nullite, drecision, restitution

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a vérité, l’apparence et la rétroactivité en
matière immobilière (par Mme Colette
Gabet, conseiller à la Cour de cassation)
Dans le contentieux de l’immeuble dont connaît la troisième chambre de la Cour de cassation,
la question de la vérité et de l’apparence se pose avec une acuité particulière, notamment pour
les conséquences qu’il convient de tirer des actions en nullité des contrats portant sur des
immeubles.
Le Code civil bicentenaire ne contient pas de théorie générale de la nullité : il évoque la
notion de nullité en précisant dans l’article 1304 que l’action en nullité ou en rescision, sauf
disposition contraire, dure cinq ans. L’article 1183 énonce que "la condition résolutoire est
celle qui, lorsqu’elle s’accomplit, opère la révocation de l’obligation et qui remet les choses
au même état que si l’obligation n’avait pas existé". Pour la vente, il est précisé à l’article
1644 que "dans le cas des articles 1641 et 1643 (les vices cachés) l’acheteur a le choix de
rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une
partie du prix, telle qu’elle sera arbitrée par experts" et l’article 1654 énonce brièvement que
"si l’acheteur ne paye pas le prix, le vendeur peut demander la résolution de la vente".
Le XIX° siècle a été, en doctrine, celui de la recherche de la nature de la nullité.
Depuis le XX° siècle, la question est celle des effets de la nullité. Il convient à cet égard
d’assimiler à la nullité, la rescision, qui n’est plus utilisée que dans l’hypothèse d’une lésion,
sorte de nullité exceptionnelle. En effet, la distinction nullité-rescision est le fruit de
l’histoire : la nullité était prononcée par les Parlements, tribunaux ordinaires, alors que la
rescision l’était par la Chancellerie, qui délivrait des lettres de rescision. Cette distinction n’a
plus d’intérêt aujourd’hui.
En ce qui concerne la résolution, si elle est distincte de la nullité dans son objectif et les
conditions de sa mise en oeuvre, puisqu’elle suppose un contrat valablement formé mais pas
ou mal exécuté, elle n’en diffère pas dans ses effets et, pas plus que la nullité, elle n’a fait
l’objet de dispositions générales dans le Code civil.
Les matières non organisées de façon précise par le Code civil laissent au juge une certaine
liberté et c’est à travers le concept de la rétroactivité que les effets de la nullité ont été
recherchés et analysés, concept qui permet de faire disparaître l’apparence : ce n’est, en effet,
qu’en apparence que l’acte a développé ses effets et cette apparence doit disparaître pour que
soit restaurée la vérité juridique (I).
Mais tout ce qui a pu se réaliser, se construire à partir du contrat annulé au profit d’une des
parties ou des tiers de bonne foi doit-il disparaître ? Ne faut-il pas tempérer la sévérité du
mécanisme de la rétroactivité de l’annulation pour faire prévaloir la réalité des faits, soit en
écartant les conséquences de la rétroactivité au profit de certaines apparences, soit en
atténuant les conséquences de l’annulation par le mécanisme de la responsabilité (II) ?
L’ambition n’est pas ici, bien évidemment, d’élaborer une théorie générale de la rétroactivité,
pas plus que de l’apparence et de la bonne foi, mais seulement de rechercher comment ces
concepts, particulièrement en matière immobilière, sont utilisés dans les dernières années pour
parvenir à ce que le droit rejoigne la vérité et assure la sécurité juridique.
I - La rétroactivité, instrument de la vérité juridique
Le droit offre une extraordinaire variété de cas de rétroactivité dont l’étude détaillée
conduirait des nullités du mariage à l’effet déclaratif du partage, de l’adjudication sur folle
enchère aux nullités des sociétés, de la nullité des obligations à la rescision pour lésion.
L’annulation ou la résolution du contrat conduit à l’anéantissement rétroactif de celui-ci. Il
doit y avoir retour à la situation initiale et l’anéantissement rétroactif implique que chacun
retrouve ce qui était avant le contrat : les actes ou paiement que le contrat avait induit doivent
disparaître y compris ceux qui font intervenir des tiers. La décision doit effacer l’ensemble
des traces que le contrat a permis de créer.
En ce domaine, le principe de la rétroactivité rejoint pleinement l’idée développée par
Demogue, celle d’une fiction qui a une utilité pédagogique en ce qu’ "elle permet de fixer
l’idée abstraite par une image, de concentrer autour d’une idée centrale les résultats
adoptés" (1).
La disparition du contrat non encore exécuté ne pose à l’évidence aucun problème. Rare est le
cas devant les tribunaux. Généralement, les conséquences de l’annulation ou de la résolution
d’un contrat sont délicates et complexes parce qu’avant son annulation ou sa résolution, le
contrat a déjà produit des effets durant une période plus ou moins longue.
Trois questions majeures, en droit immobilier, affectent la situation d’annulation et rendent
difficile le triomphe de la vérité non seulement juridique mais aussi économique qui est celle
que recherchent souvent les plaideurs :
- l’une des prestations ne peut plus être exécutée (A)
- la chose à restituer peut avoir subi une plus ou une moins value (B)
- enfin, elle peut avoir procuré une jouissance (C).
Par l’annulation, la vérité juridique conduit à remonter le cours du contrat mais la vérité
économique n’impose-t-elle pas de remonter aussi le cours du temps comme l’évoque Yves
Marie Serinet (2) ?
A. L’impossibilité de restituer tenant à la nature de la prestation
Elle se présente dans les contrats à exécution successive tel que le contrat de travail, le contrat
de bail, notamment. L’employeur ne peut restituer le travail fourni ni le locataire la jouissance
du bien qui étaient la contrepartie du salaire ou du loyer. En réalité c’est la nature de la
prestation qui rend la restitution délicate, que le contrat soit à exécution instantanée ou
successive : il s’agit d’une obligation de faire qui, une fois réalisée, est souvent irréductible à
toute restitution.
La jurisprudence admet depuis longtemps que le salarié a droit à une indemnité pour
compenser les services dont a profité l’employeur (3).
La troisième chambre civile retient pour l’annulation d’un bail que le propriétaire a droit à une
indemnité au titre de la jouissance. Elle l’admet plus récemment en matière d’annulation de
contrat de crédit-bail (4).
Toujours en conséquence de l’annulation, la troisième chambre prononce l’annulation de la
décision fixant les indemnités d’expropriation lorsque l’arrêté de cessibilité a lui-même été
annulé par une décision administrative irrévocable (5). La restitution devient également
impossible lorsque l’objet du contrat est une chose consomptible : une indemnité est
également admise (6). Elle l’est aussi lorsque la chose a disparu ou a été détériorée de manière
fortuite : le propriétaire qui est censé l’avoir toujours été doit supporter les risques sans aucun
droit à indemnité.
L’impossibilité de restituer peut encore résulter du fait que l’objet de la restitution n’est plus
entre les mains du cocontractant : l’immeuble dont la vente est annulée a été cédé à un tiers (7).
La troisième chambre civile, élargissant le champ des restitutions, a considéré, dans le cas de
résolution d’une vente d’immeuble, que le vendeur devait rembourser à l’acquéreur le
montant de la taxe foncière versée à l’Etat (8). De la même manière, à la suite de la résolution
d’une vente immobilière, une société d’HLM a été tenue de reverser aux acquéreurs le
montant des aides personnalisées au logement dont ils étaient bénéficiaires (9).
B. Plus ou moins value de l’objet de la restitution
Il est enseigné classiquement qu’en vertu du principe du nominalisme monétaire, c’est le prix
perçu qui doit être restitué, outre les intérêts, à compter de la demande en justice. Le principe
de la restitution intégrale devrait conduire à faire courir les intérêts dès le versement du prix.
Mais si tous les intérêts devaient être restitués, tous les fruits ne devraient-ils pas l’être aussi ?
Ce n’est pas la solution généralement retenue par la jurisprudence qui décide que les intérêts
sont dus à compter de l’assignation (10). Toutefois certaines décisions retiennent le jour de la
vente si le vendeur était de mauvaise foi, ou bien accordent des dommages et intérêts (11).
Mais la valeur du bien peut être modifiée au fil du temps par l’action de l’acheteur qui l’a
amélioré ou au contraire détérioré. La question s’est posée avec acuité en matière
d’annulation de cessions de sociétés et la chambre commerciale a posé très clairement le
principe selon lequel le vendeur avait droit à la plus value (12).
Lorsque le bien a été détérioré, la partie débitrice de la restitution doit, en principe, en
indemniser son cocontractant mais c’est une question de responsabilité et non de restitution.
Si l’acheteur a effectué des frais pour la conservation de la chose il doit en être remboursé (13).
De la même manière la jurisprudence retient que le vendeur doit être indemnisé au titre des
dégradations subies par la chose restituée et notamment de son usure (14).
Les décisions rendues en ces différents domaine ne précisent pas toujours leur fondement qui
paraît rester hésitant : application du principe de la rétroactivité, sanction de la mauvaise foi,
notion d’équilibre entre les prestations restituées ou bien encore réparation d’un préjudice.
On peut rapprocher de ces situations celle du crédit-bail immobilier, lors de la mise en oeuvre
de la clause de résiliation anticipée : il est nécessaire que le crédit-preneur qui envisage une
résiliation anticipée soit en mesure de comparer le poids économique des options qui s’offrent
à lui : le versement de l’indemnité de résiliation anticipée et le coût d’exécution du contrat
jusqu’à son terme. Faut-il faire prévaloir la vérité économique en actualisant les loyers restant
à courir ou bien maintenir la vérité juridique, celle que les parties ont voulu dans le contrat, en
retenant la valeur nominale des loyers ?
La troisième chambre civile a pris position dans un arrêt du 30 juin 2004 (15) : si les parties
n’ont pas prévu d’actualisation dans le contrat, elle retient la valeur nominale des loyers
restant à courir par application de l’article 1895 du Code civil qui, en matière de prêt, impose
le principe du nominalisme monétaire et du principe de la liberté contractuelle.
C. L’indemnisation de l’usage de la chose
La question se pose essentiellement lors de la vente d’une chose et tout particulièrement
s’agissant de la vente d’un immeuble. La doctrine, peu abondante, est partagée. Certains
auteurs sont favorables à cette indemnisation (16) sans être unanimes sur le fondement à
donner. D’autres y sont défavorables (17) et considèrent que l’utilisation du bien est hors du
champ des restitutions : si le bailleur est tenu d’une obligation de faire, le vendeur n’a
contracté aucune obligation relative à la jouissance, il n’est tenu d’aucune délivrance. Si l’on
admet l’indemnisation, il est certain que les juges doivent se livrer à des recherches délicates
pour déterminer le profit que les parties ont pu tirer de la chose.
En jurisprudence, la première chambre civile était défavorable à une telle indemnisation (18) en
retenant une stricte application du principe de la rétroactivité. La troisième chambre civile
acceptait au contraire de fixer une indemnisation au titre de la jouissance dont l’acquéreur a
pu profiter sur le fondement de l’action en répétition de l’indu (19). La chambre commerciale,
après hésitation, a retenu la solution consacrée par la première chambre (20).
Finalement, la question a été soumise à la chambre mixte (réunissant la première chambre, la
troisième chambre et la chambre commerciale) qui, par un arrêt du 9 juillet 2004 (21) rejette
toute indemnisation au titre de la jouissance par application stricte du principe de l’effet
rétroactif de l’annulation de la vente, au visa de l’article 1234 du Code civil et censure l’arrêt
de la cour d’appel, sur la première branche du moyen, dans les termes suivants :
"qu’en statuant ainsi, alors que le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de
l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de
l’immeuble, la cour d’appel a violé le texte sus-visé".
Nous reviendrons ultérieurement sur la cassation également intervenue sur la seconde
branche, au visa de l’article 1382 du Code civil, mais la position de la Cour de cassation est
très claire lorsque la demande de restitution est fondée sur le droit des contrats : l’effet
rétroactif n’autorise pas l’indemnisation de la jouissance dont l’acquéreur a pu profiter avant
l’annulation du contrat.
La chambre mixte a tranché : la nullité a un effet rétroactif absolu. Rien n’est dû puisque la
situation n’a jamais existé. Le droit l’emporte sur le fait, la vérité juridique sur la réalité. La
situation de fait créée par le contrat annulé n’est pas, sur le fondement de la nullité, prise en
considération parce que l’effet rétroactif du contrat ne le permet pas. La rétroactivité ne peut
effacer que les obligations du contrat et rien de plus, sorte de "contrat à l’envers" selon
l’expression de M. Malaurie ou de "contrat renversé" selon celle du Doyen Carbonnier. Pour
reprendre une image déjà évoquée, la rétroactivité permet de remonter le cours du contrat, pas
le cours du temps.
Il est important de relever qu’en utilisant l’expression "indemnité correspondant à la seule
occupation", l’arrêt réserve la faculté de prendre en considération la détérioration de la chose.
II - La bonne foi, tempérament à la vérité juridique
La vérité juridique, qui est le résultat de la mise en oeuvre des règles de droit, est érigée en
postulat parce qu’elle a été élaborée pour répondre au mieux à l’ensemble des situations de
fait semblables, à partir d’une réflexion sur les objectifs poursuivis par un système juridique
donné. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle est vérité absolue et qu’elle ne doive pas
connaître quelques assouplissements, quelques exceptions pour que le juridique continue à
être au service du juste. La bonne foi participe d’une justice corrective.
La bonne foi comporte deux aspects : d’une part, la croyance erronée en l’existence d’une
situation juridique régulière et, d’autre part, le comportement loyal (ou à tout le moins
normal) que requiert notamment l’exécution d’une obligation. La première acception est
psychologique : le sujet de droit ignore l’obstacle qui empêche de donner plein effet à une
situation juridique. Cette notion se retrouve à travers la théorie de l’apparence : ainsi dans le
mariage putatif ou la situation du possesseur de bonne foi. La seconde notion se caractérise
par le principe du respect des engagements souscrits qui implique un comportement loyal.
Bonne foi et loyauté sont de plus en plus sollicitées dans notre droit contemporain des
contrats, que ce soit en droit interne ou en droit international. Ainsi la Cour de justice des
communautés européennes retient que des obstacles à la libre circulation à l’intérieur du
territoire communautaire puissent être dressés pour répondre "aux exigences impératives
tendant notamment... à la loyauté des transactions commerciales" (22).
La bonne foi fait partie des notions "floues" qu’utilisent parfois le juge pour tempérer la
rigueur de la règle générale (23) comme la notion de connexité, l’urgence ou la force majeure.
Le droit a besoin d’un certain nombre de soupapes de sûreté permettant d’éviter les excès
d’une technique trop méticuleuse. Comme toutes ces notions, elle ne fait l’objet d’aucune
définition précise et la jurisprudence ne cherche guère à en déterminer le contenu : elle
affirme leur existence pour fonder l’entorse faite à l’application stricte de la règle générale et
pour parvenir à maintenir un juste équilibre entre la réalité des faits et la vérité juridique.
Si l’article 1134 du Code civil a posé en son troisième alinéa le principe selon lequel les
conventions "doivent être exécutées de bonne foi", la doctrine donne à cette notion de plus en
plus d’applications : après l’avoir retenue dans l’obligation de sécurité, elle réapparaît avec
force dans le domaine de l’annulation et des restitutions.
Dans le droit immobilier, déjà consacrée par le Code civil, en ce qui concerne le sort des fruits
(A), la bonne foi trouve une place de plus en plus grande en jurisprudence et permet soit
d’écarter certaines conséquences de l’effet rétroactif de l’annulation, à partir de la théorie de
l’apparence (B) soit d’en atténuer les effets sur le fondement général du principe de la
responsabilité (C).
A. Bonne foi et chose frugifère
La vocation naturelle des fruits est d’être consommés. Le plus souvent ils ne peuvent être
conservés, aussi l’article 549 du Code civil énonce-t-il que le possesseur de bonne foi fait
siens les fruits et il n’en doit restitution qu’à compter de la demande en justice (24).
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