Alvina Nancy O’Nyme
L’adresse figurait en haut : île du Nègre, Sticklehaven, Devon…
L’île du Nègre ! Mais on ne parlait plus que de ça dans tous les
journaux ! Il courait dessus toutes sortes de bruits et de ragots
fascinants. Sans doute faux, d’ailleurs, pour la plupart. Ce qu’il y avait
de sûr, c’est que la maison avait bel et bien été construite par un
milliardaire et que c’était, paraît-il, le fin du fin en matière de luxe.
Éreintée par un dernier trimestre scolaire éprouvant, Vera
Claythorne pensa : « Prof de gym dans une école de troisième zone, ce
n’est pas une vie… Si seulement je pouvais, me faire embaucher dans
une boîte pas trop moche ! »
Puis, avec un petit froid au cœur : « Mais j’ai déjà de la chance
d’avoir trouvé ça. Après tout, une enquête judiciaire, ça fait toujours
mauvais effet, même si pour moi ça s’est terminé par un non-lieu ! »
Le coroner l’avait même félicitée pour sa présence d’esprit et son
courage. Ça n’aurait pas pu se passer mieux. Et Mrs Hamilton avait été
la bonté même. Il n’y avait que Hugo qui… mais elle n’allait pas se
mettre à penser à Hugo !
Soudain, malgré la chaleur qui régnait dans le compartiment, elle
frissonna et regretta d’aller à la mer. Une image hantait son esprit : la
tête de Cyril qui jouait les ludions alors qu’il nageait vers le rocher, sa
tête qui dansait comme un bouchon – de haut en bas, de haut en bas…
Et elle qui nageait à la rescousse à larges brasses maîtrisées, qui
fendait l’eau dans le sillage du gamin tout en sachant pertinemment
qu’elle ne le rattraperait que trop tard…
La mer… son bleu chaud et profond… les matinées passées à
lézarder sur la plage… Hugo… Hugo qui lui avait dit qu’il l’aimait…
Il ne fallait pas qu’elle pense à Hugo…
Elle rouvrit les yeux et, sourcils froncés, regarda l’homme qui était
assis en face d’elle. Un grand type au visage boucané, aux yeux clairs
assez rapprochés, à la bouche arrogante, presque cruelle.
« Je parie qu’il a roulé sa bosse dans des régions peu banales, et
qu’il y a vu des choses pas banales non plus… »
*