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''MOI ET MON PÈRE NOUS SOMMES UN'', MAIS QUI EST CE MOI ? - ARTHUR OSBORNE

‘’MOI ET MON PÈRE NOUS SOMMES UN’’
– MAIS QUI EST-CE MOI ?
ARTHUR OSBORNE
Arthur Osborne fut biographe de Ramana Maharshi et fondateur et rédacteur en chef de
la revue ‘’The Mountain Path’’ publiée par le Ramanasramam, l’ashram de Ramana
Maharshi. Il est également l’auteur d’une biographie consacrée à Shirdi Sai Baba. Voici un
extrait de son livre intitulé ‘’Be Still, It Is The Wind That sings’’
Moi et mon Père, nous sommes Un, mais qui est ce moi? Pas le moi qui s’inquiète au sujet
de ce que le facteur va apporter ce matin, qui aime une personne et éprouve de la
rancune à l’égard d’une autre, qui fait des projets pour l’avenir et ressasse le passé. Je ne
soulève pas la question de savoir s’il est mauvais ou mal de faire ces choses, mais je
déclare simplement que la personne qui les fait n’est pas ‘’Une avec le Père’’. Chacun
l’admettra et c’est pourquoi il est dit sommairement qu’elle n’est pas ‘’Une avec le Père’’ et
que seul le Christ l’était.
Mais c’est être très sommaire et considérer cela comme un simple accident de naissance,
à l’image d’une personne qui serait née fils de roi et d’autres non et qu’il n’y aurait rien à
faire à ce sujet. Si tel était le cas, le Christ nous aurait-il exhortés à agir et à être parfaits,
tout comme notre Père céleste est parfait ?
Si le ‘’Je’’ qui est Un avec le Père n’est pas Jean Dupont, ce n’était pas non plus l’individu,
Jésus de Nazareth, l’homme qui déambulait dans les rues et qui répondait vertement à ses
critiques. Comment cela serait-il possible, si le Père est éternel et immuable et si Jean ou
Jésus se situent dans l’histoire et sont soumis au changement et à la croissance ?
Comment pourraient-ils être identiques ?
Alors, quel est ce ‘’Je’’ ? Si vous cessez de penser tout en gardant conscience, vous prenez
conscience d’un sentiment d’être plus essentiellement ‘’vous’’ que votre esprit pensant ou
que votre corps. C’est difficile à décrire, mais on peut en faire l’expérience, peut-être après
une certaine pratique. Si ce n’était pas possible, le décrire n’aiderait pas beaucoup. Une
indication, c’est que la conscience individualisée de X ou Y se situe dans la tête, alors que
ceci, si on veut le localiser physiquement, se situe dans la région du cœur. Je dis ‘’si on
veut le localiser physiquement’’, car ceci peut impliquer un état de transe, mais pas
nécessairement. Ceci peut s’accompagner d’une pleine conscience physique. Dans ce caslà, on perçoit les circonstances physiques de la vie, ses obligations professionnelles, ses
obligations d’époux et de père, ses facultés et ses responsabilités, mais tout de manière
impersonnelle, comme si cela concerne quelqu’un d’autre. Tout l’environnement paraît
être un reflet de soi et semble simultanément contenu en lui. On voit le monde comme
quelque chose d’éphémère en soi et on ne se voit pas comme quelque chose d’éphémère
dans le monde. Ceci recèle un sentiment d’immuabilité, de réalité, d’éternité ou
d’intemporalité qui n’est pas touché par le monde des formes.
Et qu’est-ce que le Père avec qui on est Un ? Il pourrait être tentant de dire ‘’Dieu’’, mais
répondre à cette question par un mot indéfini n’est pas une réponse. Qu’entend-on par
‘’Dieu’’ ? On peut ressentir plutôt que comprendre qu’il y a l’Être pur qui se manifeste
dans tout le cosmos mais sans être affecté par lui, d’une manière égale et simultanée,
dans chaque créature individuelle et dans tout l’univers. Voici la définition, aussi bonne
qu’une autre, d’une chrétienne à qui une expérience de réalisation était spontanément
advenue : ‘’C’était tout ce qui est et il n’y avait ni Dieu ni non-Dieu.’’1
Alors, comment ceci diffère-t-il de l’être que l’on ressent en soi ? Le point essentiel de la
parole du Christ, c’est qu’ils ne diffèrent pas, mais qu’ils sont les mêmes et néanmoins, ils
doivent être les mêmes distinctement ou cette parole serait inutile. Il y a un sentiment
d’Être universel où les mondes et les êtres ne sont guère plus qu’un spectacle d’ombres, le
sentiment d’être dans le cœur et le sentiment que celui-ci émane de celui-là et qu’il est
pourtant le même, qu’il est le Fils du Père et cependant Un avec le Père. Il ne s’agit ni de
1
Ancilla, The Following Feet
X, ni de Y, ni de Jésus, mais de l’Un qui se manifeste de manière égale et simultanément
comme chacun d’eux.
On se demande parfois comment l’être pur qui est Un avec le Père peut agir en tant que
X ou Y, mais c’est manifestement possible, car il y a des exemples. A l’époque moderne, il
y eut la personne de Ramana Maharshi. Et on a toujours ressenti que de tels exemples
étaient plus humains que n’importe lequel d’entre nous qui ne sommes pas parfaitement
humains. Ceux qui rendaient visite au Maharshi n’avaient pas l’impression qu’il était
dénaturé, mais que eux l’étaient. Ils avaient l’impression que lui seul était parfaitement,
naturellement humain, parce que lui seul était pleinement divin.
Mais puis-je faire confiance au ‘’Je’’ qui est Un avec le Père pour gérer mes affaires ?
Mènera-t-il à bien la transaction commerciale que j’envisageais ? Obtiendra-t-il la
promotion que je visais ? Z consentira-t-elle à m’épouser ? La réponse à de telles
questions est ni oui, ni non, mais bien que celui qui les pose est l’ego même qui doit
abdiquer pour que le Je authentique puisse apparaître. Le fait qu’elles puissent encore se
poser est l’obstacle à la réalisation de la véritable identité de quelqu’un comme étant Un
avec le Père. Si conclure une transaction commerciale est plus important que réaliser le
Soi, le Soi ne sera pas réalisé. Le fait que la transaction commerciale serait aussi menée à
bien si le Soi était réalisé est une autre histoire. L’unique moyen, c’est de faire le grand
saut dans l’inconnu et de dire : ‘’Puisse l’Être s’éveiller et prendre les commandes, que ceci
soit bon pour les affaires ou non, que Z m’épouse ou non.’’ Et une fois qu’il s’éveille et
qu’il prend les commandes, on voit que les questions étaient inutiles, parce que ce qui
doit arriver arrivera, parce que ce qui est approprié se produira, que ceci soit ce que l’ego
accapareur ou maniganceur attendait ou pas.
Alors, comment cela fonctionne-t-il en pratique ? La personne chez qui s’éveille le sens de
l’être pur dispose d’un instrument corps-mental, tout comme la personne égoïste. Elle
peut marcher, s’asseoir et se tenir debout, elle peut distinguer le chaud du froid, le sucré
de l’aigre et donc, elle sait déterminer si une sensation est agréable ou non. Mais, et c’est
là la grande différence, c’est qu’elle accepte les deux pareillement, d’une manière
impersonnelle. Autre conséquence, il s’ensuit qu’elle peut réagir à des situations de la
manière la plus appropriée. Par exemple, elle peut se lever et ouvrir la porte, si quelqu’un
frappe – ou non. Elle peut virer un employé malhonnête – ou non. Elle sentira ce qui est
approprié et elle agira en conséquence. Cela implique qu’elle peut penser. Elle peut
utiliser ses facultés intellectuelles, comme elle peut utiliser son sens du goût ou de
l’odorat. Elle peut dire : ‘’Ce calcul est faux’’, comme elle peut dire : ‘’Cette pomme est
sure’’.
Alors, pourquoi dit-on que la Réalisation signifie la mort du mental ? On entend par là le
mental en tant que celui qui tire les ficelles, c’est-à-dire l’ego. La faculté de penser existera
toujours et en fait, elle deviendra plus efficace, puisqu’elle n’est plus faussée par l’émotion
ni par l’intérêt personnel, de même qu’une personne qui n’est pas réalisée réfléchit plus
efficacement pour des problèmes qui ne la concernent pas personnellement et où
l’émotion et le préjugé n’interviennent pas pour obscurcir son jugement. Ce n’est que
quand le Soi sera réalisé que plus rien ne la préoccupera personnellement ; tout sera
impersonnel. Alors, la vie vaudra-t-elle la peine d’être vécue ? Cela n’ôtera- t-il pas tout le
piment de la vie ? C’est ce que pense l’ego et c’est la raison pour laquelle il insiste sur une
vie remplie de frustrations ponctuée de brefs triomphes et de courts plaisirs, mais
hypothéquée par la maladie et par des facultés qui diminuent au lieu du bonheur sans
voile dont parlent les sages. La meilleure réponse sera : essayez et voyez !
Alors dans ce cas, quel type d’actions peut-il encore être accompli et à quel type d’actions
doit-on renoncer ? Il n’y a pas de règle. Ce n’est pas à un type d’activités en soi qu’il faut
renoncer, mais à l’implication personnelle, l’idée que c’est ‘’moi’’ qui accomplis. Ce qui
reste, c’est une activité impersonnelle, ce que les Chinois appellent wei-wu-wei.. Si toute
implication personnelle est éliminée, quelle activité est harmonieuse et quelle autre ne l’est
pas deviendra spontanément apparent.
Une autre question souvent posée est celle-ci : à la réalisation du vrai Je Un avec le Père,
le je individuel fictif ou l’ego cesse-t-il d’exister ou survit-il, mais totalement sujet du Père ?
Peu importe. Les deux sont possibles. Le sentiment de l’ego peut totalement disparaître
ou subsister, mais assujetti, ou il peut toujours occasionnellement resurgir, mais trop
faiblement que pour gêner. Chez Ramakrishna, un vestige devait subsister, puisqu’il disait
vouloir rester distinct afin de servir et d’aimer la Mère. Chez le Christ aussi. Il n’y a que le
Jésus individuel, historique qui aurait pu prier pour que la coupe de souffrance lui soit
épargnée, pour ensuite ajouter : ‘’pas ma volonté, mais la Tienne.’’ Dans la mesure où il
était le ‘’fils de l’homme’’, comme il l’a souvent déclaré, ce sentiment lui venait, mais dans
la mesure où il était le Fils de Dieu, Un avec le Père, il n’y avait aucune volonté personnelle
à laquelle renoncer pour Sa volonté. L’ultime soubresaut du sentiment égotique fut son cri
de désespoir sur la croix : ‘’Seigneur, pourquoi m’as-Tu abandonné ?’’ Cette question de
la survie de l’ego est néanmoins, comme je l’ai dit, d’une importance secondaire. Le plus
important, c’est l’éveil de l’authentique sentiment d’être et ensuite, l’effort pour le stabiliser
et le rendre permanent. Le reste suivra.