Boudhina Feryel Le pouvoir de la musique dans l'image cinématographique Au cours du changement de temps, on remarque que le son et la musique sont un vecteur de communication plus complexe qui se trouve dans un univers de plus en plus emprunté. Les films, la télévision et les média audiovisuels en générale ne s'adressent pas seulement à l'œil. Ils suscitent chez leur spectateur leur audio-spectateur. Alors, la musique implique non seulement le système auditif mais aussi le système sensitif, celle- à possède un pouvoir transformateur car elle produit des effets physiologiques et émotionnels qui en garantissent l'important pouvoir impressif. En plus, puisqu'elle est un langage symbolique, la musique agit sur l'homme de façon plus immédiate et préconsciente. D'autre part, La musique est très importante pour installer l'ambiance d'un film, capitale même. Imaginez par exemple un film d'horreur sur fond de générique de Mon Petit Poney. On aurait tout de suite moins peur. La musique doit faire entrer le spectateur dans l'histoire mais aussi définir le sentiment d'un personnage ou encore l'ambiance d'une scène. Certains films doivent par ailleurs leur succès à leur bande-son remarquable ! Ensuite, il faut comprendre le fonctionnement même de l’écoute. Avant d’être traité par différentes parties du cerveau, le son est d’abord traité par l’intégralité du système auditif. Il peut agir sur la mémoire, les émotions ou encore les mouvements. Alors que certaines zones du cerveau sont communes à la musique et au langage, d’autres sont spécifiques à la musique. Ainsi, la musique peut nous faire ressentir telle ou telle émotion. C’est pourquoi elle est très utile, voire même indispensable au monde du cinéma. La musique est tout ce qui fait un film. Sans musique, un réalisateur ne peut sûrement pas réussir à transmettre une émotion, ou s’il y arrive, cette dernière ne sera qu’intensifiée avec de la musique. Du muet au parlant, transformation et création de nouveaux genres cinématographique Le cinéma sonore n’est pas né du cinéma parlant, loin de là. Dès son origine, le cinéma allie l’image et le son, et constitue un spectacle vivant : la musique tient un rôle majeur, les bruitages sont reproduits en direct dans la salle de projection, les bonimenteurs commentent les différentes scènes aux spectateurs, même si leur rôle est peu à peu remis en question par la généralisation des intertitres. Pour imiter la pluie par exemple, on utilise un cylindre contenant des pois secs ; pour le tonnerre, on fait traîner un chariot à roues polygonales sur le plancher. Le cinéma muet, mais très sonore, fait montre d’une grande vitalité et d’un pouvoir expressif indéniable pour l’époque. Le son autour du film : pianiste et bonimenteur La projection du son sur l’image L’ajout de son à la projection des images apporte une dimension totalement différente au film. Dans ses Notes sur le cinématographe, Robert BRESSON déclare qu’« [il n’assistait] pas à une projection d’images et de sons ; [il assistait] à l’action visible et instantanée qu’ils exerçaient les uns sur les autres, et à leur transformation »1. Pour lui, les images et les sons s’influencent mutuellement dans le film. Ce n’est pas seulement une simple projection de ces éléments simultanément, c’est également l’action mutuelle de l’image sur le son, et du son sur l’image. Robert BRESSON avait alors déjà observé l’influence réciproque qu’ont le son et l’image l’un par rapport l’autre lors d’une projection filmique. Pour sa part, Gilles MOUELLIC a également constaté cela avec la musique de film. « Le spectateur enrichit sa vision d’une qualité nouvelle contenue en réalité dans la musique ou, pour être plus précis, de la rencontre de cette musique avec les images, sans avoir conscience que l’absence de musique ou une musique différente modifierait sa lecture ou sa compréhension de ces mêmes images. »2 Selon lui, la musique, lorsqu’elle accompagne les images, enrichit la perception générale du film par le spectateur. De plus, ce phénomène est tout à fait inconscient pour ce dernier, qui appréhende alors le film comme un tout composé de sons et d’images indissociables. Gilles MOUELLIC conclut en affirmant que « le spectateur croit voir ce qu’il entend »3. L’audible semble devenir visible, de par son interaction avec l’image projetée. Ce phénomène a été analysé par Michel CHION, auteur ayant énormément travaillé sur la question du son au cinéma au travers de nombreux ouvrages à ce sujet. Il appelle cela la valeur ajoutée, et la définit ainsi. « Par valeur ajoutée, nous désignons la valeur expressive et informative dont un son enrichit une image donnée, jusqu’à donner à croire, dans l’impression immédiate qu’on en a ou le souvenir qu’on en garde, que cette information ou cette expression se dégage naturellement de ce qu’on voit, et est déjà contenue dans l’image seule. Et jusqu’à procurer l’impression, éminemment injuste, que le sonest inutile, et qu’il redouble un sens qu’en réalité il amène et crée, 1 BRESSON, Robert. Notes sur le cinématographe. Paris : Gallimard, 1975. In : MOUELLIC, Gilles. La musique de film. France : Cahiers du cinéma, 2003, p. 3 2 MOUELLIC, Gilles. La musique de film. France : Cahiers du cinéma, 2003, p. 54 3 Ibidem, p. 54 soit de toutes pièces, soit par sa différence même d’avec ce qu’on voit. »4 Ainsi, les éléments apportés par le son, qu’ils soient d’ordre informatif ou expressif, enrichissent le contenu de l’image du film, au point de donner au spectateur cette impression d’émaner directement de l’image elle-même. C’est un « apport d’information, d’émotion, d’atmosphère, amené par un élément sonore »5, que le spectateur projette spontanément et automatiquement sur ce qu’il aperçoit, et qui lui semble ainsi en émaner naturellement. Le spectateur pense donc que l’information sonore est complémentaire à l’information qu’il perçoit visuellement, alors que le son est en réalité la base de cette information, et que sans ce son, celle-ci disparaît totalement. C’est donc un réel enrichissement du contenu visuel par le son, difficilement perceptible et analysable par le spectateur. En effet, l’information sonore semblant redoubler une information contenue dans l’image seule, le spectateur a naturellement l’impression que le son n’est qu’une redondance auditive du contenu visuel. La force expressive du son est masquée par l’image, qui semble s’attribuer toute l’importance et s’accaparer la primauté des informations diffusées au spectateur. Cela est en partie dû à un manque d’attention auditive conséquent lorsque l’attention générale est centrée sur le spectacle visuel. Ainsi, les évènements sonores sont naturellement et inconsciemment englobés dans la perception globale du film. Comme l’affirme Michel CHION, c’est notamment parce que ce procédé opère sans que l’on en ait conscience, qu’il fonctionne parfaitement. « Cet effet […] est la plupart du temps inconscient pour ceux qui le subissent. Pour en prendre conscience et en retrouver le mécanisme, il faut décomposer le mixage audiovisuel, en observant séparément le son et l’image d’une même séquence. Ce n’est qu’alors qu’on s’aperçoit que par des effets divers, le son ne cesse d’influencer ce qu’on voit. »6 4 3 CHION, Michel. L’audio-vision : Son et image au cinéma. 3ème éd., Paris : Armand Colin, 2013, pp. 910 5 CHION, Michel. La musique au cinéma. Paris : Fayard, 1995, p. 205 6 5 CHION, Michel. Un art sonore, le cinéma : Histoire, esthétique, poétique. France : Cahiers du cinéma, 2003, p. 191 Les différents outils sonores : LES SONS Son comme nous le voyons ici veut dire tout ce que nous entendons, c’est-à-dire que dans les sons nous comprenons musiques, dialogues, ambiances, bruitages ou simples sons. SON « IN » On appelle son « in », le son qui provient d’une source visible à l’écran, cela est par exemple la voix des acteurs. LE SON HORS-CHAMP C’est le son non visible à l’écran mais qui appartient quand même à la narration. LE SON « OFF » OU « OVER » Le son peut également être « OFF » ou « Over ». C’est-à-dire que la source qui émet le son n’est non seulement pas visible à l’écran, mais également non présente dans la narration. Il est généralement mis en place pour renforcer le sens d’une image. Généralement les sons « over » sont surtout des musiques et très rarement des sons à proprement parler, qui eux avaient plus la cote dans les années 40 mais qui font maintenant kitchs. LA MUSIQUE La musique est une forme de son qui est très souvent utilisée et qui permet là aussi de donner un sens particulier à la narration. LA MUSIQUE DE FOSSE La musique de fosse est une musique non visible à l’écran et non présente dans la diègèse (ou narration). C’est donc un son « Over ». LA MUSIQUE D’ÉCRAN La musique est cette fois-ci présente à l’écran et donc dans la narration, les personnages sont censés l’entendre. C’est donc un son « in » ou hors-champ. Il arrive parfois que la musique d’écran et la musique de fosse se confondent, on entre ainsi dans une nouvelle réalité moins objective et plus viscérale du ou des personnages. Qu’elle soit d’écran ou de fosse, la musique peut être également de deux types, empathique ou an-empathique. EMPATHIQUE La musique est en adéquation avec les images, elle renforce ainsi les émotions que le réalisateur veut nous faire ressentir AN-EMPATHIQUE Là, en revanche, il y a un contraste marqué entre les images et la musique, par exemple des images très violentes sur une musique douce. Cela sert généralement à marquer l’aberration de l’image ou encore la folie. Les facteurs responsables du pouvoir émotionnel de la musique: Une audition musicale peut déterminer un changement de l’état affectif ou renforcer cet état. Voici quelques-uns des facteurs responsables du pouvoir émotionnel de la musique. Le tempo a un effet très important sur le ressenti de l’écoute. S’il est rapide, il peut provoquer joie, passion ou angoisse. Alors que s’il est lent, il peut avoir un effet triste ou bien calme. La régularité du tempo, quant à elle, est très importante puisqu’elle peut produire un effet sécurisant et l’irrégularité engendre donc un sentiment d’angoisse. L’intensité, elle aussi a un rôle important dans les émotions provoquées par la musique. A un niveau d’intensité très faible, beaucoup d’œuvres ont un effet sécurisant. A l’inverse, un niveau d’intensité élevé peut provoquer stress, peur ou angoisse. Et c’est en ça que la musique est indissociable de l’image. Sans musique, un film aurait beaucoup plus de mal à transmettre une émotion ou faire passer un message. La musique peut nous faire sentir heureux, triste, apeuré, angoissé, ému "Le cinéma, c'est un désir très fort de marier l'image au son" David Lynch7 7 De David Lynch (Réalisateur et artiste américain) / Studio magazine - Juin 1992 Selon Igor Stravinsky8, la musique de film peut avoir une valeur comparable à celle d’un « papier peint ». Bien que le terme soit péjoratif, c’est ainsi que la musique de film a longtemps été considérée. Le spectateur en est le premier responsable, car il peut ne pas avoir conscience de la dimension auditive d’un film. Son attention se porte principalement sur le visuel et nous parlons encore de nos jours « d’aller voir un film » au cinéma. De nombreux théoriciens ont également fait l’impasse sur le sujet en associant à la musique un caractère secondaire et mineur par rapport à l’image. Toutefois, nous ne devons pas exclure que certains films proposent une bande sonore qui n’a pas d’autre valeur que de meubler musicalement le film. Outre la volonté de signifier et de doubler l’intensité de l’action, la musique se contente de constituer une fresque sonore sans réellement proposer de point de vue audio-visuel. Comment juger la musique de film : a) Une bonne musique de film est composée en fonction des images. C'est affirmer qu'elle ne se juge pas exactement comme une musique de concert. Elle ne s'apprécie pas dans l'absolu comme une figure de Bach ou un concerto de Mozart. Elle se juge selon la fonction qu'elle prend dans un film donné. "Le cinéma, nous rappelle encore Henri de Carsalade, veut exercer sur le spectateur une emprise totale. Le pouvoir fascinateur des images n'y suffirait pas sans l'apport de la musique. Tout au long du film, elle est présente. On ne la sent pas venir, on ne s'aperçoit pas qu'elle s'arrête, mais quand on sort de la salle, avec l'impression d'avoir vraiment participé au drame, on peut être certain que la partition était bonne. Cependant, la musique, parfois, a un rôle primordial dans un film. Qu'on pense au deux films la liberté et le Million de René Clair. Dans les deux cas, l'auteur a illustré chorégraphiquement le cinéma pour le transformer en ballet. Or, le ballet étant un art construit sur la musique, cette dernière tient une place primordiale dans ces deux films. Elle offre une sorte de figure sonore du mouvement, qui, par ailleurs, est représentée visuellement par les images. 8 Igor Stravinsky est un compositeur, chef d'orchestre et pianiste russe de musique moderne, considéré comme l'un des compositeurs les plus influents du XXᵉ siècle b) De plus, une bonne musique de film doit être une transposition dans l'ordre musical des mouvements qui sont d'ordre visuel. Il ne s'agit pas d'imitation qui n'a rien de véritablement artistique. Il s'agit plutôt de transformation dans la continuité temporelle de ce qui apparaît dans la réalité plastique. Réfléchissons. Une image offre deux dimensions qui appartiennent à l'espace ; la musique nous projette dans un développement temporel. C'est à dire que la véritable musique de film saura s'adapter aux exigences des images. C'est à dire aussi qu'il doit y avoir correspondance par transformation entre l'ordre des mouvements visuels et celui des mouvements rythmiques. c) Enfin, la musique de film doit se fondre avec les images. Elle doit nous satisfaire au même titre que les images. Le spectateur ne doit pas dissocier les deux. S'il déclare qu'il a aimé le film et non la musique ou vice-versa, c'est que l'œuvre est déficiente. Un film est une unité et la musique ne doit pas être qu'un ornement. Citons l'œuvre incomparable de Eisenstein-Prokofiev, Alexandre Nevski9. Nous avons là une réussite exceptionnelle. Si nous faisons jouer la musique de Prokofiev, aussitôt surgissent à notre esprit les admirables images d'Eisenstein ; si nous faisons tourner le film en muet aussitôt chante dans notre tête les mélodies inoubliables de Prokofiev. Dans ce film, Le cinéaste travaille sur la relation entre l'image et le son pour définir l'expressivité de ses acteurs ou la virtuosité des mouvements de foule. Le musicien tire parti de l'expressionnisme des images d'Eisenstein. Les images inventent la musique : Prokofiev ne trouve la sonorité du petit orchestre de la bataille que lorsqu'Eisenstein montre exactement ce qu'il veut en tournant la scène. La musique invente les images : si Prokofiev a une idée arrêtée sur l'avancement de sa musique, Eisenstein modifie sa prise de vue. Cette symbiose entre deux génies créateurs trouve son aboutissement dans le fantastique « Bataille sur la glace », qui voit la victoire de Nevski sur les Teutons. Le montage du film, pour cette séquence 9 Alexandre Nevski est une partition composée par Sergueï Prokofiev en 1938 pour le film homonyme de Sergueï Eisenstein retraçant la lutte historique et héroïque du jeune prince Alexandre Nevski dans la Russie du XIIIe siècle. La partition fut adaptée l'année suivante par le compositeur sous la forme d'une cantate pour mezzo-soprano, chœur et orchestre. mémorable, est réalisé par rapport à la musique préalablement enregistrée sous la direction de Samuel Samossoud. Vraiment, jamais le cinéma n'a produit un mariage aussi indissoluble entre la musique et les images. En effet, le son au cinéma n’est pertinent que lorsqu’on le considère simultanément avec l’image. Gilles MOUELLIC remarque cela avec la musique de film, car pour lui, « la pertinence d’une partition dépend bien plus de son efficacité et de la qualité qu’elle instaure avec les images que de l’écriture musicale proprement dite »10. Ainsi, même si la musique employée est parfaitement bien écrite, dans le plus pur style des grands compositeurs de musique classique, ce n’est pas ce qui importe le plus au cinéma. L’objectif de la musique est vraiment de correspondre à ce qui est projeté visuellement, dans le but de former une véritable osmose audiovisuelle. C’est également ce qu’indique Michel CHION, dans le cadre de l’analyse d’une bande-son seule, après avoir visionné un film. Il souligne que « l’album intégral de la partition d’Herrmann pour Psychose11 […] est d’une terrifiante monotonie, alors que dans le film cette partition fonctionne idéalement »12. Au cinéma, la composition musicale ne doit pas être considérée en tant que telle, mais bien en tant qu’accompagnement sonore complémentaire à l’image. Son analyse seule est donc d’un intérêt assez limité. Le son au cinéma est intimement lié à l’image, qui justifie son existence. Néanmoins, sans le son, la perception visuelle ainsi que la compréhension générale des images est totalement différente pour le spectateur. Le son n’est donc pas une redondance auditive des informations visuelles. C’est un apport d’informations complémentaires, absentes de l’image seule, qui enrichissent la perception filmique globale. Dans ce cadre, le son influence également la perception du point de vue de la scène visuelle pour le spectateur. 10 MOUELLIC, Gilles. La musique de film. France : Cahiers du cinéma, 2003, p. 36 HITCHCOCK, Alfred. Psychose, 1960 12 CHION, Michel. La musique au cinéma. Paris : Fayard, 1995, p. 249 11