L’UDDHAVA GITA, ULTIME ENSEIGNEMENT DE KRISHNA SWAMI AMBIKANANDA SARASWATI SOMMAIRE Avant-propos Introduction Méditation pour le Livre de Dieu L’Uddhava Gita Epilogue Glossaire sanscrit Autres lectures Remerciements Notes de traduction 4 7 11 12 206 208 213 214 215 2 Dédié à mon guru, Swami Venkatesananda Saraswati Le radieux Krishna dit : Je vais te dire lequel est un sage : Celui qui est compatissant envers tous les êtres, Qui ne fait de mal à personne, Qui est indulgent Et dont la force est la vérité. Celui qui est libre de l’envie, Dont l’esprit est égal dans la joie comme dans la peine Et qui recherche avant tout le bien-être de tous. (6 : 29) 3 AVANT-PROPOS Les Puranas détiennent une place dans la littérature sacrée et profane de l’Inde que l’on estime presque aussi importante que les Vedas. Parmi les dixhuit Puranas ayant survécu, le Bhagavatha Purana est sans aucun doute l’œuvre la plus exceptionnelle de littérature dévotionnelle. Il jouit d’une popularité proche de celle de la Bhagavad Gita et il a exercé une influence plus puissante en Inde que celle de toute autre œuvre poétique de ce type, aussi suis-je heureux que cette traduction conviviale de l’Uddhava Gita qui constitue une partie importante du Bhagavatha Purana ait été entreprise par Swami Ambikananda Saraswati. Le mot Purana évoque ‘’une tradition qui existe depuis les temps anciens’’. Parfois, il a été compris comme ‘’ un compte-rendu des événements du passé’’. Donc, la signification paraît être ‘’Purana akhyanam’’—un récit ancien. Cette étymologie est importante, car elle indique la valeur intrinsèque des Puranas qui nous ont été transmis. Le Sanathana Dharma (la ‘’loi éternelle’’, l’hindouisme) est dit ‘’shruti smriti Puranokta’’, ce qui signifie ‘’ce qui est entendu, ce dont on se souvient, et les Puranas’’. La Chhandogya Upanishad appelle les Puranas le ‘’cinquième Veda’’. Le Mahabharata fait le commentaire suivant : quiconque essaie d’étudier les Vedas sans une profonde connaissance des Puranas ‘’effraie‘’ les Vedas. Le Ramayana mentionne les Puranas d’une manière respectueuse, ce qui montre qu’on les tenait en grande estime. Suivant le point de vue traditionnel, les Puranas ont été composés dans un langage et dans un style facilement compréhensible pour expliquer au profane la philosophie et la religion des Vedas et des Upanishads. Les Vedas sont considérés comme étant ‘’prabhusammit vakya’’ ou ‘’les paroles d’autorité’’, ce qui veut dire qu’on les accepte à cause de shraddha ou de la foi. Les Puranas toutefois sont ‘’shraddha vakya’’ ou ‘’le conseil d’un ami’’. Ils enseignent le message des Vedas d’une façon conviviale parce qu’ils sont riches en paraboles et en histoires. Les Puranas sont une véritable mine d’informations à propos de tous les aspects de l’hindouisme. Il est encourageant de noter que dans leur ensemble, ils ne se sont mis du côté d’aucune philosophie ou école sectaire. Ils contiennent les principes de base des écoles philosophiques hindoues du Samkhya, du Yoga et du Vedanta. On peut également facilement identifier des aspects de la philosophie que l’on retrouvera plus tard dans le bouddhisme et dans le jaïnisme ainsi que de l’astronomie, de l’astrologie, des éléments de poétique et autres matières de valeur. Les Puranas incarnent aussi l’histoire traditionnelle la plus ancienne. On peut même dire que la culture et la civilisation hindoue ont été sauvées de la désintégration et de la dévastation à cause de leur impact. Les Puranas procurèrent de nouvelles aspirations et du réconfort à ceux qui étaient privés de nombreux privilèges et écartés de la réalisation spirituelle pour des motifs futiles de caste, de sexe, de race et de pays. 4 Le premier Purana qui fut traduit dans une langue européenne fut le Bhagavatha Purana. Quatre-vingt-un commentaires sur le Bhagavatha Purana sont disponibles en sanscrit et il a été traduit dans presque toutes les langues de l’Inde. Parmi les grands classiques de la tradition indienne, il est considéré comme le plus grand texte de bhakti (dévotion). Il est difficile de préciser avec un quelconque degré d’exactitude la date du Bhagavatha Purana ou sa paternité. Le consensus général est que les Puranas sont la création de mains innombrables et que leur paternité ne peut être attribuée à aucun individu. Cependant, le Bhagavatha ne présente aucun manque de cohésion ou de compacité qui doit marquer une œuvre entreprise par plusieurs auteurs et le texte indique spécifiquement qu’il a été composé par Veda Vyasa. On a bien dit que le Bhagavatha est vangamayavatara—l’incarnation du Suprême sous forme de littérature. Même si on oublie un instant sa profonde philosophie, le Bhagavatha peut tenir sa place dans le monde de la littérature sur la seule base de sa qualité esthétique. Voici un poète qui emploie le style et la métaphore dans un art complexe pour créer un rituel de célébration. L’Uddhava Gita est très justement considéré comme le dernier message de Shri Krishna. Il est de bon augure qu’un sannyasin ait réalisé ce travail formidable de traduire son enseignement de besoin de renoncement, alors que Swami Ambikananda a elle-même renoncé très tôt aux poursuites matérielles et qu’elle fut formée sous l’inspirante guidance de Swami Venkatesanandaji à une compréhension juste et à la réalisation de vairagya (la liberté par rapport aux désirs matériels) et à la bhakti. Elle a vraiment rendu un service utile et efficace en traduisant ce texte avec une grande dévotion. Le succès de Swami Ambikananda à faire de l’œuvre une composition métrique est un tribut à l’adaptabilité du sanscrit et à la lucidité de l’écrit original. Sa méthode de traduction est marquée par deux considérations. Elle a cherché à trouver des équivalences proches, tout en gardant à l’esprit les aspects formel et dynamique de la langue et sa traduction interprétative vise au complet naturel de l’expression, en indiquant au lecteur les modes de comportement dans le contexte de sa propre culture. L’introduction et les commentaires à propos de chaque dialogue ajouteront, sans aucun doute, matière à réflexion à l’ensemble de notre connaissance existante. Swami Ambikananda possède une remarquable connaissance des enseignements de Bhagavan Krishna et le talent de présenter le résultat de ses études approfondies d’une façon admirable. Son style est très simple, à la différence de celui de la traduction polémique qui sacrifie la simplicité au nom de la précision. Cette traduction est, selon mon opinion, une contribution de valeur à la littérature bhakti et mérite d’être étudiée avec attention par tous les étudiants du message donné par Bhagavan Krishna. Elle est destinée à ouvrir de nouvelles perspectives dans la compréhension des problèmes subtils qui gravitent autour de jnana, bhakti et karma. 5 Je félicite la traductrice et la correctrice de cette œuvre pour leur accomplissement novateur, ainsi que l’éditrice pour s’être embarquée dans une tâche aussi plaisante qui procurera inspiration et réconfort à beaucoup de personnes au niveau global. Prof. Vachaspati Upadhyaya, Président de l’Université Sanscrite Lal Bahadur, New Delhi 6 INTRODUCTION L’Uddhava Gita est issu d’un texte beaucoup plus volumineux appelé Bhagavatha Purana, le ‘’Livre de Dieu’’. Tout au long de ses douze volumes, le Bhagavatha Purana décrit la vie et les enseignements de Krishna, considéré comme la huitième incarnation—ou avatar—de Vishnu. De toutes les incarnations de Vishnu, seul Krishna est considéré comme une incarnation globale. Krishna est également la figure centrale de la Bhagavad Gita, le célèbre dialogue entre Krishna et Arjuna qui fait partie du Mahabharata (poème épique dont la version écrite la plus ancienne date d’environ 1400 av. J.-C.). Arjuna est un jeune guerrier qui perd brusquement toute sa superbe alors que la bataille est sur le point de commencer et qui se tourne vers Krishna pour lui demander conseil. Dans l’Uddhava Gita, c’est Uddhava— un vieil homme, ami et humble conseiller de Krishna— qui demande des conseils spirituels avant que l’avatar ne quitte la Terre. Pour comprendre pleinement le message de Krishna, nous avons besoin à la fois du questionnement pressant d’Arjuna, le jeune guerrier confronté à un sort accablant (comme nous le sommes tous à un moment ou l’autre de nos vies), et du questionnement en douceur de l’homme sage et plus âgé. C’est Uddhava qui peut résoudre le labyrinthe de la voie spirituelle en posant les questions pertinentes. Les deux textes contiennent un enseignement vers lequel peuvent se tourner les êtres humains qui partout, cherchent à mener une vie qui reflète plus pleinement le divin. C’est en Grèce que l’on recherche le plus souvent les origines de la culture occidentale, mais elles pourraient tout aussi bien être recherchées en Inde. Le sanscrit, la langue du Bhagavatha Purana est la mère de toutes les langues indo-européennes et beaucoup de mots qui en sont dérivés se retrouvent dans toutes les langues principales de l’Europe. C’est l’Inde qui donna aux mathématiciens de Grèce le zéro—ce qui était loin d’être rien. Pour les anciens habitants de la vallée de l’Indus, maintenant connus populairement sous le nom d’hindous, le zéro n’était pas seulement un symbole mathématique, mais aussi une représentation de l’unité de la création. L’histoire de l’Inde est un passé d’invasions, certaines amicales et d’autres hostiles. Une des forces de l’Inde est que toutes les influences apportées par ces immigrants ont été continuellement absorbées dans cette unité. Om isavasyam-idam sarvam ! (‘’Tout n’est que l’unique Suprême’’), déclare le mantra ouvrant l’Isavasya Upanishad, la première Upanishad qu’apprendrait un étudiant indien en religion. Sur le sol indien, les irréconciliables furent réconciliés. Lors de la 17ème Conférence Orientale Panindienne qui eut lieu à Ahmedabad, le Dr S. Chatterji déclara : ‘’La caractéristique fondamentale de cette civilisation (indienne) peut être décrite comme une harmonie de contrastes ou une synthèse créant l’unité hors de la diversité. Peut-être plus que tout autre système de civilisation, il est vaste et global comme la vie même et il a créé une attitude d’accueil et de 7 compréhension qui ne se limitera pas à un seul type d’expérience à l’exclusion de tous les autres.’’1 Ce point de vue doit être absolument gardé à l’esprit quand on approche l’Uddhava Gita et les autres Ecritures du Sanathana Dharma (connu populairement sous le nom d’hindouisme). Sur ce sol fleurirent d’anciens systèmes de culte comme le Tantra et le Yoga auxquels vinrent s’ajouter les Vedas, ces Ecritures que les anciens rishis (voyants) considéraient comme l’autorité religieuse suprême. (La datation de ce processus est controversée, mais certaines sources donnent 4000 av. J.-C.) Alors que les Vedas pouvaient être interprétés et commentés, jamais ils ne pouvaient être changés ou remplacés. Ils étaient transmis suivant une tradition orale appelée shruti qui exige que l’auditeur entre dans un état de conscience différent, où le sens profond des vérités transmises dans les Ecritures est révélé. Ceci permit au processus de révélation de se poursuivre de génération en génération. Seulement quatre Vedas ont survécu à nos jours : le Rig Veda, le Sama Veda, le Yajur Veda et l’Atharva Veda. Le mot veda signifie ‘’connaissance’’, et il est dit que les Vedas contiennent la somme de connaissance requise non seulement pour la pratique spirituelle, mais aussi pour les relations et la conduite sociale. Ils devaient former la base du rituel religieux hindou et du dharma ou loi. Le temps et le mouvement ne s’arrêtèrent pas là. Les gens voyageaient, les cités et les civilisations s’étendaient et les idées circulaient. Beaucoup de celles-ci furent intégrées dans l’Unité comme le neuf est finalement inclus par l’ancien. Dans cet océan du changement, quelque part entre 3000 et 1400 av. J.-C., un grand mouvement apparut : le mouvement bhakti. Un nouveau dharma était né—la voie de l’adoration et de la dévotion ou bhakti. Initialement appelé culte Bhagavatha, la bhakti fait maintenant partie intégrante de la vie de chaque hindou. Chaque maison aura un sanctuaire pour le dieu du foyer, l’ishta devata (littéralement ‘’la déité choisie’’) devant lequel des lampes, de la nourriture et de l’encens sont offerts. Un nouveau recueil de littérature scripturaire vit le jour, appelé Puranas, dont l’Uddhava Gita fait partie. Par contraste avec les Vedas, les Puranas sont invoqués comme smriti—ce dont on se souvient. Les Puranas décrivent la vie des dieux et louent leurs gloires et contiennent également des traités sur leur culte rituel. Shiva, le troisième membre de la trinité hindoue a son propre Purana. De même Devi, la forme féminine de Dieu et Vishnu, le second membre de la trinité ont le leur. Dans ces Puranas, le ghee (beurre clarifié) qui suivant les rituels des Vedas était offert au feu sacrificiel sans forme, céda la place à l’eau, aux fleurs, aux fruits et aux parfums offerts aux symboles et aux images des dieux. Tout ceci veut-il dire que l’Un sans forme et tout incluant des Vedas fut usurpé par une cohorte haute en couleur et apparemment interminable de dieux et de déesses ? Certainement pas— bien que ce soit cette question qui commence par rendre perplexes la plupart des étudiants de ces anciens 8 textes. Somme toute, différentes écoles se développèrent qui reflètent essentiellement trois thèmes divergents : la philosophie advaitiste (le non dualisme) de Shankaracharya, la philosophie vishishtadvaitiste (le non dualisme qualifié) de Ramanuja et la philosophie dvaitiste (le dualisme) de Madhava. Tous les trois furent réconciliés par le mouvement bhakti : un grand nombre de gens qui ouvrirent leurs cœurs et qui balayèrent toutes les injonctions des prêtres pour se placer devant leur déité choisie et présenter des offrandes comme le dictait leur dévotion. L’activateur suprême de ce mouvement fut Krishna Vasudeva. Krishna émit l’idée qu’il n’était pas nécessaire de rejeter les injonctions rituelles des Vedas. Le fidèle devrait plutôt leur accorder adoration et dévotion et accomplir les rituels sans désir de gain. C’est le sens du mot bhakti—adorer avec un amour qui n’exige aucune récompense et donner à la forme bien-aimée. L’Un sans forme des Vedas et la multiplicité des dieux furent ainsi réconciliés dans ce mouvement dramatique si parfaitement exprimé dans l’Uddhava Gita. Krishna nous demande à travers Uddhava d’être dévoué. Veut-il dire au personnage de Krishna Vasudeva ? Oui et non. Oui, quand nous sommes attachés au monde du je, du tu et du ils et que nous nous identifions à des personnalités individuelles. Non, quand nous allons au-delà de ce monde et que nous faisons l’expérience de l’Un. Quand nous disons ‘’je’’, ‘’mien’’, ‘’moi’’, nous nous identifions à une personnalité limitée dans le temps et dans l’espace. Quand Krishna dit ‘’je’’, ‘’mien’’, ‘’moi’’, il s’identifie à ce qui est sans limite—l’Un, le Soi, le Brahman des Vedas. Que Krishna enseigne sur un champ de bataille ou dans son propre palais quelques instants avant de quitter la terre, son message reste le même : vivre la vie dans un esprit de renoncement et de dévotion. A quoi faut-il renoncer ? Au gain personnel. A quoi devons-nous être dévoués ? A Cela qui est infini en nous et dans chaque être. Ceci est une traduction interprétative dans la tradition de mon guru, Swami Venkatesanandaji. Elle s’adresse, non pas à des érudits, mais à des chercheurs spirituels. Les mots sanscrits non traduits sont translittérés avec en vue, la facilité de prononciation. Les équivalents anglais que j’ai choisis sont destinés à exprimer le message spirituel du texte, plutôt qu’une analyse de chaque terme sanscrit. Dans plusieurs cas, il n’existe pas d’équivalent anglais. Par exemple, j’ai traduit le terme Bhagavan par ‘’le Radieux’’. On utilise souvent Bhagavan comme épithète pour Krishna. Traditionnellement, c’est un nom qui s’applique aux dieux qui possèdent pouvoir, courage, renommée, richesse, connaissance et renoncement. Krishna et Shiva possèdent tous deux toutes ces qualités et on s’adresse ainsi à eux avec le titre de Bhagavan. Le mot se traduit généralement par ‘’Seigneur’’, ce qui semble un titre inapproprié pour le plus important avatar de l’Inde, puisqu’il est emprunté au féodalisme médiéval de l’Europe occidentale. Après avoir essayé d’autres équivalents anglais comme ‘’le Divin’’ ou ‘’le Glorieux’’, j’ai finalement opté pour ‘’le Radieux’’, puisqu’il reflète le concept de l’ishta 9 devata et qu’il évoque aussi l’image de quelqu’un possédant la gloire—la divinité qui est simultanément et inextricablement personnelle et infinie. De manière presque universelle, les traductions d’anciens textes religieux se réfèrent à toute présence spirituelle transcendante comme à ‘’Il’’. Ceci implique deux restrictions. D’abord, cela prive les femmes de la possibilité de pouvoir se voir elles-mêmes reflétées dans le Divin. Ensuite, cela limite la conception de la divinité aux contextes socioculturels dominants. Je n’ai utilisé aucune référence au genre en traduisant des termes sanscrits comme Brahman, Jiva et Atman. C’est une pratique qui concorde avec la tradition sanscrite originale de référence sans genre au Soi. Je n’ai également traduit aucun de ces termes par ‘’Dieu’’ ou ‘’âme’’, puisqu’ils tendent à évoquer des images anthropomorphiques et chrétiennes. L’Uddhava Gita connaît de nombreuses répétitions. Certains disent que c’est parce qu’elle a eu plusieurs auteurs— mais laissons cette discussion aux érudits. Les répétitions nous permettent d’apprendre. Si nous échouons à saisir la leçon sous une forme, il en vient une autre. L’Uddhava Gita est un guide écologique au sens le plus holistique de ce terme, car il s’applique à toutes les relations entre toutes choses, ‘’vivantes’’ et ‘’non vivantes’’. A nous chercheurs spirituels, il nous enseigne comment vivre en tant qu’êtres humains d’une manière qui rend justice à la création et à Cela qui transcende la création. Longtemps avant qu’il ne devienne un moine mondialement célèbre, le guru de mon guru, Swami Shivananda, était connu en Inde pour donner aux gens les Ecritures. A cette époque, il les copiait souvent à la main et les donnait à quiconque se montrait intéressé. Mon guru, Swami Venkatesananda a mis à disposition d'autres Ecritures au niveau international en les traduisant et en les compilant dans des ‘’lectures quotidiennes’’ accessibles. Leur travail a contribué à la tradition de transmettre l’enseignement de génération en génération. Ce furent Swami Shivananda et Swami Venkatesananda qui ouvrirent mon cœur à ce texte sacré et leur enseignement qui me permit d’entreprendre cette traduction qui tente de transmettre son message à tous les chercheurs spirituels. 10 MÉDITATION POUR LE LIVRE DE DIEU SRIMAD BHAGAVATHAM DHYANAM Om tat sat Om sri satgurubhyo namah Om namo bhagavate Vasudevaya Janmady asya yato ‘nvayadi taratas ca ‘rthesv abhijnah svarat tena brahma hrda ya adikavaye muhyanti yat surayah tejo varimrdam yatha vinimayo yatra trisargo ‘mrsa dhamma svena sada nirasta kuhakam satyam param dhimahi Dharmah projihita kaitavo ‘tra paramo nirmatsaranam satam vedyam vastavam atra vastu sivadam tapatrayo ‘nmulanam srimad bhagavate mahamuni krte kim va parair isvarah sadyo hrdya avarudhyate ‘tra krtibhih susrusubhis tat ksanat Nous méditons sur cette Réalité transcendante d’où provient cet univers, dans laquelle il se maintient et où il retourne, sur Cela qui est présent en toutes choses et qui transcende toutes choses, qui est conscient de Luimême, plein, et qui révéla à Brahma les Vedas qui confondent même les meilleurs d’entre les sages, sur Cela à travers lequel la triple création bien qu’irréelle semble réelle par le pouvoir de Maya qui est le sien. Dans ce glorieux Bhagavatham qui nous fut légué par le grand sage Veda Vyasa est enseignée la religion suprême libre de l’aveuglement du désir. Dans ce texte a été exposée la Réalité absolue qui ne peut être connue que par ceux qui sont dépourvus de malice. Il procure la félicité suprême et déracine la triple douleur du corps, du mental et de l’âme. Ceux qui recherchent cette Présence la découvriront à travers ce texte. (C’est la prière méditative que Swami Venkatesananda, mon guru, donnait à répéter à ses disciples avant d’étudier le texte du Bhagavatha Purana. Elle aide à concentrer l’esprit et à calmer le corps.) 11 L’UDDHAVA GITA DIALOGUE 1 Le premier dialogue de l’Uddhava Gita pose le décor de l’enseignement de Krishna. Les dieux, les demi-dieux et les nuées d’êtres angéliques descendent vers la cité de Dwaraka où Krishna règne en prince. Leur hommage indique l’importance de ce moment : Krishna, l’Avatar, l’incarnation de Vishnu, est sur le point de quitter le monde. Dans ce dialogue, Krishna est à la fois distinct des dieux et de la foule assemblée. Dans les dialogues qui succéderont, il dévoilera une autre vision de l’Avatar—qui n’est pas seulement une incarnation pour une époque et pour un endroit particulier, mais une Présence en tous lieux et en tous temps. Pour en arriver à la réalisation de cette Présence, nous devons commencer le voyage où Uddhava l’a commencé—aux pieds de l’Avatar. La compréhension de l’enseignement de Krishna ne peut survenir qu’avec la conscience de quelque chose de plus vaste que nos mois individuels. La Bhagavad Gita s’ouvre sur le champ de bataille de Kurukshetra avec le défi de Krishna à la faiblesse d’Arjuna. De la même façon, l’Uddhava Gita débute dans un palais de Dwaraka, quand Krishna refuse d’emmener Uddhava avec lui. Comme dans la Bhagavad Gita, le premier dialogue de l’Uddhava Gita ne contient pas l’enseignement en lui-même, mais fournit son contexte vital. Comme le clan des Yadus, nous pouvons gaspiller l’enseignement et les opportunités qu’ils offrent, parce que nous ne voyons pas la position précaire de notre propre cité de Dwaraka—une forteresse construite à l’aide de tous nos préjugés, de notre agressivité, de nos limitations et de notre avidité. Il vaut beaucoup mieux nous ranger du côté d’Uddhava pour demander à être éclairé et le droit d’accéder au royaume éternel et immuable de Vaikuntha. Le narrateur de l’histoire est le sage Shuka, le fils du vénérable Veda Vyasa dont il est dit qu’il fut le premier à consigner par écrit les Vedas, les Ecritures sacrées transmises de bouche à oreille de siècle en siècle. Que l’on croit que Veda Vyasa était une personne ou le nom d’une fonction, son rôle est ici reproduit avec le personnage du sage Shuka. Lorsque les enseignements de Krishna deviendront vivants en nous—où que nous soyons et quelles que soient nos croyances—il se pourrait que nous aussi nous devenions comme Shuka des enfants de Vyasa, prêts à passer le flambeau. 1 Le bienheureux Shuka dit : A présent Brahma1 descendit sur la cité de Dwaraka Où séjournait le radieux Krishna2. Les anges des sphères célestes ainsi que les premiers-nés3, Tous l’accompagnèrent. Le grand Shiva qui confère ses bénédictions 12 Descendit également sur la cité, Entouré d’une nuée d’esprits. 2 Indra4 et les dieux du vent Qui sont le souffle de vie, Les fils de la déesse Aditi Qui incarnent la Loi sociale, Les serviteurs d’Indra, Les jumeaux de la bonne fortune et de la santé Qui apportent la guérison aux dieux, Ces mortels qui devinrent immortels Grâce à la profonde efficacité de leur rituel, Le dieu des connaissances magiques, Intermédiaire entre les dieux et les hommes, Le dieu du premier principe de vie, Ceux qui président aux moyens de libération Et d’autres demi-dieux, 3 Les musiciens célestes, Le potentiel dansant non manifeste De l’ensemble de la création, Le monarque des reptiles, Ceux qui sont parvenus à la perfection Et leur suite, Les serviteurs secrets Du dieu des richesses, Les anciens Qui les premiers ‘’virent’’ les Vedas5, Les ancêtres, Et les détenteurs de la sagesse Qui changent de forme à volonté, Les demi humains célestes Qui chantent pour les dieux, 4 Ensemble ces hôtes célestes Pénétrèrent dans la cité de Dwaraka, Demeure du prince des Yadus6, Le radieux Krishna Qui avait enchanté le monde Et dont la présence Chassa toutes les impuretés. 5 Dans cette cité éblouissante de Dwaraka Remplie des richesses de ce monde, Ils contemplèrent le Bien-Aimé, L’Avatar Krishna. 6 Couvrant le prince de guirlandes Tressées de fleurs paradisiaques, 13 Ils chantèrent ses louanges. 7 Les dieux chantèrent : Nous nous inclinons devant Toi, bien-aimé Protecteur, Nous nous inclinons devant Tes Pieds de Lotus. Ceux qui luttent pour la Libération Et dont la pratique yoguique est stable Te conservent dans l’espace de leur cœur, Tout comme nous. C’est en toute conscience que nous nous inclinons devant Toi, Avec nos sens, notre vitalité, notre souffle, nos paroles et notre esprit. 8 Ô, Toi qui es sans défauts, Par Ta puissance d’illusion Tissée avec le fil des trois phases de la Nature, Tu crées, Tu préserves, puis dissous tout cet univers. Tout ceci, tu le fais à l’intérieur de Toi-même Et cependant, Tu demeures non affecté et non divisé, Et Tu reposes éternellement dans Ta propre Félicité ! 9 Ô, Toi qui excelles, Quand l’esprit est instable, De grandes austérités et des disciplines mentales sont pratiquées, L’étude des Ecritures et des œuvres charitables sont entreprises, Mais rien de tout ceci ne peut conférer l’équilibre mental Que l’on peut gagner En écoutant les histoires qui parlent de Toi Et de Ta vie. 10 Puissent Tes Pieds bien-aimés Allumer le feu qui consumera toute avidité, Puissent Tes Pieds bien-aimés Qui attendrissent les cœurs des sages de partout Et qu’ils vénèrent pour le bien-être de tous Allumer le feu qui consumera toute avidité ; Puissent Tes Pieds bien-aimés Qui sont vénérés par Tes dévots Et par les sages qui recherchent Ta compagnie Allumer le feu qui consumera toute avidité, 11 Tes Pieds bien-aimés Qui sont ces pieds contemplés par ceux Qui font des offrandes au feu du sacrifice En accord avec les Ecritures, Et par les grands yogis Qui cherchent à percer le voile de l’illusion, Et par les plus fervents Qui ont faim de la connaissance du Soi. 14 12 Ô, Resplendissant ! La divine déesse de la fortune Repose, tel un filon d’or, en Ton sein, Rivalisant avec ces guirlandes fanées Que nous, Tes fidèles, plaçons là. Nous Te remercions d’avoir accepté notre adoration. Nous Te remercions pour la gentillesse aimable Que Tu témoignes à tous Tes dévots. Puissent Tes pieds bien-aimés Allumer le feu qui consumera toute avidité. 13 Ô, Toi l’Infini, Qui d’un seul pied fit trois enjambées, Dont la première mesura les trois mondes, Dont la seconde fit couler le Gange, Baignant les trois mondes, Dont la troisième chassa du ciel l’usurpateur, Insufflant la peur chez l’impie Et le courage chez le juste7, Puissent Tes pieds bien-aimés Purifier nos transgressions. 14 Ô, Esprit suprême, Toi qui Te situes au-delà de la matière et de l’esprit, Toi qui gouvernes le temps Et devant qui tous les êtres incarnés – même Brahma – , Sont conduits comme des taureaux par le bout du nez, Puissent Tes pieds bien-aimés Nous couvrir de joie. 15 Ô, Bien-Aimé, Tu crées, Tu maintiens et Tu dissous cet univers, Car Tu es le Purushottama, Le Suprême sans second. Les Ecritures parlent de Toi Comme de celui qui préside à la nature, A l’esprit et à la transformation Et comme du temps Qui marque le passage des ans. 16 Ô Purusha8, Esprit suprême, Ton pouvoir imprègne la toile de l’illusion, Semant la graine D’où naquit Le globe doré de la création Entouré des sept gaines : Terre, eau, feu, air, espace, ego et mental. 17 Par conséquent, Tu règnes 15 Sur tout ce qui est animé et tout ce qui est inanimé. Tu règnes sur les sens Et Tu es l’autorité suprême sur les moyens d’action. Non affecté par Ta création, Tu en jouis comme Cela qui habite en elle. D’autres, qui ne s’appuient que sur leur propre force limitée Prennent peur quand ils contemplent ce monde, Même lorsqu’ils disent y avoir renoncé. 18 Tu es celui que seize mille épouses Aux regards amoureux et aux charmes généreux N’ont pu perturber. 19 Ta gloire devient fleuves et rivières Qui s’écoulent de Tes Pieds, Conférant l’immortalité et nettoyant L’ignorance des trois mondes. Ceux qui souhaitent être purifiés Peuvent se baigner dans ces eaux En T’honorant, Toi et Ta parole. 20 Le bienheureux Shuka reprit le récit : Après que Brahma, Shiva Et les armées de dieux et de demi-dieux Aient ainsi loué les vertus de Krishna, Ils s’inclinèrent à nouveau. Puis Brahma, s’élevant vers le ciel Parla au Bien-Aimé. 21 Brahma, le créateur dit : Ô, Ame suprême, Tu as pris forme humaine Parce que nous T’avons imploré De soulager le fardeau de la terre. Ceci, Tu l’as accompli à la perfection. 22 Tu as placé les lois de la vie vertueuse Dans les mains du juste et du digne de confiance, Et Tu as permis que Ta gloire Soit entendue par tous. 23 En T’incarnant dans la lignée des Yadus Et en assumant une forme sans égale, Tu as entrepris une action Qui a illuminé le monde entier. 24 Dans l’ère sombre qui est sur le point de commencer, 16 Les gens auront Ta vie et Tes actes Pour illuminer leurs pas vers une vie sans ignorance. 25 Ô Toi, l’Incomparable, Cent vingt-cinq ans ont passé Depuis que Tu es descendu sur terre comme chef de ce clan Yadu. 26 Ô, Support de l’univers, Il ne reste rien à accomplir. Les vœux des dieux ont été exaucés Et la lignée Yadu doit maintenant se soumettre A la malédiction qu’elle s’est elle-même attirée. 27 Ô, Support de tous, Si Tu le souhaites, retourne maintenant à Vaikuntha, Ta demeure céleste, Et protège-nous, Nous qui sommes les serviteurs et les gardiens De ce royaume céleste. 28 Le radieux Krishna dit : Le but de Ma descente a en effet été accompli. J’ai déjà décidé de Me retirer de ce lieu Et de retourner à Mon existence première. 29 Cette célèbre lignée Yadu, Rendue orgueilleuse par ses nombreuses victoires Tente de s’emparer de tout ce qu’elle voit, Mais comme le rivage arrête la vague de l’océan, J’ai mis un terme à son ambition. 30 Je ne puis partir Avant que leur destruction ne soit totale Ou ils envahiront certainement la Terre. 31 A cause de la malédiction des brahmanes, La destruction de ma famille a commencé. Ô, pur Brahma, avant que Je ne retourne à Vaikuntha, Je séjournerai un moment auprès de toi. 32 Le bienheureux Shuka poursuivit : Après que Krishna se soit ainsi adressé à eux, Brahma, Shiva et la multitude de demi-dieux Se prosternèrent et se retirèrent de Dwaraka. 33 Le Bien-Aimé contempla la cité Et vit les présages de destruction qui planaient au-dessus d’elle. 17 Il se tourna vers l’assemblée des aînés Du clan des Yadus et s’adressa à eux. 34 Le radieux Krishna dit : Regardez ces troubles tout autour de nous. Rien ne peut stopper la malédiction des brahmanes, à présent. 35 Honorables aînés, rien de ce qui est ici ne subsistera. Pour survivre, Vous devez faire retraite avec Moi, maintenant, Au lieu saint de Prabhasa. 36 Grâce aux eaux de ce lieu, Même Chandra, la lune, maudite par Daksha, Fut restaurée et retrouva son cycle Dans le ciel nocturne. 37 Nous aussi, nous nous baignerons dans ses eaux saintes Et nous offrirons de l’eau et des aliments savoureux Aux ancêtres et aux dieux. 38 Nous nourrirons ceux qui devraient être nourris Et par notre sacrifice et notre acte de charité, Nous empêcherons que cette grande calamité Ne descende également sur nos têtes. 39 Le bienheureux Shuka reprit le récit : Les aînés des Yadus ainsi conseillés par leur prince Se mirent immédiatement à atteler des chevaux aux chars Et se préparèrent à quitter Dwaraka. 40 Observant les aînés des Yadus, Constatant les sombres présages Et écoutant les paroles de Krishna, Il y avait le toujours dévoué Uddhava. 41 Uddhava, le serviteur, s’approcha du Suprême. Il se prosterna et posa sa tête sur ces Pieds bénis, Puis il joignit les mains devant son cœur et parla. 42 Le fidèle Uddhava dit : Roi des dieux, Maître de tout yoga Dont la renommée est partout chantée, Je vois que Vous êtes sur le point de quitter ce monde Et de sceller ainsi la destinée des Yadus. 18 43 Bien-aimé pourfendeur des démons, Je ne puis supporter d’être séparé de Vous Et de la vénération de Vos Pieds sacrés. Bien-aimé, je Vous en prie, emmenez-moi Où que Vous alliez. 44 Ô Krishna, la vie que Vous avez menée A élevé l’humanité. Quand ils en entendent parler, les gens renoncent à l’avidité. 45 Ô très cher, comment Votre dévot Qui ne pense qu’à Vous, Qu’il soit couché, assis, en train de marcher, D’aller ou de venir, de manger ou de se baigner Peut-il vivre sans Vous ? 46 Nous, Vos serviteurs, respirons le parfum Des guirlandes que Vous avez portées. Nous touchons Vos vêtements Et nous manipulons Vos ornements. Nous mangeons même les restes de Votre nourriture. Nous faisons ceci pour surmonter notre ignorance. 47 Les sages nus, les célibataires de toute une vie Qui ont pacifié leurs sens Et qui ont renoncé au monde Atteignent le but insaisissable de la libération spirituelle. 48 Mais qu’en est-il de nous qui vivons dans ce monde Et qui sommes impliqués dans toutes ses activités ? Nous parlons de Vous entre nous, Nous savons que Vous êtes le phare Qui nous guidera hors de l’obscurité. 49 Nous nous souvenons de Vous. Nous rapportons Vos actes et Vos paroles. Nous fidèles, Nous observons avidement tous Vos mouvements, Vos sourires et Vos regards Qui Vous rapprochent tellement de nous Qui ne sommes que des humains. 50 Le bienheureux Shuka dit : Le radieux Krishna, le Bien-Aimé, Ecouta attentivement son dévot, Uddhava, Puis il parla. 19 DIALOGUE 2 L’enseignement commence réellement lorsque après avoir refusé la demande d’Uddhava, Krishna commence à lui expliquer comment vivre dans le monde. L’essence du message de renoncement de Krishna est résumée au verset 6 et sa nature étonnante est dévoilée plus en détail dans les versets qui suivent. Le renoncement consiste à servir les autres et en même temps, à abandonner nos attachements envers eux en étant conscient, en permanence, que le monde n’est pas comme nous le percevons. Derrière le voile des multiplicités qui se présentent à nous en tant que famille, amis, les autres personnes et la nature, il n’y a que l’Un, un Soi qui englobe tout et dont chaque chose fait partie. Cette idée nous conduit face à face avec le concept de l’infini. Y a-t-il un point où cet univers vint à l’existence et y en aura-t-il un autre où il cessera d’exister ? Krishna ne cesse de rappeler à Uddhava que ces fins et ces commencements sont illusoires, tout comme il le rappelle à Arjuna dans la Bhagavad Gita : ‘’Le Soi ne naît ni ne meurt’’ (2 : 20). Pour illustrer cet enseignement, Krishna présente l’histoire de l’avadhuta. Le mot signifie ‘’pur’’—quelqu’un qui s’est lavé des idées fausses et qui a expérimenté la réalité derrière le voile des multiplicités de la vie. L’avadhuta est aussi un sannyasin, quelqu’un qui a décidé de vivre dans l’esprit de renoncement que décrit Krishna. Ici, il nous faut être prudent et veiller à ce que nos interprétations n’interfèrent pas avec les enseignements. Krishna ne prône pas que nous menions une vie privée de contacts humains ou une retraite autosatisfaite, mais que nous devenions ‘’purs’’. L’histoire de l’avadhuta montre que dans toutes nos relations, nous ne devrions pas être attachés à l’idée que nous avons de nous-mêmes et des autres, mais plutôt que nous recherchions ce qui est éternel chez nous et chez les autres. Une vie comme celle-ci n’est pas dépourvue d’amour mais remplie d’amour— parce que l’amour ne se limite pas alors à notre propre satisfaction. Le roi s’adresse au jeune avadhuta par le titre respectueux de brahmane. Il conviendrait de remarquer ici quatre termes qui semblent similaires et qui possèdent la même racine sanscrite, mais qui sont très différents —brahmin, brahmana, Brahma et Brahman. Un brahmane (brahmin ou brahmana) est une personne qui appartient à la caste des prêtres et des enseignants. Brahma fait partie de la trinité des dieux composée de Brahma, le créateur, Vishnu, le préservateur et Shiva, le transformateur. Brahman est le terme utilisé pour décrire cette Présence omniprésente et tout englobante, le Soi. 1 Le radieux Krishna dit : Tu as raison, heureux ami. Je retourne dans Mon royaume céleste Comme Brahma et Shiva Me l’ont demandé. 2 J’ai exaucé le vœu des dieux. La vertu a été restaurée. 20 C’est pour cela que Je M’étais incarné Avec cet autre être radieux Qui prit la forme de Balarama.1 3 J’ai observé comment la dynastie des Yadus Fit l’objet d’une malédiction Provoquée par leur propre agressivité.2 Ils se détruiront complètement eux-mêmes Et cette cité disparaîtra avec eux. Dans seulement sept jours, Elle sera submergée par un déluge. 4 Noble ami, Lorsque Je quitterai ce monde, Les ténèbres viendront : L’ère de Kali3 tant redoutée commencera, Cette ère où tout ce qui est prometteur Est caché et obscurci. 5 Ne reste pas ici quand Je serai parti. Tu es une âme digne, Mais dans cette obscurité à venir, Les gens se livreront à tout ce qui est indigne. 6 Défais-toi de tout attachement Envers famille et amis. Parcours le monde comme celui qui est libre de tout attachement, Avec une vision impartiale. Pour cela, Fixe ton esprit sur Moi. 7 Tout ce que tu vois, entends ou touches— Sache que tu ne peux le connaître Pour ce qu’il est. Sache que tout ce que ton mental fabrique avec Est comme un mirage qui disparaîtra. 8 Un esprit confus perçoit un monde de multiplicités, Un monde de bien et de mal. Cela provoque une compulsion à agir Ou à s’abstenir d’agir Selon ce qui apporte le gain Ou ce qui entraîne la perte. 9 En conséquence, contrôle tes sens et ton mental. Vois tout cet univers comme le Soi Et vois le Soi en Moi, Son souverain suprême. 21 10 De cette manière, tu parviendras à savoir Et à réaliser que le Soi en toi Est le même Soi en tous les êtres incarnés. Une fois que tu sais cela, Ton esprit sera totalement satisfait Et tous les obstacles seront ôtés. 11 Celui qui a ainsi transcendé le bien et le mal Agira pour le bien et s’abstiendra d’agir mal, Mais pas à cause d’une notion de perte ou de gain. Plutôt parce que ces sages-là Sont comme des enfants qui agissent candidement Et font ce qui doit être fait. 12 Celui-là est l’ami de tous. Il est rempli de paix, Par la connaissance du Soi. Celui-là ne voit pas cet univers Autrement que comme le Soi qui repose en Moi. Celui-là est libre Du cycle des naissances et des morts. 13 Le bienheureux Shuka dit : Ayant entendu ces instructions de son Bien-Aimé Et désirant en savoir plus, Uddhava tomba de nouveau aux Pieds de Krishna et parla. 14 Le fidèle Uddhava dit : Maître du Yoga, Incarnation du Yoga Et ultime issue du Yoga, Vous qui conférez le pouvoir du Yoga A celui-là même qui n’est pas qualifié, Pour mon salut, Vous avez enseigné la voie du renoncement, La route élevée du sannyasa. 15 Bien-Aimé qui tout embrasse, Je pense que cette voie du renoncement est une voie difficile, Encore plus pour ceux qui sont engagés dans ce monde Et qui ne sont pas encore Vos dévoués. 16 Je ne suis qu’un homme ignorant Fermement attaché à ce corps Que je perçois comme ‘’mon’’ corps, Par la puissante illusion Qui imprègne toute Votre création. 22 Je suis complètement plongé dans les idées de ‘’je’’ et de ‘’mien’’. Ceci étant, renoncer sera très difficile pour moi. Je suis Votre serviteur : Enseignez-moi, Bien-Aimé, Pour que je puisse exécuter ces instructions. 17 Même parmi les dieux, Nul ne Vous égale comme maître, Vous qui révélez la vérité ultime à Vos dévots. Un tel maître est difficile à trouver, Car même Brahma et tous les dieux Sont liés par l’illusion que Vous avez créée : Que le monde perçu est une réalité. 18 Par conséquent, l’esprit encombré de souffrances, Et fatigué de ce monde, je me tourne vers Vous, Le Parfait, L’Infini, l’Eternel et l’Omniscient, La déité qui réside dans l’immuable Vaikuntha, Le bien-aimé Narayana4, ami de tous. 19 Le radieux Krishna dit : Dans ce monde, cher ami, il y a ceux Qui par leurs propres efforts Ont réalisé la vérité Et qui ont cessé d’envier les choses matérielles. 20 Le Soi est le véritable enseignant de tous les gens Qui sont dotés d’une intelligence Capable de discerner entre le réel et l’irréel. 21 Le Soi est le plus facilement réalisé Dans la forme humaine Par le Samkhya et le Yoga5— La voie de la connaissance Et la voie de l’action— Je peux être expérimenté comme le Soi de tout, Le pouvoir de tout, Manifeste en tout. 22 Dans ce monde, il y a différents types de corps : Ceux qui ont une patte, deux pattes, trois pattes et quatre pattes, Il y en a même qui ont plus que quatre pattes Et d’autres qui n’ont pas de pattes du tout. De toutes ces formes, c’est par la forme humaine Que le Soi peut être le plus facilement réalisé. 23 C’est ici dans ce corps humain 23 Que Je peux être découvert comme le Soi, Mais pas par les moyens ordinaires de perception Qui sont utilisés pour comprendre le monde Comme les hypothèses basées sur la preuve Et les déductions tirées à partir de certaines indications. 24 Pour que cet enseignement soit plus clair, Les anciens racontent l’histoire D’un dialogue entre un avadhuta ayant réalisé le Soi Et l’un des rois disparus du peuple Yadu. Laisse-Moi te la raconter. 25 Ce roi des Yadus rencontra par hasard un avadhuta Qui, bien que d’apparence jeune Semblait être doté d’une grande sagesse. Le roi était lui-même un homme cultivé, Aussi s’approcha-t-il de l’avadhuta Avec l’intention d’apprendre. 26 Le roi des Yadus dit : Ô brahmane, je vois que tu ne t’engages dans aucune activité religieuse Et pourtant, tu sembles posséder une sagesse extraordinaire. Eclairé comme tu l’es, parcourant ce monde aussi libre qu’un enfant, Où et comment as-tu obtenu cette clairvoyance ? 27 Généralement, les gens travaillent Pour obtenir des mérites religieux Ou la richesse et les plaisirs. Il semble même que ceux Qui apparemment mènent une vie d’auto-investigation Ne le font que pour la renommée et la fortune que cela leur rapportera Ou même pour des années de vie supplémentaires. 28 Tu es un beau jeune homme, Bien éduqué et robuste, Tu parles bien et tu sembles doté de multiples talents, Et pourtant, tu ne fais rien Ni ne parais convoiter quoi que ce soit. En réalité, tu te comportes comme si tu étais idiot ou fou Ou certains diraient possédé. 29 Il semble qu’alors que d’autres sont brûlés Par le feu sauvage du désir et de l’avidité, Tu ne sois pas touché— Tel l’éléphant qui prend refuge dans le Gange, Quand un feu de forêt fait rage. 30 Dis-nous, Ô brahmane, 24 Toi qui parcours ce monde seul, Sans parents et amis pour te réconforter, Quelle est la source de ton extase ? 31 Le radieux Krishna poursuivit : Le jeune brahmane, Honoré par l’attitude respectueuse du roi des Yadus Daigna répondre. 32 Le brahmane dit : J’ai eu de nombreux maîtres, ô roi, Et j’ai appris d’eux tous par ma propre conscience. A présent, je parcours cette terre, libre de ses troubles. Permettez-moi de vous parler de mes maîtres. 33 La terre, l’air et l’espace, L’eau et le feu, Le soleil et la lune, La colombe et le python, L’océan, L’abeille et le papillon de nuit, L’éléphant, 34 Le voleur de miel, Le cerf et le poisson, La prostituée Pingala Et le balbuzard pêcheur, L’enfant et la jeune fille, L’homme qui fabrique des flèches Et un certain serpent, L’araignée et l’insecte Capturé par la guêpe, 35 Ceux-ci, grand roi, furent mes maîtres. Ils sont vingt-quatre en tout. D’eux et de leurs us, J’ai appris tout ce que je sais Et tout a été pour mon bénéfice. 36 Entends-moi bien, fils de Yayati, Petit-fils de Nahusha, Je vais te dire ce que j’ai appris de ces maîtres. 37 J’ai appris de la terre à demeurer imperturbable, Même en étant oppressé Par ceux qui étaient ballottés par leur propre destinée. La terre m’a appris à ne pas dévier 25 De la ligne de conduite que je me suis fixée— Tout comme elle ne dévie pas De son orbite autour du soleil. 38 En disciple de cette terre, J’ai appris auprès de ses montagnes élevées Que mes mouvements devraient être guidés Par le service et l’attention à autrui. En disciple de cette terre, J’ai appris auprès de ses arbres droits Que ma vie devrait être consacrée Au bien-être des autres. 39 De l’air, j’ai appris Ce que cela signifie d’être un ascète : Ne prendre que ce qui est nécessaire Pour garder le corps en bonne santé et l’esprit équilibré, Et qu’un surplus faisait se dégrader le corps et l’esprit. 40 De l’air, j’ai appris Ce que c’est d’être un yogi : Se déplacer librement au contact de toutes choses Sans être attaché à aucune chose ; Etre le souffle qui vient et qui va Indifférent à la récompense ou à la punition. 41 De l’air qui circule, j’ai appris Que le yogi passe par de nombreux corps Et demeure pourtant dans une sérénité non affectée— Tout comme la douce brise Transporte les senteurs de-ci de-là. 42 Du vaste espace qui s’étale comme l’air tout autour de nous, J’ai appris ma véritable identité. J’ai appris que quoique revêtues d’un corps D’une forme ou l’autre, Toutes les choses mobiles ou immobiles Sont sans limites, Car le Soi infini est présent partout et en toutes choses Tout comme l’air est présent partout et en toutes choses. 43 De l’espace, j’ai appris Que le Soi demeure non affecté Par la forme qu’il revêt, Quelle que soit cette forme— Le feu, la terre ou le vent— Tout comme l’espace demeure inviolé Par les nuages poussés par le vent. 26 44 De l’eau, j’ai appris Que le sage doit être transparent. Nous devons avoir la douceur de l’eau Et toujours offrir la pureté Pour que grâce à notre compagnie, les autres Puissent être lavés et purifiés. 45 Du feu, j’ai appris comment brûler avec clarté Grâce au pouvoir de la pratique. J’ai appris du feu que seule est nécessaire la nourriture Que nous pouvons brûler maintenant. Du feu, j’ai appris A accepter ce qui m’est donné Et à laisser le feu de ma pratique Transformer ce qui est impur et le rendre pur. 46 J’ai appris du feu que Pour enseigner, Le sage doit parfois être caché Et parfois être visible. Ainsi, comme le feu, Le sage peut accorder des bénédictions Par lesquelles sont brûlées toutes les fautes. 47 J’ai appris que tout comme le feu Qui n’a pas de forme propre Mais qui pour se révéler Prend la forme de la bûche consumée, Nous sommes ainsi. Peu importe notre forme, Peu importe notre histoire, Le Soi se révèle dans toutes les formes, Encore et encore. 48 Le temps et le passage du temps appartiennent au corps— Pas au Soi de tous les corps. J’ai appris ceci en observant la lune Qui reste la même, Même lorsqu’elle semble changer Au fil du temps. 49 Par le pouvoir du temps, La mort suit la naissance Et la naissance suit la mort. Cependant, le Soi n’observe pas ces changements— Tout comme l’observateur Ne voit pas chaque flamme du feu Naître, prendre forme Et puis mourir, pour renaître encore. 27 50 J’ai appris du soleil le détachement. Le soleil attire l’eau dans l’atmosphère Et puis la retourne sous forme de pluie. C’est sûrement ce que veut dire vivre comme un yogi— Accepter les expériences comme elles se présentent Et puis les laisser partir, quand elles se retirent. 51 Comme le soleil, le Soi est unique. Mais à l’image du soleil qui se reflète dans de l’eau agitée, Le Soi paraît brisé en de nombreuses formes. Mais j’ai appris du soleil A ne pas confondre l’image avec la réalité. 52 De la douce colombe, j’ai appris La douleur qui résulte d’un attachement obsessionnel— Le grand tourment que cela apporte, Et comment ce tourment bouleverse l’esprit. 53 Une colombe construisit un nid Dans un arbre de la forêt, Et elle vécut là avec sa bien-aimée Pendant de nombreuses années. 54 Leurs cœurs amoureux se lièrent Tout comme leurs corps dans l’amour. Elles vécurent en parfaite harmonie, Les yeux dans les yeux. 55 Chacune attentive à l’autre, Elles mangeaient, parlaient, jouaient et dormaient ensemble, Là-bas dans leur foyer, dans la profonde forêt. 56 Tout ce que sa compagne désirait, ô roi, Cette colombe s’efforçait de le lui apporter, Peu importe la difficulté, Car en tout, elle lui plaisait énormément. 57 Le temps s’écoula et la colombe femelle Pondit ses premiers œufs dans leur nid, Alors que son compagnon veillait sur elle. 58 Au moment propice, Conçus par ce Soi inconcevable, Des oisillons aux membres délicats et recouverts d’un doux duvet Sortirent de leurs coquilles. 59 Les parents étaient ravis de leur progéniture. Ils adoraient les roucoulements et les pépiements de leurs enfants Et leur témoignaient autant d’affection que des parents le pouvaient. 28 60 Ils se réjouissaient de voir leurs enfants jouer, D’observer leurs premières tentatives de vol précautionneuses, Et ils aimaient leurs ailes douces et tendres Et leur joli chant. 61 Ces deux-là, totalement heureux De leur nid et de leur nouvelle famille Et charmés par cette illusion, Ne songeaient à rien d’autre Que le monde qu’ils connaissaient déjà. 62 Un jour, comme de bons parents, Ils quittèrent le nid pour la journée entière, En quête de la meilleure nourriture Qu’ils puissent ramener à leur famille. 63 Mais ce jour-là, un chasseur entra dans la forêt Et tomba par hasard sur le nid des colombes. Voyant les jeunes jouer, Il jeta son filet et les attrapa tous. 64 Les parents rentrèrent bientôt, Impatients de donner à leurs jeunes Les petits morceaux choisis Qu’ils avaient pour eux dénichés. 65 La mère, Voyant ses jeunes capturés et en pleine détresse, S’envola vers eux en gémissant. 66 Dans sa précipitation Et distraite par le chagrin, Attachée par un amour né de l’illusion, Elle-même se laissa prendre dans le filet. 67 Le père, Voyant ses enfants Et sa compagne bien-aimée Pris dans ce filet cruel Eclata en sanglots. 68 ‘’Oh non’’, se lamenta-t-il, ‘’Regardez ma ruine— Quel fou ai-je été de laisser ceci se produire, L’anéantissement de ma famille Qui était la source de ma vertu, de ma richesse et de mon accomplissement. 69 ‘’Ma femme bien-aimée Pour qui j’étais tout, 29 S’en va maintenant au ciel avec nos enfants chéris— Me laissant seul ici. 70 ‘’Ma vie n’a plus de sens. Je ne désire plus vivre dans ce nid désert, Seul et misérable. A quoi bon vivre ?’’ 71 Incapable de supporter la vue de sa famille Prise au piège dans ce filet, La colombe s’envola dans leur direction Et fut elle-même capturée. 72 L’impitoyable chasseur, Après avoir piégé la colombe, Qui était un époux et un père dévoué Ainsi que la mère et ses enfants, Les attacha et rentra chez lui. 73 Comme la colombe de mon histoire, Quiconque s’attache autant Aux objets des sens Et ne peut voir ce qui est Au-delà de la joie et du chagrin Aura le même sort. 74 Nous devons nous élever très haut Pour obtenir cette précieuse naissance humaine Qui est comme une porte ouverte vers la Libération. Nous ne devons pas faire comme la colombe, Et ne pas regarder vers Ce qui est au-delà de notre foyer et de notre famille. 30 DIALOGUE 3 Dans ce dialogue, Krishna continue à raconter ce que le jeune avadhuta a appris de ses vingt-quatre maîtres. Il termine avec le récit de Pingala, une sorte de maître(sse) tout à fait différente des colombes qui ne purent regarder au-delà du moment présent. Pingala est une prostituée que sa vie commence à désenchanter et qui commence à regarder au-delà vers le Soi intérieur qui contrairement au corps n’est pas contraint par le temps. Le désenchantement de Pingala est un avertissement pour nous tous. Il semble qu’à la naissance, nous oublions qui nous sommes. Alors, comme pour compenser cette perte de la conscience du Soi, nous cherchons à obtenir du monde que nous percevons par le biais de nos sens. La poignante description de Pingala qui se prépare le jour pour se vendre la nuit est une description de nos vies. Dans l’éclat de la jeunesse, nous nous engageons dans toutes sortes d’activités et nous nous faisons notre place au soleil. Puis, quand nous arrivons à l’âge mûr et que nous commençons à nous acheminer non pas vers un brillant avenir mais vers une mort sombre et certaine, cet endroit commence à manquer singulièrement de lustre. C’est alors que nous entreprenons ce que le grand sage Patanjali a appelé pratyahara, le retrait. Ceci ne veut pas dire fuir le monde (comme le dit Krishna à plusieurs reprises, ce n’est même pas possible). Retrait signifie simplement regarder dans une direction différente—détourner notre regard des choses éphémères pour le tourner vers l’horizon immuable de l’éternité. Au travers des histoires de ses maîtres, le jeune avadhuta décrit la voie du renoncement. Il donne un code de conduite pour ceux qui désirent vivre comme sannyasins et décrit leurs responsabilités envers la société. Le rôle du sannyasin est un rôle sacré. En Inde, il est tenu en grand honneur—à tel point que la société prend la responsabilité de nourrir le sannyasin. L’avadhuta montre l’importance de cet engagement mutuel. Le message essentiel du renoncement est que, peu importe où nous sommes ou ce que nous faisons, vivre une vie spirituelle signifie nous détacher de ce que nous pensons être (et de ce que nous pensons que les autres sont) et rechercher la vérité. Alors, comme Pingala, nous pouvons nous tourner vers l'intérieur où—quels que soient les événements de nos vies, bons ou mauvais—rien n’interrompt la recherche de la vérité et la paix impartie par cette recherche. 1 Le jeune brahmane poursuivit : Ô roi, le plaisir et la douleur Que nous expérimentons par le biais des sens Viennent sans être sollicités dans la vie. Par leur biais, nous expérimentons Le ciel et l’enfer sur la terre. Les sages savent cela Et s’abstiennent de rechercher l’un ou l’autre. 31 2 Le sage devrait être semblable au python Qui ne cherche pas après sa nourriture Mais qui ne prend que ce qui passe à sa portée— Que ce soit doux ou amer. 3 Tout comme le python quand aucune nourriture ne se présente à lui, Le sage devrait pouvoir endurer plusieurs journées Sans se nourrir et sans s’efforcer, Acceptant cela comme son destin. 4 De cette manière, le sage Conserve un corps paisible Et un esprit éveillé, En n’employant pas leur force et leur vitalité Pour poursuivre des choses éphémères. 5 Comme l’océan calme et serein, Le sage devrait toujours être tranquille et profond, Difficile à sonder et à pénétrer, Intérieurement conscient Du Soi incommensurable Et imperturbable. 6 Comme l’océan plein et constant, Qui demeure toujours identique, Que les rivières de la Terre S’y jettent ou non, Le sage devrait demeurer dans cette conscience, Même si les joies et les peines vont et viennent. 7 Ceux qui ne parviennent pas à contrôler leurs sens Ne sont pas des sages. Ils s’agitent et se troublent En face d’attractions sexuelles illusoires Dans lesquelles ils plongent aveuglément Comme des papillons sur la flamme. 8 Ceux qui manquent de discernement Sont facilement tentés Par le sexe, l’or et l’apparat. Voyant en eux le plaisir ultime, Ils seront consumés, Comme le papillon est consumé par la flamme. 9 Comme l’abeille qui récolte le miel Auprès de nombreuses fleurs, Ceux qui aspirent à devenir sage Doivent prendre juste un petit peu pour se nourrir Des nombreuses sources qu’offre la vie. 32 10 Comme l’abeille qui récolte le miel Auprès de nombreuses fleurs, Ceux qui aspirent à devenir sages Doivent emprunter quelque chose de la sagesse De toutes les Ecritures— Grandes et petites. 11 Mais à la différence de l’abeille qui accumule Le miel qu’elle a récolté, Le sage ne doit jamais conserver Plus que les mains Et l’estomac ne peuvent garder. 12 Le sage ne doit pas stocker, Pas même pour le soir ou le lendemain, Car comme l’abeille, Le sage et sa réserve seront pillés, Comme le trésor de l’abeille est pillé Par ceux qui récoltent son miel. 13 Un sannyasin doit s’abstenir De relations sexuelles Et même de toutes les choses Qui exacerberaient de telles passions. Autrement, elles vous lieront Aussi aisément qu’un puissant éléphant Peut être lié par la corde de son cornac. 14 Un sannyasin devrait éviter le sexe Comme d’autres évitent la mort, Car il tuera le cours de sa pratique Tout comme un éléphant est tué Par le chasseur à l’aide d’armes puissantes. 15 Les biens amassés péniblement dans la sueur Et thésaurisés Ne peuvent qu’apporter la douleur, Car les biens thésaurisés Attendent de remplir les poches du voleur, Tout comme le miel Attend le voleur de miel. 16 Comme le voleur de miel, Le sannyasin ne reçoit Que la première portion Du produit laborieusement gagné par le chef de famille. 17 Le sannyasin qui parcourt les bois Ne devrait pas se laisser tenter par de la musique sensuelle ; 33 Il devrait toujours se rappeler la leçon du cerf Attiré par l’air du chasseur. 18 Il y eut le fils d’un sage Qui, ayant pris la forme d’un cerf, Fut capturé par une femme Dont la musique flotta jusqu’à son ermitage dans la forêt. 19 De même, L’idiot qui cherche à satisfaire Une langue avide, Goûtera la mort Comme un poisson Qui mord à l’hameçon. 20 Pour le sage, Le sens du goût Est plus difficile A contrôler Que tous les autres sens. 21 Si tous ses autres sens sont sous contrôle, Mais que le sens du goût n’est pas encore sous contrôle, Alors le sage n’a pas encore la maîtrise de ses sens. 22 Maintenant, grand roi, entendez ce que j’ai appris De la prostituée Pingala Qui vivait dans la ville de Videha. 23 Comme c’était son habitude, Pingala passa toute la journée A se préparer pour la nuit. Quand la nuit tomba, Elle sortit Pour se vendre aux passants. 24 Comme les hommes allaient et venaient, L’avide Pingala Les invitait, S’imaginant qu’ils avaient de l’argent à dépenser. 25 Mais les hommes continuèrent leur chemin Et Pingala attendait toujours, Certaine qu’un homme riche se présenterait Et rentabiliserait tout son travail. 26 Tard dans la nuit, Elle attendit sans dormir, Fatiguée et frustrée, Marchant sans enthousiasme. 34 27 Tenaillée par la faim et la soif, Pingala finalement désespéra De récolter de l’argent cette nuit-là, Mais sa désolation ne fut pas vaine— Car Pingala se mit à réfléchir sur sa vie. 28 Au cours de cette veille solitaire, Pingala ressentit la douleur acide du dégoût Pour la vie qu’elle menait. Une telle douleur devient souvent l’épée Qui tranche les désirs matériels Et éveille l’objectivité. Entendez de moi le chant Que la prostituée Pingala se chanta à elle-même. 29 Car, grand roi, nul en qui le dégoût Pour les choses du monde Ne s’est élevé, Ne cherche la Libération. C’est de ce dégoût que provient le discernement Et que les idées de ‘’je ‘’ et de ‘’mien’’ sont mises au défi. 30 Pingala chanta : Hélas, je souffre des affres D’un esprit incontrôlé. Quelle folle j’ai été De croire que le bonheur Peut s’obtenir Des hommes que je sollicite. 31 J’ai été stupide De négliger le Soi immortel Qui réside dans mon propre cœur. C’est ce Soi qui m’est le plus cher, Qui confère la richesse authentique et éternelle— Pas ces pauvres misérables Qui ne peuvent que me donner leurs peines et leurs tristesses, Leurs craintes et leurs soucis Mêlés à leur engouement. 32 J’ai torturé ce Soi En me prostituant. J’ai espéré richesse et plaisir En vendant mon corps A ces malheureux, Mais je n’ai rien gagné. 33 Ce corps n’est que l’habitation 35 Dans laquelle le Soi réside pour un temps. Il est fait d’os et de membres Recouverts de peau, de poils et d’ongles. Il émet des odeurs nauséabondes Et possède neuf sorties d’évacuation. Qui lui accorderait de la valeur, à part moi ? 34 Dans cette ville de Videha, Je suis la plus stupide de toutes, Car j’ai attendu du bonheur D’autre chose que le Soi. 35 A cet ami précieux, Ce Soi bien-aimé et suprême Situé dans le cœur de tous les êtres incarnés, A ce Soi, moi, Pingala, la prostituée, Je m’abandonne maintenant, Et telle la grande déesse Lakshmi, Je ne serai bienheureuse Qu’en compagnie du Suprême. 36 Car vraiment, quelle joie réelle Les femmes peuvent-elles espérer Des choses, Des hommes, Et des dieux ? A la fin, tous Sont dévorés par le temps. 37 Malgré la vie que j’ai menée, Le Suprême m’a souri. De mon désespoir Pour ce que ce monde a à offrir, Le détachement s’est élevé dans mon cœur. 38 Si vraiment, j’avais été malheureuse, Cette désespérance du monde Ne serait pas née en moi. Ce malheur m’autorise A renoncer à mes espoirs Et à gagner la paix. 39 Avec un amour et une dévotion pleine, J’accepte ce don Qui m’a été octroyé. Je renonce à poursuivre Toutes les choses matérielles Et je prends refuge dans le Soi suprême. 36 40 Plaçant toute ma foi en ce Soi, Je vivrai une vie de contentement, Quoi qu’il m’arrive— Avec ce Soi comme seul compagnon. 41 Quand nous sommes tombés Dans la boue du matérialisme, Aveuglés par nos propres sens Et quand nous sommes dévorés par le serpent du temps, Qui peut nous sauver à part le Suprême ? 42 Quand nous voyons le temps Grignoter toutes choses, Nous commençons à voir le monde Pour ce qu’il est Et nous y renonçons, Réalisant que le Soi est notre seul protecteur. 43 Le brahmane dit : Ayant pris sa décision A propos de la vie qu’elle voulait mener, Pingala abandonna ses attentes et ses espoirs Et rentra chez elle. 44 Espérer de ce monde Et des gens qui y vivent Est sûrement la source De notre plus grande misère. Pingala laissa cela Et se retira en paix. 37 DIALOGUE 4 Dans ce dialogue, Krishna finit son récit de l’enseignement du jeune avadhuta. Il discute de la nécessité de la solitude, de l’importance de la pratique et du but de la naissance humaine. Les termes sanscrits maya et guna apparaissent ici pour la première fois. Il n’y a pas de réels équivalents anglais pour ces mots. Maya vient de la racine sanscrite ma qui signifie ‘’mesurer’’, ‘’délimiter’’. Il peut être dit de maya que c’est cela par quoi nous nous limitons et nous nous mesurons nous-mêmes et toute la création. Dès l’instant où je dis ‘’je’’, en me référant simplement au corps et à la personnalité qui apparaissent à un moment et dans un espace donné, je suis sous l’influence de maya. Maya est le plus souvent traduit par ‘’illusion’’, comme dans les dialogues précédents. Maya est l’illusion propre au monde par laquelle nous cherchons constamment à limiter l’illimité. Guna se traduit généralement par ‘’mode de la nature’’. Le terme guna signifie en fait ‘’fil’’ ou ‘’corde’’, et ce sont les gunas qui nous maintiennent esclaves de maya. Il y a trois gunas —rajas, tamas et sattva. Tamas et rajas correspondent au Yin et au Yang de la philosophie chinoise. Rajas est la force lumineuse, en expansion de la nature alors que tamas est la force obscure de contraction. Quand ces deux forces sont en équilibre, on dit que l’état de sattva prévaut. C’est seulement lorsque l’état de sattva a été atteint et que la corde des gunas qui nous lie si solidement à maya a été tranchée que le chercheur peut espérer faire l’expérience de l’unité avec la suprême Réalité. 1 Le brahmane poursuivit : La vraie source de misère Est l’acquisition de tout Ce à quoi vous tenez. Qui sait cela Et ne désire rien Jouira d’un bonheur durable. 2 Une fois, j’ai observé un balbuzard Qui tenait de la viande dans son bec. Il était harcelé par un balbuzard Plus grand et plus puissant. Ce n’est qu’après avoir lâché le morceau de viande Qu’il retrouva la paix 3 Je ne ressens ni honneur ni déshonneur. Je ne tiens pas aux choses Comme les maisons, la famille et les enfants, Auxquelles la plupart des gens tiennent. 38 Je circule à travers ce monde Aussi libre qu’un petit enfant, Ne me réjouissant que du Soi. 4 Il n’y a que deux êtres dans le monde Libres de toute angoisse : Le petit enfant qui ne sait rien Et le sage qui connaît le Soi Au-delà des trois gunas. 5 Une fois, une jeune fille dont la famille était absente Etait seule pour recevoir les invités Venus chez elle Pour la demander en mariage. 6 Elle se retira dans la cuisine pour préparer un repas. Alors qu’elle pilonnait le riz, Les bracelets de coquillages qu’elle portait au poignet Tintaient bruyamment. 7 Déjà gênée d’accueillir seule ses invités, Cette jeune fille sensible devint encore plus embarrassée Par le bruit de ses bracelets, alors qu’elle travaillait, Aussi les ôta-t-elle un par un, N’en laissant que deux à chaque poignet. 8 Mais même ces deux bracelets à chaque poignet Faisaient du bruit, Aussi en ôta-t-elle deux autres, Ne laissant qu’un seul bracelet à chaque poignet. 9 J’ai appris cette leçon d’elle, ô roi, Alors que je circulais dans le monde, Cherchant à comprendre le mode de vie des gens. 10 Lorsque beaucoup de personnes vivent ensemble, Elles se querellent, Et même si seulement deux personnes vivent ensemble, Elles bavardent. Par conséquent, on devrait aller seul dans cette vie, Silencieux comme le seul bracelet Au poignet de la jeune fille. 11 Dans une assise stable, On devrait tranquilliser l’esprit Et contrôler sa respiration. Par le pouvoir du renoncement Et par une pratique régulière, Ce calme sera maintenu. 39 12 Concentrez ensuite l’esprit sur le Soi Et lentement, il cessera son activité : Rajas et tamas Se fondront en sattva. 13 Pareil au fabricant de flèches Dont le mental était si concentré dans son travail Qu’il ne remarqua même pas Le roi qui passait par-là avec une fanfare bruyante, Le yogi doit demeurer Non distrait par l’activité intérieure ou extérieure. 14 Le sage devrait errer seul— Toujours sans logement, ne s’abritant que dans des cavernes, Toujours conscient. Ne vous déclarer jamais sage : Que le silence soit votre marque de fabrique. 15 Soyez comme le serpent Qui habite un trou Que d’autres ont creusé et quitté. Ne bâtissez pas de maison, Car votre corps est périssable. 16 A la fin de chaque cycle de la création, Le Suprême, Narayana, Retire cette création Et toutes ses multiplicités. Alors le multiple Redevient à nouveau L’Un sans second indifférencié.1 17 Par le pouvoir du temps Qui n’est qu’une autre manifestation De ce suprême Directeur, Les gunas se fondent dans l’Absolu Dans un parfait équilibre. 18 Alors seul reste cet Etre suprême, L’ancien, Le dieu des dieux, Le pur et sans souillure, Le transcendant, L’Un sans second— Cela seul reste. 19 L’Un, grâce au pouvoir du temps, Commence un nouveau cycle de création En faisant appel à la vitalité primordiale. 40 Par le biais de maya, Cette vitalité éveille les gunas, Faisant naître un monde Qui semble être Fait de multiplicités. 20 Les grands sages ont dit Que cette vitalité primordiale Se manifeste comme les gunas Qui constituent toute la création, Et la mort, la naissance et la renaissance De chaque individu. 21 Tout comme l’araignée Emet une toile de son cœur, Par la bouche Et la ramène en son cœur, L’Un émet ce monde de multiplicité Et le ramène en lui-même. 22 Tout ce sur quoi un être incarné concentre son esprit, Que ce soit par amour, par haine ou par peur, Cela, il le devient, 23 Comme l’insecte de la légende Qui fut capturé par une guêpe : Il fixa son esprit si intensément sur son ravisseur Qu’il prit la forme de la guêpe. 24 Voilà ce que j’ai appris d’eux tous, Mes maîtres. A présent, ô roi, écoutez, et je vous dirai ce que j’ai appris De mon propre corps. 25 Ce corps qui est sujet à la naissance et à la mort Et qui est la source de grandes afflictions A été un grand maître, Car il m’a permis de me dépassionner Et car il a encouragé mon auto-investigation. Il m’a conduit aux portes de la Réalité. Ceci parce que j’ai réalisé Que même ce corps Ne peut être appelé mien. En vérité, il appartient à ceux Qui le dévoreront après ma mort. 26 Ce corps pour lequel les gens s’activent inlassablement, Attire à lui épouse, enfants, foyer et richesses ; Ce corps meurt, tout comme un arbre meurt— 41 En laissant les graines de la prochaine naissance. 27 Au cours d’une vie, La langue vous enverra quelque part Et la soif quelque part ailleurs ; La pulsion sexuelle vous conduira auprès d’une personne Et le sens du contact auprès d’une autre. Puis l’estomac, l’oreille, le nez, L’œil mobile et vos activités Chercheront à vous emmener encore ailleurs. Tout ceci vous écartèlera— Comme plusieurs femmes pour un seul homme. 28 La Réalité ultime, Par son propre pouvoir, A élaboré de nombreuses formes— Les arbres, les reptiles, les animaux, les insectes, Les oiseaux et les poissons, Mais le corps humain Est l’ultime création, Car à l’intérieur de la forme humaine, Il y a le désir de connaître Sa propre et véritable nature. 29 Ainsi le sage Qui a obtenu un corps humain Après des myriades de naissances et de morts, Cherche à connaître le Soi. Peu importe combien le corps peut être fragile, Il est toujours le moyen D’obtenir cette Libération finale. 30 Ainsi, m’étant libéré de l’attachement, Et possédant la lumière de cette suprême connaissance, Je parcours le monde Totalement identifié au Soi. 31 Bien que la vérité soit une, Pour que cette connaissance devienne constante, De nombreux maîtres sont nécessaires, Car la vérité est transmise différemment Par différents sages. 32 Le radieux Krishna dit : Après s’être ainsi adressé au grand roi, Le jeune brahmane prit congé Et continua son chemin. 42 33 Ayant écouté l’enseignement de cet avadhuta, Le roi, notre ancêtre, fut libéré de tout attachement Et obtint la paix de l’esprit. 43 DIALOGUE 5 Dans le cinquième dialogue, l’enseignement de Krishna devient soudain beaucoup plus direct. Dépouillé d’histoires, il a le pouvoir de nous secouer jusqu’à la racine. Krishna nous dit que nous pouvons continuer à vivre avec des ombres de la vérité, si c’est cela que nous désirons. Nous pouvons continuer à nous consacrer à un corps et à une personnalité qui n’ont aucune permanence—mais alors nous devrons faire face aux conséquences : continuer à tourner avec la roue des naissances, des morts et des renaissances jusqu’à ce que nous réalisions qui et ce que nous sommes. C’est dur à avaler parce que nous sommes tellement pris par ce que nous pensons être. Pourtant, il est évident, si nous nous arrêtons un instant pour réfléchir, que ce que nous pensons être est un concept social créé par nos familles, nos amis, notre éducation et notre milieu social. Chaque jour, nous nous réveillons et nous nous reconstruisons autour d’un concept que d’autres ont fabriqué. Nous acceptons le moi que l’on nous impose avant d’avoir le bon sens de penser autrement. Que nous choisissions de croire dans la théorie de la réincarnation ou dans l’autorité absolue du gêne, il est clair que nous arrivons dans ce monde avec un ‘’je’’ déjà en cours de formation. Les textes anciens se réfèrent aux vasanas qui possèdent la même racine que le mot sanscrit désignant la couleur. Les vasanas sont les impressions et les ‘’couleurs’’ présentes à la naissance, qui par la mémoire et par les gênes, se mêlent à la vie du présent. Dès la naissance, notre conscience est complètement absorbée par cette construction qui croit être ‘’je’’, mais qui n’est en réalité qu’une idée—et même pas notre propre idée. Trois termes sanscrits sont introduits ici : yama, niyama et guru. Yama et niyama ne sont pas que des valeurs qui doivent être soutenues, mais des vérités qui doivent être découvertes. Yama veut dire ici ‘’règle’’. Cinq règles constituent notre contrat avec la société en tant que chercheurs sur la voie spirituelle. Ce sont : ahimsa (la non-violence), satya (la vérité), asteya (ne pas voler), brahmacharya (vivre comme un chercheur de Brahman) et aparigraha (ne pas convoiter). Niyama sont les contrats que nous faisons avec nousmême : saucha (la pureté), santosha (le contentement), tapas (la pratique régulière), svadhyaya (l’étude de la vérité) et Ishvara pranidhana (s’aligner avec l’Infini). Le mot guru signifie plus que ‘’quelqu’un qui est expert ou maître’’, comme on l’utilise populairement. Le guru est quelqu’un qui enlève les ténèbres de l’ignorance. Seul celui qui a lui-même expérimenté l’Infini peut faire cela. 1 Le radieux Krishna dit : Cher ami, prends refuge en Moi Et vis ta vie dans le service dévoué En accomplissant tous les devoirs nécessaires1 44 Et en réalisant le but pour lequel tu es né. 2 Le mental ainsi purifié, Observe ceux qui vivent leur vie En ne se consacrant qu’à ce monde des objets Et les misères qui les accablent. 3 Tout comme les images d’un rêve Ou une rêverie sont irréelles, De même les multiplicités De ce monde. Elles vont et viennent, Enchaînées aux gunas. 4 Ceux qui accomplissent leurs devoirs Par dévotion au Soi Plutôt que de rechercher La récompense de leurs actions Vivent une vie pleine. Vis comme eux, Uddhava En t’abstenant même de ces rituels Qui promettent une récompense. 5 Celui qui se consacre au Soi Devrait toujours respecter les yamas Et les niyamas appropriés. Celui-là devrait servir le guru Qui a l’esprit serein Et qui est pleinement absorbé dans le Soi. 6 Un tel dévot Devrait être exempt d’orgueil et de jalousie, Avoir une dévotion forte Et être libre de tout attachement. Sois totalement dévoué au guru Et prêt à accomplir méticuleusement toute action. Abstiens-toi de tout bavardage inutile Et n’aspire qu’à la Vérité. 7 Tous les gens et toutes les choses doivent devenir égaux Aux yeux d’un tel dévot— Qu’ils soient épouse, enfants, maison ou richesse, Amis ou parents. Le dévot ne doit rechercher que le Soi en tout. 8 Le Soi, cette Conscience auto-illuminée Est distinct de la forme, Comme un feu qui éclaire l’obscurité Est distinct de la bûche qui brûle. 45 9 Tout comme le feu qui brûle une bûche Peut apparaître comme une braise, Une petite flamme ou un incendie, Suivant l’état du bois, De même le Soi semble assumer Les attributs de la forme qu’Il pénètre. 10 L’identification au corps Créée par le Suprême Par le pouvoir mystérieux de maya Est la cause de l’esclavage humain Envers la naissance, la mort et la renaissance. Seule la connaissance du Soi Peut libérer quelqu’un de cet esclavage. 11 Par conséquent, graduellement, Détache-toi De l’identification au corps. Que ton attachement soit Une identification au Soi intérieur. 12 Le guru est comme le bois d’allumage A la base d’un feu. L’étudiant est le bois placé au-dessus. L’enseignement est ce qui les relie. Ensemble ils produisent l’étincelle Qui allume le feu de la connaissance Qui apporte à tous la joie véritable. 13 La pure sagesse qui provient De l’enseignement du guru Dissipe la maya Qui lie le chercheur Par le pouvoir des gunas. Quand cette connaissance même Est brûlée comme un feu qui n’a plus de combustible, Seul le Soi demeure.2 14 Maintenant, si tu persistes à croire Que la multiplicité des formes, Le foisonnement des activités, Et ceux qui y sont engagés Pour leur plaisir momentané Endéans un espace et une période définis Sont la seule réalité, 15 Ou qu’accomplir les devoirs Que les Ecritures prescrivent Conduit à la perpétuation 46 De l’âme individuelle Ou apporte des bénéfices terrestres Dans ce monde d’objets,3 16 Alors, cher ami, Tu resteras attaché à ce cycle De naissances, de maladies, de morts et de renaissances. 17 Ô Uddhava, il doit être clair pour toi Que même celui qui travaille avec zèle Et qui s’efforce de contrôler Les caprices de la vie Est toujours asservi à la douleur et au plaisir. Quel bonheur peut-il y avoir Dans ce type de dépendance ? 18 Parfois, même des personnes intelligentes Sont aux prises avec de grandes souffrances, Alors que l’idiot semble ne pas être perturbé. Penser que par un travail zélé Tu éviteras la douleur Est une idée absurde. 19 Même si quelques personnes découvrent le moyen D’éviter le malheur et la maladie, Elles ne trouveront certainement jamais le moyen D’empêcher la mort. 20 Quand la mort est proche, Quel bien ou quel plaisir peuvent apporter la joie ? Que peux-tu offrir A celui que l’on emmène à la potence Qui lui procurera du plaisir ? 21 Qu’en est-il alors du paradis ? , peux-tu demander. Je te dirai, très cher, que les plaisirs célestes Sont identiques aux plaisirs terrestres— Contaminés par la jalousie et la rivalité, Le déclin et la perte. Œuvrer dans l’espoir d’un séjour au ciel Peut être aussi hasardeux que de semer des graines Qui peuvent ou non pousser. 22 Mais pour ceux qui choisissent le ciel, Laisse-moi t’entretenir du chemin, Car sans conseils éclairés, C’est presque impossible. 23 Celui qui exécute les rituels 47 Et qui vénère les dieux En suivant les injonctions des Ecritures Ira au ciel Et y jouira des plaisirs célestes. 24 Ces activités seront le moyen Par lequel une personne accède Aux mondes célestes— Pour être vêtue somptueusement, Manger, boire, festoyer Et avoir ses louanges chantées par les ancêtres. 25 Là, jouissant de tout ce que le ciel peut offrir, Tout plaisir disponible devant elle, Heureuse dans les jardins des dieux, Le temps filera, Sans pensée pour la chute imminente. 26 C’est alors que survient le terrible moment, Quand tout le mérite gagné par des actions Accomplies au cours de la vie antérieure Est épuisé. De nouveau, Cet être chute Dans l’incarnation, Inexorablement poussé par le temps. 27 D’autre part, Si l’on mène une vie Consacrée à l’avidité et au matérialisme, En satisfaisant ses désirs, Sans se soucier des autres Et en leur causant même du tort Pour arriver à ses fins Et en ne s’associant qu’à ceux de son espèce, 28 Ou si l’on massacre inutilement des animaux, Ou si l’on pratique le culte des esprits, Alors on descend Dans de sombres enfers. 29 Quand de telles personnes S’incarneront de nouveau, Elles continueront à agir dans les ténèbres— Où il n’y aucune possibilité de bonheur. 30 Dans tous les mondes d’existence, Du plus bas au plus élevé, Les êtres doivent craindre le temps. 48 Même Brahma le créateur, Destiné à être d’une inimaginable longévité Doit cesser d’être quand son temps est terminé. 31 Tant que les êtres sont liés par les gunas, Ils verront un monde de divisions et de multiplicités Dans lequel ils ne s’identifient Qu’avec leur propre corps et leur personnalité individuelle, Et tant qu’ils sont ainsi liés, Chaque action qu’ils entreprendront aura une conséquence. 32 Tant que les gunas prédominent, L’individu est en proie à la crainte Née de prendre forme encore et encore. Dans cet état, chaque personne est liée aux conséquences de ses actions. 33 Ceux qui se vouent A ce qu’ils peuvent voir, Entendre, toucher, goûter ou sentir Sont engloutis par le monde matériel Et sont destinés à vivre une vie En proie à une appréhension constante. 34 Seul le sage sait Que ce que l’on appelle L’individu, le temps ou les Ecritures Ou même les mondes célestes ― Tout cela Est le Soi non divisé et entier Sous l’influence du déséquilibre des gunas. 35 Le fidèle Uddhava demanda : Bien-Aimé, tant que l’individu Est attaché au corps, Alors, il ou elle est certainement aussi lié(e) Aux actions et à leurs conséquences Qui sont le résultat naturel des gunas. Comment est-il possible d’être incarné Sans être lié ? Si l’on dit que l’individu Est à jamais transcendant, Et bien qu’incarné N’a rien à voir avec le monde matériel, Comment en arrivons-nous à être liés ? 35 Comment agissent ceux qui ne sont pas liés Et qui sont pourtant incarnés ? Que mangent-ils ? 49 Comment s’asseyent-ils ? Comment dorment-ils ? Par quelles particularités pouvons-nous les reconnaître ? 36 Ô, Maître des maîtres, Parfois les êtres vivants sont décrits Comme éternellement conditionnés et liés, Et d’autres fois nous sommes décrits Comme éternellement libérés et libres. Lequel est vrai ? Veuillez, s’il vous plaît, dissiper ma confusion. 50 DIALOGUE 6 Krishna débute ce dialogue en définissant l’esclavage et la libération. De manière étonnante, il affirme qu’aucun d’eux n’est réel. Dans les dialogues précédents, Krishna nous a préparés à entendre le cœur de son message et maintenant, pendant que nos esprits sont encore ouverts en réaction à l’affirmation que l’esclavage et la libération sont des illusions, il indique la vérité fondamentale : que nous ne savons pas qui nous sommes. Ce que nous identifions comme étant nous-mêmes n’est pas la Réalité, mais seulement une ombre de celle-ci—comme le dit Krishna, un reflet brisé sur des eaux agitées. Toute notre douleur, notre chagrin et notre souffrance résident dans ce reflet fragmenté et non dans la Réalité qui est reflétée. Et c’est notre attachement au reflet qui constitue notre esclavage. Krishna termine son discours en encourageant Uddhava à rechercher le Soi par la dévotion, qu’il voit clairement comme la voie juste, à l’aube obscure du Kali Yuga où la Réalité sera de plus en plus obscurcie. Dans ce Kali Yuga, peut-être est-ce dans la profondeur du cœur que nous devons faire retraite pour trouver le Soi. Nous ne sommes pas vaincus en nous retirant à l’intérieur de nous-mêmes ; nous découvrons plutôt que nous sommes plus que nous n’avions jamais pensé pouvoir être. Dans cette retraite se trouve la vraie victoire. Le sixième dialogue nous donne la description inspirante d’un sage. Si le texte qui précède a laissé croire à quelqu’un qu’un sage est insupportablement lointain et distant, ce dialogue chassera cette compréhension erronée. 1 Le radieux Krishna dit : Ni l’esclavage ni la libération ne sont réels. Soumis aux gunas, les trois modes de la nature, L’esprit se pense tantôt lié et tantôt libre, Mais puisque ces modes sont eux-mêmes illusoires, Je te le dis, il n’y a ni esclavage ni libération. 2 La nuit, lorsque l’on est endormi Et que l’esprit pense à la journée, On appelle cela un rêve. De même, la peine et la joie, Vivre et mourir et renaître— Tout cela n’est qu’un rêve. 3 Ô Uddhava, Sache que et la connaissance et l’ignorance Emanent du Résident intérieur, le Soi de tout— L’unique Réalité. La connaissance et l’ignorance 51 Sont la cause de la liberté et de l’esclavage. La connaissance, source de la liberté Et l’ignorance, source de l’esclavage Ont toujours fait partie De la création. 4 Tu es sage, Uddhava, réfléchis maintenant ! L’âme individuelle est une part De l’unique Réalité. L’esclavage est basé sur l’ignorance et La libération sur la connaissance De l’unique Réalité au-delà de toutes parts.1 5 Ce qui en toi est libre Et ce qui est lié Possèdent différentes qualités— Bien qu’ils occupent le même corps. Laisse-Moi t’expliquer : 6 L’individu peut être comparé A deux oiseaux amis Qui nichent dans le même arbre. L’un mange des fruits de l’arbre Et l’autre s’abstient de manger. Pourtant, c’est celui qui ne mange pas Qui est la source de force pour les deux. 7 La Réalité est semblable à l’oiseau qui ne mange pas— Elle est illuminée : Elle se connaît elle-même et elle connaît son compagnon. Le non réel est comme l’oiseau qui mange— Il est ignorant : Il ne se connaît pas lui-même ni ne connaît son compagnon. Seul l’oiseau rempli de la connaissance du Soi est libre. 8 Ainsi sont les sages— Ils se sont éveillés du rêve, Et juste comme en t’éveillant Tu ne t’accrocherais pas à un rêve, Ils ne s’accrochent pas au corps, Mais l’ignorant, lui Vit toujours dans le rêve. 9 Le sage, Bien que toujours dans ce corps, N’y est plus confiné. Les sages ne s’identifient pas Aux choses du rêve. 52 10 Ceux qui sont toujours piégés dans le rêve Sont pris par l’esprit qui rumine le passé. Ils sont comme l’esprit du rêveur Qui continue à réfléchir sur les épisodes du sommeil Et qui est lié aux choses des rêves. 11 Le sage devient semblable au ciel, Au soleil, Au vent—libre et détaché. Il peut s’asseoir et marcher, se baigner et manger, Entendre, toucher et sentir. Toutefois, au milieu de toute cette vie, Le sage reste non attaché par les gunas. 12 Vivant parmi les objets de la vie, Le sage ne s’identifie Qu’avec le Soi libre et entier. 13 Le corps du sage Reste soumis aux modes de la nature, Mais le sage comprend la vérité Derrière le monde de la dualité et de la multiplicité. 14 Le sage mène une vie spontanée, Libre du besoin de projeter et de planifier. Avec son énergie, son mental et son intellect Concentrés sur la Réalité unique qui englobe tout, Le sage est transparent. 15 Même quand son corps est cruellement torturé Par un ignorant sans merci Ou bien vénéré par d’autres, Le sage demeure non affecté. 16 Considérant le tortionnaire ignorant Et le fidèle admirateur Avec la même vision égale, Le sage ne loue ni ne blâme. 17 Le sage Ne parlera ni ne pensera en mal, Mais parcourra le monde Avec l’esprit fixé sur le Soi. 18 Prends garde, Uddhava, Si quelqu’un est versé dans les Ecritures Mais qu’il n’a pas la connaissance du Soi, Alors, celui-là n’est pas un sage. En effet, celui-là est comparable 53 A un homme qui prend soin d’une vache qui ne donne pas de lait.2 19 Cher ami, sache aussi Que celui qui conserve une vache dont le lait est tari, Ou une épouse infidèle, Ou un corps qui dépend du travail d’autrui, Ou un enfant ingrat, Ou des richesses qui ne sont pas données à ceux qui les méritent, Et dont le langage est dépourvu du Soi, Celui-là ne peut connaître que la misère. 20 Cher Uddhava, Le sage aime parler du Soi, Il se réjouit de rapporter l’émergence du Soi Par des récits portant sur la création et les Avatars. 21 Ayant rejeté l’idée erronée de la multiplicité, Son esprit ne s’attarde que sur le Soi unique en tout. Il ne pense pas à agir comme ceci ou comme cela Pour plaire au monde. Il ne pense qu’au Soi omniprésent en tout. 22 Mon vieil ami, Si tu n’arrives pas A garder ton esprit fixement sur le Soi, Il y a d’autres moyens pour parvenir à la sagesse. Sans souci de résultat pour toi-même, Offre tout ce que tu fais chaque jour au Soi ineffable.3 23 Ecoute les histoires et les chants A propos des Avatars comme Moi-même— Ceci apporte la pureté. Imite Mes actions. Prends refuge en Moi. 24 Continue tes activités quotidiennes Et les rites religieux si tu le dois, Mais continue-les pour le Soi qui réside en tous. De cette manière, ta foi dans le Soi éternel unique grandira. 25 Garde la compagnie des saints et des sages : Une telle association te rapprochera du Soi de tous. 26 Le fidèle Uddhava demanda : Radieux Krishna, qui considérez-Vous comme sage ? Et quel type de pratiques dévotionnelles Considérez-Vous les meilleures ? 54 27 Résident intérieur de tous Dont la présence recouvre les cieux, Maître de l’univers, Répondez-moi Qui me suis prosterné devant Vous Et qui Vous suis dévoué. 28 Vous êtes l’unique Réalité— Aussi vaste que le ciel. Vous êtes le Soi suprême de tous. Pourtant Vous Vous êtes incarné ici comme Krishna— Non pas à cause d’actions passées Mais par le pouvoir de Votre propre volonté. 29 Le radieux Krishna répondit : Je vais te dire lequel est un sage : Celui qui est compatissant envers tous les êtres, Qui ne fait de mal à personne, Qui est indulgent Et dont la force est la vérité. Celui qui est libre de l’envie, Dont l’esprit est égal dans la joie comme dans la peine Et qui recherche avant tout le bien-être de tous. 30 L’esprit d’un sage n’est pas obscurci par les désirs. Il reste plutôt tranquille et maître des sens. Sans dureté envers les autres, Le sage aura toujours une attitude plaisante, Libre de toute possessivité et des soucis matériels. Le sage ne mangera que pour apaiser sa faim Et satisfera toujours à tout devoir qui se présente. 31 Les jugements d’un sage seront bien réfléchis Et jamais hâtifs ou superficiels. Un sage aura surmonté les six vagues Du froid, de la chaleur, de l’avidité, de l’engouement, de la faim et de la soif. Un sage ne cherchera pas les honneurs, Même s’il les confère à autrui. Avant tout, le sage s’adonne A la contemplation du Soi, Même en période d’adversité. Un sage sera amical envers tous Et doux envers les malheureux. Un sage apporte la lumière de la connaissance A tous les êtres. 32 Celui qui renonce au devoir Est aussi un sage, 55 Mais un tel renoncement doit s’accomplir Avec une parfaite compréhension : En renonçant aux devoirs auxquels tu es lié, Tu renonces à leurs résultats—bons et mauvais. Qui peut faire cela est effectivement un sage. 33 Mais avant tout, Le sage est celui qui a la foi, Celui qui se consacre au Soi omniprésent Avant même d’avoir fait l’expérience De sa pleine connaissance. 34 Il voit le Soi reflété Dans tous les objets du monde : Il L’adore. Il Le touche. Il Le loue. Il en parle. 35 Par une telle adoration, sa foi devient encore plus forte Et il commence à offrir de plus en plus de lui-même Au Soi omniprésent, En s’abandonnant au service de ce Soi. 36 Il raconte la vie et les actes des Avatars Et observe les jours fériés. Il visite les temples Et chante et danse sa foi. 37 Il discute des Ecritures avec d’autres sages Et visite les lieux saints. Le sage aime adorer Et initier les autres à l’adoration du Soi. 38 Il a un amour profond Pour cela dans lequel il voit L’unique Réalité reflétée. Il se réjouit à veiller A la propreté des lieux saints et des temples et à leur entretien. 39 Il balaie avec vigueur, Répand de l’eau parfumée, Crée des mandalas.4 Il est heureux Comme serviteur du temple. 40 Pour être un tel sage On doit mépriser la célébrité, On doit s’abstenir de toute supériorité, 56 Orgueil et hypocrisie Et ne pas vanter aux autres ses bonnes actions. Pour être un tel sage, On ne doit pas faire un mauvais usage de la lumière de la lampe Allumée en l’honneur de la Réalité unique. 41 Pour être un tel sage, Tout ce qui t’est cher Doit être offert à la Réalité unique. Une telle offrande produit des résultats infinis. 42 Cette Réalité peut être vénérée sous de nombreuses formes : Celle du soleil, du feu et de la vache qui donne du lait, Celle du saint et du dévot, Celle de l’eau, de la terre et de son propre corps— Ainsi que celle des corps de tous les êtres. 43 Le Soi dans le soleil est vénéré avec des chants védiques. Le Soi dans le feu est vénéré avec du beurre clarifié. Le Soi dans le saint est vénéré par l’hospitalité Et dans la vache laitière par de l’herbe fraîche et verte. 44 Uddhava, vénère le Soi dans le dévot Par des relations justes qui émanent du cœur. Vénère le ciel par la méditation. Vénère les eaux de la terre avec de l’eau, Et vénère le Soi dans l’air En honorant la vitalité qui insuffle la vie et Qui imprègne l’entièreté de cette création. 45 Vénère le Soi dans la terre avec des mantras5 Pour garder à l’esprit que c’est une terre sacrée. Vénère le Soi dans ton corps A l’aide de la nourriture que tu lui offres, Et vénère le Soi en tous Par une vision égale et sans préjugé. 46 Place une image du Soi sur une surface consacrée Et vénère-la. Que cette image soit bienveillante et aimante, Et accorde-lui ta totale attention. 47 Celui qui Me vénère de cette manière Avec un esprit concentré Et un cœur généreux Atteint un état de parfaite dévotion. 48 Uddhava, Mon cher ami et cher conseiller, Il n’y a pas de route plus directe pour le Soi 57 Que cette voie de la dévotion. Viens par Moi. Sois-Moi dévoué. Je suis le recours du vertueux. 49 Laisse-Moi encore te confier une dernière chose, Uddhava. C’est un secret qui mérite d’être gardé. Je te le dis maintenant avant de partir Car tu as toujours été Mon ami et Mon fidèle compagnon. 58 DIALOGUE 7 C’est l’un des dialogues les plus brefs et c’est aussi l’un des plus mystiques. Il débute avec Krishna qui parle du satsang (garder la compagnie des sages et des illuminés). Le satsang, dit-il à Uddhava, c’est le moyen le plus facile pour contrôler l’esprit et pour parvenir à l’état d’extase où la conscience individuelle fusionne avec la Conscience infinie. Krishna insiste sur le fait que même la voie de sannyas ne peut mener à l’illumination aussi vite que satsang. Pourquoi devrait-il en être ainsi ? Le bavardage qui remplit l’esprit en permanence provient généralement de nos conversations mondaines. Si nous restons constamment dans la présence de ceux dont le but est de se connecter à l’Infini ou qui l’ont déjà contacté, cela comblera notre esprit et aidera à le maintenir sous contrôle. Krishna ne nous conseille pas de négliger nos autres pratiques. Il fait simplement remarquer que sans satsang, elles seront beaucoup moins efficaces. Lorsqu’Uddhava exprime sa confusion, Krishna répond par une extraordinaire description de la manière dont nous sommes des individus au sein de la création, tout en faisant partie du Tout unique. Les images que cette énumération suscite dans l’esprit ont un impact puissant sur la méditation. 1 Le radieux Krishna dit : Ecoute-moi, ô Uddhava. Je vais te dire le secret De l’illumination spirituelle. Ni le Yoga, ni le Samkhya, Ni le dharma, ni la récitation des Ecritures, Ni sannyasa1, ni les œuvres sociales, Ni même les actes charitables, 2 Ni le vœu de jeûner, Ni les actes d’adoration rituelle, Ni la répétition de mantras mystiques, Ni les pèlerinages ardus, Ni la discipline de yama et de niyama Ne te permettront de contrôler ton esprit Aussi rapidement Que par l’association avec les sages. 3 Uddhava ! Pareil satsang A été le moyen d’élévation Et d’illumination de beaucoup. Laisse-moi te les citer : Les musiciens célestes Gandharvas, 59 Les serpents démons Nagas, Les parfaits Siddhas, Les secrets Guyakas Et beaucoup d’autres. 4 Les fils de Diti, la mère des anti-dieux, Les magiciens et les sorciers Yatudhanas, Et parmi les hommes, Des marchands, Des travailleurs ordinaires, Des femmes, Des fripouilles, Et même de ceux liés par la passion et l’ignorance. 5 A toutes les époques, Satsang est le moyen suprême du salut. Même Prahlada2—dont la mère s’appelait Kayadhu Et qu’un sage instruisit alors qu’elle était enceinte— Parvint à l’illumination par satsang Alors qu’il se trouvait encore dans l’utérus. 6 Vibhasana3, le frère de Ravana, Sugriva, le roi des singes, Hanuman, le modèle de la dévotion, Jambavan, l’ours, Gajendra, le fidèle, éléphant, Jatayu, le vautour, Tuladhara, le marchand, Dharmavyadha, le chasseur, Kubja, la jeune bossue, Les gopis qui soignaient les vaches Et qui Me tinrent compagnie pendant Mon enfance, Les femmes des brahmanes de Vrindavan Et d’autres, innombrables— 7 Aucun d’eux n’a étudié les Ecritures Et ils n’ont jamais servi de grands saints Ni observé des vœux ni des austérités. Pourtant, grâce à leur association avec Moi Ou avec des saints, des sages et Mes adeptes, Ils ont atteint la Libération. 8 Les gopis qui soignaient les vaches Et même les vaches, les antilopes, les serpents et les arbres, Tous parvinrent à l’union extatique avec l’Un Grâce au satsang. 9 C’est difficile à obtenir, Même par la discipline du Yoga 60 Et l’étude du Samkhya, Les rites sacrificiels Et les austérités, La charité, Ou même par sannyasa. 10 Lorsqu’on M’emmena de Vrindavan Avec Mon frère Balarama, Les gopis furent privées de joie A cause de leur amour pour Moi. 11 Les jours et les nuits avec Moi à Vrindavan Passaient comme des instants fugaces, Mais les jours et les nuits en Mon absence Paraissaient des années. 12 Avec leur esprit fixé sur Moi Et toutes leurs pensées tournant autour de Moi, Elles n’étaient plus conscientes de leurs parents ou de leurs amis, Elles n’étaient même plus conscientes de leur propre corps, Encore moins de ce monde ou du suivant. Tels des yogis dans un profond état méditatif, Elles fondirent leur conscience dans la Mienne Tout comme les eaux de nombreux fleuves se mêlent à l’océan. 13 C’était des femmes qui n’étaient pas instruites dans la loi scripturaire. Elles ne connaissaient pas Ma vraie nature ou la leur. Elles désiraient simplement Ma présence— Elles se languissaient de Moi comme de leur bien-aimé. Et cependant, par le pouvoir du satsang avec Moi, Elles parvinrent à cet état de conscience Dans lequel elles se fondirent dans le suprême Brahman. 14 Tu devrais faire comme elles, bien-aimé Uddhava. Abandonne toutes les injonctions et tous les interdits, Tout ce que tu as entendu ou pourras entendre A propos de ce qu’il faut faire et de ce qu’il ne faut pas faire Mentionné dans les Ecritures. 15 Et prends refuge dans ton cœur. Cherches-y le Soi. Fais-le avec une dévotion totale, Et libéré de toute crainte, Toi aussi tu te fondras certainement en Moi. 16 Le fidèle Uddhava dit : Bien-aimé Maître du Yoga, J’entends Vos paroles, 61 Mais des doutes obscurcissent toujours mon esprit. Je suis toujours dans la confusion. 17 Le radieux Krishna répondit : L’Un suprême Se révèle à travers une multiplicité de formes— Pas seulement celles de la terre, mais également celles des mondes célestes. Il est en chaque forme, Comme le prana4 qui circule à travers le sushumna nadi5 Où les chakras sacrés sont situés. Sa manifestation la plus grossière Est dans le chakra muladhara Et la plus subtile dans le souffle vital. Il réside dans le chakra anahata, L’espace du cœur Où il est le son subtil, céleste Et les parties du langage. 18 Tout comme le feu existe à l’état potentiel dans le bois Et se manifeste comme une étincelle lorsqu’il y a friction Pour devenir un feu en présence de l’air Et un brasier si des offrandes y sont versées, De même, le Soi se manifeste par degrés, Même dans les sons qui sont émis. 19 Et pas seulement dans le langage, Mais aussi dans les actions entreprises Par les mains, Le goût et l’odorat, Le toucher et la vue, L’audition et la pensée Et la conscience de soi : Le Soi est manifeste dans tout cela. 20 L’Un suprême non manifesté Est la Vie de tout ce qui est manifesté Par le pouvoir des gunas Et par le pouvoir du temps : Pareilles à des graines semées dans un champ, Celles-ci deviennent toute la création. Mais sache que ceci est la vérité : C’est l’Un suprême non différencié Qui est la source, Le cœur de lotus de cet univers. 21 L’Un est l’étoffe et la trame de la création. Toute existence dépend de l’Un Tout comme l’existence du tissu 62 Repose sur ses fils. Cet arbre du samsara6 est ancien Et continue de produire fleurs et fruits. 22 Les bonnes et les mauvaises actions sont ses graines ; Ses centaines de racines profondes sont les désirs ; Rajas, tamas et sattva sont ses troncs Et les panchatattvas—la terre, l’eau, le feu, l’air et l’espace— Sont ses cinq branches solides Qui produisent cinq différentes sortes de sève : L’odorat, le goût, la vue, le toucher et l’audition. Ces cinq branches solides se ramifient en dix autres Appelées indriyas ou organes d’action. Ce sont le nez, la langue, les yeux, les oreilles, la peau, La gorge, les mains, les pieds, l’anus, les organes sexuels, Plus le mental. Cachés dans ses branches, Il porte les nids de deux oiseaux— L’Un suprême et l’ahamkara, l’idée du ‘’je’’. Ses trois couches d’écorce sont les trois humeurs du corps— : Le vent, la bile et le phlegme, Et il donne deux fruits : La joie et le chagrin. Cet arbre s’étend plus loin que le soleil. 23 Remplis de désirs, Certains, comme des vautours, Dévoreront le fruit du chagrin, Tandis que ceux sur la voie du renoncement Et qui vivent comme des cygnes dans la forêt Ne mangeront que du fruit de la joie. Celui qui comprend vraiment les Védas Et qui a obtenu la sagesse du guru Sait que cet arbre est l’Un suprême Qui croît par le pouvoir des gunas Et de la maya tissée par l’Un. 24 A présent, Uddhava, voici Mon instruction : Avec un esprit calme et vigilant Aiguisé par le service au guru, Saisis la hache de la conscience Et abats cet arbre. Libère ainsi le Soi Et reste complètement identifié au Soi. Alors, seulement, tu pourras déposer ta hache. 63 DIALOGUE 8 Dans ce dialogue, Krishna enseigne comment se libérer de l’esclavage de l’ignorance. Il explique que la pureté, la passion et l’ignorance sont des états du corps et de la personnalité et non du Soi inhérent. De nouveau, il nous est demandé de nous demander ce qu’est ce que nous identifions comme étant nous-mêmes. Krishna raconte cette histoire, simple en apparence, de son apparition comme cygne devant le sage Sanaka et la déité créatrice, Brahma. En répondant à leur question, ‘’Qui êtes-vous ?’’, Krishna nous conduit bien au-delà de notre conception de nous-mêmes. Evoluant dans un champ de Réalité relié et en fin de compte global, nous apparaissons et nous revêtons cette Réalité de chair et d’os en cherchant à la limiter à l’ahamkara, l’idée du ‘’je’’. Chaque cellule de nos corps catalysée par des cascades de produits chimiques et de signaux neuroniques participe dans le recouvrement de la Réalité jusqu’à ce que nous la recherchions activement. Le retour à la réalisation de la Réalité est la destinée ultime du voyage humain. Pour commencer ce voyage, la question doit se poser : si je ne suis pas celui que je pense être, alors qui suis-je ? Krishna nous ramène toujours à cette instruction : tournez-vous vers l’intérieur—où se trouve tout le merveilleux de la Réalité. Mais cela nécessite d’aller au-delà de ce que les psychologues nomment nos ‘’engagements précognitifs’’ : ces engagements que nous avons pris pour être la personne que nous sommes avant même d’être conscients que nous les prenions. 1 Le radieux Krishna dit : Les gunas appartiennent à la nature matérielle Et à la conscience matérielle, Mais non au Soi. Par sattva, Rajas et tamas peuvent être surmontés, Et puis sattva, Sous la forme des vertus de la vérité et de la compassion Se surmontera lui-même. 2 Chez les personnes ayant développé sattva, Les principes religieux et la dévotion Sont naturellement présents. Ceux-ci se renforcent Par la pratique. 3 Sattva devient alors plus puissant Et soumet rajas et tamas. Lorsqu’au bout du compte, ceux-ci sont totalement vaincus, Toute iniquité est détruite. 4 Les pratiques spirituelles, l’eau, 64 Les personnes fréquentées, Les périodes de la journée, de la saison ou de l’année, Les activités pratiquées, L’initiation dans la voie spirituelle, La manière de pratiquer la contemplation, Les mantras utilisés pour la contemplation Et pour psalmodier Et les rituels de purification Sont les dix éléments qui contribuent A la prédominance de tel ou tel guna. 5 Parmi ceux-ci, Ceux que les sages au jugement sain louent Sont de nature sattvique. Ceux qu’ils condamnent sont tamasiques Et ceux vis-à-vis desquels ils sont indifférents Sont rajasiques. 6 Pour permettre à sattva de croître, Tu devrais cultiver les choses Qui sont de nature sattvique. Alors seulement le dharma se fixera En toi. A partir de là, avance vers la réalisation du Soi Par laquelle tu connaîtras à nouveau Ta propre nature éternelle et infinie. 7 Tout comme le feu Qui jaillit du bambou sec Et qui fait rage dans toute la forêt, Semblable est le corps né Du déséquilibre des gunas. Mais comme le feu qui s’éteint, Il en va de même pour le corps : Suite à l’Illumination, il cessera d’être. 8 Le fidèle Uddhava dit : Nous savons bien que rechercher le plaisir Ne peut mener qu’à la douleur, Alors pourquoi le faisons-nous en permanence ? Ne sommes-nous pas plus sages que des animaux ? 9 Le radieux Krishna répondit : L’idée du ‘’je’’ Qui est entièrement liée à la personnalité Apparaît dans l’esprit de celui qui est sous l’emprise de l’illusion. Puis la qualité de rajas 65 Prend le pas sur l’état naturellement sattvique. 10 Dans l’esprit d’une personne Qui est sous l’influence de rajas, Toutes sortes de désirs surgiront. Chaque désir sur lequel on se braque Deviendra en son temps une passion brûlante.1 11 Sous l’emprise de telles passions, Et manquant de tout contrôle de soi, Cette personne agira d’une manière Qui conduira inévitablement au chagrin. 12 La personne qui a commencé A écarter l’illusion et à chercher la vérité Ne cède pas à la distraction, Même si rajas et tamas font rage à l’intérieur d’elle-même. Une telle personne reste concentrée Sur la quête de la vérité— Plutôt que de se précipiter dans la folie. 13 Ayant appris à garder une posture constante Et réalisé le contrôle de la respiration, Cette personne s’assiéra trois fois par jour Aux heures propices, A l’aube, à midi et au crépuscule.2 Calmement, elle rassemblera son esprit Et pratiquera la concentration. 14 Après avoir retiré son attention Du monde extérieur, Le chercheur la fixe sur Moi. Cette pratique du Yoga Fut enseignée par Moi A Sanaka et Mes autres dévots, Les fils spirituels de Brahma, le créateur. 15 Le fidèle Uddhava dit : Bien-aimé Keshava3, s’il Vous plaît, dites-moi, Quand avez-vous enseigné à Sanaka et à ces sages Cette science du Yoga ? J’aimerais également beaucoup la connaître. 16 Le radieux Krishna dit : Sanaka et les autres sages S’approchèrent de leur père spirituel, Brahma le créateur, 66 Et l’interrogèrent à propos du but ultime du Yoga Si difficile à atteindre. 17 Sanaka parla au nom des sages et dit : L’esprit est attiré vers ces objets Qu’il expérimente par le biais des sens. Les objets commencent alors à jouer sur l’esprit. Pour celui qui désire dépasser Ces objets éphémères et atteindre l’Illumination, Comment ce processus d’action réaction cesse-t-il ? 18 Le radieux Krishna dit : Ayant été ainsi questionné par les sages, Brahma, le créateur de toutes choses né de lui-même Réfléchit profondément au problème Qui avait comme racine L’ignorance du Soi. Mais son esprit était trop occupé Par la question de la création Pour obtenir la réponse. 19 Brahma fixa alors son esprit sur Moi Et c’est ainsi que J’apparus là Sous la forme de Hamsa, le cygne divin.4 20 Les sages s’avancèrent en Me voyant Et se prosternèrent en touchant Mes Pieds. Brahma qui les conduisait demanda : ‘’Qui êtes-vous ?’’ 21 Tous étaient avides de connaître la réponse A la question posée par Brahma. Ecoute, Uddhava, Ce que Je leur ai dit : 22 La question elle-même est ambiguë. Si la question se réfère à l’Atman5 Entier et impérissable Qui est la Présence présente partout, Comment puis-Je M’individualiser pour y répondre ? Si Je tente de répondre, Que puis-Je Distinguer de cette Présence Pour pouvoir répondre ? 23 Toutefois, si la question se réfère au corps, Puisque tous les corps—quelles que soient leurs formes— 67 Sont composés des cinq tattvas Et sont ainsi, en vérité, les mêmes, Il n’est toujours pas possible de répondre à cette question— Qui n’est que simple affectation du langage. 24 Reconnaissez cette vérité Avec une claire compréhension : Tous les sens ne perçoivent que Moi. Moi seul existe. Rien n’existe à part Moi. 25 Vous qui êtes nés à nouveau Devez savoir que l’esprit Est attiré vers les objets par le biais des sens Et qu’à leur tour ces objets influencent l’esprit. Ainsi et le corps et l’esprit Paraissent revêtir le Jiva, Mais en réalité, les deux ne sont que l’Atman non divisé. 26 Par conséquent, cessez de vous identifier avec le mental Constamment attiré vers les objets par le biais des sens Et qui s’empêtre alors dans ces objets. A la place, identifiez-vous totalement A cette Présence non divisée. 27 La veille, le rêve et le sommeil Sont des états du corps-esprit Fonctionnant sous la domination des gunas. Ce ne sont pas des états du Jiva Qui est la Conscience éternelle. 28 L’existence matérielle contrôlée par les gunas Retient l’Atman en otage. Transcendez cet esclavage En vous élevant au-dessus des trois états De veille, de rêve et de sommeil profond. Entrez dans le quatrième état, turiya, Et libérez-vous. 29 Sachant que cet esclavage Est seulement dû à l’identification erronée Au corps et à la personnalité, Abandonnez-le. Identifiez-vous à l’Atman immortel Et soyez libre. 30 Aussi longtemps que ce monde de multiplicité Est réel pour vous, Vous êtes endormis alors même que vous êtes éveillés— 68 Comme ceux qui s’imaginent être éveillés Alors qu’ils rêvent. 31 Toutes choses qui apparaissent comme multiplicité, Pas seulement sur cette terre, Mais même celles qui semblent appartenir Aux sphères célestes— Toutes sont aussi irréelles Que les objets vus par le rêveur dans un rêve. 32 Quand elle est éveillée, une personne perçoit un monde Rempli d’objets extérieurs à elle-même. Quand elle est endormie, ces objets sont perçus Comme un rêve à l’intérieur de la personne. Dans le sommeil profond, intérieur et extérieur Disparaissent tous les deux. Mais à travers tous ces états, L’Atman demeure Le témoin toujours conscient Et la continuité qui les relie. 33 Considérez ce monde comme une illusion— Une création temporaire de l’esprit, Présente aujourd’hui et disparue demain. Sous l’emprise de ces trois états de conscience Engendrés par les gunas extrêmement fluctuants, Déracinez cette idée du ‘’je’’ Avec l’épée de la sagesse Aiguisée par la dévotion Et par l’adoration des saints. 34 Voyez ce monde pour ce qu’il est : Une illusion—pas plus substantielle Qu’un cercle de feu Tracé par une torche brûlant dans l’obscurité, Une illusion colorée par les gunas Et façonnée en tant que forme. En réalité, c’est la pure Conscience unique Qui apparaît comme le multiple. 35 Retirez votre attention de ce monde Avec toutes ses apparences de formes et d’objets. Plongez-vous dans la réalité De cette béatitude intérieure éternelle. Soyez calmes et sans ambition. Alors vous ne serez pas trompés, Même si vous percevez votre corps Comme séparé et distinct, Même si cette impression 69 Persiste jusqu’à la mort. 36 Qui est établi dans le Soi, Qu’il soit assis, debout ou qu’il marche, Qu’il aille ou qu’il vienne Ne prête pas plus attention au corps Que l’ivrogne Aux vêtements qu’il porte. 37 Le corps et le prana Resteront ensemble Jusqu’à ce que sa destinée soit accomplie. Pour le yogi ayant atteint le samadhi, Tout ceci n’a pas plus d’intérêt Qu’un rêve. 38 Ô sages, Je vous ai donné les instructions Les plus secrètes du Yoga et du Samkhya. Connaissez-Moi comme Vishnu Venu ici pour enseigner le dharma. 39 Je suis le but suprême du Yoga et du Samkhya. Je suis toute la vertu et toute la vérité en pratique et en philosophie. Je suis toute la gloire et toute la splendeur. Je suis cette autodiscipline qui mène au Soi. 40 Toutes les vertus éternelles reposent et s’abritent en Moi. Tout ce qui est au-delà des gunas vit en Moi. Je suis libre de tout désir. Je suis l’ami le plus cher du Soi. 41 Leurs doutes ayant été apaisés, Sanaka et les autres sages Me vénérèrent avec une suprême dévotion Et chantèrent Mes louanges. 42 Puis sous leur regard et celui de Brahma, Je regagnai Ma propre demeure. 70 DIALOGUE 9 Krishna encourage de nouveau Uddhava à emprunter la voie de la dévotion dans le neuvième dialogue. Dans la deuxième moitié du dialogue, il délimite cette voie avec une belle et inspirante méditation qui utilise de nombreuses techniques du Yoga et le concept de l’ishta devata. Le terme ishta qui dérive de la racine sanscrite is signifie ‘’souhait’’ et devata signifie ‘’déité’’. Ainsi le sens de l’expression est ‘’déité souhaitée’’—la déité choisie qui est vénérée dans la pratique dévotionnelle. Krishna s’offre clairement comme ishta devata potentielle, bien qu’il ne dise pas que seule la forme de Krishna assumée dans cet espace et ce temps particuliers doive être utilisée. Quand Krishna se réfère à ‘’Je’’, ‘’Moi’’, et ‘’Mien’’, il veut dire quelque chose de très différent de nous. Rappelez-vous sa réponse à Brahma et aux sages, quand ils demandèrent ‘’Qui êtes-vous ?’’ La Présence divine ne peut se limiter à une forme parce qu’elle est toutes les formes. Elle ne peut être nommée parce qu’elle est tous les noms. Elle ne peut être limitée à une seule région de l’espace parce qu’elle existe partout en tous temps. Elle est la vie, et pourtant elle existait avant que la vie ne commence et elle sera encore là, même après que cet univers se soit effondré sur lui-même. De cela, Krishna—en tant qu’Avatar, en tant qu’enseignant de ces Ecritures—est parfaitement conscient. Cependant, pour pouvoir contrôler notre esprit comme ces disciplines spirituelles l’exigent, nous devons nous concentrer sur quelque chose. Puisqu’il nous est impossible de commencer à concentrer notre esprit sur toutes choses partout à la fois, nous choisissons une seule chose—l’ishta devata. Krishna fait remarquer que l’ishta devata est un moyen et non une fin en soi. C’est seulement après avoir fini d’interagir avec les multiplicités du monde que nous pouvons rencontrer l’Un. Au bout du compte, l’ishta devata doit se dissoudre pour que l’attention libre d’images voie la Réalité complète qu’auparavant elle ne percevait que comme fragments dans un reflet. C’est seulement quand l’ishta devata est un moyen et non une fin que l’idée de ‘’je’’ peut se fondre dans l’Un. Ainsi, le Yoga ne cherche pas à réunir deux entités différentes, mais une réalisation qu’il n’y a jamais eu de différence entre elles. Comme Krishna l’annonce au verset 9 :45, ‘’le feu s’unit au feu’’. Le dialogue 9 fait allusion au mantra pranava, Om. Om est le son qui est tous les sons : toutes les différences, toutes les multiplicités se sont réunies pour former le son de l’Un. Le mantra pranava (‘’à une seule syllabe’’), Om, est considéré comme le plus sacré de tous les sons. La méthode pour psalmodier Om que donne Krishna dans ce dialogue est particulièrement efficace pour faire exactement ce qu’il promet : amener le prana sous contrôle. 1 Le fidèle Uddhava demanda : 71 Les maîtres parlent de différentes voies Enumérées dans les Vedas Qui toutes mènent à l’Illumination ultime. Sont-elles toutes de valeur égale Ou y a-t-il une voie de plus grande valeur ? 2 Vous avez aussi décrit une voie Qui semble différente de toutes les autres— La voie de la dévotion. Vous paraissez dire que Détacher l’esprit du monde Et l’attacher à Vous Est la voie royale. 3 Le radieux Krishna répondit : Pendant la dernière grande dissolution de cette création, Ma parole qui donne à l’humanité une ligne de conduite Et qui fut connue comme le Veda Fut totalement perdue. Au commencement Du cycle suivant de la création, Je la donnai de nouveau à Brahma. 4 Brahma remit alors cette connaissance A Svayambhuva Manu, son fils aîné Qui la transmit aux sept grands sages Conduits par Bhrigu Muni. 5 Des fils de Brahma le créateur Emanèrent toutes les formes de la création. Parmi celles-ci, les demi-dieux et les démons, Les secrets et les humains, Les parfaits et les musiciens célestes, Les détenteurs de la sagesse Et ceux de bonne conduite morale, 6 Ainsi que tous les humains qui résident sur terre Et ceux qui résident au ciel, Les serpents et les démons-serpents, Les espèces de singes avancées Et beaucoup d’autres espèces d’êtres vivants. Toutes étaient le produit De rajas, tamas et sattva. 7 Toutes les espèces Qui peuplent cet univers, Ainsi que leurs meneurs, Apparurent avec des caractéristiques différentes 72 Et différentes tendances. Chacune selon sa nature Interpréta différemment Ma parole connue sous le nom de Veda. 8 Les gens diffèrent entre eux Par nature Ou par lignage Ou par ce qu’il leur a été enseigné. Certains sont même athées. 9 Ô Uddhava, toi le meilleur d’entre les hommes, Parce que les gens sont sous le pouvoir de maya, Ils proclament que certaines voies sont la meilleure, Selon leur propre nature et leurs activités. 10 Certains prêcheront le devoir comme la voie suprême Et d’autres les activités religieuses. Certains opteront pour la renommée et la gratification des sens, Alors que d’autres seront certains de la voie de l’autodiscipline. Certains poursuivront la paix Et d’autres la voie du pouvoir et de l’influence politique. Certains loueront une vie grandiose et opulente, Alors que d’autres se feront les apôtres du renoncement. Chaque voie aura ses propres partisans. 11 Chacune de ces voies aura Un commencement et une fin. Chacune portera les fruits Des actions y entreprises, Mais parce que chaque voie a une fin, Le résultat ne peut être que la souffrance. 12 Uddhava, Mon distingué ami, Comment celui qui est attaché aux objets De ce monde ou du suivant Peut-il connaître la béatitude De celui dont l’esprit Est fixé sur Moi, Le Soi bienheureux de tous ? 13 Pour celui qui n’a soif de rien, Qui voit toutes choses avec une vision égale, Qui est satisfait Et dont l’esprit repose Dans cette Félicité immortelle, Que peut-il y avoir de plus ? 14 Ni la demeure de Brahma, 73 Le créateur de l’univers, Ni les mondes célestes Gouvernés par Indra, Ni les pouvoirs mystiques du yogi Ne possèdent la moindre attraction Pour celui qui M’a abandonné Son esprit. 15 Mon cher Uddhava, Ni Brahma, issu de Moi, Ni Shiva, Ni Shankarshana1, Ma propre extension, Ni même la déesse de la fortune, Ni mon propre Moi en tant que déité vénérée Ne me sont aussi chers que tu l’es, Toi qui es Mon dévot. 16 Je suis toujours les pas De ceux qui Me sont dévoués, Sans désir personnel Et d’esprit égal, Car la poussière de leurs pieds Me sanctifiera. 17 Ces âmes exaltées Sans ressources et qui ne désirent pourtant rien, Bienheureuses, calmes et compatissantes envers tous Et dont l’esprit s’est fondu en Moi, Elles seules peuvent agir sans une pensée de gain— Et non les autres. 18 Même celui de Mes dévots qui n’a pas encore Maîtrisé ses sens Ne sera pas submergé par eux A cause de cette dévotion. 19 Tout comme le feu réduit le bois en cendres, La dévotion à Mon égard Brûle toutes les transgressions du passé. 20 Uddhava, ni le Yoga ni le Samkhya, Ni la piété ni les austérités Ne sont aussi élevant que la dévotion Pour le Soi. 21 Moi, le Soi des vertueux, Ne suis réalisable que par la dévotion. Une telle dévotion est le sommet d’une vie de foi. Une telle dévotion peut élever 74 Même le pire exclu de la société. 22 La piété, l’honnêteté et la compassion Auxquelles s’ajoutent l’érudition et l’austérité Ne purifieront pas un esprit Dont la dévotion est absente. 23 Par la dévotion d’un cœur adouci Qui apporte des larmes de joie, L’esprit est purifié. 24 Celui qui M’est dévoué, Qui parle de Moi d’une voix remplie d’amour, Dont le cœur déborde de compassion, Qui pleure à la pensée d’être séparé de Moi, Qui rit de savoir que Je suis en lui, Celui-là sanctifie le monde entier. 25 Comme l’or est fondu dans le feu Pour ôter les impuretés, Puis refondu Pour être remis en forme, De même l’Atman. Le premier feu est cette dévotion Connu sous le nom de Bhakti Yoga : Il enlève toutes les impuretés Et retourne le moi au Soi. 26 Tout comme l’œil peut mieux voir Après l’instillation d’un collyre, Au plus l’esprit se raffine En écoutant les récits de Ma gloire, Au plus il est capable De percevoir et de s’identifier au Soi. 27 L’esprit de celui qui pense Aux objets du monde Est attaché au monde. L’esprit de celui qui ne pense Qu’à Moi Ne se fond qu’en Moi. 28 Par conséquent, cesse de t’attarder sur les choses irréelles Qui n’ont pas plus de substance qu’un rêve, Et avec ton esprit purifié par la dévotion, Concentre-toi sur Moi. 29 Renonce à toute relation fondée sur les plaisirs sensuels Et à la compagnie des gens 75 Engagés dans ces plaisirs. Installe-toi dans un lieu retiré et plaisant, Et en restant pleinement conscient, Concentre ton esprit sur Moi. 30 L’association avec d’autres Basée uniquement sur les plaisirs sensuels Ne peut apporter que la souffrance. 31 Le fidèle Uddhava demanda : S’il Vous plaît, dites-moi, ô Bien-Aimé aux yeux de lotus, Comment devrais-je méditer ? Devrais-je employer une forme ou une image Ou devrais-je méditer sur le Soi impersonnel de tous ? Dites-moi comment fixer mon esprit sur Vous. 32 Le radieux Krishna répondit : Prends une posture confortable, Uddhava, Dans laquelle ton dos, ton cou et ta tête forment une ligne droite Sur un sol égal. Place tes mains sur tes genoux, les paumes tournées vers le haut, Et dirige ton regard vers le bas. 33 Retire ton attention des sens En prenant conscience de la respiration. D’abord, fixe ton esprit sur l’inspiration : Inspire lentement, retiens ton souffle, Puis expire lentement. Fixe ton esprit sur cette expiration : Expire lentement, marque un temps d’arrêt, Puis inspire à nouveau. 34 Laisse le prana s’élever graduellement Dans le canal étincelant de la sushumna Aussi fin qu’une tige de lotus. Lorsqu’il atteint le silence du chakra anahata, Permets à Om, le mantra pranava sacré D’y résonner—comme le tintement d’une cloche. Puis, à l’expiration, Laisse ce mantra sortir de toi. 35 Pratique en combinant ainsi la respiration Avec le mantra pranava sacré, Om. Fais ceci dix fois lors de chaque séance, Trois fois par jour. En un mois, Tu auras suffisamment de contrôle sur le prana 76 Pour entreprendre la méditation. 36 Dans la profonde caverne du cœur, Il y a un lotus en bouton dirigé vers le bas. Son centre est entouré de huit pétales Et sa tige s’élève vers le haut. 37 Durant la méditation, Visualise ce lotus se tournant vers le haut Avec ses pétales qui s’ouvrent. En son centre, vois le soleil, la lune et le feu— Existant tous l’un dans l’autre. Puis vois le Soi— Sous n’importe laquelle de Mes formes que tu choisiras.2 38 Permets seulement que la forme soit d’une beauté incomparable, Qu’elle soit bien proportionnée et symétrique, Sereine et bienveillante, Qu’elle te sourit et qu’elle te soit gracieuse. 39 Contemple bien Ma forme bien-aimée Au centre du lotus du cœur. Je serai là, Le teint d’un nuage sombre chargé de pluie, Le visage et les yeux resplendissants de grâce, La tendresse débordant de Moi, La déesse de la fortune reposant contre Ma poitrine. 40 Imagine-Moi avec des bracelets tintant aux chevilles Et des Pieds de Lotus radieux, Paré de bijoux précieux, Brillant et magnifique. 41 Laisse cette image lentement se former Et inclure toutes les parties de Mon corps. Visualise-Moi entièrement Comme étant là présent. 42 Maintiens le retrait par rapport aux objets extérieurs Et fixe ton esprit sur cette forme Au centre du lotus du cœur, En allant toujours plus loin vers l’intérieur. 43 Puis quand l’attention se dirige vers l’intérieur, En un flot ininterrompu et continu, Fixe-la sur le visage bienveillant de Ma forme uniquement Et conserve-la à cet endroit. 44 Maintiens une attention ferme. 77 Puis laisse la forme se dissiper et à sa place… Contemple le Soi de tout ce qui est. Contemple Cela qui est. Que ton être entier soit absorbé par ce Soi. Que ce Soi remplisse tout ton être. Que toute distance Entre le Soi de tout ce qui est et toi-même Disparaisse. 45 Reste ainsi— Absorbé dans le Soi, Comme le feu uni au feu. 46 Qui peut se concentrer ainsi Et atteindre la concentration requise est un yogi. Pour celui-là, La libération du monde des multiplicités Est proche, très proche. 78 DIALOGUE 10 Dans le dialogue 10, Krishna décrit les siddhis. Le terme siddhi signifie ‘’perfection’’ et fait allusion aux pouvoirs mystiques qui, dit-on, suivent une fois que la perfection a été atteinte dans certaines disciplines spirituelles et spécialement la méditation dirigée. J’ai une amie qui a vécu dans un monastère et qui a pratiqué différents types de Yoga et de méditation pendant vingt-cinq ans. Une lettre que j’ai reçue d’elle illustre très bien l’idée des ‘’résultats’’ de la méditation dirigée. Elle écrit : ‘’Bien sûr, je me demande parfois si tout cela en vaut la peine, mais alors, il y a ces moments comme la semaine dernière, quand je suis montée dans le bus et où, peut-être pour la première fois dans ma vie, tout en moi allait dans la même direction.’’ Quand nous en arrivons à cette sorte d’unité, de nouvelles possibilités voient le jour, de nouvelles capacités sont à notre disposition. Traditionnellement, celles-ci incluent les pouvoirs de voir le passé, le présent et l’avenir, le pouvoir de choisir le moment de sa mort, le pouvoir de devenir plus petit qu’un atome. Il n’est pas nécessaire ici de remettre en cause son système de croyances : nous pouvons ‘’croire’’ que de telles possibilités existent ou pas. Krishna ne paraît pas s’en inquiéter. Il les énumère simplement, car des résultats puissants appelés siddhis se manifesteront suivant le type d’ishta devata que vous choisissez. Néanmoins, comme Patanjali, il termine en déconseillant au chercheur de rechercher activement ces pouvoirs. Toute chose, dit Krishna, vient naturellement à celui qui se consacre à Brahman. Rechercher activement ou faire usage de ces pouvoirs, même s’ils viennent naturellement, agit comme une puissante entrave à la croissance spirituelle. 1 Le radieux Krishna dit : Les siddhis s’offriront Au yogi à l’esprit équilibré Qui est capable de fixer sa conscience sur Moi Et qui a les sens et le prana sous contrôle. 2 Le fidèle Uddhava demanda : Vous êtes celui qui accorde tous les siddhis. Dites-moi, je vous prie, combien sont-ils ? Quels sont-ils ? Que doit-on faire pour les acquérir ? 3 Le radieux Krishna dit : Ceux qui sont maîtres du Yoga Disent qu’il y a dix-huit siddhis en tout, Dont huit sont accordés par Moi 79 Et les dix autres dérivent naturellement Du pur guna, sattva. 4 Les dix-huit siddhis sont : Anima, devenir plus petit qu’un atome ; Mahima, devenir plus grand que le corps le plus grand ; Laghima, devenir plus léger que le corps le plus léger ; Ces trois siddhis se rapportent au corps. Les autres siddhis sont : Praptih, établir le contact avec les sens de la création ; Prakamyam shruta drishteshu, Se réjouir de tout ce qui est vu et entendu ; Ishita, diriger maya selon son voeu ; 5 Vashita, le non-attachement à l’égard des plaisirs des sens ; Kamah avashayita, jouir de la plus haute félicité. Ces huit siddhis, ô noble Uddhava, Sont les principaux siddhis et ils émanent de Moi. 6 Les siddhis restants sont : Anumi mattvam, l’absence de faim et de soif, De maladie et de souffrance, de sénescence et de mort ; Sravana darshanam, entendre et voir à distance ; Manah javah, déplacer le corps avec la rapidité de l’esprit ; Kama rupam, assumer toute forme désirée ; Parakaya pravesanam, entrer dans le corps d’un autre ; 7 Svachanda mrtyuh, mourir selon son vœu ; Sahakridanudarsanam, participer aux loisirs des dieux ; Yatha sankalpah samsiddhih, satisfaire n’importe quel vœu ou volonté ; Ajnapratihata gatih, avoir sa volonté obéie sans objection ; 8 Tri kala jnatvam, connaître le passé, le présent et le futur ; Advandvam, être non affecté par les opposés Comme le chaud et le froid, Le chagrin et la joie, la douleur et le plaisir ; Para citta abhijnata, lire les pensées des autres ; Agnyarkambuvishadinam, contrecarrer le pouvoir Du soleil, de l’eau, du feu, du poison et d’autres menaces ; Pratsihtambho aparajayah, n’être vaincu par personne. 9 Les cinq derniers siddhis décrits Proviennent spécifiquement de la concentration Développée par le Yoga. Maintenant, Je vais te dire Les siddhis spécifiques qui émanent Des différentes formes de méditation. 10 Le siddhi anima est acquis par le yogi 80 Qui médite sur Moi comme l’élément subtil Qui imprègne toute chose, partout. 11 Le siddhi mahima est acquis par le yogi Qui médite sur Moi comme le tattva suprême Qui absorbe chaque tattva : La terre, l’eau, le feu, le vent et l’espace. 12 Le siddhi laghima est acquis par le yogi Qui médite sur Moi comme cela qui donne pouvoir Aux atomes de chacun de ces Mahat Tattvas. 13 Le siddhi praptih est acquis par le yogi Qui médite sur Moi comme Cet élément qui fait naître l’idée du ‘’je’’ Chez tous les êtres. 14 Le siddhi prakamyam est acquis par le yogi Qui médite sur Moi en tant que suprême Atman, Le fil omnipénétrant de la Conscience en tous les êtres. 15 Le siddhi ishita est acquis par le yogi Qui médite sur Moi comme Vishnu, Le maître de maya en tous les êtres. 16 Le siddhi vashita est acquis par le yogi Qui médite sur Moi comme Narayana, Le quatrième et phénomène transcendant En tous les êtres. 17 Le siddhi kamah avashayita est acquis par le yogi Qui médite sur Moi comme Brahman, L’Etre infiniment vaste, Présent partout et qui pourtant transcende tout. 18 Le siddhi anumi mattvam est acquis par le yogi Qui médite sur Moi comme Svetadvipa, L’incarnation de la vertu. 19 Le siddhi sravana darshanam est acquis par le yogi Qui médite sur Moi comme le son transcendant Qui vibre à travers l’air et l’espace, 20 Et comme le soleil qui brille et l’œil qui voit Et la lumière des deux. 21 Le siddhi manah javah est acquis par le yogi Qui médite sur Moi en tant que force unifiante Du corps, du souffle et de l’esprit. 81 22 Le siddhi kama rupam est acquis par le yogi Qui médite sur Moi comme la forme Qui assume toutes les formes. 23 Le siddhi prakaya pravesanam est acquis par le yogi Qui médite sur lui-même pénétrant dans le corps d’un autre Par le passage du prana Aussi facilement qu’une abeille pénètre dans une fleur, puis quitte cette fleur. 24 Le siddhi svachanda mrtyuh est acquis par le yogi Qui a appris l’art De bloquer l’anus avec le talon Et de guider le prana du cœur Vers le siège spirituel situé au sommet de la tête, A l’endroit connu sous le nom de brahma randhrena Et qui peut ensuite diriger le prana Où il le désire. 25 Le siddhi sahakridanudarsanam est acquis par le yogi Qui s’est aligné sur Ma nature sattvique. Alors des nymphes célestes qui sont le produit de sattva Descendront de leurs royaumes paradisiaques. 26 Le samsiddhi yatha sankalpah est acquis par le yogi Qui a une foi totale en Moi Et qui sait que Ma volonté est toujours accomplie. 27 Le siddhi ajnapratihata gatih est acquis par le yogi Qui s’est fondu dans Mon Unité complète en elle-même Dans laquelle toutes choses se meuvent. 28 Le siddhi tri kala jnatvam est acquis par le yogi Qui a été purifié par la dévotion envers Moi Et qui connaît parfaitement le processus de la méditation. 29 Le siddhi advandvam est acquis par le yogi Dont l’esprit a été complètement pacifié Par les pratiques de yoga et la dévotion envers Moi. 30 Le yogi qui médite sur Moi et toute Ma gloire— Ce dévot est invincible. 31 Le sage qui Me vénère de toutes les manières Décrites ici par Moi Et qui a perfectionné La pratique yoguique de dharana, A ce sage adviendront Tous les siddhis mentionnés ici par Moi. 82 32 Pour le sage qui a maîtrisé les sens, Le souffle et le mental Et qui est capable par la méditation De s’absorber en Moi, Nul siddhi n’est impossible à acquérir. 33 Mais sache ceci, ô meilleur d’entre les hommes : Ceux qui pratiquent le meilleur Yoga Qui est de rechercher l’union avec Moi, Qui sont sages et qui veulent surmonter maya Savent que ces siddhis sont des obstacles. 34 Sache aussi que chaque siddhi qui peut s’acquérir Par une heure de naissance favorable, Des herbes secrètes et des mantras mystiques, Ne peut s’acquérir que par la dévotion envers Moi. 35 Ô Uddhava, Moi seul Suis la cause et le protecteur De tous les siddhis. Je suis le maître du Yoga, Des rites religieux et de ceux qui enseignent les Vedas. 36 Je suis ce Soi suprême en tous Et hors tous : Pour toutes les créatures, Les éléments existent—intérieurement et extérieurement— Moi seul ne suis enveloppé par rien. 83 DIALOGUE 11 Dans ce dialogue, nous trouvons un Uddhava tout neuf. Comme tout chercheur spirituel, il est passé par une transformation. Uddhava commença par supplier Krishna de ne pas le laisser en arrière—un acte simple d’adoration qui manquait de foi dans sa propre mission dans la vie. Dans le onzième dialogue, il accepte sa mission, son dharma. Chaque fois que je lis ces dialogues et que je suis témoin du progrès d’Uddhava—qui représente le progrès de chacun sur la voie spirituelle—je réalise à quel point cette progression est inévitable. Peu importent nos tendances, nous commençons par désirer nous rapprocher d’un Divin que nous percevons comme existant à l’extérieur de nous-mêmes. Ensuite, au fur et à mesure que ce désir commence à donner forme à nos vies, nous voyons le Divin reflété en nous-mêmes et dans toute existence matérielle. Savourons le triomphe de ce dialogue, puisqu’il nous permet de commencer à voir le Divin à l’aide d’un esprit humain, bien qu’au travers du voile des perceptions de l’esprit. En contemplant les formes du Divin énumérées par Krishna, l’esprit peut progresser vers une plus grande compréhension de la réalité du monde. Krishna nous permet de ‘’voir’’ le Divin incarné par l’intermédiaire de nos sens physiques—ainsi les étoiles, les planètes, les créatures de la terre et de la mer, etc. Puisque Krishna rend le Divin palpable pour nous par l’intermédiaire des splendeurs du monde, la qualité de notre expérience du monde doit changer. Nous devons toutefois avancer avec précaution. De même qu’aucun scientifique, peu importe son équipement technologique, ne s’attend à ‘’voir’’ une unité théorique de matière tel un quark ou un trou noir, nous ne ‘’verrons’’ pas Brahman—la Réalité—avant d’avoir dépassé les limites de la perception individuelle. Il n’y a rien que nous ne puissions ajouter à nousmême pour mieux percevoir le Divin. Tout ce que nous pouvons faire, c’est regarder autour de nous et nous rappeler ce qu’a dit Krishna—que tout ceci est le Soi. Alors, au fur et à mesure que nous continuerons d’avancer sur la voie spirituelle, nous serons débarrassés de tout ce qui nous empêche de faire l’expérience directe de cette Présence. 1 Le fidèle Uddhava dit : Bien-Aimé, Vous êtes Le commencement, le milieu et la fin. Vous êtes le Suprême Non troublé et non affecté par maya. 2 Vous êtes le grand et le petit, Le vivant et le non vivant— Cela que ceux Qui ne se consacrent pas au Soi 84 Ne peuvent comprendre, Et Cela que ceux Qui se dévouent à la recherche de la vérité Peuvent arriver à connaître. 3 Bien-aimé, je Vous en prie, dites-moi Toutes les formes et tous les moyens par lesquels le sage Peut Vous contempler. 4 Origine de l’univers, Comme Soi, Vous êtes caché en tous. Nous ne sommes pas conscients de Vous, Et pourtant, Vous êtes conscient de nous. 5 Parlez-moi de toutes Vos manifestations : Comment Vous êtes apparu parmi nous, Investi de la gloire divine— Sur terre, dans les royaumes célestes Et dans les sombres enfers. Dites-le-moi, moi qui me prosterne devant Vos Pieds de Lotus, Le sanctuaire de tous. 6 Le radieux Krishna dit : Tes questions témoignent de ta perspicacité, mon ami. Tu me rappelles cet autre ami très cher, Arjuna, Sur le champ de bataille de Kurukshetra.1 Juste avant que la bataille ne commence, Lui aussi Me posa cette question. 7 Il fut pris dans une guerre terrible A laquelle il ne voulait pas participer Car il ressentait que tuer ses proches, parents et amis Pour gagner un royaume N’était pas juste. L’erreur dans son raisonnement était celle-ci : ‘’Moi, Arjuna, je serai le meurtrier de mes proches, Et alors ils seront tous morts.’’ 8 Je pus inspirer Arjuna, Ce guerrier d’entre tous les guerriers En lui montrant le défaut dans son raisonnement : 9 C’est moi le Soi de tous Qui dispose de la vie, Tout en les chérissant tous. Bien-aimé Uddhava, Je suis tout ce qui est. 85 10 Je suis ce que toi Et tous les chercheurs cherchez. Je suis le mouvement dans ce qui bouge. Parmi les conquérants, Je suis le temps. Dans les gunas, Je suis le parfait équilibre. Dans le bon, Je suis la vertu. 11 Dans tout ce qui est manifesté, Je suis le premier. Je suis aussi Tout ce qui est non manifesté. Je suis le plus évident Et Je suis le plus subtil. Parmi les choses difficiles à conquérir, Je suis le mental. 12 Je suis Hiranyagarbah,2 le resplendissant, Duquel naquit Brahma pour enseigner les Ecritures. Parmi les mantras, Je suis le pranava mantra, Om. Des lettres de l’alphabet, Je suis ‘’a’’,3 le commencement. Parmi les chants sacrés, Je suis la Gayatri.4 13 Parmi les dieux, Je suis Indra. Parmi les déités des huit sphères, Je suis Agni.5 Parmi les législateurs, Je suis Vishnu. Parmi les destructeurs, Je suis Shiva à la gorge bleue. 14 Parmi les grands voyants, Je suis Bhrigu.6 Parmi les voyants royaux, Je suis Manu. Parmi les voyants divins, Je suis Narada. Parmi les vaches sacrées, Je suis Kamadhenu, La vache qui exauce tous les souhaits. 15 Parmi les parfaits, Je suis Kapila.7 Parmi les oiseaux, Je suis l’aigle divin, Garuda. Dans la genèse de l’humanité, Je suis Daksha. Parmi les ancêtres sanctifiés, Je suis Aryama. 16 Ô Uddhava, parmi les anti-dieux, Je suis Prahlada, roi des rois. Parmi ceux qui adorent Le fini et le démoniaque, Je suis Kubera, la richesse. Pour les étoiles et les herbes, Je suis la lune. 17 Parmi les éléphants majestueux, Je suis Airavata,8, l’éléphant d’Indra. Parmi les habitants des océans, 86 Je suis Varuna, le Seigneur des mers. Parmi les objets brillants, Je suis le soleil. Parmi les humains, Je suis le souverain. 18 Parmi les chevaux, Je suis le cheval d’Indra. Parmi les métaux, Je suis l’or pur. Parmi ceux qui président la mort, Je suis Yama,9 Seigneur de la mort. Parmi les serpents, Je suis Vasuki, leur chef. 19 Parmi les serpents divins, Je suis Anantadeva, leur dieu. Parmi les bêtes aux crocs acérés, Je suis le lion. Parmi les stades de la vie, Je suis sannyasa, Le stade final du renoncement. Parmi les occupations sociales, Je suis brahmane, Enseignant et prêtre. 20 Parmi les fleuves sacrés, Je suis le Gange. Parmi les grandes étendues d’eau, Je suis l’océan. Parmi les armes, Je suis l’arc. Parmi les guerriers, Je suis Shiva. 21 Des Himalayas, Je suis le Mont Meru,10 Le plus élevé et le plus difficile à atteindre. Parmi les arbres, Je suis le banyan sacré. Parmi les céréales, Je suis l’orge. 22 Parmi les prêtres, Je suis Vashishta,11 Premier d’entre les prêtres. Parmi ceux qui sont dévoués aux Vedas, Je suis le plus dévoué, Brihaspati. Parmi les généraux, Je suis Kartikaya, le plus brillant de tous. Parmi les grands enseignants de bien, Je suis Brahma. 23 De tous les rites sacrificiels, Je suis la récitation quotidienne des Vedas. Parmi les vœux, Je suis le vœu de non-violence. Parmi ce qui purifie, Je suis le vent, le feu, le soleil, l’eau et la parole. 24 Parmi les huit branches du Yoga, Je suis le samadhi, stade final de libération. Je suis l’astuce politique chez ceux qui recherchent la victoire. 87 Parmi les sciences, Je suis cette science Par laquelle la matière et l’esprit peuvent être distingués. Parmi les théologiens, Je suis la foi. 25 Parmi les femmes, Je suis Satarupa,12 Aux formes innombrables. Parmi les hommes, Je suis son époux, Svayambhuva, né de lui-même. Parmi les sages, Je suis Narayana. Parmi les célibataires, Je suis le célibataire suprême, Sanatkumara. 26 Des vertus religieuses, Je suis le renoncement. Parmi les sources de protection et de bien-être, Je suis la méditation sur le Soi infini. Dans le mystérieux, Je suis le merveilleux silence. Parmi les couples, je suis Brahma— Le premier né, né de lui-même Qui devint homme et femme. 27 Dans le rythme du temps, Je suis l’année qui revient toujours. Des saisons, Je suis le printemps. Des mois, Je suis le plus plaisant, Margashirsha.13 Des constellations, je suis la plus auspicieuse, Abhijit. 28 Des quatre âges, Je suis le Sathya Yuga— L’âge de la vérité. Parmi les maîtres d’eux-mêmes, Je suis les sages Asita et Devala. Parmi les compilateurs des Vedas, Je suis Dvaipayana. Parmi les sages, Je suis l’incomparable Shukra. 29 Parmi les rayonnants, Je suis Vasudeva.14. Parmi les dévots, Je suis toi, ô Uddhava. Des mi-divins, Je suis Hanuman. Des détenteurs de la sagesse, Je suis Sudarshana. 30 Parmi les pierres précieuses, 88 Je suis le rubis. Parmi les belles choses, Je suis le lotus. De toutes les herbes, Je suis l’herbe sacrée kusha.15 De toutes les offrandes Jetées dans le feu sacrificiel, Je suis le beurre clarifié. 31 Chez ceux qui entreprennent, Je suis la richesse. Chez les fraudeurs, Je suis le joueur. Chez les tolérants, Je suis l’indulgence. Chez les gens de bien, Je suis la bonté. 32 Parmi les forts, Je suis la force physique Et la force mentale. Je suis la pratique dévotionnelle Du fidèle. Des neuf formes vénérées, Je suis la première, Vasudeva. 33 Des chanteurs célestes, Je suis Vishvavasu. Des nymphes célestes, Je suis Purvachitti. Je suis la stabilité des montagnes Et le parfum de la terre. 34 De l’eau, Je suis la douceur. Parmi les glorieux, Je suis le soleil. Je suis la lumière du soleil, de la lune et des étoiles. Je suis le son transcendant de l’espace. 35 Parmi ceux qui vénèrent les brahmanes, Je suis Bali Qui donna la souveraineté Du ciel, de la terre et de son propre corps A celui qu’il pensait être un brahmane. Parmi les vaillants, Je suis Arjuna. Je suis la genèse, l’existence et la dissolution De tout ce qui fut jamais créé. 36 Dans le vivant, Je suis le mouvement, La parole, l’excrétion, la préhension, Le plaisir, le toucher et la vue, 89 Le goût, l’audition et l’odorat. Je suis le pouvoir Par lequel Les sens jouissent Des objets de ce monde. 37 Je suis le Soi suprême du vivant. Je suis l’ahamkara, l’idée du ‘’je’’ Et Je suis le Je transcendant. Je suis les éléments de la création Et Je suis le champ de la Conscience. Je suis tout ce que J’ai déclaré être. Ceux dont l’esprit est stable Connaissent la vérité de ceci Et savent que Je suis cette vérité. 38 Comme Soi suprême, Je suis le Jiva du vivant, Et le Soi qui transcende le vivant. Rien n’existe qui n’est pas Moi. 39 Même si, au cours du temps, Je pourrais énumérer les atomes de cet univers, Ma gloire ne sera jamais énumérée, Car elle se manifeste à travers des univers sans nombre. 40 Là où tu trouves pouvoir, beauté ou renommée, Grandeur, humilité ou renoncement, Plaisir, richesse ou force, Indulgence ou connaissance spirituelle, Sache que ce sont des manifestations de Moi-même. 41 Uddhava, Je viens de te parler Des formes dans lesquelles tu peux Me trouver. Comprends, cher ami, que ce sont des formes Perçues par l’esprit Selon son raffinement. 42 Maîtrise ton langage et Discipline ton mental. Apprends à contrôler ta vitalité, Régule tes sens Et affine ton intellect. Ainsi, tu ne subiras plus jamais Le cycle de la naissance, de la mort et de la renaissance. 43 Pour le renonçant Qui n’a pas maîtrisé sa langue ni son esprit Par le pouvoir de la volonté, 90 Toutes ses austérités, ses vœux et ses œuvres charitables Tourneront à néant— Comme l’eau qui s’écoule D’un pot qui n’a pas été cuit Laisse le récipient vide. 44 Fixe ta conscience sur Moi. Abandonne-Moi ton mental, ta langue et ton prana. Alors, tu parviendras au but. 91 DIALOGUE 12 Le dialogue 12 adopte une nouvelle approche. Dans les dialogues précédents, Krishna a insisté sur la nécessité du renoncement. Uddhava demande maintenant ce que peuvent faire ceux qui ne vivent pas comme des renonçants. En réponse, Krishna décrit comment l’ancien système varnashrama qui comprend les castes et les différents stades de la vie permettait aux individus de vivre collectivement en harmonie—et dans l’esprit du renoncement. L’une des tragédies de la vie moderne et l’une des crises à laquelle le citadin doit faire face est l’absence de but chez l’individu. A chaque coin de rue monte le cri ‘’Que devrais-je faire de ma vie ?’’ L’un de mes professeurs, Swami Agnivesh, fondateur du Bonded Labour Liberation Front pense que les castes devraient être vues comme le moyen pour un individu de servir la société. Il dit que le travail du brahmane devrait être de combattre l’ignorance, que le travail du kshatriya devrait être de combattre l’injustice et que le travail du vaishya devrait être de combattre la pauvreté. Les sociétés ont toujours recherché des manières de vivre ensemble qui permettent aux individus d’exprimer leurs forces tout en les protégeant de leurs faiblesses. Cependant, Swami Agnivesh est contre la manière dont le système varnashrama est couramment pratiqué, où la caste est transmise par la naissance et est utilisée comme un justificatif religieux et culturel pour un avantage social et l’exploitation économique. Nous devrions plutôt parvenir à nous connaître suffisamment bien pour comprendre notre but dans la vie, dit-il, bien que ceci dépende du fait que chaque enfant reçoive l’éducation qui lui permette de pratiquer cette sorte d’auto-analyse. Après avoir reçu une telle éducation, si la jeune personne n’a toujours pas décidé quoi faire, il ou elle devrait être mis(e) en apprentissage chez quelqu’un de caste jusqu’à ce qu’il/elle découvre sa propre mission dans la vie. La caste shudra serait cet apprentissage. La vision du système varnashrama de Swami Agnivesh reflète parfaitement l’enseignement de Krishna dans le dialogue 12. 1 Le fidèle Uddhava dit : Vous nous avez donnés à tous, Quelle que soit notre place Dans le système varnashrama,1 Le moyen de soutenir les principes spirituels Par le service dévotionnel à Votre égard. 2 A présent, dites-moi, je Vous prie, Ô prince aux yeux de lotus, Comment nous pouvons satisfaire à cette dévotion En exécutant nos propres devoirs attribués Selon l’ordre social. 92 3 Ô Tout-Puissant, Sous la forme d’un cygne divin, Vous avez donné à Brahma et aux sages Un enseignement auspicieux Qui apporta le bonheur à tous. 4 A présent, Bien-Aimé, Cet enseignement que Vous avez donné A été perdu pour ce monde mortel. Je Vous en prie, enseignez-le-nous à nouveau. 5 Ô Maître des maîtres, Vous pavez et vous protégez La voie spirituelle. Pas même à la cour de Brahma, Où toutes les sciences sont pratiquées Nous ne trouverons un tel maître. 6 Ô destructeur du démon Madhu,2 Vous êtes le créateur, le protecteur Et l’enseignant suprême de la voie spirituelle Appelée dharma. Quand Vous aurez quitté cette terre, Qui sera là pour nous enseigner ? 7 Par conséquent, très saint Bien-Aimé, Vous qui connaissez le dharma Dans toutes ses complexités, Enseignez-nous. Faites-nous savoir qui peut le pratiquer Et comment il peut être pratiqué. 8 Le bienheureux Shuka reprit : Krishna, le Très-Haut Fut très satisfait Des questions Posées par Uddhava. Il lui enseigna alors L’enseignement consacré par l’usage Destiné à tous. 9 Le radieux Krishna dit : Ta question, mon cher ami, Est une bonne question. Apprends de Moi comment chaque personne, Chacune observant son propre devoir Et suivant le système varnashrama 93 Peut promouvoir le plus haut bien pour tous. 10 Dans le tout premier Âge De ce cycle de la création, Il n’y avait qu’une seule caste Connue comme la caste hamsa A laquelle appartenaient tous les gens. Vertueux de naissance, Chacun disposait de tout ce dont il avait besoin Et ainsi, on l’appela Krita Yuga Ou l’Age de l’accomplissement. 11 Dans ce Krita Yuga, Le mantra pranava, Om Etait la seule Ecriture Et le dharma était aussi ferme Qu’un taureau qui repose Sur ses quatre pattes. Les gens de cette ère Avec une dévotion exclusive Me vénéraient, Moi, l’Immaculé. 12 Bienheureux Uddhava, Au cours de l’âge suivant Connu sous le nom de Treta Yuga— L’Age du Trois— Car ce dharma, le taureau, Ne tenait plus que sur trois pattes, Les Ecritures appelées Vedas Jaillirent de Mon cœur Portées par mon souffle. Elles devinrent les Rig, Sama et Yajur Veda, Ainsi que les prêtres Qui accomplissent le rituel du sacrifice. 13 Du corps cosmique du Suprême Provinrent toutes personnes : Celles prédisposées à l’étude spirituelle, Les prêtres qui devaient être appelés brahmanes, Sortirent de la bouche du Suprême. Celles prêtes à défendre la justice et la vérité, Les princes et les rois Qui devaient être appelées kshatriyas, Sortirent des bras du Suprême. Celles qui pouvaient apporter la prospérité et le confort, Les marchands et les fermiers Qui devaient être appelés vaishyas, Sortirent des jambes du Suprême. 94 Celles qui ne souhaitaient que servir l’humanité, Les serviteurs et les laboureurs Qui devaient être appelés shudras, Sortirent des pieds du Suprême. 14 Les étudiants qui mèneraient la vie de célibat Consacrée à l’étude Connue comme le stade brahmacharya de la vie, Sortirent du cœur du Suprême. Ceux qui mèneraient la vie De ménage, de mariage et d’enfants Connue comme grihastha, Sortirent des reins du Suprême. Les religieux reclus des forêts Qui vivraient le stade vanaprastha de la vie, Sortirent de la poitrine du Suprême. Ceux qui renonceraient à tout Et se retireraient pour une vie de contemplation Connue comme sannyasa, Sortirent du sommet de la tête du Suprême. 15 Les tendances des différentes castes Et des différents stades de la vie, Toutes émanèrent des différentes régions Du corps cosmique du Suprême. 16 Laisse-Moi te dire quelles sont les tendances D’un brahmane : Avoir la maîtrise du mental et des sens, Etre capable de méditer, Pratiquer la pureté, le contentement, La compassion et la vérité, Etre indulgent, simple et direct, Se consacrer au Suprême. Voilà toutes les caractéristiques De celui qui devrait être appelé brahmane. 17 Laisse-Moi te dire quelles sont les tendances D’un kshatriya : Avoir de la force Physique et spirituelle, Etre courageux et tolérant, Généreux et solide, Capable de diriger et capable de servir. Voilà les caractéristiques De celui qui devrait être appelé kshatriya. 18 Laisse-Moi te dire quelles sont les tendances D’un vaishya : 95 Avoir foi dans les Ecritures Et dans l’enseignement du guru, Etre sans tromperie, Et ne jamais se lasser d’accroître La richesse dont il est gardien. Voilà les caractéristiques De celui qui devrait être appelé vaishya. 19 Laisse-Moi te dire quelles sont les tendances D’un shudra : Un désir candide de veiller aux besoins De l’initié Et de soigner les vaches sacrées Qui fournissent le lait utilisé pour les offrandes Faites en sacrifice et offert comme aliment, Vénérer les dieux et le guru, Et le contentement avec Ce qui a été obtenu d’un tel service. Voilà les caractéristiques De celui qui devrait être appelé shudra. 20 Ceux qui vivent en dehors d’une caste Auront tendance à manquer de foi. Ils deviendront malhonnêtes dans leurs relations— Volant et se querellant sans nécessité. L’impureté, la colère et le désir Seront les caractéristiques De ceux qui sont en dehors du système varnashrama. 21 La non-violence, la vérité et l’honnêteté, L’immunité contre le désir, la colère et l’avidité, Toujours chercher le bonheur Et le bien-être de tous— Telles sont les caractéristiques De ceux qui sont à l’intérieur du système varnashrama. 22 Ceux qui répondent à l’injonction D’entrer dans la maison du guru3 Pour y étudier avec application les Ecritures Et qui subissent les rites d’initiation Par lesquels ils naissent à nouveau Sont appelés les deux fois nés. 23 Un tel brahmacharin qui étudie avec le guru Ne devrait porter qu’une ceinture d’herbe Et une peau de cerf. Sans la moindre attention pour la vanité personnelle, Le brahmachari devrait porter Un mala de perles rudraksha4 96 Et éviter le luxe. 24 Le brahmacharin doit s’abstenir De toute coquetterie personnelle Et toujours rester silencieux En se baignant, en mangeant, en éliminant, En participant aux rituels Ou en répétant son mantra. 25 Le brahmacharin devrait observer Le vœu du plus strict célibat. Si ce vœu est brisé, Même en rêve, Le brahmacharin devrait se baigner, Pratiquer le pranayama pour retrouver le contrôle du prana Et s’absorber Dans la répétition du mantra de la Gayatri. 26 Après cette purification, et l’esprit stabilisé, Au lever et coucher du soleil, Le brahmacharin devrait rendre un culte Au feu, au soleil, au guru, Aux aînés, aux vaches et aux dieux. Puis le mantra personnel Devrait être silencieusement répété. 27 Le brahmacharin devrait savoir Que le guru est le Soi suprême— Et est à considérer non pas Comme un mortel, Mais comme un représentant Et une incarnation de tous les dieux. 28 Matin et soir, C’est le devoir du brahmacharin D’apporter au guru La nourriture et les autres articles offerts Et de ne manger que ce que le guru donne. 29 A tout moment, L’attitude du brahmacharin Doit être de servir le guru avec humilité : Quand le guru part en promenade, Le brahmacharin devrait marcher derrière. Quand le guru s’assied, Le brahmacharin devrait s’asseoir tout près, Les mains jointes. 30 Après avoir fait siennes ces pratiques, 97 Le brahmacharin devrait rester Dans la maison du guru Jusqu’à ce que l’étude des Ecritures Soit complétée. 31 Le brahmacharin qui souhaite Connaître complètement le Soi Et les Vedas sacrés Devrait demeurer auprès du guru, Et en poursuivant toutes les observances Qui seyent à un brahmacharin, S’abandonner au guru. 32 Habilité par l’étude Et abandonnant tout concept de dualité, Le brahmacharin devrait vénérer le Soi Dans le guru, Dans le feu rituel— Et dans toute la création. 33 Ceux qui ont choisi La vie de brahmacharya ou de sannyasa Devraient éviter tout contact sexuel Et toutes activités sexuellement suggestives. 34 Conserver la pureté et la propreté En se baignant avant de prier A l’aube, à midi et au crépuscule, Boire quelques gorgées d’eau avant les rites religieux, Vénérer le Soi suprême, Faire des pèlerinages sacrés, Chanter les noms du Suprême, Eviter ce qu’il ne faut pas toucher ni manger, Contrôler son langage, Garder tout le temps à l’esprit Le Soi suprême de tous— 35 Cher Uddhava, voici les règles Que doit suivre celui qui a choisi la vie De sannyasa ou de brahmacharya. 36 C’est ainsi que le brahmacharin Qui vit une telle vie De simplicité, de pureté et de célibat Devient comme un feu flamboyant Qui réduit en cendres tous les désirs Et toutes les tendances du passé. Libre du désir, Le brahmacharin connaîtra le Soi. 98 37 Cependant, après avoir achevé L’étude des Ecritures chez son guru, Le brahmacharin qui souhaite retourner à la vie de famille Devrait présenter une offrande appropriée au guru, Se baigner et se vêtir comme il sied. Puis, prenant congé du guru Au moment fixé, Le brahmacharin pourra s’en aller. 38 Ainsi l’initié deux fois né Peut à nouveau entrer dans la vie de famille, Devenir un anachorète Vivant dans la forêt Ou renoncer au monde Et devenir un sannyasin. Procéder d’un stade de la vie à l’autre Dans cet ordre— Mais jamais à rebours— Est le chemin véritable du système varnashrama. Quelle que soit la vie choisie, L’initié deux fois né Devrait toujours se rappeler le Soi. 39 Si en quittant l’ermitage du guru, C’est la vie de famille qui est souhaitée, Alors le deux fois né devrait rechercher Une partenaire de bon caractère Et d’âge approprié Qui possède des caractéristiques similaires. Si celle qui est choisie possède des caractéristiques différentes Et provient dès lors d’une caste différente, Les règles pour un tel mariage Devraient être respectées. 40 L’accomplissement d’offrandes rituelles, L’étude des Ecritures Et la pratique de la charité Sont les devoirs de tous les deux fois nés. Enseigner les Ecritures, Officier lors des rituels Et l’acceptation de dons Pour ce service Sont les devoirs du brahmane. 41 Le brahmane qui estime Nuisible pour l’austérité, L’indépendance et la réputation L’acceptation de dons Pour avoir officié lors de rites sacrificiels 99 Ne devrait prendre que le grain Que le fermier a laissé tomber sur le sol. 42 Le corps d’un brahmane N’est pas fait pour les plaisirs temporaires, Mais pour les austérités et Une poursuite incessante de la Vérité Qui le mèneront à la Félicité ultime. 43 Le brahmane qui vit chez lui, Qui ne mange Que ce qui a été laissé Par le fermier et le marchand, Et dont l’esprit est toujours fixé Sur le Soi suprême Atteint la libération finale. 44 Comme un bateau sur l’océan Secourt ceux qui se noient, Je soulèverai de cet océan de souffrance Quiconque secourt un brahmane Ou un fidèle. 45 Tout comme le chef des éléphants Se défend vigoureusement et défend son troupeau, Le roi kshatriya doit se protéger et se défendre Lui-même ainsi que tous ses sujets. 46 Un tel roi Supprimera de son royaume Tout ce qui est de mauvais présage Et à sa mort, ce roi montera Chez Indra, le roi des dieux, Dans un char aussi brillant que le soleil. 47 Un brahmane qui tombe en période difficile Et qui ne parvient pas à subvenir à ses besoins Par les moyens traditionnels Peut adopter la vie d’un vaishya Ou d’un kshatriya, Mais jamais il ne devrait prendre un emploi Qui causerait la perte de son indépendance. 48 Un kshatriya dans l’adversité Peut prendre l’occupation d’un vaishya, Devenir chasseur Ou professeur, Mais jamais il ne devrait prendre un emploi Qui provoquerait 100 La perte de son indépendance. 49 Un vaishya aux prises avec de grosses difficultés Peut adopter la vie d’un shudra Ou celle d’un artisan. Lorsque la mauvaise période est passée, Chacun devrait reprendre Le mode de vie en accord Avec ses propres caractéristiques. 50 Celui qui a choisi la vie de chef de famille— Ou grihastha— Devrait quotidiennement étudier les textes sacrés Et offrir aux ancêtres le mantra Svadha, Et aux demi-dieux le mantra Svaha. L’adoration quotidienne de tous les êtres devrait être pratiquée En offrant eau et nourriture. Le chef de famille doit aussi toujours se rappeler Le Soi qui réside en tous les êtres— Du rishi aux gens ordinaires et aux bêtes. Ces cinq pratiques sont les devoirs de ce stade de la vie. 51 Les gens qui appartiennent au stade grihastha de la vie Devraient subvenir aux besoins de ceux qui sont à leur charge Avec de l’argent issu de leur bonne fortune Ou gagné par un travail honnête. Suivant leurs moyens, Ils devraient célébrer des cérémonies religieuses ou des rites. 52 Aucun chef de famille ne devrait s’attacher à la famille à tel point Que le Soi est oublié Ou relégué à la seconde place. Le sage chef de famille devrait toujours se rappeler De s’accrocher à ce qui est impérissable Et de se détacher de ce qui est périssable. 53 Rappelez-vous toujours que les associations Avec parents, épouse, enfants et amis Sont comme les rencontres fortuites des voyageurs— Brèves et seulement pour la durée de cette vie. A la fin de chaque vie, ces relations cessent— Tout comme un rêve cesse lors du réveil. 54 En préservant une telle conscience, Le chef de famille peut vivre sans se laisser piéger Par les idées de ‘’je’’ et de ‘’mien’’— Même en accomplissant les devoirs requis. 55 Un dévot qui a ainsi 101 Vénéré le Soi par l’intermédiaire de ses devoirs de chef de famille Pourra le temps échéant Et quand tous ses devoirs auront été remplis Se retirer dans la forêt pour y vivre la vie d’ermite. Ou si des enfants ont été issus, Le chef de famille pourra tout laisser Et entamer la vie de sannyasin. 56 Mais le chef de famille qui s’attache A la propriété, aux enfants et aux richesses, Qui vit en suivant les ordres de son épouse Et qui est confus quant à leur véritable identité Est facilement esclave des idées de ‘’je’’ et de ‘’mien’’. 57 Une telle personne aura toujours tendance A trouver des raisons pour oublier le Soi Et ne pas passer au stade suivant de la vie. ‘’Oh’’, diront-ils, ‘’Mes parents sont toujours en vie, Ma partenaire ne pourra pas s’en sortir, Mes enfants ne pourront pas vivre sans moi.’’ 58 L’esprit confus, Une telle personne sera continuellement distraite Par des pensées stupides de ‘’je’’ et de ‘’mien’’, Et à sa mort rencontrera de grandes ténèbres. 102 DIALOGUE 13 Mon guru, Swami Venkatesananda, exhortait toujours les gens à ne pas se laisser catégoriser et à n’utiliser des systèmes que dans la mesure où ils nous permettent de tirer le meilleur de nous-mêmes. Krishna insiste sur le fait qu’en fin de compte, quel que soit le système utilisé, nous ne sommes pas les gens que nous pensons être, mais le Soi éternel et immortel. Dans le dialogue 13, Krishna développe les deux derniers stades de la vie, ceux de l’anachorète et du renonçant. Aujourd’hui, nous en sommes arrivés à ne reconnaître qu’un seul stade dans la vie—la jeunesse et ses passions. Par contraste, le système varnashrama admet que si nous avons certaines possibilités dans la jeunesse, d’autres possibilités se présentent lorsque nous arrivons à l’âge adulte. Lorsque les enfants ont grandi et que notre mission dans le monde est accomplie, des opportunités entièrement nouvelles se présentent. Une fois que nos enfants sont indépendants (généralement beaucoup plus tôt que la plupart d’entre nous qui sommes parents ne veulent bien l’admettre), nous faisons face à un futur qui n’est pas tourné vers le début d’une vie, mais vers sa fin. Nous devons devenir courageux et accepter la vérité : l’échéance de la mort est beaucoup plus proche. Ce courage nous permet d’examiner la vie et la mort de plus près. Jusqu’à présent, nous nous sommes tenus sur la terre ferme de la vie, en jetant de temps à autre un filet pour découvrir ce qu’il y avait au-delà. Mais à présent, nous prenons la mer—nous voyageons avec la mort, et ce faisant, nous découvrons la vie éternelle audelà de ce cycle interminable de naissances, de morts et de renaissances. Nous ne prenons pas la mer seuls. Dans cet enseignement, Krishna est le taraka, le navigateur qui vient de la rive opposée pour nous aider à traverser. 1 Le radieux Krishna poursuivit : Lorsqu’on a rempli les devoirs de grihastha Et qu’on désire en être dessaisi, On peut laisser l’épouse Aux soins des enfants du mariage, Ou on peut emmener l’épouse Et se retirer dans la forêt Pour se consacrer Au troisième stade de la vie, Le stade appelé vanaprashta. 2 Une fois retiré dans la forêt, On ne devrait vivre que des aliments les plus purs— Comme les bulbes sauvages, les racines et les fruits. On ne devrait se vêtir Que d’écorce, d’une simple étoffe ou d’une peau d’animal Et dormir sur un lit de paille ou d’herbe. 103 3 On devrait y abandonner toute vanité Et permettre aux cheveux et aux poils de pousser sur la tête et sur le corps. Le corps devrait être plongé dans l’eau trois fois par jour, Sans égard pour une propreté sociale. 4 L’anachorète devrait s’asseoir Au milieu de cinq feux dans la chaleur estivale,1 Et sous la pluie battante Ou se plonger dans l’eau glacée dans la froidure de l’hiver. Telles sont les austérités requises. 5 L’anachorète devrait manger les aliments Cuits au-dessus d’une flamme ou parvenus à maturité naturellement. Les aliments durs peuvent être pilés avec un pilon et un mortier Ou contre une pierre ou même avec les dents. 6 Après avoir pris conscience de l’endroit et de la période De la croissance des choses Ainsi que de sa capacité personnelle à digérer, L’anachorète devrait rechercher de la nourriture Uniquement quand cela est nécessaire— Et ne pas manger ce qui a été stocké. 7 Tous les rites sacrificiels de saison Devraient être accomplis au moment approprié Avec des grains sauvages. Un anachorète ne devrait jamais Sacrifier un animal, Même si les Vedas l’y enjoignent. 8 Les Vedas ordonnent à l’anachorète D’accomplir tous ces rituels Accomplis par le chef de famille, Dont l’Agnihotra.2 Les rituels de la nouvelle lune et de la pleine lune Ainsi que les rituels des saisons Devraient donc tous être accomplis. 9 Le corps émacié Par ces austérités, L’anachorète parviendra Au royaume supérieur des rishis Et de là Sera conduit au Soi suprême. 10 Uddhava, il n’y a pas plus stupide Que celui qui s’engage dans toutes ces austérités Pour n’obtenir que la réalisation d’ambitions passagères. 11 Quand l’anachorète arrive à un âge 104 Où à cause d’infirmités Ces austérités ne peuvent plus être pratiquées, L’anachorète devrait placer Le feu sacrificiel au centre de son cœur Et entrer mentalement dans ce feu.3 12 L’anachorète qui A développé un dégoût Pour les royaumes célestes supérieurs Qui ne peuvent être gagnés que par l’effort Peut entrer dans le stade de la vie du sannyasa.4 13 Alors, libre de tout désir, Les rites sacrés relatifs à une telle occasion Devraient être accomplis Et tout ce qui est encore en sa possession Devrait être donné Pour entrer dans le feu du sannyasa. 14 Les dieux, pensant qu’ils Seront dépassés en excellence Par celui qui est l’auteur d’un tel renoncement Créeront des obstacles par l’intermédiaire De l’épouse et de la famille. 15 Si le sannyasin porte un vêtement Pour couvrir le corps, Il ne devrait couvrir que les reins. Aucune possession personnelle ne devrait être conservée, A part un bâton et une cruche. 16 Le sannyasin doit prendre garde à n’écraser Aucune créature en marchant, Et l’eau qu’il boit Devrait être filtrée à travers un tissu. Un sannyasin ne doit prononcer Que des paroles qui vibrent de vérité Et n’agir que selon sa conscience. 17 Le sannyasin doit contrôler sa vitalité Et éviter les bavardages inutiles et les actes intéressés. Celui qui ne peut le faire N’est pas plus un sannyasin Que le bâton qu’il tient. 18 Le sannyasin devrait mendier sa nourriture Auprès des ménages des quatre castes En évitant les maisons de ceux qui ont des habitudes répréhensibles. Le sannyasin ne doit approcher 105 Pas plus que sept maisons en tout Et se contenter De tout ce qu’il y aura reçu. 19 Puis, après s’être rendu au point d’eau du village, Le sannyasin devrait laver la nourriture collectée, En offrir des portions aux dieux Et à ceux dans le besoin. Seulement alors le sannyasin pourra Manger en silence ce qui restera. Rien ne devrait être conservé Ou mis de côté pour une prochaine fois. 20 Le sannyasin devrait parcourir la terre Libre d’attachements Et les sens sous contrôle. L’esprit calme Et la vision égale, Son seul plaisir et passe-temps Sera de rechercher le Soi. 21 Le sannyasin devrait séjourner Dans un endroit sûr mais solitaire, L’esprit concentré Sur la découverte de ce Soi Qui est le même Soi en Moi. 22 Ainsi, le sannyasin devrait s’engager Dans l’investigation de la vérité En ce qui concerne la nature de l’esclavage Et la libération du Soi. Le sannyasin doit découvrir L’esclavage des sens Et la libération dans leur contrôle. 23 Ayant acquis le contrôle total des cinq sens, Et du sixième sens, le mental, Le sage devrait mener une vie Totalement détachée des plaisirs triviaux, Plongé dans l’éternelle félicité Du Soi qui est le Soi en Moi. 24 Ne se rendant en ville, dans les villages Et sur les lieux de pèlerinage Que pour y mendier sa nourriture, Le sannyasin devrait parcourir la terre Et visiter les lieux saints, Voir ses cours d’eau et ses pics vertigineux Et s’imprégner de leur solitude profonde. 106 25 Le sannyasin peut également mendier sa nourriture Auprès des anachorètes. Ce sera la nourriture la plus pure Qui consistera en céréales ramassées dans les champs. Une telle nourriture purifiera Et calmera rapidement l’esprit. 26 Le sannyasin ne devrait pas considérer Comme réel ce monde phénoménal. L’esprit détaché de ce monde Et du suivant, Le sannyasin devrait s’abstenir de toutes activités Conçues pour obtenir un plaisir terrestre. 27 Par le biais d’une saine réflexion, Le sannyasin devrait découvrir la vérité Que le corps, le mental et la vitalité— Si jalousement considérés comme ‘’je’’ et ‘’mien’’— Ne sont que des surimpositions sur le Soi. Sachant cela, le sannyasin Ne devrait plus y penser Et s’établir uniquement dans le Soi. 28 Celui pour qui ce monde phénoménal a pâli, Qui M’est fermement dévoué Et qui ne veut rien que le Soi Devrait adopter la vie de sannyasa, Quel que soit son statut ou sa condition antérieure Et s’élever au-dessus de ces distinctions insignifiantes. 29 Ensuite, quoique possédant un esprit solide, Le sannyasin devrait être aussi spontané qu’un enfant, Bien qu’intelligent, Se comporter comme un idiot, Bien que cohérent, Parler en énigmes, Et bien qu’érudit dans les Ecritures Vivre comme quelqu’un de non cultivé. 30 Le sannyasin ne devrait pas exposer Les rituels des Vedas Ni parler contre eux. La sannyasin ne devrait pas tendre Au cynisme ou à la controverse, Ni se livrer à de vaines discussions Concernant les Ecritures. 31 Le sannyasin ne devrait pas provoquer Ni être provoqué. 107 Le sannyasin devrait supporter les injures Et ne jamais injurier ou insulter quelqu’un. Pour le corps périssable, Le sannyasin ne devrait créer aucune inimitié, Car ceci ne vaudrait guère mieux Qu’un animal en attaquant un autre. 32 Car, tout comme l’unique lune Se reflète dans de nombreux récipients Qui contiennent de l’eau, De même le seul Soi suprême Qui réside dans notre propre corps Est le même Soi qui réside dans tous les corps. 33 L’esprit égal, Le sannyasin ne devrait pas être fou de joie Quand il reçoit un peu de nourriture Ni abattu Quand il n’y en a aucune. Le sannyasin devrait demeurer satisfait Sachant que ces choses dépendent de la destinée. 34 Mais ne pense pas que cela signifie Que le sannyasin ne doive faire aucun effort Pour se procurer de la nourriture. Cette nourriture doit être recherchée, Car il est nécessaire de continuer à vivre : C’est grâce à elle qu’il peut réfléchir à la vérité Et que le sannyasin peut devenir libre. 35 Le sage acceptera Toute nourriture qui lui est offerte— Qu’elle soit bonne ou mauvaise. De même, le sage acceptera Les vêtements et le lit Qui lui sont offerts. 36 Un sage observera Toutes les règles de propreté— Non à cause des injonctions scripturaires, Mais parce que c’est le mode du Soi. 37 Un tel sage N’aura aucune perception des opposés. Si une telle perception demeure Par le pouvoir du destin personnel, Elle disparaîtra au moment de la mort Quand le sage sera uni à Moi. 108 38 Celui qui est détaché du gain dans ce monde Et qui perçoit ses tristesses concomitantes, Mais qui n’a pas reçu d’instructions Pour atteindre la libération finale Devrait se rendre chez un guru Pour recevoir l’enseignement. 39 Une telle personne devrait rester là A servir le guru Avec amour et foi Comme si le guru était le Soi, Jusqu’à ce que la Vérité soit réalisée. 40 Mais celui qui n’a pas contrôlé Les sens ni le mental, Qui est toujours attaché au monde phénoménal, Qui n’a pas éteint les désirs qui brûlent dans son cœur, Mais qui devient sannyasin Pour gagner sa vie— 41 Celui-là Qui renie le corps, Ne fait pas de sacrifices aux dieux Et qui renie le Soi— Celui-là connaîtra une vie de désespoir Dans ce monde et dans le suivant. 42 Les premiers devoirs du sannyasin Sont la non-violence et l’équanimité. Les premiers devoirs du vanaprashta Sont l’austérité et la compréhension philosophique. Les premiers devoirs du grihastha Sont le soutien de toutes les créatures vivantes Et l’accomplissement des rites sacrificiels. Le premier devoir du brahmacharin Est le service au guru. 43 Le chef de famille devrait aussi pratiquer La chasteté, excepté au moment approprié, La ténacité dans l’accomplissement des devoirs, La pureté du corps et de l’esprit, Le contentement avec ce que la vie offre Et l’amitié envers tous les êtres vivants. Vénérer le Soi devrait être la pratique de tous. 44 Quels que soient ses devoirs, Celui qui vénère le Soi seul Et qui est constant dans cette vénération— Sachant que le Soi est le Soi de tous les êtres— 109 Me connaîtra comme étant le Soi. 45 Ô Uddhava, Je suis Brahma, Le créateur de cet univers Et Je suis sa dissolution. Je suis le Soi suprême, Au-delà de la création et de la dissolution. Viens à Moi via le service aimant. 46 Ainsi, en accomplissant tes devoirs Selon tes tendances Et en étudiant les Ecritures, Tu seras purifié Et tu comprendras La suprématie du Soi. 47 Les devoirs du système varnashrama Résolument satisfaits Avec une dévotion constante au Soi Conduiront à la perfection Et au Suprême. 48 Ainsi, cher et très saint Uddhava, J’ai répondu à tes questions Et j’ai donné les moyens Par lesquels chacun Peut atteindre le Soi En remplissant son propre devoir. 110 DIALOGUE 14 Krishna débute ce dialogue en indiquant la valeur de l’expérience directe, par opposition à la simple érudition. Il continue en détaillant les pratiques qui conduisent à une telle expérience, la pratique et l’expérience étant la pierre angulaire du Yoga. Le yogi n’est pas le genre de philosophe qui ne passe son temps qu’à théoriser. Il est demandé au yogi de mettre en pratique et d’avoir une expérience personnelle basée sur cette pratique. De ce point de vue, le Yoga est la voie la plus ardue, car le sujet de l’enquête n’est pas seulement le corps-mental et sa relation avec le monde perçu, mais aussi la transcendance au-delà de ce corps-mental et du monde. C’est ceci qui fait du Yoga une science. Tout scientifique doit prouver ses théories dans le cadre pratique d’un laboratoire. Celui qui désire refaire ces expériences doit utiliser le même protocole. De la même façon, des yogis se sont depuis des siècles engagés dans des pratiques scientifiques basées sur la théorie que nous sommes plus que ce que nous percevons immédiatement—et sont arrivés à l’expérience directe (pratyaksha) de la Réalité ultime. Dans ce dialogue, Krishna décrit la cosmologie du Bhagavatham en évoquant brillamment comment ce monde de multiplicités vint à être perçu. Mais il ne cesse de nous ramener aux pratiques qui conduiront à l’expérience de l’Unité. Il indique aussi les points de référence à utiliser à cet effet. En premier lieu viennent les Ecritures védiques qui rapportent la compréhension de ceux qui ont fait l’expérience de la Réalité ultime. Puis il y a notre propre expérience. Peu importe combien nous sommes pris par ce monde des phénomènes, ce sont ces expériences fugitives, mais poignantes que nous avons tous qui nous poussent à continuer sur la voie spirituelle. La tradition érigée dans nos sociétés pour nous rappeler notre nature divine inhérente est un autre point de référence. Pour finir, il y a l’inférence, l’idée qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Etant donné ce monde des phénomènes, une source peut être inférée. Ces points de référence conduisent à certaines pratiques, certaines font partie de yama et de niyama que des lecteurs peuvent avoir précédemment rencontrés dans les célèbres Yoga Sutras de Patanjali.1 Krishna énumère douze yamas et douze niyamas alors que Patanjali en cite cinq dans chaque catégorie. 1 Le radieux Krishna poursuivit : Le sannyasin ayant appris Tout ce qui est requis Pour connaître le Soi Et pour qui une telle connaissance N’est pas une simple théorie mais une expérience directe Et qui sait que ce monde phénoménal Est une illusion, 111 Celui-là, Connu comme vidvat-sannyasin Devrait Me remettre toute cette connaissance Et toute cette expérience A Moi, l’Eternel. 2 Car Je suis le but Et le moyen, La prospérité et l’immunité Contre toute peine Pour le Jnana Yogi. Rien d’autre que Moi Ne doit inquiéter le vidvat-sannyasin. 3 Seuls ceux qui ont été purifiés Par la connaissance et par l’expérience Connaissent Ma vraie nature suprême. Vraiment, ce sont ces âmes qui sont Mon soutien Et qui sont très aimées de Moi. 4 Les austérités, les pèlerinages aux lieux saints, La répétition de prières et de mantras Et les actes généreux de charité Ne valent rien Comparé à la connaissance Obtenue par l’expérience de la réalisation du Soi. 5 Ô Uddhava, sache Que tu es prêt pour cette expérience. Une fois celle-ci obtenue, Abandonne-la-Moi— ainsi que sa connaissance— Et continue à M’adorer avec dévotion. 6 Après M’avoir adoré Dans leurs propres cœurs Et avoir sacrifié à Moi, En tant qu’Etre intérieur, Pourvoyeur de toutes bénédictions, Des sages sont venus à Moi Et ont atteint l’Absolu. 7 Mon cher Uddhava, le corps N’appartient qu’au moment présent. Lui seul est soumis Aux trois gunas Et aux cinq stades de la vie— La naissance, la croissance, l’existence, La transformation et la mort. Puisqu’il est soumis à ces choses, 112 Détache de lui ton esprit. Identifie-toi au Soi Non né et immortel de tous les êtres Qui appartient à l’éternité. 8 Le fidèle Uddhava répondit : Bien-Aimé, Vous qui êtes cet univers Et ce qui transcende cet univers, Parlez-moi, je Vous prie, De cet enseignement pur et ancien Qui avec l’absence de passion Et l’expérience transcendante Conduit à Vous. Parlez-moi également de la voie de la dévotion Que même les grands cherchent à connaître. 9 Pour celui tourmenté par la douleur Apportée par le destin, La maladie et les phénomènes naturels, Je ne vois que Vos Pieds bien-aimés comme seul refuge— Ils nous protègent et nous accordent en même temps de grandes bénédictions. 10 Ô Illustre, relevez-moi— Car je suis tombé dans l’abime De la douleur incessante : Assoiffé de plaisirs fugaces, Je gis impuissant, Mordu par le serpent du temps. Versez en moi cette sagesse Par laquelle je pourrai être sauvé. 11 Le radieux Krishna répondit : Cette question fut posée autrefois Par le roi Yudhishthira Après la grande bataille de Kurukshetra. Bhishma, le premier d’entre les justes Y répondit sur son lit de mort, Alors que chacun s’était rassemblé pour l’écouter. 12 Après la fin de cette bataille sanglante, Yudhishthira, le descendant de Bharata Fut accablé par la destruction. Ayant appris de nombreux principes religieux, Il supplia Bhishma de lui donner L’enseignement certain Par lequel la Libération pouvait être obtenue. 113 13 Cet enseignement—riche de connaissance, De détachement, de foi, de dévotion et de réalisation— Je te le confie Tel que Bhishma l’a enseigné. 14 Je confirme cette connaissance suivant laquelle Le connaissant sait que Toutes les composantes qui vont suivre Imprègnent la création entière, De Brahma jusqu’à la plus minuscule amibe Et que l’Un suprême Les pénètre toutes : Les neuf : —Prakriti, le principe créateur ; —Purusha, le Soi ; —Mahat Tattva, le champ de l’intelligence ; —Ahamkara, l’idée du ‘’je’’ ; —Les tanmatras, les cinq éléments subtils de la matière : le son, le toucher, la forme, le goût et l’odeur ; Les onze : —Les jnanendriyas, les cinq organes de perception : le nez, la langue, l’œil, la peau et l’oreille ; —Les karmendriyas, les cinq organes d’action : l’organe reproducteur, l’organe excréteur, les pieds, les mains et l’organe vocal ; —Manas, le mental ; Les cinq : —Prithvi, la terre ; —Apas, l’eau ; —Agni, le feu ; —Vayu, l’air ; —Akasha, l’espace ; Et les trois gunas : —Sattva, l’équilibre ; —Rajas, l’activité ; —Tamas, l’inertie. 15 Cette connaissance devient réalisation, Lorsqu’on ne voit plus les multiplicités Pénétrées par l’Un, Mais lorsque l’Un est expérimenté comme la seule réalité. Seule cette expérience Où la vie imprégnée par les gunas Est vue comme un jeu De venir à l’existence, De se développer, puis de se dissoudre Est l’ultime connaissance connue comme vijnana. 16 Cela seul devrait être expérimenté comme le réel Qui existait avant le commencement, 114 Qui est présent durant l’existence Et qui continuera d’être après la fin. Ce qui accompagne cette évolution de l’existence Et qui lui survit— Cela seul devrait être expérimenté comme le réel. 17 Des moyens multiples de perception Qui peuvent corroborer cette connaissance, Ces quatre-ci font le plus autorité : Les Vedas qui l’enseignent, L’expérience directe de la Réalité transcendante, La tradition qui soutient sa vérité, Et la déduction qui montre qu’un monde phénoménal Ne peut exister sans cause. Nulle part ici, une expérience De multiplicités ne peut trouver appui. Le comprenant, Le sage se détourne De l’expérience du multiple Et se tourne vers l’expérience de l’Un. 18 Le sage doit comprendre Que les récompenses du ciel Promises par les rituels religieux Sont aussi éphémères Que les plaisirs de la terre. 19 Ô Uddhava—toi qui es sans tache, Comprends que la pratique religieuse La plus favorable au succès Est la dévotion envers le Soi. Laisse-Moi t’expliquer encore une fois Comment pratiquer une telle dévotion. 20 Développe ta foi En écoutant constamment Des récits de Moi. Chante des chants de louange Et ne sois attaché qu’à Moi seul. Que toutes tes prières Soient dirigées vers Moi. 21 Vénère-Moi Avec ton corps : Avec une dévotion respectueuse, Prosterne-toi devant Moi Qui réside dans tous les êtres Et dans mes dévots. 115 22 Abandonne-Moi ton mental : Fais-le en M’abandonnant toutes tes actions. Parle uniquement de Moi Et de Ma nature transcendante, Et tous les désirs seront bannis. 23 Pour Moi, Renonce aux richesses, aux plaisirs et même au ‘’bonheur’’. Fais de bonnes actions et pratique la charité. Accomplis la cérémonie du feu En psalmodiant Mon nom. Engage-toi dans des austérités et prononce des vœux, Tout cela, pour Moi. 24 Cher ami, ceux qui ont Entrepris de telles pratiques Et qui se sont abandonnés A Moi dans une dévotion affectueuse Sont remplis de Moi. Il n’y a pas d’autres pratiques religieuses Qu’il leur reste à faire. 25 Quand la conscience Est fixée sur le Soi, Elle devient paisible et sattvique. Alors, la religion est renforcée Et l’on parvient à la connaissance, Au détachement naturel et au véritable pouvoir. 26 Mais quand la conscience Se fixe sur Les objets éphémères des sens Qui sont poursuivis par les organes d’action, L’esprit devient rajasique Et ces quatre qualités s’évanouissent. 27 Ce qui engendre la dévotion Est la meilleure pratique religieuse. Ce qui permet L’expérience de l’Unité Derrière la multiplicité Est la meilleure connaissance. Le meilleur détachement est l’indifférence Pour tous les objets du monde. De tout ceci Emane la véritable splendeur. 28 Le fidèle Uddhava demanda : 116 Ô, radieux Krishna, Ennemi des ennemis du Soi, Que sont les yamas Et combien sont-ils ? Que sont les niyamas ? Qu’est-ce que le contrôle de soi, Et comment saurai-je Si j’ai atteint l’équilibre ? Qu’est-ce que l’endurance Et qu’est-ce que la fermeté ? Dites-le-moi, je Vous en prie, Bien-Aimé. 29 Qu’est-ce que la charité ? Et qu’est-ce que l’austérité ? Qu’est-ce que le courage ? Et qu’est-ce que l’honnêteté ? Qu’est-ce que le renoncement ? Quelle richesse mérite-t-elle d’être convoitée ? Qu’est-ce que le sacrifice religieux ? Et quelle est la juste rémunération Pour un maître ou un prêtre ? 30 Bien-Aimé, dites-moi, Quelle est la force réelle d’une personne ? Quel est le vrai profit ? Quel est le vrai gain ? Quelle est la vraie connaissance ? Et quelle est la véritable humilité ? Qu’est-ce que la beauté ? Et que sont la joie et la tristesse ? 31 Qui est le sage véritable ? Et qui est l’idiot ? Quelle est la voie juste ? Et quelle est la voie mauvaise ? Qu’est-ce que le ciel ? Et qu’est-ce que l’enfer ? Qui est l’ami véritable ? Et que peut-on appeler foyer ? 32 Qui est riche ? Et qui est pauvre ? Qui est celui qui prend ? Et qui est celui qui donne ? Ô, souverain des vertueux, Répondez à ces questions, je Vous prie. 33 Le radieux Krishna répondit : La non-violence, 117 La vérité, L’absence de convoitise, Le non-attachement, L’humilité, Ne jamais chercher à posséder quelque chose, Le respect des principes religieux, Vivre en Brahman, Le silence et la fermeté, L’indulgence et le courage, 34 La propreté corporelle et la pureté de l’esprit, La répétition du mantra, Les austérités et la foi, L’hospitalité et le culte, Les pèlerinages aux lieux saints, Toujours rechercher et agir Pour le bien de tous les êtres, Le contentement Et le service au guru, 35 Tels sont, Mon cher ami, Les douze yamas et les douze niyamas. Pratiqués avec foi, Ils confèrent bonheur et plénitude. 36 L’esprit ne devient calme Que lorsqu’il est fixé sur le Soi. Le contrôle de soi le plus parfait, C’est le contrôle des sens. L’endurance, c’est supporter la peine, Et la fermeté, c’est le contrôle des sens, De la langue et de la pulsion sexuelle. 37 La plus grande charité, C’est abandonner toute pensée De violence envers autrui. L’austérité, c’est renoncer A tous les espoirs et à tous les désirs. Le courage, c’est surmonter Ses propres tendances. L’honnêteté, c’est considérer tout le monde Avec une vision impartiale. 38 La vérité, c’est un langage qui est aimable Et que même les sages peuvent louer. La pureté, c’est le non-attachement Envers les fruits de l’action, Tandis que le renoncement, c’est l’acceptation Du stade sannyasa de la vie. 118 39 Une vie spirituelle, c’est la richesse Que l’on devrait convoiter. Moi, le Soi suprême, Je suis le sacrifice religieux. L’enseignement de la connaissance, C’est la rémunération religieuse ultime, Et le contrôle de la vitalité, C’est la force véritable. 40 La vraie fortune et la vraie splendeur Sont Mon propre Soi divin. Le profit et le gain Sont la dévotion à Mon égard. La connaissance réelle, C’est la connaissance qui met fin A toutes les multiplicités. L’humilité réelle, C’est d’éviter les mauvaises actions. 41 La vraie beauté, c’est d’être sans désir. Le bonheur, c’est l’équanimité Dans la joie comme dans la tristesse. Le chagrin, c’est le désir insatiable De gratification des sens. Le vrai sage, C’est celui qui peut faire la distinction Entre l’esclavage et la libération. 42 L’idiot, c’est celui qui s’est identifié Au corps et à la personnalité. La voie juste, c’est celle Qui mène à Moi. La mauvaise voie, c’est celle Qui provoque de la confusion. Le ciel, c’est le mental sattvique. 43 L’enfer, c’est le mental tamasique. Le maître dans lequel Je réside, C’est le seul véritable ami. Ô Uddhava, le corps humain Peut être appelé demeure Et celui qui est vertueux Peut se dire riche. 44 Une personne pauvre, C’est celle qui n’est jamais satisfaite. Une personne infortunée, C’est celle qui n’a jamais conquis ses sens. Seuls ceux qui sont détachés 119 Des objets des sens Sont maîtres d’eux-mêmes. 45 A présent, J’ai répondu à tes questions, Uddhava, Et il n’y a plus rien à gagner A poursuivre la discussion dans cette direction. Quelles sont les définitions du bien et du mal ? Juger qu’un autre est bon ou mauvais est mal. Cesser de faire des jugements entre bon et mauvais, C’est la véritable bonté. 120 DIALOGUE 15 Voici un dialogue d’instructions pratiques d’une valeur inestimable pour tout qui emprunte la voie du Yoga. Uddhava demande que la déclaration faite par Krishna à la fin du dialogue précédent soit clarifiée. Il fait remarquer que les Védas insistent lourdement sur ces jugements de bien et de mal que Krishna nous exhorte à ne pas faire. Il n’y a pas de réponse simple à la question d’Uddhava et Krishna ne l’écarte pas en versant dans la simplicité. A la place, il décrit les trois voies qui conduisent à l’illumination spirituelle—le Karma Yoga (la voie de l’action), le Jnana Yoga (la voie de la connaissance) et le Bhakti Yoga (la voie de la dévotion). Nous optons pour la voie spirituelle qui convient à nos tendances et à notre situation actuelle. Comme dans nos relations avec le monde, nous exprimons ce que nous sommes. Toutefois, les injonctions concernant les bonnes et les mauvaises actions qui sont applicables dans le monde cessent d'avoir aucun sens sur la voie spirituelle. Si nous sommes lassés du monde et même des actions religieuses qui promettent une récompense dans ce monde ou dans le suivant, nous serons attirés par la voie de la compréhension intellectuelle. Si nous ressentons qu’il y a encore du travail à faire, nous serons attirés par la voie de l’action. Pour ceux qui ne relèvent d’aucune de ces deux catégories ou même des deux à la fois, la voie de la dévotion et de la foi sera la voie. Chaque voie requiert certaines pratiques, mais celles-ci transcendent les limites de ‘’bien’’ et de ‘’mal’’—parce que le voyageur spirituel n’est plus préoccupé d’obtenir les résultats de ses actions. Krishna indique également que ne pas emprunter l’une de ces voies, c’est errer interminablement dans le cycle des naissances et des morts. Il y a un bel enseignement dans ce dialogue pour ce qui est de la place du corps humain dans le voyage spirituel. C’est, dit Krishna, le véhicule idéal pour traverser l’océan du samsara. Le terme samsara peut être traduit par ‘’existence conditionnée’’—l’opposé de l’existence sans limites. Le corps humain seul est le véhicule qui conduit à l’Illumination, car nous en avons besoin pour nous engager dans les pratiques requises sur la voie choisie. 1 Le fidèle Uddhava dit : Ô, Vous qui avez des yeux de lotus, Vous êtes réellement L’incarnation des Vedas, Aussi, dites-moi, Ne donnent-ils pas des instructions précises Pour ce qui est des actions prescrites et prohibées ? 2 Les Vedas Ne font-ils pas de distinction, Même dans le système varnashrama, Entre les bonnes et les mauvaises actions ? 121 Par exemple, les mérites et les démérites De ceux qui sont nés dans des mariages de castes mixtes. Et ces mêmes Vedas Ne parlent-ils pas du ciel et de l’enfer Sur base des bonnes et des mauvaises actions Commises au cours de la vie ? 3 Comment pouvons-nous réconcilier Vos paroles— C’est-à-dire que pour atteindre la Libération Nous devrions arrêter de faire des jugements Entre bonnes et mauvaises actions— Avec les injonctions des Vedas ? 4 Bien-Aimé, Votre parole Est certainement le plus haut Veda Conférant la lumière Aux ancêtres, aux dieux, De même qu’aux humains, Ainsi que la grâce à tous Et la connaissance Du but de la vie, Visible et invisible. 5 La distinction entre le bien et le mal Ne peut provenir que de Votre instruction Que sont les Vedas Et non de notre propre intuition. Cependant, Votre ordre De cesser de faire de tels jugements A créé une certaine confusion en moi. Eclairez-moi, s’il Vous plaît. 6 Le radieux Krishna dit : Il y a trois voies Qui conduisent à l’Illumination spirituelle : Le Yoga de la connaissance, jnana, Le Yoga de l’action, karma, Le Yoga de la dévotion, bhakti. Il n’y a pas d’autres voies En dehors de ces trois-là. 7 La voie du Jnana Yoga est pour ceux Qui ont perdu tout intérêt Dans les récompenses promises par l’action. La voie du Karma Yoga est pour ceux Qui ont encore un intérêt Dans les activités du monde Et le bonheur de tous les gens. 122 8 Pour ceux qui sont imprégnés D’une dévotion intense envers le Soi, Qui se réjouissent dans la connaissance du Soi Et dans les récits et les chants qui évoquent le Soi Et qui ne sont ni indifférents au monde, Ni attachés à lui, Pour ceux-là, Il y a la voie du Bhakti Yoga. 9 Tu devrais t’engager dans tes devoirs Jusqu’à ce que tu perdes l’intérêt du monde Ou jusqu’à ce qu’une foi et une dévotion intenses S’éveillent dans ton cœur. 10 Uddhava, toute personne Qui s’acquitte correctement de ses propres devoirs, Sans le souci d’une récompense, N’ira ni au ciel ni en enfer, Pour autant qu’elle évite le mal. 11 Une telle personne, Même en vivant Et en œuvrant dans le monde, Atteindra la pure connaissance Ou développera une foi et une dévotion profondes. 12 Ceux qui demeurent en enfer, Comme ceux qui demeurent au ciel Convoitent une vie dans ce monde, Car ce monde offre l’opportunité De la connaissance et de la dévotion Et ni le ciel ni l’enfer Ne tiennent cette promesse. 13 Un sage N’appréciera ni le ciel ni l’enfer Ni même un retour En ce monde Où l’attachement au ‘’je’’ et au ‘’mien’’ Est un enchantement Dans lequel on peut se perdre. 14 Conscient de cela, le sage Lutte avec zèle pour sa libération, Ici et maintenant, Avant que la mort ne survienne, Car ce corps, bien que mortel, Est le moyen Par lequel s’obtient la libération. 123 15 Un oiseau qui voit que l’arbre Dans lequel il a bâti son nid Est abattu L’abandonne, Ô Uddhava. 16 On doit trembler de peur A la réalisation Que les jours et les nuits de sa vie Sont retranchés. Le sage qui s’en aperçoit Abandonne tout attachement pour le corps, Comme l’oiseau renonce à l’attachement pour son nid Et obtient la paix. 17 Cette forme humaine bénie Si difficile à obtenir, Si accessible qu’elle soit, Est comme un bateau solide Avec le guru à la barre, Et Moi, le vent qui gonfle ses voiles, Avec lequel on peut traverser L’océan du samsara. Celui qui ne voit pas cela Et qui n’essaie pas de faire la traversée Cherche à renier le Soi. 18 Le yogi qui est indifférent Aux résultats des actions, Ayant réalisé la vraie nature De ce monde et de ses récompenses Se tourne vers le Soi. Prenant le contrôle de l’esprit Par le biais de toutes les pratiques prescrites, Le yogi le fixe sur la rive distante du Soi. 19 Ce faisant, Si l’esprit devait s’égarer, Le yogi, en toute conscience, Utilise les méthodes prescrites Pour retrouver le contrôle. 20 Une fois que l’esprit est sous contrôle En maîtrisant la vitalité Et les sens, Le yogi, la conscience Imprégnée par le sattva guna, Demeure toujours vigilant. 124 21 Cette façon de contrôler l’esprit Peut se comparer Au dressage d’un cheval sauvage : Petit à petit, On apprend quand relâcher les rênes Et quand les resserrer. Cette pratique est la première étape Vers le Yoga le plus élevé. 22 Permets à l’esprit de contempler La nature de la création matérielle Et son évolution finale Vers la dissolution inévitable. Laisse l’esprit avancer Et reculer dans le processus Jusqu’à ce qu’il devienne calme. 23 De cette manière, L’esprit perdra tout intérêt Pour les phénomènes temporaires de ce monde Et cessera de s’identifier à eux. Puis il se dépassionnera Et en viendra à considérer Les enseignements du guru. 24 L’esprit devrait toujours Etre engagé Dans la contemplation du Soi, Dans l’investigation sur la nature du Soi Et dans l’adoration du Soi, Tout en maintenant Les disciplines de yama et de niyama. Aucune autre voie n’est possible. 25 Le yogi qui commet un acte répréhensible A cause d’une perte momentanée d’attention Doit brûler les conséquences de cet acte Au feu de la discipline yoguique uniquement, Et ne pas recourir à des pénitences insignifiantes. 26 L’adhésion aux devoirs en accord avec Ses propres tendances et le stade de la vie auquel il appartient Est prescrit comme étant méritoire, Mais l’interdiction de certaines actions Et la prescription d’autres actions N’ont été mises en place Que pour provoquer le détachement De toutes actions, Une fois leur nature limitée réalisée. 125 27 Pour celui Qui se consacre au Soi, Mais qui est incapable de renoncer Aux plaisirs de ce monde, 28 Je prescris une dévotion Joyeuse et continue Envers le Soi, Tout en se réjouissant encore Des plaisirs du monde, Mais la nature éphémère de ces plaisirs Devrait toujours être gardée à l’esprit. 29 Pour une telle personne Qui M’adore constamment Par cette voie de la dévotion, Tous les désirs du cœur seront détruits, Car Moi, le Soi, Je réside dans son cœur. 30 Alors, quand le yogi verra le Soi, Le nœud terrible qui noue le cœur— L’idée du ‘’je’’— Sera tranché. Tous les doutes seront résolus, Tout le karma épuisé, Et Moi, le Soi de l’univers, Serai réalisé. 31 Ainsi pour le yogi Qui a choisi la voie de la bhakti, Ni la connaissance ni l’absence de passion Ne conduit à la grâce. 32 Ce qui est acquis par l’action, Ce qui est acquis par les austérités, Ce qui est acquis par la connaissance, Ce qui est acquis par l’absence de passion, Ce qui est acquis par les disciplines du Yoga, Ce qui est acquis par les actes de charité, Ce qui est acquis par de bons auspices, En fait, ce qui est acquis Par tout autre moyen que l’on puisse imaginer 33 Est aussi acquis Par cette voie de la dévotion Qui octroie la fin de la souffrance, La Libération, Et même un séjour au ciel Si cela est désiré. 126 34 Ceux qui se consacrent au Soi Ne recherchent rien d’autre, Pas même la fin Du cycle de la naissance et de la mort. 35 Le plus grand contentement Provient de la dévotion seule, Et non de ses récompenses. Par conséquent, celui qui possède cette dévotion Ne recherche rien d’autre. 36 Les mérites et les démérites Acquis par la vertu ou le vice Ne s’attachent pas A celui qui a atteint Une dévotion sans état d’âme Et réalisé le Soi Caché derrière le voile de l’esprit. 37 Ceux qui suivent N’importe laquelle ces trois voies Que Je viens juste de t’indiquer Atteindront le Soi Qui est le cœur pulsant de toutes choses Et qui transcende toutes choses. 127 DIALOGUE 16 Voici le dialogue pour celui qui aspire à une expérience directe du Divin. Dans le Bhagavatham, Krishna conteste le statu quo et s’oppose à l’insistance védique sur le rituel. Quand Nanda, son père adoptif, insiste sur le rituel pour se concilier Indra afin d’obtenir de la pluie, Krishna dit avec dédain : ‘’Ha ! Les nuages et la pluie sont des phénomènes naturels. Des lois naturelles y président. S’il existe bien un dieu tel qu’Indra, lui aussi doit connaître ces lois et aussi savoir qu’elles n’ont absolument rien à voir avec lui. ‘’ (Livre 10, 14 : 8-23) En ôtant sans cérémonie le pouvoir de la voie spirituelle des mains des prêtres et du clergé pour le remettre au chercheur, Krishna ne peut que nous rappeler un autre grand Avatar. Comme le Christ, Krishna écarte ceux qui prétendent avoir le contrôle exclusif de la connaissance. Ce n’est pas par la correction du rituel que nous obtiendrons le salut, mais par le pouvoir de notre propre compréhension. Krishna fait de nouveau référence aux tattvas, ici la terre, l’eau, le feu, l’air et l’espace. Tattva est souvent traduit par ‘’élément’’, ce qui lui fait perdre un peu de son sens. La traduction littérale est ‘’thatness’’ en anglais. Chaque chose est produite à partir de ces cinq éléments qui nous donnent nos caractéristiques individuelles. Nous sommes habitués à nous penser en termes de machines sophistiquées avec des parties mobiles qui peuvent se briser (et même être remplacées). Voici une vision entièrement différente. Nous sommes reflétés dans la nature—dans la terre riche, dans les eaux qui coulent, dans les feux qui font rage, dans les vents qui bousculent. Les cinq tattvas sont mélangés en nous, mais la prédominance d’un tattva particulier distinguera une personne d’une autre. Regardez le vent, par exemple : il arrive, bouscule tout et puis repart. C’est la description parfaite de quelqu’un qui a des qualités de leader, qui peut remuer les autres et faire faire un travail—en d’autres termes, d’un kshatriya. Ou bien l’espace qui sépare une chose d’une autre dans lequel le chaos devient ordre. L’espace nous donne la capacité de séparer le réel de l’irréel, la vérité de la fiction—en bref, un brahmane. Ainsi, par ces tattvas, nous faisons tous partie du même tout et chaque individu est unique par leur combinaison particulière en nous. Le dernier verset est sans doute le plus fort de tout le dialogue. Il peut constituer la base de la méditation d’une vie entière. 1 Le radieux Krishna dit : Ceux qui choisissent de n’emprunter Ni la voie de la connaissance 128 Ni la voie de l’action Ni la voie de la dévotion fidèle Erreront de par le monde En cherchant nerveusement leur satisfaction Dans des désirs mesquins De la naissance à la mort et à la renaissance. 2 Consacre-toi à ta propre voie Et n’essaie pas d’emprunter La voie d’un autre. C’est le critère de pureté Si l’on est voyageur spirituel. 3 Ô Uddhava, Toi qui es sans tache, Comprends clairement que Toute évaluation de bien ou de mal, De bon ou de mauvais Doit être pertinente au contexte Dans lequel elle a été faite, Qu’il s’agisse d’une activité Matérielle, sociale ou religieuse Ou de survie physique. 4 Ces évaluations De bien et de mal, De pur et d’impur Furent à l’origine données par Moi Aux dieux et aux ancêtres Comme guide Pour mener sa vie Sans enfreindre aucune pratique religieuse. 5 Du Soi suprême émanèrent La terre, l’eau, le feu, l’air et l’espace— Ces cinq éléments constituent le visible Et l’invisible de tous les corps : De Brahma à l’être humain, La nature et même la roche solide— Tous sont imprégnés des cinq éléments Et par eux, Chacun reçoit sa propre nature. 6 Ô Uddhava, Quoique chacun est façonné A partir de ces mêmes cinq éléments, Les Vedas ont attribué Différents noms et devoirs Tels brahmanes, kshatriyas, etc 129 Pour que chacun Puisse réaliser le but De sa propre nature. 7 Ô très saint, Afin de répartir le travail, J’ai donné des directives Relatives à toutes choses Soumises au temps et à l’espace Pour ce qui est juste Et ce qui ne l’est pas. 8 Une terre qui n’est pas foulée par des cerfs Devrait être considérée comme profane. Une terre foulée par des cerfs1 Mais où les sages ne sont pas entendus Et où leurs paroles ne sont pas vénérées Devrait être considérée comme profane. Toute terre Où le sage ne réside pas Est réellement une terre profane. 9 Si un objet ou un moment particulier Est approprié ou adéquat Pour accomplir son devoir, Alors il devrait être considéré comme pur, Mais si l’objet cesse De pouvoir faire Ce pourquoi il a été conçu, Alors, il est impur. Si le moment, N’est pas approprié, Alors il est impur. 10 La pureté ou l’impureté d’un objet Peut également être déterminée Par des choses extérieures à l’objet lui-même : Par exemple, par une autorité sur la question, Par le fait de subir certaines transformations, Par le passage du temps Et par le degré De pureté ou d’impureté relative De ces moyens. 11 Des objets qui sont impurs Peuvent ou non communiquer Leur impureté à l’utilisateur. Ceci dépendra Du pouvoir de l’impureté 130 Et de la propre compréhension de l’utilisateur, De sa force, de sa réaction, de son intégrité Et de sa condition physique. 12 La pureté d’objets tels que les céréales Et de liquides tels que le beurre clarifié2 Ou d’objets faits de bois, D’ivoire, de métaux, de textiles Et même d’objets faits de peaux Dépendra du moment Et de leur exposition Aux éléments. 13 Un processus de purification est approprié Lorsqu’il enlève la saleté, L’odeur ou la contamination Et qu’il retourne l’objet A sa condition première. 14 Tous ceux qui ont été initiés Devraient se purifier Avant de célébrer des rites religieux. On peut être purifié En se baignant, Au moyen d’actes de charité, Par des austérités, En accomplissant ses devoirs, Par des actes de purification rituelle Ou par le souvenir de Moi. 15 Ces six procédés Conduisent à la pureté Et leur contraire à l’impureté. La pureté d’un mantra Dépend de la compréhension Que l’on en a. La pureté des actions Dépend du fait qu’elles ont été offertes Au Soi suprême ou non. 16 Selon les Vedas, Ce qui semble pur Peut en réalité être impur Et ce qui semble impur Peut en réalité être pur. Ainsi ces paroles des Vedas Coupent à la racine Les jugements catégoriques sur ce qui est pur Et sur ce qui est impur. 131 17 Qui est déjà par terre Ne peut tomber plus bas : Des actes qui seraient dégradants pour une personne Peuvent ne pas avoir le même effet sur une autre. Cela dépendra Du statut de celui qui exécute l’action. 18 De tout ce dont on s’abstient, On est libéré. Ceci est la base du renoncement Et d’une vie spirituelle Qui conduira à l’absence D’illusion, de crainte et de souffrance. 19 La valeur que tu confères à un objet Déterminera La force de ton désir pour lui Et le pouvoir de ton attachement envers lui. Ce sont ce désir et cet attachement Qui amènent les gens à se quereller. 20 De telles querelles conduisent à la colère Et la colère à l’obscurcissement De la conscience. A partir de là, La capacité De distinguer le bien du mal Est voilée. 21 Ô noble Uddhava, Ces gens Dont la conscience est voilée Sont réduits à néant. Ils perdent le fil véritable De leur vie Et avancent dans la stupeur Vers une mort certaine. 22 Quand on se perd Dans la gratification des sens, On ne se connaît ni soi-même Ni le Soi de tous. Alors on vit inutilement, A juste inspirer et expirer, Ce qu’un arbre Ou le soufflet d’un forgeron peut faire. 23 Ces injonctions des Vedas Qui promettent une récompense pour de bonnes actions 132 Sont destinées à pousser les gens vers le bien— De même que l’on promet des sucreries à un enfant A qui l’on demande d’avaler une potion amère, 24 Ceci en raison du fait que les êtres humains Sont viscéralement attachés A l’idée d’une récompense. 25 Penses-y, Uddhava : Comment les Vedas pourraient-ils s’y prendre autrement Pour persuader les gens qui errent sans but Vers une mort certaine De faire ce qui doit être fait Et d’avancer vers l’Illumination ? 26 Seuls les gens ignorants Qui ne comprennent pas Le véritable enseignement des Vedas Insistent sur ces injonctions Et parlent de récompense et de punition Pour les actes accomplis. Ceux qui connaissent les Vedas Ne parlent pas de ces choses. 27 Ceux qui sont pris dans les ténèbres De la passion, de l’avidité et de l’avarice Sont aveuglés par la lumière Du feu des Vedas. Insouciants, ils se complaisent dans les actes rituels— Uniquement pour s’étouffer dans la fumée De leur propre ignorance. 28 Une stricte adhésion au rituel Sera leur seul credo : Ils ne Me reconnaîtront même pas, Moi Qui réside dans leur propre cœur Et au cœur de toute cette création. A la fin de leurs vies, Leur vision obscurcie Par la brume de l’ignorance, Ils ne verront pas Ce qui est si proche. 29 Ces gens, Attachés comme ils le sont Au monde des objets, A ses récompenses Et à sa violence, Par le biais du rituel 133 Ne peuvent pas comprendre Les paroles des Vedas Que Je communique actuellement. 30 Au cours de rites sacrificiels, Ces gens cruels Massacreront des animaux innocents Pour faire des offrandes Aux ancêtres, aux dieux et aux esprits, Tout cela pour la gratification De leurs propres désirs. Une telle violence n’a jamais été L’instruction des Vedas. 31 Ils fantasment A propos d’un monde céleste Qui vient après celui-ci, Et ils s’imaginent Que comme des marchands, Ils peuvent échanger leurs rituels Contre une place dans un tel paradis. 32 Liés par rajas, tamas et sattva, Ils vénèrent les dieux Et Indra, le roi des dieux Qui est lui-même Lié par le pouvoir des gunas. Ils ne Me voient pas Et ils ne Me vénèrent pas. 33 Ces gens s’imaginent naïvement Qu’en se livrant à ces rituels, Ils jouiront d’une période au ciel Puis qu’ils reviendront sur la terre Pour renaître dans une famille noble et riche. 34 Hélas ! Leur orgueil et leur avidité les aveuglent Au message réel des Vedas. 35 Le sujet des Vedas est triple : La conduite, l’adoration et la connaissance. Ils tiennent pour suprême La connaissance par laquelle l’individu Réalise sa propre nature cosmique. Mais cet enseignement des Vedas N’est pas direct Et Je M’en réjouis. 134 36 Les Vedas sont la manifestation Du Brahman via les mots. Leur compréhension dépendra De l’état du prana, du mental, Des sens et de la conscience. Mais rappelle-toi toujours que ces Vedas Sont comme l’océan— Profonds et insondables. 37 En tant que Brahman Omniprésent, omniscient et omnipotent, J’ai placé en chaque être Les paroles des Vedas Sous la forme du son éternel, Om— Le son sans son— Aussi imperceptiblement subtil que la tige du lotus.3 38 De même que l’araignée émet sa toile A travers la bouche Des profondeurs de son cœur, De même, le Suprême universel Emet le son sacré Om Des profondeurs de son cœur Pour manifester les vibrations du son Qui forment les voyelles Et les consonnes de l’alphabet.4 39 L’alphabet devient alors La parole des Vedas Qui se déploie Dans des milliers de directions. Ce déploiement— Enrichi par la gamme complète Des sons de l’alphabet— Ne s’arrête jamais. 40 Le Om sacré, Est créé par les voyelles Et de lui Proviennent tous les autres sons. Tous ces sons constituent les mètres Qui deviennent les Vedas— Puis ceux-ci Seront à nouveau rappelés Dans le cœur du Suprême. 41 Parmi ces mètres, La gayatri possède vingt-quatre lettres, L’ushnik, vingt-huit, 135 Le brihati, trente-deux, Le pankti, trente-six, Le trishtup, quarante, Le jagati, quarante-quatre, L’atitcchanda, quarante-huit, L’atijagati, cinquante-deux, Complétant la gamme complète du son. 42 Le véritable message des Vedas N’est connu que de Moi— Et non de ceux qui donnent des instructions Et qui se complaisent dans des rituels. 43 Je suis le sacrifice dont parlent les Vedas. Je suis la Réalité suprême qui est l’objet de l’adoration. Je suis la connaissance des Vedas Et la réfutation de cette connaissance. Je suis le son transcendant des Vedas Qui devient manifeste en tant que monde matériel des multiplicités Et qui conduit finalement ceux qui l’entendent A une expérience de l’unité. 136 DIALOGUE 17 Ceci est l’un des dialogues les plus passionnants de l’Uddhava Gita. Il va directement au cœur du problème : sommes-nous différents de la réalité transcendante ou sommes-nous toujours en harmonie avec elle ? Krishna a terminé le précédent dialogue en déclarant que le Soi est le Tout : toutes les connaissances, toutes les conduites, toutes les multiplicités. Uddhava ouvre ce dialogue en demandant pourquoi alors enseigner les ‘’parties’’ du Tout ? Le débat à propos de la dualité et de la non dualité a fait son chemin dans de nombreuses cultures. René Descartes, le philosophe scientifique européen du dix-septième siècle, a bien situé la discussion pour se ranger fermement du côté du deux—la dualité—qui est l’existence d’une âme distincte du corps. Cependant, dans le système de Descartes, esprit et âme semblent être la même chose. L’âme (l’esprit) vient équipée de l’outil de la rationalisation et les principes de la logique sont sa dynamique. Mais pour le philosophe indien classique, l’âme et l’esprit ne sont pas interchangeables. L’esprit est l’un des ‘’véhicules’’ du Soi, l’un des moyens par lesquels il passe du non manifesté au manifesté, mais nous ne devons jamais confondre la pensée, l’analyse et le raisonnement—toutes des fonctions de l’esprit—avec le Soi. L’esprit fait partie du monde de maya et cherche constamment à mesurer et à créer des limites. On peut découvrir dans la Katha Upanishad l’une des plus belles métaphores qui explique cette perspective. On y compare l’individu à un char : les chevaux sont les sens, les rênes sont l’esprit, le char est le corps et le conducteur est l’attention vigilante, tandis que la route est le domaine dans lequel opère l’individu. Assis au fond du char se trouve le vrai propriétaire—le Soi. Le conducteur oublieux de cette éternelle Présence s’absorbera dans le domaine de l’action et le char continuera sa route sans but ni direction. C’est par le souvenir du Soi que s’opère le contrôle du char et que le but de la pleine réalisation du Soi est atteint. Toutefois, la question de la dualité demeure. Ce qui est incarné et l’incarnation est-il un tout ou deux choses différentes ? Il y a trois écoles de pensée à ce sujet qui se côtoient dans toute la philosophie hindoue. Chacune a des commentaires qui supportent son point de vue à propos de toutes les grandes Ecritures, dont l’Uddhava Gita et la Bhagavad Gita. Les trois écoles sont l’école dualiste (dvaita), l’école du non-dualisme (advaita) et l’école du non-dualisme qualifié (vishishtadvaita). La plupart des interprétations concernant ce dialogue semblent indiquer que Krishna est en faveur du dualisme, et pendant longtemps, je l’ai moi-même cru. Puis un beau jour, en lisant ce dialogue, j’ai eu le sentiment profond qu’il ne se faisait le défenseur d’aucun de ces points de vue. Nous ne pouvons pas isoler ce dialogue, mais nous devons le comprendre dans le contexte du restant du texte. Krishna dit auparavant : ‘’Tout ce que tu vois, entends ou touches— 137 Sache que tu ne peux le connaître Pour ce qu’il est.’’ (2 : 7) Cette déclaration nous aide à mieux comprendre Krishna lorsqu’il affirme que tant que nous fonctionnons au travers du mental, nous aurons un modèle de réalité plutôt que la Réalité elle-même. Krishna fait remarquer que toute expérience de ‘’parties’’ du Tout sera pertinente parce que basée sur une compréhension personnelle d’un Tout présent dans chacune et toutes ses parties. Ceci est une idée incroyablement moderne. Le grand physicien moderne Max Bohm en parle comme d’une ‘’complétude intacte’’. Krishna l’explique ainsi dans le verset 8 : ‘’Dans n’importe quelle partie, les autres parties sont présentes.’’ Et il a dit cela bien avant l’invention du microscope électronique et de l’accélérateur à particules ! Si ce Tout est présent dans toutes les multiplicités, est-il différent des multiplicités ou non ? Krishna répond à cela de la seule manière possible— par un paradoxe. Oui, le Tout est différent, indique-t-il, lorsqu’il est considéré à travers la lentille des multiplicités. Non, les multiplicités ne sont pas différentes, lorsqu’elles sont considérées à travers la lentille du Tout. Notre capacité à voir la réalité, dit Krishna, dépend de la position que nous prenons lorsque nous regardons. Et les pratiques que nous adoptons doivent nous amener dans la bonne position. 1 Le fidèle Uddhava demanda : S’il Vous plaît, clarifiez la confusion, Bien-aimé Maître des maîtres, A propos des principes Qui constituent l’ensemble de la création. Juste avant, vous avez parlé des vingt-huit principes Divisés en neuf, onze, cinq et trois.1 2 Pourtant, d’autres parlent de vingt-six principes Et d’autres encore affirment Qu’il ne peut y en avoir que vingt-cinq. En fait, beaucoup de chiffres sont avancés : Certains parlent de sept, D’autres disent neuf, dix ou quatre, D’autres enfin onze ou treize. 3 Tous ces sages Qui expérimentèrent l’Infini A travers ces principes Trouvèrent des chiffres différents. S’il Vous plaît, dissipez pour nous cette confusion. 138 4 Le radieux Krishna répondit : Quoi qu’aient pu déclarer ces sages, Ils disent tous la vérité, malgré leurs différences. Parce que le tout est présent dans chaque partie, Chaque expérience personnelle sera différente Et pourtant contient la vérité. Les sages qui dénombrèrent ces principes Savaient très bien qu’ils parlaient Sous l’influence de Ma maya. 5 Lorsque tu entends des gens se disputer, ‘’Non ce n’est pas ce chiffre—c’est celui-là,’’ Sache qu’ils se disputent Sous l’emprise de rajas, tamas et sattva— Si difficiles à résister. 6 C’est cette perturbation des gunas Qui provoque la dispute : Toutes ces discussions stupides disparaissent Quand sont atteints l’égalité d’esprit Et le contrôle des sens. 7 Ô meilleur des hommes, Suivant le mélange Des tattvas dans chaque personne, Chacune discutera et choisira Selon sa nature. 8 Dans toute partie, Les autres parties sont présentes, Tout comme l’espace est présent dans le son. Les parties grossières seront présentes dans le subtil Et le subtil invisible sera présent dans le grossier. 9 Considérant que toutes les parties Sont présentes dans une seule partie, J’accepte simplement comme la vérité Tout chiffre qu’un sage présente Comme le résultat de son expérience personnelle. 10 Certains diront que Parce que toute personne est liée par le temps et par l’espace, Il n’est pas possible de connaître le Soi Qui est illimité. Par conséquent, disent-ils, il doit exister Une autre Réalité transcendante Tout à fait distincte de l’expérimentateur Et qui rend possible 139 L’expérience de l’Illimité. 11 Cependant, d’autres diront Qu’il n’y a pas de différence Entre l’être individuel Et le Soi illimité Et que c’est l’état sattvique Qui rend possible une telle expérience. 12 La Prakriti, disent-ils, Constituée des trois gunas Rajas, tamas et sattva Est seule responsable de la création, Du maintien et de la dissolution, Et non le Soi. 13 D’après ce raisonnement, La connaissance provient de sattva, L’action de rajas et L’ignorance de tamas ; Le temps est l’agent qui agite Les trois Et toutes s’incarnent Dans l’idée du ‘’je’’. 14 J’ai dénombré Neuf principes essentiels : Purusha et Prakriti, La création manifestée, L’idée du ‘’je’’, L’espace, l’air, le feu, l’eau et la terre. 15 Les oreilles qui entendent, La peau qui ressent, Les yeux qui voient, Le nez qui sent Et la langue qui goûte— Voici les cinq sens Par lesquels nous acquérons la connaissance. La voix, les mains, les organes génitaux, l’anus et les pieds— Voici les cinq organes d’action. L’esprit imprègne Ces deux catégories. 16 Le son, le toucher, la forme, l’odeur et le goût, Sont les objets des cinq sens Par lesquels nous acquérons la connaissance. Le langage, l’action, la procréation, L’excrétion et le mouvement 140 Sont les fonctions Des cinq organes d’action. 17 Au début de la création, Prakriti, par le pouvoir des gunas Subit une transformation Qui amène à être Toutes ces parties de la création. Purusha la contemple. 18 Le regard de Purusha Donne pouvoir à la création embryonnaire Soutenue par Prakriti. Les principes constituants ayant reçu pouvoir Du regard transformateur de Purusha Deviennent l’univers manifesté. 19 Un point de vue est qu’il y a sept principes constituants— A savoir la terre, l’eau, le feu, l’air et l’espace Plus le moi individuel Et le Soi cosmique Qui est le terrain Et de l’expérimentateur Et de l’objet de l’expérience, Et que de ces sept Sont issus le corps, les sens et le prana. 20 Un autre point de vue est qu’il y a six Principes essentiels à la création, A savoir les cinq tattvas, La terre, l’eau, le feu, l’air et l’espace Et un sixième principe, le Soi suprême. Pour ce point de vue, Le Soi suprême Est doté de ces cinq principes— A partir desquels Il manifeste la création Et dans lesquels Il s’insuffle Lui-même. 21 D’autres proposent l’existence De seulement quatre principes de base : Le feu, l’eau et la terre Qui tous émanent du Soi. De ce point de vue, toute la création Emane de ces quatre principes. 22 D’autres dénombreront Dix-sept principes essentiels : Les cinq tattvas : terre, eau, feu, air et espace. Les cinq objets liés aux sens, 141 Les cinq sens liés à ces objets Ainsi que l’esprit et le Soi. 23 Ceux qui calculent seize principes de base Ne diffèrent du précédent qu’en le fait que Le Soi et l’esprit ne sont pas distincts. Les cinq tattvas, les cinq sens, L’esprit, le moi individuel Et le Soi suprême Constitueraient treize principes de base. 24 Si le compte est de onze principes essentiels, Alors il est constitué Du Soi, de la terre, de l’eau, du feu, de l’air et de l’espace, Et les cinq sens. Si le compte est de neuf, Alors il s’agit de la terre, de l’eau, du feu, de l’air, de l’espace, Du mental, de l’intelligence, de l’idée du ‘’je’’ Et du Soi suprême. 25 Ainsi, comme tu peux le voir, Les sages ont dénombré les principes De différentes façons. Chaque proposition présentée Possède un raisonnement sain derrière. Chacune est à recommander Pour la pensée judicieuse qui l’a motivée. 26 Le fidèle Uddhava dit : Bien-Aimé, quoique Prakriti, la création Et Purusha, le Soi suprême Semblent être distincts, Il semble aussi qu’il n’y ait Aucune différence entre eux et Que l’un n’est jamais sans l’autre. De même, le Soi semble être A l’intérieur du corps— Et c’est cette combinaison Qui est perçue comme ‘’je’’. 27 Ô Vous qui avez des yeux de lotus, S’il Vous plaît, dissipez ma confusion En la matière Par le pouvoir de Vos mots. 28 Puisque c’est de Vous Que toute connaissance émane Et puisque c’est Vous 142 Qui pouvez la reprendre, Vous seul connaissez réellement L’étendue de Votre pouvoir. 29 Le radieux Krishna dit : Ce corps et le reste de la création Connue comme Prakriti Sont sujets au changement A cause de la perturbation des trois gunas. Purusha, le Soi suprême N’est pas soumis au changement, Aussi y a-t-il une différence. 30 Mon doux ami, Ce monde manifesté Qui peut être mesuré et analysé Se compose des trois gunas Et par les gunas Crée des multiplicités infinies. Néanmoins, ces multiplicités Se classent en trois grandes catégories : Le Soi qui imprègne chaque objet, L’agent divin Par lequel chaque objet existe et se meut Et la chose elle-même. 31 L’œil, L’objet regardé, Et la lumière solaire Se reflétant sur l’objet et l’iris de l’œil, Tous dépendent l’un de l’autre Pour être révélés. Et pourtant, même sans vision Ni éclairage de l’objet Ni reflet dans l’œil, Le soleil demeure toujours Distinct et indépendant. Ainsi en est-il avec le Soi. Le Soi de tous les êtres Est la source de tous les objets Et également l’agent Grâce auquel tous sont révélés. Le Soi demeure simultanément Distinct et indépendant. 32 Aussi comprends : Le champ entier de la conscience, Les sens, les objets auxquels ils sont liés, 143 Les organes d’action et leurs actions Et les agents subtils qui sont derrière— A savoir la conscience individuelle, Le mental, l’intelligence et l’idée du ‘’je’’— Le tout peut s’analyser En utilisant les trois catégories que Je t’ai données. 33 La discussion perpétuelle Qui tourne autour du problème De savoir si Le Soi est distinct ou non de la création— Si Purusha est distinct de Prakriti Et si le Soi est réel ou non Se fonde sur l’ignorance du Soi Et ne peut s’appliquer qu’à un monde De dualités matérielles et de multiplicités. Ceux qui se sont détournés du Soi Sont ceux qui s’engagent dans cette discussion. 34 Le fidèle Uddhava demanda : Dites-moi, ô Grand Protecteur, Comment ceux dont l’esprit S’est détourné de Vous Et ceux qui sont commis A l’action et à la récompense En viennent-ils à obtenir une haute ou une basse naissance, A s’engager pour un temps dans l’activité Puis à abandonner le corps ? 35 Je cherche à savoir comment le Soi Qui est présent partout en tous temps Passe d’un corps à un autre— Assignant l’action au sans-action, La naissance au sans-naissance Et la mort au sans-mort. Trompés par votre maya, Peu peuvent comprendre ceci. 36 Le radieux Krishna répondit : L’esprit joint aux sens, Aux organes d’action Comme les mains et les pieds, Et aux objets perçus par les sens Suit une direction établie par les actions entreprises Au cours de la vie d’une personne. Il va d’un monde à un autre En suivant cette direction 144 Et le Soi l’accompagne. 37 L’esprit ainsi lié Aux résultats de ces actions, Restant fixé sur les objets Qu’il expérimente par le biais des sens Ou sur les Vedas qu’il entend répéter Va et vient. 38 Quand l’esprit va et vient, Passant d’un corps à un autre, Il entre dans un corps et est séduit Par les objets qui l’entourent. Il oublie le corps passé Et ne s’identifie plus qu’au corps actuel. Cet oubli du Soi Est appelé mort. 39 Ô magnanime Uddhava, Ce que l’on nomme naissance n’est rien de plus Que l’identification de l’esprit Avec un nouveau corps. Ce nouveau corps est accepté comme la réalité— Tout comme un corps dans un rêve Est accepté comme la réalité. 40 Tout comme le rêveur Ne se rappelle plus qui il était Dans un rêve passé, L’esprit Ne se souvient D’aucune existence antérieure. 41 Et tout comme le rêveur Fait apparaître de multiples corps, De même cette triple division— Le Soi de chaque être ou objet, L’agent par lequel Cet être ou cet objet existe et se meut, Et l’être ou l’objet lui-même— Fait apparaître un monde de multiplicités Avec lequel elle entre en relation. 42 Cher Uddhava, La création est dans un état constant de flux— Qui vient à être et qui se dissout A une telle vitesse Que c’est imperceptible. C’est la nature subtile du temps 145 Dont personne n’est réellement conscient. 43 Tout comme une flamme qui brûle N’est pas la même flamme D’instant en instant, Tout comme un cours d’eau Qui coule constamment N’est pas la même eau, Tout comme le fruit d’un arbre N’est pas le même fruit En chaque saison, Ainsi, d’instant en instant, Tous les corps sont transformés par le temps. 44 L’idiot Qui pense que c’est la même flamme Qui brûle constamment, La même eau Qui coule toujours Dans la rivière, Gaspille ainsi sa vie En pensant que le corps est son unique identité. 45 Rien ne naît, Rien ne meurt et rien n’agit, Et cependant, par l’illusion, La naissance, l’action et la mort Paraissent être une réalité— Tout comme il semble Que lorsque la bûche a brûlé, Le feu est mort. 46 Le corps connaît neuf âges : La conception, la gestation, la naissance, L’enfance, la jeunesse, l’âge adulte, La maturité, la vieillesse et la mort. 47 Ces états du corps— Qu’ils soient élevés ou bas— Deviennent la seule identification, Mais certains, au moyen de gros efforts, Abandonnent cette fausse identification. 48 Tu déduis que tu mourras Parce que ton père est mort. Tu déduis que tu es né Quand tu vois ton enfant naître. Le Soi qui est le témoin des deux N’est sujet ni à l’un ni à l’autre. 146 49 Celui qui plante une graine Et qui assiste à sa croissance, A sa transformation et à sa mort Reste distinct de la plante— De sa naissance, de sa croissance et de sa mort. Ainsi en est-il avec le Soi. 50 L’ignorant Qui n’arrive pas à distinguer le Soi De son apparence en tant que matière Se perd dans le monde De l’apparence Et va de naissance à la mort Pour renaître et renaître encore. 51 Selon une direction établie par les actions d’une vie, Une personne naîtra comme sage ou comme dieu, Si ces actions étaient sattviques, Comme ange ou comme homme, Si ces actions étaient rajasiques Et comme mauvais esprit ou comme animal Si ces actions étaient tamasiques. 52 Tout comme quelqu’un Qui en voit d’autres chanter et danser Se met à chanter et à danser, De même le Soi, bien que n’agissant pas Paraît prendre l’identité De ce qui est perçu par la conscience. 53 Tout comme les arbres, Le long d’une eau courante Semblent également bouger, Tout comme pour celui qui tournoyait, La terre semble tourner Lorsqu’il s’immobilise, Le mouvement du manifesté Paraît faire bouger le Soi. 54 Ô Uddhava, Descendant de Dasarha, De même que les fantasmes et les rêves Ne sont pas considérés comme réels, Le Soi ne voit pas La création manifestée comme réelle. 55 Pourtant, bien que ce monde manifesté soit irréel, Pour celui qui se voue aux sens, Il ne cesse jamais 147 Et ses troubles vont et viennent Comme dans les rêves. 56 Par conséquent, Uddhava, Je t’exhorte à Renoncer à ce monde de multiplicités Expérimenté par les sens Et à considérer l’idée d’une dualité Comme rien de plus qu’une illusion. 57 Même s’il est insulté par des gens ignobles, Ridiculisé, envié ou battu, Emprisonné ou privé de moyens d’existence, 58 Même si l’ignorant et l’imbécile Lui crachent dessus et le souillent, Celui qui recherche ce qu’il y a de plus élevé dans la vie— C’est-à-dire la connaissance du Soi— Devrait s’élever au-dessus de tout cela Et découvrir le Soi Par le Soi. 59 Le fidèle Uddhava dit : Parmi tous les maîtres, Vous êtes le meilleur. S’il Vous plaît, expliquez-moi quelque chose. 60 Etre insulté par ceux qui sont ignorants Semble la chose la plus difficile à supporter. Néanmoins, ceux qui Vous sont dévoués Et qui pratiquent tout ce que Vous avez enseigné Paraissent capables de supporter de telles insultes. Comment cela se fait-il ? 148 DIALOGUE 18 Uddhava a terminé le dernier dialogue en posant une question qui a troublé tout le monde à un moment ou à un autre. Pourquoi est-ce si pénible quand des gens qui ne nous apprécient pas expriment leur désapprobation ? Krishna répond avec l’histoire d’un homme riche qui fut réduit à la pauvreté. Il y a ici des échos de l’histoire de la prostituée Pingala. Tous deux avaient vécu une vie dédiée à la poursuite du bonheur dans quelque chose d’extérieur à eux-mêmes, tous deux étaient arrivés à un point de désespoir complet et tous deux avaient transformé ce désespoir en la poursuite du Soi. Le chant de l’avare devenu mendiant s’interroge sur la manière dont nous attribuons nos malheurs à quelque chose d’extérieur—de l’étoile sous laquelle nous sommes nés aux autres gens ou notre propre nature infortunée. Son chant nous ramène à nous-mêmes et à la quête du Soi comme source véritable de Félicité sans fin. 1 Le bienheureux Shuka reprit le récit : Ainsi interrogé Par son grand dévot Uddhava, Krishna, celui qui accorde la Libération, Le joyau des Dasarhas, Répondit. 2 Le radieux Krishna dit : Disciple du sage Brihaspati, Très peu de gens Peuvent garder l’esprit égal Quand on leur parle avec dureté. 3 Pas même des flèches Qui percent la peau Et qui blessent le cœur Ne blessent aussi profondément Que des mots prononcés avec dureté. 4 Mon cher Uddhava, Il y a un récit merveilleux Qui se rapporte à ce sujet. Ecoute-le bien, Car il est inspirant. 5 C’est le récit d’un sannyasin Qui fut persécuté par des hommes cruels, Mais qui le supporta avec une ferme détermination 149 Car ces choses ne sont rien de plus Que le résultat d’événements depuis longtemps passés. 6 Dans le pays d’Avanti1 Vivait un riche brahmane Entouré de luxe— Et pourtant, c’était un avare. Engagé dans des affaires Qui étaient la source de sa richesse, Il était impatient et souvent en colère contre les autres. 7 Son foyer était vide d’amour Et il ne se montrait généreux Avec personne— Pas même avec lui-même. 8 Il était si peu gentil et si avare Que personne ne l’aimait, Pas même sa femme ni ses enfants. Ses serviteurs ne ressentaient Aucune affection pour leur maître. 9 Son seul plaisir Consistait à amasser des biens. Cultiver des vertus Ne lui traversa jamais l’esprit. Satisfaire des désirs Autres que de gagner de l’argent Ne lui vint même jamais à l’idée. C’est ainsi que les dieux qui présidaient Aux rites sacrificiels de la famille Et qui octroient la richesse Se mirent en colère contre lui. 10 Ô généreux Uddhava, Dès que son stock de mérites fut épuisé, Sa richesse, qu’il s’était tant donné de mal à accumuler, Disparut. 11 Une partie de la fortune de cet indigne brahmane Fut emportée par des membres de sa famille, Une autre par les voleurs, Une autre encore fut perdue dans de mauvais investissements, Et le reste se perdit en taxes. 12 Une fois sa fortune dilapidée Et comme chacun, même sa famille L’ignorait, Il commença à s’inquiéter. 150 Il contempla soudain l’avenir Et son manque total de vertu Ou d’accomplissement d’aucune sorte Qu’apportent les relations humaines. 13 Sans argent Et dans une situation désespérée, Il fut envahi par le remords Et par un profond dégoût pour le monde. 14 Le brahmane se dit en lui-même : Quel pauvre idiot je suis ! Je me suis privé De la vertu et de la Réalisation Dans cette recherche insensée de la richesse. 15 Jamais la richesse ne peut apporter le bonheur Aux avares Durant leur vie. Amasser la richesse les tourmente, Et à la mort, Elle les conduit en enfer. 16 Peu importent la bonne réputation de quelqu’un Et sa vertu, La plus petite trace d’avidité Suffit pour les ruiner, De même que la plus petite marque de lèpre Enlaidit le plus beau visage. 17 Par l’acquisition, l’accroissement, L’entretien, la protection Et même par la dépense des richesses, Chacun subit la peur, l’angoisse et l’illusion. 18 Le vol, la violence, le mensonge et la tromperie, La colère, l’agressivité, l’arrogance et l’orgueil, L’ostentation, l’inimitié, le déplaisir et la rivalité, La luxure, l’ivresse et le jeu— 19 Ces quinze faiblesses humaines Sont inhérentes à la poursuite de la richesse. Par conséquent, celui qui recherche Le bien-être du Soi Devrait éviter d’accumuler les richesses. 20 Femme et mari, Père et mère, 151 Famille et amis, Tous ceux qui sont précieux Seront perdus Dans cette quête effrénée de la richesse. 21 Même un niveau modéré de richesse Fera que les autres deviendront envieux Et se comporteront comme des voleurs et comme des criminels. 22 Ceux qui ont obtenu une naissance humaine Que même les dieux du ciel désirent Et qui en plus sont des brahmanes, Les plus bénis d’entre les initiés, Ne devraient pas ignorer leur propre intérêt Qui est la connaissance du Soi, Autrement, ils connaîtront une fin malheureuse. 23 Après avoir obtenu ce corps humain Qui est le seuil de la Béatitude finale, Qui le gâcherait Dans une quête de la richesse Qui ne peut mener qu’à la ruine ? 24 Semblable à un démon qui ne se soucie Que de lui-même, Celui qui amasse de l’argent, Qui ne sacrifie pas aux dieux, Qui ne fait pas d’offrandes aux ancêtres, Ni aux voyants ni aux saints sages, Qui ne partage pas cette richesse Avec sa famille et ses amis, Et qui ne subvient pas aux besoins de la communauté Tombe certainement dans la perdition. 25 J’ai gâché ma richesse, Ma jeunesse et ma force. Tout ce qu’une personne prévoyante utilise Pour atteindre le Suprême, Je l’ai imprudemment gaspillé Dans la poursuite de la richesse. Que pourrais-je bien réaliser Maintenant que je suis vieux ? 26 Comment se fait-il que même ceux qui sont érudits Se laissent piéger par la richesse ? Il doit y avoir quelque pouvoir trompeur ici. 27 Que reste-t-il pour celui Qui est déjà dévoré par la mort ? 152 Comment la richesse me servirait-elle à présent ? Comment le plaisir Et ce qui donne du plaisir Me serviraient-ils maintenant ? Comment n’importe quelle action— Qui ne pourrait conduire qu’à la renaissance— Me servirait-elle, à présent ? 28 Ah ! Certainement le radieux Hari Qui incarne tous les dieux Est content de moi Et m’a conduit à ce désespoir, Car ce sera le radeau Grâce auquel je traverserai cet océan Et découvrirai le Soi. 29 S’il me reste un tant soit peu de vie, Je le consacrerai à la recherche du Soi Et seulement à Ce qui fortifie cette recherche. 30 Puissent tous les dieux Qui règnent sur le ciel, la terre Et l’espace entre les deux Etre les témoins de ceci Et répandre sur moi leur grâce. Puissé-je être aussi fortuné que le roi Khatvanga2 Qui atteignit le ciel En quelques minutes. 31 Le radieux Krishna poursuivit : Après avoir pris cette décision, Le brahmane se détourna du monde Et dénoua les liens Qui enserraient son cœur et cachaient le Soi Pour devenir moine errant. 32 Le mental, le corps et la vitalité Sous contrôle, Ce mendiant parcourut le monde En passant par des villes et des villages Où personne ne le connaissait. 33 En voyant ce mendiant âgé et négligé Qui parcourait les rues, Les gens se moquèrent et le maltraitèrent De toutes les manières qu’ils purent imaginer. 153 34 Certains lui chipèrent son bâton, D’autres sa sébile, D’autres encore sa cruche. Son rudraksha mala lui fut subtilisé, Ainsi que sa natte. Ils volèrent même les loques qu’il portait. 35 Quand il se rendit à la rivière Pour manger le peu de nourriture qu’il avait mendié, Ils la lui prirent et s’enfuirent avec. 36 Puis ils le taquinèrent Avec ses propres affaires— Prétendant les lui rendre Pour les lui reprendre à nouveau. Les gens lui crachèrent dessus. Certains lui urinèrent même dessus. En le battant, Ils le forcèrent à parler, Alors qu’il voulait garder le silence. 37 Ils employèrent toutes sortes d’insultes pour le railler : ‘’C’est une fripouille déguisée en moine !’’ ‘’C’est un voleur, il faut l’arrêter ! Vite, attachez-le !’’ 38 D’autres dirent : ‘’Ce n’est qu’un homme abandonné par sa femme et ses amis Qui a pris le bol Pour obtenir des choses des autres !’’ 39 D’autres le ridiculisèrent en disant : ‘’Il est aussi fort qu’un bœuf Et il ne garde le silence Que pour nous soutirer quelque chose !’’ 40 Ils l’attachèrent Et le couvrirent d’insultes, Jouant avec lui Comme avec un oiseau sauvage Qu’ils auraient capturé. 41 Mais le brahmane savait Que son tourment aux mains d’autrui Et que la douleur provoquée par la nature Ou même par son propre corps Ne devaient pas être évités— Ils lui avaient été donnés. 154 42 Rien de tout cela ne le dissuada De la voie qu’il avait choisie. Conservant son esprit dans un état sattvique, Il chanta : 43 Ni ces gens, Ni mon propre corps, Ni les dieux, Ni les planètes, Ni mes actes passés, Ni le temps Ne sont la cause de ma joie ou de ma détresse. Toutes les Ecritures me disent Que c’est mon mental et mon mental seul Qui met en branle Cette roue de l’existence matérielle. 44 C’est ce puissant mental Qui active les trois gunas Par l’attachement et par l’aversion, D’où naît l’action— Qu’elle soit sattvique, rajasique ou tamasique. A partir de là, nous suivons La route de la naissance et de la mort, Orientés par le type d’actions Auxquels nous nous sommes livrés. 45 Le Soi suprême et transcendant Reste conscient, mais ne s’implique pas Avec l’esprit qui se débat. Ce Soi est le seul véritable ami— Toujours éclairé, Il est témoin, Tandis que le Soi manifesté Ayant épousé l’esprit Qui reflète le monde des objets S’y attache. 46 Vraiment, la seule manière de sortir De cette situation difficile Est l’exercice de la générosité, L’observation de ses devoirs Ainsi que yama et niyama, L’écoute des Vedas, Les bonnes œuvres et le contrôle de l’esprit. Ceci est en effet le Yoga le plus élevé Qui conduit au but ultime. 47 A quoi serviraient 155 Les actes de bienveillance et de charité Pour celui dont l’esprit est déjà sous contrôle ? Que reste-t-il A accomplir Pour celui dont l’esprit est déjà sous contrôle ? 48 Les sens Et même les demi-dieux qui les gouvernent Sont tous sous le contrôle de l’esprit, Mais l’esprit est plus puissant Que même le plus puissant Et semble ne jamais être assujetti au contrôle De quiconque ou de quoi que ce soit. Par conséquent, c’est seulement en amenant l’esprit sous contrôle Que les sens peuvent être maîtrisés. 49 Incapables de conquérir Ce formidable ennemi appelé mental, Dont les désirs nous déchirent Jusqu’aux profondeurs de notre être, Les gens se mettent à évaluer ce monde En termes d’amis ou d’ennemis. Et iront même jusqu’à la guerre Sous l’incitation du mental. 50 Ce corps Qui est une production du mental Devient leur unique identification : ‘’Je ‘’ et ‘’mien’’ semblent différents De ce qui est autre. Ainsi trompés, Ils avancent en aveugles Dans un monde de ténèbres. 51 Même si d’autres gens sont la cause De mon bonheur ou de ma détresse, En quoi le Soi qui est le Soi de tous Peut-il être concerné ? Ce sont les corps qui réagissent entre eux Qui sont les causes du plaisir et de la douleur— Le Soi n’est ni heureux ni malheureux. Ainsi, si un homme devait mordre dans sa propre langue, Contre qui devrait-il se mettre en colère— Contre sa langue ou contre ses dents ? 52 Si les dieux sont la cause de notre douleur, Ceci n’a toujours rien à voir avec le Soi. Si la déité gouvernant les deux mains est la même Et qu’une main heurte l’autre, 156 Contre quelle main la déité devrait-elle se mettre en colère ? 53 Qu’en est-il si c’est le Soi Qui est la cause du plaisir et de la douleur ? Cela signifierait Que le plaisir et la douleur Sont essentiellement le Soi— Puisqu’il n’y a rien d’autre que le Soi. Les Vedas disent Que tout le reste est une illusion— Ainsi n’y a-t-il pas d’ ‘’autre’’ Pour faire l’expérience du plaisir et de la douleur. 54 Si les planètes qui présidèrent à l’occasion de notre naissance Expliquent notre plaisir et notre douleur, Qu’est-ce que cela a à voir avec le Soi qui est non né ? Elles ne peuvent influencer que ce qui est né. Les astrologues déclarent que ces planètes Agissent les unes sur les autres et sur le corps— Ils ne disent pas qu’elles agissent sur le Soi. Alors à qui devrait-on en vouloir, Aux planètes ou au corps pour être né ? 55 Si nous supposons que les actions passées Justifient notre plaisir et notre douleur, Alors qu’il en soit ainsi. Mais qu’est-ce que ceci a à voir avec le Soi ? L’action ne survient que lorsqu’il y a un agent Qui est conscient de lui-même et du corps. Le corps sans cet agent ne peut pas agir Et l’agent lui-même est sans cause ni effet. Par conséquent, l’action non plus et elle ne porte pas de fruit. Qu’y a-t-il à blâmer ici ? 56 Si le temps est la cause de mon plaisir et de ma douleur, Comment ceci affecte-t-il le Soi—qui est le temps ? Puisqu’une petite flamme n’est pas plus bouleversée par le feu entier Qu’une averse de grêle ne l’est par le froid, Contre qui devrais-je me mettre en colère ? 57 Cette idée du ‘’je’’ Crée un monde Qu’il pense exister en dehors de lui-même Et qui octroie plaisir et douleur. Le Soi n’est jamais concerné par cette fantaisie. Celui qui sait cela Est libre du plaisir et de la douleur. 58 Aussi, à l’instar des sages anciens, 157 Je m’abandonnerai dans la dévotion Au Soi suprême de tous. Je vénérerai les Pieds de Lotus De ce Soi Et ainsi, je traverserai Cet océan des ténèbres. 59 Le radieux Krishna dit : Tel fut le chant Du moine Qui avait perdu sa fortune Et sa foi dans le monde, Qui parcourut la terre Sans rien à lui Et qui pourtant fut agressé Par ceux qui le jalousaient. Tel fut le chant du moine Qui resta toujours libre De toute peur et de toute angoisse. 60 Ce monde d’amis et d’ennemis Et de ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre Avec ses opposés De plaisir et de douleur Est réellement une imagination du mental. Il est né de l’ignorance Et de rien d’autre. 61 Par conséquent, Mon cher ami, Contrôle ton esprit En le fixant sur Moi. Ceci est l’essence du Yoga. 62 Celui qui écoute Ou qui répète Le chant de ce moine Ne sera plus jamais vaincu Par les paires d’opposés. 158 DIALOGUE 19 Le terme Samkhya utilisé par Krishna pour décrire l’enseignement de ce dialogue signifie ‘’décompte’’. Ici, Krishna énumère ‘’le multiple’’ qui constitue toutes les formes et tous les corps. Après cette construction de l’univers, il propose une remarquable ‘’déconstruction’’ jusqu’à l’Unité. En procédant ainsi, Krishna rapproche les traditions philosophiques divergentes du dvaita, de l’advaita et du vishishtadvaita. Ce que Krishna présente ici n’est pas un univers aveugle mû par des forces extérieures à lui-même, mais plutôt une création homogène suivant un but. Brahman (qui signifie littéralement ‘’expansion’’) est cet univers et ce qui le transcende, et c’est avec Brahman que Krishna s’identifie. Bien que nous et l’univers semblions participer à Brahman—mais distincts de Brahman— Krishna nous dit que ce n’est pas ainsi : nous sommes tous Brahman. Ceci est très différent de notre vision habituelle de la cosmologie et de nousmêmes. Krishna nous rappelle que nous ne sommes pas les machines sophistiquées auxquelles nous nous sommes identifiés en cette ère technologique. Nous sommes plutôt Brahman dans l’évolution et l’expansion de la création. Lorsque René Descartes donna le dualisme à l’Occident et qu’il présenta l’esprit comme nébuleux et distinct du corps, nous fûmes identifiés au seul corps qui à son tour fut assimilé à la machine. Dans les années trente, Gilbert Ryle rejeta le dualisme ou ‘’fantôme dans la machine’’.1 Dans ce dialogue, Krishna complète le tableau : il n’y a pas de fantôme car il n’y a pas de machine—il y a la création vibrante et pleine de sens qui est Brahman. 1 Le radieux Krishna dit : Laisse-Moi te parler maintenant De l’ancien système du Samkhya Enseigné par les anciens. Lorsqu’on le comprend, On dépasse aisément L’idée de dualité. 2 Au cours de la grande dissolution, Avant que les quatre yugas ne commencent à suivre leur cours Et même à l’époque du premier yuga, Quand les gens possédaient La véritable compréhension, Le connaissant et le connu Etaient comme un— Un état d’être indifférencié. 3 L’unique Vérité absolue et homogène, 159 Au-delà du mental et du langage, Par le pouvoir de maya Devient deux : Le connaissant et le connu. 4 Ce sont Purusha et Prakriti. Il peut être dit de Prakriti qu’elle possède une nature duelle— L’état non-manifesté Et l’état manifesté De toute matière. Purusha est un état De pure Conscience. 5 Afin de satisfaire les désirs Des Jivas du passé, J’ai agité Prakriti Avec Mon regard, Et les gunas— Sattva, rajas et tamas—apparurent. 6 D’eux Emana la première transformation : Le pouvoir d’action. Avec lui vint Le pouvoir d’intelligence. De ceux-ci provint l’ahamkara— L’idée du ‘’je’’, Cet élément déconcertant Qui ne sait pas lui-même S’il est Le Soi conscient et éternel Ou le corps inconscient provisoire. 7 Cet ahamkara lui-même est triple : Le mental sattvique donné à la bonté, Le mental rajasique donné à la passion Et le mental tamasique donné à l’ignorance. Des trois provinrent Les formes subtiles des sens, Les sens eux-mêmes, Et le mental— Et ceux-ci enveloppaient Et la conscience et la matière. 8 De la vibration tamasique de l’ahamkara Vinrent les cinq éléments : La terre, l’eau, le feu, l’air et l’espace. De la vibration rajasique de l’ahamkara Vinrent les organes d’action, comme les mains et les pieds. 160 De la vibration sattvique de l’ahamkara Vinrent les déités régisseuses : Vayu qui gouverne le vent, Agni qui gouverne le soleil, Varuna qui gouverne l’eau, Indra qui gouverne le ciel, Upendra qui gouverne avec Indra, Les Ashvins qui régissent l’agriculture, Mitra qui préside à l’amitié, Chandra qui régit la procréation Et Brahma qui dirige la création. De la vibration sattvique vint aussi le mental. 9 Incités par Moi, Le Soi de tous les êtres, Ces éléments s’interpénétrèrent En parfaite harmonie Pour devenir l’embryon de l’univers, Ma résidence. 10 Je restai dans cet embryon, Flottant sur l’océan amniotique universel Et de Mon nombril poussa Le lotus de l’univers— Avec Brahma, né de lui-même En son centre. 11 Par Ma grâce, Le pouvoir de rajas Et ses propres austérités, Brahma, le créateur fit apparaître Les trois mondes : Bhurloka, le monde terrestre, Bhuvarloka, le monde de l’espace et Svarloka, le monde céleste. 12 Svarloka devint la résidence des dieux, Bhuvarloka celle des esprits Et Bhurloka la résidence des hommes et des autres êtres vivants incarnés. Les mondes qui existent au-delà de Svarloka Sont là où résident les parfaits. 13 Brahma, le créateur Fit de la région souterraine de Bhurloka La demeure des démons et des démons-serpents. Dans ces trois mondes, Les destinées se tissent Selon les trois gunas. 161 14 Maharloka, Janaloka, Tapoloka et Satyaloka, Les quatre mondes au-delà des trois mondes Ne sont accessibles que par ceux Qui pratiquent le Yoga, Par ceux qui pratiquent de grandes austérités Ou par de grands renonçants. Ceux qui pratiquent la bhakti Viennent directement à Moi. 15 Je suis le maître du temps Par lequel Les conséquences de toutes les actions entreprises Doivent être dissipées— Parfois s’élever Jusqu’à la hauteur de Satyaloka, Parfois retomber dans une existence terrestre Et le flux des trois gunas. 16 Tout ce qui vient à l’existence— Le petit comme le grand, Le large comme l’étroit— Tout est à la fois Purusha et Prakriti. 17 Mais souviens-toi, souviens-toi : Ce qu’une chose est à son début, Elle l’est de nouveau à la fin— C’est sa réalité, Même entre les deux. Une bague en or est toujours de l’or, Même quand il cesse d’être une bague Et un pot en argile est toujours de l’argile, Même quand elle cesse d’être un pot. L’or et l’argile sont toujours Leur propre nature réelle. 18 Tout ce qui prend forme, Qu’elle soit visible ou invisible, Aura une origine, Et par la transformation Deviendra autre chose— Comme l’argile Est transformée en pot : L’état du pot N’a qu’une réalité relative, Mais l’argile Est sa réalité originelle et finale. 19 Prakriti qui produit la matière 162 Et qui fournit ses ingrédients, Purusha qui est le support, Et le temps qui la parcourt, Je suis en vérité tous trois, Car Je suis Brahman ! 20 Moi seul suis la Cause ultime, Et par Moi, tous les êtres viennent à l’existence. De Moi s’écoule toute la création Et par Moi, elle continue d’exister En grande abondance De génération en génération, Jusqu’à la fin. 21 Pour finir, cette création Qui est parcourue par Moi en tant que temps, Cette scène de naissances et de morts sans fin Ainsi que tous les mondes de la création, S’apprête à retourner à son état originel, Et la dissolution commence. 22 C’est alors que les corps de tous les êtres vivants Se décomposeront pour devenir de la nourriture. La nourriture se décomposera en graines Et les graines se mêleront à la terre. Puis la terre se résorbera En son état subtil—l’odeur. 23 L’odeur se résorbera dans l’eau, Qui se résorbera dans son état subtil—la saveur, Laquelle se résorbera en feu. Le feu se résorbera dans son état subtil—la vision de la forme. 24 La vision se résorbera dans l’air Qui se résorbera dans son état subtil—le toucher Lequel se résorbera dans l’éther, Qui se résorbera dans son état subtil—l’audition. Les sens se résorberont Dans leur propre état subtil—les dieux. 25 Mon cher ami Uddhava, Ces dieux se résorberont dans le mental Et le mental dans l’ahamkara sattvique, Où il demeure comme bonté. Le son se résorbera dans l’ahamkara tamasique, Où il demeure comme ignorance Et l’ahamkara rajasique, La part la plus puissante de cette idée du ‘’je’’ Se résorbera dans l’Intelligence Cosmique. 163 26 L’Intelligence Cosmique Se résorbe dans ses trois propres gunas Qui se résorbent alors Dans la partie non manifeste De Prakriti Qui se résorbe dans le temps. 27 Le temps se résorbe dans le Jiva originel, Le principe activateur de la création Qui se résorbe dans l’Etre suprême unique, Non né, non manifesté, absolu— Où toutes choses viennent à reposer. 28 Tout comme le soleil levant Dissipe les ténèbres nocturnes, De même cette connaissance De la dissolution de toutes choses Dissipe l’ignorance Dans laquelle l’on se voit Comme séparé d’autrui. 29 Ainsi Moi— Le témoin de la conscience et de la matière— Je t’ai donné la connaissance du Samkhya, Qui met fin à tous les doutes. 164 DIALOGUE 20 Dans ce dialogue, Krishna analyse les différents types dans la famille humaine et montre comment les gunas réagissent entre eux et en nous. Ici, Krishna est le guru qui tient un miroir où nous pouvons voir où nous en sommes sur la voie qui conduit à l’Illumination. Il est toujours difficile pour des chercheurs de regarder dans ce miroir, à moins que nous ne gardions à l’esprit l’amour avec lequel il est tenu. Si tout dans ce monde de matière physique et métaphysique est dans un état de changement constant—rajas—alors le contraire de cela—tamas—doit être également présent : la transformation et la conservation existant côte à côte. Des trois gunas, seul sattva peut être dit sans poids et immobile. Les opposés de sattva sont tamas (la masse) et rajas (le mouvement). Ni sattva ni tamas ne veulent quoi que ce soit de neuf dans la création—le vouloir caractérise rajas (le mouvement, l’énergie) seul. Les trois gunas se retrouvent partout dans la création et pourtant, ils ne se mêlent pas et ne se mélangent pas, mais réagissent entre eux. Chacun recherche la prédominance sur les autres. Dans l’obscurité de la nuit, le jour commencera à se lever et vice-versa. Nous dormons et nous nous réveillons avec une énergie et une activité renouvelées. Après une journée de travail, nous sommes vaincus par le sommeil. Pendant toute notre vie, tout ce que nous touchons, tout ce que nous mangeons et tout ce que nous faisons sera gouverné par les gunas, nos trois inséparables compagnons. Ici Krishna nous conseille sur la manière de les surmonter tous les trois : comment subordonner tamas à rajas et rajas à sattva par la pratique dévotionnelle et ensuite, comment les transcender tous les trois, car c’est seulement hors de portée des gunas que nous pouvons faire l’expérience du Soi au-delà de toutes les multiplicités et nous fondre dans l’Unité. 1 Le radieux Krishna parla à nouveau : Ô meilleur d’entre les hommes, Ecoute quand Je t’explique L’effet que chaque guna A sur une personne. 2 Le contrôle du mental Et le contrôle des sens, L’indulgence et la perspicacité, La pratique des austérités Inhérentes à son propre devoir, La franchise et la compassion, L’attention et le contentement, La générosité et le détachement, La honte à l’égard des fautes commises, 165 La foi accompagnée de Charité, de modestie et de simplicité, Et l’intériorisation du regard en direction du Soi ; 3 Le désir de gain matériel, L’action impulsive, La présomption et l’arrogance, L’agitation et l’insatisfaction, Prier toujours pour obtenir un résultat, L’antagonisme, La gratification des sens, Le courage né de l’ébriété ou de l’ivresse, L’amour des louanges et de la renommée, Se moquer des autres ainsi qu’ Une indépendance agressive ; 4 L’intolérance et l’avarice, La tromperie et les autres faussetés, La haine et l’inimitié, L’importunité et l’hypocrisie, La langueur et le caractère destructeur, L’angoisse et l’illusion, La fausse humilité, La paresse et les attentes, La peur et la timidité, 5 Tels sont respectivement les effets De sattva, de rajas et de tamas. A présent, entends leurs effets Quand ils réagissent entre eux. 6 Ô Uddhava, Les idées de ‘’je’’ et de ‘’mien’’ sont le produit direct De la synthèse des trois gunas. Toute interaction avec ce monde Qui s’opère via l’esprit, Les sens, les moyens d’action Et le prana Est le résultat d’une réaction Entre les gunas. 7 Quand une personne Se consacre avec ferveur au mérite religieux, A l’acquisition de la richesse Et à la gratification des désirs, C’est aussi le résultat des trois gunas Qui réagissent entre eux. Ce sont eux qui contribuent à la foi, A la prospérité et à l’attachement. 166 8 Chez la personne qui se consacre totalement aux rites religieux Afin d’obtenir quelque chose Et qui adhère scrupuleusement à la vie de chef de famille Pour obtenir la richesse, Il est dit que c’est le résultat des trois gunas Qui réagissent entre eux. 9 Sattva prédomine Chez les personnes qui sont imprégnées de maîtrise de soi. Rajas prédomine Chez celles qui sont imprégnées de désir, Et tamas prédomine Chez celles qui sont imprégnées de colère. 10 Celui ou celle Qui Me vénère avec une dévotion affectueuse Sans désir de gain Peut être reconnu comme ayant Un tempérament sattvique. 11 Mais s’ils Me vénèrent— Fût-ce en remplissant leurs propres devoirs— Avec à l’esprit un souci de gain, Alors ils peuvent être reconnus comme ayant Un tempérament rajasique, Et ceux qui Me vénèrent Avec l’intention de faire du mal à autrui Peuvent être reconnus comme ayant Un tempérament tamasique. 12 Ces trois gunas N’ont aucun effet sur le Soi suprême, Mais ils affectent la conscience individuelle. Par le mental, ils incitent la conscience A s’attacher au corps Et aux objets matériels. Ceci constitue l’esclavage individuel. 13 Lorsque sattva qui est lumineux, pur et bénéfique Prédomine sur rajas et tamas, L’individu sera imprégné de joie, De vertu et de connaissance. 14 Lorsque rajas, qui donne lieu à l’attachement, A la passion et à l’illusion de la multiplicité Supplante sattva et tamas, L’individu est pris par le désir De renommée et de fortune Et est habité par l’insatisfaction et par la lutte. 167 15 Quand tamas qui obscurcit le jugement, Voile la vision et provoque l’ennui Supplante rajas et sattva, L’individu devient apathique et agressif Et attend toujours une aide déraisonnable d’autrui. 16 Lorsqu’il y a clarté d’esprit, Apaisement des sens Et intrépidité, Alors comprends Que tu es dans le mode de sattva— Dans lequel la réalisation du Soi est possible. 17 Lorsque le mental est devenu actif Et qu’il obscurcit la conscience A cause de l’agitation du corps et des sens, Alors comprends Que tu es dans le mode de rajas. 18 Lorsque le mental devient apathique, Déprimé et terne Et qu’il est incapable de réfléchir sur le Soi, Alors comprends Que tu es dans le mode de tamas. 19 Lorsque chez l’individu, Sattva est à l’ascendant, Sache que le divin est renforcé. Lorsque chez l’individu, Rajas augmente, Sache que le diabolique est renforcé. Lorsque chez l’individu, Tamas progresse, Sache que l’ignorance est renforcée. 20 Chez un individu Dans un état sattvique, On peut s’attendre à de la vigilance. Chez un individu Dans un état rajasique, On peut s’attendre à du rêve Et chez un individu Dans un état tamasique, On peut s’attendre à de la torpeur. 21 Ceux qui suivent la conduite Qui est prescrite dans les Vedas S’élèvent dans des états sattviques de plus en plus élevés. Ceux qui suivent la voie tamasique 168 De l’ignorance Chutent dans des états de plus en plus bas. Ceux qui suivent la voie rajasique De la passion Continuent à fluctuer entre le haut et le bas. 22 Ceux qui meurent dans un état sattvique S’élèvent vers les royaumes célestes. Ceux qui meurent dans un état rajasique Reviennent sur terre sous forme humaine. Ceux qui meurent dans un état tamasique Descendent dans les régions infernales. Ceux qui ont transcendé Ces trois états, Rajasique, tamasique et sattvique Se fondent en Moi. 23 Une action accomplie comme une offrande à Mon égard Sans l’attente d’un résultat Est certainement une action sattvique. Une action accomplie avec un désir De jouir du résultat Est certainement une action rajasique. Une action accomplie avec hostilité et jalousie Est sans aucun doute une action tamasique. 24 La connaissance de l’Absolu est sattvique. La connaissance de la dualité est rajasique. L’absence de connaissance est tamasique. La connaissance de Moi Est au-delà des trois gunas. 25 La forêt est sattvique, La ville est rajasique, Les maisons de jeux sont tamasiques. Mon séjour dans les temples Est au-delà des trois gunas. 26 Celui qui travaille sans attachement Est un sattvika. Celui qui travaille en vue d’un gain personnel Est un rajasa. Celui qui travaille sans distinguer le bien du mal Est un tamasa. Mais celui qui travaille en prenant refuge en Moi Est au-delà des trois gunas. 27 La foi dans la voie spirituelle est sattvique. La foi dans le résultat du travail est rajasique. 169 La foi dans l’ignorance et dans l’ennui est tamasique. La foi dans la dévotion à Mon égard Est au-delà des trois gunas. 28 Une nourriture saine, pure Et facilement préparée est sattvique. Une nourriture qui excite le sens du goût Est rajasique. Une nourriture qui est impure est tamasique. 29 La joie qui provient du Soi est sattvique. La joie qui provient des sens est rajasique. La joie qui émane de l’ignorance est tamasique. La joie que l’on a en faisant l’expérience de Moi Est au-delà des trois gunas. 30 Les objets, les lieux, les résultats, le temps, La connaissance, les actions, les agents, la foi, L’état de conscience, la forme et le but Relèvent tous Des gunas. 31 Ô toi le meilleur des hommes, comprends. Sans exception, Tout ce qui émane De Purusha et de Prakriti, Qu’il soit vu, entendu ou simplement pensé Relève De ces trois gunas. 32 Noble Uddhava, Le cycle de la naissance, de la mort et de la renaissance N’est rien que le flux des gunas Qui sont eux-mêmes le produit de l’esprit. Celui qui les surmonte Par la voie de la dévotion à Mon égard Est absorbé en Moi. 33 Que le sage Qui a obtenu ce corps humain tant désiré Si favorable à la Libération Se libère de l’attachement à ces gunas Et que par la dévotion, il vienne à Moi. 34 Libre de l’attachement, Et les sens sous contrôle, Le sage devrait Me vénérer Avec une conscience affectueuse Et ainsi surmonter rajas et tamas avec sattva. 170 35 L’esprit ainsi calmé, Surmonte même sattva Avec une indifférence continue Pour le monde matériel. C’est ainsi que le sage surmonte les trois gunas, Se défait de l’idée du ‘’je’’ Et fixe son attention sur le Soi absolu. 36 Un tel être— Qui est libéré de la matière et de l’énergie, Du visible et de l’invisible Et des trois gunas Et qui de l’intérieur ou de l’extérieur N’a besoin de rien Et ne désire rien— Est totalement comblé par Brahman. 171 DIALOGUE 21 Pingala, la prostituée et le marchand cupide eurent tous deux l’opportunité d’examiner leur vie et de prendre une direction différente. Le dialogue 21 raconte une histoire similaire à propos d’un roi qui s’était entiché de la nymphe céleste, Urvashi. La nymphe avait prévenu le roi de ne pas s’attacher à elle, car elle le quitterait un jour. Ce jour-là, le roi est anéanti et puis transformé. Chacun de ces protagonistes, de la prostituée au roi, chante un chant sur sa vie et les circonstances qui l’ont conduit au point de révélation. Nous avons tous un chant—mais le chantons-nous ? Je trouve ici intéressant que Krishna ne dise pas qu’ils racontent leur histoire mais qu’ils la chantent. Chanter nécessite une voix différente : un certain ton et une certaine hauteur au-delà de ceux que nous utilisons habituellement. Un chant n’est pas comme une histoire—il ne décrit pas simplement un épisode mais il est toute la légende de la personne. Chacun de nous s’efforce de chanter son propre chant. Et comme dans ces trois vies, nous ne pouvons trouver ce chant que dans nos moments les plus difficiles, car seuls ces moments-là peuvent nous amener—de force—dans la lumière d’une nouvelle conscience. Ce dialogue examine à nouveau l’effet de nos associations. L’esprit n’agit pas de manière indépendante, mais est coloré par le monde qui l’entoure. Si nous ne fréquentons que ceux qui ne recherchent que ce que ce monde a à offrir, c’est aussi ce que nous rechercherons. Krishna recommande que si vous désirez trouver le Soi, alors fréquentez ceux qui font le même voyage. 1 Le radieux Krishna dit : Ayant pris une forme humaine Qui est un reflet Du Soi suprême et bienheureux Installé dans le cœur de tous, Réalise-Moi par la dévotion ! 2 Transcendant les gunas, Celui qui est complètement libre Cesse de s’identifier avec une individualité Etablie dans ce monde. Celui-là voit ce monde Pour l’illusion qu’il est— Une apparition qui n’est pas réelle, Vivante et pourtant non vivante. Bien qu’en ce monde, Le sage ne s’y laisse pas prendre. 3 Ne te lie pas aux gens immatures— Ceux qui ne recherchent qu’à assouvir Leurs passions et leur faim. 172 Si tu le fais, Tu tomberas dans un profond abîme— Comme un aveugle qui en suit un autre. 4 Laisse-Moi te dire le chant Que chanta le roi Pururavas, Quand il revint à la raison Après avoir été bouleversé Par le départ De sa femme, Urvashi.1 5 Quand Urvashi quitta l’empereur, Il courut après elle, nu, Criant comme un possédé : ‘’Reste, tu es ma femme, Ne sois pas cruelle, S’il te plaît, reste !’’ 6 Pendant de nombreuses années, il avait joui Des plaisirs de son corps— Ne voyant même pas Quand les nuits se transformaient en jours. Pourtant il la voulait encore et Soupirait après elle. 7 Le roi Pururavas chanta : Ma passion a eu une terrible emprise sur moi. Pendant des années, j’ai été sous l’emprise de cette déesse, Ne voyant même pas que ma vie passait. 8 Follement épris d’elle, Je ne voyais pas le coucher du soleil Ni son lever. Des jours, puis des années Ont ainsi passé. 9 Où était le pouvoir De ma souveraineté, Quand je courus après cette femme Comme un corniaud, Alors qu’elle me quittait si froidement ? 10 J’étais là, moi, le roi des rois, Et elle s’éloigna, Comme si je n’avais pas plus d’importance Qu’un simple brin d’herbe. Pourtant, nu et sans honte, Je courus après elle en la suppliant de revenir. 173 11 Le courage, l’influence et le pouvoir Me resteront-ils, Maintenant que je me suis dégradé Devant cette femme qui m’a abandonné ? 12 A quoi servent l’éducation, Le renoncement, les austérités, Les rituels religieux Ou des années de vie Dans la solitude et le silence, Si l’esprit Peut être si facilement capturé Par une belle femme ? 13 Malheur à moi ! J’ai obtenu la royauté Et je pensais être au-dessus de tout, Mais je n’étais qu’un idiot— Ignorant son propre intérêt. Je suis le roi conquis par une femme Et mené comme un âne par le bout du nez ! 14 Bien que, pendant de nombreuses années, J’ai bu le nectar de ses lèvres, Ma passion pour Urvashi Enflamma mon corps et mon esprit Encore et encore, Comme un feu nourri par des oblations. 15 Qui, à part le Suprême, Qui est au-delà de ce monde Et qui est l’objet du désir Des saints et des sages Me sauvera à présent Des griffes de cette courtisane ? 16 Non, pas ! C’est moi l’idiot— J’ai été l’esclave de mes propres sens, Car cette déesse, Urvashi, m’avait prévenu Par de sages paroles Que je n’ai jamais écoutées. 17 Je ne peux pas lui en vouloir— J’étais celui réduit à l’esclavage. Une corde par terre Mord-elle l’homme qui la prend pour un serpent ? 18 Ô ce corps impur Destiné aux odeurs nauséabondes de la décomposition ! 174 C’est moi qui fus distrait Par le parfum et la beauté d’une femme, Quand cette beauté N’était qu’une apparence illusoire. 19 A qui ce corps appartient-il ? Est-ce aux parents qui l’ont mis au monde ? Ou est-ce à la femme qui lui donne du plaisir ? Ou peut-être est-ce au patron qui lui donne des ordres ? Ou peut-être appartient-il aux flammes du bûcher funéraire ? Ou aux chiens et aux chacals qui le dévorent ? Ou aux amis, à la famille qui peuvent le réclamer ? Ou au Soi ? Qui sait ? 20 Nous savons à qui finalement appartient ce corps Et pourtant, nous nous y attachons tant. Destiné à une fin modeste, il suffit que ce corps Aperçoive une jolie frimousse et il est immédiatement subjugué : ‘’Quelle beauté ! Quel nez charmant ! Quels yeux merveilleux ! 21 Quelle différence y a-t-il entre ce corps— Composé de peau, de chair, de sang, de tendons, De graisse, de moelle et d’os, Rempli d’urine et d’excréments— Et un corps que se disputent les asticots ? 22 Vraiment, même l’homme sage ferait bien De rester à l’écart des jolies femmes, Car l’esprit n’est agité Que lorsque les sens sont stimulés Par la proximité de l’objet du désir. 23 L’esprit n’est pas troublé Par ce qu’il ne voit pas et n’entend pas. Par conséquent, l’esprit de celui Qui contrôle ses sens Se calme graduellement Et atteint finalement la paix. 24 Il ne devrait pas y avoir D’associations de nature sensuelle Avec les femmes ou avec Des hommes qui convoitent les femmes. Si même les sages se méfient de leurs passions, Qu’en est-il alors de moi ? 25 Le radieux Krishna dit : 175 Après avoir chanté ainsi, Pururavas, le roi des rois, Célèbre même parmi les dieux, Cessa de rechercher Urvashi. Purifié de sa passion, Il parvint à la connaissance transcendante Et en Me réalisant comme le Soi Dans les profondeurs de son propre cœur, Il connut enfin la paix. 26 Celui qui aspire fortement à la sagesse Devrait éviter la compagnie des gens immatures Et chercher à fréquenter les sages, Car ce sont leurs paroles qui trancheront Les attachements du mental. 27 Ces saints parcourent le monde Et sont pourtant indépendants de lui. Ils ont un tempérament calme Et sont au-delà des paires d’opposés, Comme le plaisir et la douleur. Ils rejettent les séductions du monde Et savent que l’idée du ‘’je’’ est fausse. 28 Ô fortuné Uddhava ! En compagnie des sages, On ne parle que du Soi. En écoutant ces gens Purgés de leurs péchés, On surmonte toutes les illusions. 29 Ceux qui écoutent religieusement Ce chant du roi Pururavas Et qui écoutent les discussions des sages S’attachent à Moi Et grandissent en foi et en dévotion. 30 Que reste-t-il à accomplir Pour celui qui M’est dévoué ? Je suis ce Brahman— L’Infini Et l’absolue Félicité. 31 Tout comme celui qui s’approche d’un feu N’a plus à craindre le froid ou l’obscurité, Ainsi en est-il pour celui Qui s’approche des saints. 32 Pour tous ceux qui coulent et qui remontent 176 Sans cesse Dans cet océan du samsara, Les dévots qui connaissent Brahman Sont comme des sauveteurs Qui secourent ceux qui se noient. 33 Tout comme la nourriture est la vie du vivant, Je suis l’ultime refuge du malheureux. Tout comme la religion est la seule richesse A laquelle le mourant peut prétendre, Pour ceux qui sont réclamés par cet océan du samsara, Mes dévots sont l’unique refuge. 34 Mes dévots Eveilleront la vision intérieure Aussi sûrement que le lever du soleil Permet la vision extérieure. Laissez ces saints être vos déités et votre famille— Ils sont le Soi indifférencié de Moi. 35 Après avoir abandonné son attachement envers Urvashi, Le roi Pururavas commença à parcourir la terre, Libre de tout attachement, Ne prenant plaisir que dans le seul Soi. 177 DIALOGUE 22 Dans ce dialogue, Krishna continue de bousculer le rituel formel en plaçant le beurre clarifié de la cérémonie du feu védique sur le même pied que les offrandes d’eau, de fruits, de fleurs et de parfums utilisées dans la puja devant l’ishta devata (la déité choisie). Ceci donne à la simple dévotion personnelle un statut égal au rituel formalisé des Vedas. Dans l’esprit de l’hindouisme, ces nouvelles formes de culte devaient être incorporées dans l’ensemble (dans le verset 31 par exemple, Krishna demande à ses dévots de chanter des hymnes védiques pendant la nouvelle puja). La prêtrise en Inde ne disparut pas, mais assimila plutôt les nouvelles pratiques comme la bhakti. Cette histoire sociale n’est pas étrangère à l’histoire individuelle d’un chercheur spirituel. Au début de notre voyage, nous accomplissons souvent des rites et des rituels par l’intermédiaire d’une tierce personne et nous acceptons l’autorité des autres dans notre relation avec Brahman. Mais il vient un temps où l’intermédiaire doit s’effacer pour nous permettre d’avoir une relation plus directe avec la déité choisie. C’est seulement alors que nous découvrirons le Brahman qui est transcendant et au-delà de toute compréhension ainsi que le Brahman immédiat et immanent. Certains des rituels que Krishna nous donne ici sont simples, alors que d’autres sont complexes et compliqués. Il nous laisse le choix de ce qui est approprié. 1 Le fidèle Uddhava dit : Adoré Krishna, s’il Vous plaît, expliquez-moi Comment Vous rendre un culte dans une cérémonie. Dites-moi également qui Vous rend un culte de cette manière Et dans quel but. 2 De grands sages comme Narada,1 Le divin Vyasa et même Brihaspati, Fils d’Angira et précepteur des dieux Ont dit qu’une telle adoration rituelle Est la route qui mène à la bonté et à la Libération. 3 Je sais que les instructions pour de telles cérémonies Furent d’abord portées de Vos lèvres Aux oreilles de Brahma, le créateur Qui les transmit à ses fils—Bhrigu et les autres. Les ayant apprises de Vous, le grand Shiva Les transmit à son épouse, Parvati. 4 Bienfaiteur, Je sais que la voie de la dévotion 178 Qui peut être atteinte par ce rituel Est une voie que chacun peut emprunter— Qu’il soit de haute ou de basse caste, Homme ou femme. 5 Ô Bienfaiteur, Maître de l’univers, A votre dévot sincère, transmettez Cette méthode pour trancher Les nœuds du karma. 6 Le radieux Krishna dit : Les prescriptions védiques pour une telle adoration Sont en réalité infinies, ô Uddhava, Aussi laisse-Moi te dire brièvement Comment tu peux pratiquer Une telle adoration rituelle. 7 Il y a trois modes D’adoration que J’accepte : Le védique, le tantrique2 ou un mélange des deux. Choisis-en un des trois Et utilise celui-là. 8 Ecoute comment celui Qui a reçu l’initiation Peut m’adorer Par la prescription védique, Avec dévotion. 9 Avec sincérité et dévotion Et avec les offrandes appropriées, L’initié devrait M’adorer : Comme le Suprême Guru Ou comme le Résident intérieur dans la déité, Le Résident intérieur dans le sol sacré, Le Résident intérieur dans le soleil, Le Résident intérieur dans l’eau Ou même comme le Résident intérieur Du propre cœur de l’adorateur. 10 Purifie d’abord le corps En te baignant et en te lavant les dents. Ensuite, accomplis une deuxième purification avec de la terre, En récitant les mantras Des Vedas et du Tantra. 11 Les Vedas disent 179 Que l’on devrait célébrer Mon culte A chacun de ces trois moments particuliers de la journée : Aube, midi et crépuscule. On devrait prendre le vœu de célébrer un tel culte Avec la résolution De l’accomplir de manière juste Et avec les prières appropriées. Ceci détruira à la racine tous les karmas. 12 Une image de Moi Peut être faite de pierre, de bois, de métal, De terre telle que l’argile, De pâte de santal Ou peut être gravée sur des pierres précieuses Ou peinte sur une surface Ou ce peut être une image Formée dans l’esprit. Telles sont les sortes d’images Par lesquelles on peut Me rendre un culte. 13 Cher Uddhava, Ces images sont le lieu où le divin réside Et peuvent être divisées en deux types : Les permanentes et les provisoires. Une fois qu’il y a eu invocation Invitant la présence du divin Dans une image permanente, Celle-ci ne peut plus être rejetée. 14 L’invocation pour une image provisoire Est facultative, à moins que Celle-ci ne soit installée sur un sol sacré, Auquel cas une telle invocation est obligatoire. Toutes ces images seront baignées, A l’exception de celles faites en argile, en bois ou en pâte de santal— Celles-ci pourront être aspergées d’eau Symboliquement. 15 Un dévot sincère ne devrait vénérer une image Qu’avec des offrandes de la meilleure qualité. Si l’image est contenue dans le cœur, Alors ces offrandes devraient aussi venir du cœur. 16 Lorsqu’on Me vénère Sous la forme d’une image, Le bain et l’ornement Me sont spécialement chers. Lorsqu’on Me vénère Sous la forme d’une image tracée sur un sol sacré 180 Et que Mes puissances sont établies Aux endroits adéquats Par la récitation des mantras Et des offrandes de sésame et d’orge Trempées dans du beurre clarifié, Cela M’est également cher. 17 Lorsqu’on Me vénère sous la forme du soleil, La méditation des douze asanas Et leurs mantras Me sont très chers. Lorsqu’on Me vénère sous la forme de l’eau, Vénère-Moi en offrant cette eau même. Sois certain que ce qui M’est offert Avec dévotion et avec foi Est ce qui M’est le plus cher. 18 Je ne Me réjouis pas d’une offrande Faite par quelqu’un qui manque de dévotion— Peu importe sa valeur. Mais Je Me réjouis Lorsqu’une personne remplie de dévotion M’offre même la plus petite chose. Imagine alors comment Je reçois les dons D’huiles parfumées, d’encens, de fleurs, et de nourriture Qui sont offerts avec amour. 19 Après s’être baigné Et après avoir réuni les offrandes pour la cérémonie, Le dévot devrait installer un tapis d’herbe sacrée Pour servir de siège En le disposant face à l’est ou au nord, Ou si l’image est permanente, Il devrait faire face à l’image directement. 20 Le dévot devrait sanctifier Les parties de son corps En les touchant avec de l’eau Tout en récitant les mantras appropriés.3 Il fera de même avec La déité vénérée, La cruche contenant l’eau Et les objets du culte. 21 Avec de l’eau de ce même récipient, Le dévot devrait asperger le sol Autour de la déité, les offrandes Et son propre corps. Puis le dévot peut préparer les récipients 181 Qui contiendront l’eau de la puja Avant de les remplir. 22 L’adorateur devrait consacrer Les trois récipients d’eau— Pour le bain des pieds de la divinité, Pour offrir à la salutation, Pour offrir à boire— En psalmodiant ces trois mantras sacrés : ‘’Hridaya manah’’, la formule du cœur, Pour le récipient d’eau destiné au bain des pieds, ‘’Shirase svaha’’, la formule de la tête Pour le récipient d’eau destiné à la salutation, ‘’Shikhayai vashat’’, la formule de la couronne Pour le récipient d’eau destinée à être bue. Ensuite, il devrait psalmodier le mantra de la Gayatri. 23 Puis l’adorateur devrait visualiser Son propre cœur et le cœur de son corps subtil Comme ayant été purifiés, D’abord par le vent qui sèche Et puis par le feu qui brûle : Ce sont les anciens purificateurs. Que cet espace vide soit ensuite rempli Par le nectar qui s’écoule de la lune Dans le centre du front. Qu’il voit ensuite dans le cœur la Forme suprême Installée à jamais sur un lotus. Ma présence est là— Aussi subtile que l’écho final Du mantra pranava, Om. 24 Tout comme une lampe éclaire une pièce entière, Le dévot devrait ressentir que Ma présence Imprègne tout le corps Et ensuite M’abandonner L’espace du corps. Ensuite avec beaucoup de respect, Le dévot devrait toucher Les différentes parties de l’image En psalmodiant les mantras appropriés Et ressentir que la déité est également entrée dans l’image Qu’il est sur le point de vénérer. 25 Le dévot devrait savoir Que ce qui supporte Le lotus sur lequel repose la déité Est fait de quatre pieds : Dharma, la vertu, 182 Jnana, la sagesse, Vairagya, le détachement, Aishvarya, la souveraineté Et de quatre côtés qui constituent leurs opposés : Adharma, l’absence de vertu, Ajnana, l’absence de sagesse, Avairagya, l’absence de détachement, Anaishvarya, l’absence de souveraineté. Les trois gunas sont les trois supports de base Et les neuf shaktis font toutes partie de ce support : Vimala, la pureté, Utkarshini, l’exaltation, Jnana, la connaissance, Kriya, l’accomplissement d’actions, Yoga, les pratiques de pouvoir mystique, Prahvi, l’humilité, Satya, la vérité, Ishana, le pouvoir et Anugraha, la grâce. Sachant cela, le dévot peut procéder A l’adoration et offrir : 26 L’eau pour les pieds, L’eau pour la salutation et L’eau pour la bouche Avec les autres objets du culte. Par une telle puja, Le dévot obtiendra du mérite Dans ce monde et dans le suivant. 27 Le dévot devrait également vénérer Mes armes : Mon disque, sudarshana, avec lequel Je protège les mondes, Ma conque, panchajanya, Ma massue, Mon épée, Mes flèches et Mon arc. Il devrait aussi vénérer Ma charrue et Mon pilon Et aussi se souvenir de vénérer les trois choses Qui reposent éternellement sur Ma poitrine : Mon célèbre bijou, le joyau Kaustubha,4 Ma guirlande et le symbole blanc du Shrivatsa.5 28 Vénère aussi par des offrandes de bienvenue Tous ceux qui M’assistent : Nanda, Sunanda, Garuda, Prachanda et Chanda, Mahabala et Bala, Kamuda et Kumudekshana. Tous ceux-ci M’entourent Dans toutes les directions. 183 29 Le dévot devrait également vénérer Par une offrande d’eau et une puja La grande déesse Durga et Le dieu éléphant Vinayaka, Ainsi que les sages Vyasa et Vishvakshena.6 Tous ceux-ci M’entourent également. 30 Suivant la richesse du dévot, La déité devrait être baignée dans des eaux parfumées Et vénérée quotidiennement Avec de la pâte de bois de santal et du camphre, Du safran, du bois d’aloès et des racines odorantes. 31 Ceci devrait être accompli en psalmodiant Des hymnes sacrés des Vedas dont Les mantras du Rig Veda, Du Sama Veda, du Rajana Sama Et du Rohina Sama.7 32 Puis le dévot Devrait Me parer avec des vêtements, Le cordon sacré, Des ornements et des bijoux, La marque du tilak8 et une guirlande Et oindre Mon corps avec des huiles sacrées. 33 Avec foi le dévot M’offrira L’eau pour les pieds et la bouche, Des huiles parfumées et des fleurs, Des grains entiers, de l’encens Et une lampe. 34 Si c’est dans leurs possibilités, Les dévots peuvent M’offrir Du sucre ou du riz au lait sucré, Des gâteaux à base de noix de coco et de farine, Des tartes, Du yoghourt, des légumes et autres nourritures. 35 Les jours de fête Ou même si possible quotidiennement, La déité sera ointe Avec des huiles et des poudres parfumées. On lui présentera un miroir Et une brindille pour curer les dents Et on lui offrira des aliments Qui peuvent être mangés sans mâcher Ainsi que de la nourriture qui doit être mâchée. Pour le bain, 184 On offrira les cinq sortes de nectar9 Et on divertira la divinité Au moyen de chants et de danses. 36 Si le dévot M’adore par le feu, La surface devrait être choisie et nettoyée Suivant les injonctions des Vedas. Après avoir allumé le feu sacré, Le dévot devrait le nourrir Avec du bois offert de ses propres mains. 37 Ensuite le dévot doit étaler Des herbes sacrées autour du feu Et les asperger d’eau. Après avoir placé le bois d’allumage dans le feu En récitant les mantras sacrés Prescrits dans les Vedas, Le dévot peut placer tout près les offrandes Et méditer sur Moi en tant que feu. 38 Mon teint aura La couleur de l’or fondu ; En mains, Je tiendrai La conque, le disque, la massue et le lotus ; J’aurai un visage serein, Et Je porterai un vêtement de pétales de lotus De couleur or. 39 Je porterai une couronne scintillante, Des bracelets étincelants et une ceinture. La marque shrivatsa sera sur Ma poitrine Avec l’étincelant joyau kaustubha Et Je porterai une guirlande De fleurs sauvages. 40 L’offrande du dévot Sera du bois à brûler trempé dans du beurre clarifié. Le dévot devrait faire Les deux offrandes de beurre clarifié connues comme agharas : Le beurre clarifié devrait être versé Du nord au sud Et du sud au nord De la fosse sacrificielle En prononçant des mantras appropriés. 41 Puis on devrait continuer à offrir les offrandes au feu En psalmodiant les mantras des dieux En commençant par le Yamaraja. Le dévot devrait aussi psalmodier 185 Les seize vers Du Purusha Shuktam10 En faisant une offrande à la fin de chaque vers. 42 Après M’avoir ainsi vénéré Et s’être prosterné, Le dévot devrait faire des offrandes Aux associés de la déité En prononçant pour chacun son propre mantra particulier. Ensuite, le dévot Devrait s’engager dans un mantra silencieux Et méditer sur la déité En tant que Soi suprême. 43 Puis, le dévot Devrait de nouveau offrir de l’eau Pour le bain des pieds et de la bouche Et offrir les restes de la nourriture de la déité A Vishvakshena. Ensuite, le dévot devrait présenter à la déité Une noix de bétel parfumée. 44 Les dévots devraient chanter Des hymnes honorant la déité, Danser, Et se raconter mutuellement Des histoires concernant la déité. C’est ainsi que les dévots Devraient rester absorbés Dans la gloire du Soi. 45 Toutes sortes d’hymnes et de prières Seront utilisés comme offrandes. Le dévot devrait se prosterner Devant la déité En utilisant les anciens mantras Et en récitant des prières de miséricorde. 46 Après avoir placé sa tête Aux pieds de la déité, Le dévot devrait se tenir en face d’elle, Les mains en prière, Et demander miséricorde Comme s’il se tenait devant les mâchoires de la mort. 47 Ensuite le dévot peut recevoir Les restes du sacrifice offert En les touchant respectueusement de la tête. Si après la cérémonie l’image doit être enlevée, 186 Alors le dévot devrait de nouveau Placer la lumière de la déité A l’intérieur de son propre cœur. 48 Comme Je suis le Soi suprême de tous, Je serai présent dans toute forme Dans laquelle le dévot souhaite M’adorer— Je suis même la présence à l’intérieur du dévot. Je suis le Soi de l’univers Et cela qui transcende cet univers. 49 En Me vénérant Par cette pratique du Kriya Yoga11 Qui est prescrite dans les Vedas et dans les Tantras, Le dévot recevra la bénédiction de la perfection Dans cette vie comme dans la suivante. 50 Le dévot peut assurer un culte permanent En bâtissant un temple Avec des jardins agréables Où pousseront les fleurs pour la puja. 51 Celui qui Me vénère régulièrement Et les jours de fête Avec des présents de valeur Recevra une splendeur égale à la Mienne. 52 En installant la déité dans un temple, On gouverne la terre. En bâtissant un temple, On gouverne les trois mondes. En vénérant et en servant la déité, On monte jusqu’au monde de Brahma, Et en faisant les trois, On obtient une forme transcendante semblable à la Mienne. 53 Mais celui qui s’engage Dans ces cérémonies dévotionnelles Simplement par amour pour Moi Sans aucune pensée de récompense— Celui-là est le dévot Qui parvient au Soi. Ainsi ai-Je décrit Les modes du culte rituel. 54 Qui vole Ce qui est destiné au culte— Même si c’était un don Initialement fait par le voleur— 187 Celui-là vivra comme un ver Pendant dix mille fois dix mille ans. 55 Non seulement le voleur, Mais tout complice éventuel Partagera ce destin En proportion de sa complicité. 188 DIALOGUE 23 Ce dialogue contient l’un des enseignements les plus directs de tout le texte. Les paroles de Krishna sont plus que jamais pertinentes—le temps qu’il lui reste à passer sur terre est court et toute confusion restante doit être éliminée. J’ai constaté que les vérités que mon propre guru, Swami Venkatesanandaji, enseignait à l’aide de paroles douces, initialement, quand je l’ai rencontré, étaient dites sans ‘’fioritures’’ à la fin de sa vie. La vie est courte et chacun de nous marche vers la certitude de la mort, sans savoir avec certitude quand nous l’atteindrons. C’est maintenant, au beau milieu de nos vies, que nous devons dissiper notre confusion, et la manière de le faire est de renoncer à la mythologie que nous avons construite autour de nous-mêmes et du monde que nous percevons. Nous devons commencer à partir du point où la seule chose que nous pouvons dire avec conviction est, ‘’Je pense que je suis en train d’expérimenter quelque chose, mais sans être parfaitement sûr de ce que c’est.’’ Et c’est à ce moment-là que l’ahamkara refuse vigoureusement toute coopération en s’accrochant férocement à l’illusion, comme si c’était une réalité. Le scientifique Arthur Eddington le dit à sa manière : ‘’Rien n’est réel. Pas même la femme du scientifique ! La physique quantique le conduit à croire que sa femme est une équation différentielle plutôt complexe…Pour conclure crûment, la substance du monde est de la substance mentale.’’1 C’est cela ! La ‘’substance’’ du monde est de la substance mentale. C’est seulement quand ceci devient une conviction que notre enquête spirituelle peut commencer et si nous restons fidèles au voyage, nous parviendrons à la vision que Krishna nous promet au verset 33… 1 Le radieux Krishna dit : Comprendre l’unité essentielle De Purusha et Prakriti T’aide à éviter de faire des jugements Au sujet de la nature des actions d’autrui. 2 Louer et critiquer, C’est simplement S’engager envers ce qui est irréel. Ceci ne peut mener qu’à une vision Toujours limitée à la dualité. 3 Quand un individu Rêve ou dort profondément, 189 Il perd conscience du monde extérieur. Si tu ne vois que le monde des multiplicités Et si tu n’élargis pas ta vision à l’Un, Tu seras semblable au rêveur et au dormeur Et tu continueras à rencontrer l’illusion de la mort. 4 Dans une dualité qui n’existe pas vraiment, Qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui est irréel ? Qu’est-ce qui est bien et qu’est-ce qui est mal ? Pourtant, faire de tels jugements Et en parler Leur procure une réalité dans l’esprit. 5 Les reflets, les échos et les mirages— Même si l’on sait qu’ils sont irréels— Provoqueront une réaction. Ainsi le corps Continue d’inspirer une crainte de la mort, Aussi longtemps que l’on s’identifie à lui. 6 Seul le Soi suprême est. Il est le créateur et le créé, Le protecteur et le protégé, Le destructeur et le détruit. 7 Par conséquent, rien d’autre n’existe que le Soi. Ce qui paraît exister, Cette triple catégorie Du soi de chaque être ou de chaque objet, De l’agent par lequel il existe et se déplace, Et de la chose elle-même— Tout cela n’existe que dans le Soi Et ne semble séparé qu’à cause de maya. 8 Celui qui sait ceci Et pour qui Cette connaissance est devenue réalité Ne juge ni ne critique. Une telle personne Va dans ce monde Comme le soleil qui brille sur tous de manière égale. 9 Par sa propre perception, Par le raisonnement ou par l’autorité des Ecritures, On arrive à la seule conclusion Possible à propos de ce monde : Il a eu un début et il aura une fin. Sachant ceci, Va dans le monde, 190 Mais sois-en libre. 10 Le fidèle Uddhava dit : Les expériences—comme la naissance et la mort, Le plaisir et la douleur—ne sont faites Ni par le Soi qui est le sujet, Ni par le corps qui est l’objet. Pourtant, elles semblent être faites. Qu’est-ce alors qui fait l’expérience ? 11 Le Soi est éternel, transcendant et pur— Il est lumière pour Lui-même, comme le feu. Le corps matériel est comme du bois non enflammé, Incapable de lumière de par lui-même. Alors, qu’est-ce qui subit réellement L’expérience d’une vie matérielle ? 12 Le radieux Krishna dit : Aussi longtemps que le Soi se voit En raison d’une intelligence sans discernement Comme le corps, les sens et la vitalité Et se limite à ceux-ci, Cette existence relative, bien qu’irréelle, Apparaîtra réelle. 13 Tant qu’un rêve n’est pas dérangé, Tous les objets qui le composent apparaîtront réels. De même, bien que ce monde d’expérience N’existe pas plus que le rêve, Aussi longtemps que les gens s’identifient à lui, Ils continueront à subir ces expériences, Même si leur nature véritable est transcendante. 14 Dans un rêve, On peut faire l’expérience de beaucoup de choses perturbantes. Pourtant, au réveil, On cesse d’être dérangé par elles. Une fois réveillé, L’expérience passée ne provoque plus de perturbation. 15 Des émotions comme la tristesse et la joie, La peur et la colère, l’avidité, l’engouement, La confusion etc., Appartiennent toutes à l’idée du ‘’je’’ Qui expérimente la naissance et la mort— Mais pas au Soi. 191 16 Le Soi, caché dans le corps, Les sens, le prana et le mental Est appelé Jiva. Le corps subtil Constitué du karma et des gunas Se développe à partir de la manifestation première Connue comme Intelligence Cosmique. Gouvernés par le temps, Ils opèrent dans ce monde du samsara Comme s’ils étaient distincts. 17 Le sage A l’intelligence aiguisée Par une dévotion juste au guru, Tranche l’idée du ‘’je’’ Qui est la cause principale De ce monde de multiplicités Et est par conséquent libre Tout en circulant dans ce monde. 18 La sagesse est la capacité De distinguer le réel de l’irréel. Une telle sagesse peut s’obtenir Par l’étude des Vedas, Par l’accomplissement de ses propres devoirs, Par la pratique d’austérités, Par la perception directe, Par l’écoute des récits historiques Et par la simple logique. Une telle sagesse te fera comprendre Que ce qui était à l’origine de la création Et qui continuera après la création Est aussi ce qui est maintenant— En tant que création et sa cause. 19 Tout comme l’or Existant en tant que tel Avant d’être transformé en ornement Reste de l’or une fois transformé, Qu’on l’appelle bracelet, Boucle d’oreille ou bien collier Et qu’il est toujours de l’or une fois que l’ornement est fondu— De même suis-Je la cause de cet univers : Je suis ce que Je suis, Même quand on M’appelle création. 20 Mon cher Uddhava, Cet agent par lequel L’esprit est soumis aux trois états 192 De veille, de rêve et de sommeil profond, L’agent par lequel la création Est soumise aux trois gunas, Et cela qui est le support De l’agent par lequel la création Apparaît, se transforme et disparaît— Cela seul est la Vérité. 21 Ce qui n’existait pas avant cette création Et qui n’existera pas après sa disparition N’existe pas non plus durant la création— Dire que oui, c’est simplement des mots vides Qui ne signifient rien. Ceci est Ma conviction : Tout ce qui est créé et révélé Par un autre objet ou être N’est rien d’autre que son créateur et son révélateur. 22 Non réel, il apparaît du guna rajas Comme la multiplicité des choses comprenant Le mental, les sens et les objets Dans lesquels sont pris les sens. Toutefois, tout ceci n’est rien d’autre Que le Brahman lumineux de par Lui-même. 23 Ecarte tous les doutes Par une claire compréhension de la Réalité. Cesse de t’identifier à l’irréel Et identifie-toi au Réel— Brahman. Détourne-toi des moments de plaisir fugaces Et jouis de l’extase permanente Du Soi éternel. 24 Ce corps matériel appartient à la matière, Pas au Soi éternel. Ni les sens, Ni le prana, ni l’air que tu respires, Ni l’eau, ni le feu, ni le mental, Ni l’intelligence, ni les nerfs sensoriels, Ni l’idée du ‘’je’’, ni l’espace, ni la terre Et pas même L’état indifférencié originel de la matière Ne peuvent être considérés comme étant le Soi. 25 Lorsqu’il y a identification totale et complète Avec le Soi, Qu’est-ce que cela peut faire Si les sens 193 Qui ne sont rien de plus que les gunas S’agitent et se précipitent vers l’extérieur ? Cela importe-t-il au soleil Si les nuages vont et viennent ? 26 Tout comme l’espace reste inviolé Par l’air, le feu, l’eau et la terre, Ou par le changement des saisons— De même le Soi reste inviolé Par l’idée du ‘’je’’ et par le flux des gunas. 27 Néanmoins, tout contact avec les objets Qui attirent les sens Par le pouvoir illusoire de maya Devrait être fermement rejeté— Jusqu’à ce que par la dévotion et la pratique, Toute passion soit enlevée de l’esprit. 28 Tout comme une maladie qui n’a pas été proprement éradiquée Reviendra encore et encore et provoquera de la douleur, Ainsi en sera-t-il avec un esprit Qui n’est pas adéquatement purifié des désirs Chez un yogi qui n’a pas atteint la perfection. 29 Parfois, la réalisation complète du Soi Est interrompue par la famille et les amis Qui sont envoyés par les dieux pour distraire le yogi. Mais grâce à ses pratiques de yoga, Il reprendra ses efforts dans la vie suivante Et ne sera plus piégé par le cycle De l’action et de la réaction. 30 Poussés par l’ignorance, Les gens s’engagent dans des actions Pour réaliser certains buts Jusqu’à ce que la mort les surprenne. Ce n’est pas le cas du sage qui, Plongé dans la félicité du Soi N’est pas attiré par le gain matériel, Même en vivant dans le monde de L’action et de la réaction. 31 Le sage, La conscience fixée sur le Soi, Laisse le corps faire ce qui lui est naturel : Manger, dormir, se lever, s’asseoir, Marcher, se coucher, déféquer, Et toutes ses autres fonctions biologiques. 194 32 Quand un sage Perçoit un objet des sens, Il comprend pleinement Qu’il n’a pas d’existence propre Et qu’il n’est rien d’autre que le Soi. Pour le sage, La nature distincte de l’objet N’a pas plus de réalité Qu’un rêve qui s’évanouit Pour quelqu’un qui s’éveille. 33 Cher Uddhava, Avant l’arrivée de la sagesse, Les gens s’identifient Avec tout ce qui est Du domaine des gunas— Ce qui inclut toutes les actions entreprises, Mais en cultivant la sagesse, Cette ignorance se dissipe Et seul le Soi demeure : Ni accepté, ni rejeté, Il est ce qu’Il est. 34 La lumière du soleil levant Chasse l’obscurité Et révèle le monde des objets extérieurs— Mais elle ne les crée pas. De même, la réalisation du Soi chasse les ténèbres Qui obscurcissent la conscience d’une personne. 35 Le Suprême n’est jamais caché à la vue. Il est autolumineux, non né et incommensurable. Il est Conscience pure et transcendante, pleinement conscient. Il est un sans second. Il est au-delà du langage— Car il est Cela qui incite le langage Et par quoi fonctionne la vitalité. 36 En effet, il n’y a pas de base Pour une perception de la dualité Dans le Soi— C’est seulement le produit D’un esprit confus. 37 Le monde des multiplicités apparentes Qui apparaît par les cinq tattvas, Comme nom et forme N’a pas de réalité. 195 Ceux qui ergotent que oui Et que les passages védiques qui y font référence Devraient être pris à la lettre Le font parce qu’ils ne comprennent pas. 38 Si le corps d’un yogi Qui n’est pas encore un expert Devait être en proie à des obstacles, Ce qui suit est à recommander : 39 Certains obstacles seront vaincus Par la concentration de l’attention, D’autres en s’engageant dans des asanas yoguiques Avec la concentration et le contrôle de la respiration. D’autres encore pourront être surmontés par des austérités spéciales, Des mantras ou même des herbes médicinales. 40 Des obstacles plus durables peuvent être vaincus En méditant sur Moi et en chantant Mon nom, Ou en groupe ou bien seul Et en rendant service aux grands yogis. 41 Il y en a qui se consacrent A ces pratiques yoguiques qui donnent Un corps puissant qui reste jeune Et qui ne succombe pas à la vieillesse. Leurs pratiques du yoga visent A l’obtention de siddhis. 42 Toutefois, le sage Connaît l’extrême futilité de cet effort Car tous les corps meurent. Ils savent que le Soi est au corps Ce que l’arbre est au fruit— L’un reste et l’autre pourrit. 43 Dans la pratique du yoga, Le corps physique peut devenir fort. Toutefois, le sage accepte cela Sans y attacher aucun espoir Et ne se consacre qu’au Soi. 44 C’est ainsi que le yogi actif Qui prend refuge en Moi Et qui est sans désir N’est jamais accablé Et parvient à la réalisation du Soi. 196 DIALOGUE 24 Dans le dernier dialogue de l’Uddhava Gita, Bhagavan Shri Krishna indique la fin de l’enseignement et Uddhava prend congé pour suivre le chemin que son maître lui a expliqué. Après avoir lu cet enseignement de Krishna, nous avons le choix. Nous pouvons continuer à vivre comme nous avons toujours vécu ou nous pouvons suivre la voie d’Uddhava—dans les montagnes silencieuses du Soi. Si nous suivons la voie d’Uddhava, il se peut que nous puissions continuer à vivre comme nous l’avons toujours fait jusqu’à présent, mais toute notre orientation intérieure aura changé. Nous regarderons ce monde du point de vue du sommet de la montagne, sans plus jamais tomber dans le piège de la fausse identification qui conduit de tristesse en tristesse. Si nous allumons la lampe de la dévotion pour éclairer le chemin de nos vies, si nous vivons dans l’esprit du renoncement—sans chercher notre bien propre, mais en recherchant toujours la Source—nous allumerons une lampe pour tous. 1 Le fidèle Uddhava dit : Cette pratique du Yoga est extrêmement difficile Pour celui qui n’a pas encore Maîtrisé ses sens ni son mental. Il doit certainement y avoir un moyen plus facile Pour obtenir cette Réalisation. 2 Ô Bien-Aimé aux yeux de lotus, Souverain de toute la création, Je sais que souvent Ceux qui sont engagés dans ces pratiques yoguiques Deviennent frustrés : Incapables de pacifier l’esprit, Ils ne parviennent pas à l’état méditatif Et se découragent. 3 C’est pour cette raison Que ceux qui savent discerner Le réel de l’irréel Prennent refuge dans Vos Pieds de Lotus Qui répandent sur tous la Félicité. Ceux qui ne savent pas cela Et qui s’enorgueillissent De leurs exploits de yogis Sont vaincus par Votre toute puissante maya. 4 Ô Infaillible, 197 Ami de tous, Tandis que des dieux comme Brahma Posent leur couronne sur Votre repose-pied, Vous traitez amicalement tous ceux Qui viennent à vous. Vous étendez Vos bénédictions, Même aux serviteurs et aux animaux Qui recherchent Votre compagnie. Car incarné en tant que Prince Rama, Vous Vous êtes lié d’amitié et Vous avez donné Votre affection Au singe Hanuman. 5 Tous ceux qui connaissent La grâce que Vous conférez A ceux qui viennent à Vous avec dévotion Se détourneront de la voie Qui ne mène pas à Vous. Vous êtes le Bien-Aimé, Le Soi de l’univers entier, Celui qui exauce tous les souhaits. Qui pourrait rejeter la grâce que Vous conférez ? Qui pourrait Vous oublier Et embrasser le monde à la place, Sachant qu’une telle étreinte Finirait dans l’oubli de Vous ? Pour nous qui sommes engagés à épousseter La poussière de Vos pieds, Il n’y absolument rien Qui nous manque, que nous désirons ou dont nous avons besoin. 6 Ô Vous qui êtes le Tout en Tout, Ni les poètes ni les experts en yoga Ne pourraient exprimer leur gratitude et leurs dettes envers Vous, Recevraient-ils une vie dont la longueur égalerait celle du dieu Brahma. Vous Vous révélez Vous-même en écartant notre ignorance, Et ceci, Vous le faites sous une forme double— En tant que maître à l’extérieur, En tant que Soi à l’intérieur. 7 Le bienheureux Shuka dit : Ainsi prié par Uddhava Dont l’affection était sincère, Le radieux Krishna, le Suprême, L’Un qui est aussi la trinité— Brahma, Vishnu et Shiva— Eut un sourire éclatant Et entreprit de répondre. 198 8 Le radieux Krishna dit : Oui, laisse-Moi te dire Quelques pratiques spirituelles Qui te mèneront à Moi Et grâce auxquelles— Si elles sont pratiquées avec Foi et dévotion envers Moi— Tu vaincras la mort. 9 Place en Moi Ton esprit Et tout ce qu’il contient. Offre-Moi le tout. Entreprends calmement le travail Associé à tes devoirs terrestres Et offre-Moi le tout. 10 Prends refuge hors de ce monde Dans les lieux sacrés Où résident ceux qui Me sont dévoués. Imite la conduite de ceux Qui se consacrent à Moi. Tu les trouveras partout— Parmi les dieux, les hommes et les démons. 11 Organise individuellement ou avec d’autres Le jour d’Ekadashi1 et les autres jours fériés Des rassemblements et des festivals Où les gens pourront chanter et danser Ma gloire, Comme ils le feraient pour célébrer le faste d’un roi. 12 Avec un cœur pur Reposant dans un pur esprit, Ne vois que Moi Comme le Soi immortel De tous les êtres. Vois ce Soi comme Ce qui est intérieur à toi Et extérieur à toi— Aussi vaste que le ciel. 13 Ô brillant Uddhava, Celui qui contemple le monde De ce point de vue, Et qui voit en tous les êtres vivants Ma Présence, Qui offre respect et considération A tout ce qu’il rencontre, 199 14 Qui regarde d’un œil égal Les gens de haute naissance et les gens de basse naissance, L’étincelle et le soleil, Le doux et le cruel, Je le considère comme un sage. 15 Celui qui est toujours Attentif à Ma Présence en tous Surmonte rapidement toute tendance à La rivalité, à la jalousie et à la vanité, Née de l’idée d’un ‘’je’’. 16 Fais fi du mépris et des moqueries De tes amis et de tes connaissances, Rejette toute gêne liée A l’apparence extérieure Et incline-toi sincèrement devant tous, Qu’ils soient hors castes, chiens, ânes ou vaches. 17 Vénère ainsi chacun En pensées, en paroles et en actes— Et Ma Présence en tous Te sera rapidement révélée. 18 Cette vision par laquelle la Vérité est révélée, Où Brahman est vu comme existant partout Te libérera de tous les doutes Et de toute recherche ardue. 19 Cette forme d’adoration Est la plus haute : Avec le corps, l’esprit et la parole, Considère tous les êtres comme étant Moi-même. 20 Mon cher Uddhava, J’ai établi la dévotion Comme voie spirituelle Par laquelle la Vérité ultime peut être connue. Aucun de ceux qui l’empruntent ne souffrira de manque. 21 Uddhava, toi le plus pieux d’entre les hommes, Toute activité mondaine Qui M’est offerte Sans le désir d’une récompense— Même s’il y a des craintes liées à une telle entreprise— Est la plus haute voie spirituelle Que quiconque puisse emprunter. 22 Cet enseignement est certainement 200 La sagesse du sage Et l’intelligence de celui qui a du discernement : Par lui, on utilise l’irréel Pour parvenir au Réel. 23 Je viens de t’enseigner La connaissance de l’Absolu Dans ses généralités et ses particularités. Même pour les dieux, Cet enseignement est difficile à comprendre. 24 Je t’ai donné cet enseignement D’une manière claire et raisonnée, Comme Je l’ai donné auparavant. Celui qui le comprend Sera libéré des doutes Et atteindra la Libération. 25 Celui qui chérit dans son esprit Ce dialogue entre nous Dans lequel est transmis Mon enseignement, Réalisera le Brahman éternel et immortel Caché dans les Vedas. 26 A celui qui transmet cet enseignement Qui confère à mes dévots La plus haute connaissance, A celui-là, Je me donne complètement. 27 Celui qui lit quotidiennement à haute voix Cet enseignement sacré et purifiant— Allumant par là une lampe Avec laquelle les autres peuvent voir— Je le purifierai. 28 Celui qui quotidiennement écoute Cet enseignement Avec une dévotion attentive Ne s’attachera jamais Aux activités de ce monde, Tout en y prenant part. 29 Mon cher ami Uddhava, As-tu maintenant compris La véritable nature de Brahman ? Et l’illusion et la tristesse Ont-elles été effacées de ton esprit ? 201 30 Ne transmets pas ces enseignements A celui qui est arrogant, Dépourvu de foi ou menteur, Peu disposé à écouter Ou qui manque de dévotion. 31 Tu ne devrais en parler Qu’à ceux qui sont libres De ces faiblesses, Qui se dévouent Et qui se consacrent au bien-être des saints. Les dévots hors castes Ou femmes peuvent aussi écouter ces enseignements. 32 Le chercheur n’a pas besoin d’une autre connaissance Que la connaissance transmise dans cet enseignement— Tout comme il ne reste rien à boire Après avoir goûté le nectar de l’immortalité. 33 Pour tous les dévots Qui sont comme toi, Uddhava, J’incarne tout ce qui peut être obtenu Par la poursuite du Mérite religieux Et l’accomplissement du devoir, La pratique du yoga, Le commerce et l’agriculture Et même par l’exercice du pouvoir. 34 Ceux qui M’abandonnent Tout ce qu’ils font Et tout ce qu’ils sont Recevront Ma grâce Et deviendront candidats à cette réalisation du Soi Par laquelle ils deviennent un avec Moi. 35 Le bienheureux Shuka reprit : Ayant reçu cet enseignement De la voie directe et excellente du yoga De Shri Krishna Lui-même, Uddhava demeura en silence, Incapable de prononcer même un seul mot. Ses mains étaient jointes Et son cœur débordait, Alors que les larmes coulaient le long de ses joues. 36 Reprenant le contrôle de lui-même Et sachant à quel point il avait été béni, 202 Il s’inclina et Toucha de sa tête Les Pieds de Lotus du prince des Yadus. Puis, il prononça ces mots : 37 Le fidèle Uddhava dit : Ô Créateur de Brahma, Les ténèbres épaisses de l’ignorance Auxquelles je me suis accroché tout ce temps Ont été chassées par Vos mots. La peur de l’obscurité et du froid Peut-elle prévaloir contre celui qui a découvert La lumière et la chaleur du feu ? 38 La lumière de la sagesse Que voilait le pouvoir de Votre maya M’a été rendue, à moi, Votre serviteur, Par Votre compassion. Comment celui qui est Conscient de cette compassion Pourrait-il abandonner Vos Pieds Et chercher refuge ailleurs ? 39 Les liens d’affection Qui me liaient à la famille et aux amis, Ces liens Dont je ne pouvais percevoir La nature réelle A cause du voile de maya, Vous les avez tranchés Avec l’épée de la connaissance. 40 Toutes les louanges Vous sont dues, Ô grand Maître de tous les yogas, En Vous seul je prends refuge. Dites-moi encore ceci : Comment puis-je rester à jamais fidèle A Vos seuls Pieds de Lotus ? 41 Le radieux Krishna répondit : Ô Uddhava, rejoins maintenant Tout de suite l’ermitage de Badarika2 Qui est Mon lieu saint. Purifie-toi là-bas En te baignant dans les eaux purifiantes Qui s’écoulent de Mes pieds. 203 42 Contemple la grandiose rivière Alakananda3 Et sois purifié par cette vue. Vêtu seulement de l’écorce des arbres, Et en ne mangeant que leurs fruits, leurs noix et leurs baies, Sois heureux et libre de tous désirs. 43 En supportant toutes les paires d’opposés Et avec un comportement saint, Vis ta vie paisiblement Dans la connaissance Que Je t’ai transmise Qui contrôle les sens et fixe l’esprit Sur le but de la réalisation du Soi. 44 Que toutes tes actions et toutes tes pensées Soient centrées sur Moi et Moi seul. Engage-toi dans des actions Qui Me plairont. Ainsi transcenderas-tu Les trois destinées offertes par la nature, Céleste, humaine ou animale— Qui sont dictées par les trois gunas— Et à la place, tu te fonderas en Moi. 45 Le bienheureux Shuka reprit : Ainsi instruit par Shri Krishna, Uddhava, les mains jointes, Fit le tour du radieux Krishna, En le gardant sur sa droite. Puis, il plaça de nouveau sa tête Sur les pieds de Krishna Et les baigna de larmes Provoquées par la pensée D’être séparé Du gracieux Bien-Aimé. 46 Le cœur brisé A la pensée de cette séparation, Uddhava reçut de Krishna Le cadeau de ses propres sandales. Il les plaça sur sa tête, Puis il partit. 47 Avec le radieux Krishna solidement installé dans son cœur, Uddhava se rendit directement à Badarika comme il lui avait été ordonné. Là, il vécut suivant ces enseignements Et atteignit le bienheureux état d’unité Avec Shri Hari. 204 48 Cet enseignement précieux Donné à son disciple Uddhava Par Shri Krishna Dont les Pieds sont vénérés par les maîtres du Yoga Contient un océan de Félicité. Celui qui l’adopte Avec une foi authentique Est assuré de la Libération. 49 Je me prosterne devant le Suprême Shri Krishna, la source des Vedas. Comme une abeille tire l’essence de la fleur, Son enseignement nous a donné l’essence des Vedas. Par sa miséricorde, ses fidèles ont bu le nectar De l’océan de Félicité. 205 ÉPILOGUE Uddhava a accepté sa tâche. Il a accepté le dharma donné par son guru, Krishna, et il est parvenu à l’expérience de l’Unité. Mais qu’en est-il de Bhagavan Shri Krishna, le Purna Avatar, le maître et ami de tous, le Radieux ? Dans les pages subséquentes du Bhagavatha Purana, le sage Shuka décrit ce qui se passa ensuite. Sachant que Dwaraka allait être détruite, Krishna envoie les femmes, les enfants et les vieillards en lieu sûr à Sankhoddara. Les jeunes hommes sont priés d’aller se purifier à Prabhasa. Mais la purification ne sert à rien et le destin des Yadus est scellé lorsqu’ils attaquent Krishna et que Lui et Balarama les détruisent. Après cette bataille, alors qu’il se repose près d’un arbre, le pied de Krishna est transpercé par la flèche d’un chasseur. Ceci aussi avait été prédit, et dans un moment ultime de méditation, Krishna quitte ce plan terrestre. Krishna Vasudeva est-il mort ? Les vers du Bhagavatha Purana qui traitent de cette question sont fascinants et mystérieux : Avec devant lui Brahma, les sages célestes et les dieux Qu’il savait être nul autre que lui-même, Le radieux Krishna ferma ses yeux de lotus Et se retira dans le Soi. Pratiquant la méthode yoguique d’Agni dharana, Il brûla le corps qui avait réjoui tous ceux qui le connurent Et qui, lorsqu’on médite dessus, Confère la grâce au dévot. Puis il entra dans son propre royaume. (Livre 2, 31 : 5-6) Le mot mystérieux ici est dagdhva. Certains traducteurs ont lu adagdhva (‘’sans brûler’’), et d’autres comme Swami Venkatesananda ont lu dagdhva (avec combustion). On peut trouver une dernière indication dans le verset 13 de ce même dialogue : Le radieux Shri Krishna Avait le pouvoir de créer, de préserver et de détruire Toute la création. Pourtant il ne souhaita pas Préserver son corps ici plus longtemps, Même s’il le pouvait, Car il a toujours enseigné que ce qui est périssable Ne vaut pas la peine d’être sauvé. Le corps de Shri Krishna est-il mort ? C’est à chaque dévot de décider pour lui-même—les textes laissent suffisamment d’ambiguïté pour que chacun puisse répondre de la manière qui lui semblera la plus acceptable. 206 Peut-être Krishna meurt-il chaque fois que nous ne le laissons pas vivre dans nos vies de la manière qu’il a prescrite. Peut-être Krishna vit-il lorsque nous ouvrons nos cœurs à ses enseignements et que nous nous purifions de la façon qu’il a enseignée—par l’amour et la compassion envers tous les êtres exercés dans un esprit de renoncement. Ainsi, quand Uddhava demande ‘’Emmenez-moi avec Vous,’’ Krishna donne en réponse l’entièreté de l’Uddhava Gita en lui disant comment suivre la voie vers ce qu’il cherche. Si nous suivons cette voie, alors sûrement Krishna vit-il et Vaikuntha devient l’espace de nos propres cœurs, quand Dvaraka—l’idée du ‘’je’’— est engloutie. Ram Tirtha, le saint et mystique du vingtième siècle se fit l’écho de cet enseignement lorsqu’il dit : ‘’Quand vous me recherchez, ne cherchez pas à la circonférence où rien ne se rencontre—allez au centre où toutes choses se rencontrent.’’ 207 GLOSSAIRE SANSCRIT Adharma : absence de rectitude, de vertu Advaita (a = ‘’non’’, dva = ‘’deux’’) : non-dualisme, l’enseignement qui déclare que toute existence est une. Un système philosophique de l’hindouisme. Agni : le feu Ahamkara (aham = ‘’je’’, kara = ‘’faire’’) : l’idée du ‘’je’’, l’ego, ce qui nous sépare des autres. Une évolution de Prakriti. Ahimsa : non-violence Ajnana : absence de connaissance Akasha : espace Anahata (an = ‘’non’’, hata = ‘’frappé’’) : son mystique produit sans frapper. L’anahata chakra est le siège de la conscience. Il est situé au niveau du cœur dans le sushumna nadi. Antar Yoga : adoration intérieure où les formalités extérieures deviennent inutiles. Anugraha : grâce Aparigraha : absence de convoitise Apas : eau Arjuna : un des frères Pandava qui joue un rôle majeur dans le Mahabharata ; le disciple à qui Krishna conféra l’enseignement connu sous le nom de Bhagavad Gita. Asteya : ne pas voler Atman : le Soi, l’essence éternelle de tout, le Suprême Avadhuta : un purifié ; un aspirant spirituel qui commande le respect universel et qui a la connaissance du Soi. Avairagya : absence de détachement Avatar (ava-tri = ‘’descendre’’) : descente directe de Dieu sur terre ; une incarnation divine. Balarama : le frère de Krishna Bhagavad Gita : le ‘’Chant de Dieu’’ ; dans le Mahabharata, le poème qui contient l’enseignement de Krishna donné à Arjuna sur le champ de bataille. Bhagavan : le divin, l’adorable. Généralement, cette épithète s’applique ou à Krishna ou à Shiva, en tant que possesseurs de qualités que seul un dieu peut posséder—le pouvoir absolu, le courage, la renommée, la richesse, la connaissance et le renoncement. Bhagavatham : le ‘’Livre de Dieu’’, un des Puranas de la secte vishnouite. Il est aussi appelé Bhagavatha Purana. Bhakta : un dévot qui suit la voie de la bhakti. Bhakti Yoga : la voie du yoga consacrée au culte et à l’adoration. Brahma : premier membre de la trinité hindoue ; le dieu responsable de la création. Brahmacharin : celui qui pratique le brahmacharya. Brahmacharya : (Brahman = ‘’Soi transcendant’’, acharya = ‘’disciple‘’ ou ‘’chercheur’’) : celui qui cherche à connaître Brahman ; le premier stade de la vie dans le système varnashrama. Brahman (‘’expansion’’) : la Réalité suprême, le Soi. Brahmana : voir brahmin 208 Brahmin : un membre de la caste des prêtres, l’ordre le plus élevé dans le système varnashrama Buddhi : (budh = ‘’s’éveiller’’) : conscience, compréhension, une évolution de Prakriti. Chakra (‘’roue’’) : un centre dans les nadis du corps subtil Dharana : concentration, le second stade de la méditation Dharma (dhri = ‘’supporter, soutenir’’) : ce qui est établi, la loi, le devoir, la justice, la vertu, la nature ou qualité essentielle de toute chose, de la simple cellule à l’être humain. Dhyana : concentration ininterrompue, quand l’esprit est complètement sous contrôle et fixé sur la déité choisie. Dvaita (‘’duel’’) : école du Vedanta fondée par Madhva qui met l’accent sur la dualité entre Brahman et l’individu. Dwaraka : célèbre ville ancienne sur la côte nord-ouest de l’Inde ; la capitale de Krishna qui fut engloutie dans l’océan, à la suite du départ de Krishna. Gayatri : mantra védique ; nom d’une déesse Ghee : beurre clarifié non salé employé dans le rituel védique. Govinda : un des noms de Krishna Grihastha : deuxième stade de la vie dans le système varnashrama Guna : les trois qualités de la création : sattva, rajas et tamas. Guru : celui qui est inébranlable ou imperturbable ; celui qui est établi dans la réalisation du Soi ; le précepteur spirituel essentiel sur la voie spirituelle. Hamsa (‘’cygne’’) : un symbole de la Réalité suprême ; un mantra symbolique sous forme de l’inspiration (ham) et de l’expiration (sa)—ham est le symbole du Purusha et sa est le symbole de Prakriti ; ensemble ils sont Ishvara. Hanuman : suprême dévot de Rama qui fut la première incarnation humaine de Vishnu, et de Sita, l’épouse de Rama. Hari (hri = ‘’voler’’ : celui qui a volé nos cœurs) : un des noms de Krishna. Indra : gouverne les dieux et le ciel Indriya : organe, membre, sens, action, organe d’action (comme la main ou l’œil). Ishta devata : la déité choisie—la déité utilisée pour le culte de son choix ou pour se concentrer dans la méditation. Ishvara ; ce qui est ; la déité Ishvara prahidhana : s’aligner sur la déité Jagat : univers décrit dans les Puranas ; la terre est le lieu où s’accomplit le karma et où se récolte le samsara. Jiva : vivant ; tout ce qui est vivant ; Brahman en tant qu’individu. Jnana : connaissance qui enlève la souffrance qui résulte d’avidya (l’ignorance). Il y a deux types de jnana : bauddha (l’intellectuelle) et paurusa (l’intuitive). C’est cette dernière qui conduit à la Libération. Jnana Yoga : la voie du Yoga qui conduit à la connaissance des tattvas et à l’expansion de paurusa (la connaissance intérieure ou intuitive). Jnanendriyas : les cinq organes de perception : le nez, la langue, l’œil, la peau, l’oreille. Kala : temps et doctrine du temps ; une des évolutions de Prakriti Kali Yuga : le quatrième et âge final du cycle actuel de création Kalpa : âge Karma (kri = ‘’faire’’) : action ; actions passées qui conduisent à un résultat. 209 Karma Yoga : le Yoga de l’action désintéressée. Karmendriyas : les cinq organes d’action : le reproducteur, l’excréteur, les pieds, lea mains, la langue. Keshava (‘’celui qui a de longs cheveux’’) : un des noms de Krishna. Krishna : ‘’le sombre’’ qui signifie Krishna ou ‘’celui qui nous attire à lui’’ qui signifie Vishnu ; né en réponse à un appel de la Terre mère pour être débarrassée du fardeau de l’injustice. Kriya : accomplissement d’actions Kriya Yoga : système du Yoga qui emploie des rituels et des pratiques de purification. Kshatriya : caste des guerriers dans le système varnashrama Kurukshetra : le champ de bataille dans la Bhagavad Gita. Kusha : herbe sacrée employée dans les rituels. Mahabharata : le plus long poème de l’Histoire ; un des poèmes épiques écrit en sanscrit il y a plus de trois mille ans. Mahat Tattva : Intelligence Cosmique Manas : esprit, mental Mandala : forme ou motif géométrique souvent ‘’perçu(e)’’ en méditation et qui indique généralement un aspect de l’Infini. Mantra : incantation mystique ; puissante formule de mots ou de sons à réciter tout haut ou intérieurement ; les textes védiques. Maya : illusion ; fausse connaissance ; ce qui est limité ou mesuré ; ce qui cherche à limiter ou à mesurer. Mimamsa : un des six systèmes orthodoxes de l’hindouisme plus précisément nommé Purva Mimamsa. Moksha : salut, libération spirituelle Nada (‘’son’’) : l’Etre Suprême s’exprimant en tant que création par la première vibration du son. Nadi : méridiens du corps subtil où circule le prana. Il y en aurait 72000. Les sushumna, ida et pingala nadi sont les plus importants. Narayana : un des noms de Krishna Niyama : contrat avec soi ; culture de vertus personnelles spécifiques comme la pureté, le contentement, l’autodiscipline physique, l’étude des Ecritures et s’aligner sur l’Infini. Om : le mantra pranava (à une seule syllabe) considéré comme le plus puissant et le plus sacré de tous les mantras. Panchatattva : terre, eau, feu, air et espace. Pingala : nom de la prostituée du dialogue 3 ; un des trois nadis les plus importants. Prahvi : humilité Prakriti : principe de création ; le pendant de Purusha ; l’origine de l’univers. Prana (‘’remplir’’) : la vitalité qui remplit la création. Pranayama : pratiques par lesquelles le prana ou vitalité est amené sous contrôle (souvent des pratiques respiratoires, mais pas toujours). Prithvi : terre Puja : hommage rendu à la déité ou à l’ishta devata avec de l’eau, de la nourriture, des fleurs et des parfums. Purana (‘’ancien’’) : un groupe de textes sanscrits rédigés en vers qui relatent des histoires et des généalogies de dieux et de sages et qui possèdent leur 210 propre cosmologie. Parmi les Purunas les plus importants, il y a le Bhagavatha Purana (dont l’Uddhava Gita est extrait), le Vishnu Purana, le Shiva Purana et le Devi Bhagavatha Purana. Purusha : la personne ; la contrepartie de la matière ; le Soi transcendant ; ce qui est, mais qui est non-impliqué dans la création. Purushottama : la Personne suprême, un nom de Vishnu. Purva Mimamsa : voir Mimamsa Rajas : second des trois gunas ; la force d’expansion, la création, la passion ; l’énergie Rishi (celui qui voit) : membre d’un groupe d’anciens sages à qui les Vedas furent révélés. Rudraksha mala : collier de perles de prière constitué de 108 baies séchées. Rupa : la forme vue ; l’apparence extérieure Sadhana : pratiques qui mènent à la réalisation du Soi. Samadhi : (sam = ‘’ensemble’’, adhi = ‘’supérieur’’, ‘’au-dessus’’ et ‘’l’Absolu’’) : fusion de l’individu avec l’Absolu. Samsara : cycle de la naissance, de la mort et de la renaissance. Sanatana dharma (‘’loi éternelle’’) ; nom adopté par des réformateurs hindous au dix-neuvième siècle. Sankhya : système philosophique proposé par le sage Kapila, précurseur du bouddhisme et de l’Ashtanga Yoga de Patanjali. Sannyasa : stade final de la vie dans le système varnashrama ; renoncement. Sannyasin : celui qui pratique le sannyasa Santosha : contentement Satsanga : association avec des personnes spirituellement pures Sattva : premier des trois gunas ; loi, pureté Satya : vérité Saucha : pureté Shakti : énergie ; nom d’une déesse Shiva (‘’l’auspicieux’’) : le troisième membre de la trinité hindoue ; le dieu de la destruction ; celui qui préside à la destruction de l’ego (ahamkara). Shudra : la quatrième caste du système varnashrama Shuka : narrateur de l’Uddhava Gita, fils du sage Veda Vyasa Siddhi : perfections ; les pouvoirs provenant de certaines sadhanas. Sushumna (‘’l’étincelant’’) : le nadi principal qui va du muladhara chakra jusqu’au sommet du crâne ; son flux suit la colonne vertébrale. Svadharma : le propre dharma de chacun Svadhyaya : étude de la vérité Tamas : troisième des trois gunas ; force de contraction ; sommeil ; léthargie ; ténèbres ; ignorance ; inertie Tanmatras : les cinq éléments subtils de la matière : le son, le toucher, la forme, le goût, l’odeur Tantra : ancienne religion précédant les Vedas Tapas (‘’chauffer’’) : austérité, autodiscipline Tarpana : aspersion d’eau dans certains rituels Tattva : les principes de la création Turiya (‘’le quatrième’’) : le quatrième état de conscience au-delà de la veille, du rêve et du sommeil profond ; l’ultime champ de la connaissance. Tyaga : renoncement, spécialement l’acte formel du sannyasa 211 Uddhava : cousin, conseiller, ami et serviteur de Krishna Upanishads (upa = ‘’proche’’, ni= ‘’en bas’’, shad = ‘’s’asseoir’’) : l’enseignement que reçoit le disciple quand il s’est approché du maître ; la partie finale des Vedas également appelée Vedanta (‘’fin des Vedas’’). Uttara Mimamsa : voir Vedanta Vairagya : détachement Vaishya : troisième caste dans le système varnashrama Vamana : la cinquième incarnation de Vishnu, sous la forme d’un nain. Varnaprastha : troisième stade du système varnashrama Varnaprashtin : celui qui pratique le varnaprashta Varnashrama : la loi du Sanatana Dharma qui utilise le système des castes et les quatre stades de la vie. Vasudeva : membre du clan Yadu et père de Krishna Vayu : air Veda Vyasa : sage célèbre, compilateur des Vedas Vedanta : les Upanishads ; un des six systèmes philosophiques acceptés dans l’hindouisme orthodoxe, fondé sur les enseignements des Upanishads ; également appelé Uttara Mimamsa. Vedas (‘’connaissance’’) : les Ecritures sacrées de l’hindouisme ; la révélation directe de la connaissance aux anciens rishis ; quatre Vedas subsistent : le Rig Veda, le Sama Veda, le Yajur Veda et l’Atharva Veda. Vidvat-sannyasin : sannyasin qui possède la connaissance Vijnana : connaissance ultime Vimala : pureté Vishishtadvaita : philosophie du non-dualisme qualifié développée par Ramanuja ; soutient l’unité des choses, mais aussi la réalité de toutes les multiplicités. Vishnu (‘’le tout-pénétrant’’) : deuxième membre de la trinité hindoue ; dieu de la protection et par conséquent, celui qui s’incarne sur la terre comme Avatar ; surtout adoré sous les formes de Rama, Krishna et Venkateshvara. Vrindavana : le village où Krishna passa son enfance Yama : contrôle de soi relatif au contact avec les autres—inclut la nonviolence, ne pas voler, ne pas convoiter, la vérité, l’absence d’avidité et la continence sexuelle ; le dieu qui préside la mort Yoga (yuj = ’’joindre’’) : unir, unifier ; un système de libération codifié par le grand sage Patanjali Yogi : celui qui pratique le Yoga Yuga : voir kalpa ; âge ou éon ; quatre yugas sont mentionnés dans le Bhagavatham : le Krita Yuga, le Treta Yuga, le Dvapara Yuga et le Kali Yuga. Le Kali Yuga a commencé avec le départ de Krishna. 212 AUTRES LECTURES Bhattacharya, B., Saivism and the Phallic World, Oxford and IBH Publishing Co, New Delhi, 1975 Bhattacharya, N.N., History of the Tantric Religion, Manohar Publishers and Distributors, New Delhi, 1992 Danielou, A., The Myths and Gods of India, Inner Traditions,Vermont, 1991 Feuerstein, G. and Miller, J., The Essence of Yoga, Inner Traditions, Vermont, 1998 Flood, G., An Introduction to Hinduism, Cambridge University Press, 1996 Krishnananda, Swami, A Short History of Religious and Philosophic Thought in India, The Divine Life Society, P O Shivanandanagar, U.P. India, 1994 Madhavananda, Swami, The Uddhava Gita, Advaita Ashram, 5 Delhi Entally Road, Calcutta, 700014, 1997 O’Flaherty, W.D., Hindu Myths, Penguin, London, 1975 Venkatesananda, Swami, Christ, Krishna and You, The Chiltern Yoga Foundation, California, 1983 Venkatesananda, Swami, The Book of God, Yoga Trust, P O Elgin, Cape Province, South Africa, 1974 213 REMERCIEMENTS Ma gratitude va à mon guru, Swami Venkatesanandaji qui le premier m’a mis sur cette voie, et à tous les autres maîtres qui ont empêché mes pieds de glisser. A Swami Narasimhuluji de l’Ashram Sivananda de Rishikesh pour son aide avec les magnifiques prières complexes de ce texte et ses nombreuses autres gentillesses. A Mataji Panna Desai, qui avec beaucoup de douceur m’a également assisté avec les prières. Un merci tout particulier à Swami Agnivesh, de l’Arya Samaj et leader du Bandhua Mukti Morcha—un travailleur infatigable pour le compte de certains gens parmi les plus pauvres et les plus privés de la parole de la planète. Doué pour encourager les gens, il m’a toujours encouragée, quand mon moral battait de l’aile. A Fiona Robertson, de Frances Lincoln, dont la méticulosité dans le travail et la patience et la diplomatie avec tous ne faiblirent jamais. A Uddhava Samman et Kadambari Michaels pour avoir lu le manuscrit. A Hermione Evans, physiothérapeute, ainsi que Diana et Nick Nixon, spécialistes de la thérapie du massage, dont le massage appliqué au muscle déchiré de mon épaule rendit la tâche de la dactylographie plus facile. Je remercie mon ami, Uddhava Samman, et ma fille, Samantha Ife, pour l’aide affectueuse et généreuse qu’ils m’ont apportée, sans laquelle je n’aurais pu prendre le temps d’écrire. Comme d’habitude, je remercie brahmacharini Manisha Wilmette Brown pour sa révision lucide et soigneuse et pour m’avoir mis les mots au bout des doigts, quand seulement les images étaient claires pour moi. C’est par-dessus tout ses encouragements affectueux et son attention qui ont rendu possible de partager les enseignements de mon guru de cette manière particulière. 214 NOTES DE TRADUCTIONS INTRODUCTION Bhattacharya B., Saivism and the Phallic World, Volume 1, Oxford and IBH Publishing Co, New Delhi, 1975, page 46. 1 DIALOGUE 1 Brahma est le créateur de l’univers. Il fait partie de la trinité hindoue (trimurti) composée de Brahma, de Vishnu, le protecteur qui descend dans le monde de matière en tant qu’Avatar et de Shiva, le destructeur. 1 Le terme ‘’Bhagavan’’ est traduit tout au long du texte en ‘’le Radieux’’. De toutes les incarnations de Vishnu, seul Krishna est une incarnation totale (purnavatara). Incarnant l’amour et la compassion, il enseigne la voie de la bhakti ou de la dévotion. Le nom Krishna signifie ‘’sombre’’, ce qui suggère à certains historiens qu’il avait le teint sombre et que, par conséquent, il appartenait à un peuple de tradition non aryenne qui fut plus tard incorporée dans le panthéon aryen. Son nom peut également faire référence à l’âge sombre (le Kali Yuga) qui vint après sa mort. Dans le Bhagavatham, Krishna est l’Un suprême. 2 Le texte indique en fait ‘’Brahmatma Jaih’’ ou ‘’Brahma et ses fils’’. Sanaka et ses frères sont les premiers-nés. Bien qu’il ne soit pas mentionné dans le texte par son nom, la présence de Sanaka est sous-entendue. 3 Les versets 2 et 3 énumèrent les êtres célestes qui descendent à Dwaraka. Indra est généralement considéré comme le roi des dieux régnant sur les cieux. Les Maruts, terme qui s’applique habituellement aux 49 dieux du vent, divinités du monde entre le ciel et la terre, représentent le souffle vital. Les Aditiyas, fils de la déesse Aditi (le vaste espace primordial de la création) sont des incarnations de la Loi qui régit tous les rapports sociaux. Les Vasus, décrits dans le Rig Veda comme les serviteurs d’Indra, sont l’Etoile Polaire (Dhruva), l’Eau (Apa), la Lune (Soma), la Terre (Dhara), le Vent (Anila), le Feu (Anala), l’Aube (Prabhasa), la Lumière (Pratyusa). Le terme ‘’Vasu’’ peut signifier ‘’ce qui entoure, ce qui environne’’ et dans le commentaire de Shri Sankaracharya sur la Chandogya Upanishad, les Vasus sont ainsi nommés parce qu’ ‘’ils demeurent ou font demeurer’’. Ainsi, ils sont les mondes d’existence. Les Ashvins sont les déités jumelles de la bonne fortune et de la santé et sont aussi considérés comme les médecins des dieux. Les Ribhus étaient initialement des mortels qui acquirent le statut de dieux en accomplissant des rites religieux avec une grande expertise. Angiras, le dieu de la connaissance magique ou un rishi, selon le Mahabharata, est l’un des principes cosmiques. Les Rudras, première création de Rudra, appartiennent au deuxième stade de l’évolution cosmique, quand le principe vital apparaît pour la première fois. Les Vishvedevas sont les principes universels. Alain Daniélou, dans The Myths and Gods of India (Inner Traditions, Vermont, 1991, page 255) cite le Devisukta du Rig Veda : ‘’Je vagabonde avec les principes vitaux (les Rudras), les mondes d’existence (Vasus), les principes souverains (Aditiyas) et les dieux qui tout pénètrent (Vishvedevas).’’ Les Sadyas sont les déités qui régissent les moyens de réalisation. Les Gandharvas sont les musiciens célestes. Les Apsaras sont les danseuses célestes, mais également l’essence non manifeste des choses qui se produisent dans la nature, comme l’eau. Je songe aux Apsaras comme au potentiel non manifeste. Les Nagas sont des serpents. Les Siddhas sont des êtres qui ont atteint la perfection et les Caranas sont leur suite d’admirateurs. 4 215 Les Guhyakas sont une catégorie de demi-dieux qui, avec les Yakshas, sont les serviteurs de Kubera et les gardiens de son trésor. Les Guhyakas (terme qui signifie ‘’élevés dans un lieu secret’’) sont ainsi appelés, car ils sont censés avoir été élevés dans les cavernes des montagnes. Les Rishis sont les saints et les sages anciens qui furent les visionnaires des hymnes védiques. Les Pitaras sont les ancêtres ou pères défunts. Les Vidyadharas sont les anciens détenteurs de la sagesse capables de changer de forme à volonté. Les Kinnaras sont des humains célestes à tête de cheval. Egalement attachés à Kubera, ils chantent les louanges des dieux. Les Vedas sont les premières Ecritures de l’hindouisme. On considère qu’ils contiennent la somme de toute la connaissance ‘’vue’’ dans sa globalité par les anciens rishis et c’est ainsi qu’ils sont considérés comme la parole de la révélation divine. Le terme veda vient de vid, qui signifie ‘’savoir’’. Le sage Veda Vyasa est supposé être l’auteur de la mouture actuelle des Vedas. Ils furent pour la première fois mis par écrit (en sanscrit) plusieurs milliers d’années avant Jésus Christ, bien qu’ils existaient depuis longtemps avant cela. Quatre Vedas ont survécu : le Rig Veda, le Yajur Veda, le Sama Veda et l’Atharva Veda.. 5 Krishna est ici salué comme le prince des Yadus. Il était une incarnation de Vishnu qui descendit de son royaume céleste de Vaikuntha pour naître dans la dynastie des Yadus, un clan guerrier basé à Dwaraka. (Actuellement, Dwaraka est située sur la côte nord-ouest de l’Inde). L’incarnation de Krishna était destinée à ‘’soulager la terre du fardeau du mal’’, et à la fin du Bhagavatham, il a accompli sa destinée en assurant la suprémacie du clan des Pandavas et en veillant à la destruction de la dynastie des Yadus. 6 L’un des mythes les plus importants associés à Vishnu est l’histoire des trois pas basée sur un mythe de la création qui provient du concept védique de mesurer, déployer et soutenir toutes les parties de l’univers. Le nain Vamana était l’une des incarnations de Vishnu. L’histoire raconte qu’un roi nommé Bali obtint la souveraineté des trois mondes (le ciel, la terre et l’espace entre les deux) grâce à ses bonnes actions. Les dieux supplièrent Vishnu de rendre à Indra sa souveraineté et Vishnu les obligea. Il apparut devant Bali sous la forme du nain Vamana. Vamana demanda à Bali qu’il exauce un souhait et Bali acquiesça, suite à quoi Vamana dit qu’il voulait obtenir de son royaume autant qu’il pouvait parcourir en trois enjambées. Bali accepta sans hésiter, et lorsque Vishnu en seulement deux enjambées eut déjà parcouru le ciel et la terre, Bali offrit sa tête en échange du troisième pas. Vamana laissa à Bali la garde des enfers. 7 Les mots qui apparaissent ici comme ‘’matière’’ et ‘’esprit’’ sont ‘’Prakriti’’ et ‘’Purusha’’ dans le texte. Ce sont deux termes issus de la philosophie samkhyenne que l’on interprète généralement comme un système dualiste dans lequel l’esprit et la matière sont vus comme étant séparés. Toutefois, B. Bhattacharya signale que ces termes ont une tradition plus ancienne qui remonte au Tantra dans laquelle ils signifient ‘’nature’’ (Prakriti) et ‘’Conscience-témoin’’ (Purusha). ‘’La Prakriti du Samkhya n’est qu’une complexité du corps composé, rien d’individuellement différent du Purusha.’’ On peut dire de l’individu manifesté qu’il est Prakriti, le résultat de l’ignorance et de l’inconscience qui sont elles-mêmes illusoires. Tous deux ne sont séparés que comme ‘’…la nourriture et le goût ou la lumière et la vue’’ (Bhattacharya, page 211). Pour le mystique, toutes les formes de la matière ramènent finalement à la Conscience. 8 DIALOGUE 2 1 Krishna s’est incarné avec son frère, Balarama Après avoir réalisé son objectif de débarrasser la Terre du fardeau du mal, Krishna sut qu’il était temps de rentrer dans son royaume céleste de Vaikuntha. Il observa que le clan dans 2 216 lequel il était né était devenu prospère et arrogant. Comme toujours, Krishna permet l’évolution de sa volonté par l’action des autres. Lorsque des jeunes Yadus insultent des sages et provoquent ainsi une malédiction catastrophique, Krishna atténue la malédiction, mais ne l’annule pas complètement. Les Yadus accomplissent leur propre destinée et sont finalement détruits. La cosmologie des Puranas est très détaillée. A la fin de chaque kalpa (éon), l’univers est détruit par une conflagration. Puis il est submergé sous sa forme embryonnaire dans les eaux cosmiques, tandis que Brahma jouit d’un sommeil bien mérité. Brahma est réveillé quand un nouveau kalpa doit être créé. Chaque kalpa comprend quatre yugas. Ils commencent avec le meilleur, quand la création est la plus proche de son origine divine et se terminent par le pire, le Kali Yuga, quand le divin est le plus caché et que la vie spirituelle est au plus bas. Il est dit que nous sommes actuellement dans le Kali Yuga qui débuta à la mort de Krishna. Il se terminera par la venue de l’incarnation de Vishnu connue comme Kalki. 3 Narayana est l’un des vingt-deux noms de Vishnu. Tandis que l’univers est en sommeil dans l’océan cosmique, Vishnu dort, flottant sur le serpent Sesa. Il est alors appelé Narayana (‘’se déplaçant sur les eaux’’). Narayana peut également signifier ‘’demeure de l’humanité’’. L’image transmise dans ce verset est celle d’un sage qui s’expérimente aussi silencieux et incommensurable que Narayana reposant sur l’eau cosmique. 4 On étudie généralement ensemble le Samkhya et le Yoga. Ces deux systèmes orthodoxes hindous peuvent même prétendre être plus anciens que les Vedas. On décrit souvent le Samkhya comme un système athée, mais, quoique analytique, son sujet est la transcendance. L’ancien sage Kapila fut le fondateur légendaire du Samkhya. Celui-ci enseigne l’existence des tattvas, les vingt-cinq éléments constituants de base de la matière issus de Prakriti (que l’on traduit généralement par ‘’création’’, mais que l’on pourrait tout aussi bien traduire par ‘’évolution’’). Buddhi se développe à partir de Prakriti, conscience intelligente qui dans le Bhagavatham est ‘’Mahat Tattva’’ ou ‘’Intelligence cosmique’’. De buddhi provient l’ahamkara ou l’idée du ‘’je’’. Puis vient la matière dans sa forme la plus subtile, les tanmatras : l’odeur, le goût, la forme, le toucher, le son. A partir des tanmatras se développent les mahabhutas : l’espace, l’air, le feu, l’eau et la terre, et à partir de ceux-ci, les jnanendriyas, les cinq moyens de connaissance : l’audition, le contact, la vision, le goût et l’odorat. A partir d’eux se développent les karmendriyas, les cinq moyens d’action : la parole, le mouvement des mains, marcher ou le mouvement des pieds, l’évacuation et la procréation. Pour finir, manas ou le mental se développe. Il sert de médiateur entre buddhi et les jnanendriyas et les karmendriyas. Le vingt-cinquième élément constituant est Purusha. Le Samkhya fut une première tentative de l’humanité pour trouver une réponse à l’énigme de la vie par l’examen et l’énumération de ses composantes. Le terme samkhya signifie ‘’décompte’’. 5 Le Yoga (particulièrement l’Ashtanga Yoga, voir la note 1 du dialogue 14) est étroitement lié au Samkhya. Le Yoga est un système d’auto-analyse et d’autodiscipline qui recherche un état de compréhension supérieure par le contrôle du corps, des sens et de l’esprit. Le Yoga apporte un élément de plus dans son analyse : Ishvara, qui pour le yogi comprend Prakriti et Purusha. Le terme ‘’Yoga’’, un verbe actif qui provient de la racine ‘’yuj’’ (joindre, unir) implique le mouvement. Donc, le Yoga reconnaît que nous sommes fragmentés et non entiers et qu’une union, une unification est nécessaire. Au cours de sa longue histoire, ‘’Yoga’’ a aussi été utilisé comme nom, indiquant par là un des six systèmes de philosophie acceptés dans l’hindouisme. L’Uddhava Gita, la Bhagavad Gita et la Svetasvathara Upanishad peuvent tous être considérés comme des textes qui cherchent à synthétiser les systèmes du Yoga et du Samkhya. La différence entre d’une part le Yoga et le Samkhya, et le Vedanta de l’autre n’est pas grande. Le Samkhya ne désavoue pas la bhakti, le mouvement de dévotion populaire pour l’Un à travers le multiple. Le Yoga l’encourage activement par l’utilisation de l’ishta devata (voir la note 2 du dialogue 9). Dans le Vedanta, les formes multiples sont rassemblées dans l’Un unique connu comme Om ou Brahman. 217 DIALOGUE 4 ‘’L’Un sans second indifférencié’’ fait référence à l’état où l’on ne peut distinguer entre la Conscience et la matière. C’est l’état entre les cycles de la création quand ce qui est, est. 1 DIALOGUE 5 Le mot utilisé pour désigner les devoirs est sva-dharma. L’équivalent français ‘’devoir’’ (comme l’anglais ‘’duty’’) ne rend pas du tout justice au mot ‘’dharma’’. Littéralement, il signifie ‘’ce qui est établi ou ferme’’ : un statut, une loi ou une conduite prescrite. ‘’Svadharma’’ signifie notre propre devoir. Les hindous appellent leur propre religion ‘’Sanathana Dharma’’—la ‘’Loi éternelle’’. Restreindre le mot au sens de ‘’devoir’’ ou de ‘’loi’’, c’est lui attribuer une compréhension limitée. Le dharma est révélé dans les Vedas. Il est ‘’vérité’’ ou ‘’éthique’’. Il est aussi cela par quoi l’univers est soutenu et qui fait que chaque chose est ce qu’elle est et pas autre chose. Il est religion et raisonnement philosophique lié à l’action et à la pratique. Le dharma ultime est de connaître Brahman par la pratique du dharma. 1 Dans cette expérience de l’Ultime, toute dualité cesse et le connaissant et le connu se fondent en Brahman. Le sujet qui fait l’expérience de l’objet n’existe plus—le feu perd son combustible. 2 Les quelques vers qui suivent semblent être une réfutation du point de vue Mimansa. Deux écoles de pensée se développèrent à partir des Vedas. L’une est la Purva Mimamsa ou simplement Mimansa et l’autre est l’Uttara Mimamsa ou plus communément, Vedanta. La Mimansa insiste sur l’accomplissement correct des rituels védiques. En fait, c’est à la fois un manuel et un mandat pour les prêtres qui se trouvent dans la position fortunée d’être les interprètes principaux des Vedas et les seuls exécutants du rituel védique. En raison du fait que les résultats de tout rituel dépendent non seulement d’une exécution correcte mais également des exécutants, les basses castes, les femmes et les personnes handicapées n’étaient pas autorisées à participer. Dans la perspective Mimamsa, l’accomplissement du sacrifice conduit à apurva ou ‘’ce qui n’était pas avant’’. En d’autres termes, ce qui avant n’existait pas pouvait être produit en accomplissant un rituel. 3 Vedanta signifie littéralement ‘’la fin des Vedas’’ et se réfère aux Upanishads, la dernière partie et cœur de l’enseignement des Vedas. Contrairement au Mimamsa qui recherche le salut par le rituel, le Vedanta recherche le salut par un processus d’introspection et d’analyse qui culmine dans une expérience subjective. Dans son texte principal, le Purva Mimansa Sutra, le Mimamsa accepte la réalité de la multiplicité des formes et rejette la primauté de la conscience. A l’inverse, le Vedanta recherche l’expérience de l’unité de Brahman. Le Vedanta est de loin l’école de pensée la plus importante et prévalente de l’hindouisme. DIALOGUE 6 Ce verset exprime le point de vue advaitiste (non-dualiste) que l’Un seul existe. Ce point de vue soulève la question de savoir pourquoi, si Brahman est pur et parfait, le monde est-il impur et imparfait ? Si l’imperfection est produite par un agent autre que Brahman, alors Brahman lui-même ne peut être libre. Le grand sage et mystique Shankaracharya répondit à cette question par un paradoxe. Il dit que le monde fut créé, évolue et existe—mais il dit aussi que le monde n’existe pas. Tout cela dépend de notre point de vue. Si vous vous identifiez à l’ahamkara, l’idée du ‘’je’’, vous voyez un monde de bien et de mal, de douleur et de plaisir dans lequel vivent et meurent des entités multiples—une illusion superposée à la réalité. Toutefois, par l’ ‘’illumination’’, une autre vision existe où seul Brahman est. Obtenir 1 218 cette vision est la définition advaitique du salut, et elle s’obtient par la connaissance et la méditation. L’Advaita est devenue l’école la plus communément acceptée des trois écoles indiennes d’interprétation théologique. La seconde école est le point de vue vishishtadvaitiste (nondualiste qualifié) où la Réalité une et le multiple sont réels, mais non identiques, bien qu’existant en rapport mutuel étroit. La troisième école est le dvaita (dualisme). Le point de vue dualiste est qu’il existe une distinction réelle et inconciliable entre l’individu et l’Absolu. Ces points de vue différents se développèrent tous à partir des traditions védiques. Toutes ces trois écoles interprètent la Bhagavad Gita et l’Uddhava Gita pour supporter leur propre position. 2 Ce verset fait référence au débat entre védantins et mimamsakas. Jusqu’à présent, Krishna a recommandé la voie de jnana (la connaissance) comme moyen de réalisation du Soi. Il commence maintenant à définir la voie de la bhakti (l’adoration ou la dévotion). Le message de la bhakti développé dans tout le texte est essentiel dans l’enseignement de Krishna. Dans la bhakti, la pureté intérieure, la dévotion et la foi ont une préséance absolue sur le statut social. Cette dévotion a beaucoup plus d’importance que les injonctions des Ecritures ou que le rituel. En fait, le rituel n’est rendu puissant que par la dévotion du participant. Krishna ne recommande pas le rejet de la connaissance, mais l’adhésion de la personne entière—corps, esprit (ce qui inclut les émotions) et âme. A l’encontre de la quête du rituel parfait exécuté d’une manière strictement prescrite par une élite choisie vient cette glorieuse émergence de la dévotion spirituelle. Beaucoup de savants et de religions rejettent la bhakti comme anti-scientifique et primitive. Ceci révèle peut-être l’entretien d’une vanité. La question n’est pas de savoir si l’émotion est présente, mais bien où elle est dirigée. 3 Un mandala est une forme ou un motif géométrique qui est souvent ‘’perçu’’ en méditation et qui généralement signifie un aspect de l’Infini. 4 Un mantra est une parole ou un son mystique d’origine védique ou tantrique qui est psalmodié ou répété mentalement pendant la méditation pour se concentrer. Le mantra est généralement transmis par le guru à l’initié. 5 DIALOGUE 7 La longue tradition du sannyasa (‘’déposer’’, ‘’abandonner’’, ‘’renoncer’’) survit à ce jour. Dans l’hindouisme, il y a quatre stades de vie différents : Brahmacharya est la vie estudiantine, de la naissance à l’âge de vingt-cinq ans. Grihastha est la période du mariage et de l’éducation des enfants de vingt-cinq ans à environ cinquante ans. Vanaprastha est la retraite dans un endroit calme une fois que les affaires de la famille ont été remises aux enfants, généralement entre cinquante et septante-cinq ans, et sannyasa est le renoncement, à septante-cinq ans. Cependant, de nombreux sannyasins en Inde ont sauté les stades deux et trois. 1 Prahlada était le fils du roi Hiranyakasipu qui revendiquait l’autorité sur le monde. Lorsque Prahlada déclara que Vishnu était souverain, son père tenta de le tuer, mais échoua à chaque fois à cause de l’intervention de Vishnu. Finalement, Vishnu prit la forme de l’homme-lion, Narasimha et tua Hiranyakasipu. 2 Vibhasana était le jeune frère vertueux de Ravana, l’adversaire diabolique de Rama dans le Ramayana. Sugriva était le roi des singes dont les armées conduites par Hanuman aidèrent Rama à vaincre Ravana. Jambavan (qui signifie ‘’mâchoires’’ ou ‘’canines supérieures’’) était un démon qui fut tué par Vishnu. Gajendra était un roi qui fut changé en éléphant par sa propre malédiction. Attaqué par un crocodile alors qu’il se baignait dans une rivière, Gajendra pria Vishnu qui l’aida à se libérer. Son nom devint synonyme de foi. Krishna 3 219 poursuit sa nomenclature de personnages de la mythologie hindoue dont les vies furent transformées par l’association avec des saints, des sages et des dévots. Tous ceux qui auront déjà suivi un cours de Yoga en Occident connaîtront le mot prana. Il provient de ‘’pri’’ qui signifie ‘’remplir’’. Prana est le pouvoir par lequel la matière est établie et organisée en tattvas sous l’influence des gunas. Lorsque je n’ai pas utilisé le terme sanscrit même, je l’ai traduit par ‘’vitalité’’. 4 Le Yoga postule l’existence d’un corps interne ou ‘’subtil’’ qui correspond à peu près au corps physique, mais qui est le champ du prana plutôt que celui du sang, des nerfs et des produits chimiques. Le prana circule le long des nadis ou méridiens. Le principal est le sushumna qui correspond à la colonne vertébrale. Il débute au périnée et culmine au sommet du crâne. Endormie à la base du sushumna nadi, il y a la Kundalini Shakti. C’est une énergie primitive qui attend d’être éveillée par les pratiques mystiques du Yoga. Une fos éveillée, la Kundalini s’élève le long du sushumna nadi jusqu’au sommet du crâne où elle s’unit avec Ishavara. C’est cet instant d’union qui constitue le samadhi ou illumination. Le long du sushumna, il y a les chakras, les ‘’roues qui tournent’’. Le prana pénètre par le sommet du crâne, descend le long du sushumna nadi dans le corps subtil via les chakras. Chaque chakra correspond à un des tattvas et donne une certaine caractéristique au prana qui à son tour anime le corps physique. La Kundalini repose dans le muladhara chakra qui correspond au tattva terre. Le chakra du cœur anahata contient le tattva air avec son son correspondant, tanmatra. Anahata veut dire littéralement ‘’son sans frapper’’. Le silence est brisé par l’agitation des gunas quand il est blessé par nad, le son primordial. 5 6 Le cycle de la naissance, de la mort et de la renaissance. DIALOGUE 8 1 Ce verset reflète magnifiquement deux versets de la Bhagavad Gita : ‘’Quand un homme pense à un objet, L’attachement naît pour cet objet— De l’attachement naît le désir Et du désir, la colère. De la colère surgira l’illusion. De l’illusion, la perte d’intégrité. De la perte d’intégrité vient La ruine du discernement. Alors tout est perdu.’’ (2 : 62-63) Les heures favorables à la méditation—l’aube, le milieu du jour et le crépuscule—sont appelées brahmamuhurta. 2 3 Keshava est l’un des noms de Krishna et signifie ‘’celui aux longs cheveux’’. Il est dit du cygne divin Hamsa qu’il est capable d’aspirer le lait et de laisser l’eau quand ceux-ci sont mélangés ensemble. Paramahamsa, ‘’grand cygne’’, est la manière traditionnelle de s’adresser à celui qui a atteint la capacité de discerner entre le réel et l’irréel. . 5 Les termes Atman et Jiva se traduisent généralement par ‘’âme’’. Toutefois, alors que l’âme dans un contexte occidental est séparée de Dieu, il n’y a pas de différence entre Atman, Jiva et Brahman. Tous sont la même chose—la Présence éternelle située nulle part en particulier mais partout à la fois. Généralement, on évoque cette Présence comme ‘’Atman’’ lorsqu’on parle d’elle directement sans incarnation et comme ‘’Jiva’’, lorsqu’elle anime l’individu avec 4 220 la conscience. Cette même Présence est ‘’Brahman’’ lorsqu’on se réfère à sa réalité transcendante. DIALOGUE 9 Shankarshana est une référence au frère de Krishna, Balarama qui, puisqu’il a été transféré d’une matrice à l’autre est appelé ‘’prolongement’’. Ceci indique que Krishna et Balarama sont un. 1 Dans la pratique méditative qui suit, Krishna recommande l’emploi de l’ishta devata. Cette pratique fait partie de la bhakti où une image de la déité choisie est adoptée comme moyen de concentration avec le mantra utilisé dans la méditation. L’ishta devata est la fome personnelle intime par laquelle le bhakta choisit de se relier au Brahman impersonnel et sans forme. L’ishta devata n’est pas l’antithèse de Brahman en tant que l’Un, l’Etre omniprésent. C’est un moyen d’accès à l’Un. Une intense relation est créée avec l’ishta devata qui n’a de réalité que dans l’être intérieur du dévot qui au moment de la méditation voit l’image se dissoudre dans toutes choses et dans cela qui transcende toutes choses. Le but de l’ishta devata n’est pas de servir de modèle aux autres mais d’unique point de concentration dans lequel le dévot peut se perdre entièrement. 2 DIALOGUE 11 1 Ce dialogue entre Krishna et Arjuna a lieu dans la Bhagavad Gita. Hiranyagarbah est une désignatiion de l’Absolu comme l’Embryon d’Or, la matière germinale où l’univers est une potentialité. 2 3 L’alphabet sanscrit comprend quinze voyelles en tout et commence par un ‘’a’’. Le mantra de la Gayatri est le plus fameux des mantras védiques. On l’enseigne à la plupart des enfants brahmanes et kshatriyas en tant que partie du processus d’initiation à la puberté. 4 5 Dans la mythologie hindoue, Agni est le dieu du feu et le premier prêtre. Bhrigu était l’un des sept grands sages, fils de Manu (le père de la race humaine) et père du sage Shukra. Narada était l’un des fils de Brahma, un messager entre les dieux et les hommes et un grand sage. Kamadhenu est une vache qui exauce tous les souhaits associés au temps. 6 Le sage Kapila fut le fondateur du Samkhya. Mi-vautour, mi-homme, Garuda est le véhicule choisi de Vishnu (chaque dieu possède un animal comme véhicule et symbole). Daksha est l’un des fils de Brahma dont la fille Uma maria Shiva. Aryama est le dieu de la coutume, un fils d’Aditi et par conséquent l’un des Adityas. Il est aussi l’équivalent de Daksha : dans ce monde, Daksha représente l’art rituel ; au ciel, Daksha est Aryaman, incarnation de l’honneur et de la chevalerie. 7 8 Airavata est un éléphant blanc, le véhicule d’Indra. 9 Yama est le dieu de la mort. Le Mont Meru est une mpntagne sacrée de la chaîne himalayenne qui apparaît régulièrement dans la mythologie hindoue. 10 Vashishta est l’un des plus grands sages de la mythologie hindoue. Il instruisit Rama, la première incarnation humaine de Vishnu. Brihaspati est parfois un dieu et parfois un rishi, fils d’Angiras. Kartikaya est l’un des fils de Shiva et un général et un statège formidable. 11 221 Satarupa (‘’celle aux cent formes) fut la première femme, la fille de Brahma et l’épouse ou la mère de Manu. Svayambhu est le Soi dont naquit le Premier, Svayambhuva. Sanatkumara est le plus éminent des quatre fils nés du mental de Brahma. 12 Margashirsha dure de la mi-novembre à la mi-décembre. Abhijit est la dernière constellation de Sravanna en astrologie védique. 13 14 Vasudeva est le père de Krishna, un fils de Shura, du clan des Yadus. L’herbe kusha (poa cynosuroides) est une herbe sacrée avec de longues tiges pointues utilisée dans les cérémonies religieuses. 15 DIALOGUE 12 Dans la société hindoue, la conduite et les devoirs (dharma) qui se rapportent directement à la caste (varna) et au stade de vie (ashrama) d’une personne sont de la plus haute importance. Ils sont connus collectivement sous le nom de varnashrama dharma. 1 Il y a deux Madhus mentionnés dans le Bhagavatham. L’un est le démon de ce verset, l’autre est un ancêtre de Krishna. 2 Dans le système varnashrama, un jeune garçon entrait dans la maison de son guru environ à la puberté pour étudier les Ecritures, l’éthique et les connaissances pratiques. De nombreux jeunes brahmacharins vivaient dans la résidence du guru appelée gurukul. 3 Un mala peut être une guirlande de fleurs placées autour du cou de la déité ou un chapelet utilisé pour réciter des mantras ou les noms des dieux. Généralement, il aura 108 grains, en bois ou en pierre. Les adorateurs de Vishnu utilisent souvent un tulsi mala fait du bois du basilic sacré, tandis que les adorateurs de Shiva utiliseront un rudraksha mala fait des baies séchées du ‘’buisson-aux-yeux-rouges’’. 4 DIALOGUE 13 Ces austérités sont connues sous le nom de tapas ou ‘’chaleur’’. Dans son acception traditionnelle, tapas veut dire soumettre le corps à un stress physique (comme celui de s’entourer de feux dans la chaleur de la mi-journée) pour induire une conscience au-delà du corps. 1 L’Agnihotra ou havan est une cérémonie du feu où des oblations sont offertes à Agni. Exécutée par l’initié à des moments spécifiques en utilisant des mantras spéciaux, c’est une des plus anciennes cérémonies qui existent. 2 Ce verset fait allusion au rituel havan qui a lieu lorsqu’on entre dans le stade sannyasa de la vie. Les initiés s’offrent solennellement au feu ainsi que leurs relations passées. Après être passés par le rite funéraire célébré par un prêtre, ils renaissent de nouveau comme celui qui est mort au passé. 3 Dans la cérémonie d’initiation, le sannyasin renonce au ciel, à la terre et à l’espace entre les deux, montrant par là une perte d’ambition pour tout ce qui peut être obtenu de ceux-ci. 4 DIALOGUE 14 La tradition établie par Patanjali est l’Ashtanga Yoga—le Yoga ‘’aux huit branches’’ qui nous enlève de l’illusion de l’identité individuelle pour réaliser une identité cosmique au-delà des 1 222 limites du temps et de l’espace. Ces branches sont : yama (discipline qui a trait aux relations avec les autres) et niyama (autodiscipline), asana (discipline corporelle basée sur la posture), pranayama (contrôle du prana), pratiharya (retrait des sens), dharana (fixer l’esprit), dhyana (méditation), samadhi (libération). Ces branches sont liées par bhakti (la dévotion), jnana (la connaissance) et karma (l’action). Il y a deux types de jnana : bauddha (intellectuelle) et paurusa (intuitive). La plus propice à la libération est la dernière que le yogi cherche à développer par diverses pratiques. DIALOGUE 16 1 Ce verset semble faire de Bhagavan Shri Krishna un écologiste. 2 Le beurre clarifié est un beurre non-salé qui a subi un processus de clarification. 3 ‘’Aussi subtil qu’une tige de lotus’’ pourrait être une référence au sushumna nadi. Un des plus grands dons de l’Inde à l’humanité a été l’alphabet sanscrit, la mère éloignée de toutes les langues indo-européennes. Contrairement à l’alphabet romain peu méthodique qui se développa plus organiquement, le sanscrit est systématiquement ordonné. Il fut le premier langage à se développer dans le cadre de règles rapportées par Panini au 4 ème siècle av. J.-C. 4 DIALOGUE 17 Uddhava fait de nouveau allusion aux différentes écoles de pensée pour ce qui est des tattvas. 1 DIALOGUE 18 1 Avanti est maintenant Malwa. Le roi Khatvanga obtint la connaissance de sa mort imminente et put réailser le Soi dans ses derniers instants. 2 DIALOGUE 19 1 Davies, P. and Gribbin, J., The Matter Myth, Viking, UK, 1991, page 302 DIALOGUE 21 Cette histoire apparaît pour la première fois dans le Rig Veda. Pururavas était le petit-fils de Manu et un puissant roi qui ne devait rien à personne. Quand Urvashi le quitta, Pururavas fut totalement bouleversé, mais il finit par retrouver son calme et lui et Urvashi furent de nouveau réunis. Leurs noms sont invoqués pendant la cérémonie du feu sacré où ils deviennent le bois d’allumage. Le beurre clarifié porte le nom de leur enfant, Ayu. 1 DIALOGUE 22 1 Le Narada auquel il est fait allusion ici est l’auteur des Narada Bhakti Sutras. ‘’Le Tantra apparut comme la somme totale de la connaissance humaine du monde objectif qui entoure l’homme. C’était un mode de vie qui recherchait la signification de la 2 223 connaissance, non dans la réalisation d’un illusoire absolu, mais dans les activités quotidiennes de l’homme, dans les simples faits de la vie comme l’agriculture, l’élevage, la distillation, la fusion des métaux, etc, et dans les sciences expérimentales comme l’alchimie, la médecine, l’embryologie, la physiologie, etc, avec l’orientation théorique délibérée que les structures du microcosme et du macrocosme sont identiques et que la clé de la connaissance de la nature se trouve dans le corps.’’ (Bhattacharya, N.N., History of the Tantric Religion, Manohar, New Delhi, 1992, page 1). La pratique de la purification de soi, du lieu, du mantra, des objets du culte et même de la déité remonte aux pratiques tantriques appelées pancasuddhi. 3 Ceci se rapporte à l’histoire où les dieux et les démons barattent l’océan de lait et où beaucoup de choses jaillissent dont le célèbre joyau Kaustubha. 4 La marque sur la poitrine de Krishna ou de Vishnu symbolisant la présence éternelle de Shri (la déité féminine dans le masculin). 5 6 Vishvakshena est le principal serviteur de Vishnu. Le premier hymne mentionné, le ‘’Svarna-gharma’’ (qui commence avec les mots ‘’Survarnam gharmam parivedavenam’’) nous est perdu. Le second est le ‘’Mahapurusa Vidya’’ qui est le premier vers du Vishnu Purana. La plupart des érudits s’accordent à dire que le ‘’Rajana’’ et le ‘’Rohina Samas’’ sont perdus, bien que nous savons qu’un vers du ‘’Rajana’’ commence ainsi , ‘’Indram naro nemadhita’’. 7 8 Une marque faite sur le front entre les sourcils. Traditionnellement, l’image est baignée dans le lait, le yoghourt, le beurre clarifié, le miel et le sucre. 9 10 Le Purusha Shuktam se trouve dans son entièreté dans le Rig Veda et le Yajur Veda. Les actes d’adoration ritualisés qui purifient et transforment sont connus sous le nom de Kriya Yoga. 11 DIALOGUE 23 1 Laszlo E., The Whispering Pond, Element, London, 1996, page 28 DIALOGUE 24 1 Le onzième jour après la pleine lune. Badarika est l’actuelle Badrinath. C’est toujours un lieu de pèlerinage pour les gens du monde entier. Située à une altitude élevée dans les Himalayas, elle n’est accessible que pendant les mois d’été. Lorsque les prêtres s’en vont en automne pour reprendre la route du sud de l’Inde, ils allument une lampe à huile qui brûle sans interruption sous les neiges jusqu’au dégel du printemps, quand les portes du temple sont à nouveau ouvertes. Une ancienne image de Krishna est installée là. 2 La rivière Alakananda et la rivière Bagirathi s’unissent pour former le Gange. Le confluent est considéré comme un endroit propice pour se baigner. 3 224 Swami Ambikananda Saraswati s’est formée au yoga et au vedanta durant douze années sous la houlette de Swami Venkatesananda, un moine de l’Himalaya à la réputation internationale qui l’a encouragée à développer sa méthode de traduction interprétative des Ecritures sanscrites en recherchant leurs vérités spirituelles cachées. Elle est également l’auteure de ‘’Principles of Breathwork’’. 225