Pour une lecture littéraire de « Lorenzaccio » d’Alfred de Musset par Théodora KAVARATZI Enseignante et formatrice FLE En général, les candidats qui choisissent de passer une épreuve de littérature aiment la lecture de textes littéraires. Or, le type traditionnel d’exploitation du texte littéraire en classe de langue n’arrive qu’à démotiver les apprenants. L’analyse exhaustive d’une œuvre prive le jeune lecteur du plaisir du texte. Très souvent, les apprenants se présentent aux épreuves de certification sans avoir lu une seule ligne du livre à étudier, ne se référant qu’aux analyses et aux « profils » de l’œuvre. Comment impliquer les apprenants dans la lecture d’une œuvre, leur faire « sentir », « s’intéresser à » tout en les amenant à acquérir des compétences de lecture littéraire? Par quels moyens leur faire retrouver le plaisir esthétique tant pour réussir aux examens que pour acquérir le goût de lire ? Nous essayerons de répondre à cette problématique en illustrant notre démarche avec des exemples concrets à partir de l’étude d’une œuvre au programme des examens de la Sorbonne, Lorenzaccio d’Alfred de Musset. Qu’est-ce que la lecture littéraire ? A la fin des années 70 on assiste à une rupture épistémologique dans le domaine des études littéraires et on remarque un glissement d’intérêt des chercheurs du texte au lecteur et aux phénomènes de réception. En effet, de nombreux travaux affirment que la source du sens ne provient pas seulement du texte et de son auteur, mais aussi du lecteur. Michel Tournier résume ce renouveau théorique dans Le Vol du Vampirei: « Un livre n’a pas d’auteur, mais un nombre infini d’auteurs. Car à celui qui l’a écrit s’ajoutent de plein droit dans l’acte créateur l’ensemble de ceux qui l’ont lu, le lisent ou le liront. Un livre écrit, mais non lu, n’existe pas pleinement. Il ne possède qu’une demi existence ». Comment définir la lecture littéraire? À quoi se réfère l’adjectif « littéraire » ? Au texte ou à la lecture ? Depuis l’apparition du terme en 1984ii, la lecture littéraire ne cesse pas de faire l’objet de débats et de polémiques. Annie Rouxel (2002 : 17) désigne par lecture littéraire « le fait de lire littérairement un texte littéraire ». Ainsi le qualificatif littéraire concerne-t-il à la fois l’objet et le mode de lecture. Car « on peut lire littérairement des textes littéraires et non littérairement des textes non littéraires, mais réciproquement, on peut lire non littérairement des textes littéraires et littérairement des textes non littéraires » (Yves Reuter, cité par Rouxel, 2002, 17). Par exemple, le texte d’André Breton « PSTT » consiste à un collage d’une page d’annuaire téléphonique, mais subtilement transformé et intégré dans le recueil poétique Clair de terre, il change de statut et invite le lecteur à aborder le texte comme un poème, à relier les images et à construire du sens. Par contre, l’instrumentalisation scolaire du texte littéraire lui enlève sa dimension littéraire et débouche sur des activités trop souvent vides de sens. Comment impliquer les apprenants dans la lecture de l’œuvre ? Outre sa forme scolaire (explication de texte, lecture méthodique, lecture analytique), la lecture d’une œuvre littéraire devrait avant tout favoriser l’investissement de l’apprenant-lecteur dans son apprentissage. L’enseignant de FLE devrait reconsidérer et renouveler la didactisation du texte littéraire en tenant compte des apports de la recherche sur les théories de lecture, et privilégier la lecture comme va-et-vient dialectique, entre la participation psychoaffective et la distanciation critique du lecteur par rapport à l’œuvre (M. Picard, citéparJ.-L.Dufays, 2006, 9). Nous allons par la suite présenter des dispositifs et des pratiques de lecture littéraire en les illustrant par des exemples concrets à partir de l’étude de Lorenzaccio d’Alfred de Musset. Travailler à partir de la couverture pour éveiller la curiosité des apprenants Décrire et comparer les illustrations des différentes couvertures de l’œuvreiii. Dresser le portrait physique et moral du personnage de la couverture (pensif, le regard lointain, aux traits féminins…). Est-ce que ces illustrations mettent en relief la complexité du personnage ? Que symbolisent les différents objets (la dague dont la lame est souvent masquée évoque le projet de meurtre, parfois un livre, symbole de Lorenzaccio étudiant, le blason des Médicis…) Couvertures de Lorenzaccio. Source : https://booknode.com/lorenzaccio_040/covers Appliquer les théories de lecture littéraire lors de la didactisation de l’œuvre Les théories de lecture littéraire sont précieuses pour l’enseignant de FLE : elles sont centrées sur l’apprenant-lecteur et elles sont complémentaires à l’approche actionnelle. Voyons comment elles pourraient s’appliquer à la didactique de la littérature. La notion d’horizon d’attente ainsi que le concept d’écart esthétique constituent les grands apports de Hans-Robert Jauss dans le champ de la recherche sur la lecture littéraire. Selon Jauss (cité par Annie Rouxel, 2002, 13) tout texte renvoie à des éléments déjà constitués qui vont permettre au lecteur de construire sa lecture. Ces éléments sont, par exemple, le genre, la connaissance de références culturelles et de codes esthétiques. Or il y a des œuvres conformes à un modèle, et donc dépourvues d’innovation, et celles qui, à l’inverse, transgressent les normes et rompent l’horizon d’attente du lecteur. L’écart entre l’horizon d’attente et l’œuvre nouvelle produit l’écart esthétique qui est à la source du plaisir esthétique. Nous allons voir comment ces concepts s’appliquent à deux aspects particuliers de l’œuvre, à savoir au genre et à la scène d’exposition. Le genre : drame romantique Lorenzaccio paraît dans le deuxième volume de Un Spectacle dans un fauteuil, en 1834. Musset y réunit les pièces qu’il a écrites en prose. Le titre du recueil indique son projet d’écriture : ce théâtre est destiné à être lu, d’où l’image du fauteuil. Il s’agit bien d’un drame romantique : en témoignent le traitement du temps et de l’espace, le mélange du sublime et du grotesque, la variété des registres (comique et lyrique), le mélange des types de scènes (scènes de foule et scènes intimes), autant de traits conformes à l’esthétique romantique. Or ce spectacle est fait pour être lu « dans un fauteuil », il va au-delà des principes du drame romantique en excédant toutes les normes de son temps, d’où l’écart esthétique qui procure le plaisir esthétique. Un drame romantique, alors, écrit pour : être joué (le fauteuil du spectateur) Drame en 5 actes, 36 scènes, effets dramaturgiques Forme théâtrale avec uniquement des dialogues et des didascalies Des éléments de comédie (le carnaval, le déguisement du Duc et de Lorenzo) Des éléments de tragédie (la tragédie du héros, la tragédie du masque, un destin fatal) Des éléments de mélodrame (espace temporel resserré : l’action s’étale sur 10 jours du 29 décembre 1535 au 7 janvier 1536, cequi contribue à l’intensité dramatique) être lu (le fauteuil du lecteur) Libérée des contraintes du théâtre classique, des lois de la représentation Les didascalies témoignent que l’auteur met en valeur le côté visuel en laissant une grande liberté à l’imagination des lecteurs 65 personnages, 35 lieux, changements de décor à chaque scène, grande difficulté de mise en scène Jamais joué intégralement : il dépasserait les deux heures de la représentation théâtrale traditionnelle, il exigerait même plusieurs soirées, de centaines d’interprètes, une multitude de décors ! Dramaturgie complexe, dislocation du temps, complexité de l’intrigue Mais également, la pièce se lit comme un poème théâtral. Il s’agit d’une œuvre polysémique qui relève de la métaphore : métaphore de l’histoire de l’humanité, métaphore de l’Art et de la poésie. De nombreuses images illustrent le texte et les faits historiques sont colorés par la sensibilité de l’auteur. La fonction de la scène d’exposition La première scène d’une pièce de théâtre donne toutes les informations nécessaires au spectateur, transmises par la parole des personnages et les éléments de mise en scène. La première scène de Lorenzaccio a toutes les caractéristiques de la scène d’exposition : elle met en place le cadre spatiotemporel (en hiver, à Florence, à minuit), nous renseigne sur l’atmosphère de corruption et de débauche qui règne sur la pièce, elle présente la situation politique et les deux protagonistes principaux : Lorenzo et le Duc. Pourtant le cadre spatiotemporel s’étale sur plusieurs scènes (écart esthétique). L’exposition se poursuit dans les scènes suivantes avec l’évocation des autres intrigues, l’introduction des personnages (Les Strozzi et Salviati) et des thèmes essentiels. Travailler et approfondir la compréhension du texte Pour guider l’élève dans son apprentissage, il faut poser des questions qui facilitent la compréhension globale et par la suite, des questions qui entament une réflexion plus profonde sur l’œuvre. Qui gouverne Florence ? Évidemment, c’est le Duc Alexandre de Médicis, mais derrière lui se trouvent le pape Paul III et Charles Quint, l’empereur du Saint-Empire. Quelles sont les différentes classes sociales représentées dans la pièce ? Les aristocrates (les Strozzi, Salviati), le peuple (bourgeois, marchands, étudiants), les bannis. Distinguez les différents groupes moraux : Des personnages victimes et purs (Louise, Catherine et Marie) mais aussi ceux qui sont corrompus et cyniques (Salviati, le Duc, le cardinal Cibo), lâches et opportunistes (les marchands, les bourgeois), ou encore velléitaires et inefficaces (la famille Strozzi, la marquise Cibo). Planche tirée de Lorenzaccio de Régis Penet, 2011 Source : https://www.bdgest.com Est-ce que il y a dans la pièce des personnages complexes et ambigus? Ceux qui sont à la recherche du Bien tout en faisant le mal (Lorenzaccio, la marquise Cibo), d’autres qui aspirent à la liberté, qui voudraient agir mais qui hésitent (Philippe Strozzi). On pourrait bien modifier les questionnements sur le texte afin d’assurer l’investissement du sujet-lecteur dans la lecture de la pièce. Au lieu de demander « Quels sont les personnages principaux ? » ou « Quelle est la fonction de tel personnage dans le schéma actantiel ? », on interroge les élèves sur les personnages qui les touchent, qu’ils aiment, qu’ils détestent, sur le jugement moral qu’ils portent sur leurs actions, sur l’attitude qu’ils auraient adoptée s’ils avaient été à leur place (M.-J. Fourtanier et G. Langlade, cités par Anne Vibert, 2010, 7). Que représente pour vous chaque personnage ? Associez les éléments des deux colonnes (plusieurs réponses sont possibles) : Lorenzo Philippe Strozzi Pierre Strozzi Louise Strozzi Le cardinal Cibo Alexandre de Médicis Baccio Valori La sagesse, le doute La tyrannie, la cruauté La fougue Le pouvoir La corruption, la débauche La pureté, la bonté L’honnêteté La ville de Florence L’action principale se dérouleà Florence. Comment est représentée la ville ? En quoi la ville de Florence constitue un personnage vivant? Florence se présente comme une ville corrompue et malsaine (I) et elle est souvent personnifiée en bien ou en mal : pour le peintre Tebaldeo, c’est une mère qu’il aime, pour les bannis, c’est une mère stérile. Planche tirée de Lorenzaccio de Régis Penet, 2011. Source : https://www.bdgest.com Le personnage principal Quels sont les différents noms et surnoms de Lorenzaccio ? Lorenzaccio (le suffixe marque le mépris : personnage débauché, le bouffon du Duc), Lorenzetta (corrompu et pervers, androgyne à l’aspect maladif, « une femmelette »), Lorenzino, Renzo (l’étudiant idéaliste d’autrefois, héros romantique par excellence, poétique), Lorenzo (homme d’épée, courageux, assassin du Duc). Quels sens donnez-vous à ces différentes identités ? Tous ces suffixes montrent la complexité du personnage et son évolution au cours de l’œuvre. Par qui lui sont-ils attribués ? Comment le héros est-il perçu par les autres ? Par les points de vue du Duc, de Philippe Strozzi, de Marie, de Catherine, des gens du peuple on peut appréhender la complexité du personnage et ses intentions profondes. Or Lorenzo est l’expression des sentiments et des réflexions de Musset. A travers lui, on peut mieux comprendre Musset. Par qui et comment est décrit le héros dans le premier acte ? Portrait physique et moral de Lorenzaccio brossé par le Duc (I,4). Quelle est l’évolution du personnage au cours de l’œuvre ? Impression contradictoire / duplicité du héros / deux faces opposées : entremetteur du Duc, débauché et corrompu, espion et Lorenzo vertueux inspiré par les deux Brutus. Planche tirée de Lorenzaccio de Régis Penet, 2011 Source : https://www.bdgest.com Lorenzaccio a-t-il les caractéristiques du héros de la tragédie classique ou réunit-il les principaux trais des héros romantiques ? Le héros de la tragédie classique affronte son destin au grand jour. Quant à Lorenzo, il a un destin, mais il se l’est lui-même imposé, et il ne peut pas se dévoiler. Quels sont les indices qui permettent de deviner que Lorenzaccio joue un double jeu ? Le doute du cardinal Cibo (I, 4), le vol de la cotte de maille et les soupçons de Giomo (II, 6), les souvenirs de son oncle, Bindo, puis ceux de Marie, sa mère. Intégrer les TICE dans le cours de littérature On pourrait utiliser les TICE pour motiver et maintenir l’intérêt des apprenants tout au long de l’étude de la pièce. Les lignes du temps (Timeline, Timetoast parmi d’autres) aident à élaborer la biographie et la bibliographie de l’auteur, à reconstituer la trame de l’histoire, à mettre en lumière la temporalité et les lieux de la pièce, et de cette façon, à retenir les dates et les informations importantes. Avec les outils numériques Canva, Prezzi, Xmind, MindMap parmi d’autres, on pourrait représenter de façon visuelle le schéma actantiel de l’œuvre. Bibliographie d’Alfred de Musset élaborée avec l’outil numérique Timetoast (par Théodora Kavaratzi) http://www.timetoast.com/timelines/alfred-de-musset-l-enfant-terrible-du-romantisme Schéma actantiel élaboré avec l’outil numérique Xmind (par Théodora Kavaratzi) Quelles sont les trois intrigues que l’auteur a tressées dans la pièce ? La pièce comporte trois intrigues : Lorenzo et son projet d’assassiner le Duc, Philippe Strozzi et l’engagement politique des républicains, la relation amoureuse entre le Duc et la marquise Cibo. Ces trois intrigues sont savamment tissées dans chacun des cinq actes et les actions secondaires sont étroitement liées à l’action principale. Favoriser l’interprétation du texte La pensée en réseaux Il est très important de développer la pensée en réseaux iv chez nos élèves précisément parce que « notre système éducatif tend plutôt à morceler la réalité et à rendre les esprits incapables de relier des savoirs compartimentés en disciplines » (Demougin, 2008, 417). Cette pensée en réseaux peut bien se construire dans la démarche littéraire car toute œuvre littéraire s’inscrit dans une histoire et les livres entretiennent des relations entre eux. Le réseau littéraire est compris comme « un ensemble ouvert de textes que l’on peut rapprocher, comparer selon un angle de lecture qui souligne les analogies, les parentés, les emprunts, les variations, les oppositions, les écarts » (Couet-Butlen, 2007). À partir de l’étude de Lorenzaccio, on peut établir différents types de réseaux : a) Autour des différentes mises en scène de la pièce Bien que la pièce ne rencontre pas de succès particulier à sa publication en 1834 et qu’elle ne soit jamais jouée du vivant de Musset (sa première mise en scène par Armand d’Artois remonte en 1896 avec Sarah Bernhardt au rôle titre), Lorenzaccio constitue aujourd’hui l’une des pièces les plus jouées du répertoire français. Evidemment, c’est le caractère universel et atemporel de l’œuvre qui explique cet engouement. D’ailleurs, la pièce laisse une grande liberté à l’adaptation scénique. L’acte V, qui constitue le dénouement de l’action, a souvent été totalement supprimé ou fortement coupé, considéré comme injouable (à cause de nombreux changements rapides de personnages et de décors) ou trop provocateur. D’autres en ont conservé l’intégralité mais en effectuant un montage ou un remaniement de l’ordre originel des scènes et en apportant de la sorte une vision plus moderne à la pièce. On pourrait donc inviter les élèves à comparer les différentes représentations théâtrales, dans le choix des costumes, du maquillage, des décors, des couleurs et des lumières. Commenter également les interprétations, la gestuelle, les déplacements des acteurs. Parmi d’autres, on note les mises en scène de - Jean Vilar en 1952 à Avignon avec Gérard Philippe au rôle titre (c’était la première fois qu’un homme incarnait Lorenzaccio). Otomar Krejca en 1969 à Prague Franco Zeffirelli en 1976-77 à la Comédie-Française Georges Lavaudant en 1989 à la Comédie-Française Jean-Pierre Vincent en 2000 au théâtre des Amandiers de Nanterre Claudia Stavisky en 2010 à Lyon Catherine Marnas en 2015 à Bordeaux Mise en scène de Franco Zeffirelli à la Comédie Française, 1977 Mise en scène de Georges Lavaudant à la Comédie Française, 1989 b) Autour de l’adaptation de la pièce en bande dessinée par le scénariste et dessinateur Régis Penet qui entreprend avec succès une modernisation de la pièce et de cette façon, la rend plus accessible au jeune public. On pourrait utiliser les différentes planches pour identifier un extrait, le situer dans l’ensemble de l’œuvre et en montrer l’importance tout en justifiant les raisons qui ont conduit à l’isoler. Planches tirées de Lorenzaccio de Régis Penet, 2011. Source : https://www.bdgest.com c) Autour des textes d’un même auteur (réseau intra-textuel) : étudier la singularité de Musset, son style (métaphores, lyrisme) et ses thèmes de prédilection dans ses œuvres. Dans ce cadre, la bande dessinée de Régis Penet constitue une véritable réappropriation de l’œuvre de Musset, puisque l’auteur mêle au récit deux poèmes de Musset La Nuit de Décembre et Tristesse. d) Autour d’un personnage : le héros romantique (le mal de siècle, l’éternel retour du vice, la tragédie du masque, héros solitaire marqué par une destinée orageuse) ; le héros dramatique (comparer avec Hamlet). e) Autour d’œuvres qui se font écho : - Une conspiration en 1537 de George Sand, 1831. Toute écriture est une réécriture (réseau intertextuel) : Musset a été inspiré par une scène historique dans le livre de George Sand. Établir des liens entre les livres qui se répondent, autour d’un genre, d’un même thème (réseau extra-textuel) : - Ruy Blas de Victor Hugo, 1838 (drame romantique en cinq actes où les personnages sont soumis à un destin fatal et tentent vainement d’y échapper). - Les Mains sales de Jean-Paul Sartre, 1948 et Les Justes d’Albert Camus, 1949 : deux pièces de théâtre à portée politique et philosophique qui illustrent la désillusion face aux espoirs des idéologies mensongères. Le carnet de lectures Tel un carnet de voyages où on note ses impressions des endroits visités, le carnet de lecture est un carnet de voyages dans la littérature, dans le monde magique des livres. Il s’agit d’un objet personnel, intime, qui place le lecteur dans une démarche active d’apprentissage, en tant qu’interlocuteur dans une interaction. Quelles sont les rubriques possibles d’un carnet de lectures ? Les incontournables : une présentation du livre, le titre, le nom l’auteur et éventuellement le nom de l’éditeur, de la collection, l’année de parution, le genre. Dans un carnet de lecture l’apprenant pourrait également : noter : les personnages principaux, leur rôle, le lieu, l’époque… donner son avis, son appréciation, son impression finale sur le livre recopier des phrases, la quatrième de couverture ; des mots inconnus, des mots qu’il apprécie parce qu’ils sont curieux, amusants ; un extrait qui l’a particulièrement touché, choqué, intéressé… et expliquer pourquoi. coller une photocopie, des photos, des images qui vont bien avec ce livre. dessiner, illustrer un passage, ses impressions… écrire ce qu’il pense des personnages, des actions, des événements, des lieux ; ses impressions, les émotions ressenties ; le résumé, un texte ou un poème inspirés de l’histoire ; des remarques sur le style d’écriture de l’auteur. Exemple de carnet de lecture à partir de la lecture de Lorenzaccio Le débat interprétatif Le partage du contenu des carnets de lecture d’élèves volontaires pourrait déboucher sur un échange d’idées, un débat interprétatif ou même préparer à des « cercles de lecture ». Le débat pourrait porter sur les points d’incertitude, mais aussi sur les valeurs du texte, d’autant plus que Lorenzaccio est un texte « ouvert » qui se prête à une lecture plurielle. C’est Umberto Eco (1985) qui a introduit la notion de « textes ouverts », de « blancs du texte » que le lecteur doit remplir. Or le texte a ses droits et les « limites de l’interprétation » doivent être respectées. La lecture à haute voix Enfin, la lecture à haute voix (évaluée aux examens de la Sorbonne comme interprétation subjective des textes justement parce qu’elle montre le degré d’appropriation de l’œuvre) ou encore la dramatisation d’une scène choisie par les apprenants. Présenter de manière créative ses impressions de lecture Le débat d’idées, le débat philosophique Est-ce que cette pièce renvoie à une réflexion sur le monde contemporain ? Le parallèle historique (entre Florence en 1537 et Paris en 1830) s’applique à toute époque et entame une réflexion sur le monde contemporain. La scène d’émeute inscrit la pièce dans une réflexion sur mai 68. Le sentiment du vide de l’existence que Lorenzo éprouve annonce les antihéros du roman absurde. Enfin, la désillusion et le désespoir humain en font de Lorenzaccio une œuvre « existentialiste ». Couverture de Lorenzaccio de Régis Penet, 2011 Source : https://www.bdgest.com Que représente pour vous le personnage de Lorenzo ? Lorenzaccio est-il un héros ou un antihéros ? Que pensez-vous de l’engagement politique ? C’est l’action ou la sagesse ? Comment peut-on lutter contre l’injustice et la corruption ? Jusqu’où peut-on pousser la lutte contre le mal ? Partagez-vous la vision pessimiste de Lorenzaccio quant à l’action politique ? Pensez-vous que le meurtre de Lorenzo soit sans perspective ? Et une question plus délicate : Pensez-vous que Lorenzaccio soit un terroriste ? L’écriture d’invention Donner des sujets qui amènent à exprimer des impressions de lecture, à réagir aux idées du texte et qui permettent aux élèves de s’investir affectivement et éthiquement dans leur lecture. Toutes ces pratiques de lecture littéraire nous amènent à reconsidérer la didactisation du texte littéraire en classe de FLE. Ainsi donc, l’étude du texte littéraire devient un lieu de nouveaux apprentissages qui aident les élèves à « entrer en lecture » et à acquérir des compétences de lecture littéraire. En formant des sujetslecteurs sensibles et autonomes, on les amène à retrouver le « goût de lire » et à se construire une vraie culture littéraire. Bibliographie BRETON, A., 1966, Clair de terre (1923), Paris, Gallimard (Poésie). Bureau du livre de jeunesse, Institut Français de Francfort, 2000, Lectures Lecteurs : Littérature de jeunesse en classe de français langue étrangère, Frankfurt, Hessisches Landesinstitut für Pädagogik. DEMOUGIN F., 2008, « Continuer la culture : le littéraire et le transculturel à l’œuvre en didactique des langues », Études de Linguistique Appliquée, no 152, p. 411-427. ECO, U., 1985, Lector in fabula, Paris, Grasset. JAUSS, H.-R., 1978, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard. PICARD, M., 1986, La Lecture comme jeu. Paris, Editions de Minuit (Critique). PENET, R., 2011, Lorenzaccio, Paris, Glénat BD (12bis). POSLANIEC, C., 2001, Donner le goût de lire, Paris, Éditions du Sorbier Documents électroniques Sur la didactique du texte littéraire et sur les théories de la lecture littéraire : COUET-BUTLEN M., 2007, « Des critères de choix des ouvrages et des pratiques de lecture à l’école », Télémaque, [en ligne], [consulté le 30 octobre 2017], disponible sur http://www.cndp.fr/crdpcreteil/telemaque/document/choixouvrages.htm DUFAYS, J.-L.,2006, La lecture littéraire, des « pratiques du terrain » aux modèles théoriques, LIDIL, 33[en ligne], [consulté le 3 mars 2017], disponible sur http://journals.openedition.org/lidil/60#tocto2n1 PRINCE A., 2008, « Carnet de lecture, cahier de littérature. Pourquoi faire ? Comment faire ? », [en ligne], [consulté le 30 octobre 2017], disponible sur http://18b-gouttedor.scola.acparis.fr/IMG/pdf/carnet_de_lecteur_guyane.pdf ROUXEL, A., 2002,« Qu’entend-on par lecture littéraire ? » La lecture et la culture littéraires au cycle des approfondissements. 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[en ligne], [consulté le 20février 2018], disponible sur http://media.eduscol.education.fr/file/Formation_continue_enseignants/14/7/lecture_culture_litteraires_ 111147.pdf TAUVERON C., 2002, « Fonctions et nature des lectures en réseaux », Éduscol, [en ligne], [consulté le 30 octobre 2017], disponible sur http://eduscol.education.fr/cid46319/fonctions-et-nature-des-lecturesen-reseaux.html VIBERT, A., 2010, Littérature et enseignement : vers la reconnaissance du sujet lecteur dans les exercices d’explication des textes littéraires, [en ligne], [consulté le 10 mars 2018], disponible sur https://pedagogie.ac-reunion.fr/fileadmin/ANNEXES-ACADEMIQUES/03-PEDAGOGIE/02COLLEGE/lettres/lycee-lecture/lesujetlecteur.pdf Sur l’analyse de « Lorenzaccio » Lorenzaccio, Alfred de Musset http://www.academie-en-ligne.fr/Ressources/7/FR01/AL7FR01TDPA0113-Sequence-02.pdf CONSIGNES DE CORRECTION LITTERATURE TL https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/upload/docs/application/pdf/2014-06/2014-corrigelitterature.pdf Lorenzaccio de Musset : étude du personnage de Lorenzo https://www.intellego.fr/soutien-scolaire-1ere-s/aide-scolaire-francais/lorenzaccio-de-musset-etude-dupersonnage-de-lorenzo/42868 Les personnages dans la pièce Lorenzaccio, Alfred de Musset http://www.institution-saint-charles.fr/intranet/download/ressources/Pedagogie/Francais./v1.0Les%20personnages%20dans%20lorenzzacio.pdf Mettre en scène Lorenzaccio. Dossier pédagogique https://www.comedie-francaise.fr/www/comedie/media/document/dossier-lorenzaccio.pdf Les mises en scène et adaptations de Lorenzaccio et la mise en scène de Jean Vilar http://www.dailymotion.com/video/x11ngbg Conférence sur Lorenzaccio : https://www.youtube.com/watch?v=niO96jRiEWM&t=3s Iconographie : Toutes les planches sont tirées de Lorenzaccio de Régis Penet, 2011 (Source : https://www.bdgest.com) NOTES i Michel TOURNIER, 1981, Le Vol du Vampire. Notes de lecture. Gallimard (Idées, n° 485), 1983, p.12, Extrait de Mercure de France, [en ligne], [consulté le 10 mars 2018], disponible surhttps://flipbook.cantook.net/?d=%2F%2Fwww.edenlivres.fr%2Fflipbook%2Fpublications%2F55 82.js&oid=42&c=&m=&l=&r=&f=pdf ii La lecture littéraire, Colloque de Reims, 1984, sous la direction de Michel Picard. iii Avant la lecture, pour formuler des hypothèses, mais également pendant et après la lecture pour des vérifier les hypothèses de départ. iv Si on met « réseaux » au pluriel c’est parce que, « d’une lecture à l’autre, d’un moment à l’autre, d’un lecteur à l’autre, des ponts différents peuvent se construire entre différents textes » (Tauveron, 2002, 72).