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LA MÉDITATION ET L'AUTODISCIPLINE - HARIDAS CHAUDHURI

LA MÉDITATION ET
L’AUTODISCIPLINE
HARIDAS CHAUDHURI
La méditation en tant qu’art pour parvenir à l’autoréalisation et à l’illumination est
essentiellement pareille dans tous les systèmes d’autodiscipline, et particulièrement dans la
phase ultime du développement spirituel, mais les gens qui pratiquent la méditation
peuvent devenir confus s’ils s’exposent à diverses techniques issues de différents systèmes,
car il y a des différences d’approches et d’accentuations. Certaines personnes m’ont signalé
qu’elles pratiquaient une forme particulière de méditation hindoue et qu’elles avaient aussi
été exposées à des pratiques bouddhistes. Puis, elles se sont penchées sur les
enseignements soufis et elles ont appris une forme de méditation complètement différente.
Et après toutes ces expériences, elles sont confuses et elles se demandent quelle est la
bonne voie…
Il y a un élément de relativité ici, tout comme dans toutes les autres affaires humaines. Par
exemple, une personne ne peut pas juste être guidée par la publicité pour se mettre à
utiliser un médicament, car cela est dangereux. De même, une technique spécifique ou une
discipline spirituelle qui est bonne pour un individu dépend de la structure de son
caractère, de sa vision du monde, de son milieu social, culturel, spirituel ou religieux et de
son niveau d’évolution. Il n’est pas possible de produire une description normalisée pour
tout le monde si on veut atteindre un niveau élevé de croissance spirituelle. C’est pourquoi
une guidance et des conseils personnalisés sont importants et essentiels.
Gardons cela à l’esprit et considérons maintenant certaines différences d’approche et de
formulation qui ont provoqué de la confusion chez beaucoup de gens qui recherchent
sincèrement la vérité et la croissance spirituelle.
Un problème à la base, c’est que certains enseignants considèrent la méditation comme
une discipline spirituelle. On ne peut progresser sans discipline ni sans organisation, sans
la restructuration de notre style de vie conformément aux objectifs de vie que nous nous
sommes fixés. Mais d’autres maîtres nous disent que dans la méditation, aucune discipline
n’est nécessaire, que tout ce qu’il faut, c’est simplement se détendre, lâcher prise et tout ira
bien. Tout dépend de la manière dont on comprend ces directives. Il y a un problème
sémantique et il y a aussi un problème plus profond.
Permettez-moi de clarifier le problème sémantique. Lorsque nous parlons d’opposés –
discipline et aucune discipline – vous devez comprendre qu’il s’agit d’une différence
relative, et non d’une distinction réelle. Aucune distinction humaine n’est absolue. La
relativité est la structure essentielle de la vie et de la connaissance humaine. Parfois, nous
avons des problèmes, parce que nous avons tendance à comprendre une distinction dans
un sens absolu.
Lorsqu’on dit qu’aucune discipline n’est nécessaire dans la méditation, vous pourriez
penser absolument aucune discipline et c’est faux, parce qu’on ne peut rien réaliser de
grand dans la vie sans appliquer et mobiliser l’énergie disponible. Vous n’avez qu’à étudier
la vie de n’importe quel grand maître et vous constaterez que la plupart de leur temps était
accaparé par une immense concentration ciblée ou concentration d’énergie sur le but choisi
de leur vie. Pas de concentration, pas d’accomplissement.
Il a été dit que même Dieu avait créé ce monde par un acte de sacrifice et de discipline.
Whitehead, le grand philosophe américain, a dit qu’au début de la création, Dieu, l’Infini,
étudia les possibilités infinies de la création. Mais si Dieu s’était contenté de rester assis en
envisageant une infinité de possibilités, il ne se serait jamais rien passé. Aucune création
ne survient ainsi. La création débute par un acte de concentration, puis par une sélection et
sa transposition ou discipline. Premièrement, Dieu a étudié les possibilités infinies de
l’existence. Ensuite, Dieu a concentré son attention sur une combinaison de possibilités et
Il a opéré sa sélection. Puis, il y a eu un acte de volonté divine. Alors Dieu a dit : ‘’Que la
lumière soit !’’ – et la lumière fut. C’est aussi un sacrifice, car Dieu a sacrifié d’autres
possibilités. Toutes les possibilités font partie intégrante de la nature divine, mais Dieu a
sélectionné une combinaison spécifique, ce qui implique une discipline de la conscience.
Puis Dieu a précipité au sein du continuum de l’espace-temps les possibilités sélectionnées.
C’est la création.
Similairement, supposons que des étudiants brillants entrent à l’université. Tous les cours
proposés sont merveilleux. Ils prennent des cours de littérature, de science, d’art, de
psychologie et d’éducation pour se familiariser avec toutes ces options. Mais si tout au
long de leurs études, ils ne font que picorer à gauche et à droite, leur expérience
universitaire n’aboutira à rien. Ils deviendront des touche-à-tout qui ne maîtrisent rien du
tout. Leur esprit sera gâché à cause de leur indécision. Il n’y a pas de problème à
papillonner un moment, mais ils devront prendre des décisions et s’y tenir. Ils pourraient
vouloir suivre tous les cours qu’ils veulent, mais c’est impossible, puisqu’ils ne disposent
que d’une quantité limitée d’énergie psycho-physique. Donc, ils prennent des décisions
concernant leurs objectifs et ils se focalisent sur des cours spécifiques pour acquérir des
compétences dans les domaines de leur choix. Et cela implique de la concentration, une
sélection et de la discipline.
Teilhard de Chardin a dit une fois que chaque fois que quelque chose de neuf naissait dans
la conscience humaine, c’était à partir de la chaleur interne. La création se produit chaque
fois que la conscience se tourne vers elle-même. Aussi longtemps que notre conscience
s’écoule toujours vers l’extérieur, nous dépensons notre énergie, nous nous divertissons ou
nous nous exprimons. Mais pour faire un nouveau pas en avant dans l’épanouissement
spirituel, la conscience doit se tourner vers l’intérieur. C’est ainsi que nous obtenons une
vision de vérité et de beauté d’une nouvelle direction. Chardin a donné l’exemple de l’eau
qui bout. Vous versez l’eau dans la bouilloire qui va la contenir. Vous la limitez, puis vous
la posez sur le feu et vous la chauffez et quelque chose de neuf se crée. Si vous la faites
chauffer jusqu’à un certain point, l’eau se transforme en vapeur et s’élève. C’est l’effet de
la chaleur. C’est le résultat du feu mystique qui est un pouvoir transformateur.
Similairement, c’est ce que nous faisons pendant la méditation. L’eau symbolise
merveilleusement la conscience. Elle se répand, tout comme notre conscience dérive
toujours d’un objet à l’autre. Nous avons des intérêts qui fluctuent d’une chose à l’autre,
d’une idée à l’autre. Si vous voulez faire quelque chose de créatif, vous retirez votre
attention. Quoi que vous entrepreniez, que ce soit dans le domaine des affaires, de la
politique, de l’art ou de la science, si vous avez un travail que vous voulez bien faire et
sérieusement, vous vous enfermez dans une pièce et vous retirez votre conscience de
l’extérieur. Vous concentrez votre attention sur votre but en coupant toutes les
distractions extérieures. C’est alors qu’une inspiration divine peut jaillir dans votre esprit.
C’est alors que vous pouvez créer ou découvrir quelque chose de neuf. Tous ceux qui font
les choses sérieusement méditent sans le savoir. Les efforts sérieux requièrent de la
concentration, une mise au point et de la discipline, sans lesquelles rien ne peut être
réalisé.
Alors, que signifie vraiment pas de discipline en méditation ? Ce n’est pas l’absence de
toute discipline, ce qui est trompeur. Cela donne aux gens une fausse impression. Aucune
discipline signifie pas de discipline imposée de l’extérieur. Cela ne signifie pas toute
négation de la discipline. Cela signifie un nouveau type de discipline sensée, une discipline
interne.
Dans la même veine, certains parlent ainsi avec insouciance : ils pensent que Dieu est déjà
en nous et donc, que tout ce que nous avons à faire, c’est rester silencieux et le Royaume
des Cieux laissera passer sa lumière, ce qui a l’air raisonnable. Des maîtres spirituels disent
que nous sommes tous des enfants de Dieu, que notre héritage divin est en nous. Mais
même si c’est le cas, il nous faut des années de préparation et de discipline pour y avoir
accès. Cela nécessite beaucoup d’efforts, ce que nous appelons la méditation. La grande
fortune de la vie se situe là dans le sanctuaire intime de notre âme, mais il nous faut la
posséder pleinement et la comprendre. Aussi longtemps que le voile de l’ignorance nous
sépare de ce fabuleux trésor spirituel au sein de notre propre être, nous n’en profitons pas.
Il pourrait tout aussi bien être à des années-lumière.
La méditation et l’autodiscipline aident à supprimer le voile de l’ignorance. Dans ce cas,
l’action a une fonction négative, pas l’action positive de produire la vérité, mais la fonction
négative d’ôter le voile de l’ignorance qui recouvre nos yeux. C’est le point de vue du
mysticisme traditionnel.
Mais selon le mysticisme moderne et le yoga intégral, la vérité, la beauté et la perfection
ne se trouvent pas déjà là comme des produits finis à l’intérieur de nous. Elles s’y trouvent
en tant que potentialités. Par conséquent, la méditation est un acte créateur qui ne sert pas
la fonction ‘’négative’’ d’ôter le voile pour découvrir le produit fini. Notre travail, par
l’entremise de la discipline spirituelle et de la méditation, consiste à actualiser ce potentiel.
L’âme humaine est comme un artiste créatif. Notre corps, notre mental, nos pulsions, nos
désirs, nos émotions et nos limites sont notre toile, notre bloc de marbre, notre matériau
brut que la nature nous a donnés. Le potentiel divin est dans le grain du matériau, mais
cela ne signifie pas qu’il est déjà là en tant que produit fini. Notre travail est là. Notre âme
est l’étincelle créatrice. Il nous faut examiner quel est notre matériau avec toutes ses
différentes fonctions et ses différents attributs avec beaucoup d’attention et beaucoup
d’amour, beaucoup de perspicacité et de sagacité, de jour en jour. Nous devons nous
organiser, nous structurer nous-mêmes, en éliminant ici quelque chose, en nous focalisant
là sur autre chose, conformément à notre image, notre vision intérieure suivant laquelle
nous pourrions être à l’image de Dieu. C’est un processus créatif.
C’est la raison pour laquelle nous entrons en méditation. Nous clarifions l’image de notre
vrai Soi dans notre esprit. Nous évaluons notre potentiel intérieur. Dans la profondeur de
la méditation, nous transformons notre vie avec tout son actif et tout son passif, son côté
obscur et ses talents lumineux en une image transparente du Suprême.
(Référence : Haridas Chaudhuri, The Essence of Spiritual Philosophy)