REBONDIR
SALLY KEMPTON
Sally Kempton est un maître de méditation et de philosophie yoguique qui jouit d’une reconnaissance
internationale et l’auteure de ‘’Meditation for the Love of It’’
Quand survient la crise, certains s’épanouissent, tandis que d’autres plongent. Voici
comment votre pratique peut vous aider à forger de la résilience.
Gina était l’une des filles en or de mon cercle : charmante, intelligente et tout à fait cool.
Alors que durant leur jeunesse, nos autres amies furent emportées dans les montagnes
russes de l’euphorie et du désespoir, Gina conserva un degré de perspective émotionnelle
quasi intimidant. Elle mit au monde un enfant atteint de lésions cérébrales et elle s’occupa
de lui sans perdre ni son détachement, ni son sens de l’humour. Puis elle fut opérée d’un
cancer avec sa grâce coutumière.
C’est alors que son mari tomba amoureux d’une autre femme et elle craqua. C’était comme
si toutes les pertes accumulées durant vingt ans l’avaient finalement rattrapée et elle
pleura pendant des heures. Elle enrageait contre son mari et contre la vie. Et pendant ce
temps-là, ses amies répétaient : ‘’Elle qui était toujours si résiliente ! Que s’est-il passé ?’’
Ce qui s’est passé, bien sûr, c’est que Gina avait atteint sa limite. Elle avait touché le point
en elle où sa force et sa flexibilité avaient cédé.
Comme Gina, la majorité d’entre nous atteindront leur limite, tôt ou tard. C’est toujours
un moment crucial, car les choix que nous ferons alors détermineront notre aptitude à la
résilience, cette qualité humaine des plus vitales et des plus mystérieuses.
Le mot même ‘’résilience’’ possède une qualité élastique. Le dictionnaire définit la
résilience comme la faculté de se remettre, de se rétablir à la suite d’une infortune ou d’un
bouleversement ou de s’adapter facilement à l’infortune ou au bouleversement’’. Le
psychiatre Frederic Flach la décrit comme ‘’les aptitudes physiques et psychologiques
requises pour parvenir à maîtriser le changement’’.
C’est la résilience qui permet à un artiste comme Frank McCourt de transformer la
douleur d’une enfance difficile en littérature empathique ; c’est la résilience qui aide un
Nelson Mandela à survivre à ses années passées en prison sans perdre courage et qui
indique à une yogini blessée comment aligner son corps pour que son propre prana puisse
guérir un pincement à l’aine. La résilience est essentielle. Sans elle, aucun d’entre nous ne
survivrait aux pertes accumulées, aux transitions et aux déchirements qui se faufilent
même dans les vies humaines les plus privilégiées.
Mais il existe un genre de résilience profonde, secrète et subtile que j’aime appeler
l’aptitude à dépasser ses limites. Ce type de résilience a moins à voir avec la survie qu’avec
la transformation personnelle. C’est la combinaison de vision pénétrante, de choix et de
vigilance qui permet à certaines personnes de se raccorder à une énergie cachée souterraine
pendant une crise et d’utiliser celle-ci comme catalyseur en vue d’une croissance
spirituelle. Même si les psychologues peuvent établir la liste des qualités que les personnes
résilientes possèdent en commun – des caractéristiques comme la vision pénétrante,
l’empathie, l’humour, la créativité, la flexibilité et la capacité de calmer et de concentrer
l’esprit – cette résilience plus profonde dépasse les traits de la personnalité. A l’instant
critique, quand nous allons droit dans le mur, ce niveau de résilience plus profond a à voir
avec la manière dont nous comprenons la réalité.
La psychologue jungienne et méditante bouddhiste, Polly Young-Eisendrath, pose le
problème avec élégance dans un livre intitulé ‘’The Resilient Spirit’’ et souligne que nous
devenons vraiment résilients quand nous nous engageons à nous occuper de la douleur –
qui est inévitable et incontournable dans la vie humaine – sans nous laisser prendre dans la
souffrance – l’état dans lequel notre peur de la douleur et notre désir de l’éviter nous
ferment aux possibilités qui sont inhérentes à chaque situation. Ceci, bien sûr, est l’art que
le yoga est sensé nous apprendre.
Pour la plupart des gens, la douleur et la souffrance sont tellement mêlées qu’il nous
semble impossible de les séparer. Quand les choses vont mal, nous pouvons nous sentir
comme des victimes ou supposer que nous avons reçu un châtiment karmique que nous
‘’méritons’’. Nous pouvons exprimer nos sentiments ou les étouffer, mais peu d’entre nous
savent comment traiter la douleur de la perte ou de l’échec sans rester accrochés à la
souffrance, sans essayer de l’utiliser pour retourner dans le giron d’une mère commode ou
sans se raidir pour tenir bon.
D’un autre côté, un yogi sait comment démêler les nœuds qui le font s’identifier avec son
moi qui souffre. (Dans la Bhagavad Gita, le yoga est en fait défini comme ‘’couper l’union
avec la souffrance’’.) En réalité, la pratique yoguique – la pratique intérieure – est destinée
à nous enseigner comment défaire ces nœuds intérieurs. Souvent, nous ne réalisons pas la
différence que notre pratique a permis jusqu’au jour où nous nous retrouvons en train de
faire face à une crise sans craquer complètement. Les enfants hurlent, les collègues
paniquent et il y a certes une légère crainte et un peu d’agacement dans notre esprit aussi,
mais il y a aussi la Conscience-témoin, une Présence intérieure compatissante qui nous
permet d’être présent à ce qui se passe sans nous laisser engloutir par la peur ou par la
colère.
Les grands pratiquants donnent les mêmes prescriptions fondamentales pour trancher les
nœuds intérieurs : apprendre qui vous êtes réellement, s’acquitter des pratiques qui
purifient l’esprit boueux et découvrir comme travailler ou opérer avec tout ce qui vous
arrive. Alors, les difficultés deviennent vos professeurs, et la douleur et la perte
deviennent des occasions pour une transformation profonde et positive. Comme mon
Maître, Swami Muktananda, l’a dit une fois : ‘’Un yogi transforme tout à son avantage.’’
C’est ce qui signifie être résilient, me semble-t-il.
Swami Muktananda et Sri Sathya Sai Baba,
deux grands Maîtres spirituels du 20ème siècle
Laura Derbenwick avait 24 ans et elle était sur le point d’entreprendre des études
supérieures en littérature anglaise, quand quelqu’un percuta latéralement sa voiture sur
une autoroute de Pennsylvanie. Laura perdit connaissance. Quelques jours plus tard, elle
se rendit compte que quelque chose s’était déréglé dans son cerveau. Elle avait des
difficultés à se concentrer sur ce que les gens disaient et elle n’arrivait plus à se rappeler
quelle couleur des feux de signalisation signifie ‘’stop’’ et laquelle signifie ‘’avancer’’. Elle
régressa beaucoup. Le pire, c’était que, quand elle essayait de se concentrer sur des mots
imprimés, la pièce se mettait à tanguer et elle avait l’impression que sa tête éclatait de
l’intérieur. Des examens établirent que son QI avait chuté de 40 points.
La vie de Laura avait pris un virage à 180°. Les études supérieures étaient désormais
impossibles. Pour elle qui auparavant était une extravertie, être avec des gens l’épuisait à
présent. Et le pire était qu’elle ne pouvait plus penser de manière cohérente. ‘’Les blessures
à la tête sont mystérieuses’’, lui dirent les docteurs. ‘’Nous ne pouvons garantir aucune
guérison.’’
‘’La première année, j’ai essayé de nier qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas avec moi,
de me raccrocher à la vie que j’avais menée. La partie la plus compliquée a été tout le
travail méticuleux et pénible de réentrainer mon cerveau sans avoir aucune garantie que
j’aille mieux par la suite. J’ai fini par accepter le fait que je ne deviendrais jamais
professeur d’anglais. Et chaque autre possibilité que j’explorais ressemblait à une porte
close et j’éprouvais une douleur physique atroce.’’
Quand votre esprit cesse de fonctionner normalement, vous avez deux options. Soit, vous
pouvez céder à la dépression, à la colère et au désespoir, soit vous pouvez entreprendre
d’explorer le non-rationnel. Laura n’avait jamais été religieuse et s’est rabattue sur la prière
parce qu’elle avait perdu la capacité de prendre des décisions rationnelles. Ne fût-ce que
décider quelle marque de shampooing acheter la laissait perplexe pendant des heures.
‘’Je me suis mise à prier pour tout. Devrais-je manger de la dinde pour dîner ? Devrais-je
retourner chez mes parents ou essayer de vivre seule ? Suis-je censée rester ici ou aller à
Seattle ? Je me sentais bête de prier à propos de toutes ces choses, mais c’était la seule
chose qui fonctionnait.’’
Laura découvrit ensuite qu’elle vivait dans un monde de synchronicités étranges que tant
de gens expérimentent au cours de leur éveil spirituel. Elle demandait des signes et ceux-ci
se manifestaient. Des petits miracles se produisaient. Elle s’aperçut qu’elle pouvait prendre
des initiatives audacieuses en priant pour être guidée et en suivant ensuite les conseils
prodigués. Dans l’incapacité de courir ou de faire de la musculation, elle se lança dans le
yoga à l’aide d’une vidéo du Yoga Journal et trouva que cela améliorait son équilibre. Puis,
elle entreprit aussi de peindre de grands tableaux abstraits. ‘’La peinture m’a aidée à
exprimer la colère intense que je ressentais en essuyant un revers. Je ne pouvais pas me
permettre de me mettre en colère, parce que toute émotion forte ne faisait qu’empirer
encore mes maux de tête et donc, je peignais mes sentiments. C’était un processus non
rationnel, de nouveau. Mais la colère se dissolvait et évoluait.’’
Au fur et à mesure que Laura lâchait prise par rapport au fait d’être ‘’endommagée’’, elle
commença alors à ressentir une finalité plus profonde au-delà de ses problèmes. Sa
conscience se dilata, littéralement. Elle pouvait éprouver des liens tangibles avec les autres
gens et l’univers. Elle vivait sa vie de l’intérieur vers l’extérieur.
‘’J’avais une vulnérabilité et une compassion que je n’avais jamais eues auparavant et ainsi,
je pouvais rencontrer les gens là où ils se trouvaient et en fait les aider dans différentes
situations. Extérieurement, ma vie avait l’air vraiment horrible, mais simultanément, je
découvrais que partager mon histoire aidait les autres gens à intégrer leurs propres
difficultés, à avancer et à trouver du sens dans leurs vies.’’
Cinq ans après son accident, Laura achève un livre pour les gens qui se rétablissent d’un
traumatisme crânien et maintenant, elle peut lire jusqu’à trois heures d’affilée. Elle et son
ami sont maîtres reiki. Son QI est revenu à la normal, mais l’expérience d’avoir ‘’perdu’’
son mental rationnel l’a changée à tout jamais. Elle a appris à se fier à quelque chose de
plus profond que le mental. Laura est désormais convaincue, comme beaucoup d’autres
avant elle, que son accident n’était pas réellement un accident, mais un ‘’coup de pouce’’ de
l’univers, l’événement catalyseur de son éveil spirituel. 1
L’histoire de Laura est un exemple classique du pouvoir alchimique de l’adversité. Une
compréhension profonde lui advint spontanément, comme une série d’intuitions.
Naturellement, Laura découvrit les pratiques que les Yoga Sutras de Patanjali appellent
kriya yoga, les trois actions yoguiques qui impactent la cause même de la souffrance. Dans
ces pratiques se trouvent beaucoup d’indications utiles pour une résilience réelle.
Selon les Yoga Sutras, nous ne souffrons pas parce que de mauvaises choses nous arrivent,
mais parce que nous sommes sous la coupe de forces ténébreuses appelées ‘’kleshas’’. Les
kleshas2 – soit l’ignorance de qui nous sommes, l’égoïsme, l’attachement, l’aversion et la
peur de mourir – sont de puissantes cataractes, voiles épais qui faussent notre vision. Les
kleshas nous font imaginer que nous sommes séparés des autres et de l’univers, nous
trompent en nous faisant nous identifier à notre corps et à notre personnalité, en essayant
de plaire à notre moi imaginaire et d’éviter tout ce qui apporte de la douleur. Ils nous
maintiennent dans une crainte continue de l’anéantissement.
La meilleure raison de nous livrer aux pratiques yoguiques, c’est de triompher des kleshas,
puisque sans eux, nous faisons naturellement l’expérience de la liberté joyeuse de notre
Conscience d’origine, de notre propre Cœur dilaté. Et la méthode de base pour nous
débarrasser des kleshas se trouve dans les trois pratiques ou attitudes que Patanjali a
décrites dans ses Yoga Sutras comme tapas (effort, austérité intense), swadyaya
(introspection, auto-investigation) et ishwarapranidhan (nous en remettre à une Réalité
supérieure). L’austérité, l’introspection et le renoncement sont des pratiques profondes et
multidimensionnelles. Elles sont aussi le secret de la résilience authentique.
Tapas veut dire littéralement chaleur – la chaleur interne produite lorsque nous endurons
la discipline pour le bien de notre évolution. Si nous comprenons tapas, toute difficulté
peut être vue comme un feu purificateur qui fait fondre les voiles qui obscurcissent notre
conscience. L’effort intense et rigoureux de Laura pour rééduquer son cerveau a été un
tapas qui a littéralement purifié son esprit. En fait, pour un yogi, tout effort peut être
reformulé en tapas. Ainsi, mon ami Rick se fraye un chemin dans les embouteillages en se
disant qu’il s’agit d’un tapas imposé par l’univers. Il s’imagine que chaque instant d’attente
patiente l’aide à purifier et à dissoudre ses tendances à l’impatience et à la colère. Entendre
le concept de tapas comme une purification a fait traverser beaucoup de situations
éprouvantes à de nombreux yogis du monde – situations qui peuvent être aussi mondaines
1
Voir son blog, https://laurabruno.wordpress.com/ qui témoigne d’un parcours spirituel intéressant depuis
lors.
2
Afflictions
que ‘’survivre’’ à un voyage de 14 heures d’avion ou aussi primordiales que la mort d’un
parent ou une maladie grave.
La pratique des asanas offre un entraînement de base – vous vous fortifiez
émotionnellement chaque fois que vous faites l’effort physique de garder une posture,
alors que les jambes vous brûlent, et la méditation et la pratique de la pleine conscience
vous apprennent à traverser l’ennui, l’agitation mentale et les bouleversements
émotionnels. Une autre forme de tapas, c’est l’effort que nous faisons pour dire la vérité et
pour pratiquer la bonté et la non-violence. Mais pendant les moments pénibles, tapas
implique souvent de l’endurance pure – tenir bon et serrer les dents quand la peur, le
chagrin et la frustration menacent de nous torpiller. Quand nous pratiquons tapas, nous
devenons les héritiers des grands pratiquants spirituels, comme Jean de la Croix,
Ramakrishna et Bodhidharma – surtout si comme eux, nous nous souvenons aussi de
pratiquer l’introspection et le renoncement.
On définit parfois swadhyaya comme la récitation de mantras et l’étude des enseignements
de sagesse. C’est en fait une pratique beaucoup plus vaste. Swadhyaya est notre ligne
directe à la Conscience sans ego au-delà des pensées et des émotions. L’auto-investigation
peut prendre la forme de la recherche yoguique classique, ‘’Qui suis-je ?’’, ou de la pratique
du témoin via laquelle vous prenez du recul par rapport à vos pensées et à vos émotions et
via laquelle vous vous identifiez à l’observateur/témoin plutôt qu’au penseur. Swadhyaya
est une manière de dépasser des croyances restrictives et d’identifier votre bonté
essentielle, la beauté indestructible de votre Cœur intérieur. Pour Laura, le processus
d’auto-investigation a commencé quand elle a cessé de pleurer ses capacités perdues et
quand elle a tenté de découvrir qui elle était par-delà ses capacités et ses talents. C’est
l’auto-investigation qui lui a montré que le but de sa vie pourrait être très différent de ce
qu’elle avait imaginé.
Beaucoup d’étudiants sont initiés à l’auto-investigation par des thérapeutes qui sont euxmêmes des pratiquants spirituels et qui utilisent swadhyaya pour aider leurs clients à cesser
de s’identifier avec leurs souffrances. Michael Lee, qui enseigne une méthode de thérapie
yoguique appelée ‘Phoenix Rising’’ montre à ses clients comment traverser des états
émotionnels enfouis en demeurant pleinement conscients dans la pratique de leurs asanas
et constate que ceci peut se traduire par l’observation compatissante de leurs propres
pensées et de leurs propres émotions. Lui-même considère la pratique de la pleine
conscience comme son meilleur instrument pour traverser des situations difficiles, après
s’être rendu compte qu’à partir du moment où il prend du recul par rapport à un problème
et qu’il se branche sur son Soi témoin/observateur, il a une meilleur chance de trouver
comment le gérer.
Ishwarapranidhan se traduit généralement par s’en remettre à Dieu ou se dévouer à Dieu,
une pratique qui est au cœur de toute voie spirituelle. Mais un autre nom de Dieu, c’est la
Réalité – l’Energie vitale qui circule par l’entremise de chaque circonstance et qui fait en
sorte que les choses se produisent comme elles se produisent. Beaucoup de notre
souffrance émane du refus pur et simple d’accepter cette réalité. Et donc, d’instant en
instant, ishwarapranidhan, c’est le choix de s’ouvrir à ce qui se passe réellement à l’intérieur
et autour de nous. C’est une attitude d’acceptation profonde qui nous permet de faire
l’expérience des inévitables difficultés et déceptions de la vie sans résistance, sans
constamment vouloir que les choses soient différentes. Lâcher prise nous restitue
immédiatement l’énergie que nous avons dépensée à résister à la vie, à nous sentir victime,
frustré, ou désespéré. C’est la forme d’alignement la plus profonde qui nous ouvre à
l’amour.
En termes physiques, vous pratiquez le lâcher-prise, lorsque vous vous détendez
consciemment dans la pleine conscience de la partie de votre corps qui vous fait mal,
plutôt que de résister à l’inconfort. Lâcher prise peut aussi signifier, dans le langage des 12
étapes, remiser votre situation à la Puissance supérieure, en comprenant qu’il y a des
choses que votre volonté personnelle n’a pas le pouvoir de changer d’elle-même.
Quand j’ai demandé à Laura Derbenwick quel conseil elle donnerait aux gens qui sont
dans sa situation, elle a répondu : ‘’Le plus important serait de renoncer à l’attachement à
aller mieux, ce qui est vraiment extrêmement difficile et dans le même temps, continuer à
croire que c’est possible.’’ Et elle a ajouté : ‘’Toutes les personnes qui ont souffert d’un
traumatisme crânien que j’ai rencontrées et qui étaient prêtes à embrasser totalement leur
situation se sont soit complètement rétablies ou bien elles ont fait l’expérience d’une
expansion intérieure telle qu’être physiquement malade ou accidenté avait cessé de leur
importer.’’
Des psychothérapeutes bouddhistes, comme Mark Epstein et John Welwood
acquiesceraient. Epstein dit que ce qui rend la personne résiliente, c’est l’acceptation de la
vérité de l’impermanence, c’est-à-dire, le fait que la vie est en perpétuelle évolution et que
le moi que nous prenons tellement au sérieux n’est qu’un kaléidoscope mobile de pensées
et de sentiments temporaires sans vrai contenu. Les sages de ma tradition, la tradition du
tantra hindou, proposeraient la même idée différemment. Ils diraient que lorsque l’ego
laisse tomber son besoin de contrôler la réalité, nous nous alignons sur le caractère propice
intrinsèque, sur l’amour qui est au cœur de tous les phénomènes. C’est alors que des
solutions surgissent spontanément pour des problèmes qui sont apparemment insolubles.
Le fait est que ces trois pratiques s’appliquent dans n’importe quelle situation et à tout
niveau de conscience spirituelle. Si les choses vous donnent l’impression d’être pénibles
ou si vous vous sentez submergé, victime ou désemparé, essayez de vous poser ces
questions : ‘’Quel tapas dois-je accomplir, à présent ? A quoi devrais-je renoncer, comment
devrais-je lâcher prise ? Quelle vérité plus profonde se cache derrière ces circonstances et
ces émotions ? (Ou vous pourriez vous poser la question bouddhiste ou védantique : ‘’Qui
sait que je me sens tendu, fatigué ou misérable ?’’ ou ‘’Qu’est-ce que les sages me diraient
de faire dans cette situation ?’’
En vous posant ces questions, souvenez-vous que tapas, l’auto-investigation et le
renoncement sont interdépendants. Tapas seul, c’est simplement faire front et tenir bon.
Le renoncement non accompagné d’austérité ni d’effort peut conduire à la passivité ou au
fantasme de se réfugier dans le giron d’un Parent cosmique tout-puissant. Et à moins que
nous ne cessions de pratiquer la conscience de soi, de chercher la vérité en nous-mêmes à
tout moment, de nous tourner vers notre propre cœur, d’apprendre la différence entre qui
nous sommes et qui nous pensons être, toute autre pratique sera juste extérieure. Comme
pour beaucoup d’entre nous, la flexibilité est limitée par notre bagage émotionnel, l’autoinvestigation doit souvent s’opérer à différents niveaux.
Bob Hughes, un professeur de yoga et psychothérapeute du Tennessee, a vécu une histoire
d’abus sexuel pendant son enfance et jusqu’à ce qu’il entreprenne de pratiquer le yoga, il
gérait son malaise intérieur en fuyant ou en s’éclipsant. Quand la vie devenait trop
stressante quelque part, il s’éloignait.
Le hatha yoga l’a aidé à changer ce schéma. Et puis un jour, il a découvert que son
instructeur spirituel avait des relations sexuelles avec des étudiants. Cette découverte l’a
catapulté en dehors de sa communauté spirituelle, mais elle lui a aussi fait réaliser qu’il
devait traiter sa propre charge émotionnelle concernant la question – les réactions
émotionnelles intenses consécutives au fait d’avoir enfoui son histoire passée. Bob a passé
six mois dans l’isolement à investiguer sa propre psyché, aidé par un thérapeute et soutenu
par sa pratique et par sa famille. Et il dit que sans les années de discipline et de pratique
yoguique, il doute qu’il aurait pu travailler aussi loin avec ses propres problèmes
émotionnels, et que sans le travail psychologique, il n’aurait pas pu se défaire de la charge
émotionnelle.
Il n’est donc pas surprenant que Bob ait travaillé avec beaucoup d’étudiants en yoga sur
leurs problèmes liés à des abus sexuels, ainsi qu’avec des pratiquants chevronnés encore
blessés. Il note que certaines postures ont tendance à faire remonter les émotions enfouies
et il conduira souvent un étudiant à rester attentif à ses sentiments et à les rapporter à un
thérapeute. Et il constate également que les postures elles-mêmes et les connexions
internes qu’elles créent possèdent en soi un pouvoir curatif.
‘’Une femme avait un mari excessivement abusif. Elle m’a dit que pendant plus d’un an,
en essayant de trouver le courage de le quitter, elle restait allongée en shavasana et récitait
la prière ‘’Puisse-t-il y avoir la paix céleste !’’, en inspirant et en expirant et en écoutant les
cassettes de nos classes. Les cassettes l’aidaient à contacter ce lieu de tranquillité. Au bout
du compte, elle a été en mesure de le quitter en emmenant son enfant.’’
Le contact avec leur état de tranquillité intérieure – faire l’expérience qu’un tel état existe
et qu’ils peuvent l’atteindre – a apporté à d’innombrables étudiants en yoga le soutien dont
ils avaient besoin pour traverser des temps difficiles. C’est l’un des premiers dons de la
pratique du yoga et c’est souvent la raison pour laquelle nous avons recours au yoga,
initialement. Mais toucher cet état n’est qu’un début et cela ne devient une réelle ressource
que lorsque nous y retournons, encore et toujours, et que nous apprenons comment agir à
partir de là. La résilience n’est pas qu’un simple ensemble de techniques. Elle émane
finalement du contact avec ce noyau clair de Conscience sans ego qui se situe au-delà de la
personnalité.
En juin 2003, j’ai quitté la communauté spirituelle où j’avais vécu durant la moitié de ma
vie d’adulte pour commencer à vivre et à enseigner de manière indépendante. C’était un
départ tout à fait amical et le lien avec mon Maître restait fort. Le processus ressembla à
une aventure, dès le début.
C’était également bouleversant. Après vingt ans comme moniale, je manquais de sens
pratique avec la vie matérielle et j’étais naïve concernant des tas de situations que
n’importe quel Américain adulte normal du 21ème siècle aurait maîtrisées il y a des années.
Des questions profondes et fondamentales continuaient à surgir : ‘’Qui suis-je,
réellement ? Puis-je réellement faire ceci ?’’
Un matin, je me suis réveillée dans une sorte de panique primaire et m’étant assise pour
méditer, je pouvais sentir des frissons d’angoisse qui parcouraient ma poitrine et mon
estomac. Après quelques minutes, j’ai pu trouver l’espace témoin et j’ai entrepris de me
concentrer sur les sensations du corps et les pensées sous-jacentes à mes sentiments. Et
derrière la peur, il y avait la conviction que j’étais seule et sans protection, totalement
vulnérable aux vents du changement. Intellectuellement, je pouvais bien voir que tout ceci
n’était qu’une vieille rengaine, mais me dire que je m’illusionnais moi-même ne semblait
pas diminuer ces sentiments. Et donc, j’ai fait ce que la pratique vous entraîne à faire. J’ai
expiré, en me détendant lentement dans l’espace au terme de l’expiration. Et puis, je me
suis dit : ‘’Suppose qu’il n’y a aucun soutien à l’extérieur, suppose que c’est la vérité ?’’
Avec cette pensée, ce fut comme si le sol
s’effondrait sous mes pieds. Je n’avais plus de
base. J’étais vide. Il n’y avait plus de ‘’moi’’ au
sens habituel. A la place, il y avait simplement
une Présence vibrante et un sentiment d’amour
incroyable. Je me sentais libre, protégée et
remplie de joie. Cet instant de lâcher-prise
avait ouvert la porte à un pouvoir plus
profond, à la Conscience sans ego qui se situe
au-delà de mes idées de qui je suis et de ce que
je devrais faire.
J’en suis arrivée à voir que toute résilience
réelle que nous avons doit émaner de cette
Energie, de cette Présence. Toutes nos autres
ressources fluctuent. Mais quand nous
contactons cette pure Présence, le pur espace
sans ego du Cœur, nous sommes invulnérables. Avec cette connexion qui est le don le plus
profond du yoga, nous pouvons faire face à tout et n’importe quoi !
(Source : Yoga Journal / www.sallykempton.com)