à courir ou bien maintenir la vérité juridique, celle que les parties ont voulu dans le contrat, en
retenant la valeur nominale des loyers ?
La troisième chambre civile a pris position dans un arrêt du 30 juin 2004 (15) : si les parties
n’ont pas prévu d’actualisation dans le contrat, elle retient la valeur nominale des loyers
restant à courir par application de l’article 1895 du Code civil qui, en matière de prêt, impose
le principe du nominalisme monétaire et du principe de la liberté contractuelle.
C. L’indemnisation de l’usage de la chose
La question se pose essentiellement lors de la vente d’une chose et tout particulièrement
s’agissant de la vente d’un immeuble. La doctrine, peu abondante, est partagée. Certains
auteurs sont favorables à cette indemnisation (16) sans être unanimes sur le fondement à
donner. D’autres y sont défavorables (17) et considèrent que l’utilisation du bien est hors du
champ des restitutions : si le bailleur est tenu d’une obligation de faire, le vendeur n’a
contracté aucune obligation relative à la jouissance, il n’est tenu d’aucune délivrance. Si l’on
admet l’indemnisation, il est certain que les juges doivent se livrer à des recherches délicates
pour déterminer le profit que les parties ont pu tirer de la chose.
En jurisprudence, la première chambre civile était défavorable à une telle indemnisation (18) en
retenant une stricte application du principe de la rétroactivité. La troisième chambre civile
acceptait au contraire de fixer une indemnisation au titre de la jouissance dont l’acquéreur a
pu profiter sur le fondement de l’action en répétition de l’indu (19). La chambre commerciale,
après hésitation, a retenu la solution consacrée par la première chambre (20).
Finalement, la question a été soumise à la chambre mixte (réunissant la première chambre, la
troisième chambre et la chambre commerciale) qui, par un arrêt du 9 juillet 2004 (21) rejette
toute indemnisation au titre de la jouissance par application stricte du principe de l’effet
rétroactif de l’annulation de la vente, au visa de l’article 1234 du Code civil et censure l’arrêt
de la cour d’appel, sur la première branche du moyen, dans les termes suivants :
"qu’en statuant ainsi, alors que le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de
l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de
l’immeuble, la cour d’appel a violé le texte sus-visé".
Nous reviendrons ultérieurement sur la cassation également intervenue sur la seconde
branche, au visa de l’article 1382 du Code civil, mais la position de la Cour de cassation est
très claire lorsque la demande de restitution est fondée sur le droit des contrats : l’effet
rétroactif n’autorise pas l’indemnisation de la jouissance dont l’acquéreur a pu profiter avant
l’annulation du contrat.
La chambre mixte a tranché : la nullité a un effet rétroactif absolu. Rien n’est dû puisque la
situation n’a jamais existé. Le droit l’emporte sur le fait, la vérité juridique sur la réalité. La
situation de fait créée par le contrat annulé n’est pas, sur le fondement de la nullité, prise en
considération parce que l’effet rétroactif du contrat ne le permet pas. La rétroactivité ne peut
effacer que les obligations du contrat et rien de plus, sorte de "contrat à l’envers" selon
l’expression de M. Malaurie ou de "contrat renversé" selon celle du Doyen Carbonnier. Pour
reprendre une image déjà évoquée, la rétroactivité permet de remonter le cours du contrat, pas
le cours du temps.