Séance 2 : Texte : Le Coq et le Renard, Jean de La Fontaine, 1668.
Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux Coq adroit et matois1.
"Frère, dit un Renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle :
Paix générale cette fois.
Je viens te l'annoncer ; descends, que je t'embrasse.
Ne me retarde point, de grâce ;
Je dois faire aujourd'hui vingt postes2 sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer3
Sans nulle crainte à vos affaires ;
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux4 dès ce soir.
Et cependant viens recevoir
Le baiser d'amour fraternelle.
- Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais
Apprendre une plus douce et meilleur nouvelle
Que celle
De cette paix ;
Et ce m'est une double joie
De la tenir de toi. Je vois deux Lévriers5,
Qui, je m'assure, sont courriers6
Que pour ce sujet on envoie.
Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends ; nous pourrons nous entre-baiser tous.
-Adieu, dit le Renard, ma traite7 est longue à faire :
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire
Une autre fois. Le galand aussitôt
Tire ses grègues8, gagne au haut9,
mal content de son stratagème ;
Et notre vieux Coq en soi-même
Notes :
1. Matois : rusé.
2. Poste : distance entre deux relais de poste
à l'époque, soit une dizaine de kilomètres.
3. Vaquer : aller à ses occupations.
4. Les feux : des feux de joie, pour fêter la
nouvelle.
5. Lévrier : race de chien utilisé pour la
chasse
6. Courriers : messagers
7. Ma traite : ma route
8. Tire ses grègues : expression signifiant
prendre ses jambes à son cou.
9. Gagne au haut : s'enfuit.