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innovation et croissance endogéne

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Revue française d'économie
L'analyse de l'innovation dans les modèles de croissance endogène
Patricia Crifo-Tillet
Abstract
As major determinants of economic activity, innovation and research and development activities are major issues in the analysis
of growth. Focusing on microeconomic aspects of innovation within the endogenous growth literature helps reconsidering the
sources and mechanisms of growth. This article studies the analysis of innovation within endogenous growth models by
reconsidering the standard decomposition based on the nature of technological progress, namely an increase in the variety or
quality of goods. In the light of recent contributions on public policy analysis, these theoretical models are analysed within the
debate on market structures and the nature of the discovery process. The technological adoption process turns out to be
enriched, and competition, traditionnally viewed as detrimental, recovers relevancy in the analysis of growth.
Citer ce document / Cite this document :
Crifo-Tillet Patricia. L'analyse de l'innovation dans les modèles de croissance endogène . In: Revue française d'économie,
volume 14, n°2, 1999. pp. 189-221;
doi : https://doi.org/10.3406/rfeco.1999.1083
https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_1999_num_14_2_1083
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Patricia
CRIFO-TILLET
L'analyse
dans
de
les
de l'innovation
modèles
croissance
endogène
sources
le
économique.
rôle du
deprogrès
la En
croissance
considérant,
technique
est evenu
dans
renouvellement
avecjeter
le modèle
développement
une lumière
de de
croissance
l'analyse
nouvelle
et l'activité
endodes
sur
190
Patricia Crifo-Tillet
gène inspiré de Romer [1990], que la recherche-développement
et l'innovation sont au cœur de l'expansion économique, un
problème majeur consiste à déterminer si les incitations à la
recherche sont suffisantes pour permettre à la croissance de se
maintenir.
Le débat sur les liens entre innovation et concurrence
trouve ses fondements, bien avant la littérature sur la croissance
endogène, dans les travaux de Schumpeter [ 1 942] . Pour ce
dernier, la structure de marché favorable à l'innovation est le
monopole, car il est le seul moyen de fournir les incitations nécessaires
à la R&D :
« Le principal avantage tiré par une entreprise d'une
position de vendeur unique, obtenue au moyen d'un brevet ou d'une
stratégie monopolistique, ne consiste pas tant dans la possibilité
pour cette firme de se livrer temporairement aux agissements
d'un monopoleur que dans la protection acquise de la sorte
contre la désorganisation momentanée du marché, ainsi que
dans les coudées franches obtenues pour la réalisation d'un
programme à long terme. » (p. 142).
Ainsi, l'analyse des structures de marché les plus favorables
à l'apparition de l'innovation est cruciale. Ces formes de
marché dépendent, pour Guesnerie et Tirole [1985] de deux éléments
essentiels. D'une part, elle sont liées à la valeur privée de
l'innovation, c'est-à-dire à la comparaison entre les dépenses
engagées et les résultats attendus. D'autre part, les structures de
marché dépendent de la nature du processus de découverte et des
caractéristiques de jeu dynamique qu'il induit entre les
innovateurs.
Ces deux dimensions placent l'incitation à innover au cœur
de la question de l'expansion économique. En effet, celle-ci
résulte au moins autant de l'invention de nouveaux produits et
procédés, et leur exploitation commerciale initiale, que de leur
diffusion et leur utilisation généralisée. Comme le marché n'est
pas à même de produire naturellement ce type d'incitation, des
auteurs comme Schumpeter [1942] et Arrow [1962] suggèrent
de s'en remettre à un système de droits de propriété intellectuelle.
Le brevet est censé assurer à l'innovateur une rente de monopole
Patricia Crifo-Tillet
191
temporaire pour qu'il puisse bénéficier des résultats de sa recherche,
tout en rendant publique l'information relative à l'invention.
Toutefois, le système de brevet ne satisfait pas aux conditions de
l'efficacité de premier rang, pour lesquelles une fois produit, un
bien collectif pur doit être mis à la disposition de tous les agents.
Comme il fournit un monopole d'exploitation à son détenteur,
il introduit une distorsion sur le marché, et la diffusion des
connaissances dans l'économie n'est pas parfaite. Le brevet n'est
alors qu'un compromis de « second rang » entre les exigences
d'efficacité {ex post), et celles d'incitation {ex ante) (Guesnerie et
Tirole, [1985]). Favoriser une structure de marché plutôt qu'une
autre ne devra pas alors constituer une entrave à la diffusion des
connaissances dans l'économie.
Si les études empiriques sur les liens entre innovation et
structure de marché sont abondantes, les conclusions ne sont
toutefois pas fermes : « peu d'observations empiriques corroborent
l'idée que les grandes entreprises ou une forte concentration
vont généralement . de pair avec un plus haut niveau d'activité
novatrice » (Symeonidis, [1996], p. 68). Des études empiriques
récentes (Blundell et ai, [1995]) montrent même l'existence
d'une corrélation positive entre concurrence sur le marché de
produits et croissance de la productivité à l'intérieur d'une firme ou
d'une industrie. La concurrence n'est donc pas - contrairement
à l'argument schumpéterien traditionnel - toujours préjudiciable
à l'innovation. De plus, la prise en compte des deux grands types
de concurrence possibles permet de relativiser encore cet
argument schumpéterien. Il est possible en effet de distinguer la
concurrence potentielle, à savoir la pression ou la menace
d'entrants potentiels sur les firmes déjà présentes sur le marché ; de
la concurrence effective, qui se mesure par le nombre de
concurrents présents dans un même industrie. Si la concurrence
effective peut se révéler défavorable aux innovateurs car elle réduirait
les rentes de monopole tirées d'un brevet, la concurrence
potentielle quant à elle peut être stimulante et incitative.
Par ailleurs, les formes que revêt la concurrence sur les
marchés caractérisés par une forte innovation technologique ne
peuvent manifestement pas se réduire à la simple alternative
192
Patricia Crifo-Tillet
monopole temporaire (brevet) ou concurrence. A titre d'exemple,
le 8 Août 1997, la presse économique annonçait l'intention de
l'entreprise Microsoft d'investir 950 millions de francs en
rachetant une partie (6,5 %) des actions de sa concurrente Apple.
Cet accord financier, qui s'accompagne d'un partenariat
technologique, c'est-à-dire d'un accord de coopération sur le
développement de nouvelles technologies, surprît dans la mesure où
les deux firmes étaient jusque-là des rivales engagées dans une
concurrence assez vive. En février 1995, Apple accusait ainsi
Microsoft d'avoir copié et commercialisé sa technologie «
Quicktime » pour Windows, et avait porté plainte pour infraction sur
son innovation. Que les deux firmes soient désormais liées pour
cinq ans par des accords croisés de licences semble être un
revirement conséquent. Cet exemple ne présenterait pas un intérêt
particulier s'il n'illustrait la nature des relations qui existent entre
des firmes concurrentes ainsi que les structures hybrides des
marchés caractérisées par l'innovation technologique.
Traditionnellement habituées à se livrer une concurrence, les deux
firmes ont préféré s'allier à travers un partenariat financier et
technologique important. Peut-on voir dans cette tactique une remise
en cause du bien-fondé de la concurrence, ou ne s'agit-il que de
la victoire d'un concurrent plus fort et plus efficace sur son rival,
en proie à des problèmes financiers et stratégiques importants ?
L'incorporation des différents aspects de l'innovation
dans les modèles de croissance endogène conduit alors à fournir
une analyse riche du progrès technique et de ses conséquences
sur l'activité économique, contrairement aux modèles inspirés des
travaux de Solow [1956], concluant à une tendance inéluctable
à la stagnation économique en dehors de tout progrès technique
exogène. Si la littérature sur les interactions entre structure de
marché et innovation n'est pas récente (voir Scherer, [1992] pour
une revue détaillée), la réconciliation nécessaire de la concurrence
avec le paradigme schumpéterien, telle que le préconisent Aghion
et Howitt [1998], se révèle originale et enrichissante de
plusieurs points de vue.
Premièrement, le rôle de la concurrence dans le
processus d'innovation est appréhendé en prenant en compte des
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193
dimensions nouvelles telles que le rôle des externalités de la
recherche, l'efficacité de l'équilibre concurrentiel à long terme,
et la possibilité - le cas échéant - de politiques publiques
correctrices. L'équilibre décentralisé peut ainsi conduire à long terme
à un niveau de recherche, et donc de croissance, sous-optimal,
par exemple parce que les entreprises n'internalisent pas les effets
externes de diffusion des connaissances qu'elles produisent
lorsqu'elles innovent. Deux types de constats peuvent se dégager.
D'une part, l'incitation à innover est défaillante et la concurrence
ne permet pas une appropriation suffisante des résultats de la
recherche. Et d'autre part, des politiques publiques ciblées
destinées à restaurer l'insuffisante incitation à l'innovation peuvent
être collectivement souhaitables pour promouvoir la croissance
économique.
Deuxièmement, la nature elle-même du processus de
découverte fait l'objet d'un nouvel éclairage. Dans les modèles
avec croissance endogène fondée sur l'innovation, la source de
la croissance est située dans la production d'un nombre croissant
(ou de qualité accrue) de facteurs de production, via une
activité spécifique et rémunérée : la R&D. Ces biens auraient la
double caractéristique d'augmenter la productivité ou le bien-être
et d'accroître le stock de connaissances (Guellec et Ralle, [1993]).
Ces caractéristiques permettent de distinguer traditionnellement
les modèles dans lesquels le progrès technique résulte d'une
augmentation de la variété des produits, à savoir une différenciation
verticale des biens (Grossman et Helpman, [1991] ch. 3) ; et les
modèles où le progrès technique est le résultat d'une
augmentation de la qualité des produits, c'est-à-dire une différenciation
horizontale (Aghion et Howitt, [1992]). Ces modèles s'attachent
à dériver, via les comportements optimisateurs des entreprises,
les structures propices non seulement à l'apparition de
l'innovation, mais aussi à la croissance économique.
Toutefois, comme le fait remarquer Symeonidis [1996],
structure de marché et activité novatrice doivent être considérées
comme des variables endogènes déterminées conjointement. Dès
lors, replacer ces modèles en fonction de la relation entre les
structures de marché et la nature du processus de découverte per-
194
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met de dépasser la distinction standard entre augmentation de
la qualité et de la variété, pour considérer plus précisément la
nature de l'incitation à l'innovation. La distinction ne porte plus
seulement sur la différenciation horizontale ou verticale des
produits, mais plutôt sur la nature de la concurrence qui existe entre
les firmes (elle sera plutôt effective quand il y a différenciation
horizontale, et potentielle pour la différenciation verticale). Cela
permet d'étudier les relations entre structure de marché et
croissance en isolant d'un côté l'analyse des interactions entre
innovation et structure de marché contestable, à la suite de Aghion
et Howitt, [1992] (section suivante), et d'un autre côté,
l'analyse de l'interaction entre la valeur de monopole de l'innovation
et la concurrence effective, à la suite de Grossman et Helpman,
[1991] (dernière section).
Incitations à l'innovation
et structure de marché contestable
Toute course à l'innovation est caractérisée par deux forces
incitatives : la menace concurrentielle et l'incitation au profit (Beath
et ai, [1986]). La menace concurrentielle exerce une pression pour
être le premier à innover et ne pas perdre de parts de marché si
c'est un concurrent qui innove en premier. L'incitation au
profit est un déterminant important des dépenses de recherche
lorsque les firmes présentes sur un marché ne prennent en compte
que les bénéfices futurs à retirer de l'innovation,
indépendamment du comportement des autres. L'importance relative de ces
deux forces permet de comprendre l'issue des courses
technologiques, c'est-à-dire l'identité de l'innovateur (un monopole déjà
en place ou un entrant potentiel). Lorsqu'un monopole est plus
incité à innover qu'un concurrent potentiel, parce qu'il
bénéficie par exemple d'avantages de coûts ou d'information, c'est un
effet d'efficacité qui domine sur le marché considéré. De la
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195
même manière, lorsque l'entrant potentiel est le plus incité à
innover, parce que ses profits espérés sont relativement plus
importants que ceux du monopole, un effet de remplacement l'emporte.
La structure de marché qui découle de ces compétitions
technologiques sera plutôt concurrentielle ou plutôt monopolistique
selon l'importance relative de ces deux forces. Dans les modèles
de croissance fondés sur une différenciation verticale des produits
(amélioration de leur qualité), les nouvelles inventions rendent
les technologies ou produits anciens obsolètes : le progrès
technique procède par « destruction créatrice » et seul l'effet de
remplacement est pris en compte (paragraphe suivant). Si la position
de monopole est la structure de marché fournissant les incitations
suffisantes, la modification des hypothèses concernant l'activité
de recherche, (notamment les objectifs des innovateurs) permet
néanmoins de montrer l'impact positif de la concurrence
effective sur l'innovation et la croissance (deuxième paragraphe). Dès
lors, l'élaboration de politiques publiques de concurrence et de
recherche doit prendre en compte précisément les défauts
d'incitation présents, étroitement dépendants du type d'externalités
considérées et des problèmes de concurrence qui en découlent
(dernier paragraphe).
Destruction créatrice et innovation aléatoire
La modélisation macro-économique du processus de
destruction créatrice, expression schumpéterienne qui renvoie à la
destruction des éléments vieillis et à la création d'éléments neufs,
repose sur deux hypothèses essentielles. D'une part, le nombre
total de biens (ou de variétés) est constant : c'est l'augmentation
de la qualité des biens qui permet la croissance, pas
l'augmentation de leur nombre. D'autre part, à l'équilibre de marché,
seul le bien de meilleur rapport qualité-prix (meilleure qualité
ajustée) est produit dans chaque secteur. Cette hypothèse restrictive
implique que l'entreprise en monopole pour le bien de meilleure
qualité emploie une stratégie de prix limite et fixe un prix
suffisamment inférieur au prix de monopole pour évincer la pro-
196
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duction du bien de qualité immédiatement inférieure. Lorsqu'un
produit (ou une technique) s'améliore, il remplace l'ancienne
version : la découverte d'une qualité supérieure rend les degrés
inférieurs complètement obsolètes. L'amélioration de la qualité
de chaque type de bien intermédiaire est suscitée par une
innovation qui provoque un saut discret dans le niveau de « service »
que le produit considéré offre. Quand la recherche d'une
entreprise est couronnée de succès, l'innovateur crée une nouvelle
génération et capte une part de marché au détriment d'une
génération précédente de produits.
D'autre part, afin de rendre compte du processus de
renouvellement continuel de l'identité de l'innovateur, c'est-à-dire
du caractère destructif de l'innovation, il est supposé que le
monopole en place ne fait pas de recherche : c'est un concurrent
qui réalise la prochaine innovation. L'incitation à l'innovation
repose alors uniquement sur l'effet de remplacement et le
monopole octroyé est contestable : une firme en place est appelée à être
remplacée par un innovateur futur. La position de monopole
est donc temporaire, et de surcroît aléatoire : l'arrivée d'une
innovation est soumise à une incertitude sur le succès des dépenses
engagées. Ce caractère aléatoire se traduit par le choix d'une
probabilité de succès pour l'innovation gouvernée par une loi de
Poisson, qui ne dépend que de l'effort actuel de R&D dans le
secteur concerné. L'innovation est alors un processus sans mémoire,
dans lequel ce n'est pas l'accumulation passée des connaissances
et l'expérience qui déterminent la probabilité de découverte
présente. Ainsi, les innovateurs potentiels (qui ne sont pas les
monopoles en place) doivent prendre en compte l'importance du
profit et sa durée escomptée. L'incertitude qui sous-tend le processus
d'innovation porte uniquement sur la durée de la position de
monopole. Le modèle de Aghion et Howitt [1992, 1998],
présenté dans la suite de ce paragraphe, fournit ainsi un cadre
théorique permettant d'analyser le phénomène de destruction
créatrice à la lumière des relations existant entre innovation et
structure de marché contestable.
Patricia Crifo-Tillet
197
Le modèle de Aghion et Howitt [1992, 1998]
L'économie est composée de trois secteurs : le secteur du bien final,
le secteur du bien intermédiaire et le secteur de la recherche. La
taille de la population est fixe et égale à L. Chaque individu est
doté d'une unité de travail qu'il peut utiliser pour la recherche
ou pour produire des biens intermédiaires.
Le bien de consommation finale est produit de manière
concurrentielle avec un bien intermédiaire selon la technologie
suivante
v -
x
(1)
où y est la quantité de bien final, x est la quantité de bien
intermédiaire, A est un paramètre technologique, et 0<OC<1.
Chaque nouvelle variété de bien intermédiaire remplace
la variété ancienne, et son utilisation améliore le paramètre
technologique A d'un facteur y> 1. Par conséquent At+1 = yAť
/représente la taille des innovations.
Les ménages ont des préférences intertemporelles linéaires
de la forme
uiy) = fo yse'r$ ds
où r est le taux de préférence pour le présent.
Les ménages maximisent leur utilité statique en allouant
une part équivalente de leurs dépenses de consommation sur
chaque ligne de produit et en achetant le bien de meilleur
rapport qualité-prix.
La production de bien intermédiaire requiert comme
seul facteur du travail selon une technologie unitaire : une unité
de travail permet de produire une unité de bien intermédiaire.
Le producteur intermédiaire utilise la tième innovation (soit il est
l'innovateur, soit il achète le brevet à l'innovateur), et se trouve
en situation de monopole. Il maximise son profit
Kt = pt{x)xt -
198
Patricia Crifo-Tillet
l/U-a)
xt = Argmax {щ} =
et
avec />ř(x), le prix auquel le tième innovateur (ou
l'entreprise intermédiaire) peut vendre le flux xt de produit
intermédiaire au secteur de production final ; et wt le salaire.
Le secteur de la recherche utilise comme seul facteur de
production du travail. L'activité de recherche est incertaine et les
innovations se produisent selon un processus de Poisson de
paramètre Xz, avec z la quantité individuelle de recherche.
Le montant de travail consacré à la recherche est tel que
le coût unitaire du travail égalise la valeur espérée du revenu de
l'innovation pour une unité de travail, soit wt = X Vt+1.
La valeur nette présente de la (t+l)ième innovation, Vt+1,
est déterminée par l'équation d'actif
rVt+1 = Kt+1 - Xnt+1Vt+1
о
Vt+1 =
r + Ant+1
Ant
(2)
où r est le taux d'intérêt, et Xnt+1 Vt+j, la perte en capital
espérée.
A l'équilibre, la répartition de la main-d'œuvre entre les
secteurs de la recherche et du bien intermédiaire doit être telle
qu'il y a égalisation des salaires versés dans ces deux secteurs. Cette
condition implique l'équation d'arbitrage suivante :
wt =
(ût = X
r + Xn t+i
(A)
avec CDt=w/At le taux de salaire ajusté à la productivité.
Par ailleurs, le marché du travail doit être à l'équilibre
également, ce qui conduit à la contrainte de ressource :
L = nt + xt = nt + x(0)t)
(L)
où xt = Sc{(û^ = I— ), la demande de travail pour le seci if '
teur productif est décroissante en (ût.
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199
Le taux de croissance moyen de l'économie à l'état stationnaire est donné par
g = Xnlny
(G)
Le montant de recherche à l'équilibre concurrentiel n
est alors caractérisé par l'équation suivante
r + Xn
Et le niveau de recherche optimal par l'équation
i _
Mï- dU-)(L - n)
(3)
(4)
r + Xn(j- 1)
La comparaison des équations caractérisant l'équilibre
concurrentiel (3) et l'optimum (4) permet de mettre en évidence
trois éléments :
• Un effet de retombées technologiques intertemporelles
Le taux d'escompte décentralisé au dénominateur de l'équation
(3) est supérieur au taux d'escompte social (dénominateur de
l'équation 4). Tout se passe comme si l'entreprise de recherche
privée n'attachait pas de poids aux bénéfices qui apparaissent
après son innovation, en particulier pour les chercheurs
ultérieurs ; alors qu'à l'optimum le caractère permanent des bénéfices
associés à l'innovation est pris en compte. Si on isole cet effet,
la recherche décentralisée sera insuffisante {n < n).
• Un effet d'appropriabilité
A l'équilibre de marché (équation 3), le monopole ne
s'approprie qu'une fraction 1-OL du flux du produit, tandis qu'à
l'optimum cette part vaut 1 (équation 4). Selon cet effet, comme
1-OL < 1, le niveau de recherche à l'équilibre décentralisé sera plus
faible qu'à l'optimum.
Les deux effets précédents impliquent que le rendement
social des innovations est supérieur au rendement privé, et les res-
200
Patricia Crifo-Tillet
sources consacrées à la recherche sont insuffisantes à l'équilibre
de « laisser- faire ».
• Un effet de destruction du profit
II repose sur la présence du facteur y- 1 dans (3), comparé kg
dans (4). Si on isole cet effet, le montant de la recherche à
l'équilibre décentralisé sera plus important qu'à l'optimum. Quand un
projet de R&D est couronné de succès, une partie de la
rémunération dont bénéficie l'innovateur provient de l'effet de
destruction créatrice par lequel les rentes de monopole sont
transférées du précédent vers le nouvel innovateur. Les entreprises
privées de recherche n'internalisent pas la destruction des rentes
causée au monopoleur précédent par l'arrivée d'un produit de
meilleure qualité.
Globalement, les deux premiers effets dominent (en
particulier les externalités intertemporelles) lorsque la taille des
innovations (У), est grande. En revanche, lorsque le pouvoir de
monopole est important (ce proche de zéro) et que les
innovations ne sont pas trop grandes, l'effet de destruction du profit
domine, et la croissance décentralisée sera excessive.
Une autre caractéristique de ce modèle est de mettre en
évidence, à l'équilibre, un lien négatif entre la concurrence
effective sur le marché des produits et la croissance. L'indice du
pouvoir de monopole peut se définir par le rapport prix moins coût
marginal sur prix (Lerner, [1934] ; repris par Aghion et Howitt,
[1992]). Comme le seul facteur de production du bien
intermédiaire est le travail, le coût marginal est donné par le taux de
salaire w. Le prix quant à lui est égal à w/oc, donc l'indice du
pouvoir de monopole vaut 1-CC. Dès lors, dans l'équation (3), une
variation de CC aura pour conséquence une variation en sens
inverse du niveau de recherche à l'état stationnaire n . Ainsi, une
augmentation de (X se traduit par une réduction du pouvoir de
monopole et entraîne une réduction du niveau de la recherche.
Comme le taux de croissance de l'économie dépend positivement
du niveau de recherche, la concurrence sur le marché des
produits sera préjudiciable à la croissance. Intuitivement, une
concurrence effective plus vive réduit la taille des rentes de monopole
Patricia Crifo-Tillet
201
(représentées par le paramètre a) et réduit les incitations à
innover. Inversement, la concurrence potentielle dans le secteur de la
recherche, c'est-à-dire entre innovateurs potentiels, favorise la
croissance pour plusieurs raisons. Directement d'une part, lorsque
l'accroissement de la concurrence résulte d'une réduction du coût
d'entrée dans le secteur de la recherche. Et indirectement d'autre
part, dans la mesure où l'innovation étant le seul fruit d'entrants
potentiels (seul l'effet de remplacement caractérise l'activité de
recherche), une plus grande concurrence potentielle peut
favoriser l'émergence d'entreprises de recherche plus efficaces, et
permettre des innovations de meilleure qualité. La concurrence
potentielle favorise donc toujours la croissance.
La conclusion précédente, selon laquelle la concurrence
effective sur le marché des produits ne peut que nuire à la
croissance apparaît quelque peu excessive. Le paragraphe suivant
montre ainsi comment la prise en compte d'hypothèses moins
restrictives sur l'activité de recherche permet de réconcilier,
comme le proposent Aghion et Howitt [1998], le paradigme
schumpéterien avec l'influence positive de la concurrence.
Concurrence et croissance :
un dépassement du clivage traditionnel
La concurrence peut être bonne pour la croissance lorsqu'elle force
les entreprises à innover pour survivre. Une firme profite souvent
de la présence de concurrents contribuant au développement du
secteur : les innovateurs ne sont pas forcément menacés à long
terme par la concurrence. En enrichissant leur modèle de base,
Aghion et Howitt [1998] montrent que les conclusions
concernant les liens entre concurrence, innovation et croissance mises
en évidence dans le paragraphe précédent peuvent être clairement
différentes.
En particulier, la spécificité de l'investissement en
recherche-développement mérite d'être prise en compte,
notamment parce qu'une décision d'innovation ne fait pas intervenir
un seul individu (l'innovateur), mais plusieurs acteurs avec des
202
Patricia Crifo-Tillet
objectifs conflictuels. Il en va ainsi de l'opposition entre les
objectifs des actionnaires qui financent l'innovation, et des
dirigeants d'entreprise qui prennent la décision d'adoption de la
technologie. Les dirigeants peuvent avoir comme objectif
principal de conserver les bénéfices privés de contrôle qu'ils tiennent
de leur position hiérarchique, tout en minimisant les coûts
(d'innovation). Comme l'innovation est risquée, ils subissent un coût
lié à l'adoption de nouvelles technologies, et auront alors tendance
à freiner le processus d'adoption des innovations. Les
actionnaires en revanche, sont préoccupés principalement par les
perspectives de rentabilité et de profit, et souhaitent donc que
l'innovation soit adoptée immédiatement. Aghion, Dewatripont et
Rey, [1997], présentés dans Aghion et Howitt, [1998] montrent
ainsi, dans un modèle qui prend en compte les relations d'agence
existant entre dirigeants et actionnaires des firmes de recherche
qu'une plus grande concurrence sur le marché des produits force
les dirigeants à accélérer le processus d'adoption de nouvelles
technologies et joue un rôle disciplinant. L'introduction de cette
relation d'agence dans le modèle de base montre que la
concurrence accélère le rythme d'innovation et la croissance.
Par ailleurs, la nature même de l'innovation et de la
connaissance considérées influencent la nature des relations entre
concentration du marché et croissance. Ainsi, la prise en compte
d'un progrès technique plus graduel, plus diffus peut inciter les
firmes innovantes à acquérir une avance significative sur leurs
concurrentes. L'importance des connaissances tacites propres aux
entreprises, caractéristiques des marchés innovants, réduit les
externalités positives dont bénéficient les innovateurs potentiels.
Une concentration excessive du marché freinera alors l'adoption
de nouvelles technologies. Inversement, des marchés
caractérisés par une concurrence effective importante favorisent les effets
d'apprentissage et de diffusion des connaissances publiques. Dans
un modèle fondé sur une différenciation horizontale des produits,
Smulders et van de Klundert [1995] montrent ainsi que l'impact
du degré de concentration du marché sur la croissance
économique s'articule autour de plusieurs effets contraires.
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203
• L'effet d'échelle
Une baisse du nombre d'entreprises implique que les dépenses
totales de consommation se répartissent sur moins de produits.
Il y a alors augmentation du taux de rendement pour
l'investissement en R&D spécifique à un produit : le coût fixe de
l'innovation peut être couvert par un volume de ventes plus élevé
donc le taux de rendement de la R&D est supérieur. A l'échelle
de l'économie, on emploie ainsi une part plus faible de la force
de travail pour la recherche, le coût fixe lui-même décroît. La
concentration influence donc positivement l'incitation à
innover en affectant le volume des ventes des entreprises.
• L'effet de « connaissance publique » ou « learning by
watching »
Sur un marché plus concentré, comme le nombre d'entreprises
présentes est plus faible, les externalités de connaissances sont plus
restreintes. Chaque firme augmente le stock de connaissances
publiques lorsqu'elle innove, et l'accès à ces externalités de bien
public constitue pour toutes les entreprises présentes un facteur
de production nécessaire à l'innovation, même s'il n'a pas de
contrepartie financière. Trop de concentration réduit cette externalité « sociale », et diminue par là-même, la productivité moyenne
des dépenses consacrées à la R&D. Le taux de rendement
correspondant sera donc plus faible. De la même manière, un
nombre plus faible d'entreprises implique que les opportunités
d'apprentissage en observant ce que font les autres diminuent.
Les auteurs qualifient cette caractéristique d'effet de « learning
by watching ». Le taux de rendement social en présence de ces
deux effets est plus faible. Dans ce contexte, la concentration réduit
l'incitation à innover et la croissance en influençant les
retombées technologiques totales de la connaissance.
• L'effet de « monopolisation »
La concentration peut réduire l'élasticité prix perçue car elle
élève la part de marché des firmes restantes. Sur un marché plus
concentré, un changement de prix a un impact plus fort sur
l'indice de prix sectoriel, et donc sur la demande. Pour maximiser
204
Patricia Crifo-Tillet
leurs profits, les firmes augmentent leurs taux de markup. Le prix
relatif des biens différenciés augmente et les entreprises
monopolistiques vont réaliser un volume de ventes plus faible, ce qui
diminue le taux de rendement donc le taux de croissance. Ici, la
concentration exerce un impact négatif sur la croissance en
modifiant la concurrence et les taux de markup.
L'impact global de ces quatre effets n'est pas univoque
a priori. Comme l'innovation est une activité interne à
l'entreprise, la concentration du marché réduit le coût fixe total de
la recherche, donc favorise la croissance. En revanche, une
concentration excessive déprime l'innovation car elle renforce
les pouvoirs de monopole, induisant les firmes à chercher à
obtenir des profits à court terme plus élevés en pratiquant des prix
accrus, au lieu d'innover pour obtenir des profits à long terme
supérieurs.
Finalement, l'analyse des liens entre incitation à
l'innovation et structure de marché contestable a mis en évidence deux
grands types d'effets. La première catégorie, dans la tradition
schumpéterienne, montre que la concentration sur le marché
est la structure la plus favorable à l'innovation car elle fournit des
rendements à la hauteur des montants investis. Dans la seconde
catégorie, une monopolisation excessive freine l'innovation en
réduisant le rendement social de la recherche ou en ne
fournissant pas de pressions suffisantes sur la décision d'adoption
technologique. Il apparaît que la structure de marché associée à
l'innovation peut revêtir différentes formes qui ne sauraient se limiter
à la simple alternative monopole ou concurrence. La nature du
progrès technologique considéré, la nature des interactions entre
les acteurs lors de la décision d'adoption de nouvelles
technologies, les caractéristiques de la demande dont dépend
directement le pouvoir de monopole (elle ne doit pas être trop élastique),
sont autant de facteurs susceptibles de conduire à des types de
marchés plutôt concentrés ou plutôt concurrentiels. Comme le
souligne Symeonidis [1997], structure de marché et innovation
sont déterminées conjointement par les caractéristiques de la
technologie, comme le degré d'incertitude, les économies
d'apprentissage et les externalités ; les caractéristiques de la demande
Patricia Crifo-Tillet
205
et le cadre institutionnel. L'étude des propriétés de l'équilibre
concurrentiel dans le modèle de Aghion et Howitt [1992, 1998]
a montré que le niveau de recherche à l'équilibre décentralisé
pouvait être insuffisant ou excessif, selon la nature des externalités
considérées. La détermination du type de politiques publiques
suceptibles de restaurer les incitations à l'innovation doit alors
prendre en compte la nature de ces externalités, mais aussi les
problèmes de concurrence que ces politiques peuvent poser.
Les politiques de subvention ou de taxation de la R&D
Une dimension traditionnelle de l'intervention publique consiste
à déterminer si, du point de vue de la croissance optimale ou de
l'allocation efficace des ressources, les investissements en R&D
doivent être taxés ou subventionnés. Une réponse typique
prévoit de subventionner les investissements en recherche toutes
les fois que les effets externes positifs (retombées intertemporelles
ou appropriabilité) dominent et que l'équilibre de marché est sousoptimal ; et inversement, de taxer les investissements en recherche
lorsque l'effet de destruction du profit l'emporte à l'équilibre
décentralisé.
Dans le modèle de Aghion et Howitt [1998], une
politique de subvention de la R&D pour restaurer les incitations à
l'innovation n'est pas la meilleure politique pour plusieurs
raisons. La comparaison de l'équilibre de marché et de l'optimum
a mis en évidence deux types d'effets contradictoires : soit une
insuffisance de la croissance si l'appropriabilité des résultats est
trop faible, ou si les externalités intertemporelles ne sont pas
prises en compte par les innovateurs ; soit une croissance
excessive liée à la non prise en compte de l'externalité négative
associée à l'effet de destruction du profit. Ainsi, subventionner la
recherche risque de renforcer les externalités négatives sur les
concurrents potentiels. De plus, les politiques de subvention
n'agissent pas sur la taille des innovations. Or, les incitations à
la R&D sont insuffisantes quand les échelons de qualité sont de
taille intermédiaire, et excessives quand ils sont soit trop faibles,
206
Patricia Crifo-Tillet
soit trop forts. Une politique qui n'agit pas sur la taille des
innovations ne constitue donc pas la réponse la plus adaptée. Enfin,
une telle politique se heurte à des problèmes d'asymétries
d'information : il peut exister des effets d'aubaine (subventionner une
recherche qui aurait été entreprise même sans les fonds publics),
ou des problèmes de contrôle des décisions d'investissement. En
fait, il s'agit plutôt de faire émerger un « compromis
institutionnel » qui encourage les externalités positives (diffusion des
connaissances), tout en limitant les externalités négatives (Cohendet et al, [1998]).
L'analyse de l'efficacité de l'incitation à l'innovation ne
repose pas seulement sur la structure de marché endogène. A la
dimension des politiques de concurrence s'ajoute une dimension
plus réglementaire, tenant à la nature du monopole conféré par
le brevet.
Incitation par la valeur
de l'innovation et concurrence effective
L'étude de cette position de monopole s'inscrit plus aisément dans
les modèles de croissance endogène avec différenciation
horizontale des produits (augmentation de la variété). En effet, dans
ces modèles, un nouveau produit n'est ni un substitut direct, ni
un complément direct de ceux qui existent déjà, les découvertes
ne rendent donc pas les biens existants obsolètes. Dès lors,
l'incitation à innover sur ce type de marché n'est pas remise en
cause par l'arrivée de nouveaux produits c'est-à-dire par une
concurrence effective plus vive ; et elle s'évalue en fonction de
la valeur privée de l'innovation. Dans cette perspective, si le
brevet confère une position de monopole temporaire, il ne
constitue toutefois pas une entrave systématique à la concurrence. En
effet, lors du dépôt du brevet, l'information concernant
l'innovation se diffuse aux entreprises, et peut ainsi fournir un signal
Patricia Crífo-Tillet
207
précieux sur les perspectives et le succès éventuel d'une ligne de
recherche (Cohendet et ai, [1998]). Il favorise ainsi
l'amélioration des produits existants, en particulier dans des domaines où
les innovations sont cumulatives.
Cependant, le brevet conféré à l'innovateur est censé lui
procurer une appropriabilité suffisante des résultats de sa recherche,
notamment en lui conférant une exclusivité partielle sur la
connaissance et la technologie nouvelle. Intrinsèquement, comme
il fournit un monopole d'exploitation à son détenteur, il
introduit une distorsion sur le marché, et la diffusion des connaissances
dans l'économie n'est pas parfaite. Or, c'est autant l'invention de
nouveaux produits et leur exploitation commerciale, que leur
diffusion généralisée qui compte dans le processus de croissance.
Même s'il rend publique l'information relative à l'invention, un
certain nombre de connaissances, tacites ou non, relatives à la
technologie ne figurent pas lors du dépôt du brevet, et la diffusion
des connaissances n'est pas optimale.
Le brevet peut aussi entraîner des inefficiences sur la
demande exprimée par les consommateurs. Pour Klemperer
[1990], deux sources d'inefficience sont envisageables :
• lorsque la présence du brevet pousse certains consommateurs
à acheter des variétés du produit procurant une utilité moindre,
non brevetées, et vendues de manière concurrentielle
(substitution pour la mauvaise variété de produit).
• ou lorsque la présence du brevet écarte une partie des
consommateurs de la classe du produit considéré car les prix sont trop
élevés parce que l'innovateur augmente trop son markup
(consommation en dehors de la classe du produit).
Ainsi, l'incitation par la valeur de l'innovation repose- 1elle sur la nature de la diffusion des connaissances dans l'économie
(paragraphe suivant), mais également étroitement sur les
conditions de la demande, notamment le goût des consommateurs pour
la diversité (deuxième paragraphe). Les externalités présentes ne
permettant pas un taux de croissance optimal, résultat conforté
208
Patricia Crifo-Tillet
par des analyses empiriques récentes, la détermination de
politiques publiques ciblées fera l'objet du dernier paragraphe.
Diffusion de la connaissance et durée de vie des brevets
Comme dans le modèle de Romer [1990], si l'innovation et la
croissance sont durablement possibles et de manière endogène,
c'est que la connaissance développée grâce à des activités de
R&D est un bien public. Toute innovation est aussi une «
production » de connaissance nouvelle, et vient s'ajouter au stock
de connaissances publiques immédiatement accessibles à tous les
agents. Le fait que la connaissance est à la fois non-rivale et nonexclusive justifie d'une part l'existence d'un système de brevet
qui protège de la concurrence des imitateurs et fournit des
incitations à l'investissement privé. D'autre part, cela induit des
rendements constants pour les investissements en R&D, et
empêche que la productivité marginale des facteurs s'annule
lorsque leur quantité s'accroît. C'est donc en raison de l'externalité associée à la diffusion de la connaissance que les
rendements de l'activité de R&D sont constants et la croissance
endogène.
Dans les modèles standards avec augmentation de la
variété des produits, la durée de vie des brevets est infinie, et
l'octroi d'un monopole permanent n'est pas source de distorsion
nette. En effet, le prix des biens différenciés est fixé de manière
non concurrentielle, mais l'économie n'est composée que de
secteurs monopolistiques : dans le modèle standard, il n'existe pas
de secteurs concurrentiels caractérisés par un prix égal au coût
marginal. Dans ce cas, la présence de prix de monopole n'entraîne
de distorsion que si le degré de monopole varie selon les
différents biens. Or, tous les biens différenciés sont symétriques, le
degré de monopole ne varie donc pas : le taux de markup est
identique pour tous les produits et les élasticités de la demande sont
égales pour tous les produits. Les prix relatifs reflètent
parfaitement les coûts marginaux relatifs, et l'octroi d'un monopole
permanent n'entraîne pas de distorsion statique (Grossman et Help-
Patricia Crifo-Tillet
209
man, [1991], p. 70). A la limite, les seules distorsions
pourraient provenir de la nature de bien public de la connaissance,
mais dans ce modèle, la diffusion des connaissances est parfaite :
comme elle n'est pas affectée par la durée de vie des brevets, il
n'y a pas de distorsion à la rendre infinie.
Toutefois, la durée de vie d'un brevet résulte d'un
arbitrage entre diffusion et exclusion (incitation) : il importe autant
de favoriser la diffusion - imparfaite dans la réalité - des
connaissances, que de protéger l'innovateur et lui permettre une appropriabilité suffisante de ses recherches pour lui fournir les
incitations nécessaires à investir. Un brevet n'a ainsi nullement une durée
de vie infinie dans la réalité. D'un point de vue réglementaire,
la durée de vie légale des brevets est finie (20 ans — sauf
exceptions spécifiées — pour les pays signataires de l'accord du GATT
en 1994). D'un point de vue empirique, il n'y a pas non plus de
justification à l'hypothèse d'une durée de vie infinie pour les
brevets. En France par exemple, moins de la moitié des brevets
arrivent à franchir la barre des huit ans, et, à treize ans, il ne reste
plus qu'un quart des brevets initialement déposés (Schankerman et Pakes, [1986]). Enfin, comme le font remarquer
Grossman et Helpman [1991], supposer une durée de vie infinie des
brevets équivaut à rendre le niveau de connaissance publique
indépendant de la durée de vie des brevets. Cette hypothèse
revient à considérer que la connaissance, l'information contenue
dans les brevets, est un bien public pur. Or l'information
contenue dans les dépôts de brevet ne remplit pas complètement la
condition de non-exclusivité, c'est-à-dire l'impossibilité d'en
réserver l'usage à certains agents : l'exclusivité n'est que partielle.
En effet, les innovateurs possèdent des connaissances non codifiables et non publiées. Ces connaissances tacites sont
essentielles dans l'avènement de l'innovation. Ce peut être par exemple
l'expérience en matière de production et commercialisation. Dès
lors, l'information diffusée par le bureau des brevets pendant la
période de protection ne représente pas l'ensemble de la
connaissance technologique associée à l'invention. Seulement une part
de la connaissance développée par des activités de R&D se dif-
210
Patricia Crifo-Tillet
fuse instantanément, l'autre part ne se diffusant que quand la
protection par le brevet s'achève.
Le modèle développé par Michel et Nyssen [1998], et
présenté dans le paragraphe suivant, prend en compte le caractère
seulement partiel de la diffusion des connaissances dans
l'économie. La durée de vie des brevets n'est plus infinie, mais
endogène. Il constitue de ce point de vue une généralisation du
modèle standard de Grossman et Helpman [1991], ch. 3).
L'innovation consiste en l'augmentation de la variété des biens de
consommation. Cette caractéristique se fonde sur un goût pour
la diversité chez les consommateurs : la différenciation des
produits est horizontale et les nouveaux biens sont des substituts
imparfaits des biens existants. L'imparfaite diffusion des
connaissances permet de concevoir l'articulation des politiques publiques
avec la durée de vie des brevets et les problèmes de concurrence
potentielle qui en découlent (voir plus loin).
Monopole et différenciation des produits
Dans le modèle de Grossman et Helpman [1991], chaque
nouveau bien est un substitut imparfait des produits qui existent déjà
et ne les rend donc pas obsolètes. Un indice de la préférence pour
la diversité, présent dans la fonction d'utilité des ménages,
représente leur besoin pour des produits nouveaux. Ce goût pour la
diversité traduit l'idée que les agents préfèrent toujours répartir
un volume donné de consommation sur un nombre plus élevé
de biens. La demande exprimée par les consommateurs pour des
produits différents constitue un débouché potentiel pour les
innovateurs, et la croissance économique repose sur une
concurrence effective entre les produits nouveaux. L'incitation à
l'innovation repose donc étroitement sur les conditions de la
demande. Elle repose également, dans le modèle de Michel et
Nyssen [1998], sur la diffusion des connaissances. Ainsi, d'une part,
la concurrence entre les différents biens monopolistiques
correspond à une structure de marché endogène résultant d'une
demande pour la diversité des consommateurs. Et d'autre part,
Patricia Crifo-Tillet
211
la position de monopole est déterminée de manière endogène selon
les conditions de diffusion de la connaissance. Le monopole
octroyé par le brevet est temporaire et lorsque le brevet expire,
le bien est produit de manière concurrentielle. Désormais, par
rapport au cadre standard de Grossman et Helpman [1991], la
présence d'un monopole entraîne des distorsions de prix : il
existe des secteurs monopolistiques mais aussi concurrentiels.
Plus la diffusion des connaissances est faible et plus la position
de monopole devra être courte pour limiter les distorsions induites
sur la demande et sur les innovateurs potentiels, donc sur la
croissance.
Le modèle de Grossman et Helpman [1991] avec durée de vie des
brevets finie
L'économie est composée de deux types d'agents : les ménages
offrent de manière inélastique une force de travail constante, et
les entreprises produisent une série de biens différenciés
horizontalement, en utilisant comme seul facteur de production le
travail.
Les ménages maximisent leur utilité intertemporelle
U = /~ e*" In D{t)dt
.
(5)
avec D(t) = \Jon^ x(i,t)a di)
un indice d'utilité statique ;
0<Ot<l ; p, le taux d'actualisation subjectif; x(i,t), la quantité
consommée en t de la variété i ; et 1/(1 -a) l'élasticité de
substitution entre deux variétés.
La fonction de demande correspondante est
avec un sentier optimal de consommation E I E = r - p.
Les producteurs produisent des biens différenciés
horizontalement avec comme seul facteur de production le travail.
Il en existe deux types : les entreprises concurrentielles apparte-
212
Patricia Crifo-Tillet
nant aux branches 0 à nc, et les entreprises monopolistiques
(protégées par un brevet) produisant les variétés nc à n.
Ils maximisent leur profit
wx
(7)
s.c.
pour i e)nrn] p(t) =^=pm,x(i) =xm, 7t{i) = nm =
pour / e]O,nc] p{i) = w=pc,nc = 0, xc =
—^
wx
17 I
^TT-> xm = a°xc
nc + ď~JAn
L'équation d'actif correspond à la valeur de marché d'un
monopole crée à la date t :
ve{t) = f!!+T
La fonction de production de la R&D est donnée par
ň{t)=lkn{t)Ln{t)
avec Ln, le travail employé à la R&D ; kn{t) : nc{i) +
6AJJ), le stock de connaissance publique disponible à la date t ;
nc (t) l'ensemble des connaissances associées à l'invention des
variétés qui sont dans le domaine public en t.
Le coût d'un brevet est déterminé par la condition de libre
entrée (ou équation d'arbitrage) :
v\t) =
, a étant un parametre positif de pro-
nc(t) + 6An{t)
ductivité, et в, le coefficient de diffusion.
C'est l'hypothèse d'un coût du brevet décroissant avec le
nombre de variétés, qui génère une croissance soutenue. A
l'équilibre, la répartition de la main-d'œuvre est caractérisée par deux
conditions.
Patricia Crifo-Tillet
213
D'une part, la contrainte de ressources spécifie
l'utilisation de la force de travail : L = Ln+Lx, avec Ln = a
, la demanK
de de travail pour la R&D, Lx = ncxc + Anxm, la demande de
travail pour la production.
I - L
+ I
nrc + aaAn
- —
W \nc + ď An
+ a —
n
D'autre part, la condition de libre-entrée sur le marché
des biens implique qu'il n'existe aucune opportunité de profit
inexploitée, ce qui impose ve< v(t). Ainsi, quand ve< v(t), la valeur
de marché d'un monopole créé à la date t est inférieure au coût
des dépenses de recherche, il n'y a donc pas d'innovation. Quand
if = v(t), les innovateurs sont indifférents et le volume
d'investissement est déterminé par l'offre exogène de travail.
L'équilibre peut donc se résumer par le système suivant :
At) <
At) =
aw {i)
h\t) = 0 et w{t) = w{t)
nc(t)
aw(t)
nc{t) + OAn(t)
avec At) =U-CC)Jît+T
n{t) > 0 et w(t) > w(t)
An{z)
dz et w =
L
nc+ ďAn
Lorsque la durée de vie des brevets est infinie, la
dynamique du modèle est déterminée comme dans le modèle de
Grossman et Helpamn ([1991], ch. 3) par le système précédent
avec T = ©о }nc = 0, kn = n.
Il existe un sentier de croissance équilibrée endogène
avec un taux constant et positif.
= U - а)в|~ сер
214
Patricia Crifo-Tillet
Ce taux est positif pour tout в > 61 = OCap/(J-a)L.
Lorsque в < в]у il n'y a pas d'innovation, donc pas de
croissance : l'effet des retombées technologiques associé au paramètre
de diffusion des connaissances в est insuffisant pour permettre
une croissance soutenue.
Lorsque la durée de vie des brevets est endogène,
(i) le taux de croissance décentralisé est maximisé par des
brevets à durée de vie finie lorsque
a
û
-raû^û
a
7 -P(ala -ot)a/L
v < a, et infinie quand и > и, avec 6/ =
ala + 1 -a
(ii) Par ailleurs, les auteurs montrent que la durée de vie
optimale des brevets est finie et plus courte que celle qui maximise
le taux de croissance décentralisé.
Ainsi, lorsque l'on endogénéise la durée de vie des
brevets, le taux de croissance décentralisé caractérisé par le résultat
(i) implique que lorsque la diffusion instantanée des connaissances
est « faible » (в < в), la croissance est maximisée par une durée
de vie finie des brevets, alors que ce rôle est rempli par des
brevets à durée de viejnfinie quand la diffusion des connaissances
est « forte » (0 > в).
De plus, le résultat (ii) montre que lorsque la durée de
vie optimale des brevets est également finie et plus courte que
celle qui maximise la croissance. Quand l'allocation des
ressources est déterminée en maximisant l'utilité d'un agent
représentatif, le bien-être social est toujours supérieur. Ici, la durée de
vie optimale des brevets ne maximise en général pas l'innovation
ni la croissance. Les incitations à la recherche ne sont pas
suffisantes à l'équilibre décentralisé.
Pour Benassy [1998] toutefois, si la recherche à l'équilibre
de « laisser-faire » est trop faible, cette conclusion repose
essentiellement sur une hypothèse précise concernant le paramètre de
goût pour la diversité. En particulier, le paramètre a dans
l'équation (5) représente l'élasticité de substitution entre deux
variétés. Il représente donc le bénéfice que la société retire d'une
spécialisation de la production en un nombre croissant de variétés.
Patricia Crifo-Tillet
215
Ce paramètre a représente par ailleurs le taux de markup du
monopole (c'est-à-dire son pouvoir de monopole) comme
l'indique l'équation (7). Il y a donc identification du markup de
monopole avec le rendement social de la spécialisation des biens.
En levant cette hypothèse, Benassy [1998] trouve, à l'inverse
des modèles inspirés de Grosmman et Helpman [1991], que le
niveau de recherche d'équilibre décentralisé peut être excessif. En
effet, il montre que si le taux de croissance décentralisé est une
fonction de OC, comme dans le modèle présenté précédemment,
le taux de croissance optimal dépend quant à lui du rendement
social de la spécialisation. Quand ces deux paramètres ne sont
pas identiques, on ne peut plus comparer l'équilibre et l'optimum,
et il peut y avoir trop de recherche à l'équilibre décentralisé,
notamment si le taux de markup excède le taux de rendement
social.
Ce type de modèle fournit ainsi un moyen d'analyser les
politiques publiques de promotion de la recherche, tout comme
les politiques de concurrence. La richesse du cadre d'analyse
dépasse ainsi largement la seule nature du progrès technique
prise en compte (différenciation horizontale ou verticale) : c'est
toute l'organisation de l'activité novatrice, les externalités
(positives ou négatives), la diffusion des connaissances et ses
conséquences sur la structure de marché endogène (concurrence
effective et potentielle) qui sont concernées.
Les politiques de brevets et de concurrence
La présence d'externalités (positives ou négatives) de recherche
implique que l'équilibre décentralisé conduit à une allocation
inefficace des ressources (il y a trop peu ou trop de recherche à
l'équilibre). L'intervention publique se justifie alors pour
corriger l'initiative privée défaillante. Dans les modèles avec
augmentation de la diversité des biens, une politique publique
naturelle est d'agir sur les conditions d'appropriabilité des connaissances
par l'innovateur à travers les politiques de brevet. Si le niveau de
recherche décentralisé est insuffisant, on peut augmenter le pou-
216
Patricia Crifo-Tillet
voir de protection du brevet. Mais cela aura pour conséquence
de limiter la diffusion des connaissances, ce qui exercera un effet
négatif sur les innovateurs ultérieurs, c'est-à-dire les concurrents
potentiels.
Toutefois, les résultats mis en évidence par le modèle
précédent indiquent que, lorsque la diffusion naturelle des
connaissances est faible, le gouvernement peut essayer de
compenser le manque de connaissance publique en choisissant une
durée de vie plus courte que celle qui aurait maximisé la
profitabilité des innovateurs. Manipuler la durée de vie des brevets peut
ainsi devenir, dans une analyse de second rang, un moyen de
modifier l'appropriabilité de la connaissance pour promouvoir la
croissance. La politique en matière de brevet consiste donc à en
augmenter ou diminuer la durée légale afin de rétablir les incitations
à investir et de modifier les conditions de concurrence potentielle
selon le degré d'appropriabilité des connaissances.
Une autre possibilité pourrait être de favoriser au mieux
la diffusion des connaissances dans l'économie en agissant à la
fois sur la durée de vie du brevet et sur son étendue. L'étendue
du brevet (l'ensemble des biens sur lesquels le détenteur du
brevet se verra conférer un monopole d'exploitation) et la durée sont
en effet deux dimensions complémentaires. Lorsque la diffusion
des connaissances est faible, l'augmentation de la durée de vie
des brevets est inefficace pour promouvoir la croissance. Dès
lors, l'amélioration de la protection par l'étendue associée à une
réduction de la durée de vie des brevets permet de promouvoir
l'incitation à l'innovation et la diffusion des connaissances, ce qui
exerce un impact positif indéniable sur la croissance.
Le modèle de Guellec et Ralle [1993] constitue de ce
point de vue une analyse empirique riche de l'effet d'un
renforcement du monopole octroyé par le brevet sur l'efficience et la
croissance de l'économie. Ils montrent qu'il existe des
distorsions dans le système des prix, donc dans l'allocation des ressources
et qu'il y a un ralentissement de la diffusion de la connaissance
technique. Un renforcement des droits de propriété aura donc
des effets ambigus : il augmente l'incitation mais entrave la
diffusion donc la concurrence potentielle.
Patricia Crifo-Tillet
217
Les auteurs analysent les trois types de politiques publiques
mentionnées précédemment : la variation de la durée de vie des
brevets, la production publique (ou selon les auteurs, la «
nationalisation du secteur de la R&D »), et la taxation-subvention de
la recherche. Un renforcement des droits de propriété
intellectuelle (allongement de la durée de vie des brevets ici), aura en
général un impact positif sur le rythme d'innovation. Cependant,
il restreindra la circulation de l'information technologique. Les
externalités (entre agents et intertemporelles) qui sont à l'origine
du caractère endogène de la croissance pâtiront d'une
monopolisation accrue de la technologie.
Deux conclusions peuvent être dégagées de cette
analysée empirique :
D'une part, le renforcement du pouvoir de monopole conféré à
l'innovateur n'est pas forcément souhaitable : il peut entraîner
une croissance excessive et rendre celle-ci plus coûteuse
(notamment vis-à-vis de la concurrence potentielle) .
D'autre part, la structure de marché est déterminée de manière
endogène au modèle et conjointement avec les conditions
d'innovation. Les auteurs mettent en évidence une relation entre le
taux de croissance du nombre de biens et le logarithme du
nombre de chercheurs. Ils montrent ainsi qu'il existe une
relation du type « croissance endogène » (qui relie le taux de
croissance à une fonction d'une variable en niveau) entre nombre de
biens et nombre de chercheurs. La concurrence est donc
directement source de croissance, et il n'est pas souhaitable de la
restreindre par des politiques augmentant le pouvoir de monopole
conféré par le brevet si la diffusion des connaissances est trop
imparfaite.
La présentation de ces différents modèles d'innovation et de
croissance a permis de mettre en évidence plusieurs résultats
218
Patricia Crifo-Tillet
concernant l'interaction entre concurrence, monopole et
croissance. Contrairement à la vision schumpéterienne qui insiste
sur le rôle néfaste de la concurrence effective joué en matière de
croissance, deux résultats principaux ont été montrés.
Premièrement, en remettant en cause certaines hypothèses concernant
la technologie et l'activité de R&D, il est possible de réconcilier
concurrence et croissance. Deuxièmement, en remettant aussi en
cause des hypothèses sur le système de brevet, la concurrence
retrouve une certaine efficacité, lorsqu'elle est associée à une plus
grande diffusion des connaissances favorable aux entrants
potentiels. Les types de modèles de croissance endogène présentés
permettent d'apporter des réponses ciblées sur le débat entre
innovation et structure de marché. Le montant de la R&D, la nature
du jeu dynamique entre innovateurs successifs et plus
généralement les conditions de la croissance sont déterminés de manière
endogène, tout comme les politiques publiques de promotion de
la recherche et les politiques de concurrence. La richesse du
cadre d'analyse dépasse ainsi largement la seule nature du
progrès technique prise en compte (différenciation horizontale ou
verticale) : c'est toute l'organisation de l'activité novatrice, les externalités (positives ou négatives), la diffusion des connaissances et
la structure de marché endogène qui sont concernées. Le débat
sur l'incitation à l'innovation s'en trouve enrichi.
Le succès de l'innovation, et son impact sur la croissance
ont été analysés à partir de modèles traitant de la dynamique de
la concurrence et de l'optimisation des caractéristiques des
brevets. Ceci ne constitue qu'un aspect partiel de l'étude de l'influence
de l'innovation sur l'activité économique. Si la structure de
marché et l'innovation sont déterminées conjointement et de manière
endogène en mettant l'accent sur la nécessité de dynamiques
collectives, les modèles de croissance endogène présentent
néanmoins des lacunes importantes. D'une part, l'hypothèse d'agents
représentatifs homogènes s'accommode mal avec les différents
types d'innovateurs présents sur le marché (grandes ou petites
entreprises, état, université, laboratoires privés etc.). D'autre
part, les conditions d'innovation varient fortement selon les
secteurs considérés. Enfin, l'absence d'interactions stratégiques ne
Patricia Crifo-Tillet
219
permet pas de prendre en compte les problèmes d'asymétrie
d'information ou de relations d'agence qui émergent dans les
relations bilatérales entre les différents acteurs (Etat, dirigeants
d'entreprises, actionnaires etc.). Malgré les changements qui ont
affecté les pays de l'OCDE (notamment l'augmentation des
niveaux de R&D), Jones [1995] constate que la croissance ne
semble pas s'être accélérée pour autant. Tout se passe comme si
la croissance de long terme n'était pas influencée par les
caractéristiques structurelles de l'économie, et donc les politiques
économiques, comme le prédisait le modèle de Solow, le seul
paramètre qui influence le taux de croissance dans le modèle de
Solow étant un progrès technique exogène.
L'auteur tient h remercier Jean-Louis Rullière et un rapporteur anonyme de la revue pour
leurs précieux conseils. Elle reste bien sûr seule responsable des erreurs et omissions qui
peuvent persister.
Patricia CRIFO-TILLET est allocataire monitrice normalienne au GATE (CNRS UMR
5824) et à l'université Lyon 2.
Adresse : GATE, 93 Chemin des Mouilles 69130 Ecully - Tel : 04-72-86-60-54 Fax : 04-72-86-60-90 ~ [email protected]
220
Patricia Crifo-Tillet
Références
P. Aghion
of
Econometrica,
Growth et
Through
P. Howitt,
60 Creative
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Endogenous Growth Theory, MIT Press,
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B. Amable et D. Guellec, [1992] : Les
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