Les mutations
La caractérisation biochimique avait abouti à la description d'au moins 451 variants, supposés distincts. Deux cent quatre-
vingt-dix-neuf d'entre eux avaient été analysés selon les méthodes recommandées par un groupe d'experts OMS [7] et
avaient été considérés, au moins par les responsables de leur description, comme différents des autres variants décrits
dans les publications.
En partant de la constatation que la plupart des mutants avaient des propriétés électrophorétiques et/ou cinétiques
anormales, la prédiction pouvait être faite que les mutations géniques seraient observées dans les séquences codantes. Ce
fut en effet le cas.
Répartition et nature des mutations
Au moment d'écrire cette revue, 65 mutations, seules ou combinées, de la G6PD ont été caractérisées (tableau). Toutes,
sauf une, sont associées à un déficit enzymatique. La variété des mutations observées est moins grande que ce qui a pu
être décrit pour d'autres gènes.
Il semble qu'un déficit complet en G6PD est létal. C'est pourquoi la plupart des mutations sont ponctuelles et entraînent une
substitution.
Les délétions, dont trois sont connues, sont des multiples de trois nucléotides, ce qui ne produit pas de décalage de lecture.
Une mutation d'épissage et une mutation produisant un codon d'arrêt sont connues ; la dernière à l'état hétérozygote chez
une femme.
La distribution des mutations dans la séquence de l'ADNc ne se fait pas au hasard. Les mutations ponctuelles qui
aboutissent à la synthèse de variants de classe I, ceux qui ont pour phénotype une anémie hémolytique chronique non
sphérocytaire, sont retrouvées dans deux zones codantes, l'une est située dans la séquence codant pour le domaine putatif
de liaison du NADP et l'autre dans celle de liaison du glucose-6-phosphate.
Les séquences 163 à 257 et 363 à 447 de la protéine sont impliquées dans respectivement 8 et 18 des 29 mutations
ponctuelles qui sont associées à la production d'un variant de classe I (tableau).
Ce qui fait que 87 % de ces mutations sont présentes dans deux domaines qui ne représentent que 28 % du monomère
polypeptidique.
Il est bien peu probable que la concentration des mutations dans ces deux zones qui occasionnent une hémolyse chronique
soit due à une coïncidence. Le site de liaison du glucose-6-phosphate a été localisé à la lysine 205 qui interagit de façon
compétitive avec le pyridoxal phosphate et le glucose-6-phosphate [8].
L'examen des variants qui ont une très faible affinité pour le NADP suggère que les lysine 386 et arginine 387 pourraient
être le site de liaison pour un groupement phosphate du NADP [9]. Les mutants de classe I sont concentrés autour de ces
deux sites.
Fréquence des mutations dans diverses populations
La fréquence du déficit en G6PD varie largement d'une population à l'autre. Chez les Noirs américains, la fréquence
génique en question est de 0,10 à 0,11 [10].
Chez les juifs d'origine kurde [11], le déficit dit méditerranéen (563 T) atteint une fréquence de 0,70, ce qui occasionne
vraisemblablement l'incidence la plus élevée qui puisse être observée dans toutes les populations.
En Grèce, par dépistage néonatal chez près de 1 200 000 individus, une fréquence génique de 0,045 a été observée [12].
Des fréquences élevées ont été également rapportées en Orient [13].
La capacité croissante à transposer les données précédentes en terme de mutations du gène G6PD a permis de mieux
mesurer la complexité de certaines situations et d'en simplifier d'autres.
La forme G6PD A- qui était supposée être une mutation singulière, homogène, est en fait le résultat cumulé de plusieurs
mutations ponctuelles survenues sur un gène G6PD A+ (376 G). Dans la plupart des cas la seconde mutation est 202 A
mais peut être aussi 968 C et 680 T (tableau). La mutation 202 A, créée par mutagenèse dirigée, ne peut à elle seule altérer
le phénotype ; pour cela elle requiert la présence de la mutation 376 G, elle-même neutre lorsqu'elle est isolée [14]. Il est
donc possible que les mutations nt 202, 680 et 968, n'auraient procuré aucun avantage sélectif vis-à-vis du paludisme si
elles n'étaient apparues sur un gène G6PD avec la mutation 376 G. Il existe cependant deux mutations, 542 T et 1159 T, qui
induisent un phénotype déficitaire en présence et en l'absence de la mutation 376 G.
Certaines mutations ont une dispersion géographique large. Par exemple, les G6PD A- 202 A/376 G Méditerranéenne 563 T
et Union 1360 T. Il faut alors se poser la question de savoir si elles représentent la survenue de mutations récurrentes à un
site hypermutable du gène, ou s'il s'agit d'un événement mutationnel unique et dont la dispersion témoigne des mouvements
de population. L'outil qui permet de résoudre cette question est l'existence de combinatoires de polymorphismes
(haplotypes) sans traduction clinique.
La G6PD A+ est le prototype de ces polymorphismes, découvert depuis longtemps. On sait maintenant que cette mutation
est A * G nt 376 de l'ADNc et est responsable de la mobilité électrophorétique accrue de l'enzyme. D'autres mutations
silencieuses, car ne modifiant pas la séquence protéique, sont indiquées dans des revues [15, 16]. Ces polymorphismes ont
permis de montrer que la G6PD A- 202 A/376 G est probablement issue d'une origine unique, mais à l'opposé, que la G6PD
Méditerranéenne 563 T, par exemple, est apparue de façon multiple et récurrente.
On peut utiliser ces polymorphismes silencieux pour étudier l'origine de groupes de cellules dans les domaines de
l'embryologie ou en oncologie [17]. Comme le polymorphisme très commun nt 1311 est en région codante, il s'est révélé
particulièrement utile à l'étude du lignage tumoral : en effet, l'isolement puis la quantification relative des allèles après RT
PCR des ARN cellulaires de sujets hétérozygotes est un outil précieux dans ce domaine [18].
Le déficit en G6PD en tant que polymorphisme équilibré
L'incidence élevée du déficit en G6PD dans certaines populations suggère que ce déficit érythrocytaire confère un avantage
John Libbey Eurotext http://www.jle.com/fr/print/e-docs/00/02/24/AC/article.phtml
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