« Colbert n'est pas un personnage qui fait l'union. Il est à l'origine d'un crime contre l'humanité. Donc la question se pose : sommes-nous le pays des droits de l'Homme ou le pays des droits des esclavagistes ? (…) Pour beaucoup de descendants d'esclaves, cela constitue un crachat permanent »« Colbert n'est pas un personnage qui fait l'union. Il est à l'origine d'un crime contre l'humanité. ». Déclare Louis-Georges Tin, le président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) dans une tribune où il appelle à débaptiser les collèges et lycées portant le nom du ministre Jean-Baptiste Colbert, en réaction aux événements de Charlottesville aux EtatsUnis. Cette tribune créa une controverse dans l'espace intellectuel français, de l'applaudissement à la dénonciation du « communautarisme » ou d'anachronisme de la part du président du CRAN. Selon Louis-Georges Tin, Célébrer Colbert, auteur du Code Noir est contraire aux valeurs républicaines et au vivre-ensemble, ainsi la mémoire du Code Noir reste très vive dans les débats intellectuels. Cette interview organisé par le site web Hérodote en 2017, traite de la question du Code Noir en la présence de l'historien français Frédéric Régent, docteur en histoire, maître de conférence à l'université Panthéon-Sorbonne et président du Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage. Il est spécialiste de la question des esclaves aux Antilles dès le début de la société esclavagiste jusqu'à la Révolution et a écrit l'ouvrage de référence Esclavage, métissage, liberté. L'objet de cette interview est l'Edit royal de Mars 1685 aussi appelé le Code Noir, publié en mars 1685 sous la signature posthume de Jean-Baptiste Colbert, il s'agit d'une ordonnance coloniale destinée à encadrer la pratique de l'esclavage dans les colonies françaises. Après avoir mis en exergue la naissance de l'aventure coloniale par la mise en place d'une société esclavagiste aux Antilles, l'historien relate la mise en place de la traite des Noirs et les mouvements abolitionnistes. Par suite, il s’intéresse à la mémoire du Code Noir, une mémoire vive qui suscite toujours des débats et polémiques. La création d'une société esclavagiste débute en 1620 avec ce qu'on pourrait qualifier d'aventure coloniale à Saint-Christophe où une colonie est crée par des marins, navigateurs qui s'inspirent des modèles hispaniques. La mise en place de la colonisation résulte donc d'une entreprise individuelle, privée et non de l'état. La monarchie décide en 1626 de créer la compagnie de Saint-Christophe, premier point d'impulsion de l'empire colonial français, sous la protection du cardinal de Richelieu. Les colonies reposaient au XVII ème siècle sur le système des engagés afin de peupler les colonies et de fournir une main d’œuvre, des hommes, volontaires pendant 3 ans acceptaient de travailler dans une colonie et sur l'esclavage des amérindiens. La mise en place de la traite des Noirs est du au fort besoin de main d’œuvre que nécessitait les plantations de sucre. La main d’œuvre africaine présentait de nombreux avantages, le commerce était déjà organisé par des marchands locaux au contraire des esclaves amérindiens, sa rentabilité, l'esclave est sous servitude jusqu'à sa mort au contraire d'un engagé et pour finir les esclaves africains, malgré un taux de décès important, étaient plus résistants au climat que les engagés et les amérindiens décimés par un choc microbien. La légalisation de la traite des Noirs est appliquée sous Louis XIII en 1642. L'historien aborde par la suite, la question du Code Noir et des mouvements abolitionnistes .En mars 1685 est publié sous la signature posthume de Jean-Baptiste Colbert, l'édit sur la police des noirs connu sous le nom de Code Noir depuis la publication du texte par un éditeur en 1718. C'est son fils qui va terminer la rédaction puisque Colbert meurt en 1683,. Jean-Baptiste Colbert, ministre est l’instigateur de cette loi, elle résulte d'une minutieuse enquête menée par ses soins auprès des gouverneurs générales et intendants des Antilles. C'est avec leurs rapports que le texte est rédigé. Comptant soixante articles, l'ordonnance réglemente et encadre la pratique de l'esclavage dans les colonies. Ce texte affirme la souveraineté royale sur les colonies françaises en plaçant le roi au cœur du système judiciaire, sa justice est supérieure à celle des maîtres. C'est la première fois qu'un code légifère la pratique de l'esclavage, il traite de la condition servile et juridique de l'esclave à travers des articles qui mentionne ses obligations ainsi que ses droits comme la possession de vêtements. Colbert légalise des pratiques déjà appliquées dans les colonies Dans l'édit, il y a une forte dimension religieuse, le Code publié la même année que l'édit de Fontainebleau interdit la pratique d'autre religion que le catholicisme. Les juifs sont expulsés, le protestantisme est interdit et les esclaves doit être instruits dans la religion catholique. Le texte veille à encadrer le travail mais aussi à protéger les esclaves ainsi le maître ne peut atteindre à la vie de son esclave, l'esclave doit être jugé par la juridiction royale. L'édit définit donc les obligations du maître. Toutefois on ne sait pas si ces règles ont été respectées. Dans toute l'Europe, des voix s’élèvent contre l'esclavage, de l'abbé Reynal à Diderot en passant par Jean-Sébastien Mercier, ils appellent tous à l'abolition . On assiste en 1698 à une décision de jugement du tribunal des consciences qui déclare que la traite est un commerce illicite car la traite relève d'un commerce de recel qui est illicite. Il existe également des initiatives individuelles comme la création d'une société des amis des noirs en 1788 à Paris par Pierre Brisot ou la prise de positions de français qui écrivaient dans les cahiers de doléances pour demander l'abolition de l'esclavage et de la traite. L'esclavage est abolit à deux reprises en 1794 puis en 1848. Frédéric Régent s'intéresse, pour finir, à la mémoire de l'esclavage et en particulier à la question des réparations. La problématique des réparations refait souvent surface par les nombreuses discussions des historiens. En 2001, deux événements majeurs liés à la question de la Traite des Noirs, tout d'abord du 31 août au 7 septembre 2001 s'est tenue à Durban en Afrique du sud la « Conférence mondiale contre le Racisme, la Discrimination raciale, la Xénophobie et l'Intolérance ». Cette conférence à permis aux délégations africaines et d'Afro-descendants de prendre la tribune pour faire avancer la demande de réparations des traumatismes subis par les sociétés africaines et leurs diasporas des traites esclavagistes. La question des réparations est donc au cœur des revendications des descendants d'esclaves. Le deuxième événement est l'adoption par le Parlement français le 21 mai 2001 d'une loi qui reconnaît l'esclavage et la traite comme crime contre l'humanité. A l'origine, un article mentionnait la question des compensations financières mais il a été rejeté. La reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité est vu comme réparation morale. Quant aux compensations financière, le texte comportait un article qui les mentionnait mais il a été rejeté. L'interview de Frédéric Régent s'insère dans un contexte de cristallisation autour de la question des compensations entre intellectuels et politiciens. Si l'auteur est d'accord sur le principe des réparations, il s'interroge sur la forme de celles-ci. La question de réparations sous la forme de compensation financière s'avère compliquée, en effet l'historien s'interroge , qui doit réparer les anciens négriers, les entreprises qui ont profité de la traite, l'état français donc les français par leur impôt mais la société esclavagiste ne concernait pas tous les français, ils n'étaient pas tous en faveur de l'esclavage. A cela s'ajoute le fait que la société des Antilles est métissé, Frédéric Régent prend son propre exemple que faire quand on est à la fois descendant d'esclaves et d'esclavagistes ? L'attribution de ces sommes d'argent pose donc problème. L'historien est en faveur de réparations morales comme la proclamation de la journée contre l'esclavage le 10 mai et culturelles comme un investissement dans la recherche. Il appelle comme d'autres historiens dont Myriam Cottias a aller plus loin dans le travail de mémoire collective, Régent appelle à la création d'espace dédié à l'histoire, à une politique culturelle axé sur la traite des Noirs. C'est une question complexe, sujet à de nombreuses discussions entre intellectuels qui reste pour le moment sans réponse.