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Les prérequis du langage
japonais), Fernald et al. (1989) ont observé que, face à des langues non familières,
comme l’allemand et l’italien, les enfants ont présenté des réponses semblables à
celles que provoque leur langue maternelle. En revanche, quand les bébés ont été
exposés au japonais, ils ont réagi de manière affectivement indifférenciée aux pro-
ductions d’approbation et d’interdiction. La justification de ce comportement
réside dans le fait que les modulations produites par les mères japonaises, princi-
palement en ce qui concerne la variation de la hauteur, sont moindres que dans la
parole maternelle de mères américaines, allemandes ou italiennes. Ainsi, les voca-
lisations japonaises seraient plus difficiles à distinguer par les bébés américains,
habitués à des variations plus importantes de hauteur dans leur langue maternelle.
Âgés de cinq mois, ils avaient été exposés pendant une période assez longue à la
langue maternelle. Ces données montrent que les bébés américains identifient des
vocalisations maternelles dans certaines langues mais pas dans toutes. Cela suggère
que des différences culturelles de nature et d’extension de l’expressivité émotion-
nelle peuvent, assez tôt, exercer une influence sur la réponse des enfants aux
signaux vocaux. Un processus de « calibrage » culturel peut être responsable de ces
différences entre les langues. Dans toutes les cultures, les bébés sont d’abord sen-
sibles aux mêmes indices vocaux. Cependant, des différences culturelles dans les
règles qui gouvernent les expressions émotionnelles peuvent déterminer le type
d’intensité émotionnelle auquel le bébé est exposé, ainsi que le type d’attente qu’il
peut former à ce sujet lorsqu’il est en interaction avec des adultes. Ces explications
de Fernald soulignent l’impact de l’environnement sur l’enfant: la prédisposition
innée existe, mais ce qui va conduire l’échange c’est l’environnement linguistique
auquel l’enfant est exposé –ici la prosodie conventionnelle propre à sa langue
maternelle. Il y aurait donc une prédisposition innée à l’acquisition de la prosodie,
dont le stimulus déclencheur reposerait sur des contenus prosodico-affectifs spéci-
fiques, considérés comme universaux. Mais les modulations de la parole maternelle
adressée à l’enfant ne sont pas les mêmes dans toutes les cultures et dans toutes les
langues.
Si la prosodie s’avère d’une telle importance, il faut accorder cependant une
certaine attention aux expériences culturelles dans lesquelles les enfants
apprennent leurs langues. Le langage adressé à l’enfant (LAE) peut être fortement
découragé ou est quasi absent, Schieffelin (1985). Les mères Quiche Maya parlent
peu à leurs bébés rapportent Ratner&Pye, (1984). Des différences culturelles
peuvent varier considérablement d’une société à l’autre (Ochs, 1982, Rogoff,
2003). Dans des cultures non occidentales, aussi bien en Océanie qu’en Afrique,
le bébé passe, par exemple, plus de temps avec des multi locuteurs, qu’un seul
interlocuteur avec un adulte. En dépit de ces différences, dans lesquelles les
enfants évoluent, tous construisent le langage parlé dans leur environnement. La
manière dont les enfants apprennent leur langage dépend à la fois de l’interaction
et de la cognition sociale.
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