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PRÉFACE
Qui pouvait prévoir que Hermann Hesse connaîtrait les forts
tirages ? Maître de la jeunesse allemande dans les années 1920,
il avait peu d’audience dans les autres pays et même
l’attribution du prix Nobel en 1946 n’avait guère augmenté le
nombre de ses lecteurs. Gide le notait avec regret dans sa
préface au si nervalien Voyage en Orient : « On n’a guère
attention de nos jours que pour les explosifs, et les écrits
tempérés font long feu. Lorsqu’ils ont une vertu réelle, ce n’est
qu’après quelques années que se propage et s’élargit leur
sillage. » Gide songeait à sa propre aventure littéraire ; dans le
cas de Hesse, il se demandait ce qui mettrait le feu aux poudres.
L’initiative en revient aux jeunes Américains contestataires, aux
adeptes des mouvements psychédélique et hippie. L’incendie
dépasse en intensité ce que pouvaient supputer les plus
optimistes des admirateurs de Hesse : plus de sept millions
d’exemplaires de ses romans ont été vendus aux États-Unis.
Siddhartha paru en 1922 vient en tête avec deux millions et
demi d’exemplaires. On devine pourquoi : c’est une légende
hindoue. La jeunesse hostile à la civilisation occidentale, qu’elle
accuse de matérialisme, demande l’aide de l’hindouisme et du
bouddhisme. Siddhartha que Hesse écrivit après son long séjour
aux Indes et qu’il pensa même présenter comme « traduit de
l’hindou » devient le livre de chevet des idéalistes impénitents.
Revanche posthume, succès imprévu, déconcertant et qui
demande réflexion.
Si la sagesse orientale a exercé un constant ascendant sur
Hesse, il s’en faut de beaucoup qu’il ait renié ses origines. Il a
déclaré à ce sujet : « On m’appela souvent ―bouddhiste‖, ce qui
me faisait rire, car au fond je me sentais plus éloigné de cette
religion que de toute autre. Je ne m’aperçus que plus tard que
cette imputation portait en elle une ombre de vérité. Si j’avais
cru que l’homme pût choisir de son plein gré sa religion, je