Mise au point Déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase : intérêt du dépistage systématique dans les forces armées. J. Bancarel a, P. Causse-Le-Dorze a, C. Traccard a. a Service médical de la base aérienne 120, 10 rue du commandant Marzac, CAZAUX – 33260 La teste de Buch. Article reçu le 31 aout 2009, accepté le 24 novembre 2009. Résumé La déficience en glucose-6-phosphate déshydrogénase est l’anomalie génétique la plus fréquente au monde. Considérée comme rare en France, elle fait encourir aux porteurs un risque d’anémie aiguë par hémolyse et contre indique l’ingestion de certains aliments ou l’utilisation de traitements médicamenteux, notamment certains antipaludéens. Quelques forces armées pratiquent de façon systématique la recherche de cette déficience. Après un rappel historique, épidémiologique et physiopathologique, nous exposerons l’intérêt potentiel de son dépistage pour le personnel militaire. Mots-clés : Anémie. Hémolyse. Dépistage. Glucose-6-phosphate déshydrogénase. Paludisme. Abstract GLUCOSE-6-PHOSPHATE DEHYDROGENASE DEFICIENCY: SYSTEMATIC SCREENING INTEREST FOR ARMED FORCES. Glucose-6-phosphate dehydrogenase deficiency is the most common genetic defect worldwide. Considered rare in France, it untails a risk for the carriers of an acute hemolytic anemia that contraindicates eating certain food and using medicine including some antimalarial treatments. Some armed forces carry out a systematic screening of this deficiency. After a historical, epidemiological, physiopathological mention, we will be discussing the interest of such a systematic screening for military personnel. Keywords : Anemia. Hemolysis. Malaria. Screening. Glucose-6-phosphate dehydrogenase. Introduction. La déficience en glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD) est l’anomalie génétique la plus fréquente au monde et concernerait 420 millions de personnes. Sa découverte entraîne la nécessité de ne plus consommer d’aliments pouvant contenir des fèves et limite l’utilisation de médicaments aussi courants que l’aspirine, le paracétamol, l’acide ascorbique, les fluoroquinolones, certains sulfamides ou plus spécif iques comme les dérivés de la quinine. Après quelques rappels historiques, nous détaillerons les particularités de cette affection, leurs implications possibles en pratique médico-militaire J. BANCAREL, médecin principal, P. CAUSSE-LE-DORZE, médecin en chef, C. TRACCARD, médecin principal. Correspondance : J. BANCAREL, médecin adjoint chargé du personnel navigant, service médical de la base aérienne 120, 10 rue du commandant Marzac, CAZAUX – 33260 La teste de buch. E-mail : [email protected] médecine et armées, 2010, 38, 1, 125-130 et nous discuterons l’intérêt d’un dépistage systématique pour les forces armées. Rappels historiques. Dès l’Antiquité, l’ingestion de fèves a été reconnue comme responsable d’anémie et la relation entre une anémie aiguë et la prise de certains médicaments est établie en 1926 par Cordes (1). La primaquine, utilisée en traitement prophylactique du paludisme lors des opérations dans le sud-est asiatique de la Seconde Guerre mondiale par les militaires américains, a été mise en cause dans la survenue d’anémies aiguës chez les soldats noirs par Hockwald en 1952 (2). Le lien entre ces anémies « faviques » de l’antiquité et médicamenteuses est établi par Carson (3) en 1956 avec la découverte de la déficience en G6PD. La détermination de son caractère héréditaire et sa transmission par le chromosome X date de 1958 (4). Depuis, les recherches effectuées ont permis de mieux comprendre les aspects génétiques, moléculaires et physiopathologiques en cause. 125 La déficience en glucose-6phosphate déshydrogénase. Responsable de manifestations cliniques très variées selon la profondeur de l’atteinte génétique, l’affection commence à bénéficier d’une meilleure connaissance de ses mécanismes intimes. D’une répartition géographique particulière, elle touche préférentiellement l’Afrique sub-saharienne, le pourtour de la méditerranée, le Proche- Orient, le sud-est asiatique, les États-Unis d’Amérique, l’Amérique latine et les Antilles. De ce fait, elle a toujours été considérée comme une affection rare en Europe et en particulier en France (entre 120 000 et 250 000 déficitaires), probablement en sous estimant l’impact des flux migratoires qui intéressent notre pays et la fréquence de l’affection dans les départements ou territoires d’outre-mer (5). Aspects génétiques. Le gène codant la G6PD est porté par le bras long du chromosome X, en position q28. Il est localisé à proximité de celui responsable de l’hémophilie A. La maladie est transmise sur le mode récessif. Les garçons hémizygotes (ont un chromosome X porteur de l’anomalie et un chromosome Y) et les filles homozygotes (leurs deux chromosomes X sont porteurs de l’anomalie) expriment totalement le déficit. Les filles hétérozygotes présentent une forme variable, en général très modeste, du déficit du fait de l’inactivation par lyonisation du X déficitaire. Mécanisme décrit par Lyon en 1961 (6), il s’agit d’un processus de compensation génique propre au chromosome X qui aboutit à l'inactivation aléatoire de l'un des deux chromosomes dans chacune des cellules. Pour la majorité des gènes portés par l'X, l'expression d'un seul allèle suffit. Le fonctionnement de cette régulation génique n'est que partiellement compris. La maladie touche donc essentiellement le sexe masculin (90 %) et sa transmission se fait par le sexe féminin en général « porteur sain ». Plusieurs mutations du gène ont été décrites, entraînant la production d’une protéine plus ou moins fonctionnelle. Le séquençage moléculaire complet du gène a permis de caractériser un grand nombre de variants associés à ce déficit et leur expression clinique. Aspects biochimiques pathologiques. et physio- La déficience en G6PD altère le fonctionnement de la voie des pentoses, une des quatre voies principales du métabolisme énergétique (fig. 1). En effet, elle est l’enzyme permettant la réduction du nicotinamide adénine dinucléotide phosphate (NADP+) en nicotinamide adénine dinucléotide phosphate réduit (NADPH) par récupération d’atomes d’hydrogène du glucose 6-phosphate qui devient 6-phosphogluconolactone. Cette oxydoréduction cyclique est entretenue grâce au retour à l’état NADP+ du NADPH par l’abandon de son hydrogène au prof it du glutathion oxydé (GS-SG) qui devient du glutathion réduit (G-SH). Ce mécanisme est une phase essentielle de lutte contre le stress oxydatif cellulaire (7). Les érythrocytes, par essence énucléés, possèdent une quantité finie de G6PD. Ils ne peuvent ni la renouveler, ni l’augmenter faute de matériel génétique et de production. Selon la profondeur de l’anomalie génétique, la G6PD érythrocytaire peut avoir une durée de vie limitée, parfois très inférieure à la durée de vie normale de l’hématie qui est de 120 jours. Le sujet déficitaire dispose donc d’un G6PD : Glucose-6-phosphate déshydrogénase. NADP + : nicotinamide adénine dinucléotide phosphate. NADPH : nicotinamide adénine dinucléotide phosphate réduit. GS-SG : glutathion oxydé. G-SH : glutathion réduit. Figure 1. Aperçu du cycle des pentoses. 126 j. bancarel stock d’érythrocytes incapables de résister à un stress oxydatif. Ce pool est d’autant plus grand que la durée de vie de l’enzyme est courte. En présence de molécules nocives (médicaments, vicine et covicine contenues dans les fèves), ces érythrocytes dont le stock de G6PD est épuisé ne pourront pas réduire le NADP+ en NADPH. Il n’y a plus de production de glutathion réduit faute de NAPDH, donc plus de protection cellulaire contre le stress oxydatif. Par ailleurs, une étude récente sur la primaquine, connue pour être dangereuse en cas de déficience en G6PD, vient de montrer le rôle que jouent les diverses variantes des monooxygénases cytochromes P450 dans la survenue d’effets hématotoxiques (8). En effet, selon le sous-type de cytochrome P450 testé, la production de métabolites oxydants ou de méthémoglobine est variable et une inhibition sélective de certains cytochromes a amené une diminution significative de la toxicité de la primaquine. L’exploration de ces mécanismes cellulaires améliore la compréhension du stress oxydatif, responsable de la fragilisation membranaire de l’hématie et de l’altération irréversible de l’hémoglobine qui va précipiter sous forme de corps de Heinz intra érythrocytaires. La lyse cellulaire amène à une anémie hémolytique avec son cortège de manifestations cliniques et de complications potentiellement mortelles. Le dépistage est fait, en France, lors de la découverte d’une anémie hémolytique. Dans un certain nombre de pays où la prévalence de l’affection est bien plus importante, un dépistage systématique néonatal est pratiqué. Le « fluorescent spot test » est utilisé le plus fréquemment en raison de son faible coût. Il consiste en un prélèvement de sang sur un papier absorbant, auquel on adjoint du Glucose-6-Phosphate et du NADP. La production de NADPH sera visible après incubation en produisant une fluorescence à l’examen avec une lampe ultra-violette. La méthode de référence est la mesure spectrophotométrique de l’activité enzymatique et elle est pratiquée en cas de positivité du « spot test ». Manifestations cliniques. Elles sont intimement liées à la mutation en cause. Actuellement près de cent vingt mutations ayant une expression clinique sont répertoriées et portent le nom du lieu où elles ont été mises en évidence. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) (7) préfère à ce catalogue une classif ication prenant en compte l’activité enzymatique et l’intensité des manifestations cliniques associées (tab. I). Il est possible de découvrir la déficience en G6PD au cours d’un accident hémolytique lié à une substance oxydative, sans avoir jamais eu de manifestation clinique préalable. En raison du polymorphisme de l’affection, la réaction d’un sujet en contact avec une substance donnée n’est pas prédictible. Il est donc important, dès que le diagnostic a été porté, de respecter scrupuleusement les consignes de non exposition aux molécules à risque. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé publie un document complet de 65 pages référençant Tableau I. Classification OMS des variants enzymatiques de la G6PD en cinq classes, dont trois déficitaires. Type Intensité Activité Expression du déficit enzymatique clinique Variants G6PD fréquents Classe I sévère < 10 % de l’activité normale Classe II sévère < 10 % de l’activité normale Classe III modéré 10 % à 60 % de l’activité normale Hémolyse suite à un stress oxydatif. G6PD A Classe IV pas de déficit 60 % à 150 % de l’activité normale - G6PD B ; G6PD A Classe V activité accrue > 150 % de l’activité normale - rare Hémolyse chronique rare G6PD B ou Hémolyse « méditerranéen » intermittente Mahidol ; Canton l’ensemble des substances pharmacologiques susceptibles d’interagir avec la déficience en G6PD (9). Ce document doit servir de base documentaire à tout médecin confronté à un patient porteur de l’anomalie. La liste exhaustive des substances à éviter contient plus d’une quarantaine de médicaments dangereux. Elle comprend l’aspirine ou le paracétamol à doses supra-thérapeutiques (tab. II). Ce tableau est à compléter par la liste des substances actives pour lesquelles les centres régionaux de pharmacovigilance mentionnent une précaution d’emploi ou une contre-indication mais dont l’évaluation a montré qu’il n’existait pas de risque identifié d’hémolyse chez les sujets déficitaires en G6PD (10). Il ne faut pas oublier d’y ajouter la primaquine, en partie grâce à laquelle des avancées significatives ont pu se faire dans la connaissance du déficit en G6PD, qui est curieusement absente de cette liste. Problématique médico-militaire. Dans certaines armées, et notamment celles des ÉtatsUnis d’Amérique, le dépistage est systématique à l’engagement dans la Navy et l’Air force, au titre de l’active ou de la réserve (11). Lors d’un déploiement en zone impaludée, chaque militaire déficient en G6PD est porteur d’un document alertant « G6PD deficient : no primaquine ». En outre, le détachement permanent de l’armée de l’Air de la République de Singapour dont le service médical de la base aérienne de Cazaux assure le soutien applique les mêmes directives pour son personnel (12). Chaque dossier médical est porteur en couverture de la mention « G6PD present » ou « G6PD deficient », à l’encre rouge, au même titre que les allergies connues. déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase : intérêt du dépistage systématique dans les forces armées 127 Tableau II. Médicaments incriminés dans les accidents liés à un déficit en G6PD. I- Les médicaments formellement contre-indiqués : Antibiotiques et antiseptiques Acide Nalidixique, Dapsone, Nitrofurantoine, Sulfadiazine (voie orale), Sulfafurazol, Sulfaguanidine, Sulfaméthoxazole, Triméthoprime. Antalgiques Métamizole sodique, Noramidopyrine. Anti inflammatoire Sulfasalazine (voie orale). Divers Rasburicase. II- Les médicaments nécessitant des précautions d’emploi : Type 1 : les médicaments déconseillés (sauf situation particulière) pour lesquels des cas d’hémolyse aiguë ont été rapportés : Antibiotiques et antiseptiques Ciprofloxacine (voies orale et injectable), Lévofloxacine (voies orale et injectable), Norfloxacine (voie orale), Spiramycine, Sulfadiazine (voie locale). Antidiabétique oral Glibenclamide. Antipaludéen Chloroquine. Divers Dimercaprol, Phytoménadione (= vitamine K1). Type 2 : les médicaments déconseillés (sauf situation particulière) en raison d’appartenance à une classe pharmacologique à risque, ou en raison d’un risque potentiel d’hémolyse : Antibiotiques et antiseptiques Déficience en G6PD et paludisme. Il existe un lien étroit entre déficience en G6PD et résistance au paludisme (13). En effet, l’absence de G6PD dans les hématies est un frein au développement du Plasmodium falciparum ce qui procure une protection relative vis-à-vis des accès palustres graves (14). Une phagocytose précoce des érythrocytes infectés participe également à cette relative résistance. Pouvant être considéré comme un aspect « bénéfique » de l’affection, ce relatif avantage est compensé largement par les inconvénients liés à l’impossibilité d’utiliser dans de bonnes conditions de sécurité en opération extérieure certains traitements prophylactiques ou curatifs disponibles dans les armées, françaises ou étrangères (tab. III). La primaquine n’est pas citée dans ce tableau car elle ne figure pas sur la liste officielle de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSaPS). En France, la généralisation de la doxycycline comme traitement prophylactique n’expose pas à un accident en cas de déf icience en G6PD. En revanche, en cas d’accès palustre grave à Plasmodium falciparum, la quinine reste le traitement de référence. La dotation du Service de santé des armées (SSA) en mission extérieure pour la prise en charge de ce type de pathologie utilise à juste titre le QUINIMAX ®, association de quinine, de quinidine, de cinchonine et de cinchonidine. Cela signifie que tout militaire français sur un théâtre d’opération recevra pour le traitement d’un accès palustre grave du QUINIMAX ® sans que son statut vis-à-vis de la déficience en G6PD soit connu. Intérêt du dépistage systématique. Au delà de la problématique palustre, des antibiotiques très couramment utilisés en opérations extérieures dans le traitement des diarrhées invasives, des infections urinaires ou broncho-pulmonaires, ont un potentiel hémolytique important et sont formellement contreindiqués en cas de déficience en G6PD. Les situations d’isolement ou imposant des conditions d’exercice médical parfois sommaires en opérations sont fréquentes. Ceci implique, avec peu de moyens, de prendre en charge eff icacement ou rapidement une Acide pipémidique, Enoxacine, Fluméquine, Loméfloxacine, Moxifloxacine, Ofloxacine (voies orale et injectable), Péfloxacine (voies orale et injectable), Sulfacétamide, Sulfadoxine, Sulfaméthizol. Antidiabétiques oraux Tableau III. Médicaments antipaludiques ayant une interaction avec le déficit en G6PD. Carbutamide, Glibornuride, Gliclazide, Glimépiride, Glipizide. Antipaludéen Cas d’hémolyse aiguë Chloroquine Risque potentiel d’hémolyse Quinine Utilisation possible avec précautions Dihydroquinidine Quinidine Méfloquine Proguanil Quinine. Divers Hydroxychloroquine, Prilocaïne, Phénazone (voie locale), Quinine (dans d’autres indications que le traitement du paludisme). Type 3 : les médicaments déconseillés à dose élevée (c’est-à-dire supérieure à la dose usuelle journalière) : Acide Acétylsalicylique, Acide Ascorbique, Bénorilate, Carbasalate calcique, Paracétamol. 128 j. bancarel hémolyse induite par une thérapeutique. Cette particularité fait poser la question de l’intérêt d’un dépistage systématique avec inscription dans le dossier médical réduit dans le but d’éviter une situation dangereuse. Dans une logique globale de maîtrise des risques et de prévention des accidents liés à l’activité militaire, dans une démarche d’amélioration de l’équipement du combattant et de sa protection, il paraît légitime de s’interroger également sur des évolutions possibles en termes de prédictibilité de certains incidents médicaux. Le cas récent d’un patient originaire du Cantal, hospitalisé à l’Hôpital d’instruction des armées Robert Picqué, qui a contracté un Plasmodium vivax au cours d’une opération extérieure, vient rappeler que le diagnostic peut être fait lors de la recherche opportune d’une éventuelle déficience en G6PD avant mise sous primaquine. Il n’avait jamais eu de manifestation clinique préexistante et son origine du centre de la France n’aurait pas appelé l’attention. Le développement des missions extérieures multinationales et l’engagement des militaires français dans des missions sous mandat international ne permettent pas de présumer de la prise en charge d’un militaire français par nos confrères alliés. Pour ceux-ci, l’absence de notification d’une déficience en G6PD pourrait être interprétée, à tort, comme un équivalent de « G6PD présent ». Cela pose également la question de l’harmonisation des pratiques médicales dans les opérations interalliées, des documents médicaux disponibles (livrets médicaux plus ou moins «réduits»…) et des informations qu’ils contiennent : vaccinations, allergies connues et… déficience en G6PD ? À titre d’exemple, dans le milieu civil, depuis février 2008, le ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports tient à la disposition des praticiens une carte plastifiée à destination de leurs patients porteurs du déficit (15). Elle comporte des informations pour les professionnels de santé amenés à proposer des soins dans le cadre de l’urgence ainsi que des données sur la profondeur du déficit du patient : activité enzymatique, antécédents d’hémolyse… Alors que le coût du dépistage qualitatif par « fluorescent spot test » est modique, celui d’un dépistage par mesure de l’activité enzymatique par spectrophotométrie est de 10,80 euros, lorsqu’il est remboursé par la sécurité sociale (cotation B40, comme une numération formule sanguine avec plaquettes). Son prix de revient pour l’institution militaire serait probablement plus faible, avec un coût intégrant les frais de fonctionnement du laboratoire et les réactifs, évaluée 6 euros. Les armées qui pratiquent de façon systématique le dépistage, plus concernées du fait d’une fréquence de l’anomalie supérieure à celle qui est estimée pour la France, disposent de données fiables quant à la prévalence exacte de l’affection au sein des forces et sur l’intérêt de pratiquer un dosage préventif. Les mesures prises en conséquence permettent de signaler toute déficience et cet aspect devient un critère à prendre en compte dans les décisions de prescription thérapeutique et d’aptitude. Même si la conjonction paludisme grave et déficit en G6PD paraît peu probable pour un militaire français, cette situation n’est pas à exclure. D’après les données démographiques militaires du rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire de 2005 (16), nous pouvons tenter d’estimer le nombre de militaires potentiellement porteurs de la déf icience en G6PD. Près de 350 000 personnels militaires dont 85 % d’hommes sont en service actuellement. Près de 50 000 d’entre eux sont projetés chaque année en opération extérieure ou outre-mer. En retenant la fréquence estimée en France de 0,39 %, et en ne comptant pas le personnel féminin pour lequel l’homozygotie ou l’hétérozygotie symptomatique restent rares, cela conduit à penser que plus de 1 000 militaires masculins sont potentiellement porteurs de l’anomalie. Pour mémoire, la fréquence estimée en Martinique et Guadeloupe est de 12 % et non pas de 0,39 % (5). Par ailleurs, on ne peut pas ignorer que la part de la population française qui puise ses origines dans des zones géographiques où la déficience en G6PD est fréquente est en augmentation. Or la population militaire est un reflet de la population française. La sélection des sujets relevant d’un intérêt particulier de dépistage car pouvant être considérés comme porteurs éventuels de l’anomalie ne peut pas se concevoir en France sur l’appartenance à une ethnie à risque ou sur des origines géographiques particulières. Stratégies de dépistage. La pratique d’un test de dépistage qualitatif faisant appel au « fluorescent spot test » nécessite peu de moyens. Il est facile à réaliser, nécessite une goutte de sang sur un papier absorbant, une lampe à ultra-violet et quelques gouttes de réactifs. Il prend environ quinze minutes et est sensible à 98,2 % et spécif ique à 97,1 % (17). Une campagne de dépistage à grande échelle concernant l’ensemble du personnel militaire est envisageable, y compris dans les services médicaux d’unité, à l’occasion de la visite systématique annuelle. Pour les nouvelles recrues, la réalisation du test peut se faire lors de la visite de sélection. Du fait de l’excellente sensibilité et spécificité du « fluorescent spot test », la pratique du test de référence avec dosage de l’activité enzymatique pourra être réservée aux personnes ayant eu un dépistage qualitatif positif. Il est possible d’avoir, en l’espace d’un an, une image parfaite de la fréquence de l’affection dans l’ensemble des forces armées avec un investissement matériel et humain peu important. Une alternative à la recherche systématique pour tous les militaires, qu’applique l’United States Army, consiste à réserver le dépistage aux militaires partant en opérations extérieures. Cela limite encore plus l’impact financier d’un tel dépistage, d’autant qu’il se fait une fois par individu et que le personnel concerné appartient souvent à des unités opérationnelles identifiées. Le nombre de 50 000 militaires français par an en opérations extérieures est donc à pondérer dans le sens où ce contingent est souvent constitué des mêmes personnes qui partent plusieurs fois en mission dans la même année ou les années suivantes. De plus, il existe vraisemblablement un pool de personnel « mobile » fréquemment engagé en opérations tout comme il doit exister un pool de personnel déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase : intérêt du dépistage systématique dans les forces armées 129 « immobile » pour lequel il n’y a pas de mission extérieure et qui pourrait être exclu de la recherche. Malheureusement, cette méthode ne permet pas d’avoir la connaissance exacte du nombre de militaires concernés dans la population militaire totale. Pour les personnes dépistées comme étant déficitaires, l’instruction 2 100 du 1 er octobre 2003 relative à la détermination de l’aptitude médicale à servir, dans son titre VIII article 203, prévoit une cotation du sigle G entre 2 et 6 en fonction de la gravité de l’enzymopénie (18). Conclusion. Faute de recherche systématique du déf icit en G6PD, nous ne disposons pas de données fiables sur son incidence dans l’armée française. Un dépistage systématique en milieu militaire participerait à la meilleure connaissance de la fréquence de cette affection en France. Susceptible de venir compliquer la mise en place de traitements médicamenteux d’usage courant en opérations extérieures, l’hémolyse induite serait difficile à prendre en charge dans les conditions d’exercice d’un poste isolé. Il paraît possible d’éviter cette situation en dépistant, pour le coût d’une numération formule plaquette, le probable millier de porteurs militaires de l’affection avant un départ en opération extérieure. Dans une logique d’amélioration globale de la sécurité des combattants, le Service de santé des armées peut ainsi trouver sa place sur une voie novatrice de prédictibilité d’accidents médicaux. En dernier lieu, cela peut participer aux travaux d’harmonisation médicale interalliée et favoriser la généralisation de ce dépistage à l’ensemble des forces armées. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Cordes W. 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