kfkp=Z|f|pdm1
p.
2. On dit que f<Lp=Lp
R(E,T,m)si R|f|pdm = +et on pose alors kfkp= +.
De manière analogue au cas
p= 1
on quotiente les espaces
Lp
par la relation d’équivalence “
=
p.p.” afin que
l’application f7→ kfkpdéfinisse une norme sur l’espace vectoriel des classes d’équivalence (voir section 4.5).
Définition 6.2 (Les espaces Lp)Soient (E,T,m)un espace mesuré et 1p < +.
1.
On définit l’espace
Lp
R(E,T, m)
comme l’ensemble des classes d’équivalence des fonctions de
Lp
pour la relation
d’équivalence (= pp). En l’absence d’ambiguïté on notera Lpl’espace Lp
R(E,T, m).
2.
Soit
FLp
R(E,T,m)
. On pose
kFkp=kfkp
si
fF
. (Cette définition est cohérente car ne dépend pas du choix
de fdans F. On rappelle aussi que F = ˜
f={g∈ Lp;g=fp.p.}.)
Proposition 6.3 Soient (E,T,m)un espace mesuré et 1p < +. Alors :
1. Lp
R(E,T,m)est un espace vectoriel sur R.
2. Lp
R(E,T, m)est un espace vectoriel sur R.
DÉMONSTRATION – 1.
Soit
αR
,
f∈ Lp
. On a
αf∈ M
(car
M
est un espace vectoriel) et
R|αf|pdm =
|α|pR|f|pdm < +. Donc, αf∈ Lp.
Soit
f ,g ∈ Lp
. On veut montrer que
f+g∈ Lp
. On sait que
f+g∈ M
(car
M
est un espace vectoriel) et on
remarque que, pour tout xE,
|f(x) + g(x)|p2p|f(x)|p+ 2p|g(x)|p,
et donc Z|f+g|pdm 2pZ|f|pdm + 2pZ|g|pdm < +,
ce qui montre que f+g∈ Lp.
2.
La structure vectorielle de
Lp
s’obtient comme pour
p= 1
. Soit
F,GLp
et
α,βR
. On choisit
fF
et
gG
et on
définit
αF + βG
comme étant la classe d’équivalence de
αf+βg
. Comme d’habitude, cette définition est cohérente
car la classe d’équivalence de αf+βgne dépend pas des choix de fet gdans Fet G.
On va montrer maintenant que f7→ kfkpest une semi–norme sur Lpet une norme sur Lp.
Lemme 6.4 (Inégalité de Young) Soient a, b R+et p,q ]1,+[tels que 1
p+1
q= 1. Alors :
ab ap
p+bq
q.
DÉMONSTRATION
La fonction exponentielle
θ7→ exp(θ)
est convexe (de
R
dans
R
). On a donc, pour tout
θ1,θ2Ret tout t[0,1],
exp(tθ1+ (1 t)θ2)texp(θ1) + (1 t)exp(θ2).
Soit
a,b > 0
(les autres cas sont triviaux). On prend
t=1
p
(de sorte que
(1 t) = 1
q
),
θ1=pln(a)
et
θ2=qln(b)
. On
obtient bien ab ap
p+bq
q.
Lemme 6.5 (Inégalité de Hölder)
Soient
(E,T,m)
un espace mesuré et
p, q ]1,+[
tels que
1
p+1
q= 1
. Soient
f∈ Lp
R(E,T,m)et g∈ Lq
R(E,T,m). Alors, f g ∈ L1
R(E,T, m)et
kf gk1≤ kfkpkgkq.(6.1)
Le même résultat est vrai avec Lp,Lqet L1au lieu de Lp,Lqet L1.
DÉMONSTRATION On remarque d’abord que f g ∈ M car f ,g ∈ M (voir la proposition 3.19).
L’inégalité de Young donne |f(x)g(x)| ≤ |f(x)|p
p+|g(x)|q
qpour tout xE. On en déduit, en intégrant :
Z|f g|dm 1
pZ|f|pdm +1
qZ|g|qdm < +.(6.2)
Donc, f g ∈ L1.
Pour montrer (6.1), on distingue maintenant 3 cas :
134
Cas 1.
On suppose
kfkp= 0
ou
kgkq= 0
. On a alors
f= 0
p.p. ou
g= 0
p.p.. On en déduit
f g = 0
p.p., donc
kf gk1= 0
et
(6.1) est vraie.
Cas 2. On suppose kfkp= 1 et kgkq= 1. On a alors, avec (6.2),
kf gk1=Z|f g|dm 1
p+1
q=1=kfkpkgkq.
L’inégalité (6.1) est donc vraie.
Cas 3.
On suppose
kfkp>0
et
kgkq>0
. On pose alors
f1=f
kfkp
et
g1=g
kgkq
, de sorte que
kf1kp=kg1kq= 1
. Le cas 2
donne alors kf gk1
kfkpkgkq=kf1g1k1.
Ce qui donne (6.1).
Dans le cas où
fLp
et
gLq
, on confond les classes
f
et
g
avec des représentants, encore notés
f
et
g
. Le résultat
précédent donne
f g ∈ L1
et (6.1). On a alors
f g L1
au sens de la confusion habituelle, c’est-à-dire “il existe
h∈ L1
telle que f g =hp.p.” (et f g ne dépend pas des représentants choisis), et (6.1) est vérifiée.
Lemme 6.6 (Inégalité de Minkowski)
Soit
(E,T,m)
un espace mesuré et
1p < +
. Soit
f ,g ∈ Lp
R(E,T,m)
.
Alors, f+g∈ Lpet :
kf+gkp≤ kfkp+kgkp.(6.3)
Le même résultat est vrai avec Lpau lieu de Lp.
DÉMONSTRATION
Le cas
p= 1
à déjà été fait. On suppose donc
p > 1
. On a aussi déjà vu que
f+g∈ Lp
(proposition 6.3). Il reste donc à montrer (6.3). On peut supposer que kf+gkp,0(sinon (6.3) est trivial).
On remarque que
|f+g|pFH + GH,(6.4)
avec F = |f|,G = |g|et H = |f+g|p1.
On pose
q=p
p1
, de sorte que
1
p+1
q= 1
,
F∈ Lp
,
G∈ Lp
et
H∈ Lq
(car
f+g∈ Lp
). On peut donc appliquer l’inégalité
de Hölder (6.1), elle donne
kFHk1≤ kFkpkHkq,kGHk1≤ kGkpkHkq.
On en déduit, avec (6.4), Z|f+g|pdm (kfkp+kgkp)(Z|f+g|pdm)11
p,
D’où l’on déduit (6.3).
Il est clair que le lemme est vrai avec Lpau lieu de Lp.
On en déduit la propriété suivante :
Proposition 6.7 Soient (E,T,m)un espace mesuré et 1p < +.
1. L’application f7→ kfkpest une semi–norme sur Lp.
2.
L’application
f7→ kfkp
est une norme sur
Lp
.
Lp
, muni de cette norme, est donc une espace vectoriel (sur
R
)
normé.
DÉMONSTRATION
135
On a bien kfkpR+pour tout f∈ Lp.
On a déjà vu que kαfkp=|α|kfkp, pour tout αRet tout f∈ Lp.
L’inégalité (6.3) donne kf+gkp≤ kfkp+kgkppour tout f ,g ∈ Lp.
L’application f7→ kfkpest donc une semi–norme sur Lp. On remarque que, si f∈ Lp, on a
kfkp= 0 f= 0 p.p..
Cette équivalence donne que l’application f7→ kfkpest une norme sur Lp.
Remarque 6.8
On reprend ici la remarque 4.40. Soient
(E,T,m)
un espace mesuré et
1p < +
. On confondra
dans la suite un élément
F
de
Lp
avec un représentant
f
de
F
, c’est-à-dire avec un élément
f∈ Lp
telle que
fF
.
De manière plus générale, soit
AE
t.q.
Ac
soit négligeable (c’est-à-dire
AcB
avec
BT
et
m(B) = 0
). On dira
qu’une fonction
f
, définie de
A
dans
R
, est un élément de
Lp
s’il existe une fonction
g∈ Lp
t.q.
f=g
p.p.. On
confond donc, en fait, la fonction
f
avec la classe d’équivalence de
g
, c’est-à-dire avec
˜
g={h∈ Lp
;
h=g
p.p.
}
.
D’ailleurs, cet ensemble est aussi égal à {h∈ Lp;h=fp.p. }.
Avec cette confusion, si fet gsont des éléments de Lp,f=gsignifie en fait f=gp.p..
Théorème 6.9 (Convergence dominée dans Lp)
Soit
(E,T,m)
un espace mesuré et
1p < +
. On note
Lp
l’espace Lp
R(E,T, m). Soit (fn)nNune suite d’éléments de Lptelle que :
1. fnfp.p.,
2. FLptelle que |fn| ≤ Fp.p. pour tout nN.
Alors fnfdans Lp(c’est-à-dire Z|fnf|pdm 0quand n+).
DÉMONSTRATION On se ramène au cas p= 1.
On peut choisir des représentants des
fn
(encore notés
fn
) de manière à ce que la suite
(fn(x))nN
soit convergente dans
R
pour tout
xE
. On pose
g(x) = limn+fn(x)
. On a donc
g∈ M
et
|g| ≤ F
p.p., ce qui montre que
g∈ Lp
. On a
donc fLp(au sens f=gp.p. avec g∈ Lp).
Puis, on remarque que
0hn=|fnf|p(|fn|+|f|)p2pFpp.p.,
pour tout
nN
, et que
hn0
p.p. quand
n+
. Comme
FpL1
, on peut appliquer le théorème de convergence
dominée, il donne hn0dans L1, c’est-à-dire fnfdans Lp.
Comme dans le cas
p= 1
(voir le théorème 4.45), l’hypothèse “
fnf
p.p." dans le théorème 6.9 peut être
remplacée par “fnfen mesure”. Ceci est montré dans l’exercice 6.23.
Dans le théorème 6.9, l’hypothèse de domination sur la suite
(fn)nN
(l’hypothèse 2) implique que la suite
(fn)nN
est bornée dans
Lp
. La réciproque de cette implication est fausse, c’est-à-dire que le fait que
(fn)nN
soit bornée
dans
Lp
ne donne pas l’hypothèse 2 du théorème 6.9. Toutefois, le théorème 6.10 ci-dessous donne un résultat de
convergence intéressant sous l’hypothèse “
(fn)nN
bornée dans
Lp
” (on pourrait appeler cette hypothèse domination
en norme) au lieu de l’hypothèse 2 du théorème 6.9.
136
Théorème 6.10 (Convergence “dominée en norme”, mesure finie)
Soit
(E,T, m)
un espace mesuré fini (c’est-à-
dire m(E) <+) et 1< p < +. On note Lrl’espace Lr
R(E,T, m)(pour tout 1r < +). Soit (fn)nNune suite
d’éléments de Lptelle que :
1. fnfp.p.,
2. la suite (fn)nNest bornée dans Lp.
Alors,
fLp
et
fnf
dans
Lq
pour tout
q[1,p[
(c’est-à-dire
Z|fnf|qdm 0
, quand
n+
, pour tout
1q < p).
Ce théorème est aussi vrai dans le cas p= +, l’espace Lsera défini dans la section 6.1.2.
DÉMONSTRATION
Le fait que
fLp
est conséquence immédiate du lemme de Fatou (Lemme 4.19) appliqué à
la suite
(|fn|p)nN
. Le fait que
fnf
dans
Lq
pour tout
q[1,p[
peut se faire avec le théorème de Vitali (théorème
4.51). Ceci est démontré dans l’exercice 6.19. Une généralisation avec
m(E) = +
est étudiée dans l’exercice 6.20.
On donne maintenant une réciproque partielle au théorème de convergence dominée, comme dans le cas p= 1.
Théorème 6.11 (Réciproque partielle de la convergence dominée)
Soient
(E,T,m)
un espace mesuré,
1p < +
,
(fn)nNLp
et
fLp
. On suppose que
fnf
dans
Lp
quand
n+. Alors il existe une sous-suite (fnk)kNtelle que :
fnkfp.p. lorsque k+,
FLptelle que |fnk| ≤ Fp.p., pour tout kN.
DÉMONSTRATION
Comme dans le cas
p= 1
, Ce théorème est une conséquence de la proposition suivante sur les
séries absolument convergentes.
Proposition 6.12 (Séries absolument convergentes dans Lp)
Soient (E,T,m)un espace mesuré, 1p < +et (fn)nNLp.
On suppose que X
nNkfnkp<+. Alors :
1. P+
n=0 |fn(x)|<+pour presque tout xE. On pose f(x) = P+
n=0 fn(x)(la fonction fest donc définie p.p.).
2. fLp(au sens “il existe g∈ Lptelle que f=gp.p.”).
3. Pn
k=0 fk(x)f
p.p. et dans
Lp
, lorsque
n+
. De plus, il existe
FLp
telle que
|Pn
k=0 fk(x)| ≤ F
p.p., pour
tout nN.
DÉMONSTRATION Pour chaque nN, on choisit un représentant de fn, encore noté fn.
On pose, pour tout
xE
,
gn(x) = Pn
k=0 |fk(x)|
. On a
(gn)nN⊂ M+
. Comme la suite est croissante, il existe
F∈ M+
telle que
gnF
, quand
n+
. On a donc aussi
gp
nFp
quand
n+
et le théorème de convergence monotone
donne Zgp
ndm ZFpdm, quand n+.(6.5)
137
1 / 67 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !