Lorenzaccio Th Kavaratzi-min

Telechargé par THEODORA KAVARATZI
Pour une lecture littéraire de « Lorenzaccio » dAlfred de Musset
par Théodora KAVARATZI
Enseignante et formatrice FLE
En général, les candidats qui choisissent de passer une épreuve de littérature
aiment la lecture de textes littéraires. Or, le type traditionnel dexploitation du texte
littéraire en classe de langue narrive quà démotiver les apprenants. Lanalyse
exhaustive d’une œuvre prive le jeune lecteur du plaisir du texte. Très souvent, les
apprenants se présentent aux épreuves de certification sans avoir lu une seule ligne du
livre à étudier, ne se référant qu’aux analyses et aux « profils » de l’œuvre. Comment
impliquer les apprenants dans la lecture dune œuvre, leur faire « sentir »,
« sintéresser à » tout en les amenant à acquérir des compétences de lecture littéraire?
Par quels moyens leur faire retrouver le plaisir esthétique tant pour réussir aux
examens que pour acquérir le goût de lire ? Nous essayerons de répondre à cette
problématique en illustrant notre démarche avec des exemples concrets à partir de
létude dune œuvre au programme des examens de la Sorbonne, Lorenzaccio
dAlfred de Musset.
Quest-ce que la lecture littéraire ?
A la fin des années 70 on assiste à une rupture épistémologique dans le
domaine des études littéraires et on remarque un glissement dintérêt des chercheurs
du texte au lecteur et aux phénomènes de réception. En effet, de nombreux travaux
affirment que la source du sens ne provient pas seulement du texte et de son auteur,
mais aussi du lecteur. Michel Tournier résume ce renouveau théorique dans Le Vol du
Vampire
i
: « Un livre na pas dauteur, mais un nombre infini dauteurs. Car à celui qui
la écrit sajoutent de plein droit dans lacte créateur lensemble de ceux qui lont lu,
le lisent ou le liront. Un livre écrit, mais non lu, nexiste pas pleinement. Il ne possède
quune demi existence ».
Comment définir la lecture littéraire? À quoi se réfère ladjectif « littéraire » ? Au
texte ou à la lecture ? Depuis lapparition du terme en 1984
ii
, la lecture littéraire ne
cesse pas de faire lobjet de débats et de polémiques. Annie Rouxel (2002 : 17)
désigne par lecture littéraire « le fait de lire littérairement un texte littéraire ». Ainsi le
qualificatif littéraire concerne-t-il à la fois lobjet et le mode de lecture. Car « on peut
lire littérairement des textes littéraires et non littérairement des textes non littéraires,
mais réciproquement, on peut lire non littérairement des textes littéraires et
littérairement des textes non littéraires » (Yves Reuter, cité par Rouxel, 2002, 17). Par
exemple, le texte dAndré Breton « PSTT » consiste à un collage dune page
dannuaire téléphonique, mais subtilement transformé et intégré dans le recueil
poétique Clair de terre, il change de statut et invite le lecteur à aborder le texte
comme un poème, à relier les images et à construire du sens. Par contre,
linstrumentalisation scolaire du texte littéraire lui enlève sa dimension littéraire et
débouche sur des activités trop souvent vides de sens.
Comment impliquer les apprenants dans la lecture de l’œuvre ?
Outre sa forme scolaire (explication de texte, lecture thodique, lecture
analytique), la lecture d’une œuvre littéraire devrait avant tout favoriser
linvestissement de lapprenant-lecteur dans son apprentissage. Lenseignant de FLE
devrait reconsidérer et renouveler la didactisation du texte littéraire en tenant compte
des apports de la recherche sur les théories de lecture, et privilégier la lecture comme
va-et-vient dialectique, entre la participation psychoaffective et la distanciation
critique du lecteur par rapport à l’œuvre (M. Picard, citéparJ.-L.Dufays, 2006, 9).
Nous allons par la suite présenter des dispositifs et des pratiques de lecture littéraire
en les illustrant par des exemples concrets à partir de létude de Lorenzaccio dAlfred
de Musset.
Travailler à partir de la couverture pour éveiller la curiosité des apprenants
Décrire et comparer les illustrations des différentes couvertures de l’œuvre
iii
.
Dresser le portrait physique et moral du personnage de la couverture (pensif, le regard
lointain, aux traits féminins…). Est-ce que ces illustrations mettent en relief la
complexité du personnage ? Que symbolisent les différents objets (la dague dont la
lame est souvent masquée évoque le projet de meurtre, parfois un livre, symbole de
Lorenzaccio étudiant, le blason des Médicis…)
Couvertures de Lorenzaccio. Source : https://booknode.com/lorenzaccio_040/covers
Appliquer les théories de lecture littéraire lors de la didactisation de l’œuvre
Les tories de lecture littéraire sont précieuses pour lenseignant de FLE :
elles sont centrées sur lapprenant-lecteur et elles sont complémentaires à lapproche
actionnelle. Voyons comment elles pourraient sappliquer à la didactique de la
littérature.
La notion dhorizon dattente ainsi que le concept décart esthétique
constituent les grands apports de Hans-Robert Jauss dans le champ de la recherche sur
la lecture littéraire. Selon Jauss (cité par Annie Rouxel, 2002, 13) tout texte renvoie à
des éléments dé constitués qui vont permettre au lecteur de construire sa lecture. Ces
éléments sont, par exemple, le genre, la connaissance de références culturelles et de
codes esthétiques. Or il y a des œuvres conformes à un modèle, et donc dépourvues
dinnovation, et celles qui, à linverse, transgressent les normes et rompent lhorizon
dattente du lecteur. Lécart entre lhorizon dattente et lœuvre nouvelle produit
lécart esthétique qui est à la source du plaisir esthétique. Nous allons voir comment
ces concepts sappliquent à deux aspects particuliers de l’œuvre, à savoir au genre et à
la scène dexposition.
Le genre : drame romantique
Lorenzaccio paraît dans le deuxième volume de Un Spectacle dans un fauteuil,
en 1834. Musset y réunit les pièces quil a écrites en prose. Le titre du recueil indique
son projet décriture : ce théâtre est destiné à être lu, doù limage du fauteuil.
Il sagit bien dun drame romantique : en moignent le traitement du temps et
de lespace, le mélange du sublime et du grotesque, la variété des registres (comique
et lyrique), le mélange des types de scènes (scènes de foule et scènes intimes), autant
de traits conformes à lesthétique romantique. Or ce spectacle est fait pour être lu
« dans un fauteuil », il va au-dedes principes du drame romantique en excédant
toutes les normes de son temps, d lécart esthétique qui procure le plaisir
esthétique.
Un drame romantique, alors, écrit pour :
être joué (le fauteuil du spectateur)
être lu (le fauteuil du lecteur)
Drame en 5 actes, 36 scènes, effets
dramaturgiques
Libérée des contraintes du théâtre
classique, des lois de la représentation
Forme théâtrale avec uniquement des
dialogues et des didascalies
Les didascalies témoignent que lauteur
met en valeur le côté visuel en laissant
une grande liberté à limagination des
lecteurs
Des éléments de comédie (le carnaval, le
déguisement du Duc et de Lorenzo)
65 personnages, 35 lieux, changements
de décor à chaque scène, grande difficulté
de mise en scène
Des éléments de tragédie (la tragédie du
ros, la tragédie du masque, un destin
fatal)
Jamais jointégralement : il dépasserait
les deux heures de la représentation
théâtrale traditionnelle, il exigerait même
plusieurs soirées, de centaines
dinterprètes, une multitude de décors !
Des éléments de mélodrame (espace
temporel resserré : laction sétale sur 10
jours du 29 décembre 1535 au 7 janvier
1536, cequi contribue à lintensité
dramatique)
Dramaturgie complexe, dislocation du
temps, complexité de lintrigue
Mais également, la pièce se lit comme un poème théâtral. Il sagit d’une œuvre
polysémique qui relève de la métaphore : métaphore de lhistoire de lhumanité,
taphore de lArt et de la poésie. De nombreuses images illustrent le texte et les faits
historiques sont colorés par la sensibilité de lauteur.
La fonction de la scène dexposition
La première scène dune pièce de théâtre donne toutes les informations
cessaires au spectateur, transmises par la parole des personnages et les éléments de
mise en scène. La première scène de Lorenzaccio a toutes les caractéristiques de la
scène dexposition : elle met en place le cadre spatiotemporel (en hiver, à Florence, à
minuit), nous renseigne sur latmosphère de corruption et de débauche qui règne sur la
pièce, elle présente la situation politique et les deux protagonistes principaux :
Lorenzo et le Duc. Pourtant le cadre spatiotemporel sétale sur plusieurs scènes (écart
esthétique). Lexposition se poursuit dans les scènes suivantes avec lévocation des
autres intrigues, lintroduction des personnages (Les Strozzi et Salviati) et des thèmes
essentiels.
Travailler et approfondir la compréhension du texte
Pour guider lélève dans son apprentissage, il faut poser des questions qui
facilitent la compréhension globale et par la suite, des questions qui entament une
réflexion plus profonde sur l’œuvre.
Qui gouverne Florence ? Évidemment, cest le Duc Alexandre de Médicis, mais
derrière lui se trouvent le pape Paul III et Charles Quint, lempereur du Saint-Empire.
Quelles sont les différentes classes sociales représentées dans la
pièce ? Les aristocrates (les Strozzi, Salviati), le peuple
(bourgeois, marchands, étudiants), les bannis.
Distinguez les différents groupes moraux : Des personnages
victimes et purs (Louise, Catherine et Marie) mais aussi ceux qui
sont corrompus et cyniques (Salviati, le Duc, le cardinal Cibo),
ches et opportunistes (les marchands, les bourgeois), ou encore
velléitaires et inefficaces (la famille Strozzi, la marquise Cibo).
Planche tirée de Lorenzaccio de Régis Penet, 2011
Source : https://www.bdgest.com
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