0 Géologues Couv.194 26/09/2017 9:55 Page 1 Géologues n°194 (03 • septembre 2017) Numéro 194 - septembre 2017 - 20 € - ISSN 0016.7916 - Trimestriel REVUE OFFICIELLE DE LA SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE DE FRANCE Géosciences appliquées Cliché : H. Ouanaimi. REVUE OFFICIELLE DE LA SOCIÉTÉ GÉOLOGIQUE DE FRANCE Haut Atlas de Marrakech, à 10 km au NO du col de Tizi n’Tichka. Cliché : H. Ouanaimi. Le Maroc, paradis des géologues 0 Géologues Couv.194 26/09/2017 9:55 Page 2 Éditorial Géologues directeur de publication : Sylvain CHARBONNIER rédacteur en chef : Marc BLAIZOT chargé de missions : Gérard SUSTRAC comité de rédaction : • section géologie de l’ingénieur Marc BRISEBARRE Marianne CHAHINE Denis FABRE • section eau Jean-Pierre FAILLAT Anthony LE BEUX Lahcen ZOUHRI • section géophysique Antoine BOUVIER Christian HERISSON Jean-Marc MIEHE • section substances minérales Michel JÉBRAK Christian POLAK Véronique TOURNIS • section énergie Jean-Jacques JARRIGE Alain MASCLE Valérie VÉDRENNE • section enseignement et recherche Christian BECK Roselyne FRIEDENBERG Didier NECTOUX Cyril SCHAMPER mise en page et couverture : COM’IN - 45000 ORLEANS Géologues est la revue officielle de la Société Géologique de France. Géosciences Appliquées. Association loi de 1901, fondée en 1830 et reconnue d’utilité publique par Ordonnance du Roi du 3 avril 1832. siège social : 77, rue Claude Bernard - 75005 PARIS Téléphone : 01 43 31 77 35 Télécopie : 01 45 35 79 10 E mail : [email protected] Site Internet : www.geosoc.fr Imprimé en France par CHEVILLON IMPRIMEUR 89101 SENS Commission paritaire CPPAP n°0120G82626 Tirage : 700 exemplaires Dépôt légal à parution Marc Blaizot 1 , Rédacteur en chef de « Géologues » Michel Jebrak 2 , Membre de la section Substances minérales de « Géologues » ’est unanimement et avec enthousiasme que le comité de rédaction a décidé de lancer ce numéro spécial intitulé « Le Maroc, paradis des géologues », reprenant le principe des numéros régionaux sur lequel “Géologues” avait beaucoup misé, il y a 5 à 10 ans,à la grande satisfaction de ses lecteurs qui y font toujours référence. Nous avons « seulement » étendu le concept de région à un pays tout entier englobant du même coup, beaucoup de provinces géologiques, du Maroc méditerranéen au Maroc africain en passant par le Maroc atlantique et le Maroc alpin et intégrant aussi de facto, à travers cet exemple particulièrement pédagogique, toute l’histoire géologique de la Planète, du Précambrien au Quaternaire. S’inscrire, à travers ce numéro « national », dans une si longue période de temps et dans un si vaste et si varié territoire, c’était aussi permettre à tout géologue, dans tous ses domaines de prédilection, de se mobiliser, soit pour être rédacteur didactique, soit pour être lecteur avisé. Car au-delà de l’immense intérêt de la géologie marocaine, cela a été la raison de cette escapade hors de France : diffuser plus largement la revue en étendant son lectorat au public francophone international et faire participer une nouvelle communauté de rédacteurs, marocains pour l’essentiel. Que nos collègues qui ont répondu si tôt et si profondément présents, en particulier André Michard, cheville ouvrière de ce numéro, soient ici remerciés : sans leur implication depuis plus d’un an, ce numéro n’aurait pas pu naître et n’aurait pas bénéficié de tous leurs résultats et découvertes récentes, qui en font, croyons-nous, tout son attrait. Nos collègues marocains ont démontré la variété de leurs compétences et leur enthousiasme. On verra en effet, à travers tous ces articles, que tant la géologie fondamentale que la géologie appliquée trouvent au Maroc un champ de réflexions et d’actions privilégié et que, surtout, elles se nourrissent l’une l’autre. C’est particulièrement le cas des recherches fondamentales et des réalisations industrielles innombrables dont on trouvera des exemples tant en aménagements qu’en hydrogéologie, qui se sont multipliés ces 20 dernières années, dans un pays à la croissance quasi ininterrompue. Un peu partout, la géologie régionale a profité des données acquises et des interprétations réalisées dans les géosciences appliquées : qu’on songe à l’ensemble des bassins sédimentaires français dont la connaissance a été amplifiée et parfois révolutionnée par l’exploration pétrolière et minière et les avancées majeures qu’elles ont permises en géologie fondamentale, géophysique, géochimie, cartographie ou modélisations dont le dernier numéro de Géologues s‘est fait largement l’écho. Le prochain pas en avant, pour le bassin de Paris, sera bien sûr, l’intégration des données acquises dans le cadre du projet du Grand Paris, qui seront mises, grâce à l’action de la SGF et au soutien bienveillant de la Société du Grand Paris, à la disposition des universitaires. Ce numéro veut ainsi participer pleinement à cette relation forte, indispensable entre géologie fondamentale et géologie appliquée, pierre angulaire de la SGF renouvelée et renforcée depuis sa fusion avec l’UFG. Il nous semble d’ailleurs, que c’est pour la revue “Géologues”, une option stratégique dont nous aurons, à travers l’enquête que nous allons lancer auprès de vous, fin 2017, l’occasion de reparler et de débattre. Puisse ce nouveau numéro spécial « Maroc », fruit de cette coopération internationale entre tous les géologues quelle que soit leur discipline, être une première brique et fasse des émules pour d’autres numéros « nationaux » dans les années qui viennent ! Bonne lecture ! Bon voyage ! C 1 1. Courriel : [email protected] 2. Courriel : [email protected] Première de couverture : La série crétacée du flanc sud du synclinal d’Aït Attab (Haut Atlas central). Voir l’article de Charrière et Haddoumi, dans ce volume (cliché A. Charrière). Géologues n°194 annonceurs TOTAL ...................................................................................... 2ème de couverture SGF ................................................................................................ 3ème de couverture Organismes bienfaiteurs ACG Sol ENGIE SCHLUMBERGER [email protected] Site en construction www.gdfsuezep.com www.slb.com ANDRA GEOPLUSENVIRONNEMENT SOFRECO www.geoplusenvironnement.com www.sofreco.com IMS RN TOTAL www.imsrn.com www.total.com www.andra.fr AREVA www.areva.com LABEX VOLTAIRE BRGM www.brgm.fr www.univ-orleans.fr/ investissements-avenir/voltaire COTRASOL LUNDIN www.cotrasol.fr www.lundin-petroleum.com Insertions publicitaires par numéro, année 2017 Fourniture d’un fichier PDF en haute définition 4ème de couverture couleur....................1500 € HT 2ème et 3ème de couverture couleur ........1200 € HT Demi-page couleur (18 x 12 ou 24 x 8 cm) .................350 € HT Page interne couleur (18 x 24 cm) ........1000 € HT Quart de page couleur (12 x 8 ou 18 x 6 cm) ...........200 € HT abonnez-vous à “Géologues” Nom : Prénom : N° de tél. : E-mail : ❑ Souhaite m’abonner pour 1 an (4 numéros) à la revue “Géologues” au tarif qui correspond à ma situation : Tarif public Tarif adhérent SGF Tarif adhérent d’une association partenaire* France 70 € 35 € 53 € Étranger 82 € 48 € 65 € 60 € 30 € 50 € Tarifs d’abonnement 2017 Version Papier + version électronique offerte Version électronique (entourer le tarif correspondant à la version choisie ainsi qu’à votre situation) * Merci d’indiquer le nom de l’association partenaire de la SGF : € Je règle la somme de ❑ à réception de facture, établie suite à un bon de commande ❑ par chèque, à l’ordre de la SGF Nom : N° : |__||__||__||__| |__||__||__||__| |__||__||__||__| |__||__||__||__| Date de validité : 2 ❑ par carte bancaire : ❑ Visa ❑ Eurocard-Mastercard / / N° de sécurité : (3 chiffres au dos de la carte) Signature : Expédition de la revue à l’adresse suivante : Adresse : Code postal : Ville : Pays : À renvoyer à : Société Géologique de France, 77 rue Claude Bernard - 75005 Paris [email protected] ☎ +33 1 43 31 77 35 4 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents 68 hydrogéologie Les grandes régions géologiques du Maroc ; diversité et soulèvement d’ensemble .......................................................... 4 Apports de la géologie du Maroc à la gestion et la planification de ses ressources en eau souterraine ........................................................ 68 André Michard, Omar Saddiqi, Yves Missenard, Mostafa Oukassou, Jocelyn Barbarand Omar Fassi Fihri Rif externe : comment comprendre et expliquer le chaos apparent ? .................................................................. 13 Évaluation du potentiel des ressources en eau souterraine d’un bassin hydrogéologique d’extension régionale. Cas du bassin du Sebou (Maroc) .................................................................. 73 Dominique Frizon de Lamotte, Mohamed Najib Zaghloul, Faouziya Haissen, Geoffroy Mohn, Remi Leprêtre, Oriol Gimeno-Vives, Achraf Atouabat, Mohamed El Mourabet, Anass Abassi Mohamed Sinan, Abdessadek Chtaini, J. Filali Jaouad Déformation active du Rif : GPS, sismicité et géologie montrent l’expulsion d’un coin crustal sud-occidental ........................ 16 Fouad Amraoui Utilité du monitoring des forages d’exploitation d’eau pour la rationalisation de l’irrigation agricole au Maroc ...................... 78 Ahmed Chalouan, Jesus Galindo-Zaldivar, Antonio J. Gil, Kaoutar Bargach Apport des outils isotopiques à la compréhension du fonctionnement des aquifères marocains et à la quantification de leurs ressources - Cas du Bassin de Sebou .......................................... 83 La Meseta, un terrain vagabond ou la marge fragmentée de l’Anti-Atlas ? ............................................................................ 19 Soumaya Sefrioui, Omar fassi Fihri et Hamid Marah Christian Hoepffner, Hassan Ouanaimi et André Michard La tectonique de l’Atlas : âge et modalités .............................................. 24 Hassan Ibouh et Driss Chafiki Dater les couches rouges continentales pour définir la géodynamique atlasique .................................................. 29 André Charrière et Hamid Haddoumi Le Précambrien à la bordure nord du craton ouest-africain (Anti-Atlas et Haut Atlas, Maroc) ................................................................ 33 Abderrahmane Soulaimani, Kevin Hefferan Dorsale Reguibat et Massif des Oulad Dlim, l’avancée des connaissances ........................................................................ 37 Pilar Montero, Fernando Bea, Faouziya Haissen, José Francisco Molina-Palma, Francisco González-Lodeiro, Abdellah Mouttaqi, Abdellatif Errami 87 aménagements et géotechnique Activités néotectoniques et mouvements de terrain dans le Prérif (Secteur de l'autoroute Fès-Taza, Nord Maroc) .............. 87 Hassan Tabbyaoui, Benoît Deffontaines, Fatima El Hammichi, Abdel-Ali Chaouni et Samuel Magalhaes Étude de l’érosion pluviale des talus autoroutiers au Maroc et proposition d’un système de protection par arcades bétonnées : application aux sections Tanger-Port Tanger Med et Fès-Taza .......... 93 Amal Chehlafi, Azzouz Kchikach et Abdelkrim Derradji La construction des barrages et la politique de mobilisation des eaux de surface au Maroc .................................................................. 100 Khalid El Ghomari et 47 métallogénie substances minérales Adaptations d’un projet de barrage en cours de construction : l’exemple du barrage de Moulay Bouchta en zone de flysch altéré .............................................................................. 106 Ahmed F. Chraibi et Abdelaaziz Zaki Géodynamique et cyclicité métallogénique au Maroc ........................ 47 Dominique Gasquet et Alain Cheilletz Les mines et la métallogénie du Maroc .................................................... 52 Michel Jébrak Les dérangements de la série phosphatée dans le district minier de Khouribga (Maroc) : une esquisse de leur origine et de leurs méthodes de cartographie sous couverture quaternaire .................... 54 Nadia El Kiram, Azzouz Kchikach, Mohamed Jaffal, José Antonio Pena, Teresa Teixido, Roger Guerin, Oussama Khadiri Yazami et Es-Said Jourani Les schistes bitumineux au Maroc ............................................................ 63 Laurent de Walque 112 patrimoine géologique Patrimoine géologique marocain et développement durable : l’exemple du Dévonien du Tafilalt, Anti-Atlas oriental ........................ 112 Ahmed El Hassani, Sarah Aboussalam, Thomas Becker, Mohamed El Wartiti et Farah El Hassani Les marqueurs permiens comme patrimoine géologique à promouvoir et à protéger dans le massif hercynien du Maroc central ............................................................................................ 118 Mohammed El Wartiti, Mohamed Zahraoui et Ahmed El Hassani 3 Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Les grandes régions géologiques du Maroc ; diversité et soulèvement d’ensemble André Michard 1 , Omar Saddiqi 2 , Yves Missenard 3 , Mostafa Oukassou 4 , Jocelyn Barbarand 5 . « Maroc, le paradis des géologues ! » Le pays est tellement étendu du nord au sud, des chaînes méditerranéennes au craton de l’Afrique occidentale, et son relief est si accentué (n’y trouve-t-on pas le plus haut sommet non volcanique d’Afrique, le J. Toubkal, 4167 m ?) que presque toutes les roches de nature et d’âge variés, presque toutes les structures s’y trouvent directement observables. Climat favorable, végétation pas trop dense, hospitalité proverbiale des habitants, infrastructure routière et hôtelière excellente, voici qui complète l’attrait que ce pays exerce sur les géologues et les paléontologues du monde entier. Last but not least, les études géologiques y ont été développées très tôt (création du premier Service des Mines et de la Carte géologique en 1921 sous l’impulsion de Lyautey ; publication de six cartes au 1/500 000 couvrant le pays en 1952 au Congrès d’Alger ; cf. Missenard et al., 2008 ; Medioni, 2011) et se sont poursuivies sans relâche. Qui veut aborder le Maroc aujourd’hui dispose d’une carte d’ensemble au 1/1 000 000 (1985), de nombreuses cartes au 1/200 000 ou au 1/100 000, de cartes thématiques diverses (magnétiques,géochimiques, etc.) et surtout de cartes au 1/50 000 couvrant déjà l’essentiel du pays et dont le lever, commencé au nord dès l’Indépendance, se poursuit encore activement (www.mem.gov.ma). La bibliographie géologique du Maroc, déjà très riche, ne cesse d’augmenter du fait même de l’intérêt que le pays présente pour les chercheurs. Des questions stimulantes telles que la structure des chaînes de montagne ou les crises biologiques trouvent des éléments de réponse dans ce pays. Encore ne parle-t-on ici que de géologie fondamentale ! Le Maroc est aussi un pays minier, la prospection des hydrocarbures y est active offshore et onshore, et les problèmes d’hydrogéologie ou de géologie appliquée y sont prégnants. 4 Quels sont les grands traits de la géologie du Maroc ? Où aller la découvrir de préférence ? Deux ouvrages récents répondent à ces questions : un ouvrage collectif en anglais (Michard et al., eds., 2008) et une série de guides géologiques en français (Michard et al., eds., 2011). Ici, nous résumons d’abord les grands traits de la géologie du pays, région par région, en nous appuyant sur quelques cartes et coupes générales. Cette introduction servira de base aux articles suivants, qui ciblent les points acquis récemment et les chantiers en cours d’étude dans chacune de ces régions. Cependant, à la fin de cette introduction, nous nous arrêterons aussi sur une question fondamentale, celle des mouvements verticaux qui ont affecté presque toutes les régions géologiques du Maroc au cours des temps post-hercyniens,provoquant des lacunes stratigraphiques majeures et finalement un relief très contrasté. Cette question a justifié de nombreuses recherches ces dernières années, et a conduit à s’intéresser non seulement aux roches présentes en surface, mais jusqu’aux anomalies du manteau. Figure 1. Le relief du Maroc et des pays voisins au NW de l’Afrique (Michard et al.,2008). Le Rif et les Cordillères bétiques du sud de l’Ibérie forment l’arc de Gibraltar, l’un des oroclines les plus refermés au monde. 1. Professeur émérite à l’Université de Paris-Sud, ex-directeur du Laboratoire de Géologie structurale de Strasbourg. Courriel : [email protected] 2. Professeur à l’Université Hassan II de Casablanca, Doyen de la Faculté des Sciences Aïn Chock. Courriel : [email protected] 3. Professeur à l’Université Paris-Sud, Département des Sciences de la Terre, Faculté des Sciences d’Orsay. Courriel : [email protected] 4. Professeur à l’Université Hassan II de Casablanca, Faculté des Sciences Aïn Chock. Courriel : [email protected] 5. Professeur à l’Université Paris-Sud, Département des Sciences de la Terre, Faculté des Sciences d’Orsay. Courriel : [email protected] Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Généralités Les domaines géologiques du Maroc se lisent dans son relief (Fig. 1). Ils sont au nombre de cinq, du sud au nord : le domaine saharien, correspondant au Craton Ouest-Africain (en anglais : le WAC) ; l’Anti-Atlas et les bassins qui le bordent localement (Sous et Ouarzazate) ; le système des Atlas (Haut Atlas, Moyen Atlas), qui s’étend vers l’est en Algérie et Tunisie, alors que l’Anti-Atlas est une spécificité marocaine ; les massifs anciens du domaine de la Meseta, en partie cachés sous des plateaux et qui forment le socle des Atlas ; le Rif, branche sud de l’Arc de Gibraltar et extrémité occidentale des chaînes alpines de Méditerranée occidentale. Cependant, à ces cinq domaines majeurs, constitutifs du continent, vient s’ajouter un sixième domaine qui les prend tous en écharpe de manière plus ou moins complexe : la marge atlantique, dont la partie proximale est visible à terre, et qui n’est restée une marge passive typique qu’au sud de l’Atlas. Les domaines géologiques si visibles dans le relief du Maroc se calquent sur autant de domaines structuraux (Fig.2). Tout au sud, dans le craton, l’histoire tectonique commence à l’Archéen, il y a quelque 3 Ga, pour se poursuivre par la collision paléoprotérozoïque fondatrice du craton vers 2 Ga. Ensuite, plus de trace d’orogenèse, sauf sur les bords. Dans l’Anti-Atlas,l’histoire enregistrée débute au Paléoprotérozoïque (c’est le bord nord du craton), avant d’être marquée par le cycle orogénique panafricain qui s’étale entre 760 et 550 Ma. Plus au nord encore, mais aussi à l’ouest, l’orogenèse hercynienne ou varisque (360-290 Ma) s’exprime fortement dans les massifs mésétiens, dans le socle atlasique et dans les nappes des Mauritanides septentrionales (Oulad Dlim). La chaîne varisque, comme la chaîne panafricaine avant elle,tend à se mouler sur le craton.Enfin, le cycle orogénique alpin va faire surgir les Atlas et le Rif au Cénozoïque (depuis ~35-40 - Ma), avec deux styles différents : une chaîne intracontinentale dans le domaine atlasique,dont les unités sont essentiellement autochtones ;une chaîne alpinotype dans le Rif, dont tous les éléments sont charriés sur la marge africaine,certains,les plus internes,provenant même de la marge européenne de la Téthys. Le domaine saharien Le domaine saharien du Maroc comporte trois parties (voir Fig. 2), d’est en ouest et du plus profond au plus superficiel : 1) une partie orientale appartenant au Craton Ouest-Africain, 2) une partie centrale où affleurent les nappes des Mauritanides, charriées sur le craton, et 3) une partie occidentale constituée des terrains d’âge CrétacéTertiaire appartenant à la marge atlantique proximale. Le craton Figure 2. Les domaines structuraux du Maroc et des régions voisines, résultat d’une évolution géologique commencée il y a 3 Ga (Archéen du Craton Ouest-Africain). Hachures: zone des Sferiat, à unités chevauchantes archéennes découpées pendant la collision éburnéenne. FSA : Faille sudatlasique. AAMF : Accident majeur de l’Anti-Atlas ; BC : Bloc côtier ; Jb : Jebilet ; MC : Meseta centrale ; MSZ : Suture mésorifaine ; OZZ : Ouarzazate ; R : Rehamna ; T : Tazekka ; Ta : Tamelelt. D’après Michard et al., 2011. Les traces 3 (A, B) à 8 localisent les coupes des figures suivantes. Il correspond à une petite partie de la Dorsale ou Bouclier Reguibat, montrant ici les terrains archéens du noyau du Craton Ouest-Africain, avec des âges autour de 3 Ga. Le reste de la dorsale, affleurant en Mauritanie et en Algérie, est fait de terrains paléoprotérozoïques soudés au noyau archéen lors de l’orogenèse éburnéenne-birrimienne, vers 2 Ga. Les terrains archéens de la dorsale affleurent au Maroc autour d’Aoussert (Awsard) et Tichla (Rjimati et al., 2011). Ils comportent un large éventail de granites, migmatites et intrusions diverses, et des éléments de ceintures de roches vertes (Tichla). Plus au sud, en Mauritanie (région du Tasiast-Tijirit-Chami), ces terrains ont été datés récemment à 2,97 Ga pour les migmatites, à 2,96 pour les volcanites acides de la ceinture de Chami (Key et al., 2008). La ceinture de roches vertes du Tasiast est considérée comme charriée vers l’ouest avant 2,83 Ga (Heron et al., 2016). Au Maroc, les roches archéennes de la région d’Awsard-Tichla ainsi que celles des unités charriées les plus basses ont fait l’objet d’une cartographie au 1/50.000 (Rjimati et al., 2002 à 2011), puis ont été étudiées en détail du point de vue géochimique et géochronologique, comme exposé plus loin (Montero et al., ce vol.). Géologues n°194 5 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Les nappes des Oulad Dlim-Adrar Souttouf Le massif des Oulad Dlim-Adrar Souttouf permet d’observer l’extrémité septentrionale de la chaîne des Mauritanides, une « chaîne de montagnes » qui ne dépasse guère 400 m d’altitude, formée d’unités charriées vers l’est sur le bord du craton. Cette chaîne au sens tectonique du terme s’allonge sur plus de 1500 km vers le sud jusqu’au Sénégal, pour une largeur généralement voisine de 150 km. L’empilement des unités qui la forment et leur charriage sur le craton résultent pour une part de l’orogenèse varisque, comme le montre l’implication du Dévonien dans ses unités frontales (Fig. 3) ainsi que les mesures K/Ar et 40Ar/39Ar de 310-290 Ma, obtenues dans les unités internes (Villeneuve et al., 2006 ; Caby & Kiénast, 2009). Des assemblages métamorphiques de haute pressionbasse température,attribuables à l’orogenèse varisque,ont été mis en évidence en Mauritanie (Le Goff et al., 2001 ; Caby & Kiénast, 2009). Cependant, cette chaîne porte aussi témoignage d’événements néoprotérozoïques rattachés à l’évolution de la chaîne panafricaine et révélés par la géochronologie U-Pb zircon. Montero et al. (ce vol.) brossent l’état des lieux concernant les nappes des Oulad Dlim,notamment la nature et l’âge de leur matériel. Du point de vue structural, le transect des Oulad Dlim est remarquable parce que les nappes crustales métamorphiques se superposent directement par endroit sur la croûte de leur avant-pays, sans interposition d’unités sédimentaires parautochtones. C’est le cas au sud, au niveau de Tichla, tandis que vers le nord des écailles de métaquartzites attribuables au Cambrien (Gärtner et al., 2017) et une mince semelle siluro-dévonienne plissée 6 s’intercalent entre la première nappe de socle et les quartzites conglomératiques de l’Ordovicien supérieur, discordants sur l’Archéen (voir Fig. 3A). Ce n’est que plus au nord encore (Dhlou, Zemmour) que la couverture du craton s’épaississant, une chaîne plissée d’avant-pays apparaît au front des nappes (Fig. 3B), annonçant le passage vers l’Anti-Atlas. La réduction extrême de la couverture du craton sur le transect des Oulad Dlim s’explique d’abord par l’érosion glaciaire ordovicienne ayant précédé le dépôt des quartzites conglomératiques, ensuite par une subsidence particulièrement faible de la région au Paléozoïque moyen, peut-être du fait de sa position en épaulement de la marge de l’océan Rhéique. La marge atlantique au sud de l’Atlas La marge atlantique du Maroc (Hafid et al., 2008 ; Klingelhofer et al., 2016) s’est formée suite au rifting du Trias lors de l’ouverture de l’Atlantique Central, rifting culminant avec les émissions basaltiques de la CAMP (Central Atlantic Magmatic Province) vers 200 Ma. La partie saharienne de la marge (Fig. 4) montre les dépôts synrifts du Trias, recouverts par une plateforme carbonatée jurassique tronquée par les couches détritiques du Crétacé inférieur, continentales dans le domaine proximal, et suivis enfin par les séries marines du Crétacé supérieur et du Tertiaire. Au sud de l’Atlas, cette série de marge passive est seulement déformée par la tectonique salifère (Tari et al., 2003 ; Davison & Dailly, 2010). L’instabilité gravitaire liée aux pentes du talus détermine en outre la déformation des couches éocènes à quaternaires (Benabdellouahed et al., 2016). Figure 3. Le front des nappes mauritaniennes et leur avant-pays cratonique à Aousserd (A) et Guelta Zemmour (B), d’après Michard et al. (2010). Le domaine cratonique est colorié, les nappes et les terrains paléozoïques décollés sont laissés en blanc.. Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Figure 4. Coupe des séries sédimentaires de la marge atlantique à Tarfaya, dans la partie nord du bassin de Boujdour (Hafid et al., 2008). L’Anti-Atlas Entre l’embouchure de l’oued Dra et la hamada du Guir à l’ouest de Béchar (voir Fig. 1), l’Anti-Atlas apparaît comme une chaîne montagneuse trapue (750 x 150 km) et d’altitude moyenne, modérée. Elle culmine à 3 200 m au J. Siroua, là où elle est collée au Haut Atlas, au sud de Marrakech (voir Fig. 2). L’axe le plus surélevé de l’Anti-Atlas est marqué par l’alignement des « boutonnières » (des massifs généralement en creux) qui font affleurer le socle précambrien métamorphique sous les terrains paléozoïques plissés (Fig. 5). Sur le flanc nord de la chaîne, les couches crétacées et tertiaires des deux bassins du Sous (Agadir) et de Ouarzazate montrent un pendage nord et s’appuient en discordance sur le Paléozoïque déformé. Ainsi l’AntiAtlas est une « poupée-gigogne » géologique : une montagne surélevée au Cénozoïque à l’instar de l’Atlas,reprenant une ancienne chaîne hercynienne,elle-même superposée à un domaine complexe où se trouvent les témoins de deux cycles orogéniques précambriens, celui du Néoprotérozoïque, qui a édifié l’immense chaîne panafricaine, et celui du Paléoprotérozoïque, qui a présidé à l’édification du craton ouest-africain. Le résumé des connaissances actuelles sur la chaîne panafricaine de l’Anti-Atlas est présenté plus loin par Soulaimani et al. (ce vol.). Quant à l’orogenèse varisque, elle reste ici modérée : l’Anti-Atlas correspond à une chaîne d’avant-pays au front des zones métamorphiques des Mauritanides, à l’ouest, et du domaine de la Meseta, au nord. Cette chaîne montre un style « pachydermique » (thick-skinned) dans la mesure où la déformation implique son socle (voir Fig. 5). Les accidents du socle précambrien sont réactivés au cours de l’évolution paléozoïque (Soulaimani et al., 2014), d’abord en failles normales (rifting cambrien), puis en failles inverses décrochantes (collision varisque), aboutissant à un canevas de plis complexes. La complexité du plissement est d’autant plus importante (figures d’interférence) que la direction de compression semble tourner pendant le Carbonifère supérieur-Permien inférieur, passant de la direction NW-SE (Anti-Atlas occidental) à la direction N-S puis NE-SW dans le Tafilalt et l’Ougarta (Baidder et al., 2016). Le domaine mésétien Ce domaine se définit dans les massifs anciens où les terrains paléozoïques sont affectés de plissements Figure 5. Coupe du flanc sud de l’Anti-Atlas occidental, d’après Burkhard et al. (2006), modifiée in Michard et al. (2010). Localisation : Fig. 2. Abréviations : Fig. 3, sauf PIII = ancienne désignation de l’Ediacarien supérieur discordant. Géologues n°194 7 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents de la Meseta occidentale ou la zone de faille du Tazekka, 2) l’étalement des phases de compression syn-métamorphiques avec une phase précoce dans le bloc Sehoul (granite à 367 Ma ;Tahiri et al., 2010) et dans la Meseta orientale, avant la transgression du Dinantien (Hoepffner et al., 2006 ; Michard et al., 2010), 3) l’importance du magmatisme synorogénique, avec un magmatisme gabbroïque précoce, dévono-dinantien, et un magmatisme granitique syn- à posttectonique. Les plus vieux terrains à l’affleurement sont d’âge Ediacarien supérieur. La présence d’une croûte précambrienne ancienne de type gondFigure 6. A : Coupe schématique de l’orogène mésétien (Hoepffner et al., 2006). B : Coupe générale de wanien est attestée par l’âge des zircons la chaîne varisque marocaine replaçant la coupe A dans son cadre général à la fin du Paléozoïque (Michard et al., 2010). TFZ : Zone de faille du Tazekka, coïncidant avec la zone de racine des nappes, hérités (2000 Ma, 700 Ma), ramenés charriées vers l’ouest. Abréviations stratigraphiques usuelles en anglais. S1, S2 : clivage schisteux par diverses roches magmatiques (e.g., éovarisque/varisque. Dostal et al., 2005), bien que cette croûte ancienne ait été profondément intenses synmétamorphiques et recoupés par de vastes rajeunie pendant les phases de subduction et de collision intrusions granitiques. Il appartient à la chaîne varisque varisque. ou hercynienne qui s’allongeait d’Europe en Afrique La chaîne mésétienne arasée au Permien constitue occidentale après la collision Laurussia-Gondwana. Les en règle générale le socle du système des Atlas. Le Massif terrains primaires les plus jeunes sont ceux des fossés ancien du Haut Atlas occidental, le massif du Tazekka, les permiens volcano-détritiques, liés à des décrochements tardi-hercyniens. Ce socle paléozoïque forme des massifs (Massif central, Rehamna, Jebilet, Bloc côtier ; voir Fig. 2) entourés par les couches discordantes des bassins triasiques ou des plateaux crétacés-tertiaires (dont le fameux Plateau des Phosphates entre le Massif central et les Rehamna), ou encore des bassins miocènes (celui de Fès-Meknès au nord,du Tadla et de Marrakech au sud). Le même socle varisque se retrouve en massifs dispersés dans le domaine atlasique, où ce sont des dépôts triasiques et jurassiques qui le recouvrent. En interpolant les données d’un massif à l’autre, il est possible de proposer une coupe de l’orogène mésétien (Fig. 6A), et de replacer celle-ci dans l’ensemble de la chaîne varisque marocaine (Fig. 6B). 8 Le contraste est frappant avec la chaîne plissée d’avant-pays de l’Anti-Atlas (voir Fig. 5). On note en particulier : 1) le découpage de l’orogène par des failles majeures comme la Zone de cisaillement Géologues n°194 Figure 7. Coupes du Haut Atlas central (A) et de l’Atlas de Marrakech (B), respectivement d’après Michard et al. (2011) et Missenard et al. (2007). C : Coupe du rift triasique sur le transect oriental de l’Atlas de Marrakech vers la transition Trias-Lias (200 Ma), d’après El Arabi (2007), in Frizon de Lamotte et al. (2008). I-V : succession des séquences continentales du Permien (I) et du Trias (II-V). En vert : trapps basaltiques et dykes de la CAMP. géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents horsts du Moyen Atlas nord-oriental, le massif de Midelt, le nord du Tamelelt dans l’Atlas oriental appartiennent au socle mésétien. En revanche, le socle du Haut Atlas de Marrakech présente une géologie de type anti-atlasique, sans empreinte métamorphique varisque : c’est le « promontoire de l’Ouzellarh » où se trouve le J. Toubkal. Une faille varisque majeure le sépare de l’orogène mésétien, la Faille sud-mésétienne (SMF), qui inclut à l’ouest la faille du Tizi n’Test mais se poursuit vers l’est jusqu’en Algérie. Les relations paléogéographiques entre Meseta et Anti-Atlas ont été récemment éclairées par les études stratigraphiques et structurales, comme l’exposent plus loin Ouanaimi et Hoepffner (ce vol.). Les couches de houille du Carbonifère supérieur ont été exploitées dans la Meseta orientale (Jerada), et les minéralisations sulfurées liées au magmatisme de la Meseta occidentale ont un intérêt économique important. Cependant, la chaîne varisque marocaine dans son ensemble offre bien des sujets d’étude de géologie fondamentale, qu’il s’agisse de l’interprétation de la culmination métamorphique des Rehamna et des Jebilet (Wernert et al., 2016 ; Delchini et al., 2016), des corrélations avec la chaîne varisque d’Europe et de la tectonique des plaques associée à cette orogenèse (Kroner, 2016). Le système des Atlas Tazekka, où s’enracinent les nappes varisques, et de la zone faillée de Meseta occidentale. L’organisation des montagnes atlasiques est marquée par la prédominance de failles longitudinales, héritées des failles normales du rift correspondant. Ces failles normales découpaient des blocs allongés et plus ou moins basculés transversalement. Ce découpage va guider en partie la répartition des plis atlasiques, caractérisés par des anticlinaux aigus entre de larges synclinaux à fond plat (Fig. 7). Le rifting triasique s’est trouvé réactivé au Lias, avec une reprise du volcanisme associé. Le remplissage marin du rift se poursuit jusqu’au Jurassique moyen, avec des dépôts plus épais et en général plus profonds dans l’axe du bassin. Dans le même temps, le sel triasique sousjacent commence à fluer et à s’organiser en diapirs au-dessus des failles. Une régression s’installe au Jurassique moyen, enregistrée par le dépôt de couches rouges. Cellesci sont célèbres par leur restes et empreintes de dinosaures. Les dépôts rouges se poursuivent jusqu’au Crétacé inférieur. L’érosion de l’Atlas de Marrakech commence dès cette époque et alimente en partie ces dépôts rouges. Dans la même période se déclenche un magmatisme, tant intrusif que volcanique, de nature gabbroïque à tendance alcaline, associé à des syénites. Il traduit l’extension crustale et la remontée de l’asthénosphère (Frizon de Lamotte et al., 2009). Les Atlas (Haut Atlas et Moyen Atlas, voir Fig. 2) La transgression majeure du début du Crétacé sont des chaînes intra-continentales d’âge alpin résultant supérieur a probablement recouvert toute la chaîne. de l’inversion de rifts d’âge triasico-jurassique (Frizon de L’émersion va se faire vers la fin de cette période et les Lamotte et al., 2000, 2008 ; Teixell et al., 2007 ; Domènefailles vont commencer à s’inverser quand la convergench et al., 2015). Ces rifts assuraient une connexion entre le ce Afrique-Europe s’enclenchera (80 Ma). De nouveaux rift de l’Atlantique central et la Néo-Téthys, concurremdépôts rouges apparaissent au début du Tertiaire. Charrière ment au rift passant plus au nord et rattachant l’Atlantique et Haddoumi (ce vol.) reviennent sur les méthodes de naissant à la Téthys alpine. Contrairement à leurs voisins datation de ces divers dépôts rouges et sur leur signifidu nord, les rifts atlasiques ont avorté au Jurassique supécation géodynamique. rieur, sans aller jusqu’à l’ouverture océanique. Les rifts atlasiques se sont ouverts dans la chaîne mésétienne érodée et effondrée, à l’instar du rift atlantique s’ouvrant sur les ruines de la chaîne appalachiennehercynienne, en réutilisant en failles normales nombre de failles inverses ou de décrochements anciens. C’est ce qui explique que le plan des chaînes atlasiques se calque sur celui de l’orogène mésétien. Ainsi, la Faille sud-atlasique suit à peu près le même trajet que la Faille sud-mésétienne, c’est une structu- Figure 8. Coupe schématique du Rif et du sud du bassin d’Alboran, d’après Chalouan et al., 2008, re héritée typique. De même, la direction modifié. Localisation : voir Fig. 2. Abréviations : B., Beni ; C, Crétacé ; J, Jurassique inférieur-moyen ; LCKE, Crétacé inférieur de Ketama ; LMM, Miocène inférieur-moyen ; MM, Miocène moyen ; MSZ : NE-SW du Moyen Atlas correspond à suture mésorifaine ; Pd, Prédorsalien ; T, Trias ; Tg, Unité de Tanger ; UM, Miocène supérieur (1, Tortol’orientation de la zone de faille du nien anté-nappe ; 2, Tortonien-Messinien-Pliocène post-nappe) ; UJ-C, Jurassique supérieur-Crétacé. Géologues n°194 9 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Le raccourcissement transversal des Atlas s’accentue au Miocène, entraînant le chevauchement du Haut Atlas et du Moyen Atlas sur leurs bordures respectives (voir Fig. 7A). La géométrie des failles inverses dans le socle est encore mal connue,faute de profil de sismique réflexion. Cependant, le massif ancien du Haut Atlas occidental révèle un découpage du Paléozoïque en blocs imbriqués, délimités par des failles inverses en replats et rampes (Fekkak et al., soumis). Le raccourcissement n’excède sans doute pas 15 à 25% de la largeur initiale du bassin, ce qui pose le problème de l’altitude considérable de cette chaîne presque sans racine. Ce point est discuté à la fin du présent article, tandis qu’une discussion de la tectonique atlasique est proposée plus loin par Ibouh et Chafiki. (ce vol.). Le Rif La Meseta marocaine occidentale et les plateaux du Moyen Atlas tabulaire s’enfoncent vers le nord sous les sédiments mio-plio-quaternaires du sillon sud-rifain (voir Fig. 2). À partir de là, la géologie change du tout au tout, on entre dans le domaine rifain, chaîne alpine typique où toutes les unités rocheuses sont déplacées peu ou prou vers le sud ou le sud-ouest par-dessus la bordure de l’Afrique nord-occidentale. Les lignes qui suivent résument la synthèse récente proposée par Chalouan et al. (2008), sauf mention particulière. Les petites montagnes qui apparaissent d’abord au nord de Fès et Meknès appartiennent encore à l’avantpays de la chaîne (Fig. 8). Ce sont les Rides prérifaines, dalles de roches jurassico-crétacées décollées du socle sur les évaporites triasiques. Cette tectonique de serrage au front du Rif est très récente et a contribué à fermer au cours du Messinien le sillon sud-rifain qui était l’une des voies de communication entre la Méditerranée et l’Atlantique. Ceci a provoqué la crise salifère de la Méditerranée jusqu’à ce que s’ouvre en grand le détroit de Gibraltar au Pliocène (e.g. Achalhi et al., 2016). 10 Au-dessus de la série parautochtone des Rides, la première nappe rencontrée est la nappe prérifaine, faite de marnes crétacées à Miocène supérieur ayant glissé par gravité vers l’avant-fosse du sillon sud-rifain, au cours du Miocène supérieur. Les masses d’évaporites y sont fréquentes (diapirisme crétacé à miocène). Cette nappe a transporté avec elle une autre nappe, dite d’Ouezzane, d’origine plus interne (Intrarif). Un alignement de reliefs rocheux (carbonates jurassico-crétacés) appelés « sofs » marque la limite du Prérif interne. Dans ces unités, comme dans celles qui suivent vers l’intérieur et appartiennent au Mésorif (nomenclature héritée de Suter, 1980), on peut reconnaître les éléments de la marge passive proximale de l’Afrique, au sud de la Téthys liguro-maghrébienne. Les Géologues n°194 séries y sont de plus en plus pélagiques vers le nord jusqu’au Crétacé supérieur-Eocène, puis se terminent par des sédiments détritiques miocènes. Or, par-dessus le Miocène mésorifain qui affleure en fenêtres anticlinales,s’observe la « nappe des Senhadja » hétéroclite, qui inclut aussi bien des unités de couverture calcaire que des écailles à affinités ophiolitiques : serpentinites (Beni Malek), gabbros, diabases, avec leur couverture d’ophicalcite, de brèches et de sables ophiolitiques, de calcaires à clastes ophiolitiques et de radiolarites (Michard et al., 1992, 2007, 2014 ; Benzaggagh et al., 2014). C’est la suture mésorifaine, qui peut se suivre en Algérie au moins jusqu’en Oranais (voir Fig. 2). Cette suture est interprétée comme issue de la marge distale africaine, de type hyper-étirée, avec exhumation du manteau, intrusion et exhumation de gabbros, et présence d’allochtones continentaux (Senhadja, Intrarif). L’article de D. Frizon de Lamotte et al. (ce vol.) montre tout l’intérêt de cette zone en terme de géodynamique. La suture mésorifaine n’est pas la seule suture du Rif, il y a aussi celle que marquent les Flyschs maghrébins, au nord de l’Intrarif. Ces flyschs sont des séries sédimentaires de mer profonde dont l’âge va du Crétacé inférieur au Miocène inférieur. Aujourd’hui, ils sont disposés en nappes au-dessus des unités intrarifaines, mais sont interprétées comme issues d’un bassin océanique étroit entre le domaine de la marge hyper-étirée mésorifaine au sud et le domaine d’Alboran au nord, rattaché à la marge ibérique sud-est. La suture des Flyschs ne montre que quelques écailles de basaltes en coussins dans le Rif, mais les ophiolites font leur apparition en Algérie au sud de la Petite Kabylie, avant de se développer considérablement en Calabre, dans une situation tectonique équivalente. Au-delà de la suture des Flyschs, se développe le domaine d’Alboran. Marge passive de la plaque ibérique du Jurassique à l’Eocène, c’est aujourd’hui un empilement de nappes, affecté par un métamorphisme alpin de haut degré dans les unités les plus profondes. Ce domaine forme aussi la croûte étirée du bassin méditerranéen d’Alboran et réapparaît dans les Cordillères bétiques. Les nappes qui le constituent sont semblables au sud et au nord du bassin, incluant de haut en bas, i) la Dorsale calcaire où sont empilées les unités de couverture de la paléomarge, ii) les Ghomarides-Malaguides, ensemble de nappes à matériel paléozoïque affecté par l’orogenèse varisque, et iii) les Sebtides-Alpujarrides, incluant un matériel crustal ayant subi également l’orogenèse varisque, et un matériel mantélique formant les massifs de péridotites des Beni Bousera dans le Rif et de Ronda dans les Bétiques. Le métamorphisme alpin affecte essentiellement les Sebtides, avec un pic thermique vers 20 Ma, précédant de peu l’effondre- géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents ment du cœur de la chaîne, l’ouverture du bassin d’Alboran et le développement du volcanisme andésitique. L’interprétation géodynamique de cet arc de Gibraltar si resserré alimente de nombreuses controverses et des études incessantes (e.g. Mazzoli & Martin-Algarra, 2014 ; Frasca et al., 2015). Les mouvements récents qui affectent cette région et y provoquent de fréquents séismes font l’objet de la contribution de Chalouan et al. (ce vol.). Les mouvements verticaux du Maroc et son relief actuel Les enseignements de la thermochronologie bassetempérature Nous avons souligné au début de cet article l’altitude particulièrement importante du relief marocain par rapport au reste de l’Afrique du Nord (voir figure 1). La thermochronologie basse température (essentiellement par la méthode des traces de fission sur apatite) permet de préciser l’évolution du relief depuis le début du Secondaire, offrant ainsi un éclairage nouveau sur les lacunes sédimentaires qui caractérisent la Meseta et l’Atlas de Marrakech (la « Dorsale de la Meseta occidentale », en anglais « West Moroccan Arch ». On découvre une succession de périodes de surrection et de périodes de subsidence durant le Méso-Cénozoïque, y compris pour les massifs anciens, traditionnellement considérés comme « stables » depuis l’orogenèse varisque (Leprêtre et al., 2015). Le démantèlement de la chaîne varisque s’achève au Permien. Dans le contexte de la fragmentation de la Pangée, les séries détritiques du Trias, les trapps basaltiques du Trias-Lias et les carbonates du Lias ont vraisemblablement recouvert tout le domaine atlaso-mésétien. De fait, l’inversion des données de traces de fission sur apatite dans les massifs mésétiens montre qu’ils ont été recouverts par des couches dont l’épaisseur a pu atteindre 1,5 à 3 km avant la discordance du Jurassique supérieur et/ou du Crétacé inférieur, suivant les lieux (Ghorbal et al., 2008 ; Saddiqi et al., 2009). L’image ancienne « d’îles paléozoïques » émergeant au milieu des mers épicontinentales du Lias, est aujourd’hui caduque ; elle doit être remplacée par celle d’une dorsale émergée au Jurassique supérieur-Crétacé inférieur. La question reste posée pour le Haut Atlas de Marrakech, à la croisée des rifts Atlasique et Atlantique. Il semble n’avoir pas été recouvert de sédiments avant le Trias supérieur (Domènech et al., 2015), et les séries jurassiques, qui s’amincissent à son pied, ne s’y sont jamais déposées. Dans les domaines voisins, affectés par l’extension (Haut Atlas Occidental, Haut Atlas Central, Moyen Atlas), ce sont des séries pluri-kilométriques qui s’accumulent au Mésozoïque, et qui sont préservées malgré l’inversion cénozoïque. Il en est de même dans les bassins périphériques, comme le bassin d’Essaouira, ou le long de la marge passive Atlantique. Plus au Sud, l’Anti-Atlas subit dans le même temps une phase d’exhumation lente mais persistante (Ruiz et al., 2011 ; Oukassou et al., 2013 ; Sehrt et al., 2017). Cette phase d’exhumation, qui va se poursuivre jusqu’au Crétacé inférieur, est à l’origine de l’érosion de plusieurs kilomètres de couverture paléozoïque. Les séries triasico-liasiques n’ont jamais recouvert ce domaine. Enfin, le domaine saharien partage une histoire commune avec l’Anti-Atlas pour cette période, puisque les données de thermochronologie basse température indiquent là encore une exhumation lente mais persistante pendant le Trias et le Jurassique inférieur (Leprêtre et al., 2013). Une étape de cette histoire est particulièrement intrigante : celle qui va du Jurassique supérieur au Crétacé inférieur et voit une grande partie du Maroc affectée par une érosion majeure. Les sédiments triasico-liasiques de la Meseta occidentale sont alors totalement érodés. L’érosion atteint aussi 1 à 2 km dans l’Anti-Atlas. Le bouclier Reguibat subit 3 à 4 km d’érosion à l’ouest, et 1 à 1.5 km à l’est. Les produits d’érosion viennent alimenter de vastes deltas sur la marge passive atlantique, au niveau de Boujdour et de Tarfaya. Cet épisode d’érosion qui suit, à plusieurs dizaines de millions d’années de distance, les riftings atlantiques et téthysiens, reste une énigme. Il s’agit probablement d’un phénomène de très grande longueur d’onde, peut-être associé à la dynamique du manteau. La fin en est marquée par l’arrivée de la mer cénomano-turonienne sur l’ensemble du domaine,à l’exception de la partie sud de la dorsale Reguibat. À la fin du Crétacé supérieur, les prémices des déformations alpines se font sentir, enregistrés par des discordances locales dans les Atlas (Frizon de Lamotte et al., 2008, fig. 4.20). De plus, la totalité de la dorsale Reguibat est de nouveau livrée à l’érosion, tout comme, probablement, l’Anti-Atlas. Ces deux domaines forment ainsi des antiformes d’échelle lithosphérique, plis de grande longueur d’onde associés à la convergence Afrique-Europe. Cette convergence aboutit à un premier épisode d’inversion des bassins atlasiques au cours de l’Eocène moyen-supérieur: c’est la phase atlasique, bien connue en Algérie et en Tunisie grâce aux données de sub-surface et à un enregistrement sédimentaire continu. Au Maroc, les données de sub-surface sont parcellaires, et l’enregistrement sédimentaire dans les bassins est incomplet. Il faut alors utiliser, outre les traces de fission sur apatite, des thermochronomètres ayant des températures de fermeture différentes (méthode U-Th/He sur apatite), pour mettre en évidence cette phase de déformation (Leprêtre et al., 2015). Géologues n°194 11 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents deux phases volcaniques, l’une au Miocène, entre 14,6 et 5,5 Ma, l’autre au Quaternaire, entre 1,8 et 0,5 Ma. Les néphélinites sont ici plus rares et forment les plus anciennes coulées, suivies par des laves moins alcalines (basaltes subalcalins dominants). Les caractères géochimiques de ces laves sont compatibles avec l’idée d’un panache asthénosphérique mis en place sous les Canaries et le Maroc atlaso-mésétien à partir de l’Eocène (des intrusions sont datées de cet âge dans l’Atlas central-oriental) et qui aurait provoqué l’érosion thermique de la base de la lithosphère, suivant une « ligne chaude du Maroc » allant du Siroua à Oujda. Figure 9. Topographie de la limite lithosphère-asthénosphère sous le Maroc et les domaines adjacents, modèle basé sur l’anomalie du géoïde (Fullea Urchulutegui et al., 2007). La zone de lithosphère amincie concerne l’Anti-Atlas au Sud, le Haut Atlas Central, le Moyen Atlas, et semble se poursuivre au Nord en mer d’Alboran. L’anomalie chaude de la lithosphère marocaine Au cours de l’Oligocène et du Miocène, tout le Maroc au sud du Rif est caractérisé par un soulèvement qui en fait une terre émergée. Les chaînes atlasiques s’érigent et les molasses syntectoniques viennent alimenter des bassins internes ou périphériques continentaux. Le serrage se poursuit au cours du Pliocène et du Quaternaire, déformant les premières molasses. Cependant, le raccourcissement des Atlas reste faible, de l’ordre de 15 % à l’Ouest et de 25 % à l’Est, valeurs insuffisantes pour justifier, par simple isostasie, l’altitude considérable qu’atteignent ces chaînes. D’où l’idée que ce soulèvement soit en partie contrôlé par des processus profonds, comme le suggérait déjà Louis Gentil en 1901 (cf. Missenard et al., 2008). 12 L’existence d’un volcanisme Miocène à Quaternaire d’affinité alcaline relativement abondant dans l’AntiAtlas, le Haut Atlas Central, le Moyen Atlas, la Meseta centrale et orientale (plateau du Rekkame) et le Rif oriental est l’indice que des processus profonds, mantelliques, ont été à l’œuvre sous la croûte continentale marocaine (cf. Maury, in Frizon de Lamotte et al., 2008, p. 183-188). Le volcanisme est daté de 10,8 à 2,7 Ma dans le Siroua, entre les bassins de Ouarzazate et du Souss, avec des éruptions trachytiques, rhyolitiques, des dômes de phonolites. Les néphélinites et autres laves alcalines du Saghro sont de même âge. Les volcans sont plus jeunes dans le Maroc central (2,8-0,3 Ma autour d’Oulmès), avec le même type de roches alcalines. Dans le Moyen Atlas on reconnaît Géologues n°194 Or, l’amincissement lithosphérique invoqué se trouve bien confirmé par les études géophysiques. Dès 1996, Seber et al. ont montré, en s’appuyant sur des données de télésismique, que la lithosphère marocaine est particulièrement chaude. Au milieu des années 2000, la confirmation d’une lithosphère atypique est donnée par Missenard et al. (2006) et Fullea Urchulutegi et al. (2007). L’amincissement de la lithosphère (Fig. 9) est caractérisé par : 1) une limite lithosphère-asthénosphère remontant à 70 km localement, 2) une géométrie allongée, depuis l’Anti-Atlas occidental jusqu’au Rif oriental, 3) une indépendance vis-à-vis des structures crustales, 4) un magmatisme à l’aplomb du secteur aminci, mis en place en deux phases distinctes, l’une à l’Eocène, l’autre au PlioQuaternaire, sans qu’une migration dans l’espace de ce magmatisme puisse clairement être identifiée, et enfin 5) un soulèvement de la croûte de l’ordre de 1000 m, qui s’ajoute à la topographie générée par l’épaississement crustal dans le Haut Atlas et le Moyen Atlas. Il apparaît impossible de relier cet amincissement lithosphérique à un phénomène de rifting, car il n’y a aucun indice d’extension en surface. Un processus de type panache, évoqué plus haut, est également délicat à envisager étant donné la géométrie allongée (1000 km par 100 km) de la structure et la présence de deux épisodes distincts de magmatisme. Difficile enfin d’envisager un phénomène de délamination (Bezada et al., 2013), qui nécessiterait un sur-épaississement crustal, sur-épaississement qui n’existe pas dans le domaine atlasique et encore moins dans l’Anti-Atlas, étant donné les faibles taux de raccourcissement et le faible épaississement crustal associé. Plusieurs équipes se sont attachées à essayer de contraindre les processus à l’origine de cette structure si particulière. Par exemple, Missenard et Cadoux (2012), évoquent une convection en bordure du craton de l’Ouest Africain, mais on est encore loin d’une solution claire. NB. Bibliographie reportée pour l’ensemble des articles du chapitre géologie fondamentale en page 42. géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Rif externe : comment comprendre et expliquer le chaos apparent ? Dominique Frizon de Lamotte 1 , Mohamed Najib Zaghloul 2 , Faouziya Haissen 3 , Geoffroy Mohn 4 , Remi Leprêtre 5 , Oriol Gimeno-Vives 6 , Achraf Atouabat 6 , Mohamed El Mourabet 6 , Anass Abassi 6 . La région rifaine est la plus septentrionale du Maroc. C’est aussi la plus complexe (Fig. 1). Du point de vue géologique, on y distingue des zones internes dont l’origine est lointaine, européenne en fait, une « zone des flyschs » issue de la branche maghrébine de la Téthys (celle qui connectait autrefois l’Atlantique et la Téthys Alpine) (Zaghloul, 2002) et des zones externes issues de l’ancienne marge africaine de cette Téthys maghFigure 2. Coupe simplifiée des zones externes du Rif (localisation : voir Fig. 1). La partie sud de la courébine (voir figure 8 dans Michard et al., pe est interprétée d’après des données de subsurface. La partie nord est extrapolée à partir des cartes ce vol.,). Disons les choses comme elles géologiques et de nos observations de terrain. Source : travail inédit des auteurs. sont : ces zones externes sont souvent petites écailles de calcaires jurassiques situées au nord de monotones et, au premier abord, un peu déprimantes. Fès et qui appartiennent en fait à l’Avant-pays, le Prérif est C’est pourtant elles qui vont nous intéresser ici ! constitué de collines peu élevées blanchâtres et poussié7 Depuis les travaux de Gabriel Suter , on distingue reuses. L’acharnement des micropaléontologistes a perdu sud au nord trois grands domaines structuraux époumis d’y reconnaître des terrains allant du Crétacé Supésant l’arcature de la chaîne : le Prérif, le Mésorif et l’Intrarieur au Miocène formant un prisme d’accrétion (la « nappe rif (e.g.Suter,1980 ;Frizon de Lamotte et al.,2004 ;Chalouan prérifaine » des auteurs) reposant sur le Miocène supéet al., 2008). Si l’on excepte les rides prérifaines, jolies rieur de l’Avant-pays (Fig. 2 et Fig. 3). Nous préférons cette dénomination de prisme d’accrétion à celle, parfois utilisée, d’olistostrome. En effet, malgré sa complexité de détail, il existe une cohérence tectonique certaine dans le Prérif.Comme dans tous les prismes, on y observe des chevauchements mais aussi des failles normales. Le jeu combiné de ces deux types de structures permet de maintenir l’angle critique garant de sa stabilité. Dans le Prérif, la géométrie est encore compliquée par l’extrusion d’évaporites du Trias, sous forme de diapirs, ou bien soulignant des contacts tectoniques. Ces « extrusions » emportent avec elles, comme il est classique, des « blocs » variés dont des éléments du socle. L’origine de ces diapirs est à chercher sous le prisme, dans l’autochtone ou parautochtone dont la Figure 1. Carte structurale simplifiée du Rif. La carte, modifiée d’après Suter (1980), présente les grands couverture mésozoïque (étonnamment domaines structuraux avec quelques détails pour les zones externes. Source : d’après Chalouan et al., fine) plonge régulièrement vers le nord 2008, redessiné et modifié. 1. Professeur de géologie à l’université de Cergy-Pontoise, France. Courriel : [email protected] 2. Professeur de géologie à Université Abdelmalek Essaadi, Faculté des Sciences et Techniques, Tanger, Maroc. Courriel : [email protected] 3. Professeur de pétrographie à Université Hassan II de Casablanca, Faculté des Sciences Ben M’sik, Casablanca, Maroc. Courriel : faouziya.haissen@gmail 4. Maître-de-Conférences à l’université de Cergy-Pontoise, France. Courriel : [email protected] 5. Post-doctorant à l’université de Cergy-Pontoise, France. Courriel : [email protected] 6. Doctorant à l’université de Cergy-Pontoise (OGV), à l’université Abdelmalek Essaadi (AA, AA) et à Université Sultan Moulay Slimane (Beni Mellal) (MEM). 7. Gabriel Suter, de nationalité suisse, a fait toute sa carrière au Service Géologique du Maroc où il avait en charge la coordination des travaux rifains. Il a très peu publié hormis une œuvre cartographique magnifique (de très nombreuses feuilles à 1/50 000 du Rif externe). Il est l’auteur, en 1980, d’une carte géologique et d’une carte structurale du Rif, toutes les deux à 1/500 000 accompagnées de chartes stratigraphiques pour toutes les unités ainsi que de coupes structurales. Ces deux documents, d’une qualité graphique exceptionnelle, constituent une base de travail indispensable et aussi un outil culturel pour le voyageur curieux. Suite à un don de sa famille, les archives personnelles de Gabriel Suter sont actuellement conservées à la Bibliothèque Universitaire de l’Université de Cergy-Pontoise. Un travail d’archivage est en cours pour permettre la consultation par les personnes intéressées. 13 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents y reviendra.L’unité de Ketama,au sens strict,ne dépasse pas, vers le haut, le Cénomanien-Turonien. Son complément stratigraphique se retrouve,d’une part dans l’unité de Tanger-Loukkos qui la prolonge vers l’ouest et le nord-ouest et d’autre part,dans les nappes rifaines supérieures (Aknoul, Tsoul,Ouezzane) et dans le prisme prérifain lui-même.Ainsi, l’Intrarif comporte des unités apparemment enracinées (Ketama) et des unités détachées de leur substratum initial. Celles-ci ont glissé vers l’avant de la chaîne et sont désormais intégrées dans le prisme frontal. Figure 3. Panorama du front de la chaîne rifaine à l’ouest de Taza (Massif de Tazzeka). Cliché : D. Frizon de Lamotte. jusqu’aux limites du Mésorif. Ainsi,hormis cette couverture méso-cénozoïque peu épaisse et peu déformée,le Prérif est entièrement allochtone. Les faciès de bassin des séries sédimentaires allochtones témoignent d’une origine lointaine, intra-rifaine et pro parte méso-rifaine. Sautons donc provisoirement le Mésorif et attaquons l’Intrarif. Celui-ci forme l’ossature de la haute chaîne, la ligne de crêtes séparant les versants méditerranéen et atlantique. Ici dominent les teintes sombres des roches schisto-gréseuses du Jurassique supérieur et du Néocomien. Au centre se trouve l’Unité de Ketama et ses grands plis couchés à vergence sud-ouest.L’unité de Ketama est bordée à l’est par l’accident du Nekor, un vaste décrochement sénestre d’orientation NW-SE qui forme la limite du bloc du Rif Central tiré vers l’ouest par la délamination de son manteau sub-continental (voir Chalouan et al.,ce vol.).Sur le terrain,l’accident du Nekor est souligné par une méga-brèche à matrice gypseuse (Trias) contenant des blocs de nature variée mais où abondent des marbres et des roches plutoniques basiques telles que gabbros et diabases (Fig. 4). On 14 Comme indiqué ci-dessus, l’Intrarif est constitué aux dépens d’un bassin profond montrant des faciès pélagiques du Jurassique supérieur jusqu’au Miocène. La nature au moins partiellement océanique de ce bassin est démontrée par la présence de serpentinites à sa base (Massif des Beni Malek ;Michard et al., 1992, 2007). L’un des enjeux des travaux en cours est de comprendre les modalités et l’âge de mise en place de ces roches mantelliques serpentinisées ainsi que les connexions paléogéographiques avec le bassin des flyschs, situé plus au nord et qui est supposé, lui aussi partiellement océanique. Entre le Prérif et l’Intrarif s’intercale le Mésorif,autrefois dénommé « zone des fenêtres » (Marçais, 1936). Cette dénomination ancienne est juste, il s’agit essentiellement d’imbrications complexes apparaissant en fenêtre sous diverses unités, dont les nappes supérieures (c’est dans ces régions que les premières nappes de charriage ont été identifiées dans le Rif : voir Missenard et al., 2008). Cependant, le message initial a été brouillé par l’identification de « nappes » (Senhaja,Bou Haddoud) qui ressemblent davantage à des écailles découpant les fenêtres qu’à des éléments d’origine lointaine comme les nappes supérieures. Dans le détail,le Mésorif expose un Miocène inférieur à moyen très épais reposant en discordance sur des terrains du Jurassique.Le Crétacé et les terrains cénozoïques anté-miocènes Figure 4. Panorama illustrant les rapports structuraux entre les unités de Ketama,Temsamane et Aknoul le long de l’oued Nekor. Cliché : D. Frizon de Lamotte. Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents sont peu représentés. En ce sens le Mésorif constitue un jalon entre l’autochtone ou parautochtone prérifain et le bassin intrarifain. Si le Jurassique supérieur (le « ferrysch ») apparaît relativement organisé, en revanche le Jurassique inférieur et moyen,associé à tout un cortège de roches magmatiques (gabbros,diorites…),présente un aspect chaotique, comme si les carbonates et les roches associées étaient emballés dans le « ferrysch » (Fig. 5). Cette impression a conduit certains auteurs à considérer qu’il s’agissait d’un « mélange » ou d’une « unité chaotique », interprété comme un faciès latéral de la « nappe prérifaine ». Selon cette conception, les « blocs » constituant ce mélange seraient d’origine intrarifaine et auraient glissé par gravité dans une vaste avant-fosse connectée au bassin flexural frontal. Cependant, le cortège des serpentinites, gabbros, basaltes et brèches gabbroïques avec leur couverture propre, peu à peu reconnu dans la « nappe des Senhaja », a été identifié comme provenant d’un fond océanique d’âge Jurassique supérieur, bordant vers le nord la marge africaine (Benzaggagh et al.,2014 ;Michard et al.,2014).Ce serait la trace d’une « suture mésorifaine » qui s’étendrait au moins jusqu’en Oranie.Notre intuition,justifiant le travail en cours, est que l’aspect chaotique de cette zone de suture mésorifaine et de la « nappe des Senhaja » résulte surtout de dislocations héritées de la période de rifting (Lias-Dogger) et moins de l’épisode d’inversion (Miocène). Cette dernière contribue néanmoins à la complexité puisqu’elle s’accompagne du développement de bassins « supra-prisme » du Miocène supérieur en contexte extensif (voir Fig. 2). Nous nous intéressons en particulier à reconstruire les relations initiales entre les gabbros et la plate-forme carbonatée du Lias-Dogger et à identifier les différents types de brèches apparues au cours de l’évolution géodynamique. Il faut aussi comprendre la signification des gabbros eux-mêmes et là,une multitude de questions se posent. S’agit-il bien de gabbros océaniques ? Quel est leur encaissant ? Quel est leur âge précis ? Nous signalions plus haut la présence de marbres dans la méga-brèche du Nekor. Ces marbres sont attribués au Jurassique inférieur et moyen et montrent localement des plissements très intenses et des cisaillements à vergence nord. Habituellement, on considère que leur métamorphisme est lié au souscharriage de l’unité des Temsamane (la plus interne du Mésorif) sous l’unité de Ketama. Des âges géochronologiques et des calibrations (métamorphisme de pression intermédiaire) attestent cette histoire cénozoïque. N’estil pas envisageable néanmoins qu’une part du métamorphisme soit, comme dans les Pyrénées, héritée de la période de rifting et donc contemporaine de l’amincissement extrême qui a dû précéder la mise en place des gabbros ? Comme on le voit, de nombreux facteurs liés aux particularités du rifting jurassique mais aussi aux modalités de mise en place du prisme d’accrétion cénozoïque contribuent à donner du Rif externe (et du Mésorif en particulier), l’image d’un incompréhensible chaos. Pour sortir de ce désordre, nous mettons en œuvre une cartographie fine (1/10 000) de quelques secteurs-clés et l’acquisition de nouvelles données pétrographiques, géochimiques et géochronologiques. Ce programme de recherche s’inscrit dans le cadre du projet « Orogen » (INSU, BRGM, Total). Nous souhaitons remercier chaleureusement André Michard qui est à l’origine de la formation de notre groupe de travail, constitué pour poursuivre et développer les travaux qu’il avait initiés. 15 Figure 5. Panorama montrant l’aspect chaotique du Mésorif dans la région de Kef el Ghar. Cliché : D. Frizon de Lamotte. Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Déformation active du Rif : GPS, sismicité et géologie montrent l’expulsion d’un coin crustal sud-occidental Ahmed Chalouan 1 , Jesus Galindo-Zaldivar 2 , Antonio J. Gil 3 , Kaoutar Bargach 4 . La convergence Afrique (Plaque nubienne)-Europe se poursuit actuellement suivant une direction NNWSSE, avec une vitesse proche de 4 mm/an sur le transect bético-rifain, d’après les modèles géotectoniques globaux (Nocquet et Calais, 2004 ; Nocquet, 2012). Or le Rif et la mer d’Alboran font partie de la zone de déformation diffuse qui accommode cette convergence de plaques (Meghraoui et Pondrelli, 2012). Nous présentons ci-dessous les conclusions les plus saillantes de travaux auxquels nous avons participé sur la déformation de la croûte rifaine (Chalouan et al., 2006 ; Chabli et al., 2014 ; Galindo-Zaldivar et al., 2015), dans le cadre très particulier de la déformation de l’arc de Gibraltar(Gil et al., 2014 ; Mancilla et al., 2012 ; Bezada et al., 2013 ; Van Hinsbergen et al., 2014 ; Thurner et al., 2014 ; Van der Woerd et al., 2014 ; Mancilla et al., 2015 ; Diaz et al., 2016). 16 Le cadre structural L’arc de Gibraltar, l’un des oroclines les plus resserrés au monde, est situé sur la zone de sismicité diffuse qui marque la frontière entre les plaques Eurasie et Afrique (Fig. 1A). La croûte continentale et tout le manteau supérieur de cette région montrent une complexité qui résulte de la genèse même de l’orocline par subduction de la croûte océanique téthysienne sous la marge européenne. Le recul de la plaque plongeante depuis 30 Ma et l’ouverture arrière-arc corrélative ont entrainé l’ouverture des bassins méditerranéens et la formation de deux arcs, celui de Gibraltar à l’ouest et l’arc calabrais à l’est. Les méthodes de tomographie sismique ont permis,depuis une décennie, de montrer la présence d’un panneau (slab) de lithosphère mantélique plongeant sous ces deux arcs (Fig. 1B et 1C), le reste de la lithosphère subduite,déchiré le long des marges continentales, se trouvant enfoui vers 600 km de pro- Figure 1. Le cadre régional à l’échelle crustale. A : Carte sismo-tectonique de la zone de limite diffuse de plaques entre Europe et Afrique dans le secteur de l’arc de Gibraltar (extrait de Meghraoui et Pondrelli, 2012). B : Tomographie ondes P de la Méditerranée occidentale, section horizontale à 200 km de profondeur (Spakman et Wortel, 2004). C :Tomographie ondes S de l’arc de Gibraltar, vue en 3D, montrant un slab « en cuillère » plongeant vers le nord sous le Rif, vers le sud, sous les Bétiques occidentales, et vers l’est dans sa partie profonde (Palomeras et al., 2014). D : Modèle de la croûte continentale rifaine selon un profil O-E (trace rouge sur la carte 1A), d’après les données gravimétriques et altimétriques (Gil et al., 2014). La faille du Nekor se situe dans la zone de changement rapide d’épaisseur. 1. Professeur à l’Université Mohammed V de Rabat, Département des Sciences de la Terre, Faculté des Sciences. Courriel : [email protected] 2. Professeur à l’Université de Granada, IACT (CSIC), Espagne. Courriel : [email protected] 3. Professeur à l’Université de Jaen, Departamento de Ingenieria Cartografica, Geodesia y Fotogrametria, Espagne. Courriel : [email protected] 4. Professeur à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, Département de Géologie, Faculté polydisciplinaire de Taza. Courriel : [email protected] Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents fondeur (Spakman et Wortel, 2004). Dans l’arc de Gibraltar, des foyers sismiques profonds sont localisés dans le slab jusque vers 600 km de profondeur. Les raffinements les plus récents de la tomographie sismique révèlent la géométrie complexe de ce slab (Fig. 1C), et montrent qu’il est encore attaché à la lithosphère africaine sous le Rif central (Palomeras et al.,2014). Sur la base des données gravimétriques, on a montré que la croûte rifaine est nettement plus épaisse sous le Rif central et occidental que sous le Rif oriental, où la croûte inférieure semble avoir disparu par délamination de la lithosphère (Fig. 1D). L’étude à laquelle nous avons participé (Bargach et al., 2004 ; Chalouan et al., 2006 ; Chabli et al., 2014 ; Chalouan et al., 2014 ; Galindo-Zaldivar et al., 2015) et que nous résumons ici, utilise deux autres approches, à savoir les données GPS et les données structurales de terrain. La région concernée couvre trois domaines structuraux du Rif (Fig. 2A) : la zone frontale méridionale constituée du Prérif et des Rides prérifaines ; le bassin d’avant-fosse du Saïss-Gharb, sillon ou couloir sud-rifain ouvert à la fin du Miocène moyen (fin Serravallien), entre la chaîne du Rif et le domaine atlaso-mésétien, et enfin l’avant-pays atlasomésétien (Meseta marocaine, Moyen Atlas). Les mesures GPS Elles ont été effectuées entre 2007 et 2012 à partir de six stations de mesures GPS installées au nord, à l’intérieur et au sud du bassin du Saïss (Fig. 2A). Le traitement informatique des mesures GPS (logiciel Bernese 5.0 et NEVE) a donné un champ de vitesse GPS précis avec un intervalle de confiance à 95%. Les mesures montrent d’abord, par rapport à la plaque Afrique fixe (Fig. 2B), un déplacement général vers le SSW, commun à toute la zone étudiée, c’est-à-dire les Rides prérifaines et le Prérif qui Figure 2. L’expulsion du coin crustal du Rif central, établie par les mesures GPS et la géologie. A : réseau local de stations GPS avec leur déplacement par rapport à l’Afrique. B : Déplacements déduits des mesures GPS. C: Exemple de données géologiques : le plissement renversé du Jbel Trhatt sur les conglomérats plio-quaternaires du bassin du Saïss. D : Interprétation d’ensemble: l’échappement du coin crustal rifain vers le SW. Géologues n°194 17 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents les chevauchent, le bassin du Saïss et le Moyen-Atlas tabulaire ; ce déplacement est en moyenne de l’ordre de 2 mm/an. Nos mesures montrent en outre des mouvements relatifs entre des sites qui se déplacent beaucoup plus vite que d’autres, comme celui de Jbel Trhatt (point 3100) par rapport à celui du jbel Zalarh et à ceux du centre du Bassin du Saïss (points 3300 et 3400), ou ceux du Moyen Atlas (sites 3500 et 3600) par rapport à ces derniers.Ce sont des déplacements convergents entre certains points et des déplacements divergents entre d’autres points. L’interprétation géologique Le déplacement commun implique l’existence d’une faille majeure de décrochement à l’est de tout ce bâti. Cette faille correspond vraisemblablement à l’Accident nord-moyen-atlasique (ANMA)-Kert (Chalouan et al., 2006). La partie méridionale de cet accident, l’ANMA, orienté NE-SW, a joué en décrochement sénestre durant les derniers stades de la structuration des Atlas, au PlioQuaternaire. Sa partie septentrionale, située entre Taza et l’embouchure de l’oued Kert, longe les parties orientales du Saïss et du Rif. Cette rampe latérale entre les deux chaînes de montagnes, le Rif et le Moyen-Atlas, est d’envergure crustale, voire lithosphérique. Elle est parallèle à la « ligne chaude du Maroc » (Frizon de Lamotte et al., 2008) qui traverse en direction NE-SW tout le Maroc et la mer d’Alboran (zone volcanique trans-Alboran ; Andeweg et Cloething, 2001), caractérisée par un volcanisme alcalin d’âge miocène et plio-quaternaire et par une activité sismique importante (Missenard et al., 2006, 2008). Dans la région considérée, cette faille décrochante sépare deux domaines aux croûtes continentales différentes, l’une à l’ouest (Rif central) à croûte épaisse (35 à 50 km) et l’autre à l’est (Maroc oriental) à croûte relativement mince, de 22-33 km (Mancilla et al., 2012 ; Mancilla et Diaz, 2015 ; Gil et al., 2014 ; Diaz et al., 2016). Le déplacement relatif convergent entre les stations du Jbel Trhatt et le centre du Bassin de Saïss avec une vitesse de 2 mm/an se trouve confirmé par beaucoup d’indices tectoniques tels que le pli dissymétrique du jbel Trhatt qui renverse la série conglomératique plio-quaternaire du bassin du Saïss (voir Fig. 2C), la faille inverse de Skhinat-Sidi Harazem (Bargach, 2011 ; Chalouan et al., 2014) longue de plus de 10km,orientée parallèlement au front sud-rifain,et affectant des formations du Quaternaire moyen (Tensiftien). Le déplacement oblique du jbel Trhatt vers le SW est dû au jeu transpressif sénestre des accidents délimitant au sud, le Rif externe et les Rides prérifaines. 18 Quant au mouvement relatif divergent entre le Jbel Trhatt et le Jbel Zalarh, qui s’éloignent l’un de l’autre Géologues n°194 à une vitesse de l’ordre de 4 mm/an, il correspond au rejet sénestre de 5 km de l’accident N30 du Bled Msika (Chalouan et al., 2014). D’autres mouvements relatifs divergents ont été mis en évidence à l’intérieur du bassin du Saïss, dus à des failles normales et/ou décrochantes comme les failles d’El Hajeb, du Tizi n’Tretten, de Bhalil, etc. (Charrière et al., 2011). Ainsi, le coulissement sénestre des Rides prérifaines et du Rif externe par rapport au bassin du Saïss est à attribuer à l’expulsion de tout le Rif central vers l’WSW (Chalouan et al., 2006). Cette expulsion du « coin crustal » du Rif central (voir Fig. 2D) se fait par l’effet combiné des jeux des failles rifaines disposées en éventail (faille du Nekor-Tissa et accident Nord-Moyen atlasique - Kert, sénestres et orientés NE-SW ; faille de Jebha-Arbaoua à rejeu récent dextre, orientée WSW-ENE ; Chalouan et al., 2006 ; Benmakhlouf et al., 2012). Il se rattache à la fois à la compression entre les plaques Eurasie et Afrique et au retrait (« roll-back ») du slab africain subduit sous le détroit de Gibraltar (Bezada et al., 2013 ; Gil et al., 2014). L’effet de cette expulsion s’est fait sentir, entre le Miocène supérieur et l’Actuel, jusque dans les parties occidentales du Rif et même dans l’avant-pays mésétien. Ainsi, dans la région d’Arbaoua, des failles inverses NW-SE, des décrochements et des galets striés ont été relevés dans les formations villafrachiennes (Elkhdar, 2017). Dans la Meseta côtière, entre Rabat et Casablanca, plusieurs générations de failles décrochantes et de diaclases ont été observées dans les différentes formations marines et éoliennes quaternaires (Chabli et al., 2014). Le traitement de ces données a permis de mettre en évidence trois épisodes tectoniques compressifs s’échelonnant entre le Quaternaire moyen et le Quaternaire supérieur. Chacun de ces épisodes est caractérisé par des contraintes différentes : le premier, par des directions de compression horizontale WNW-ESE et ENEWSW ; le second, par un couple de directions de raccourcissement orientées NNW-SSE et NE-SW, et le dernier par un raccourcissement orienté uniquement NNE-SSW. En conclusion, les données GPS combinées aux données structurales géologiques démontrent que le front sud du Rif et son avant-pays mésétien sont soumis (depuis le Pliocène et jusqu’à l’Actuel) à un déplacement vers le SW, dans le cadre de la convergence Afrique-Eurasie, ellemême dirigée NNW-SSE. On remarque que cet effet de compression-expulsion d’un coin crustal au SW se produit précisément dans la zone où la croûte rifaine est la plus épaisse et où le slab téthysien résiduel est encore attaché à celle-ci (voir Fig. 1). Travail effectué dans le cadre du projet européen IRSES-MEDYNA. géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents La Meseta, un terrain vagabond ou la marge fragmentée de l’Anti-Atlas ? Christian Hoepffner 1 , Hassan Ouanaimi 2 et André Michard 3 . Par « Meseta » ou « domaine mésétien », les géologues du Maroc désignent les terrains paléozoïques sévèrement déformés et granitisés avant le Trias (voir Michard et al., ce volume, Figs. 2 et 6). Ils affleurent dans la Meseta marocaine (Massif central, Bloc côtier Rehamna, Jebilet), dans le Moyen Atlas (Tazekka, Jerada) et plus à l’est (boutonnières de Midelt et du Rekkame, dans la Meseta orientale), et enfin dans le Haut Atlas (massif ancien du Haut Atlas occidental, Mougueur et Tamlelt dans le Haut Atlas oriental). C’est typiquement un segment de la chaîne hercynienne ou varisque. En cela, le domaine mésétien contraste avec celui de l’Anti-Atlas, dont la série paléozoïque est faiblement déformée. Le domaine mésétien ou, en bref, « la Meseta » est venue s’écraser contre l’Anti-Atlas, au cours du Carbonifère supérieur, lors de l’orogenèse varisque. Depuis, tout est resté à peu près en l’état. Certes, il y a eu une tentative de rifting au Trias-Lias, avortée au Jurassique moyen, puis recollage des morceaux au Crétacé supérieur-Tertiaire, d’où est sorti le Haut Atlas,mais les déplacements relatifs n’ont pas excédé quelques dizaines de kilomètres le long de la Faille sud-atlasique (FSA). En revanche, quid des positions réciproques de la Meseta et de l’Anti-Atlas pendant le Paléozoïque ? Les avis, quand ils s’expriment, divergent sur ce point de manière bien peu satisfaisante ! De nombreux spécialistes de la chaîne hercynienne limitent leur étude à la partie européenne de celle-ci, en ne dépassant pas vers le sud le Portugal et l’Espagne. Ces auteurs ne discutent pas de la Meseta. Cependant, dans les figures qui proposent leur vision des temps paléozoïques, l’Afrique du NW peut inclure la Meseta dans sa position actuelle, simplement séparée de l’Anti-Atlas par la FSA (Linnemann et al., 2008, 2014 ; Kroner et al., 2016), ou bien être tronquée au ras du Craton Ouest-Africain (« West African Craton », WAC), comme si la Meseta devait constituer un des nombreux fragments cadomiens ou avaloniens détachés du Gondwana, à l’instar d’Iberia (Nance et al., 2012 ; Franke et al., 2017). En revanche, Von Raumer et Stampfli (2008) discutent précisément du problème. Pour eux, la Meseta se sépare de l’Anti-Atlas au cours du Paléozoïque inférieur et moyen et finit par se trouver à environ 1 000 km de distance vers le SW (coordonnées actuelles), au Dévonien moyen-supérieur, de l’autre côté d’un bras océanique paléotéthysien. En cela, ils s’opposent à la position la plus anciennement adoptée par les « géologues marocains », qui favorisent une proximité constante des deux domaines et envisagent la Meseta anté-varisque comme une sorte de marge étirée, fragmentée, de l’Anti-Atlas (Hollard et Schaer, 1973 ; Michard, 1976 ; Piqué et Michard, 1989 ; Hoepffner et al., 2005, 2006 ; Michard et al., 2008, 2010). Pour les équipes ibéro-marocaines qui ont analysé en détail les relations entre les segments ibériques et Figure 1. Les domaines varisques de l’Anti-Atlas et du promontoire de l’Ouzellarh (logs A, A’), de la Meseta au sens strict (log B), du bloc des Sehoul (log C) et de la zone de transition dite Zone Sud-Meseta (logs D, E). Les chiffres cerclés 1 à 5 renvoient aux périodes géodynamiques décrites dans le texte. Carte simplifiée d’après Michard et al., 2010. 1. Professeur honoraire à la Faculté des Sciences de l’Université Mohamed V, Rabat, Maroc. Courriel : [email protected] 2. Professeur à l’École Normale Supérieure, LGE, Université Caddi Ayyad, Marrakech. Courriel : [email protected] 3. Professeur émérite, Université Paris-Sud, Faculté des Sciences d’Orsay, France. Courriel : [email protected] Géologues n°194 19 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents marocains de la chaîne varisque (Simancas et al., 2005, 2009), la Meseta est restée africaine de bout en bout au Paléozoïque, à l’exception du bloc des Sehoul au nord de Rabat (Fig. 1). Notre ambition est ici de donner quelques arguments, les uns classiques, d’autres récents, pour guider le lecteur entre ces thèses contradictoires. en Meseta. Elles permettent de mieux retracer l’évolution géodynamique à la marge nord du WAC, entre le rifting du supercontinent Rodinia et la collision pangéenne. Ce que l’on reconstitue, c’est en somme l’histoire d’un couple qui se sépare d’abord, pour mieux se retrouver ensuite. Nous pouvons y distinguer cinq périodes. Du nouveau pour le socle Le rifting cambrien Voici un argument récent, tiré de datations U-Pb sur zircon. On connaissait depuis longtemps la présence de rhyolites probablement néoprotérozoïques (semblables à celles de l’Ediacarien supérieur de l’Anti-Atlas) sous le Cambrien de la Meseta occidentale à El Jadida, dans les Rehamna et dans le Massif central (voir figure 1), mais cela ne disait rien sur le socle plus profond. La présence de granite d’âge 600 Ma a été reconnu dans la zone faillée Rabat-Tiflet (Tahiri et al., 2010), et tout dernièrement à Goaïda, au cœur de la Meseta centrale (Ouabid et al., 2017). Dans cette dernière localité, des granodiorites à 625±10 et des granites à 552±10 Ma ont également été datés. Un granite à 625 Ma est également connu à Wirgane, dans le massif ancien du Haut Atlas occidental (Eddif et al., 2007). Ainsi, tout le cortège des granites édiacariens de l’AntiAtlas est présent dans le socle mésétien. Il est enregistré par les deux domaines, suggérant qu’ils sont alors contigus, et marqué aussi bien par les dépôts que par le volcanisme associé. Celui-ci est précoce et généralement tholéiitique à l’ouest, plus tardif et alcalin à l’est (voir figure 1, logs A, A’, B). Le rifting progresse du Cambrien inférieur au Cambrien moyen-Furongien et de l’ouest vers l’est au nord du WAC. Mais attention, on n’a aucune preuve de l’existence de serpentinites exhumées par ce rifting entre les deux domaines ! Les galets de lherzolite cités par Pouclet et al. (2007) dans les calcaires cambriens de l’Ounein à l’ouest de l’Ouzellarh (voir figure 1, log A’) peuvent provenir de la suture panafricaine voisine. Un premier indice de la présence d’un socle éburnéen et d’éléments de la chaîne panafricaine du Cryogénien sous la Meseta, a été fourni par la présence de zircons datés à 700 Ma et 2 Ga dans des xénolithes remontés par les filons de lamprophyres permiens des Jebilet (Dostal et al., 2005). Plus frappant que ces données de « sondage naturel », des métarhyolites à l’affleurement sous le Cambrien des Rehamna centraux viennent d’être datées à 2 Ga (Pereira et al., 2015). C’est le premier affleurement de socle de type antiatlasique, et plus largement gondwanien, découvert en domaine mésétien. A noter qu’il surgit dans la Zone de Cisaillement de la Meseta Occidentale (ZCMO), cette cicatrice remarquable entre Bloc Côtier et Meseta centrale. Ainsi, il est encore trop tôt pour généraliser cette indication,si importante soit-elle,à tout le domaine mésétien. On ignore également si une couverture post-éburnéenne d’âge Paléoprotérozoïque supérieur (1,7 Ga) est présente ici comme dans l’Anti-Atlas (Soulaimani, ce vol.). De nouvelles données stratigraphiques 20 On a relevé depuis longtemps les parentés et les oppositions qui caractérisent la stratigraphie paléozoïque des domaines considérés (Hoepffner et al., 2005 ; Michard et al., 2008). Les données récemment obtenues (Fig. 1) concernent surtout la géochimie des roches magmatiques cambriennes et la présence d’une émersion ordovicienne Géologues n°194 La marge étirée de l’Ordovicien, proximale dans l’Anti-Atlas, distale en Meseta Une tectonique extensive en blocs basculés rend compte de la présence irrégulière du Furongien et de la discordance du Trémadocien dans les deux domaines (voir figure 1, logs A, B). On vient de montrer (Ouanaimi et al., 2016) la présence d’un système de fossés remplis de couches rouges d’âge Floien en domaine mésétien et sudmésétien (voir figure 1, logs A’, B, D-E). La Meseta marocaine est alors semblable à la Meseta ibérique et au Massif Armoricain ; les apports détritiques y arrivent plutôt de l’est (ceinture magmatique nord-gondwanienne de l’Ordovicien inférieur) tandis que ceux de l’Anti-Atlas viennent du sud (plateforme saharienne). Cependant, après le Floien, les mêmes dépôts silto-gréseux caractérisent les deux domaines : ils forment une seule et immense plateforme sableuse pendant quelque 25 Ma ! On ne les distingue qu’à l’Hirnantien, où des dépôts glacio-marins caractérisent la Meseta tandis que des moraines et des planchers glaciaires subaériens se développent dans l’Anti-Atlas. La bordure extrême de cette plateforme s’annonce seulement dans la zone RabatTiflet,entre Meseta ss.str. et Bloc des Sehoul,par la présence de coulées basaltiques sous-marines, datées de l’Ordovicien moyen (voir figure 1, log B). Eustatisme et équilibration thermique du Silurien au Lochkovien Le Silurien débute dans les deux domaines par une géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents transgression glacio-eustatique (« black shales » à Graptolites). Un bassin d’équilibration thermique peu subsident (lacunes fréquentes) va fonctionner ensuite jusqu’au Lochkovien, se comblant de silts et de shales, les carbonates apparaissant au Silurien supérieur. La Meseta se distingue de l’Anti-Atlas par la présence, à sa marge occidentale (Bloc côtier) d’un magmatisme basique (basaltes alcalins intraplaques) d’âge Silurien supérieur (log B). Cependant, un volcan sous-marin est aussi connu dans l’Anti-Atlas oriental au Lochkovien (log A), atténuant ainsi les différences entre les deux domaines. Les prémices de l’orogenèse varisque C’est probablement l’époque où les deux domaines se distinguent le mieux. Le domaine de l’Anti-Atlas au Dévonien inférieur et moyen est caractérisé par le passage graduel d’un bassin surtout détritique, à subsidence tectonique à l’ouest (bassin des Richs), à un bassin carbonaté et moins subsident à l’est (Anti-Atlas oriental),où il est bien connu par ses mud mounds. Au Dévonien supérieur, la tectonique extensive migre dans l’Anti-Atlas oriental où un système de blocs basculés multidirectionnels définit des rides surélevées et des bassins subsidents à sédimentation détritique et dépôts de pente (debris flows). Suite à ces mouvements de blocs,le Fammenien est discordant sur le Frasnien supérieur. En fait, l’Anti-Atlas partage en cela le sort de toute la bordure nord-gondwanienne de l’Afrique du Nord à l’Arabie (Frizon de Lamotte et al., 2013). La dislocation de la plateforme est plus importante dans la Meseta qui,elle,appartient au domaine orogénique varisque (Fig.2).En Meseta occidentale (Bloc côtier et ZCMO) et dans le Haut Atlas occidental, le Dévonien inférieurmoyen à faciès « Vieux grès rouges » (conglomérats, grès, pélites) est discordant jusque sur le Cambrien et l’Ordovicien (voir figure 1, log B, à gauche). Une plate-forme carbonatée lui succède, sur laquelle le Famennien est transgressif et discordant. Plus à l’Est en Meseta centrale et orientale et dans la zone Sud-mésétienne (voir figure 1, log A, à droite et logs D-E), des calcaires à cherts et des turbidites distales caractérisent au contraire un bassin profond à la même époque.Cette paléogéographie suggère un contexte tectonique extensif ou transtensif jusqu’au Dévonien moyen-supérieur. En revanche, une première phase de plissement se fait sentir dans l’est du domaine mésétien durant le Famennien-Tournaisien. Cette phase éovarisque est attestée par la discordance du Viséen moyen-supérieur sur les séries plissées de l’est du Massif central et de la Meseta orientale (voir figure 1, log B, à droite ; voir aussi Michard et al.,ce vol., fig. 6). On peut y voir l’effet, sur l’ancienne marge gondwanienne distale, de la subduction liée à la fermeture de l’océan Rhéique, fermeture qui débute alors (voir figure 2). La dislocation de la marge proximale (AntiAtlas) correspond alors à une extension dans le domaine avant-arc, attribuable à la convexion asthénosphérique. Dans le Bloc des Sehoul, la datation à 367 Ma du granite de Rabat (Tahiri et al.,2010),intrusif dans les schistes cambriens, montre que la structuration de ce bloc longtemps considérée comme calédonienne,est à rapporter en partie à cet évènement éovarisque. Le Bloc des Sehoul se rapprochera de la Meseta au début du Carbonifère le long de la Zone de faille Rabat-Tiflet (ZFRT, voir figure 1, log C) De la subduction à la collision varisque La déformation liée à la convergence LaurussiaGondwana va se développer suivant un rythme et des modalités très différentes entre les trois régions suivantes : l’Est de la Meseta, l’Ouest du même domaine et enfin le domaine de l’Anti-Atlas. Figure 2. Carte paléogéographique globale du Dévonien supérieur (Frizon de Lamotte et al., 2013, et références citées). La région entourée d’un tireté rouge au nord du Gondwana est affectée par la dislocation extensive dès le Dévonien moyen, tandis que plus au nord-ouest se développent les prémices de l’orogenèse varisque, à la marge de l’océan Rhéique qui se referme. NGC : Newfoundland-Gibraltar transfert zone. Dans l’Est de la Meseta, les plis « éovarisques » sont recouverts d’abord par des calcaires puis par des séries silicoclastiques. La sédimentation marine peu profonde devient lagunaire puis continentale au Westphalien supérieur. Un magmatisme calco-alcalin orogénique se développe du Viséen supérieur au Namurien avec des laves (andésites, rhyolites, ignimbrites) et des granites datés à 335-330 Ma. Il n’y a pas de plissement jusqu’au Westphalien supérieur-Stéphanien inférieur dans ce qui apparait comme un arc magmatique relativement rigide (Fig. 3). Enfin, intervient un plissement dit néo-varisque à grande longueur d’onde (bassin houiller de Jerada). À l’in- Géologues n°194 21 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents verse, dans l’Ouest de la Meseta, des bassins se creusent du Famennien au Serpukhovien, d’abord dans la zone des Nappes, au front de l’arc oriental, puis en Meseta centrale et occidentale.Les dépocentres sont limités par des couloirs de déformation de direction NE et ENE, soulignés par des dépôts chaotiques (debris flows, olistostromes) passant aux dépôts silicoclastiques de bassin. Un magmatisme gabbroïque est associé à ce contexte extensif/transtensif depuis le Famenno-Tournaisien jusqu’au Viséen supérieur (log B, à gauche). Il est de nature alcaline-transitionnelle et tholéiitique, traduisant un amincissement crustal qui n’atteint pas l’océanisation. On peut y voir un bassin avant-arc au-dessus de la subduction rhéique. Plissement, écaillage, mise en place de nappes en partie synsédimentaires se succèdent bientôt dans ce sous-domaine mésétien occidental, schistosité et métamorphisme se développant dans les unités profondes. Le métamorphisme atteint le faciès amphibolite à staurotide et disthène dans les Rehamna, où le pic de pression est daté > 300 Ma (âge 206Pb/238U sur monazite), tandis que le pic de température est daté vers 276 Ma (Wernert et al., 2016). C’est la phase varisque paroxysmale dans ces régions. Des granophyres se mettent en place dès 330 Ma dans les Jebilet, accompagnant les gabbros, mais les intrusions granitiques sont essentiellement datées entre 300 et 270 Ma : elles s’étalent longuement du Stéphanien à la fin du Permien inférieur (Autunien ; log B). C’est une époque de sédimentation continentale grossière, dans des bassins sur décrochements en régime transtensif dans un contexte post-collisionnel. Un volcanisme rhyolitique et andésitique calco-alcalin à alcalin accompagne l’accumulation détritique dans les bassins mésétiens, mais non dans le bassin d’Abadla, au sud de Béchar, prolongement du domaine anti-atlasique en Algérie. À noter que dans cette reconstitution, la suture rhéique est localisée à l’ouest de la Meseta occidentale, cachée sous les eaux de l’Atlantique. Elle n’est observable 22 que plus au nord, dans la chaîne varisque hispanoportugaise mais ceci est une autre histoire, du reste fort discutée (Pérez-Cáceres et al., 2017). Pas de nappe de charriage, de métamorphisme ni de granite varisque dans le domaine de l’Anti-Atlas. Les séries paléozoïques ne montrent qu’un plissement flexural accompagné de failles de décollement ou de décrochement, au-dessus d’un socle faillé (thick-skinned tectonics par inversion des paléofailles normales). La schistosité n’apparait que tout à l’ouest, dans le prolongement des Mauritanides (voir Michard et al., ce vol., Figs. 2 et 5). La déformation et l’émersion consécutive se développent entre le Namurien, à l’Ouest et le Permien inférieur, à l’Est (Sebti et al., 2009 ; Baidder et al., 2016). L’Anti-Atlas est une chaîne plissée d’avant-pays pour l’orogène mésétien comme pour les Mauritanides. Ainsi, les données nouvelles sur la stratigraphie paléozoïque comme les données (encore trop ponctuelles) sur les zircons du socle mésétien plaident, i) pour une continuité initiale, et ii) pour une contiguïté permanente au cours du Paléozoïque entre Meseta et Anti-Atlas. La Meseta est restée gondwanienne malgré les atteintes du rifting cambrien, qui n’a réussi l’ouverture de l’océan Rhéique qu’à l’ouest de la Meseta. Examinons encore deux types de données pour achever d’asseoir cette conclusion. Structure de la limite Meseta-Anti-Atlas Le fort contraste de structuration varisque entre Anti-Atlas et Meseta suppose un découplage entre les deux domaines pendant l’orogenèse. Il s’est réalisé par le fonctionnement d’une zone faillée, la Zone Sud-Meseta (ZSM), limitée au nord par la Faille Sud-Meseta (FSM) et au sud par un front mésétien montrant localement des chevauchements vers le sud (e.g.,Tineghir voir figure 1, log D). Le Haut Atlas est superposé à la zone faillée varisque depuis l’Atlas de Marrakech jusqu’au Tamlelt à l’Est, ce qui ne facilite pas l’étude de la déformation paléozoïque ! Large dans le Tamlelt, la ZSM s’étrangle peu à peu vers l’ouest. Dans le Massif ancien du Haut Atlas occidental, elle se résume à la célèbre Faille du Tizi n’Test (FTT) que soulignent des pincées de Trias rouge, liées à ses rejeux alpins. Les structures synmétamorphiques subméridiennes du domaine mésétien,intrudées par divers granites (Azegour, Tichka), s’interrompent abruptement et obliquement sur la FTT, suggérant un jeu décrochant dextre important, pendant l’orogenèse varisque. Figure 3. Une interprétation du contexte géodynamique de l’orogène mésétien au Carbonifère inférieur (coupe WNW-ESE en coordonnées actuelles), d’après Michard et al., 2010,modifié. Le bloc des Sehoul est figuré dans une position antérieure au jeu décrochant de la ZRFT (voir texte). Géologues n°194 En allant vers l’Est,la FSM éclate en plusieurs branches dans le promontoire géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents anti-atlasique de l’Ouzellarh, sorte de poinçon à armature précambrienne sur lequel le Viséen supérieur vient transgresser (voir figure 1 log A’). On aurait là une portion de la bordure sud du bassin carbonifère de la Meseta occidentale, inversée pendant la collision varisque. À l’Est du poinçon, les boutonnières d’Aït Tamlil et Skoura montrent assez bien le passage entre les domaines mésétien et anti-atlasique : les nappes mésétiennes d’Aït Tamlil se mettent en place dans le bassin carbonifère dont les dépôts reposent sur des séries antéviséennes autochtones discordantes sur le socle précambrien de l’Anti-Atlas (voir figure 1, log D). On aurait donc là, avant la collision varisque, le schéma simple d’un bassin d’avant-pays en contact avec sa marge sud. À Tineghir, la compression sub-méridienne donne des systèmes de plis E-O et des chevauchements vers le Sud impliquant les terrains anté-viséens et carbonifères. Plus à l’Est encore, dans le Tamlelt, n’affleurent que des terrains anté-viséens (voir figure 1, log E). La partie la plus au nord du Tamlelt se rattache au domaine de la Meseta orientale, tandis que le reste correspond à la bordure déformée de l’Anti-Atlas, affectée par des plis écaillés à vergence sud et des décrochements ductiles dextres E-O. De récentes investigations dans la boutonnière du Mougueur (Soulaimani et al.,2016) ont mis en évidence le même type de structures écaillées vers le sud et décrochantes dextres. Les embarras du paléomagnétisme Pour éclairer le problème de la mobilité possible de la Meseta, on a bien sûr songé au paléomagnétisme. L’étude de laves cambriennes et ordoviciennes avaient conduit Feinberg et al. (1990) à proposer l’existence d’un océan de plusieurs centaines de kilomètres entre AntiAtlas et Meseta, océan qui se serait résorbé durant le Dévonien. Ces résultats ont cependant été réfutés par des études plus récentes (Khattach et al., 1995). Des imprécisions sur l’âge des laves ont aussi conduit à des interprétations erronées, comme par exemple le modèle d’un espace océanique au Dévonien basé sur l’étude de roches basiques qui se sont révélées jurassiques (Salmon et al., 1987). Il faut enfin souligner l’importance de la réaimantation permienne qui complique, voire empêche l’interprétation des mesures faites sur les roches plus anciennes. Aucune étude paléomagnétique ne permet actuellement d’argumenter le modèle d’une Paléotéthys entre la Meseta et l’Anti-Atlas. Pour conclure Les avancées récentes des recherches en Meseta marocaine n’ont fait que renforcer l’argumentaire, déjà conséquent, en faveur de la continuité essentielle entre ce domaine et celui de l’Anti-Atlas : tous deux représentent la marge nord de la plateforme saharienne du Cambrien au Carbonifère inférieur, marge proximale dans l’AntiAtlas, marge distale en Meseta. Seul le Bloc des Sehoul, qu’on associe souvent au terrain Meguma de NouvelleEcosse, a pu appartenir à un terrain séparé de la Meseta s.s., par un couloir océanique (une ramification de l’Océan Rhéique) de l’Ordovicien au Dévonien moyen. 23 Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents La tectonique de l’Atlas : âge et modalités Hassan Ibouh et Driss Chafiki 1 . Le Domaine atlasique ou Système des Atlas est un vaste domaine de chaînes intracontinentales et de hauts plateaux qui occupe l’essentiel du Maghreb depuis l’Atlantique jusqu’à la Tunisie. Il est particulièrement élevé et large dans sa partie marocaine, où il est limité au sud par la Faille ou Front sud-atlasique, qui le sépare de l’Anti-Atlas et du craton ouest-africain,et au nord par le front de la chaîne rifaine (Fig.1).On s’accorde pour voir dans les chaînes atlasiques du Maroc – Haut Atlas et Moyen Atlas – le résultat de l’inversion d’un système de rifts triasico-liasiques apparus sur la bordure de la plaque Afrique, en deçà de la marge sud-téthysienne (cf. Michard et al., ce vol.). Mais quand donc a commencé l’inversion de ces rifts ? Les variations spectaculaires des séries sédimentaires sont-elles liées au basculement des blocs de socle, à la dynamique du manteau, ou au diapirisme ? Quelle est l’ampleur du serrage ? C’est ce type de questions que nous évoquons ici. L’enregistrement sédimentaire La série sédimentaire atlasique est aujourd’hui bien connue grâce aux travaux des pionniers (e.g., Moret, 1931 ; Choubert et Faure-Mouret, 1960-62 ; Du Dresnay, 1979) et aux nombreux travaux récents (voir Frizon de Lamotte et al., 2008, et les références citées ci-après). Une étude plus complète nécessiterait de décrire séparément le Haut Atlas occidental, tributaire du rifting atlantique, et le domaine Haut Atlas central-oriental et Moyen Atlas, tributaire du rifting téthysien. On considèrera plus particulièrement ici ce dernier domaine. 24 Figure 1. A : Carte géologique schématique du domaine atlasique marocain extraite de la carte structurale du Maroc 1/2 000 000, d’après Saadi (1982). La partie offshore du Haut Atlas atlantique est complétée d’après Benabdellouahed et al., (2017). Légende. 1 : Socle paléozoïque ; 2 : Basaltes et argiles roses du Trias ; 3 : Jurassique plissé, 4 : Jurassique tabulaire ; 5 : synclinaux à remplissage de couches rouges du Jurassique et Crétacé ; 6 : Crétacé ; 7 ; Tertiaire ; 8 : Faille, 9 : Massif carbonatite de Tamazert ; 10 : Roches volcaniques néogènes ; 11 : Principaux appareils volcaniques néogène et quaternaires ; 12 : Rides diapiriques à coeur gabroïque dans le Haut Atlas central. B : Coupe crustale du domaine atlasique d’après Ayarza et al. (2014), modifié. Localisation : voir (A). C : Coupe structurale du Haut Atlas central d’après Michard et al. (2011), modifié. Dans le Moyen Atlas et le Haut Atlas centro-oriental, la série synrift débute par des dépôts détritiques rougeâtres à niveaux évaporitiques d’âge triasique, sur lesquels reposent les basaltes de la CAMP2 puis les carbonates de la plateforme liasique post-rift (Fig. 2). La dislocation de celle-ci, à la fin du Lias moyen, entraine l’amorce d’un dispositif en rides et dépocentres. La sédimentation se poursuit avec les marnes détritiques toarciennes qui scellent le dispositif préétabli, les calci-turbidites aaléniennes et les carbonates de la plateforme bajocienne à récifs coralliens. Durant le Bajocien supérieur-Bathonien, la sédimentation change drastiquement : c’est l’époque des « Couches rouges », épaisse série détritique continentale à traces de dinosaures 1. Professeurs à la Faculté des Sciences et Techniques, université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc. Courriel : [email protected] 2. Central Atlantic Magmatic Province (Trias supérieur-Lias inférieur). Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents (Charrière et Haddoumi, ce vol.). Ces couches rouges sont localement discordantes sur certains plis, qui ont été interprétés à tort comme résultant d’une compression jurassique, alors qu’il s’agit de structures liées au diapirisme des couches argilo-salifères du Trias (voir plus loin). La série ne redevient marine qu’à l’Aptien. Les dépôts du Crétacé supérieur-Eocène sont surtout préservés sur les bordures de l’Atlas tandis qu’ils sont érodés dans l’axe de la chaîne. Les argiles rouges et les calcaires blancs de la Formation de Tasraft discordants sur une des rides anticlinales de la région d’Imilchil ont été longtemps rangés dans le Jurassique et le Crétacé supérieur, alors qu’il s’agit de Paléocène supérieur-Eocène inférieur (Charrière et al., 2009 ; Charrière et Haddoumi, ce vol.), ce qui change du tout au tout leur signification tectonique ! On y reviendra. Les dépôts cénozoïques débutent localement par les couches continentales discordantes qu’on vient de citer (Paléocène-Eocène inférieur). Sur les bordures de la chaîne, ils se poursuivent par les dépôts carbonatés et phosphatés de l’Eocène inférieur et moyen et s’achèvent par des molasses continentales discordantes de l’Eocène supérieur, de l’Oligocène (?) et du Mio-Pliocène. Ces dernières sont localisées essentiellement dans les bassins qui bordent le Haut et le Moyen Atlas (voir Fig. 1) mais sont parfois préservées dans la chaîne elle-même (Fig. 3). Le bassin du Haouz de Marrakech peut être regardé comme un bassin molassique transporté avec le socle des Jebilet. En effet, ces « petites montagnes » (leur nom en arabe) sont bordées au nord par une faille inverse néogène. Celle-ci se prolonge en mer où elle limite la partie déformée de la marge atlantique (voir Fig. 1A). Le Haut Atlas occidental se singularise sur plusieurs points par rapport au Haut Atlas central. Dans sa partie la plus élevée (Massif ancien),le Trias et le Lias sont le plus souvent érodés, et le Jurassique n’est représenté que par une série rouge à évaporites, discordante sur le socle paléozoïque. La série se poursuit par les dépôts continentaux du Crétacé inférieur, suivis à leur tour de couches marines carbonatées ou argileuses sur lesquelles le Paléocène est localement discordant. Cependant, près de l’Atlantique (ancienne marge passive proximale), les dépôts continentaux jurassico-crétacés sont absents et la sédimentation marine est continue. Les rides diapiriques qu’on y observe sont dépourvues d’intrusions gabbroïques, contrairement à ce qui s’observe dans le Haut Atlas central. Les évènements magmatiques Trois périodes géodynamiques majeures se trouvent enregistrées par la mise en place de roches magmatiques dans le domaine atlasique. Figure 2. Colonne stratigraphique de l’Atlas téthysien, d’après Michard et al. (2011), modifiée et complétée. Géologues n°194 25 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents 15 km de profondeur (Zayane et al., 2002). Les datations KAr donnent deux groupes d’âges (175-155 Ma et 135-110 Ma). Les coulées associées sont datées stratigraphiquement du Callovien et du Barrémien (Haddoumi et al.,2010). Les données géochimiques (Bensalah et al., 2013) montrent que les coulées du Jurassique supérieur (séquence B1) ont une affinité modérément alcaline, tandis que celles du Crétacé (séquence B2) sont transitionnelles. L’ensemble de ce magmatisme est lié à la période d’émersion enregistrée par les Couches rouges. On y voit un phénomène de bombement thermique du domaine atlasique marocain sous l’influence d’une convection asthénosphérique, dans un contexte anorogénique (Frizon de Lamotte et al., 2009). Figure 3. Le « Rocher Cathédrale » (Roch, 1939) expose des conglomérats du Mio-Pliocène discordants sur la série jurassique du flanc nord-ouest de la ride de Tazoult dans le Haut Atlas central (la discordance n’est pas visible sur ce cliché). Cliché : H. Ibouh. Les basaltes de la CAMP (Trias supérieurLias inférieur) Les basaltes à affinité tholéiitique de la Province magmatique de l’Atlantique central (en anglais, CAMP) affleurent souvent au cœur des rides anticlinales dans l’axe des chaînes du Haut et du Moyen Atlas. Ils apparaissent aussi dans le Haut Atlas de Marrakech, le Massif ancien occidental et le couloir d’Argana, sous forme de coulées interstratifiées entre les évaporites du Trias et les calcaires du Lias (Ibouh et al., 2002 ; Youbi et al., 2003). L’événement CAMP est daté pour l’essentiel à 201±1 Ma avec une récurrence à ~195 Ma (Marzoli et al., 1999 ; Davies et al., 2017). Des sills et dykes de dolérites, contemporains ou légèrement antérieurs, s’observent surtout dans le socle mésétien (Jebilet) et anti-atlasique. Ce magmatisme est l’expression de la rupture de la croûte continentale pangéenne durant le rifting atlasique et néo-téthysien. Les intrusions gabbroïques et les coulées basaltiques alcalines (Jurassique moyenCrétacé inférieur) 26 Ces intrusions se rencontrent en masses importantes au cœur des rides anticlinales diapiriques du Haut Atlas central-oriental,mais aussi en dykes recoupant les synclinaux voisins. Les intrusions les plus massives montrent trois unités pétrographiques (Armando, 1999 ; Lhachmi et al. 2001 ; Zayane et al. 2002) : une unité basique (troctolites et gabbros), une unité intermédiaire (diorite et diorite quartzique) et une unité différenciée (syénites et syénites quartziques). Ces roches à affinité alcaline à transitionnelle résultent d’une différenciation par cristallisation fractionnée dans une chambre magmatique située à 10- Géologues n°194 Le magmatisme alcalin synorogénique (Éocène à Quaternaire) Ce magmatisme alcalin récent vient interférer avec l’orogenèse atlasique et reflète l’activité d’un panache mantélique. Sa manifestation la plus ancienne, d’âge éocène, s’observe à Tamazert,au bord nord du Haut Atlas central,et dans le nord des Hauts Plateaux (Rekkame). Le massif de Tamazert abrite les plus grandes occurrences de carbonatites en Afrique du Nord. Outre ces roches, le massif se compose de roches ultramafiques sous-saturées et de syénites alcalines et peralcalines (Bouabdellah et al., 2010). Selon ces auteurs, les carbonatites et roches sous-saturées de Tamazert proviennent de la délamination de la lithosphère souscontinentale en réponse à la collision Afrique-Europe. Le magmatisme alcalin synorogénique se manifeste plus intensément du Miocène supérieur au PlioQuaternaire tout au long de la « Ligne chaude du Maroc» qui traverse obliquement le pays du Siroua-Saghro au Moyen Atlas puis au Rif oriental (voit fig. 1A) (Frizon de Lamotte et al., 2008, 2009). Dans le Siroua-Saghro, les éruptions (trachy-basaltes, trachytes, néphélinites, phonolites etc.) débutent vers 10,6 Ma et s’achèvent vers 2,7 Ma. Dans le Moyen Atlas, laves et brèches volcaniques sont datées de 1,8 et 0,5 Ma (El Azzouzi et al., 2010 et réf. citées). Ce magmatisme est lié spatialement à la zone à lithosphère amincie mise en évidence par la modélisation géophysique (Michard et al., ce vol., fig. 9), et donc au soulèvement particulier du relief marocain (Missenard et al., 2006 ; Frizon de Lamotte et al., 2009). La tectonique atlasique, du rifting triasique à l’inversion cénozoïque Le concept de rift inversé et son évolution L’idée que l’Atlas dérive d’un rift triasique avorté, oblique sur le rift atlantique, est ancienne (Du Dresnay, géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents 1979 ;Stets et Wurster,1982).Selon ces auteurs,les failles normales du rift seraient reprises en failles inverses lors de la compression atlasique et la couverture s’adapterait à la géométrie des blocs faillés de socle. Ce concept de base va peu à peu évoluer. Ainsi,Schwartz et Wigger (1988) et Warme (1988) proposent un rift symétrique limité par des failles E-O synthétiques et antithétiques,au-dessus d’une faille de détachement E-O à faible pendage nord émergeant le long du Front sud atlasique. L’ouverture des bassins se ferait du Trias au Jurassique moyen et l’inversion à partir de l’Oligocène (une date trop tardive, en fait). El Kochri et Chorowicz (1996) proposent une extension oblique sur une faille de transfert de direction N120 ; la distension se ferait selon une direction ONO-ESE au Trias-Lias, devenant N-S à NNOSSE au Jurassique.Laville (1985) propose un modèle de relais multiples sur décrochements senestres E-O en deux périodes, au Toarcien-Bajocien, puis au Bathonien-Jurassique supérieur. Pour cet auteur, la structuration du Haut Atlas en sous-bassins (dépocentres) et rides (anticlinaux étroits) serait le résultat d’une compression synsédimentaire au cours du Jurassique. On verra plus loin que ce modèle, repris par Fedan (1988) pour le Moyen Atlas, est aujourd’hui caduc. Ibouh (2004) montre que la structuration du bassin du Haut Atlas central se fait par extension asymétrique au Jurassique inférieur, avec une extension précoce et intense dès le Sinémurien au sud qui se propage ensuite pour atteindre le bord nord au Carixien-Domérien.Conformément au modèle de Wernicke (1985),l’asymétrie du bassin est à mettre en relation avec une faille transcrustale à pendage faible vers le nord.La présence d’une telle faille est admise par Frizon de Lamotte et al. (2000) pour le Haut Atlas occidental. Ayarza et al. (2014) figurent également une faille à faible pendage nord sous le Haut Atlas central- Figure 4. Discordance synsédimentaire des marno-calcaires du Bajocien sur les calcaires liasiques, au flanc de la ride d’Ikerzi dans le Haut Atlas central (localisation : voir Fig. 1C). Cliché et interprétation : H. Ibouh. oriental, mais la font plonger jusqu’au Moho pour limiter l’amorce de racine crustale suggérée par les modélisations (voir Fig. 1B). Interférence du diapirisme et de la tectonique compressive L’origine des rides et des dépocentres si typiques des bassins du Haut Atlas centro-oriental et du Moyen Atlas a d’abord fait l’objet de deux théories opposées. Pour les uns (Laville,1985 ;Fedan,1988 ;Laville et al.,1992),on l’a vu,les rides résulteraient d’une compression jurassique. Pour les autres (Charrière,1990,2000 ;Frizon de Lamotte et al.,2000,2008), ces zones à sédimentation réduite correspondraient aux zones hautes des blocs basculés de socle en contexte d’extension.Ce n’est que récemment que le rôle du diapirisme a clairement été invoqué pour expliquer les rides et leurs particularités structurales (Ettaki et al., 2007 ; Michard et al., 2011 ; Figure 5. Vue axiale oblique de la ride anticlinale de Tassent dans la cluse empruntée par la route d’Imilchil (localisation : voir Fig. 1C). C’est un mur diapirique dont le cœur chaotique a atteint la surface avant le dépôt des couches du Paléocène supérieur - ? Eocène inférieur discordantes. Celles-ci ont été ployées en synclinal lors de l’écrasement du diapir par les compressions ultérieures. Géologues n°194 27 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Ibouh et al., 2011). Depuis lors, des études détaillées ont porté sur diverses structures diapiriques très typiques du Haut Atlas (Saura et al.,2014 ;Martin-Martin et al.,2016 ;Moragas et al., 2016), démontrant ainsi que les rides se sont développées progressivement par la mobilité des argiles et évaporites triasiques sous l’effet de la charge des séries jurassiques susjacentes.Cette mobilité débute dès le Lias,en contexte extensionnel,comme le montre les discordances synsédimentaires sur les flancs des coussins diapiriques (Fig. 4). Sur cette figure 4,le paléokarst sous la discordance toarcienne indique une émersion temporaire de cette ride située en bordure sud du bassin haut-atlasique. L’halocinèse (et/ou argilocénèse) se poursuit jusqu’au Crétacé supérieur,période à la fin de laquelle le contexte devient compressif. Les rides les plus évoluées se présentent comme des anticlinaux étroits de calcaires liasiques ou bajociens à la charnière le plus souvent crevée et dont le cœur est occupé par un mélange chaotique d’argiles roses et de basaltes triasiques, de blocs de calcaires dolomitiques liasiques et d’intrusions subvolcaniques jurassiques (Fig. 5). On a vu plus haut que certaines rides de la région d’Imilchil sont scellées par des couches (Formation de Tasraft) d’âge Paléocène- ? Éocène inférieur (Charrière et al.,2009). À noter que l’importance du diapirisme a été reconnue plus tôt dans l’Atlas occidental onshore et offshore (Tari et al., 2003 ; Hafid, 2006 ; Hafid et al., 2008). La reconnaissance de ces phénomènes dans l’Atlas téthysien, en s’ajoutant à la datation de la formation de Tasraft du Paléocène- ? Éocène inférieur, a porté un coup fatal à la théorie d’une phase de compression jurassique. Pour autant, on ne doit pas exclure que des basculements de blocs de socle soient aussi intervenus dans le contrôle de la sédimentation, en particulier dans les régions où les évaporites triasiques sont de faible épaisseur. L’inversion : âge et modalités L’inversion tectonique a affecté le domaine atlasique en stades successifs depuis la fin du Crétacé supérieur 28 jusqu’au Plio-Quaternaire. Ces stades de compression sont à mettre en relation avec la cinématique de l’Atlantique sud, le mouvement de l’Afrique vers le nord et sa collision avec la plaque eurasiatique. La direction de compression semble avoir évoluée entre NNE-SSO avant le Miocène et NNO-SSE dans la période plus récente (Amrhar, 2002 ; Qarbous et al., 2008). La phase compressive, initiée au Crétacé supérieur, est enregistrée dans le Haut Atlas occidental par la discordance du Paléocène sur des brèches litées intercalées dans le « Sénonien » (Fig. 6), au-dessous de la faille inverse E-O de Medinat (Froitzheim et al., 1988). Ce premier épisode compressif est actuellement daté du Maestrichtien-Paléocène inférieur (Fekkak et al., soumis). Par la suite,la déformation compressive va se poursuivre au cours de trois épisodes principaux : Eocène supérieur, Miocène inférieur-moyen, Plio-Quaternaire (El Harfi et al., 2001 ; Frizon de Lamotte et al., 2008 ; Leprêtre et al., 2015). Pendant la compression, ce sont d’abord les paléofailles du rift triasique qui rejouent en failles inverses ou en décro-chevauchements suivant leur orientation. Cependant, de nouvelles failles sont également créées, comme le montrent Domènech et al., (2015) dans la zone du Tizi n’Test. Ces diverses failles découpent le socle en blocs qui tendent à se chevaucher et à chevaucher leurs avant-pays nord et sud, la chaîne étant à double déversement. La zone axiale du Haut Atlas occidental se présente ainsi comme un méga pop-up (Fekkak et al., soumis). Les failles inverses montrent une géométrie où alternent rampes et replats, ces derniers liés à des décollements dans le socle aussi bien que dans la couverture (Missenard et al., 2007 ; Fekkak et al., soumis). Le raccourcissement transversal du Haut Atlas est de l’ordre de 25 % à l’est (Beauchamp et al., 1999 ; Teixell et al., 2003), et seulement de 15 % à l’ouest (Domènech et al.,2015 ;Fekkak et al.,soumis),ce qui explique le faible épaississement crustal indiqué par la gravimétrie. Ainsi, les Atlas ne seraient pas si hauts, si ce n’étaient l’anomalie mantélique et la ligne chaude du Maroc ! Figure 6. Le célèbre synclinal déversé de Medinat, montrant les couches paléocènes ?-éocènes discordantes sur le Crétacé supérieur en éventail ouvert vers le nord; l’ensemble est chevauché par le socle cambro-ordovicien de la zone axiale, par l’intermédiaire de la faille inverse de Medinat de direction E-W. Les brèches synsédimentaires indiquent une activité de cette faille dès la fin du Crétacé supérieur (Froitzheim, 1988). Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Dater les couches rouges continentales pour définir la géodynamique atlasique André Charrière 1 et Hamid Haddoumi 2 . Les dépôts marins du domaine atlasique marocain ont été de bonne heure décrits en détail, qu’il s’agisse de ceux du Jurassique inférieur-moyen (Fig. 1) ou de ceux du Crétacé (Aptien-Turonien) (Frizon de Lamotte et al., 2008 et références citées). Par contre,l’articulation entre ces deux cycles marins est restée longtemps mal définie compte tenu de la difficulté de datation des couches continentales fréquemment azoïques, les « Couches rouges jurassicocrétacées » auctoris, largement étendues dans des cuvettes synclinales. D’autres couches rouges discordantes sur les rides anticlinales furent longtemps confondues avec les premières,mais relèvent d’un cycle paléogène. Nous montrons ici les progrès que la datation biostratigraphique de ces deux cycles de couches rouges a permis de réaliser dans la compréhension de la géodynamique atlasique. Figure 1. Organisation du domaine atlasique marocain au Jurassique inférieur (d’après Frizon de Lamotte et al., 2008) et localisation de la zone étudiée. Figure 2. Carte schématique du domaine atlasique téthysien avec situation des principaux synclinaux à « Couches rouges jurassico-crétacées » et successions stratigraphiques régionales. Les couches rouges tertiaires près d’Imilchil sont notées par des points rouges TA, AM, TS et TSF. Source : Charrière et Haddoumi, 2016, modifié. Comment dater les séries rouges continentales ? Une première approche de la position stratigraphique de ces terrains est possible lorsqu’il existe une intercalation marine (littorale) qu’on peut dater par la biostratigraphie classique basée sur des ammonites, brachiopodes, foraminifères, dasycladacées, etc. C’est le cas dans quatre secteurs du domaine atlasique téthysien (Fig. 2) : i) à la bordure septentrionale du HAC3 où une incursion marine aptienne est historiquement connue ; ii) dans les séries du MA4 avec deux récurrences marines datées respectivement du Bathonien supérieur-Callovien inférieur et de l’Aptien (voir in Charrière et Haddoumi, 2016) ; iii) dans les séries continentales du HAO5 incluant un épisode marin du Bathonien inférieur (Haddoumi et al., 1998), et enfin iv) à la bordure nord du Haut Atlas oriental (Haddoumi et al., en prép.). 1. Enseignant-chercheur retraité de l’Université de Toulouse ; 13 Lot. Terrasses de la Figuière, 30140 Anduze, France. Courriel : [email protected] 2. Professeur à l’Université Mohammed 1er, Département de Géologie, Faculté des Sciences ; B.P. 524 ; 60 000 Oujda, Maroc. Courriel : [email protected] 3. Haut Atlas Central. 4. Moyen Atlas. 5. Haut Atlas Oriental. Géologues n°194 29 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Dans les couches continentales elles-mêmes, nous avons, pendant deux décennies, associé des études sédimentologiques à des recherches de microfossiles par lavages et tamisages des roches meubles. Parmi ceux-ci, les ostracodes donnent généralement des indications d’âge assez larges, mais les charophytes6 (étudiés par M. Feist et P.-O. Mojon) sont les meilleurs marqueurs continentaux du Mésozoïque ayant donné lieu à une échelle stratigraphique assez précise (Riveline et al., 1996). Ces marqueurs biostratigraphiques (Photo 1) ont révélé la présence de plusieurs étages antérieurement méconnus comme l’Oxfordien, le Kimméridgien et surtout le Barrémien représenté dans la plupart des sites.Une synthèse de ces acquis dans le domaine atlasique central et oriental et le Moyen Atlas vient d’être esquissée (Charrière & Haddoumi, 2016). Les « Couches rouges jurassico-crétacées » et la topographie dynamique du domaine atlasique téthysien Alors que le Haut Atlas occidental a appartenu en permanence,durant le Méso-Cénozoïque,à la marge passive de l’Atlantique central, le reste du domaine atlasique fut d’abord structuré par le rifting de la marge continentale sudtéthysienne (voir figure 1). Ce rifting fut particulièrement actif au Jurassique inférieur et moyen (Ibouh and Chafiki,ce vol.).Les « Couches rouges jurassico-crétacées » enregistrent les étapes géodynamiques majeures postérieures au rifting. Le Bathonien-Callovien et la fin du rift téthysien Le bassin marin jurassique se comble de façon progressive et de nouveaux paléoenvironnements continentaux apparaissent, localement riches en bois fossiles et ossements reptiliens. Plusieurs faciès de « couches rouges » sont représentés (voir figure 2). Dans l’axe du HAC, des dépôts argilo-silteux épais évoquent de vastes marécages margino-littoraux, puis intracontinentaux, milieux de vie des dinosauriens (Photo 2). Sur le versant Nord du HAC, l’organisation sédimentaire des dépôts gréseux et pélitiques indique une dynamique fluviatile méandriforme ou en tresse associée à des écoulements vers le SE ou l’E, c’est-à-dire en direction du bassin téthysien. Dans le HAO, il s’agit de dépôts fluvio- 30 Photo 1. Quelques charophytes à valeur de marqueurs biostratigraphiques. Charophytes du Paléocène supérieur (région d’Imilchil) : A1, A2 : Harrisichara tougnetensis MASSIEUX, 1977 (Thanétien) ; B1, B2 : Sphaerochara edda SOULIÉ-MÄRSCHE (Paleocène) ; C1, C2 : Microchara vestida (ThanétienYprésien). Charophytes du Crétacé inférieur ; D1 : Atopochara trivolvis triquetra GRAMBAST (Barrémien supérieur-Aptien inférieur) ; D2 : Globator trochiliscoides GRAMBAST. (Barrémien supérieur) ; E1 : Flabellochara harrisi (PECK) GRAMBAST (Hauterivien-Aptien) ; E2 : Globator mutabilis (MOJON) MOJON, (Barrémien inférieur). Charophytes du Jurassique supérieur ; F1 : utricules de Dictyoclavator ramalhoi GRAMBAST-FESSARD (Clavatoracées), (Kimméridgien) ; F2 : gyrogonites de Porochara kimmeridgensis (MÄDLER) MÄDLER emend. MOJON (Porocharacées) (Oxfordien?–Kimméridgien). Source : A. Charrière et al., 2011. Photo 2. Empreinte tridactyle d’un dinosaurien théropode de grande taille sur une dalle à rides. Bathonien- ? Callovien, au Sud d’Imilchil (noter le remplissage de l’empreinte par le grès sus-jacent, mettant en valeur la morphologie des doigts). Cliché : A. Charrière, inédit. 6. Plantes aquatiques d’eau douce ou saumatre dont les parois cellulaires et les gamétanges femelles peuvent être fossilisés par calcification (voir photo 1). Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents deltaïques s’écoulant également vers le domaine téthysien. Dans le MA,une lithologie diversifiée correspond à des environnements oscillant entre ceux de plaine littorale, de delta marin et localement de lagune évaporitique. Du point de vue géodynamique,la période se caractérise d’abord par des dépôts syntectoniques (bassins dissymétriques, biseaux à proximité d’axes émersifs, discordances progressives intraformationnelles), à proximité de nombreuses rides anticlinales directionnelles ou de décrochements transverses.Ceci a conduit plusieurs auteurs (Jenny et al., 1981 ; Monbaron, 1982) à évoquer une « phase tectonique médio-jurassique ». Cependant, le contexte extensif ou transtensif des déformations médio-jurassiques est souligné par des évènements volcaniques ou subvolcaniques (magmatisme basaltique B1), sur le versant nord du HAC. Beaucoup d’indices d’instabilité sont attribuables au diapirisme (Ibouh et Chafiki, ce vol.). La même période se caractérise aussi par un soulèvement généralisé du Maroc mésétien (voir figure 1) et atlasique (à l’exception de la marge atlantique), avec basculement en direction téthysienne. La régression se fait progressivement durant le Bathonien-Callovien inférieur, entre le Haut Atlas, où les derniers termes marins sont d’âge Bathonien inférieur, et le Moyen Atlas, où la dernière récurrence marine est datée du Bathonien supérieurCallovien inférieur.Une épaisse sédimentation deltaïque se poursuit corrélativement au Callovien et au début du Jurassique supérieur dans l’avant-pays rifain oriental. L’originalité de cette période bathoniennecallovienne est de cumuler ainsi une sédimentation importante, trahissant la subsidence des dépocentres dépendant du réseau tectonique régional (failles normales, diapirs) et correspondant aux bassins synclinaux actuels,avec un soulèvement d’ensemble du domaine mésétien et atlasique combiné à un basculement vers le NE. Il s’agit nécessairement d’un bouleversement de la paléotopographie dynamique sous contrôle mantélique. Le Jurassique supérieur et le Néocomien, période dominée par l’érosion L’enregistrement sédimentaire est très limité, au cours de cette longue période d’érosion subaérienne entre 160 et 130 Ma. La sédimentation, exclusivement continentale, n’est enregistrée qu’en certains points du domaine atlasique téthysien (voir figure 2). Dans le MA et le HAO, quelques dépressions locales en bordure de paléoreliefs pouvaient piéger temporairement des matériaux fluviatiles ; c’est le cas des Fm Oued el Atchane (FOA) et Fm Ksar Metlili (FKM). Dans des cuvettes du Haut Atlas central,la sédimentation est plus conséquente avec des dépôts continentaux marécageux et lacustres d’âge oxfordien- kimméridgien identifiés dans certains synclinaux à la base de la Fm Iouaridène (FIO). Le domaine mésétien et atlasique marocain tout entier formait alors une voussure émergée au sud de la zone de jonction, entre la Téthys liguro-maghrébine et l’Atlantique central. Le Barrémo-Aptien et la réactivation du rift atlantique Une reprise érosive importante initie un nouveau cycle sédimentaire sur l’ensemble du domaine atlasique téthysien. La nature de la sédimentation qui se développe au cours du Barrémien et de l’Aptien traduit une évolution paléogéographique distincte selon les secteurs (voir figure 2). Dans le MA et le HAO, l’enregistrement sédimentaire, respectivement représenté par la Fm de Sidi Larbi (FSL) et la Fm de Dekkar (FDK), reprend avec des dépôts conglomératiques continentaux discordants sur un substratum profondément affouillé. La sédimentation passe progressivement au cours du temps à des environnements fluviatiles, puis fluvio-lacustres (dans le HAO) ou fluvio-marins (dans le MA). Sur le versant nord du HAC, les dépôts de cette période sont quantitativement très importants (Haddoumi et al., 2010). Les argiles évaporitiques de la Fm des Iouaridène (FIO) sont associées à des influences laguno-marines témoignant du rattachement paléogéographique de la bordure NW du HAC à la marge atlantique au Barrémien. La Fm du Jbel Sidal (FJS) marque l’apparition d’un nouvel épandage détritique, grossier et généralisé, durant le Barrémien. Ainsi, une « tectonique extensive barrémienne », auparavant insoupçonnée en raison de l’absence d’identification de cet étage dans le MA, HAO et le HAC, s’est manifestée dans le domaine atlasique téthysien.Les dépôts barrémiens et aptiens sont contrôlés par le rejeu du réseau structural régional N-S et N40° dans le MA. Dans le HAO, ils remplissent une gouttière de direction E-W, alignée au niveau du front nord-atlasique et alimentée par le démantèlement des reliefs atlasiques situés au Sud. Dans le HAC, l’échelonnement des différents bassins barrémiens est également sous contrôle tectonique. À l’intérieur d’un bassin, on constate généralement une dissymétrie du remplissage sédimentaire barrémien. Le matériel détritique de la FJS, constitué de conglomérats, de litharénites et de grès calcaires, est, pour partie, alimenté par les reliefs locaux.Au cours de cette période,le drainage des matériaux fluviatiles s’effectue vers l’W, le NW ou le SW, c’est-à-dire vers un exutoire atlantique (Souhel,1996),ce qui prouve une inversion de la pente paléogéographique,ayant basculé du secteur téthysien, au Dogger, vers le domaine atlantique, au Barrémien. La réapparition de l’activité volcanique (basaltes B2) dans le HAC et son synchronisme avec la reprise érosive sont également révélateurs de la réactiva- Géologues n°194 31 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents tion de la tectonique extensive au cours du Barrémien. La période barrémienne se caractérise par le morcellement du domaine précédemment émergé avec la formation de nouveaux bassins évoluant de façon distincte selon les secteurs : i) en milieu intracontinental dans le HAO, ii) en liaison avec un nouveau golfe téthysien dans le MA (et probablement au front nord du Haut Atlas oriental), la sédimentation continentale barrémienne évoluant vers une sédimentation margino-littorale aptienne, iii) en liaison avec un golfe atlantique dans le HAC, la sédimentation fluviatile, lagunaire à margino-littorale du Barrémien, faisant place à une sédimentation franchement marine à l’Aptien. Les « Couches rouges paléogènes » discordantes sur les rides anticlinales du Haut Atlas central et l’inversion tectonique 32 sés (Fig. 3C). Les riches associations floristiques représentées ont donné un âge Thanétien (Fig. 3D). Sur la ride voisine de Tassent, le haut de la série rouge a livré quelques charophytes du Thanétien-Yprésien. Une étude en cours de micromammifères provenant du site TF 33 tendrait à indiquer (Tabuce, comm. orale) un âge éocène encore plus récent. Quoi qu’il en soit, ces dépôts ne sont pas associés à un cycle jurassique ou crétacé, mais au cycle sédimentaire paléocène-éocène, au cours duquel ils ont jalonné la bordure méridionale du golfe atlantique des Phosphates qui s’étendait largement en Meseta occidentale. Le curieux dispositif géométrique de conservation des couches rouges paléogènes en synclinaux perchés sur les rides de la région d’Imilchil a été décrit sous le nom de « Syncline-topped Anticlinal Ridges » (STARs) par Michard et al. (2011). Leur genèse est fondamentalement tributaire du diapirisme (Ibouh et Chafiki, ce vol.). Ainsi,les études sédimentologiques et les datations biostratigraphiques des diverses couches rouges continentales présentes dans le domaine atlasique téthysien ont permis de préciser le déroulement de l’histoire géodynamique de ce domaine, d’une part dans la période jurassico-crétacée, d’autre part au tout début du Tertiaire. Dans la région d’Imilchil située dans la partie axiale du Haut Atlas (voir figure 2), la plupart des couches rouges continentales se rencontrent dans les aires synclinales et sont associées à la régression bathonienne, mais sur quelques sites (TAS, TS, AM, TA) certaines reposent en discordance sur des axes anticlinaux à cœur triasique emballant des masses de calcaires liasiques et des intrusions magmatiques (Fig. 3A). Ces couches rouges fortement discordantes ont été longtemps assimilées à celles des synclinaux et ainsi attribuées au Jurassique moyen ou supérieur et/ou au Crétacé inférieur, les calcaires sus-jacents étant considérés comme du Cénomanien marin. On interprétait alors logiquement les plis anticlinaux scellés par ces dépôts comme liés à une phase majeure compressive ou transpressive d’âge Jurassique supérieur (Laville et al., 1991 ; Piqué et al., 1998). L’étude stratigraphique détaillée des Couches rouges discordantes sur la ride de Tasraft (Charrière et al., 2009 ; Fig. 3B) a conduit à abandonner totalement la précédente hypothèse géodynamique. Les calcaires interstratifiés dans la série rouge et ceux de la partie sommitale sont en fait des dépôts lacustres avec de rares intercalations laguno-marines, sans lien avec les calcaires marins du Cénomanien-Turonien. Les niveaux pélitiques et marneux échantillonnés ont livré des microfossiles exclusivement Figure 3. Couches rouges discordantes sur le cœur de la ride de Tasraft. A : Coupes de la structure et attributions stratigraphiques antérieures. B : Coupes détaillées de la série discordante. C : continentaux, avec notamment des charophytes Position des charophytes et des ostracodes récoltés.D :Répartition stratigraphique des associations réparties dans les différents épisodes superpo- de charophytes. (A) d’après Piqué et al., 1998 ; (B-D) d’après Charrière et al., 2009. Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Le Précambrien à la bordure nord du craton ouest-africain (Anti-Atlas et Haut Atlas, Maroc) Abderrahmane Soulaimani 1 , Kevin Hefferan 2 . Données générales Au cours des dernières décennies, les nombreux travaux de cartographie au 1/50 000 réalisés dans l’Anti-Atlas et les datations U/Pb ont apporté de très importantes précisions sur les événements sédimentaires, magmatiques et tectoniques enregistrés dans les terrains du Précambrien. Ces terrains sont particulièrement bien exposés dans l’Anti-Atlas,où ils apparaissent en « boutonnières » (massifs anciens souvent en creux morphologique) sous les terrains paléozoïques (voir Michard et al., ce volume, coupe fig. 5). Or, ces boutonnières définissent, par les Figure 1. Carte de répartition des terrains précambriens dans l’Anti-Atlas-Ouzellarh. Source : Gasquet terrains qu’elles font affleurer, deux et al., 2008, modifié. domaines bien distincts, séparés l’un de déformé de la chaîne néoprotérozoïque panafricaine. Le l’autre, par une zone faillée précambrienne, l’Accident long de l’accident et vers le nord-nord-est (notamment Majeur de l’Anti-Atlas (AMAA) de direction moyenne E-O dans le Jebel Saghro et le massif de l’Ouzellarh, promon(Fig. 1). Au sud-sud-ouest de cet accident, on trouve un toire anti-atlasique inclus dans l’Atlas de Marrakech), on domaine, formé essentiellement de granites et schistes trouve le domaine mobile panafricain, avec des lambeaux paléoprotérozoïques, recouvert d’une couverture paléode terrains cryogéniens impliqués dans une succession de protérozoïque et de séries volcano-clastiques de l’Ediacacollages d’arcs,associés à des ophiolites néoprotérozoïques rien supérieur. C’est l’avant-pays cratonique plus ou moins et à des turbidites de l’Ediacarien inférieur, l’ensemble étant recouvert par les mêmes séries de l’Ediacarien supérieur que plus au sud. Figure 2. Répartition des âges U/Pb des différentes roches magmatiques précambriennes dans l’Anti-Atlas et le Haut Atlas. Source : Hefferan et al., 2014, modifié. L’ensemble des âges U/Pb mesurés dans l’Anti-Atlas et l’Ouzellarh montrent deux cycles magmatiques majeurs, éburnéen (2200-1700 Ma) puis panafricain (800-500 Ma) (Fig. 2). Les terrains archéens sont absents et le Mésoprotérozoïque uniquement représenté par des dykes basiques. Le cycle panafricain (850-545 Ma) englobe les processus de fragmentation du supercontinent Rodinia puis d’amalgamation du Gondwana, suivi de la dislocation de sa bordure nord. Au Maroc, on peut maintenant le subdiviser en quatre phases distinctes (Hefferan et al., 2014) : i) l’installation de la plateforme cratonique et l’édification d’arcs océaniques au Néoprotérozoïque inférieur (850-750 Ma) ; ii) la phase panafricaine précoce (PAN1) (760-700 Ma) ; iii) la phase panafricaine majeure (PAN2) (680-640 Ma) ; iv) la phase panafricaine tardive (PAN3) (620 à 585 Ma), et enfin v) l’édification de la chaine volcanique édiacarienne du Groupe de Ouarzazate (580-545 Ma). 1. Professeur à l’Université Caddi Ayyad, Faculté des Sciences Semlalia, Maroc. Courriel : soulaimani @gmail.doc 2. Professeur à l’Université du Wisconsin-Stevens Point, États-Unis. Courriel : [email protected] Géologues n°194 33 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents 34 Le Paléoprotérozoïque et le cycle Eburnéen zites (Fig. 3) montre que le substratum éburnéen a été exhumé et arasé dès avant la fin du Paléoprotérozoïque. Le substratum paléoprotérozoïque de l’Anti-Atlas est formé de roches méta-sédimentaires et méta-volcaniques recoupées par des intrusions plutoniques éburnéennes. Les granitoïdes les plus anciens sont calco-alcalins et modérément potassiques, mis en place vers 2180 Ma, dans un probable contexte de subduction ;ils sont suivis de plutons synorogéniques calco-alcalins et peralumineux à partir de 2050 Ma (Thomas et al., 2002 ; Gasquet et al., 2004 ; Blein et al., 2014b). L’âge de certains des métasédiments dérivant de dépôts de plateforme silicoclastique distale a été approché par celui des laves interstratifiées : 2072±8 Ma (Walsh et al., 2002). Ces quelques âges U-Pb donnent déjà une idée de la complexité du cycle éburnéen ! Le Mésoprotérozoïque Après l’orogenèse éburnéenne, des dykes acides et basiques se mettent en place aux alentours de 1760 Ma (Gasquet et al., 2004 ; Ikenne et al., 2017), annonçant une phase d’extension liée à la dislocation de la masse Columbia (Youbi et al., 2013). C’est sans doute dans ce cadre que s’installent les dépôts de plateforme du Groupe de Taghdout-Lkest (GTL), longtemps considérés d’âge néoprotérozoïque inférieur. Cette ancienne attribution, déjà questionnée par Abati et al. (2010), est définitivement remise en cause par les âges de 1710 et 1639 Ma des dykes basiques intrusifs respectivement dans les quartzites d’Igherm (Ikenne et al., 2017) et de Taghdout (Aït Lhana et al., 2016), au profit d’un âge paléoprotérozoïque supérieur. La classique discordance majeure à la base des quart- Fracturation de la plateforme cratonique et développement d’arcs intra-océaniques (850-750 Ma). Malgré la multiplication des datations U-Pb, l’absence totale de l’orogenèse grenvillienne se trouve confirmée dans l’Anti-Atlas. Les seules roches mésoprotérozoïques récemment reconnues sont des dykes basiques datés sur baddeleyite à 1385-1415 Ma (El Bahat et al., 2013). Ces dykes témoignent seulement d’un épisode de fracturation du craton ouest-africain. Le Néoprotérozoïque et le cycle panafricain Le cycle panafricain débute avec la mise en place de filons basiques dans le socle éburnéen de l’Anti-Atlas centre-occidental entre 850 et 885 Ma (Kouyaté et al., 2013). Dans la boutonnière de Bou Azzer, le Groupe de Tachdamt-Bleïda est considéré comme fait de dépôts de plateforme du Néoprotérozoïque inférieur, prolongeant celle du Groupe de Taghdout-Lkest (Bouougri et Saquaque, 2004). Des laves s’y intercalent, indirectement datées à 768 Ma (Clauer, 1976) et associées à des tufs datés du Tonien (Bouougri, travaux en cours). Plus au nord (coordonnées actuelles) et dans un espace océanique bordant le craton, s’opère l’édification d’arcs volcaniques intra-océaniques entre 770 et 750 Ma. À Bou Azzer, des âges U-Pb de 760-770 Ma sont mesurés dans les laves de l’arc magmatique Tichibanine-Ben Lgrad (Soulaimani et al., 2013), âges identiques à ceux des plagiogranites de l’ophiolite de Tasriwine dans le Siroua (761 Ma ; Samson et al., 2004), ou encore à ceux des protolithes des métagabbros de Tazigzaout à Bou Azzer (752 Ma., D’Lemos et al., 2006), de l’orthogneiss de Bou Azzer (755 Ma), et des migmatites d’Iriri dans le Siroua, datées à 743 Ma (Thomas et al., 2002). Un métagabbro de l’ophiolite de Bou Azzer a été daté par SHRIMP3 à 697±8Ma (El Hadi et al., 2010), suggérant que les Figure 3. La discordance du Tizi n’Tarhatine, sur la route entre Ouarzazate et Taroudant, décrite dès 1938 éléments de cette ophiolite démembrée par Neltner, sépare les orthogneiss éburnéens de leur couverture quartzitique (Groupe de Taghdout- ont été échantillonnés par la tectonique Lkest). Cette discordance a été le siège d’un décollement majeur, probablement pendant la collision panafricaine : elle est devenue un contact anormal entre socle rigide et couverture plissée. Cliché et d’obduction à divers endroits d’un espace interprétation : A. Soulemani. océanique assez large. Notons qu’à Bou 3. Sensitive High Resolution Ion MicroProbe : outil associant microsonde ionique et spectromètre de masse utilisé pour des datations géochronologiques U/Pb. Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents La phase panafricaine précoce (PAN1, 770-700 Ma) Figure 4. Le paléo-Moho néoprotérozoïque des Aït Ahmane, dans la boutonnière de Bou Azzer. Cliché : A. Michard. Azzer, le cisaillement basal de l’ophiolite a échantillonné le toit du manteau lithosphérique (Fig. 4), circonstance qui a permis le développement ultérieur des fameux gisements à cobalt, nickel, chrome, arsenic. Les arcs insulaires intra-océaniques édifiés entre 770 et 750 Ma ont été déformés le long de l’axe Bou-AzzerSiroua dans le faciès amphibolite de haute température, selon une cinématique dextre dominante (D’Lemos et al., 2006). Les orthogneiss ainsi formés ont ensuite été recoupés par des filons de leucogranite non déformés, datés aux environs de 700 Ma (D’Lemos et al., 2006 ; Blein et al., 2014). Cette première phase de déformation panafricaine correspondrait au collage de l’arc volcanique de Tachakoucht-Bou Azzer contre la marge cratonique (Fig. 4) (Hefferan et al., 2014 ; Triantafyllou et al. 2015). La phase panafricaine majeure (PAN2, 560-540 Ma) Une nouvelle accrétion d’arcs volcaniques le long de la marge gondwanienne est responsable de la secon- 35 Figure 5. Modèle géodynamique du cycle panafricain sur le transect de la boutonnière de Bou Azzer. Source : ce travail. Géologues n°194 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents de phase de déformation dont les structures se superposent à l’ancienne fabrique de la phase PAN1 (Triantafyllou et al., 2015). C’est une déformation à vergence cratonique, décro-chevauchante sénestre à Bou Azzer (Saquaque et al., 1989) et à vergence sud dans le Siroua (Triantafyllou et al., 2015), qui s’est opérée dans le faciès des schistes verts de haute température (Bousquet et al., 2008). Dans la boutonnière de Bou Azzer, cette phase, responsable de l’obduction de l’ophiolite, est accompagnée ou suivie de près par la mise en place d’intrusions syncinématiques autour de 650 Ma : Aït Ahmane, Bou Oufroukh et Tafraout à Bou Azzer (Inglis et al.,2005) et Tourtit dans le Siroua, (Triantafyllou et al., 2015). C’est l’âge du paroxysme de la déformation synmétamorphique, alors que la mise en place tardi-tectonique du massif de l’Ousdrat (540 Ma) marque la fin des compressions panafricaines. Dans le massif de Siroua, le pic du métamorphisme régional est placé à 647 Ma, âge de grenats métamorphiques de l’ophiolite de Tasriwine (Inglis et al., 2017). La polarité de la subduction panafricaine a longtemps été débattue (Leblanc, 1975 ; Saquaque et al., 1989) mais un consensus sur des subductions à plongement nord (voir Fig. 5A-C) est maintenant établi (Soulaimani et al., 2006 ; Walsh et al., 2012 ; Hefferan et al., 2014). Notons qu’en dehors de la zone de suture, l’absence de terrains du Cryogénien à l’affleurement rend difficile la mise en évidence des effets de la tectonique panafricaine dans l’Anti-Atlas, où des remobilisations du substratum éburnéen le long de zones de cisaillements sont cependant clairement admises (Ennih et al., 2000). De plus, les terrains du Groupe de Taghdout-Lkest sont fortement plissés et recristallisés en faciès schistes vert de bas degré. La phase panafricaine tardive (PAN3, 520-580 Ma) Le Groupe de Saghro déposé dans les massifs du Siroua-Ouzellarh et du J. Saghro-Ougnat montre une sédimentation greywackeuse turbiditique, épaisse de plus de 8000 m et déposée au pied d’un arc andésitique (Michard et al., 2017). Les âges relativement jeunes des zircons détritiques dans ce groupe (630 à 610 Ma ; Liégeois et al., 2006 ; Abati et al., 2010) montrent que la formation de ces bassins est postérieure à la phase majeure panafricaine et témoignent du développement de dépocentres au nord de la zone de suture, en réponse au collapse de la chaîne panafricaine. Par la suite,ces bassins sont déformés par des plis droits synschisteux dans des conditions de métamorphisme de faible degré, puis recoupés par des grani- 36 Géologues n°194 toïdes post-tectoniques édiacariens (575 à 550 Ma). Le long de la zone de suture, les Séries de Tiddiline et de Bou Salda correspondent à des dépôts volcano-clastiques déformés entre 606 Ma, âges de laves interstratifiées dans la Série de Tiddiline, et 580 Ma, base du Groupe de Ouarzazate (Soulaimani et al., 2013). Ces deux dernières séries paraissent donc plus jeunes que le Groupe du Saghro, mais toutes ces formations sont affectées par les dernières compressions panafricaines entre 600 et 585 Ma (phase cadomienne ; Michard et al., 2017). La chaine volcanique de l’Ediacarien supérieur (580-545 Ma) En discordance angulaire sur les différents terrains que nous venons de décrire, le Groupe de Ouarzazate correspond à des séries volcaniques et volcano-clastiques de lithologie et d’épaisseur très variables (0-2 km). Ce sont les restes d’une chaîne volcanique édifiée au cours de l’Édiacarien supérieur, à la bordure nord-ouest du craton (Thomas et al., 2002), associée à une intense activité hydrothermale à l’origine de minéralisations variées (Ag, Hg, Cu, Pb, Zn, Au, Co, Ni, As). Le magmatisme est de nature calco-alcaline fortement potassique à shoshonitique, de type arc volcanique (Thomas et al., 2002 ;Walsh et al., 2012). Ce magmatisme d’arc s’atténue rapidement aux alentours de 545 Ma lors de la première transgression cambrienne. Il est remplacé par les laves alcalines du J. Boho au Cambrien inférieur (Ducrot et Lancelot, 1977). Les dépôts du Groupe de Ouarzazate sont attribués aux phases tardives panafricaines dans un contexte tardi- à post orogénique globalement transtensif (Thomas et al., 2002). Son magmatisme est considéré en lien indirect de la subduction panafricaine antérieure (Leblanc, 1975 ; Ennih et al., 2001). Les nouvelles reconstructions du pourtour gondwanien à 580-530 Ma (Linnemann et al., 2013) montrent l’occurrence d’une subduction vers le sud de la Proto-Téthys, configuration qui placerait l’Anti-Atlas dans une position arrière-arc. L’activité magmatique observée serait en lien direct avec la subduction cadomienne de type andine à l’arrière de l’arc cadomien (voir Fig. 5D ;Walsh et al., 2012 ; Hefferan et al., 2014). Par la suite, après la collision des blocs continentaux avalonien et/ou cadomien avec la marge gondwanienne, on assiste au rifting de tout ce domaine panafricain et à l’ouverture des bassins cambriens de l’Anti-Atlas et de la Meseta (Hoepffner et al., ce vol.). Ces rifts cambriens avorteront par la suite et l’océanisation aura lieu plus à l’ouest au cours de l’Ordovicien inférieur (Linnemann et al., 2013). géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Dorsale Reguibat et Massif des Oulad Dlim, l’avancée des connaissances Pilar Montero 1 , Fernando Bea 1 , Faouziya Haissen 2 , José Francisco Molina-Palma 1 , Francisco González-Lodeiro 3 , Abdellah Mouttaqi 4 , Abdellatif Errami 4 . Introduction Le secteur étudié était nommé Sahara occidental ou Rio de Oro sous le protectorat espagnol, qui a duré jusqu’en 1975. De cette période espagnole, marquée principalement par la découverte des mines de phosphates de Bou-Kraa en 1945 (Alia-Medina, 1971), persistent des publications de grande qualité, dont principalement les cartes au 1/200 000 dues à Alia-Medina et collaborateurs et la synthèse due à Arribas (1968). Après 1975, ce secteur fut le théâtre de conflits militaires avec un minage mal localisé rendant les expéditions de terrains extrêmement dangereuses. Le Plan national de Cartographie géologique lancé en 1996 par le Ministère de l’Energie et des Mines marocain et les travaux d’exploration de l’ONHYM n’ont rouvert l’accès de ces régions aux géologues que depuis deux décennies à peine. Les études géologiques menées sur la Dorsale Reguibat (Sud du Maroc) par les groupes de recherche des universités de Grenade (Espagne) et de Casablanca (Maroc) en collaboration avec les géologues de l’ONHYM ont débuté en 2011. Le point de départ fut un projet financé par l’AECID (Université de Grenade) et coordonné par deux femmes géologues, l’une espagnole et l’autre marocaine, pour l’étude de la pétrologie, géochimie et géochronologie des terrains de la Dorsale Reguibat. La première expédition a ciblé les terrains archéens de la zone Awserd-Tichla jusqu’à la frontière avec la Mauritanie (Fig. 1). Un échantillonnage détaillé des syénites à feldspathoïdes d’Awserd fut également réalisé. À la demande et sous la supervision des géologues de l’ONHYM, les carbonatites de Glibat Lafhouda qui affleurent au sein du massif des Oulad Dlim, charrié sur la Dorsale (voir Michard et al., ce vol.) furent échantillonnées. Lors des campagnes suivantes, les recherches ont migré depuis les terrains de la Dorsale Reguibat vers ceux des Oulad Dlim. Les résultats de ces recherches ont été pour la plupart publiés (Bea et al., 2013, 2014 ; Montero et al., 2014 ; Bea et al., 2016 ; Montero et al., 2016). Nous en résumons ici l’essentiel, en y ajoutant quelques résultats remarquables en phase de publication. Figure 1. Esquisse géologique de la Dorsale Reguibat et du Massif des Oulad Dlim entre la région d’Awserd-Tichla et l’océan Atlantique. Les écailles quartzitiques de Tisnigaten forment une bande étroite, non individualisée ici, entre les sédiments autochtones de la Dorsale Reguibat (unité Latitabyine-Lahwida) et l’unité des gneiss de Bu-Lautad. Source : ce travail. 1. Departamento de Mineralogía y Petrología, Universidad de Granada, Campus Fuentenueva, 18071 Granada, Spain. Courriels : [email protected], [email protected], [email protected] 2. LGCA, Département de Géologie, Faculté des Sciences Ben Msik, Université Hassan II de Casablanca, Maroc. Courriel : [email protected] 3. Departamento de Geodinámica, Universidad de Granada, Campus Fuentenueva, 18071 Granada, Espagne. Courriel : [email protected] 4. Office National des Hydrocarbures et des Mines, 5 Avenue Moulay Hassan, Rabat, Maroc. Courriels : [email protected], [email protected] Géologues n°194 37 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Contexte géologique La plus grande partie de ces régions est sans relief et désertique, avec de rares affleurements de mauvaise qualité. Seules font exception des zones de petites montagnes comme celles de l’Adrar Souttouf et des syénites d’Awserd. La zone Awserd-Tichla (selon la nomenclature de Rjimati et al.,2002) comprend la partie nord des terrains du Tasiast-Tijirit (Dorsale Reguibat) dont le contact vers l’ouest avec le massif des Oulad Dlim se fait par le biais d’une bande étroite de terrains paléozoïques plissés (le domaine Latitabyine-Lahwida) qui affleure principalement vers le nord (Michard et al., ce volume). Les lithologies prédominantes de cette zone sont : les gneiss TTG (Suite d’Aghaylas), la ceinture de roches vertes (« greenstone belt ») de Tichla et les syénites à feldspathoïdes d’AwserdLechuaf. Le massif des Oulad Dlim, quant à lui, est décrit comme une succession d’unités tectoniques mises en place durant l’orogenèse varisque : c’est le segment septentrional de la chaîne des Mauritanides (Sougy, 1969 ; Villeneuve et al., 2006, 2015 ; Michard et al., 2008, 2010 ; Rjimati et al., 2011). Synthèse des données récentes La Dorsale Reguibat dans la zone Awserd-Tichla La suite d’Aghaylas est formée principalement de tonalites et trondhjemites et en moindre quantité de granodiorites et granites (d’où le nom de suite « TTG ») affectés par une migmatisation localement très intense.Les protolithes des gneiss varient entre des tonalites à biotite+ amphibole+épidote et des granites et trondhjemites à biotite+épidote, avec invariablement une texture hypidiomorphique. Leur géochimie se caractérise par un appauvrissement en HREE5, Nb, Ta et U, des rapports élevés de Th/U et K/Rb, des rapports initiaux bas de Sr (87Sr/86Sr(t) de 0.7003 à 0.7030),εNd(t) positifs (+2 à +5) et des âges modèles de Nd (TCr) entre 3,04 et 2,92 Ga. Huit échantillons ont été datés par U-Pb sur zircon (Université de Grenade) aboutissant dans tous les cas à des discordia par perte de Pb très bien définies,avec des âges à l’intercept supérieur entre 3,04 ± 0.01 et 2,92 ± 0.10 Ga.La concordance entre l’âge modèle et l’âge de cristallisation indique que le principal épisode de création de la croûte dans la zone étudiée a eu lieu entre 3,1 et 3,0 Ga. La composition chimique indique qu’il ne s’agit pas de TTG juvéniles mais plutôt du résultat de la fusion partielle de TTG juvéniles antérieurement métamorphisées (Montero et al., 2014). 38 Plusieurs plutons de syénites à feldspathoïdes forment le groupe d’Awserd-Lechuaf,deux dans la partie maro- 5. Heavy Rare Earth Element (Groupe de l’yttrium). Géologues n°194 caine de la Dorsale Reguibat,d’autres en dehors du territoire marocain. Parmi les massifs marocains, le plus grand et le plus représentatif est celui d’Awserd, il s’agit d’un corps intrusif qui affleure en un anneau (ring dyke) spectaculaire de 12x10 km (Rjimati et al., 2002). Le massif est intrusif dans les gneiss TTG d’Aghaylas. Il est composé principalement de syénites à néphéline qui forment la partie externe de l’anneau et de syénites à kalsilite qui en forment la partie interne. Des syénites saturées en silice, beaucoup moins importantes,sont également observées dans la bordure sud-occidentale de l’intrusion. Les syénites à néphéline sont formées de feldspath potassique, néphéline, clinopyroxène, biotite et accessoirement grenat. Les syénites à kalsilite sont formées de feldspath potassique,kalsilite et biotite. La géochimie indique qu’il s’agit de roches intermédiaires à felsiques anormalement riches en K (K2O jusqu’à 20 wt% dans quelques syénites à kalsilite) avec des rapports initiaux de Sr et Nd très primitifs (87Sr/86Sr(t) ≈ 0.7022 ±0.0003), εNd(t) ≈-1,8 Ma ±0,2 dans les syénites à kalsilite et -3,5 Ma ±1,2 dans les syénites à néphéline et des âges modèles de Nd (TDM) de 2,5 à 3 Ga. Quatre échantillons ont été datés par U-Pb sur zircons (deux syénites à néphéline et deux syénites à kalsilite), et ces mêmes zircons ont été analysés pour les isotopes d’oxygène. Les âges obtenus (2,46 ±0,01 Ga) sont identiques pour les 4 échantillons, confirmant que les deux types de syénites sont de même âge. Cet âge (2,46 ±0,01 Ga) est également obtenu par Rb/Sr sur roche totale provenant de 15 échantillons appartenant aux deux types de syénites qui se projettent ainsi sur la même isochrone, confirmant que les deux types de roches sont cogénétiques. Les isotopes d’oxygène sur les zircons donnent pour les deux types de syénites des signatures clairement mantéliques, avec ∂18O entre 4,8 et 5,5. L’interprétation proposée pour la pétrogenèse de ces syénites à kalsilite est une refusion hydratée d’une couronne leucitique formée en profondeur (Bea et al., 2013, 2014). La ceinture de roches vertes de Tichla est un corps allongé NNE-SSW de ≈ 90 km de long, large de 5 km au nord et de 20 km au sud, encaissé dans les gneiss d’Aghaylas. Il est formé par des roches basiques et ultramafiques, principalement des serpentinites, et par des métasédiments. Un seul échantillon a été daté par U-Pb sur zircon donnant une population d’âge qui définit une discordia par perte de Pb avec un âge à l’intersection supérieure de 3,02 ±0,01 Ga, identique à l’âge 207Pb/206Pb des points les plus concordants. L’âge obtenu est légèrement plus ancien que celui des gneiss intrusifs dans la ceinture (3,01 Ga), mais légèrement plus jeune que celui des gneiss d’Aghaylas les plus anciens (3,03 Ga). L’âge de cette « greenstone belt » se trouverait ainsi limité entre 3,01 et 3,03 Ga. Des géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents métavolcanites acides terminant le cycle éruptif de la ceinture ont cependant fourni un âge U-Pb-TIMS zircon de 2,965 Ga dans des affleurements situés plus au sud (Key et al., 2008). Les roches gabbroïques de Tichla présentent un εNd négatif et l’âge modèle de Nd le plus ancien de toute la région étudiée (TCR = 3,4 Ga), impliquant ainsi l’existence d‘une croûte plus ancienne non reconnue dans la suite d’Aghaylas (Montero et al., 2014). Le Massif des Oulad Dlim À l’ouest des sédiments paléozoïques autochtones de Lititabyine-Lahwida, affleure d’abord une étroite bande d’écailles quartzitiques (formation Tisnigaten de Rjimati et al., 2002) attribuables au Cambrien (Gärtner et al., 2017), puis une bande large de 20 à 40 km de gneiss felsiques (gneiss de Bu-Lautad, voir Fig. 1) avec de rares métasédiments et des couches d’amphibolites. Deux échantillons de ces gneiss ont été datés par U-Pb sur zircon, donnant des discordia par perte de Pb avec un âge à l’intersection supérieure de 3,0 ±0,01 et 3,12 ±0,01 Ga, légèrement plus ancien que celui des gneiss autochtones d’Aghaylas (Montero et al., 2014). Les gneiss de Bu-Lautad représentent donc une unité de socle archéen à la base du massif des Oulad Dlim. Ils sont recouverts au nord par les micaschistes à grenat de Laglat dont les zircons détritiques les plus jeunes ont donné un âge de 2,84 Ga (Bea et al., 2016) et qui sont intrudés par le granite peralcalin cambrien de Derraman. Au sud, les gneiss de Bu-Lautad sont intrudés par les massifs à carbonatites paléoprotérozoïques de Gleibat Lafhouda. Le granite peralcalin de Derraman affleure à l’est du massif des Oulad Dlim,dans la partie nord du domaine des gneiss de Bu-Lautad (voir Fig. 1). Il s’agit de deux corps principaux de ≈ 2 km de diamètre et de quelques corps Photo 1. Aspect du granite de Derraman à l’affleurement. Ce granite cambrien est affecté par la foliation à pendage WNW liée à la mise en place des nappes varisques sur la bordure du craton de l’Ouest africain. Les critères cinématiques indiquent un cisaillement vers l’ENE (flèche noire). Cliché : A. Michard. satellitaires mineurs de granites peralcalins à aegirine et riébeckite. Ces roches sont affectées par une foliation varisque à pendage ouest (Fig. 2) et critères de cisaillement à vergence vers l’est, comme dans les micaschistes de Laglat (Michard et al., 2010). Il s’agit de granites hypersolvus avec des textures agpaitiques à grain fin à moyen, formés par feldspath mésoperthitique, quartz, riébeckite, aegirine et des quantités mineures de biotite. En géochimie, ils se classent comme granites de type-A1 (Eby, 1990, 1992) caractérisés par de fortes concentrations de REE et des éléments HFS, des rapports Th/U et Nb/Ta proches de ceux du manteau, εNd(t) = -5,2 à -6,8, très négatifs et des âges modèles de Nd (TCR) = 1.83 Ga. Des zircons de deux échantillons de granites de grain grossier (un de chaque corps principal) et deux de dykes de grain fin ont été datés par SHRIMP U-Pb. Les granites ont donné des âges de 525 et 527 ±3 Ma, un des dykes a donné le même âge (524 ±3 Ma) alors que l’autre a donné un âge légèrement plus jeune (517 ±3 Ma). Ces âges de cristallisation sont considérablement plus jeunes que les âges modèles. Ceci, ajouté aux valeurs hautement négatives de εNd(525 Ma) laisse supposer que la source de ces roches peut résulter de la fusion d’une source crustale ancienne. La présence de complexes intrusifs de carbonatites est un caractère remarquable des Oulad Dlim. Deux de ces complexes affleurent correctement et ont donc pu être étudiés : Gleibat Lafhouda à l’est et Twihinate à l’ouest (voir figure 1). Or ces intrusions diffèrent profondément l’une de l’autre ! Le complexe de Gleibat Lafhouda est intrusif dans les gneiss archéens du domaine de Bu-Lautad. Il est formé de trois corps lenticulaires sub-circulaires de magnésio-carbonatites avec un âge de cristallisation U-Pb de 1,85 ±0,3 Ga, un âge modèle de Nd (TCR) de 1,89 Ga (identique à l’âge de cristallisation) et εNd(1.85Ga) positif entre +4,7 et +6,0 Ga. Ces carbonatites font partie de ce que nous avons appelé la Province alcaline occidentale des Reguibat (Montero et al., 2016). Le complexe de Twihinate, quant à lui, est formé de calciocarbonatites. Il forme une structure annulaire intrusive dans les granites déformés de Laknouk, granites que nous avons datés du Siluro-Dévonien (voir plus loin). L’âge U-Pb sur zircon de ces carbonatites est de 104 ±4 Ma, avec un âge modèle de Nd (TCR) de 450 ±5 Ma (plus ancien que l’âge de cristallisation) et εNd(104) positif ( entre +4,5 et +5,3 Ga ). Ce deuxième type de carbonatites appartient au « Mid-Cretaceous Peri-Atlantic Alkaline Pulse » de Matton et Jébrak (2009). La présence de nombreux zircons hérités avec des populations à ≈ 420, 620, 2 050, 2 500 et 2 800 Ma implique que lors de leur ascension, les magmas carbonatitiques ont traversé des matériaux appartenant au craton de l’Ouest Africain. Géologues n°194 39 géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents Le complexe métamafique de l’Adrar Souttouf repose sur les gneiss de Bu-Lautad (voir Fig. 1). C’est l’un des plus grands affleurements de roches à hypersthène connus sur Terre. Il est composé de gabbros, gabbros-anorthosites, anorthosites et charnokites associés à des affleurements mineurs de métasédiments et gneiss granitiques, tous métamorphisés sous le faciès amphibolite ou granulite selon les cas. Des datations LA-ICPMS U-Pb sur zircon ont donné des âges entre 605 et 635 Ma (Gärtner et al., 2016), indiquant ainsi des protolithes panafricains. Nos données SHRIMP U-Pb confirment ces âges, mais révèlent également que les protolithes deviennent progressivement plus jeunes vers l’ouest. Les contacts entre le complexe mafique panafricain et les gneiss archéens de Bu-Lautad semblent être des failles de détachement à faible pendage. Vers l’Ouest, les matériaux de ce complexe mafique deviennent de plus en plus felsiques, dioritiques à tonalitiques avec des charnokites et enderbites plus abondantes. En plus des datations U-Pb sur zircon, de nombreuses analyses chimiques et isotopiques ont été réalisées ainsi que des études minéralogiques qui ont permis d’établir les conditions thermobarométriques du métamorphisme. Toutes ces données sont en phase de préparation pour publication. Des séries bimodales leucogranite-amphibolite apparaissent vers la bordure occidentale du complexe mafique de l’Adrar Souttouf. Elle est composée de leucogranites avec des dykes minces abondants d’amphibolites. Nos datations SHRIMP U-Pb révèlent que les leucogranites et les amphibolites sont panafricains et que leurs âges suivent la même tendance que dans le complexe mafique, devenant progressivement plus jeunes vers l’ouest. Cette succession s’arrête brusquement au niveau de la faille SSW-NNE de Tageneddest, qui la met en contact avec des matériaux archéens non décrits jusqu’alors : les granites de Gareg. 40 Les granites de Gareg affleurent dans la partie occidentale du massif des Oulad Dlim. Le terrain qu’ils caractérisent compte deux corps granitiques entourés de gneiss felsiques avec des intercalations d’amphibolites. Ce terrain est limité à l’est par la faille de Tageneddest et à l’ouest par des zones de cisaillement qui le mettent en contact avec des matériaux panafricains et siluro-dévoniens fortement déformés. Les deux corps granitiques ont des dimensions approximatives de 28x10 et 30x14 km respectivement et consistent en monzogranites à biotite et épidote fortement foliés. La géochimie indique des roches calco-alcalines et magnésiennes avec des âges modèles de Nd (TDM) groupés autour de 3,12 ±0,04 Ga et εNd(2.9Ga) autour de zéro. Des zircons des deux corps granitiques, des gneiss et des amphibolites associées ont été datés par SHRIMP U- Géologues n°194 Pb. Les zircons des granites de Gareg indiquent des âges de cristallisation de 2,95 Ga alors que les gneiss et amphibolites sont datés respectivement de 2,90 Ga et 2,87 Ga (données en phase de traitement). Les traits géochimiques et isotopiques, minéralogiques, géochronologiques et les types de discordia dans les zircons sont similaires aux termes granitiques de la suite d’Aghaylas, ce qui laisse envisager l’hypothèse que les granites de Gareg et les roches archéennes associées soient la réapparition du craton de l’Ouest Africain vers l’Ouest. Une hypothèse alternative est que ces terrains archéens soient la réapparition de ceux de l’unité des gneiss de Bu-Lautad de l’autre côté d’un synclinal de nappes à matériel panafricain (Adrar Souttouf et séries bimodales). Le granite de Laknouk et les terrains associés constituent les derniers terrains affleurant à la marge occidentale des Oulad Dlim. Ils se situent entre les terrains archéens qu’on vient de décrire et les sédiments récents de la marge atlantique (voir Fig. 1). C’est une série de matériaux felsiques très déformés. Parmi eux, le plus représentatif spatialement et le mieux étudié est le granite de Laknouk, qui consiste en monzogranites à granodiorites fortement déformés à biotite + épidote + grenat riche en Ca. La géochimie indique des granites de type-I transitionnels aux granites type-A, avec des compositions isotopiques primitives (87Sr/86Sr(415 Ma) = 0,70465, εNd(415 Ma) de -1,5 à -0,6) et des âges modèles de Nd (TCR) de 1,22 ±0,1 Ga (Montero et al., 2016). Deux faciès avec la même minéralogie ont été identifiés dans ces granites, un premier à grain fin dont la datation par SHRIMP U-Pb sur zircon a donné un âge de 421 ±3 Ma et un autre facies à grain plus grossier intrusif dans le premier et daté à 410 ±2 Ma. Des études thermobarométriques encore non publiées ainsi que l’absence de zircons pré-magmatiques et la présence de grenat riche en Ca impliquent que les granites de Laknouk ont cristallisé à haute pression (P >10 kbar ; Green, 1992) à partir de matériel en fusion de haute température (T > 820ºC), suggérant la probabilité qu’ils soient associés à un processus de subduction. A côté des granites de Laknouk, d’autres matériaux de caractéristiques et âge similaires existent à la marge occidentale du massif des Oulad Dlim, mais sont encore en phase d’étude. Conclusion Les études pétrographiques, géochimiques et géochronologiques que nous réalisons,depuis 2011,ont conduit à une vision plus claire des relations entre le craton de l’Ouest africain et les unités charriées des Oulad Dlim. Cependant, ces relations gardent encore une part de leur mystère ! Les unités des Ouled Dlim forment-elles un syn- géologie fondamentale : état des connaissances et résultats récents clinal de nappes métamorphiques posées sur le bord écaillé du craton, où sont-elles imbriquées systématiquement d’ouest en est ? Rappelons qu’une interprétation structurale des Oulad Dlim en synclinal de nappes a été privilégiée par Lécorché et al. (1991) avant d’être abandonnée par les auteurs ultérieurs au profit d’un empilement de nappes imbriquées d’ouest en est (Villeneuve et al., 2006 ; Michard et al., 2010). D’autres travaux utilisant les datations LA-ICP-MS6 sur zircon ont été réalisés depuis 2013 par une autre équipe de recherche (Gärtner et al., 2013, 2014 ; Villeneuve et al., 2015 ; Gärtner et al., 2016, 2017) dans les Oulad Dlim, ce dont on ne peut que se réjouir car les unités rocheuses à identifier sont encore nombreuses. Discuter des interprétations proposées par cette équipe quant à l’origine de certaines unités, considérées comme des terrains rattachés initialement au super-continent Laurussia,serait en dehors des limites de la présente contribution. Remerciements : Nous remercions le Pr. André Michard pour ses remarques et critiques constructives. Les résultats exposés dans cet article ont été financés par le projet de recherche national espagnol CGL2013-40785P et par le projet de la Junta de Andalucía P12.RNM.2163. Cet article est la publication IBERSIMS N°42. 41 6. Laser Ablation-Inductively Coupled Plasma-Mass Spectrometry. 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Depuis ces années, les programmes d’exploration intense consacrés, notamment, à la recherche des métaux précieux (Au et Ag), ne sont pas parvenus à la découverte de gisements hydrothermaux de « classe mondiale » capables de remplacer les grandes mines marocaines connues depuis des siècles et toujours en activité, telles que celles du Djebel AouamTighza (Pb-Zn-Ag), Imiter (Ag-Hg) ou Bou Azzer (Co-NiAs-Au-Ag). En outre, les avancées spectaculaires réalisées cette dernière décennie dans les techniques de datation in situ par laser (Ar/Ar) ou par sonde ionique (U-Pb) ont permis de préciser, soit directement par datation des minéralisations, soit indirectement par datation des encaissants, magmatiques notamment, les époques les plus favorables aux concentrations minéralisatrices. Suite à l’importante synthèse réalisée par Barodi et al. (2002), puis celles, entre autres, de Gasquet et Cheilletz (2009) et de Bouabdellah et Slack (2016), il est possible de : 1) rassembler les connaissances sur les gisements métallifères du Maroc du Nord (sans les provinces sahariennes du Sud en cours d’exploration), pour l’essentiel hydrothermaux, 2) présenter une synthèse de la distribution spatio-temporelle des principaux indices et gisements et 3) proposer,par conséquent,une aide pour la définition de guides pour les programmes d’exploration au Maroc. Le cadre géologique du Maroc Figure 1. Carte simplifiée des domaines géologiques et des principaux gisements métalliques du Maroc du Nord (sans les provinces sahariennes du Sud). (1a) Bou Azzer I (Cr-Pt), (1b) Tiouit (Au), (1c) Ouirgane (Cu,-Zn-Pb-Ag), (1d) Bleida (Cu-Au), (1e) Imiter (métaux de base), (1f) Imiter (Ag-Hg), Bou Madine Cu-Pb-Zn), Zgounder (Ag), (2) Tamlalt-Menouhou (Cu-Au), (3) Meseta occidentale (Cu-Pb-Zn), (4) Iourirn (Au), El Hammam (F), Aouam-Tighza (W-Au-Pb), Bou-Azzer II (Co-Ni-As-Au) , (5a) Bou Azzer III (polymétallique), (5b) Imini (Zn), (6a) Tamazert (Terres rares), (6b) MVT Touissit-Bou Dahar (Pb-Zn), (6c) Zgounder (U). FSA : Faille Sud Atlasique, ZFAC : Zone de Faille de l’Anti-Atlas Central. Source : Gasquet et Cheilletz (2009). Le Maroc est situé à une triple jonction géodynamique entre le continent africain,l’océan atlantique et la chaîne de collision alpine. La conséquence de cette situation particulière est la présence de roches dont l’âge s’étend depuis l’Archéen jusqu’au Cénozoïque, et de contextes tectoniques variés depuis celui des racines orogéniques métamorphiques jusqu’à celui des bassins sédimentaires distensifs superficiels. Les principaux domaines géologiques du Maroc (Fig. 1) dont la révision a été réalisée pour l’ambitieux programme national de cartographie géologique (PNCG) et pour l’édition récente de synthèses géologiques (eg. Michard et al., 2008) sont : 1. Cet article a été rédigé d’après celui de Gasquet et Cheilletz (2009) avec l’autorisation du responsable de l’édition de la collection Edytem. 2. EDYTEM, Université de Savoie Mont Blanc, CNRS-UMR 5204, Campus Scientifique, Pôle Montagne. 73376 Le Bourget du Lac cedex, France. Courriel : [email protected] 3. École Nationale Supérieure de Géologie, Université de Lorraine, Géoressources, CNRS-UMR 7359, BP 40, 54501 Vandœuvre-lès-Nancy, France. Géologues n°194 47 métallogénie et substances minérales la chaîne du Rif au Nord qui s’étend le long de la Méditerranée et prolonge, au sud de la mer d’Alboran, les cordillères bétiques alpines ; la Meseta et le Moyen Atlas, au sud du Rif, qui sont constitués de fragments de la chaîne hercynienne recouverts par des terrains mésozoïques et cénozoïques discordants et plissés ; le Haut Atlas qui constitue une chaîne intracontinentale active où la tectonique tertiaire a porté à des altitudes de plus de 4 000 m des blocs hercyniens et précambriens préservés ; l’Anti-Atlas au Sud qui est composé de boutonnières protérozoïques affleurant de part et d’autre de la Zone de Faille majeure de l’Anti-Atlas Central (voir figure 1) et recouvertes par des formations édiacariennes (Néoprotérozoïque terminal) à paléozoïques ; dans le domaine nord-oriental, ces boutonnières sont constituées de terrains néoprotérozoïques polydéformés pendant l’orogenèse panafricaine ; dans le domaine sud-occidental, affleure un socle paléoprotérozoïque et néoprotérozoïque, affecté par les orogenèses éburnéenne et panafricaine (Gasquet et al., 2005). Les deux domaines ont également subi les déformations hercyniennes bien reconnues aujourd’hui (Burkhard et al., 2006) et le contrecoup des événements tectoniques du cycle alpin (Frizon de Lamotte et al. 2008). À l’exception du Rif, ces domaines contiennent des gisements métalliques hydrothermaux importants exploités pour certains (Imiter par exemple) depuis l’Antiquité. Les données temporelles Les nouvelles données géochronologiques (U-Pb, Ar/Ar, K-Ar, U-Th-Pb, Sm-Nd, Rb-Sr, Re-Os) récemment publiées sur les gisements miniers du Maroc (illustrés 48 Photo 1. Minéralisation Cu-Au de Tiouit (Saghro-Anti Atlas). Source : Gasquet et Cheilletz (2009). Géologues n°194 dans les photos 1 à 6) ont permis d’identifier six grandes époques métallogéniques hydrothermales (ou magmatiques-hydrothermales) caractérisées par différents paramètres (Gasquet et al., 2005 ; Ikenne et al., 2017) : Néoprotérozoïque. Les corps intrusifs dioritiques à granodioritiques associés aux gisements de Tiouit (Au) dans l’Anti-Atlas et Ouirgane (Cu-Zn-Pb-Ag) dans le Haut Atlas occidental, ont permis de les dater respectivement à 645 ±12 Ma et 625 ±5 Ma. En outre, l’âge du gisement de type Sedex (« Sedimentary exhalative ») de Bleida (Cu) est estimé à environ 600 Ma par référence à l’âge de l’encaissant volcano-sédimentaire (Mouttaqi,1997).Plusieurs gisements de la ceinture à métaux précieux de l’Anti-Atlas et du Haut-Atlas sont datés à 564 ±15 Ma (Zgounder,Ag), 550 ±3 Ma (Imiter, Ag-Hg) et 552 ±5 Ma (Bou Madine, Cu - Pb-Zn) (Levresse et al., 2004 ; Gasquet et al. 2005) ; Ordovicien supérieur. Les minéralisations de type IOCG (« Iron Oxyde, Copper, Gold ») de Tamlalt (Cu-Au) dans le Haut Atlas oriental, ont été datées à 449 ±8 Ma par Pelleter et al., (2009) ; ces événements ordoviciens datés pour la première fois au Maroc, sont toutefois bien connus dans la chaîne varisque européenne (e.g. Valverde-Vaquero et Dunning, 2000) ; Carbonifère inférieur. Les gisements de type VMS (« Volcanogenic Massive Sulphide ») de la Meseta occidentale (Cu-Pb-Zn) sont datés à ca 330 Ma (Belkabir et al., 2008) ; Carbonifère supérieur-Permien. L’important événement magmatique tardi-varisque est caractérisé par des minéralisations hydrothermales à W-Au-Sn datées à 295-280 Ma au Djebel Aouam-Tighza dans la Meseta, alors que dans le même gisement les minéralisations Pb-Zn-Ag ont été datées à 254 ±16 Ma par Rossi et al., in Bouabdellah et Slack (2016). De plus, les boutonnières protérozoïques de l’Anti-Atlas contiennent deux zones de Photo 2. Minéralisation Ag-Hg dans une brèche hydraulique (ImiterAnti-Atlas). Source : Gasquet et Cheilletz (2009). métallogénie et substances minérales daire se superposant à la minéralisation à Cu-Au ordovicienne (Pelleter, 2007). Enfin, l’âge le plus fiable pour la minéralisation (II) à Co-As de Bou Azzer est de 302 ±9 Ma (Oberthur et al., 2008) ; Trias-Jurassique. L’identification d’une période métallifère liée à l’extension associée à l’ouverture de l’Atlantique Nord est en cours. Un âge de 218 ±8 Ma a été obtenu pour les phases tardives (III) de la minéralisation de Bou Azzer (Levresse et al., 2004) ; un âge de 205 ±1 Ma est maintenant attribué aux minéralisations en fluorite d’El Hammam (Cheilletz et al., 2010) ; Tertiaire. Le gisement de Terres rares de la carbonatite de Tamazert a probablement un âge Eocène (Mourtada et al., 1997), les minéralisations Pb-Zn de type MVT de Bou Dahar (Haut Atlas) et de Touissit (Maroc oriental), encaissées dans des formations jurassiques, ont peutêtre un âge fini tertiaire (mio-pliocène, Bouabdellah et al., 2015) ; enfin un volcanisme messinien est associé à la minéralisation en Uranium à Zgounder. Photo 3. Veine à quartz-hématite-limonite-Au. Tamlalt (Haut Atlas oriental). L’échantillon, carotte de forage, mesure 5 cm de large. Source : Gasquet et Cheilletz (2009). Photo 5. Mine de Bou Azzer (Anti-Atlas). La minéralisation à Co-Ni-As est polyphasée. Source : Gasquet et Cheilletz (2009). Photo 4. Minéralisation à fluorite (verte)-calcite-adulaire de El Hammam (Meseta). Source : Gasquet et Cheilletz (2009). cisaillement minéralisées en or et dont l’hydrothermalisme a été daté à ca. 300 Ma : Iourirn (300 ±7 Ma) et Tamlalt Menouhou-II (293 ±7 Ma) ; cette dernière étant caractérisée par une minéralisation d’or libre secon- Photo 6. Exploitation des minéralisations de type MVT de Bou Dahar (Haut Atlas). Les minéralisations sont localisées dans un niveau karstifié du Lias. Source : Gasquet et Cheilletz (2009). Géologues n°194 49 métallogénie et substances minérales Le caractère cyclique de l’hydrothermalisme La figure 2 présente une synthèse de la distribution des principaux événements et des mines les plus importantes du Maroc, classés dans une section lithostratigraphique de la croûte continentale s’étendant du Paléoproté- 50 rozoïque au Cénozoïque. Les principaux événements magmatiques et les contextes géodynamiques liés à ces six épisodes métallogéniques illustrent les relations entre les processus magmatiques, plutoniques ou volcaniques, et la formation des différents gisements.Chaque épisode hydrothermal est corrélé à un événement tectono-magmatique orogénique,les magmas et les fluides étant transférés de la Figure 2. Colonne lithostratigraphique des formations géologiques du Maroc avec les principaux évènements magmatiques et hydrothermaux ainsi que les gisements associés. Les nombres font référence aux gisements de la figure 1. Géologues n°194 métallogénie et substances minérales profondeur vers la croûte supérieure à la faveur,la plupart du temps, de grandes zones de failles. Les mélanges de ces fluides profonds avec des fluides superficiels ont été mis en évidence dans plusieurs gisements (e.g. Essaraj et al. 2005). les formations ordoviciennes peuvent contenir des minéralisations de type IOCG, comme les concentrations aurifères mises en évidence à Tamlalt ; elles constituent donc des cibles régionales intéressantes pour l’exploration ; Les sources de métaux les formations paléozoïques recouvrant les boutonnières protérozoïques de l’Anti-Atlas, affectées par les phases orogéniques varisques, dont le rôle est aujourd’hui bien reconnu dans l’Anti-Atlas (Michard et al., 2008), pourraient contenir des minéralisations en métaux de base et métaux précieux importantes ; Les données isotopiques (Pb / Pb, Sm / Nd, Os / Re et Rb / Sr) et des inclusions fluides sur les sources des éléments métalliques et des ligants (S, As…) dans les gisements types, conduisent, dans de nombreux cas, à des interprétations complexes (e.g. El Ghorfi et al., 2006 ; Essaraj et al., 2005). Malgré l’identification d’une source mantellique pour la minéralisation Ag-Hg à Imiter (Levresse et al., 2004), la plupart des autres gisements Au et Pb-Zn-Cu associés au magmatisme, montrent une signature mixte océanique et/ou crustale. La source mantellique de la minéralisation Ag-Hg d’Imiter est toutefois en accord avec la géodynamique régionale en extension pendant la transition Précambrien-Cambrien et une croûte continentale amincie (Gasquet et al., 2005). Un schéma global qui permet d’associer la distribution spatio-temporelle des gisements minéraux du Maroc à deux sources différentes d’éléments, peut être proposé : (i) soit une source juvénile de métaux provenant de sources profondes dans le cas des gisements épithermaux liés au volcanisme alcalin, (ii) soit de la re-mobilisation de métaux à partir des croûtes océanique et continentale supérieure pour les VMS, SEDEX, ou l’or orogénique et les gisements polyphasés à Co-Ni. La source des métaux W-Au-Sn et F nécessitera encore des compléments d’études géochimiques fondamentales malgré les avancées récentes (Marcoux et al., 2015 ; Margoum et al., 2015) Les gisements de type MVT dans le Maroc oriental sont clairement liés à l’évolution des bassins sédimentaires, encaissants de la minéralisation et à la circulation de fluides hydrothermaux (Bouabdellah et al., 2015). Les guides d’exploration minière Les stratégies d’exploration minière au Maroc doivent prendre en compte les caractéristiques des gisements connus actuellement. Les cibles d’exploration suivantes peuvent être proposées : les terrains volcaniques et sédimentaires d’âge EdiacarienCambrien et le magmatisme calco-alcalin fortement potassique à alcalin, enraciné dans la croûte inférieure et / ou le manteau, présentent un potentiel élevé car ils apportent avec eux dans la partie supérieure de la croûte et depuis la profondeur, des fluides juvéniles et des métaux ; le magmatisme permo-triasique semble être fortement impliqué dans la genèse de minéralisations du Maroc central et probablement au-delà (Margoum et al., 2015) ; les grandes structures régionales (failles, zones de cisaillement) jouant le rôle de drain pour les fluides, quel que soit leur âge, doivent être soigneusement repérées et étudiées dans tous les domaines structuraux du Maroc. Références Barodi E.B.,Watanabe Y.,Mouttaqi A.,Annich M.,2002.Méthodes et techniques d’exploration minière et principaux gisements au Maroc. Projet JICA/BRPM. ISBN: 9954-8128-0-6, 329p. 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C’est d’abord l’un des tout premiers producteurs de phosphate (26 Mt en 2015) dans le monde, mais c’est aussi un pays où la géologie a offert et offre toujours une très grande variété de gisements de métaux de base, de métaux précieux et de substances utiles. J’aimerais résumer en quelques paragraphes ma perception de l’évolution de l’industrie minière (qui représente 10% du PIB marocain et 40 000 emplois en 2015) et des travaux métallogéniques,hors phosphates,qui s’y sont poursuivis avec intensité depuis le début du XXIe siècle. Sur le plan minier, le Maroc est resté un pays très stable,avec une industrie minière libéralisée avec séparation des rôles entre le Ministère des Mines et de l’Énergie, l’ONHYM2,l’OCP3 et le privé avec des entreprises comme MANAGEM, la grande société nationale, et CMT4, Maya G&S… Le Ministère de l’Énergie des Mines et du développement durable du Maroc a lancé un vaste programme de cartographie du territoire en 1997, le PNCG5. Un grand nombre de cartes géologiques, mais aussi des levés géophysiques et géochimiques ont été produits et ont permis le développement de nouveaux projets. Ce programme a connu un certain ralentissement depuis 2005, et se poursuit actuellement pour compléter la couverture géologique de l’ensemble du territoire marocain. Une nouvelle stratégie minière se développe en 2013 et une modernisation de la loi minière, visant à attirer des investisseurs, est votée en 2015, abrogeant la vieille loi de 1951. Étendant les produits de mines à de nouvelles substances, cette nouvelle loi met l’accent sur le respect de l’environnement et facilite l’exploration sur des surfaces plus importantes que les anciens permis de 16 km2. 52 L’entreprise publique nationale, anciennement le BRPM6, est devenue en 2005 l’ONHYM avec la fusion des actifs pétroliers (Office national de recherches et d’exploitations pétrolières, ONAREP) et miniers (BRPM) de l’État. Il s’est ainsi constitué un groupe puissant, mais dont la capitalisation relativement faible implique la recherche de partenariats avec des entreprises privées. Le boom du prix des matières premières dans la première décennie 2000 a conduit plusieurs compagnies juniors canadiennes ou australiennes à s’impliquer sur des projets miniers (Fig.1) en association avec l’ONHYM : étain dans le Maroc Central (Achemmach), cuivre et polymétallique-or dans l’Anti-Atlas (Ighrem, Alous, Bou Madine), etc. La mine d’argent de Zgounder a pu être réouverte par Maya Gold and 1. UQAM, UQAT, Université de Lorraine. Courriel : [email protected] 2. Office National des Hydrocarbures et des Mines. 3. Office Chérifien des Phosphates. 4. Compagnie Minière de Touissit. 5. Plan National de Cartographie Géologique. 6. Bureau de Recherches et de Participations Minières. 7. Iron, Oxyde, Copper, Gold. 8. Omnium Nord Africain. Silver en 2014, et celle d’Oumejrane pour le cuivre, mise en exploitation par Managem. Des projets ont été lancés dans la partie saharienne du Maroc où des indices de type 7 IOCG et des carbonatites ont été découverts. Le troisième pôle minier,constitué par le secteur privé, sera abordé en présentant Managem, une filière du 8 groupe ONA , devenu en 2010, un élément de la Société nationale d’investissement (SNI), une entreprise de type holding, composée d’actionnaires privés essentiellement marocains. Managem exploite les mines historiques du Maroc, découvertes par le BRPM et cédées à Managem dans le cadre du processus de privatisations début des années 90 : cobalt de Bou Azzer, argent d’Imiter, fluorine d’El Hammam, métaux de base de la région de Marrakech, cuivre et argent de l’Anti-Atlas. Au cours de ces dernières années, on a assisté à l’épuisement progressif de l’amas sulfuré volcanogène d’Hajar, le fleuron du groupe, tandis que le gisement de Draa Sfar était développé dans les Jebilet. Dans l’Anti-Atlas, l’exploration s’est progressivement déplacée depuis les gisements sulfurés historiques du socle précambrien, tels Bleida, vers des gisements de cuivre oxydé dans la couverture finiProtérozoïque, « adoudounienne », au potentiel plus important : Tazalaght, Tirez, Jebel Lassal, etc. Leur ressemblance avec la fameuse copperbelt de Zambie-RDC a attiré ainsi de nouveaux acteurs miniers. Des gisements aux allures de porphyres ont aussi été reconnus, tel ceux du district de Bou Skour. Managem a également élargi ses ambitions à l’ensemble de l’Afrique. Parmi les entreprises minières privées, on peut noter la fin de la production de métaux de base dans le Maroc Oriental (district de Touissit), et le rachat des opérations de la Compagnie Minière de Touissit par un groupe d’investissement européen. La science métallogénique a largement suivi ces développements miniers. Plusieurs universités sont très actives, notamment à Marrakech, Meknès, Oujda, Rabat, et ont permis une meilleure approche de la genèse des minéralisations classiques du Maroc. Ce sont surtout les travaux géochronologiques qui ont renouvelé notre compréhension (Voir l’article de Gasquet et Cheilletz dans ce numéro). De grandes synthèses (Mouttaqi et al., 2011 ; Bouabdellah et al., 2016) ont également permis de mieux replacer les gisements dans leur contexte géologique et géodynamique. Les travaux de recherche se sont pour- métallogénie et substances minérales suivis sur les amas sulfurés volcanogènes, en particulier dans le district de Marrakech et sur la barytine de Bouznika, près de Casablanca. Enfin, les travaux géochimiques sur les grands filons du Maroc Central (El Hammam,Tirghza) ont permis de préciser les conditions de mise en place de ces systèmes hydrothermaux, centrés sur des intrusions tardi-orogéniques. Après des décennies de modèles syngénétiques, la plupart des minéralisations encaissées dans les sédiments au Maroc sont apparues bien plus jeunes qu’on ne le soupçonnait, et bien plus jeunes que leur encaissant. Ainsi, le plomb-zinc de Touissit, encaissé dans le Jurassique, s’est mis en place au Miocène. De même pour Bou Dahar. Les gisements de zinc oxydé du Jurassique et ceux de manganèse du Crétacé du Haut Atlas ont une mise en place polyphasée qui se poursuit actuellement… Dans le socle de l’Anti-Atlas, de vives controverses ont opposé les tenants d’une mise en place synvolcanique, protérozoïque, des gisements d’argent d’Imiter, à ceux partisans de circulation de saumures de bassin bien plus récente, d’âge mésozoïque. À Bou Azzer, la complexité des âges reste encore irrésolue et le mystère de leur mise en place a plutôt tendance à s’épaissir ! En conclusion, le Maroc, plus grand pays minier du Maghreb, a connu en une quinzaine d’années, à la fois une continuité et quelques évolutions significatives. Continuité car les gisements exploités restent dans des districts connus, à l’exception notable des gisements de cuivre de la couverture de l’Anti-Atlas. Évolution car les travaux d’infrastructure géologique ont permis d’ouvrir de nouveaux territoires, notamment au Sud. Mais, malgré le potentiel géologique, il manque encore des investissements orientés vers la découverte de nouveaux gisements majeurs qui ne manqueront pas d’être découverts dans un pays en plein croissance économique. Références Bouabdellah M., Slack J.F. Eds. (2016). Mineral deposits of North Africa. Springer, 593 p. Mouttaqi A., Rjimati E.C., Maacha L., Michard A., Soulaimani A, et Ibouh H. (2011). Les principales mines du Maroc.Vol. 9 Nouveaux guides géologiques et miniers du Maroc. Notes et mémoires du Service géologique, N°564, 374 p. Avec mes remerciements à A. Mouttaqi (ONHYM) pour sa lecture critique. 53 Figure 1. Carte des projets miniers marocains (source : ONHYM, 2016). Géologues n°194 métallogénie et substances minérales Les dérangements de la série phosphatée dans le district minier de Khouribga (Maroc) : une esquisse de leur origine et de leurs méthodes de cartographie sous couverture quaternaire Nadia El Kiram 1 , Azzouz Kchikach 2 , Mohamed Jaffal 3 , José Antonio Pena 4 , Teresa Teixido 5 , Roger Guerin 6 , Oussama Khadiri Yazami 7 et Es-Said Jourani 8 . Introduction Le Maroc est l’un des plus grands pays producteurs de minerai de phosphate au monde. Ses réserves sont évaluées à 85 milliards de mètres cubes et représentent presque les trois quarts des ressources mondiales actuellement reconnues. Le bassin sédimentaire des Ouled Abdoun, situé au centre du Maroc (Fig. 1a), renferme la plus grande part de ces réserves. Dans ce bassin, la série phosphatée d’âge Maestrichien à Yprésien est formée d’une succession régulière de couches phosphatées et d’intercalaires stériles marno-calcaires sur plus de 50 m d’épaisseur. Par endroits, dans plusieurs gisements en cours d’exploitation, cette régularité n’existe plus et tous les termes de la série phosphatée se trouvent mélangés et transformés pour donner lieu, le plus souvent à des corps stériles, qualifiés de dérangements, formés exclusivement de calcaires silicifiés ou de blocs de calcaires noyés dans une matrice argilo-marneuse. La présence des dérangements dans la série phosphatée (Fig. 1b) est à l’origine de deux problèmes majeurs. D’une part, masqués par une couverture quaternaire, ils empêchent un calcul précis des réserves de chaque gisement avant le démarrage de toute exploitation, et d’autre part, par leur nature le plus souvent dure et compacte, ils alourdissent les travaux d’exploitation. En effet, en présence d’un dérangement, les exploitants sont obligés de serrer la maille des forages nécessaires pour l’opération de défruitage9 du minerai et d’augmenter la quantité d’explosif, ce qui entraîne une consommation excessive en explosif, un ralentissement de la chaîne cinématique de l’exploitation et par conséquent une élévation du prix de revient de l’extraction du minerai. De plus, même après les opérations de sautage10 et de décapage, les dérangements forment parfois des « os » dans les chantiers d’exploitation et s’opposent ainsi à la libre circulation des engins. La cartographie et la délimitation des dérangements, sous couverture quaternaire, préoccupent les ingé- 54 nieurs miniers de l’Office Chérifien du Phosphate (OCP). Ces connaissances a priori leur offriraient une meilleure planification des tranchées d’exploitation, leur permettant, par exemple, de les contourner lors de l’exploitation des couches phosphatées. Plusieurs études géophysiques expérimentales par profils de résistivité (Kchikach et al., 2002), sondages électromagnétiques temporels (Kchikach et al., 2006) et par profils combinés de tomographie électrique et géoradar (El Assel et al., 2011), ont été réalisées dans le gisement de Sidi Chennane pour tenter de localiser les dérangements sous couverture. L’importance du paramètre « résistivité électrique » a été en partie démontrée mais la faible amplitude des anomalies et la lourdeur des méthodes utilisées ne permettaient pas de généraliser ces méthodes d’exploration à l’ensemble des périmètres presque illimités des futures zones d’exploitation des phosphates. Cet article vise une analyse synthétique des résultats obtenus par les méthodes précitées et à les superposer à d’autres résultats ultérieurement obtenus par la réalisation de profils électromagnétiques en domaine de fréquences « EM31 » dans les mêmes parcelles expérimentales. L’origine et les conditions géologiques d’apparition des dérangements restent mal connues. Cet article vise donc à faire une mise au point sur l’état des connaissances géologiques des zones dérangées et leur voisinage immédiat en présentant les résultats récents issus d’une étude macroscopique et microscopique de ces dernières.L’existence d’une série évaporitique intensément karstifiée au sommet du Sénonien, sous la série phosphatée, est démontrée et illustrée. Les karsts sénoniens sont incontestablement à l’origine des dérangements ou fontis que l’on définit comme étant des phénomènes de collapses,à l’aplomb de cavités souterraines issues de la dissolution du gypse,à la faveur de périodes d’émersion et de rabattement du niveau piézométrique. Une ébauche du modèle de genèse des dérangements est enfin présentée et argumentée dans cet article. 1. Doctorante. Laboratoire L3G. Equipe de recherche « Génie Civil et Géo-Ingénierie ». UCA. Courriel : [email protected] 2. Enseignant-chercheur. Laboratoire L3G. Equipe de recherche « Génie Civil et Géo-Ingénierie ». UCA. Courriel : [email protected] 3. Enseignant-chercheur. Laboratoire Géoressources, UCA. Courriel : ja rakech.ac.ma 4. Enseignant-chercheur. Instituto Andaluz de Geofisica. Universidad de Granada. Courriel : [email protected] 5. Enseignant-chercheur. Instituto Andaluz de Geofisica. Universidad de Granada. Courriel : [email protected] 6. Enseignant-chercheur. UMR 7619 METIS. Université Pierre et Marie Curie. Paris. Courriel : [email protected] 7. Géologue Groupe OCP. Courriel : [email protected] 8. Directeur Géologie Groupe OCP. Courriel : [email protected] 9. En langage de mineur, opération consistant à extraire les couches de phosphate meuble. 10. En langage de mineur, opération consistant à réaliser un tir à l’explosif après avoir chargé les trous forés dans les intercalaires stériles. Le déblayage des blocs résultants de ce tir permet l’accès aux couches phosphatées. métallogénie et substances minérales Figure 1. (a) Localisation des zones étudiées dans le bassin des Ouled Abdoun, (b) exemple d’une tranchée d’exploitation des phosphates montrant des dérangements. Source : Kchikach et al., 2006 modifiée. Description de la série phosphatée et de ses zones dérangées Les tranchées d’exploitation à ciel ouvert des phosphates offrent d’excellentes conditions d’observation pour élaborer une description géologique précise de la partie exploitée de la série phosphatée. L’analyse des coupes stratigraphiques des nombreux puits de reconnaissance réalisés par le groupe OCP dans le bassin des Ouled Abdoun, complétée par plusieurs coupes géolo- Géologues n°194 55 métallogénie et substances minérales giques que nous avons réalisées, permettent d’étendre la description au soubassement de la série phosphatée, non atteint par les travaux d’exploitation. La série phosphatée proprement dite (Fig. 2) débute par une formation où alternent des marnes phosphatées et des niveaux calcaires très riches en débris osseux, connus sous le nom de calcaires à bone-beds d’âge maestrichtien (Noubhani et al., 1995 ; Suberbiola et al., 2003). Elle est surmontée par des couches franchement phosphatées, formées de phosphates meubles et de calcaires phosphatés à coprolithes et à nodules de silex d’âge montien (Azmany et al., 1986). Cet étage est surmonté par une alternance de bancs réguliers de calcaires marneux et phosphatés, de niveaux de phosphates meubles à grains grossiers,d’horizons continus de silex et,parfois,de niveaux silto-pélitiques d’âge thanétien à yprésien (Azmany et al., 1986). Les derniers termes de la phosphatogenèse s’intercalent dans une série formée de niveaux à silex, de marnes et de calcaires peu phosphatés, coiffés par une puissante barre carbonatée, riche en gastéropodes, appelée dalle à Thersitées, d’âge lutétien (Salvan, 1963). Cette dernière a joué, par sa résistance à l’érosion, un rôle primordial dans la protection des termes phosphatés actuellement exploités, généralement friables. Structuralement, la série phosphatée dans le bassin des Ouled Abdoun est peu affectée par les déformations tectoniques du Crétacé supérieur et du Cénozoïque bien matérialisées dans la chaine atlasique à l’Est de ce bassin. Elle est grossièrement sub-tabulaire et ne montre que quelques flexures et petites failles, particulièrement localisées dans la zone de transition latérale, entre la série phosphatée saine et les dérangements. 56 Cette étude a porté sur l’examen géologique du soubassement sénonien, peu étudié jusqu’à présent, de la série phosphatée Dans les bassins intracontinentaux du Maroc, la série sédimentaire sénonienne est couramment constituée de dépôts d’environnement marin très peu profond et confiné (Boujo, 1976 ; (Salvan et Farkhany, 1982 ; Hardenbol et al., 1998). Les dépôts évaporitiques, en particulier gypseux, y sont fréquents. Ils ont été mentionnés et décrits dans de nombreuses régions du Maroc (Charroud, 1990 ; Daoudi, 1996 ; Dogan et Özel, 2005). Dans le bassin des Ouled Abdoun, la série sénonienne demeure très peu étudiée, étant donné que ses couches sont dépourvues de phosphates et donc non atteintes par les travaux d’exploitation. Les quelques descriptions relevées dans les puits de reconnaissance qui ont recoupé en partie cette série, se contentent de ranger les couches sénoniennes en un seul terme de marnes grumeleuses et ne mentionnent pas la présence de gypse. Géologues n°194 Plusieurs coupes géologiques réalisées dans le bassin des Ouled Abdoun (localisation, voir figure 1), en dehors des zones exploitées, ont cependant permis de décrire d’autres faciès que celui indiqué dans presque toutes les coupes de puits de reconnaissance. En effet, plusieurs sites étudiés montrent des évidences d’évaporites et de figures sédimentaires et diagénétiques liées à la dissolution de sulfates (Fig. 2). Des couches de gypse saccharoide d’épaisseur centimétrique à métrique ont été décrites pour la première fois dans le voisinage immédiat des gisements en cours d’exploitation. Des affleurements spectaculaires de dépôts évaporitiques sont, par exemple, situés non loin de l’entrée de la ville d’Oued Zem et le long de la route rurale entre Sidi Daoui et Sidi Maati. Le gypse, de couleur blanche, est finement saccharoïde et pulvérulent. Il forme soit des bancs massifs d’épaisseur métrique, soit des niveaux centimétriques alternant avec des lamines stromatolithiques, des dolomicrites laminées et des marnes grises gypseuses, jusqu’à présent appelés marnes grumeleuses. Des cavités de dissolution non comblées, des cuvettes et puits de dissolution, des structures de collapses et des figures de bréchification et de pseudomorphose identifiées attestent du caractère franchement évaporitique du Sénonien dans le district minier de Khouribga. Dans les niveaux épais de gypse, les cavités de dissolution non comblées, de différentes dimensions, ont été fréquemment relevées (voir figure 2). De nombreuses figures de soutirage, liées à la dissolution du gypse sénonien, ont été observées dans les termes tendres sus-jacents de la série phosphatée. Ces dernières concernent préférentiellement les phospharénites maestrichtiennes mais aussi les niveaux phosphatés du Paléocène, les marnes siliceuses de l’Yprésien-Lutétien, voire des formations superficielles quaternaires. À première vue, les zones dérangées de la série phosphatée rappellent des structures de fontis issues de l’effondrement de cavités sous-jacentes et remplies par collapse, éboulement et soutirage des différents matériaux encaissants (Fig.3). Le remplissage est fréquemment bréchifié et silicifié. La périphérie immédiate des zones dérangées présente un amincissement des couches, notamment celles d’aspect tendre. Les fontis ont un diamètre compris entre 5 et 150 mètres (Kchikach et al., 2002). Ils traversent habituellement la totalité de la série phosphatée. Dans les endroits où la dalle à Thersitées d’âge lutétien résiste à l’effondrement,on peut notamment identifier des faciès bruns très altérés, formés essentiellement d’argiles à traces de racines et de galets mous témoignant probablement d’une période d’émersion locale. Parallèlement à la description macroscopique des métallogénie et substances minérales Figure 2. Description lithostratigraphique de la série phosphatée dans le bassin des Ouled Abdoun (1) formation évaporitique sénonienne montrant plusieurs figures de dissolution du gypse (2) phospharénites (3) calcaires à bone-beds (4) marnes phosphatées (5) phosphate meuble (6) calcaires à coprolithes (7) niveau continu et discontinu de silex (8) marnes siliceuses peu phosphatées (9) alternance de niveaux de siltites, marnes siliceuses et calcaires peu phosphatés, le tout coiffé par la dalle à thérisités. Source : modifié, d’après les travaux de Azmany, 1979. dérangements, une étude microscopique a été menée sur une dizaine d’échantillons prélevés dans la partie centrale des fontis, dans la zone de transition et dans la série phosphatée normale. Les résultats préliminaires de cette étude permettent de mieux appréhender les processus diagénétiques survenus au sein des fontis et montrent un caractère polyphasé de la genèse des dérangements (Figure 3 a,b,c). Les résultats plus élaborés de cette étude feront prochainement l’objet d’un article scientifique,à part. Hormis les modifications diagénétiques fines, toujours en cours d’étude pour préciser, à l’échelle microscopique, la chronologie de formation des dérangements, on peut déjà esquisser un modèle de formation de ces derniers. Les dérangements sont incontestablement Géologues n°194 57 métallogénie et substances minérales Figure 3. Schéma illustrant le développement de fontis à l’aplomb de cavités de dissolution du gypse sénonien. Les nombreuses figures de soutirage et de paléosols consolidées par l’étude microscopique des faciès dérangés permettent d’esquisser une évolution karstologique polyphasée des dérangements : en haut à gauche, modèle génétique d’un dérangement ; en haut à droite, aspect superficiel et interprétation d’un dérangement. En bas : (a) différentes générations de ciments sparitique (Z1, Z2, Z3) témoin de néoformations liées à des circulations successives (polyphasées) des eaux météoriques (b) grain phosphaté corrodé et figures de dissolution (c) php : grain de phosphate dd : dédolomitisation. Source : travaux personnels des auteurs. des fontis formés à l’aplomb de cavités endokarstiques, développées dans le gypse sénonien sous-jacent à la faveur d’épisodes émersifs. La circulation d’eau météorique à travers les diaclases dans la série phosphatée a accentué l’élargissement des cavités et donc l’effondrement des formations encaissantes par processus gravitaires ou collapses. Les travaux de recherche en cours visent à placer le processus de mise en place des dérangements dans son contexte géologique global en répondant aux questions suivantes : quelle est la chronologie des événements géodynamiques régionaux responsables de l’abaissement 58 Géologues n°194 du niveau marin de base favorisant ainsi la circulation des eaux météoriques et la dissolution du gypse sénonien ? Les modifications diagénétiques rencontrées dans les fontis sont-elles marines ou continentales ? L’existence d’une structuration tectonique parallèle aux accidents majeurs du domaine mésetien marocain est suspectée. Celle-ci aurait pu participer à la distribution des évaporites par la formation d’un réseau dense de diaclases accentuant la dissolution du gypse une fois initiée. La réponse à ces questions permettrait de tirer des enseignements sur la distribution et la fréquence des dérangements dans la série phosphatée. métallogénie et substances minérales Cartographie géophysique des dérangements La compréhension du mode de genèse des dérangements pourrait aider à orienter les investigations vers les zones les plus potentiellement « dérangées » à l’échelle du gisement. Il serait irréaliste d’imaginer prédire la distribution spatiale des dérangements à l’échelle décamétrique qui intéresse les ingénieurs miniers. Par conséquent, le recours aux méthodes géophysiques pour localiser et délimiter les dérangements sous couverture s’impose. Les premiers travaux géophysiques réalisés ont consisté en des profils de trainés électriques et l’établissement d’une carte de résistivité sur une parcelle du gisement de Sidi Chennane (Kchikach et al., 2002). Une autre parcelle de 25 hectares du même gisement a été ultérieurement couverte par 2500 Sondages Electromagnétiques Temporels (TDEM) selon une maille d’échantillonnage de 10 m x 10 m (Kchikach et al., 2006). Des profils de Tomographie Électriques (ERT) combinés avec ceux du Géoradar (GPR) ont été également exécutés tout près de parements d’exploitation, montrant des dérangements pour tester l’efficacité de ces deux méthodes (El Assel et al., 2011). Ces études expérimentales ont certes permis de montrer l’intérêt du paramètre « résistivité électrique » et de définir la signature TDEM et GPR des dérangements par rapport à la série phosphatée non dérangée mais la faible amplitude des anomalies constatées et la lourdeur des méthodes utilisées limitent la possibilité de les généraliser sur des étendues presque illimitées du bassin phosphaté des Ouled Abdoun. Les méthodes électromagnétiques basse fréquence, type EM31 et EM3411, permettent l’acquisition, sans contact avec le sol, de données de conductivité électrique dont les variations traduisent les hétérogénéités et les variations de faciès du proche sous-sol. Ces techniques sont très faciles à mettre en œuvre sur le terrain et permettent un rendement en acquisition nettement plus élevé que les méthodes TDEM, ERT et GPR précitées. Plusieurs kilomètres peuvent être couverts quotidiennement selon les conditions du site. Le dispositif de mesure peut même être monté sur chariot et tracté à une vitesse donnée. Le système de mesure, appelé conductivimètre, comprend un émetteur et un récepteur reliés au boitier de contrôle situé au milieu du dispositif. L’émetteur génère un champ électro-magnétique primaire à une fréquence donnée. Lorsque le champ primaire rencontre dans le sol un milieu conducteur, un champ secondaire est généré et détecté par le récepteur. Le rapport de la composante verticale du champ secondaire en quadrature par rapport au champ primaire est proportionnel à la conductivité apparente, inverse de la résistivité, exprimée en Siemens/mètre (Dubois, 2005). La profondeur d’investigation des méthodes EM31 et EM 34 dépend de la distance entre bobines émettrice et réceptrice, de la fréquence du champ primaire et de la conductivité du milieu étudié (Geonics, 1979 ; McNeill, 1980 ; Nabighian, 1989 ; Hauch et al., 2001 ; Chouteau, 2001 ; Hördt, 2008). Théoriquement, pour un terrain moyennement conducteur, la profondeur d’investigation est égale à 1,5 fois la distance entre bobines. La méthode EM31 a été utilisée dans le gisement de Sidi Chennane, sur la même parcelle de 25 hectares antérieurement couverte par les sondages TDEM. Des profils de conductivité électrique ont été réalisés selon une maille de 5 m x 5 m. Au total 50 km et 10 000 mesures ont été exécutées avec le système EM31 de Geonics12 en utilisant une fréquence de 9600 Hz. Sachant que les travaux géophysiques antérieurs ont montré que les termes de la série phosphatée sont grossièrement moyennement conducteurs, le système de mesure EM31 utilisé permettrait une profondeur d’investigation de l’ordre de six mètres. Les résultats sont présentés sous forme de la carte des conductivités apparentes de la parcelle étudiée. La carte des conductivités apparentes obtenue (Fig. 4) montre cinq anomalies (An1 à An5) pour lesquelles les conductivités apparentes mesurées sont les plus faibles. Ces anomalies correspondraient donc à des zones à facies plus résistant par rapport à son encaissant. Des valeurs de conductivités apparentes élevées ont été mesurées dans la partie centrale ouest de la parcelle étudiée. Elles pourraient être attribuées à des zones à teneur en eau du soussol importante. Le reste de la carte est représenté par des valeurs moyennes de conductivités apparentes que nous attribuons à la série phosphatée non dérangée. Sur la figure 4, nous avons volontairement placé la carte des conductivités apparentes obtenue par le levé EM31 à côté de celle antérieurement établie pour la même parcelle grâce à la réalisation des sondages TDEM. Il en ressort que les anomalies de faibles conductivités se superposent à celles de fortes résistivités repérées par la méthode TDEM. Les résultats des deux méthodes utilisées se corroborent donc parfaitement. Ils ont aussi été contrôlés par des sondages mécaniques qui ont confirmé l’existence de dérangements à l’aplomb des anomalies susmentionnées. 59 11. Les méthodes géophysiques électromagnétiques basse fréquence en champ proche, type EM31 ou EM34, permettent l’acquisition, sans contact avec le sol, de données de conductivité électrique dont les variations traduisent les hétérogénéités et les variations de faciès du proche sous-sol. 12. Geonics est un leader mondial dans la conception et la manufacture d’instruments électromagnétiques à buts géologiques, environnementaux ou géotechniques. Géologues n°194 métallogénie et substances minérales Figure 4. Exemples de résultats des études géophysiques expérimentales réalisées dans le gisement phosphaté de Sidi Chennane (a) profil ERT combiné avec celui du GPR réalisé à côté d’un parement d’exploitation montrant des dérangements (b) cartes des résistivités apparentes et des conductivités apparentes obtenues respectivement pat les méthodes TDEM et EM31. Source : Geonics et les auteurs. 60 Géologues n°194 métallogénie et substances minérales Conclusions et perspectives Cette étude a permis de préciser la nature des dérangements de la série phosphatée et d’ébaucher un modèle karstologique de leur genèse. Elle montre que le Sénonien, qui constitue le soubassement de la série phosphatée, est formé par une épaisse série évaporitique, pour la première fois identifiée et décrite dans le bassin des Ouled Abdoun. La distribution spatiale des dérangements affectant la série phosphatée montre un lien étroit avec la distribution du gypse du sommet du Sénonien. Dans la région d’Oued Zem, où les couches de gypse sont épaisses, les dérangements sont nombreux. Plus à l’Ouest, dans les tranchées d’exploitation des phosphates à Sidi Daoui où les couches de gypse sont moins développées, les zones dérangées existent mais sont plus rares et de dimensions plus petites. Encore plus à l’ouest, dans le voisinage immédiat de la ville de Khouribga, les dérangements sont absents ou rarissimes de même que les niveaux de gypse. Les dérangements sont donc incontestablement des fontis qui se sont développés à la verticale de cavités souterraines issues de la dissolution par endroits du gypse sénonien (voir figure 3). Les arguments géométriques et les résultats préliminaires de l’étude microscopique, toujours en cours, montrent une histoire de formation polyphasée de ces derniers. Bien que le contraste de résistivité entre la série phosphatée normale et la zone dérangée soit assez faible, les résultats des travaux géophysiques expérimentaux réalisés dans le gisement phosphaté de Sidi Chennane ont permis de définir une signature particulière des dérangements. En effet, en dépit de sa faible profondeur d’investigation, la méthode EM31 a démontré sa sensibilité au problème étudié : elle offre par ailleurs, une densité de mesures et un rendement en acquisition très important. Elle pourra donc être généralisée sur de grandes superficies du bassin des Ouled Abdoun. Le dispositif EM34 type Slingram de Geonics offre aussi un rendement en acquisition équivalent à celui de l’EM31. Sa mise en œuvre avec un écartement de 40 m permettra d’atteindre une profondeur d’investigation qui couvrirait la totalité de l’épaisseur de la série phosphatée (40 à 50 m). Des mesures continues avec ce dispositif en adoptant un pas d’échantillonnage de 10 m, permettrait d’élaborer des cartes des conductivités apparentes dans les futures zones d’exploitation des phosphates. De tels documents peuvent être directement exploités par les ingénieurs de l’OCP aussi bien lors du calcul des réserves de chaque panneau d’exploitation que pour contourner les zones déran- gées, au cours des travaux d’extraction du phosphate. Un programme de recherche financé par l’OCP vient d’être lancé en janvier 2017. Il réunit plusieurs laboratoires de recherche des universités Cadi Ayyad-Marrakech, l’Institut Andaluz de géophysique-université de Granada, l’université Pierre et Marie Curie et l’université d’Avignon et des Pays de Vaucluse. Il porte, en particulier, sur le développement des études géophysiques expérimentales réalisées pour mettre en place une approche systémique de cartographie des dérangements sous couverture quaternaire. La réalisation de levés EM34 sur de grandes superficies des futures zones d’exploitation des phosphates est un axe principal de ce programme de recherche. Les travaux du doctorat de Mme EL KIRAM, coauteur de cet article, s’intègrent dans le cadre dudit programme. Ces travaux permettront aussi d’affiner le modèle de genèse des dérangements. Remerciements Les auteurs remercient les responsables de l’OCP pour leur collaboration et pour l’intérêt qu’ils portent à la recherche scientifique en finançant les travaux de recherche en cours. Cette étude a été réalisée grâce au soutien du Comité Mixte Interuniversitaire Franco-Marocain (programme Toubkal 15/17, nº 32401XB). Références bibliographiques Azmany M., 1979. Évolution des faciès dans le gisement des Ouled Abdoun. Mines, Géologie et Energie, Rabat, 44, 35-38. Azmany M., Farkhany X. et Salvan H.M., 1986. Gisement des Ouled Abdoun, Géologie des gîtes minéraux marocains, t. 3, Phosphates. Notes et Mém. Serv. Géol. Maroc, 276, 200-249. Boujo A., 1976. Contribution à l’étude géologique du gisement de phosphates des Ganntour, Maroc occidental. Notes Mém. Serv. Géol. Maroc, 262, 227 p. 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Rapport inédit, Document interne OCP, 14 p. métallogénie et substances minérales Les schistes bitumineux au Maroc Laurent de Walque 1 . Introduction : une première définition Les schistes bitumineux (en anglais : oil shales) désignent des roches sédimentaires à grains fins, de couleur noire, grise ou brune, pouvant dégager une odeur de bitume à la cassure et contenant une quantité appréciable de matière organique dénommée kérogène. Contrairement à leur nom, ces roches ne sont ni des schistes ni des bitumes. Ce sont généralement des marnes, des pélites et/ou des argilites, non métamorphiques, exploitées en mines et/ou carrières qui renferment des substances organiques en quantité suffisante pour faire l’objet d’une valorisation énergétique par transformation. Cette transformation s’effectue soit par un traitement thermique, dit pyrolyse pour la production d’hydrocarbures liquides et gazeux, soit par combustion directe pour la production d’électricité. Les résidus des schistes bitumineux peuvent être utilisés comme matériaux de base dans les industries chimiques (engrais) et des matériaux de construction. Par pyrolyse, la production d’un seul baril d’huile à partir de schistes bitumineux nécessite la mise en œuvre de 2 à 3 tonnes de roches selon la teneur du minerai en huile. À l’échelle mondiale, les environnements de dépôt des schistes bitumineux sont très variés : milieux d’eau douce,lacs fortement salins,bassins marins épicontinentaux et milieux sub-tidaux. Les schistes bitumineux sont des roches mères pétrolières qui renferment de 10 à 40 % de matière organique et de 60 à 90 % de matière minérale.Leur âge géologique s’étend du Cambrien jusqu’au Tertiaire. Parmi les thématiques non conventionnelles, il ne faut pas confondre les schistes bitumineux (oil shales) avec les huiles et gaz de schistes (shale oils & shale gas). Leur point commun est le fait que les hydrocarbures liquides et gazeux sont piégés dans la roche et leur différence résulte dans le fait que ces hydrocarbures ne sont pas encore générés pour les schistes bitumineux alors qu’ils sont déjà générés pour les huiles de schistes et les gaz de schistes. Leur différence dépend donc de la maturité de la roche-mère acquise lors des temps géologiques, en particulier de son enfouissement et de sa thermicité. Il ne faut pas non plus, les confondre avec les sables bitumineux (appelés également sables asphaltiques). Les sables bitumineux sont des réservoirs pétroliers, constitués d’un mélange de sable, d’argile, d’eau et de pétrole extra-lourd très biodégradé (huile très visqueuse) ayant migré, parfois sur de longues distances, depuis leur roche mère. Les ressources mondiales en schistes bitumineux varient selon les sources, certaines étant incontrôlables voire peu réalistes. Les professionnels se réfèrent aux travaux de Diny (2003)2, révisés par Nummedal et al. (2009)3 via le Centre COSTAR4 à Golden (Co, USA) (Fig.1). Le Maroc se situe en 6ème position mondiale, derrière le Brésil et juste devant la Jordanie, avec des ressources de l’ordre de 38 Gb (milliard de barils) peut-être sous-estimé (un chiffre de 50 milliards est souvent annoncé). L’ensemble des ressources mondiales seraient supérieures à 3 000 Gb5. Localisation des gisements marocains Le Maroc compte plus de vingt indices de schistes bitumineux répartis sur tout le territoire. Certains ont fait l’objet de travaux importants ; ce sont les deux principaux gisements de Timahdit et de Tarfaya6 (Fig.2). La localité de Timahdit est située au cœur du Moyen Atlas à 240 km environ au Sud-Est de Rabat et à 40 km au Sud d’Azrou et d’Ifrane (Photo 1). Tarfaya, bien plus au SudOuest, s’étend le long de la côte atlantique à plus de 500 km au sud d’Agadir. Ces schistes bitumineux appartiennent à des formations d’âge Crétacé (Timahdit : Maestrichtien ; Figure 1. Distribution mondiale (10 premiers pays) des ressources en schistes bitumineux, d’après Diny (2003) et Nummedal et al. (2009). 1. Consultant indépendant, ancien géologue PetroFina & Total. Courriel : [email protected] 2. Dyni, J.R., 2003. Geology and resources of some world oil-shale deposits. Oil Shale, vol. 20, no. 3, 2003, p. 193. 3. Nummedal, D., Bartov, Y., Sarg, R. and Boak, J., 2009. Search and Discovery Article #30083, adapted from oral presentation at AAPG International Conference and Exhibition, Cape Town, South Africa, October 26-29, 2008. 4. COSTAR, acronyme de Center for Oil Shale Technology and Research, localisé à Golden au CSM - Colorado School of Mines-, groupe de recherche interdisciplinaire dont les partenaires principaux sont Shell – Total – ExxonMobil. 5. United States Energy Information Administration (EIA). 6.Bencherifa,M.,2010.Moroccan oil shale :a new strategy.30th Oil shale Symposium,hosted by COSTAR,in http://www.costar-mines.org/oil_shale_symposia.html 63 métallogénie et substances minérales Figure 2. Les trois principaux gisements des schistes bitumineux au Maroc. Source / ONHYM (Bencherifa, 2010). Figure 3. Nouvelles cibles identifiées. Source : ONHYM (Bencherifa, 2010). Tarfaya : Cénomanien). Leur matière organique est d’origine marine (kérogène sapropélique essentiellement). capacité journalière de 80 tonnes de minerai pour le traitement de ce gisement du Rif. On notera aussi, au nord du pays, les gisements du Rif, principalement celui de Tanger,qui pourrait être plus important et susceptible d’augmenter l’étendue des ressources marocaines en schistes bitumineux. Les gisements de Timahdit et de Tarfaya n’ont été étudiés que plus tard, durant les années soixante. Suite aux deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979 et aux cycles résultants de hausses des prix du brut, la recherche mondiale et le développement pour la valorisation des schistes bitumineux ont connu un essor considérable, en particulier au Maroc. Dans les années soixante-dix, les deux gisements de Timahdit et Tarfaya ont fait l’objet de plusieurs études géologiques et minières, des études de laboratoire ainsi que des tests de pyrolyse et de combustion directe. Un total de 1 500 tonnes de schistes bitumineux de Timahdit ont été testés par plusieurs procédés de pyrolyse à travers le monde7 et ont fait l’objet de nombreuses études de faisabilité technico-économiques. Les travaux géologiques, miniers et de laboratoire, poursuivis jusqu’en 1985, ont permis en plus de la mise en évidence des réserves en place et de la caractérisation des schistes bitumineux de Timahdit et de Tarfaya, de démontrer une valorisation certaine de ces schistes par pyrolyse. Historique de la recherche En fait, c’est à Tanger que les toutes premières recherches pour la valorisation des schistes bitumineux marocains ont été entamées, par la création dans les années trente, de la SOCIÉTÉ DES SCHISTES BITUMINEUX DE TANGER. Une étude préliminaire avait estimé à l’époque les réserves de ce gisement à 2 milliards de barils d’huile en place. Entre 1939 et 1945, année de suspension du projet, cette société avait construit une usine pilote d’une 64 Photo 1. Route d’accès au plateau de Tassemakht et aux schistes de Timahdit (cliché : L. de Walque). Ce qui a conduit le BRPM et l’ONAREP8 à entamer dès 1979 leur propre expérience par le développement d’un procédé dénommé T39 et la construction d’une usine pilote.Ce projet d’ingénierie a été stoppé début 1986 (nouvelle chute des prix pétroliers).Par la suite,l’ONHYM a réactivé le dossier des schistes bitumineux dès le début 2005 par la signature d’accords de partenariat avec divers groupements industriels. Enfin, indiquons que l’ONHYM a identifié cinq nouvelles cibles d’exploration de schistes bitumineux : Errachidia, Ouarzazate, Agadir, Essaouira et Tadla10 (Fig.3). 7. Procédés de retorting (définition : voir note 12) américains (TOSCO II, PARAHO et UNION OIL), allemand (LURGI–RUHRGAS), estoniens (KIVITER et GALOTER), canadien (TACIUK) et japonais (JOSECO). 8. L’actuel Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM) a été créé en 2005, par la fusion du Bureau de Recherches et de Participations Minières (BRPM) et de l’Office National de Recherche et d’Exploitations Pétrolières (ONAREP). Depuis leur création, en 1928 pour le BRPM et en 1981 pour l’ONAREP, ces deux organismes ont été les pionniers et les leaders au Maroc dans leurs domaines d’activité respectifs. 9. Initiales des trois gisements de Tanger, Tarfaya et Timahdit. 10. Voir note 6. métallogénie et substances minérales Les trois gisements principaux Timahdit Le gisement de Timahdit (Photo 2), d’âge Crétacé Supérieur (Maastrichtien),se situe dans la chaîne du Moyen Atlas à une altitude variant entre 1 700 m et 2 300 m., à 240 km environ au Sud-Est de Rabat. La partie nord est couverte de basalte Quaternaire, formant le plateau de Tassemakht. Les séries les plus riches en matière organique ont été divisées en quatre couches lithologiques (T, Y, X et M) qui ont été corrélées parfaitement sur tout le gisement. Près de 80 sondages carottés11 ont été exécutés sur le gisement de Timahdit et ont permis de déterminer des teneurs moyennes de plus de 60 l/t, pouvant excéder localement des valeurs de 70 à 80 l/t. Du point de vue géologique, le gisement est constitué par deux bassins différents : le synclinal d’El Koubbat au nord-ouest (250 km2) et le synclinal d’Angueur au sud-est (100 km2), séparés l’un de l’autre par l’anticlinal de Jbel Hayane. La zone la plus riche se trouve au centre du synclinal d’El Koubbat et est caractérisée par les épaisseurs importantes en marnes riches en matière organique (épaisseurs maximales de 250 m). Tarfaya Le gisement de Tarfaya (Photo 3), d’âge Cénomanien, s’étend sur une superficie d’environ 2 500 km2 à l’est de la ville de Tarfaya, le long de la côte atlantique, à 500 km au sud d’Agadir. Il longe la lagune de KhenifissNaïla, en bordure du Parc national de Khenifiss. La série la plus riche en matière organique est composée d’une alternance de niveaux sombres et clairs de calcaire crayeux. Cette couche contient également des interca- Photo 3. Affleurement côtier des schistes bitumineux de Tarfaya (cliché : L. de Walque). lations de silex et des nodules carbonatés. Près de 140 sondages carottés au total ont été forés sur le gisement de Tarfaya. La structure géologique de ce gisement consiste en un anticlinal érodé formant deux flancs de part et d’autre d’une sebkha dite Sebkha Tazra. Une formation Plio-Quaternaire variant de 8 à 12 m couvre ces séries. La zone R, la plus riche, a été divisée en cinq couches lithologiques différentes dénommées : R0, R1, R2, R3, R4, et corrélées parfaitement. Des teneurs moyennes de l’ordre de 50 l/t ont été mesurées, pouvant être localement supérieures. Gisements du Rif Photo 2. Affleurement des schistes bitumineux de Timahdit (cliché : L. de Walque). Les gisements du Rif (plus connus sous le nom de gisement de Tanger) se concentrent sur 400 km2 dans la partie nord-ouest du Rif. L’affleurement le plus connu est celui de Tanger, mais il existe d’autres affleurements à Arba Ayach, Beni Arous, Bab Taza et Tétouan. Les épaisseurs des banc principaux ne sont pas considérables, elles varient de 0.1 à 3 m, avec un rendement moyen d’huile de 25 à 83 l/t. Les schistes bitumineux du Rif n’ont pas fait l’objet d’évaluation détaillée récente ni de nouvelles estimations de ressources. 11. 22 000 mètres de carottes récupérées. Géologues n°194 65 métallogénie et substances minérales Études de développement Le procédé de pyrolyse T3 à Timahdit Historique En 1979, le BRPM, chargé de la promotion des projets de valorisation des schistes bitumineux, a entamé un développement d’un procédé de pyrolyse qui se voulait simple au niveau technologique, et de faible coût. Des premiers essais encourageants de cette pyrolyse « batch » par combustion de carbone résiduel ont amené le BRPM à s’allier avec SCIENCE APPLICATION Inc. aux États-Unis pour envisager un procédé de pyrolyse in-situ dénommé plus tard « T3 » (voir note 9). Le procédé Il s’agit d’un procédé semi-continu basé sur l’utilisation de deux fours verticaux identiques, fonctionnant alternativement en mode de pyrolyse et en mode de refroidissement. La pyrolyse est entretenue par l’injection d’air et de vapeur d’eau provenant du four en mode de refroidissement. Le refroidissement des résidus s’effectue par l’injection d’un mélange d’air et d’eau pulvérisée à la base du four. La semi-continuité du procédé est assurée par la simultanéité des opérations de pyrolyse et de refroidissement et le mode incrémentiel des opérations de déchargement et de chargement. Unité pilote de Timahdit En parallèle avec les essais par les procédés cités plus haut (voir note 7) et suite au pré-développement du BRPM, l’ONAREP a poursuivi le développement de ce procédé de pyrolyse T3. Dans le cadre de ce projet, l’ONAREP a construit une unité pilote comportant deux fours de 80 tonnes de capacité chacun (Photo 4). 66 Cette unité pilote a été construite en 1983-1984 sur le site même de Timahdit, à l’aide d’un prêt de la BANQUE MONDIALE de 11 millions de dollars.Elle a été mise en marche et testée à vide,entre janvier et mars 1985,et opérée à charge entre avril 1985 et octobre 1986.La durée de pyrolyse était de 18 à 36 heures avec une capacité horaire de 2,2 à 4,4 tonnes de minerai par heure.Dans le meilleur des cas,il était produit de 240 à 475 litres d’huile par heure et de 850 à 1 650 m3 de gaz par heure.On peut estimer que plus de 2 500 tonnes de schistes bitumineux ont été testées par ce procédé qui a produit 400 tonnes d’huile. L’unité commerciale de production envisagée à cette époque (mais non construite) aurait pu produire quotidiennement 8 000 barils d’huile et 200 tonnes de soufre à partir de 25 000 tonnes de schiste brut, schiste à extraire en surface (carrière) ou en sub-surface (technique minière) sous les basaltes. Photo 4. Vue générale de l’unité pilote T3 de Timahdit (cliché : L. de Walque). Ces dernières années à Timahdit En 2009-2010 l’ONHYM a conclu un accord de partenariat avec PETROBRAS,associé à TOTAL,visant une étude de faisabilité et de pré-développement d’un périmètre minier à Timahdit.En appliquant la technologie de retorting12 Petrosix, mise au point au Brésil. Plus récemment, l’ONHYM a signé de nouveaux accords avec TAQA (Abu Dhabi National Energy Company) et SAN LEON ENERGY plc13. Les projets à Tarfaya Historique SHELL INTERNATIONAL PETROLEUM a travaillé sur un projet à Tarfaya, dès 1982. Une première étude de préfaisabilité a été réalisée entre 1982 et 1984. Par la suite, SHELL a entamé, dès le début 1985, une phase pré-expérimentale d’une durée de deux ans portant sur des travaux de terrain et des études de définition plus poussée du projet de Tarfaya. Après une campagne exhaustive de forages, le projet s’est concentré sur une exploitation minière à ciel ouvert (Photo 5) et une étude de viabilité d’un projet commercial. Ces dernières années En 2008-2010, le consortium PETROBRAS-TOTAL travailla sur un périmètre du gisement de Tarfaya. En 2012, SAN LEON ENERGY, travaillant également à Tarfaya suite à un accord de partenariat signé par l’ONHYM, contractait aux estoniens de ENEFIT OUTOTEC TECHNOLOGY (« EOT ») une étude de faisabilité d’extraction des schistes de Tarfaya, et leur transformation via le procédé de retorting Enefit 280. EOT reprit la base de données des opérations de SHELL et échantillonna de nouveau l’ancienne carrière excavée par SHELL. Citons enfin ZONATEC et GLOBAL OIL SHALE ayant signé des conventions sur Tarfaya, respectivement en 2012 et 2014, pour réaliser des essais de centrale 12. Technique destructive de cuisson et de distillation des schistes bitumineux dans des fours mécaniques autoclaves. 13. San Leon, travaillant avec les procédés estoniens d’Enefit (voir ci-après les projets à Tarfaya), a envoyé en 2014 en Allemagne 12 tonnes d’échantillons de Timahdit pour des essais de transformation. Géologues n°194 métallogénie et substances minérales Photo 5. Ancienne carrière d’exploitation de SHELL à Tarfaya (cliché : L. de Walque). thermique à lit fluidisé d’une puissance de 100 à 500 MW environ. Les défis Suite à toutes ces études et phases pilotes, on peut résumer les principales caractéristiques des schistes marocains étudiés14 dans le tableau ci-après (Tableau 1). Pour atteindre le stade industriel,l’industrie des schistes bitumineux devra faire face à trois défis principaux : Tableau 1. Résumé des principales caractéristiques des schistes bitumineux marocains. Source : ONHYM (Bencherifa, 2010). le défi économique, l’économicité de tels projets dépendant du prix du brut, lesquels à l’heure actuelle ne sont guère attrayants ; le défi technologique,quel procédé serait le plus rentable ? Quel est le rendement énergétique15 ? Quelle quantité de minerai à extraire pour assurer une durée de vie industrielle ? Et comment (carrière, mine, …) ; et enfin, le défi environnemental (utilisation de l’eau dans des régions où la pénurie d’eau est sensible16, empreinte carbone17, défi sociétal, zones naturelles protégées…). 14. Voir référence note 6. 15. Le rendement énergétique (ERoEI - Energy Returned On Energy Invested -) ou en français TRE (taux de retour énergétique), est le ratio d’énergie utilisable acquise à partir d’une source donnée d’énergie, rapportée à la quantité d’énergie dépensée pour obtenir cette énergie. Les chiffres marocains ne sont pas publiés. Au niveau mondial, le rendement énergétique des schistes bitumineux est faible (ERoEI moyen de 4:1, mais pouvant varier selon les sources et les techniques de seulement 1,3:1 à 7:1 ( Hall, C. et al (2014), Energy Policy, 64, pp 141–152). 16. Les procédés de retorting sont consommateurs de grandes quantités d’eau (valeurs proches de 2,5 barils d’eau nécessaires pour la production d’1 baril d’huile – procédé Petrosix- ; valeurs inférieures à 1 bw/bo pour la technologie d’Enefit – source TOTAL). 17. Les émissions directes de CO2 du procédé Petrosix sont de l’ordre de 80 à 90 kg CO2 / boe ; de plus de 300 kg CO2 / boe pour le procédé Enefit (source TOTAL). Géologues n°194 67 hydrogéologie Apports de la géologie du Maroc à la gestion et la planification de ses ressources en eau souterraine Omar Fassi Fihri 1 . Introduction L’importance stratégique des ressources en eau du Maroc a façonné l’évolution historique de ce pays semi-aride et l’installation de sa population et de ses activités socio-économiques. Cette importance a contribué à promouvoir les études hydrauliques en général et hydrogéologiques en particulier. La situation du Maroc, à la limite du craton africain et de sa marge continentale, l’a positionné à la confluence des orogénèses panafricaine, hercynienne, alpine et rifaine. Il en a résulté un assemblage diversifié de faciès étalés dans les étages géologiques et dans les classes pétrographiques, affectés par des déformations ductiles et fragiles à différentes échelles, et structurés en domaines géologiques assez complexes au premier abord. L’hydrogéologie marocaine a hérité de cette situation géologique particulière, une grande diversité des systèmes aquifères, avec des caractéristiques lithologiques, structurales et hydrodynamiques tranchées.Cette variation a engendré un grand nombre de problématiques qui ont nécessité le développement, la validation et l’application d’approches et d’outils adaptés aux résultats escomptés aussi bien au niveau de la prospection que de l’exploitation,de la gestion de la planification ou de la protection,applications menées dans le cadre d’études générales et/ou spécifiques.L’objectif de cet article est de présenter l’essentiel des résultats de ces études, en termes de compréhension du fonctionnement et de quantification des termes du bilan des aquifères marocains. Il rappelle l’historique de ces études, les méthodologies déployées et les outils utilisés, avec leurs résultats au niveau litho-stratigraphique, structural et hydraulique, et les perspectives à prévoir pour la capitalisation de ces résultats pour aider à la prise de décision relative à la gestion d’une ressource stratégique pour tout développement socio-économique d’un pays semi-aride. Une grande histoire hydrogéologique 68 Pendant l’antiquité, le Maroc a été un haut lieu de prospection et d’exploitation des ressources en eau. Le savoir-faire des romains, des arabes et des andalous s’est transcrit dans la tradition orale des artisans puisatiers et sourciers. Les seules reliques de ce savoir-faire restent cependant la jurisprudence y afférant et les réalisations dont les plus représentatives sont les puits reliés par des conduites souterraines connus sous le nom de « khettara », assurant la boisson, l’irrigation et l’abreuvement du cheptel. Au début du vingtième siècle, les besoins accrus des nouveaux centres urbains et de la modernisation grandissante de l’activité agricole ont stimulé la recherche de nouvelles ressources. Il en a résulté une analyse des contextes hydrogéologiques des sources pour préparer leur aménagement, une accélération de la cartographie géologique, depuis les travaux d’explorateurs regroupés par Louis Gentil (Gentil, 1912), d’une première étude géologique de la région prérifaine publiée en 1927, jusqu’aux travaux de Choubert et Marçais dans les années 50. Au total, 220 cartes géoscientifiques et 180 monographies ont fait l’objet de publications archivées (Direction du Développement Minier, 2013). Les travaux de prospection commencèrent ensuite par se spécialiser, avec la première étude géophysique par sondage électrique dans le couloir Fès-Taza par exemple (1949), la réalisation de forages d’eau avec la technique rotary qui ont atteint des profondeurs inégalées auparavant, l’élaboration des premières cartes hydrogéologiques (Margat, 1960), et des premiers documents de planification (plan directeur de l’aménagement du Sebou, en 1968, par exemple). Suivant un découpage basé sur la typologie des bassins géologiques, une première synthèse de ces travaux est publiée sous forme de trois mémoires du Service Géologique du Maroc dans les années 70 sous l’appellation « Ressources en eau du Maroc ». Le premier tome a concerné le domaine rifain et l’Oriental (1971), le second a concerné les bassins atlantiques (1975) et le troisième a concerné les domaines atlasique et sud atlasique (1977). Cette publication a été accompagnée par la rédaction d’une liste bibliographique regroupant les références antérieures susceptibles d’aider à l’élaboration de ces ouvrages (Dion et Moussu, 1976) et a donné lieu à la publication de la première carte hydrogéologique des nappes du Royaume en 1977. Depuis, trois accélérations des études et des travaux hydrogéologiques peuvent être notées ; il s’agit de l’accompagnement de la sécheresse de la fin des années 70 qui a nécessité l’engagement de nouvelles ressources pour alimenter les villes, du lancement au milieu des années 90 du programme d’alimentation en eau potable des populations rurales qui a nécessité l’exploration de 1. Commission des infrastructures, de l’énergie, des mines et de l’environnement - Parlement marocain, Avenue Mohamed V, Rabat, Maroc. Courriel : [email protected] Géologues n°194 hydrogéologie zones reculées, et l’obligation, après l’avènement de la loi 10/95, de réaliser un Plan National de l’Eau à l’échelle du Royaume, et des Plans Directeurs d’Aménagement Intégré des Ressources en Eau à l’échelle des bassins versants, ce qui a nécessité la capitalisation de plusieurs études menées au niveau de la Direction Générale de l’Hydraulique, de ses Directions Régionales devenues des Agences de Bassins Hydrauliques,des centres de recherche spécialisés (CNESTEN2 par exemple) et des universités marocaines et étrangères. Les conséquences hydrogéologiques d’une géologie particulièrement riche Le Maroc offre un échantillonnage varié depuis le socle cristallin de l’Archéen aux terrains les plus récents (Michard, 1976 ; Piqué, 1994). L’analyse de la distribution des différentes formations géologiques permet de distinguer huit domaines différents présentés sur la figure 1 ; il s’agit de quatre domaines montagneux (rifain, atlasique, anti- Figure 1. Carte des grands domaines géologiques du Maroc. Source : modifiée et simplifiée à partir de la carte géologique du Maroc, 1985. Notes et Mémoires n° 260 du Service géologique du Maroc. 2. Centre National de l’Énergie, des Sciences et des Techniques Nucléaires. Géologues n°194 69 hydrogéologie 70 atlasique et le socle cristallin) et quatre bassins subsidents (plaines atlasiques, domaine oriental, sillon sudatlasique et bassin de Laayoun-Dakhla). Le socle cristallin a émergé au sud-ouest du Royaume suite à l’orogénèse panafricaine. Ces roches n’abritent pas de ressources souterraines notables. Le domaine anti-atlasique fait partie des chaînes hercyniennes qui ont résulté de la collision entre la Laurasia et le Gondwana (domaine de l’Anti-Atlas et ses prolongements au sein des provinces sahariennes en plus de la Meseta). La série qui peut dépasser les 10 000 m commence par un Cambrien carbonaté avec des intrusions de syénites (zone axiale de l’Anti-Atlas). L’Ordovicien est essentiellement représenté par des dépôts détritiques quartzitiques au sein de Jbel Bani et au niveau de la moyenne vallée du Drâ. Le Silurien correspond à des passages de calcaires qui, lorsqu’ils sont fracturés, peuvent abriter des nappes locales émergeant au niveau de certaines mines du Bas-Drâ et Bani, et parfois utilisables par la population. Le Dévonien est caractérisé par des séries calcaires récifaux, avec des séries argilo-gréseuses épaisses. Le Carbonifère inférieur débute par des argilites puis viennent les grès et les calcaires, avec en particulier la mise en place de laves et d’intrusions basiques, du Viséen supérieur et du Namurien. Dans ces formations, les ressources en eau souterraines sont liées à des formations détritiques, carbonatées et mêmes endogènes particulièrement productives lorsqu’elles sont fracturées (forage de Bab Bouidir dans le massif de Tazekka, ou celui de Tamchachate par exemple). Les terrains permiens sont en discordance angulaire sur les structures hercyniennes. Ce sont des dépôts continentaux provenant de l’érosion des reliefs de la chaîne hercynienne, repris au niveau des dépressions dans des dépôts quaternaires, comme c’est le cas à l’oued Seyad et l’oued Noun, du Hamada du Drâ ou dans la région de Maïdère. L’importance de cette ressource est à lier à l’alimentation en eau potable d’agglomérations situées dans des zones arides et éloignées des réseaux régionaux de distribution. Le Mésozoïque et le Cénozoïque sont représentés par des dépôts de plateforme épicontinentale plus ou moins tabulaires. Ainsi, le Trias est représenté par les argiles rouges et les basaltes doléritiques, le Jurassique, marin, par les calcaires et les marno-calcaires, surmontés par une série marine littorale du Crétacé supérieur au Néogène. Les bassins résiduels sont remplis par des dépôts lacustres au Plio-quaternaire. Les ressources en eau les plus importantes du pays sont emmagasinées dans ces formations, avec en particulier les carbonates fracturés et karstifiés du Haut et du Moyen Atlas d’où émergent les principales sources alimentant les rivières du pays. Ces nappes deviennent captives et le plus souvent multicouches au sein du sillon Géologues n°194 sud-atlasique, des plaines atlasiques, du domaine oriental. Le sillon sud-atlasique est considéré comme l’avantfosse entre les domaines du Haut Atlas et de l'Anti-Atlas. Il est constitué d'Ouest en Est de trois cuvettes principales que sont le Souss, le bassin d'Ouarzazate et le bassin d’Errachidia-Boudenib. Les affleurements y sont représentés par des faciès post-liasiques et vont du Crétacé inférieur au Quaternaire récent, généralement détritiques et dont les eaux assurent l’alimentation des populations. Les plaines atlasiques sont représentés par le sillon sudrifain, situé entre les chaines rifaine et atlasique, regroupant le bassin Fès-Meknès et le couloir Fès-Taza, prolongé vers l’Est par la plaine de Guercif et le Couloir Taourirt-Oujda, et vers l’Ouest par les nappes du Gharb et de Dradère-Soueire. Il s’agit d’un système multicouches constitué, en fonction des aléas de la paléogéographie, de différentes formations de la série, avec une prédominance des carbonates liasiques et des sables et calcaires lacustres du Plio-quaternaire. Ce domaine est prolongé plus au sud, et sur l’autre flanc de la Meseta centrale hercynienne ; le domaine atlantique est représenté par les nappes du Plateau des phosphates, du Tadla, de la Bahira, de Jbilete et Mouissate et du Haouz. Ces nappes coulent dans des formations de même type, séparées par des hauts fonds plus ou moins étanches. Leur ressource a toujours été décisive dans l’installation des populations et le développement de l’agriculture. En allant vers l’Atlantique, les nappes de la plaine de Berrechid et du synclinal d’Essaouira-Chichaoua, occupent une situation intermédiaire alors que les nappes de la Chaouia côtière, de Doukkala-Abda, de Sahel de Safi à Azemmour, sont représentés par des dépôts détritiques côtiers. Le même modèle est respecté au Sud-Ouest du bassin de Laayoun-Dakhla avec un aquifère profond du Crétacé, exploité à des profondeurs qui peuvent dépasser les mille mètres. Enfin, le domaine rifain a subi une évolution plus particulière avec la mise en place d’une zone axiale paléozoïque de faible productivité, d’une zone rifaine dont la dorsale calcaire liasique nourrit les principales sources et rivières du Rif, de la zone des rides prérifaines multicouches alimentant plusieurs sources et du Pré-Rif essentiellement marneux avec des nappes perchées assez limitées. Les développements des méthodologies et des outils L’État marocain s’est orienté depuis les années 1960 vers la maîtrise de ses ressources en eau comme levier de son développement socio-économique. Cette orientation, consolidée par la promulgation de la loi sur l’eau en 1995, a permis d’instaurer les principes de la hydrogéologie gestion rationnelle par bassin versant, de la concertation dans la planification, de l’intégration dans les interventions, et de la responsabilité dans les financements (principes pollueur-payeur et préleveur-payeur). L’implémentation de ces principes a nécessité la capitalisation des études antérieures et le lancement d’études complémentaires adaptées aux questions en suspens. Un exemple de cette dynamique pourrait être focalisé sur le sillon sud-rifain abritant une nappe phréatique plio-quaternaire et une nappe liasique profonde captive voire artésienne par endroits. L’essentiel des travaux menés dans la première moitié du siècle dernier s’est intéressé à la nappe phréatique accessible et essentiellement représentée dans la partie ouest du sillon (bassin Fès-Meknès). Ces travaux ont permis de dresser la carte hydrogéologique du bassin (Margat, 1960), outil avant-gardiste à l’époque et toujours utilisé pour l’exploitation de cette nappe. En parallèle, les forages de reconnaissance, et en particulier les forages pétroliers, ont mis en évidence la présence d’une nappe profonde. L’augmentation des besoins des villes du bassin suite à la sécheresse de la fin des années soixante-dix a induit la réalisation de forages d’exploitation dépassant parfois les 1 400 m, avec une généralisation des résultats des études géophysiques à tout le bassin (DRPE3, 1988). La simulation du comportement de la nappe vis-à-vis des contraintes de la recharge et de la surexploitation qui commençait à se faire sentir est entreprise (McDonalds, 1990) ; elle a bénéficié des résultats des analyses isotopiques pour définir les conditions aux limites de l’aquifère (Louvat et Bichara, 1990) et a été reprise en 2010 pour intégrer les nouvelles données et préparer la concertation dans le cadre du contrat de nappe entre les différents usagers (ABHS4, 2010). Plus à l’Est, l’étude du couloir FèsTaza subit la même évolution dans les années 1990, avec la définition par géophysique, de la géométrie des aquifères (DRPE, 1993 ; Fassi Fihri, 1996) et la synthèse hydrogéologique (Fassi Fihri,1997). Ces études ont permis d’orienter la réalisation des forages de reconnaissance puis d’exploitation pour satisfaire les besoins de la ville de Taza et du couloir qui la relie à Fès. Plus généralement et sur l’essentiel des bassins du Royaume, cette dynamique a permis de forger une méthodologie pluridisciplinaire basée sur un approfondissement de la connaissance de ces ressources pour comprendre les facteurs influençant leur comportement (lithostratigraphie, analyse structurale, géophysique, géochimie, hydrodynamique, synthèse cartographique sur système d’information géographique), sur une quantification de leur recharge et de leur décharge pour estimer leur ressource mobilisable (climatologie, hydrologie, inventaire des points d’eau, piézométrie, essais de pompage, bilan hydraulique), et sur la modélisation du système aquifère pour l’amélioration de la prévision de sa réponse vis-à-vis des sollicitations externes (Fassi Fihri et Sefrioui, 2014). Conclusions et perspectives Les études hydrogéologiques des aquifères marocains présentent un exemple d’adaptation des outils et des méthodologies aux contextes et aux problématiques. Elles ont en effet bénéficié d’une grande richesse géologique et d’une intégration de la gestion et de la planification des ressources en eau dans les stratégies de développement socio-économique.Après une quarantaine d’années de la première synthèse nationale, il serait utile de mener une deuxième synthèse qui permettrait une capitalisation des nouvelles connaissances pour les rendre accessibles aux gestionnaires et aux usagers, une intégration des données relatives aux provinces sahariennes, une valorisation des efforts déployés dans les différents aspects de gestion et de planification de ces ressources et une ouverture sur les perspectives de développement à prévoir et des études à mener pour améliorer l’état des connaissances à l’avenir. Une telle synthèse pourrait être basée sur l’élaboration d’une base de données sur système d’information géographique, couplée à une analyse critique des différentes études, définissant les caractéristiques intrinsèques des réservoirs souterrains et les évolutions temporelles des ressources en fonction des changements climatiques, des aléas hydrauliques et des facteurs anthropiques. Références bibliographiques ABHS., 2010. Étude de modélisation de la nappe Fès-Meknès. Rapport de la mission II. Dion J. et Moussu P., 1976. Bibliographie des publications hydrogéologiques des ingénieurs du B.R.G.M, Orléans Cedex, 25p. Direction de la Recherche et de la Planification de l’Eau, 1988. Synthèse géophysique des bassins de Fès-Meknès et BoudnibErrachidia - Projet PNUD/DTCD, MOR 86/004, C.A.G., Direction de la Recherche et de la Planification de l'Eau, 1er avril 30 juillet, 158 p. 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Division des Ressources en Eau, (1977). Carte hydrogéologique des nappes du Royaume. Fassi Fihri O., 1996. Application de la méthode des sondages électriques à la prospection des eaux souterraines. Exemple du couloir Fès - Taza. Comptes rendus du Colloque international de la géophysique appliquée. Casablanca. Fassi Fihri O. et Feskaoui M., 1997. Étude Hydrogéologique de l’aquifère liasique du Couloir Fès - Taza (Maroc). Cinquième assemblée scientifique de l’Association Internationale des Sciences Hydrologiques, Rabat. Fassi Fihri O. et Sefrioui S., 2014. Adaptation des outils géologiques, géophysiques, hydrogéologiques et isotopiques aux niveaux stratégique et tactique de la prospection des eaux souterraines. Exemple du bassin de Sebou - Maroc. International Association of Hydrogeologists IAH, the Moroccan Chapter 41st IAH International Congress « Groundwater: Challenges and Strategies ». Marrakech. 72 Géologues n°194 Gentil L., 1912. 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Thèse de Doctorat en Science, Université Moulay Ismail, Faculté des Sciences, Meknès, 234 p. hydrogéologie Évaluation du potentiel des ressources en eau souterraine d’un bassin hydrogéologique d’extension régionale. Cas du bassin du Sebou (Maroc) Mohamed Sinan 1 , Abdessadek Chtaini 2 , J. Filali Jaouad 3 . Introduction rales principales Fig. 1) : Le bassin de Sebou est situé dans la partie nordouest du Maroc, entre le littoral atlantique à l’ouest, le bassin de la Moulouya à l’est, la chaîne montagneuse du Rif au nord et celle du Moyen-Atlas au sud. L’altitude moyenne du bassin avoisine 500 m et sa superficie s’étend sur environ 40 000 km2. Le bassin du Sebou fait partie des bassins les plus riches en eaux souterraines du Maroc, et sont contenues dans plusieurs aquifères. Nous traiterons ici de l’amélioration et de l’actualisation des connaissances géologiques et hydrogéologiques du bassin, ainsi que des éléments des bilans des aquifères qu’il contient. l’Ouergha en amont du barrage Al Wahda : constitué essentiellement par des formations argilo-marneuses imperméables du Crétacé ; les bassins du Gharb, le Saïss et le couloir de Fès-Taza (contenus entre les chaînes du Rif et du Moyen Atlas) à remplissage essentiellement tertiaire et quaternaire. Les deux dernières unités renferment également des formations calcaires du Lias ; le Beht est constitué par des formations permotriasiques et primaires imperméables ; le Haut Sebou (qui fait partie du domaine atlasique) est constitué essentiellement par les calcaires jurassiques. Contextes climatiques, hydrographiques et géologiques Ressources en eau des principales nappes du bassin de Sebou Le climat général du bassin de Sebou est de type méditerranéen à influence océanique. La pluviométrie moyenne annuelle est de 750 mm avec un minimum de 400 mm sur le Haut Sebou et un maximum de 1 800 mm sur les hauteurs de la chaine du Rif. Les températures moyennes annuelles varient selon l’altitude et la continentalité entre 10 et 20°C. L’évaporation potentielle moyenne annuelle du bassin varie entre 1 600 mm sur la côte atlantique et 2 000 mm à l’intérieur du bassin. Le bassin du Sebou fait partie des régions les plus riches en eau souterraine du Maroc, dont le potentiel s’élève à environ 800 hm3/an (20% du potentiel total mobilisable). Ces ressources sont contenues dans plusieurs aquifères, dont les plus importants sont (Fig. 2) : le Dradère-Souière, la Maâmora, le Gharb, le Sais (phréa- Le réseau hydrographique du bassin de Sebou est représenté notamment par l’oued Sebou et ses affluents. Ils drainent donc une superficie d’environ 40 000 km2, avec des apports évalués à environ 5 000 hm3/an4 (représentant environ 20 % du potentiel total en eau superficielle du Royaume). Le débit de l’oued Sebou est régulé par 10 grands barrages et par 45 petits barrages ou lacs collinaires. Parmi ces barrages, figure le barrage Al Wahda, qui est le 2ème plus grand barrage d’Afrique, avec une capacité totale de stockage de 3,7 milliards de m3. Géologiquement,le bassin du Sebou peut être divisé en quatre zones structu- Figure 1. Contexte géologique général du bassin de Sebou (source : ABHS5, 2006). 1. Professeur. École Hassania des Travaux Publics, Casablanca, Maroc. Courriel : [email protected] 2. Professeur. Université Hassan II. Faculté des Sciences de Ben M’Sik, Casablanca, Maroc. Courriel : [email protected] 3. Ingénieur. Secrétariat d’État Chargé de l’Eau et de l’Environnement, Rabat, Maroc. Courriel : [email protected] 4. Un million de m3 = 106 m3 = 1 hm3 = 100 m x 100 m x 100 m. 5. Agence du Bassin Hydraulique de Sebou. Géologues n°194 73 hydrogéologie tique et profond), le couloir de Fès-Taza (phréatique et profond), le Causse moyen atlasique (basaltes quaternaires et calcaires et dolomies du Lias) et le Moyen Atlas, plissé. Ces ressources contribuent considérablement au développement économique et social de la population, en assurant l’approvisionnement en eau potable et industrielle (AEPI) d’une grande partie des centres urbains, l’AEP du milieu rural et la satisfaction des besoins en eau des périmètres irrigués (petite et moyenne hydraulique). Nappe de la Maâmora Cette nappe s’étend sur une superficie d’environ 1 500 km2 et circule dans des formations gréso-sableuses (d’âge Plio-Villafranchien). La profondeur de sa surface piézométrique varie généralement entre 0 et 40 m. L’écoulement général de l’eau souterraine se fait du sud vers le nord et le nord-ouest, en direction de l’Océan Atlantique. L’épaisseur moyenne de la nappe est évaluée à 50 m et ses réserves totales sont estimées à environ 500 hm3. L’alimentation de la nappe est assurée exclusivement par l’infiltration des eaux de pluie, dont le volume est estimé à environ 150 hm3/an. Ses sorties sont constituées par le déversement souterrain de l’eau dans la nappe du Gharb (située plus au nord), l’écoulement vers l’Océan Atlantique (à l’ouest) et l’oued Beht, et par les divers prélèvements (agricoles, eau potable et industrielle). Le volume actuel de ces sorties s’élève à environ 172 hm3/an. Les eaux de la nappe sont extrêmement douces, le résidu sec varie entre 250 et 500 mg/l et leur faciès chimique est du type bicarbonaté-calcique. Le bilan de la nappe est légèrement déficitaire d’un volume moyen annuel d’environ 12 hm3/an, à l’origine des légères baisses piézométriques enregistrées 74 depuis l’année 1998,dont la hauteur varie entre 1.5 et 2.5 m. Nappes du Gharb Le bassin du Gharb (environ 4 000 km2) referme un important complexe aquifère, constitué par une nappe superficielle libre et par une nappe profonde semi-captive. La nappe supérieure (de faible importance) circule dans des formations silto-argileuses du Quaternaire et la nappe profonde du bassin (la plus importante) circule dans des grès, galets, sables et cailloutis du Plio-Quaternaire, caractérisées par de bonnes caractéristiques hydrodynamiques. La profondeur de la nappe est généralement comprise entre 4 et 8 m et son écoulement général se fait du sud vers le nord et de l’est vers l’ouest. L’épaisseur moyenne de la nappe est évaluée à environ 50 m et ses réserves en eau totales sont estimées à 500 hm3. Le suivi piézométrique montre une baisse des niveaux variant entre 4 et 8 m dans les secteurs nord et est de la nappe et une stabilisation dans sa partie côtière. L’alimentation de la nappe se fait par l’infiltration des eaux de pluie, le retour des eaux d’irrigation et par le déversement souterrain de la nappe de la Maâmora. Les sorties de la nappe sont constituées par les prélèvements agricoles et d’AEPI et par le déversement dans l’Océan Atlantique à l’ouest, avec un volume total d’environ 261 hm3/an. Le bilan hydraulique de la nappe enregistre un déficit annuel, évalué à environ 37 hm3/an. Nappe de Dradère-Souière La nappe (s’étendant sur une superficie d’environ 600 km2) circule dans des lumachelles, des sables gréseux du Pliocène et dans des conglomérats du Quaternaire et du Plio-Villafranchien. Sa profondeur varie généralement entre 0,5 et 6 m. L’écoulement de la nappe se fait selon plusieurs directions,notamment vers l’ouest (Océan Atlantique et Meja Zerga) et le sud-est (l’oued Dradère et ses affluents). Le suivi piézométrique de la nappe montre une tendance variable dans l’espace : stabilisation dans les secteurs côtier, central et est, une remontée des niveaux au nord-est et le long de l’oued Dradère, une tendance à la baisse dans le secteur central, au nord-est de Moulay Bousselham et au sud de Merja Zerqa (environ 1 m par an). Les réserves totales de la nappe sont estimées entre 1,2 et 2,5 milliards de m3 d’eau. L’alimentation prinFigure 2. Carte de situation des aquifères du bassin de Sebou (source : ABHS., 2006). Géologues n°194 hydrogéologie cipale est assurée par l’infiltration des eaux de pluie et par le retour des eaux d’irrigation. Son volume total s’élève à environ 111 hm3/an. Les sorties naturelles de la nappe sont constituées par le drainage des oueds Dradère et Souière, par l’écoulement souterrain vers l’océan atlantique, par le déversement de l’eau dans les merjas Zerga et Halloufa et par les prélèvements agricoles et d’AEPI. Le volume total des sorties de la nappe s’élève à environ 111 hm3/an et son bilan hydraulique est globalement équilibré. Nappes du bassin de Fès-Meknès Le bassin de Fès- Meknès s’étend sur une superficie d’environ 2 100 km2 et renferme deux nappes superposées. La première est superficielle et libre et la seconde est profonde,captive et artésienne par endroits.La nappe superficielle circule dans des sables, grès et conglomérats du Plio-Quaternaire, les marnes sableuses et localement dans des calcaires lacustres karstifiés. Elle ne constitue pas un intérêt hydrogéologique dans le bassin,en raison de sa faible productivité et de la qualité généralement mauvaise de ses eaux. Son substratum est constitué par les marnes bleues du Miocène (Tortonien), dont l’épaisseur peut atteindre 900 m, mettant ainsi en charge la nappe profonde du Lias. La nappe profonde du bassin circule principalement dans des formations carbonatées (dolomies et calcaires) du Lias. Elle se manifeste à travers une multitude de sources (dont certaines sont chaudes, cas de la source de Moulay Yaâkoub,débitant une eau avec une température comprise entre 35 et 40°C) et son écoulement général se fait du sud vers le NNE dans le bassin de Fès et vers le NNO dans le plateau de Meknès. La pression hydraulique en tête des forages varie entre quelques bars à 24 bars dans la plaine de Fès et entre 2 et 5 bars dans le plateau de Meknès. La nappe connaît une importante baisse de ses niveaux piézométriques depuis le début des années 80, évaluée en moyenne à environ 2 m/an (Fig. 3). L’épaisseur moyenne du Lias au niveau du bassin de Fès-Meknès est d’environ 80 m et ses réserves totales sont estimées à 2,5 milliards de m3 d’eau. La majorité des ouvrages capte une eau de miné- Figure 3. Historique piézométrique de la nappe du Lias du bassin de Sebou – Sud du plateau de Meknès (source : ABHS., 2006). ralisation inférieure à 0,7 g/l. Le faciès chimique de l’eau est généralement du type bicarbonaté-magnésien, chloruré-calcique. L’alimentation principale de la nappe profonde se fait par abouchement souterrain avec le Causse moyen atlasique le long de sa limite sud. Les sorties de la nappe sont constituées par des sources et des oueds, la drainance ascendante vers la nappe phréatique, les prélèvements agricoles et d’AEPI. Le volume total des prélèvements utilisés pour l’alimentation en eau potable des villes de Fès et Meknès s’élève à environ 100 hm3/an. Le bilan de la nappe est très déficitaire. Ce déficit est évalué, à partir des baisses des niveaux piézométriques (environ 2 m/an), à environ 63 hm3/an. Le bilan hydraulique global du système aquifère du bassin de Fès-Meknès s’élève à environ 100 hm3/an (3,2 m3/s). Nappe du couloir de Fès-Taza Le couloir de Fès-Taza occupe sur une superficie d’environ 1 560 km2. Sur le plan morphologique, ce couloir est un grand fossé compris entre deux unités montagneuses : le Rif au nord et le Moyen Atlas au Sud. L’aquifère principal de ce couloir est contenu dans des dolomies et calcaires du Lias moyen, découpés en horsts et grabens par toute une série d’accidents, de failles à rejet sensiblement vertical, d’importance variée. La profondeur de la surface de la nappe varie entre moins de 20 m au niveau des limites du couloir et plus de 100 m à son centre. Le faciès chimique de l’eau est globalement du type carbonaté-calcique. L’alimentation principale de la nappe se fait à partir de l’infiltration des eaux de pluie, avec un volume estimé à environ 105 hm3/an. Les sorties de la nappe sont constituées par l’écoulement souterrain vers le nord-ouest et par les prélèvements agricoles d’AEPI. Leur volume total s’élève à environ 108 hm3/an. Le bilan hydraulique de la nappe est excédentaire d’un volume moyen annuel d’environ 38 hm3/an. Nappes du Moyen-Atlas tabulaire Le Moyen Atlas tabulaire est encadré au nord par le bassin de Fès-Meknès, au sud par le Haut Atlas et la vallée de la Haute Moulouya, à l’est par la vallée de la Moyenne Moulouya et à l’ouest par la Méséta marocaine. La superficie totale du bassin s’étend sur environ 4 200 km2. Il est constitué de vastes plateaux karstiques, surplombant la plaine de Fès-Meknès (située au nord). Le Moyen Atlas tabulaire est drainé par une multitude de sources (plus d’une centaine), dont le débit total s’élève à environ 6,4 m3/s. Les principales sources sont celles d’Ain Bittit (1,32 m3/s), Tizgdelt (0,32 m3/s), Regrag (0,30 m3/s)... Géologues n°194 75 hydrogéologie Le Causse moyen atlasique englobe deux aquifères principaux d’intérêt inégal ; ce sont l’aquifère des basaltes quaternaires et celui des calcaires dolomitiques du Lias. D’une superficie totale d’environ 980 km2, l’aquifère basaltique est constitué de dolérites,d’âge quaternaire,résultant d’une intense activité volcanique. L’aquifère liasique circule principalement dans des fissures, fractures et chenaux karstiques des calcaires dolomitiques du Lias inférieur et moyen.La carte piézométrique de l’aquifère liasique (Fig.4), montre que l’écoulement général de la nappe se fait du sud vers le nord-est et le nord-ouest et est drainé par les nombreuses sources limitant le bassin. L’alimentation totale du bassin (d’origine essentiellement pluviale) s’élève à environ 690 hm3/an et ses sorties totales s’élèvent à environ 660 hm3/an. Le bilan hydraulique global du système aquifère du Moyen Atlas tabulaire est légèrement déficitaire d’environ 30 hm3/an (soit environ un débit de 1 m3/s) à l’origine des baisses des niveaux piézométriques enregistrées (Fig. 5). Nappes du Moyen Atlas plissé Le Moyen Atlas plissé constitue un massif allongé 76 Figure 5. Évolution piézométrique de la nappe du Lias du bassin de Agourai (source : ABHS., 2006). d’environ 250 km dans le sens NNE-SSW, large de 10 à 50 km et s’étale sur une superficie d’environ 4 200 km2. Le Moyen Atlas plissé se présente sous forme de quatre grandes rides montagneuses parallèles séparées par de hautes vallées. Il est drainé par de nombreuses sources, dont le débit total s’élève à environ 8,5 m3/s (environ 266 Mm3/an). Les principales sources sont Ain Sebou (Q= 2,5 m3/s), Ain Tataw (Q= 1,6 m3/s), Ain Slilou (Q= 1,1 m3/s). Toutes les eaux souterraines ont globale- Figure 4. Carte piézométrique de la nappe du Lias du Causse du Moyen Atlas – mars-avril 2005 (source : ABHS., 2006). Géologues n°194 hydrogéologie une baisse continue de leurs niveaux piézométriques (dont l’amplitude moyenne varie entre quelques cm et plus de 2 m/an). La baisse cumulée des niveaux piézométriques de la nappe du Lias du bassin de Fès-Meknès a atteint 70 m (entre 1980 et 2003) ; une baisse des écoulements naturels des nappes (sources, drainage des oueds, déversement vers des lacs naturels...) ; Figure 6. Bilans hydrauliques des nappes du bassin de Sebou (source : ABHS., 2006). ment un faciès bicarbonaté, calco-magnésien, avec un résidu sec inférieur à 1 g/l. L’alimentation principale de la nappe est assurée par l’infiltration des eaux de pluie, avec un volume moyen d’environ 215 hm3/an. Les sorties de la nappe sont constituées principalement par des sources, par les prélèvements agricoles et d’AEP. Leur volume total s’élève approximativement à 286 hm3/an. Le seul piézomètre contrôlé du bassin montre globalement une stabilité des niveaux de la nappe, traduisant l’équilibre de son bilan hydraulique. Ressources en eau souterraines mobilisables dans le bassin de Sebou Les entrées nettes d’eaux souterraines du bassin de Sebou s’élèvent à environ 1667 hm3/an et ses sorties nettes sont évaluées à environ 1 823 hm3/an, ce qui indique un déficit annuel d’environ 156 hm3/an (environ 5 m3/s). Les nappes actuellement déficitaires (niveaux piézométriques en baisse) sont celles de Fès-Meknès (nappe libre et nappe profonde), du Gharb, de Maâmora, de Taza et de Bou Agba. Seule la nappe profonde du Lias du couloir de FèsTaza est excédentaire d’un volume moyen d’environ 38,5 hm3/an et celle des basaltes quaternaires du Moyen Atlas tabulaire d’un volume moyen de 15 hm3/an (Fig. 6). Conclusion Les résultats de cette importante étude hydrogéologique montrent que les nappes du bassin de Sebou ont subi de façon significative, les impacts négatifs des années successives de sécheresse et d’accroissement des prélèvements. En effet, les bilans hydrauliques des principales nappes du bassin sont déficitaires d’un volume annuel variant entre environ 7 hm3/an (nappe de Taza) et 100 hm3/an (système aquifère de Fès-Meknès). Ce déficit des bilans s’est traduit par : une dégradation de la qualité des eaux souterraines, notamment celles des nappes côtières (Gharb, Maâmora, etc.) en raison de l’avancée du biseau salé. Cette situation hydraulique difficile impose une gestion plus rationnelle des ressources en eau du bassin du Sebou, en particulier par : le renforcement du rôle de la police de l’eau et une plus grande application de la loi 36/15 (notamment ses articles relatifs aux principes de préleveur-payeur et de pollueurpayeur) ; l’encouragement à mener auprès des agriculteurs,pour utiliser des techniques économes d’eau (goutte à goutte) en remplacement du système gravitaire (majoritaire), grand consommateur d’eau ; la réutilisation des eaux usées épurées domestiques et industrielles, notamment pour l’arrosage des espaces verts et pour l’irrigation des espèces agricoles adaptées ; la multiplication des opérations de recharge artificielle des nappes par des eaux superficielles hivernales excédentaires ; la collecte et l’utilisation des eaux pluviales et ; la rationalisation de l’utilisation des intrants chimiques en agriculture (engrais et pesticides). Références bibliographiques ABHS., 2005. PDAIRE Sebou. Mission I.2. Évaluation des Ressources en eau du bassin de Sebou. Eau de surface. ABHS., 2006. PDAIRE Sebou. Mission I.2. : Évaluation des Ressources en eau du bassin de Sebou. Eau souterraine. Amraoui F., 2005. Contribution à la connaissance des aquifères karstiques : cas du Lias de la plaine du Saïs et du Causse moyen atlasique tabulaire (Maroc). Doctorat d’État. Univ. Hassan II. Ain Chock. Casablanca. Essahlaoui A., 2000. Contribution à la reconnaissance de formations aquifères dans le bassin de Meknès-Fès (Maroc). Prospection géoélectrique,étude hydrogéologique et inventaire des ressources en eau.Thèse de Doctorat en Sciences Appliquées.EMI. Direction de l’Hydraulique, 1975. Ressources en eau du Maroc. Tome 2. Plaines et bassins du Maroc atlantique. 77 Géologues n°194 hydrogéologie Utilité du monitoring des forages d’exploitation d’eau pour la rationalisation de l’irrigation agricole au Maroc Fouad Amraoui 1 . Introduction La demande en eau souterraine a connu, au cours des dernières décennies, un accroissement considérable pour répondre aux besoins des programmes de développement,notamment agricoles.En effet,l’ambition du « Plan Maroc Vert » est de moderniser l’agriculture, en développant plusieurs filières à travers le pays. Ceci passe par la valorisation de milliers d’hectares en y implantant des projets irrigués, grands consommateurs d’eau, parfois alimentés uniquement à partir des eaux souterraines. Par conséquent, la plupart des nappes d’eau souterraine du pays enregistre un fort déficit qui s’aggrave en continu. La réussite des projets agricoles irrigués passe par une maîtrise de la ressource en eau. La pérennité de cette dernière nécessite une rationalisation et un suivi rigoureux, pour avoir une visibilité à moyen terme et pour anticiper les dysfonctionnements. L’objet de cet article est de montrer l’utilité d’un monitoring, pratiqué depuis dix ans, sur une quinzaine d’ouvrages d’exploitation d’eau d’une ferme agricole d’oliviers haute densité (Fig. 1) et de vignobles d’environ 600 hectares, dont 530 irrigués. Ce monitoring permet de contrôler l’irrigation actuelle tout en se projetant sur les évolutions futures. taire. Il joue un rôle déterminant dans les équilibres macroéconomiques du pays et supporte une charge sociale importante (génération de 80 % des revenus en milieu rural). Le Maroc a fait le choix de développer et de moderniser plusieurs filières agricoles et ceci à travers des plans régionaux « Plan Maroc Vert ». Ceci passe, entre autres, par : la valorisation de dizaines de milliers d’hectares, la libéralisation du foncier étatique, l’établissement des contrats programmes avec les opérateurs privés et la maîtrise des irrigations (rationalisation et suivi). L’eau souterraine représente le quart du potentiel en eau au Maroc. Elle a l’avantage d’avoir une bonne répartition spatiale, une régularité assurée, une facilité d’accès et un faible coût de mobilisation. Par contre, elle est vulnérable, notamment dans un contexte de changement climatique, et est exposée à la surexploitation, en raison de la grande demande domestique, touristique, industrielle et agricole. Ceci se traduit sur le terrain, par une tendance à la baisse du niveau des nappes et une dégra- Contexte de l’étude Le secteur agricole contribue, au Maroc, à 19 % du PIB. Il emploie plus de 4 millions de ruraux associés à environ 100 000 emplois dans le domaine de l'agro-alimen- 78 Figure 1. Champ d’oliviers haute densité (cliché : F. Amraoui). Figure 2. Domaine agricole avec les points d’eau, les bassins et les conduites de transfert entre bassins (source : modifié sur fond d’image Google). 1. Équipe Hydrosciences, Laboratoire Géosciences Appliquées à I’Ingénierie de l’Aménagement (G.A.I.A.). Université Hassan II de Casablanca, Faculté des Sciences Ain Chock, Km 8, route d’El Jadida, BP 5366 Maarif, Casablanca, Maroc. Courriel : [email protected] Géologues n°194 hydrogéologie Figure 3. Photo d’un chantier de forage rotary (droite), caisse de cuttings (gauche) et enregistrement GammaRay (centre) montrant la superposition des deux aquifères, un superficiel et un plus profond (source : clichés F. Amraoui, GammaRay : rapport Les Deux Domaines, 2012). dation parfois, de la qualité de l’eau marquée par l’apparition de teneurs alarmantes pour certains indicateurs de qualité. Les données ainsi recueillies sont traitées,et chaque fin de campagne agricole donne lieu à un rapport détaillé qui relate les points suivants : Le domaine agricole en question (Fig. 2) est situé en bordure de la plaine du Saïs,à environ 20 km au sud-ouest de la ville de Meknès. Un projet oléicole (400 ha) et un projet viticole (130 ha) y sont développés à travers un contrat programme public-privé,sur 3 ex unités agricoles étatiques. À cet endroit, l’aquifère libre se développe en surface dans des grès sableux plio-quaternaires et en profondeur dans la molasse du Burdigalien et surtout dans des grès et schistes paléozoïques (Fig. 3). On note une forte hétérogénéité spatiale qui se traduit sur le terrain par une variabilité importante dans le rendement des forages. Ceci a conduit,pour gérer les irrigations,à foncer quinze ouvrages d’eau d’exploitation, profonds de 93 à 250 m (voir figure. 2), et de mettre en place 4 bassins de stockage répartis sur la ferme,avec des systèmes de transfert d’eau entre bassins : du B1 vers B3 (200 m3/h) et du B3 vers le B4 (230 m3/h). les principales interventions techniques sur les ouvrages d’eau (auscultations par caméra, réhabilitations, réparations ou changements de pompes, rajouts ou retraits d’éléments de refoulement, réparation des pannes électriques…) ; Méthodologie les travaux programmés pour l’exercice suivant (diagnostic, nettoyage, débouchage…) ; les débits unitaires des ouvrages depuis le début du suivi ; la production unitaire des ouvrages durant la campagne et leur contribution relative au volume produit ; le volume total produit pour subvenir aux besoins des 530 ha irrigués, la dotation moyenne à l’hectare et sa comparaison avec les exercices passés ; les heures de transfert entre bassins qui génèrent une facture énergétique importante qu’il faut rationnaliser au maximum ; l’importance et la répartition des pluies qui conditionLe protocole de suivi au pas de temps de quinze nent le début de la campagne d’irrigation et jours, permet de mieux comprendre les modalités de l’importance des prélèvements dans la nappe. fonctionnement des aquifères et de prévenir tout dysfonctionnement ou réduction des volumes prélevés. Le suivi porte sur les paramètres suivants : niveaux statiques et dynamiques,débits des ouvrages, heures de fonctionnement des ouvrages, transfert entre bassins et pluies journalières. Pour ces mesures,une sonde piézométrique, des compteurs, un débitmètre portatif et une station météorologique sont mises à contribution (Fig. 4). Figure 4. Sonde piézométrique, compteur, débitmètre (clichés : images Internet). Géologues n°194 79 hydrogéologie Résultats niveaux des périodes humides (cas des forages Z2,Z6 et F2). Niveau statique À l’échelle pluriannuelle, et bien que le suivi des niveaux statiques concerne une période bien arrosée (pluie moyenne de 578 mm entre 2007 et 2016), on note une tendance générale à la baisse qui se chiffre entre 0.6 m/an pour le forage Z9 pour atteindre environ 4 m/an pour les forages Z2 et F2.Cette tendance à la baisse ne peut être imputée qu’à une surexploitation de la nappe dans laquelle on prélève des volumes supérieurs à ceux de la recharge annuelle. En dehors des périodes d’irrigation, le niveau statique traduit l’état de la nappe au repos. Son suivi permet d’avoir une idée sur les battements de la nappe à l’échelle saisonnière et pluriannuelle. Il permet également de voir la tendance générale du niveau de la nappe dans la durée (stabilisation, remontée ou descente), pour établir l’état d’exploitation et par conséquent le bilan local (équilibre, déficit ou excédent). Les graphiques de la figure 5 montrent d’abord deux niveaux statiques étagés, le premier allant d’environ 13 m (forage Z9) à plus de 40 m (forages F8 et Z2), et le second beaucoup plus bas allant de 70 à 80 m (forages Z6 et F2). Cette dénivellation traduit le caractère mono ou bicouche de l’aquifère. En effet, quand l’aquifère dominant est celui du Plio-Quaternaire, le niveau statique est haut, par contre quand la nappe profonde présente dans les grès et les schistes paléozoïques, est développée, le niveau statique se retrouve beaucoup plus bas. La figure 5 montre qu’en période humide, les fluctuations saisonnières sont plus ou moins modestes selon les forages, par contre la période sèche est suivie par des remontées spectaculaires dues aux pluies qui s’étalent généralement du mois de décembre au mois d’avril. Les niveaux statiques mesurés en période sèche avant le déclenchement des pompages d’irrigation peuvent être très bas, atteignant parfois 20 à 40 m de décote par rapport aux Niveau dynamique Ce niveau n’est mesuré qu’en période d’irrigation, qui s’étale généralement du mois d’avril au mois d’octobre. Le suivi permet de visualiser les fluctuations de la nappe soumise à l’effet du pompage à l’échelle saisonnière, mais également d’une année à l’autre. La figure 6 montre que durant chaque période d’irrigation, les niveaux dynamiques sont de plus en plus bas et finissement parfois à des niveaux proches des calages des pompes (cas des forages Z2 et Z6). À l’échelle pluriannuelle, on passe d’une situation de stabilité (cas du forage F8), à une situation de baisse modérée (cas des forages Z6 et Z9 avec respectivement 0,6 et 1,1 m/an), ou encore à une forte baisse (cas du forage Z2 où la baisse se chiffre à 6 m/an). Cette différence de comportement des ouvrages d’eau est tributaire de leur rendement, lui-même lié aux caractéristiques hydrauliques plus ou moins favorables. Débits En fonction de la productivité des forages au niveau du domaine agricole, l’équipement de pompage correspond à trois catégories de débit : 7, 14 ou 21 l/s. La mesure régulière des débits des ouvrages permet de vérifier le bon rendement des ouvrages et de détecter d’éventuels problèmes de fonctionnement. La figure 7 montre pour chaque ouvrage des variations de débit entre 2008 et 2015, qui marquent généralement une légère baisse dans le temps, qui peut être expliquée par le vieillissement de l’ouvrage avec un colmatage des crépines. La multiplicité des creusements de forages dans la région et leurs interférences peut également expliquer cette baisse de rendement. 80 Figure 5. Niveaux statiques de cinq forages d’eau du domaine agricole couplés à la pluie – 2007-2016 (source : suivi interne). Géologues n°194 À chaque fois que la baisse est brusque et significative, la pompe est remontée pour vérification : état des tur- hydrogéologie se démarquent, notamment les forages Z6, F2, F4, F5 et F3. La dotation moyenne à l’hectare pour les cultures d’oliviers et de vignobles a varié sur cette période de suivi entre 1 900 et 3 200 m3/an. Cette variation peut être expliquée par l’âge des cultures et par l’importance et la répartition de la pluie d’une année sur l’autre. Transferts entre bassins Figure 6. Niveaux dynamiques de quatre forages d’eau du domaine agricole couplés à la pluie – 20072016 (source : suivi interne). bines, raccords entre tiges, problèmes électriques… Volumes produits À partir des mesures de débit et des heures de pompage, on peut calculer les volumes produits par chaque ouvrage d’eau et versés dans les différents bassins. Ceci permet de : connaître la contribution de chaque ouvrage au volume total produit, calculer la dotation moyenne à l’hectare à la fin de la période des irrigations et détecter des baisses importantes de productivité pour certains forages qui nécessitent alors une intervention technique. La figure 8 montre l’importance de ces volumes produits par ouvrage entre 2008 et 2015.Certains bons ouvrages Figure 7. Débits annuels moyens des quinze ouvrages du domaine agricole – 2008-2015 (source : suivi interne). Compte tenu de la grande taille de la ferme et de la mauvaise répartition spatiale des ressources en eau, la ferme s’est dotée de 4 bassins d’accumulation de l’eau,deux de taille modeste (6 000 m3 au B1 et 4 000 m3 au B2) et deux de grande taille (46 000 m3 au B3 et 55 000 m3 au B4).Ces bassins permettent de mieux gérer les irrigations qui concernent 530 hectares. Le domaine agricole est formé de trois unités : la première située à l’Ouest est autonome et dispose de suffisamment d’ouvrages d’eau et de ressources ; les deux autres unités situées à l’Est comportent deux systèmes de transfert entre bassins (B1 vers B3 et B3 vers B4), car les forages les plus productifs sont concentrés sur l’axe sud-ouest passant par les forages F2, F5, F4 et Z6. La figure 9 montre les heures de pompage de transfert d’eau entre bassins entre 2008 et 2016. On remarque que ces transferts ont connu une forte augmentation entre 2009 et 2013, puis une baisse significative jusqu’à 2016. L’augmentation est due à la réponse au besoin croissant des cultures qui montaient en maturation. Depuis 2013, un effort a été fait pour rationnaliser ce transfert, notamment du bassin B3 vers le B4, en creusant des puits de faible profondeur, munis de galeries drainantes qui Figure 8. Volumes annuels produits par les quinze ouvrages du domaine agricole – 2008-2015 (source : suivi interne). Géologues n°194 81 hydrogéologie Cette optimisation des transferts d’eau, notamment du bassin B3 vers le bassin B4 (230 m3/h), a eu un impact très positif sur le plan énergétique et par conséquent financier pour le domaine. consommation en eau et en énergie d’une campagne agricole à l’autre, faire le parallèle entre l’importance et la répartition des pluies avec la production d’eau et intervenir en amont pour que les ouvrages continuent à fonctionner correctement. Pluie Références versent directement dans le bassin B4. La nappe étant libre, la recharge s’opère principalement par l’infiltration des eaux de pluie. Durant la période de suivi, la pluie moyenne annuelle était de 578 mm avec deux années hydrologiques exceptionnelles 2009-2010 et 2012-2013 (Fig. 10). On peut considérer les dix années de suivi comme une période humide, comparée à la période 1980-2010 où en 30 années on a dénombré 18 années de sécheresse. Du fait du caractère irrégulier des précipitations, aussi bien en quantité qu’en répartition, le recours à la nappe peut être plus ou moins important et plus ou moins précoce. Aussi, en année sèche les irrigations peuvent démarrer dès le mois de février et peuvent se prolonger jusqu’au mois de novembre, alors qu’en année humide, l’irrigation peut être retardée au mois de mai et peut s’arrêter au mois de septembre. Dans le premier cas, non seulement la recharge est réduite, mais en plus on soutire des volumes beaucoup plus importants de la nappe pour satisfaire les besoins. Conclusion Dans un contexte de rareté de l’eau souterraine, il est impératif d’en faire une gestion rationnelle. La réussite des projets agricoles passe par une maitrise de l’irrigation. À cet effet, un suivi rigoureux de la ressource en eau permet de mieux comprendre les modalités de fonctionnement des nappes et d’avoir une visibilité sur les évolutions futures. Ce suivi permet en effet de : quantifier la Figure 9. Heures de transfert entre bassins – 2008-2015 (source : suivi interne). 82 Géologues n°194 Amraoui F., 2005. Contribution à la connaissance des aquifères karstiques : Cas du Lias de la plaine du Saïs et du Causse Moyen Atlasique tabulaire.Thèse d’État, Fac. Sci., Univ. Hassan II Aïn Chock, Casablanca, 237 p. Amraoui F. et Moustadraf J., 2013. Nouveau plan d’action pour une gestion rationnelle des ressources en eaux souterraines du Maroc. Colloque international CFH-AIH-AHSP-AGSO : Les Eaux souterraines : Hydrologie dynamique et chimique, recherche, exploitation et évaluation des ressources » : quoi de neuf ? Bordeaux 30 mai - 02 juin. Institut Royal des Études Stratégiques (IRES),2013.Changement climatique :impacts sur le Maroc et options d’adaptation globales. Second rapport stratégique de synthèse. Rapport inédit. 56 p. Les Deux Domaines,2012.Auscultation des forages par caméravidéo et contrôle par diamétreur.Forage Z1.Géospec n° 09SC 1213 août 2012. Ministère de l'Agriculture et de la Pêche Maritime. Agence pour le Développement Agricole, 2011. Projet d’Intégration du Changement Climatique dans la mise en œuvre du Plan Maroc Vert (PICCPMV). Étude Cadre de l’Impact Environnemental et Social. Rapport inédit. 82 p. Ministère Délégué auprès du Ministre de l’Energie, des Mines de l’Eau et de l’Environnement, chargé de l’Environnement, 2016. Rapport de la 3ème Communication Nationale du Maroc à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements climatiques. Rapport inédit. 285 p. Ministre de l’Energie, des Mines de l’Eau et de l’Environnement. Département de l’Eau. 2012. Politique de l’Eau au Maroc. Rapport inédit 13 p. Figure 10. Pluie annuelle à Ras Jerry (pluie moyenne 2007-2016 = 578 mm) (source : suivi interne). hydrogéologie Apport des outils isotopiques à la compréhension du fonctionnement des aquifères marocains et à la quantification de leurs ressources - Cas du Bassin de Sebou Soumaya Sefrioui 1 , Omar Fassi Fihri 2 et Hamid Marah 3 . Introduction Le Maroc est un pays aride à semi-aride dont les ressources en eau souterraine revêtent une importance cruciale pour tout développement socio-économique. La prospection, la mobilisation, la gestion et la planification de ces ressources nécessitent cependant le déploiement d’outils scientifiques et techniques produisant des résultats fiables, aussi bien pour comprendre le fonctionnement des systèmes hydrauliques que pour quantifier et prévoir leur réponse aux sollicitations extérieures (Secrétariat d’État chargé de l’Eau et de l’Environnement, 2009). Les outils de l’hydrologie isotopique s’insèrent parfaitement dans cette perspective, puisqu’ils ont contribué depuis les années 1960 à résoudre un nombre important de problématiques, en utilisant des moyens relativement abordables, et un temps d’analyse et d’interprétation relativement limité (UNESCO et IAEA4, 2001). Ces outils ont été introduits au Maroc dans les années 70, et sont devenus plus accessibles depuis les années 90 ; il s’agit en particulier de l’Oxygène 18, du Deutérium, du Tritium, du Carbone 13 et 14, du Soufre 34 et du Strontium 36. Plusieurs problé- matiques ont été traitées comme l’origine de l’eau, l’origine de la salinité, l’altitude de la zone de recharge, le traçage des mélanges ou la datation des eaux. Les résultats ont fait l’objet d’un Atlas de synthèse publié conjointement par le Secrétariat d’État chargé de l’Eau et de l’Environnement et l’IAEA (2010). Différents contextes hydrogéologiques ont fait l’objet de telles études. Les plus importantes sont les nappes profondes qui représentent des réserves stratégiques utilisées pour l’approvisionnement en eau potable (Bassin Fès-Meknès, par exemple), les nappes saumâtres qui représentent des réserves ultimes dans certains territoires du Royaume (Bassin de Boujdour au Sahara, par exemple), les nappes à ressources limitées (Tantan ou Essaouira par exemple), et les nappes karstiques qui donnent naissance aux sources les plus importantes du pays (Haut et Moyen Atlas par exemple). La présente étude est un essai de synthèse des résultats les plus marquants de l’application de ces outils à l’échelle du Maroc. Un intérêt particulier est donné au bassin de Sebou vu son importance à l’échelle nationale du point de vue des ressources et des besoins, de sa diversité géologique et de sa complexité structurale. Sa situation ainsi que les limites de ses principales nappes sont présentées (Fig. 1). Caractérisation isotopique du signal d’entrée aux systèmes hydrauliques Figure 1. Répartition spatiale des nappes les plus importantes du bassin du Sebou. Source : modifiée d’après S. Sefrioui, 2014. Pour tout système hydraulique,les nouvelles pluies constituent une entrée dont la signature isotopique va subsister pendant tout le cycle de l’eau. La comparaison de cette signature avec celle retrouvée dans les eaux analysées constitue la base du traçage isotopique des phénomènes hydrogéologiques.Vu l’importance de la caractérisation de ce signal, un réseau dédié à cette fin est suivi par l’IAEA à l’échelle mondiale. Au Maroc,des analyses isotopiques ont été menées systématiquement au niveau de sept stations météorologiques, dans le cadre de projets nationaux ou de coopérations internationales (IAEA, 2010). La relation δ2H = f (δ18O),établie pour l’ensemble des analyses publiées montre que les valeurs isotopiques sont bien étalées entre -10 et 0‰ pour l’Oxygène 18, et entre -70 et 0‰ pour le Deutérium, avec une tendance générale qui suit la DMM5 1. Société Green Hand, 1 Rue Abou El Alae El Maari, 21, Rce Tarik 2 , Et 6, 30 000, Fès, Maroc. Courriel : [email protected] 2. Commission des infrastructures de l’énergie des mines et de l’environnement-Parlement marocain, Avenue Mohamed V, Rabat, Maroc. Courriel : [email protected] 3. Laboratoire d’hydrologie isotopique, Centre National de l’Energie, des Sciences et des Techniques Nucléaires (CNESTEN), 30 km au nord du Rabat - route de Kénitra - Maâmoura 10 000, Kénitra, Maroc. Courriel : [email protected] 4. International Atomic Energy Agency. Géologues n°194 83 hydrogéologie (Fig.2). Ces résultats reflètent la dominance des perturbations atlantiques sur l’ensemble du pays, avec des particularités locales comme des échantillons plus appauvris situés au-dessus de la DMM,au centre du bassin de Sebou (Sefrioui et al., 2011), situation retrouvée sur d’autres zones du nord du Maroc et généralement attribuée à une coexistence dans cette zone de pluies d’origine atlantique et méditerranéenne (Marah et al., 2007). Par ailleurs, l’évolution de cette composition en fonction de l’altitude a été reconnue pour la première fois au Maroc par A. Marcé en 1975, dans une étude basée sur les données des températures. Cela a abouti à un gradient isotopique altimétrique de l’ordre de - 0,286‰ par 100 m. Depuis, ce gradient a été précisé pour les eaux souterraines, au niveau du bassin d’Errachidia (El Ouali, 1999), au sein du Rif, puis au niveau du bassin de Tadla (Marah et al., 2007), avec une valeur de -0,27‰ par 100 m. Au niveau du bassin de Sebou, le calcul du gradient isotopique altimétrique basé sur la composition isotopique moyenne des eaux de pluie de deux stations situées à des altitudes différentes (Fès-Saïss et Bab Bouidir) permet d’aboutir à la même valeur de -0,27‰ par 100 m (Sefrioui et al., 2011). Des gradients plus faibles sont cependant cités par Abourida et al. (2004), pour la plaine du Haouz qui l’estiment à -0,26‰ par 100m et par Winckel et al. (2002) qui l’estiment à -0,25‰ par 100m, pour le Rif et le Moyen Atlas et à -0,18‰ par 100m,pour la zone orientale. Il semblerait que ces valeurs sous-estimées soient calculées en utilisant des données relatives à des points d’eau qui présentent des différences notables entre les altitudes d’émergence et celles de recharge. Altitude de recharge et quantification des ressources La quantification de la recharge des réservoirs souterrains a toujours constitué une inconnue délicate à appréhender en hydrogéologie. La démarche classique consistait à la déduire depuis le calcul théorique ou empirique des autres composantes du cycle de l’eau.Le traçage isotopique permet de faire une évaluation directe de cette recharge,en mettant en relation un exutoire et son bassin versant hydrogéologique. Cette zone de recharge est cartographiée et planimétrée à l’aide d’un système d’information géographique.La correspondance,au niveau de ces surfaces,entre les données pluviométriques et le débit de l’exutoire permet de remonter au coefficient d’infiltration et donc de quantifier la ressource renouvelable moyenne du réservoir. Cette approche est d’autant plus utile que les réservoirs sont complexes.C’est le cas par exemple des rides sud-rifaines qui abritent trois réservoirs superposés et compartimentés en panneaux. En effet, l’analyse isotopique des eaux d’une source drainant l’aquifère liasique (Sidi Abdallah ben Taazizte) permet de remonter à l’altitude de sa zone de recharge. La correspondance,au niveau de cette surface entre les données pluviométriques et le débit de la source,suivis pendant trois années hydrologiques successives, permet de remonter au coefficient d’infiltration estimé à 27% et donc de quantifier la ressource renouvelable moyenne du réservoir qu’elle draine.La généralisation de ce résultat aux autres aquifères des rides,par extrapolation du coefficient d’infiltration,et son application à leur surface d’affleurement permet d’estimer leur ressource (Sefrioui et al., 2014). Traçage des mélanges 84 Figure 2. Variation de l'Oxygène 18 en fonction du Deutérium dans les bassins marocains. Source : modifiée d’aorès S. Sefrioui et al., 2011. 5. Droite Météoritique Mondiale. Géologues n°194 Le traçage isotopique est également utilisé pour détecter et quantifier le mélange entre eaux de différentes origines au sein d’un même aquifère. Au Maroc, des contacts latéraux ou verticaux entre réservoirs limitrophes sont connus mais leurs conséquences hydrogéologiques étaient difficilement quantifiables. Deux exemples d’apports du traçage isotopique dans ce sens méritent d’être soulignés ; il s’agit du mélange entre nappes superposées au niveau du bassin Fès-Meknès et de l’abouchement latéral entre la nappe liasique des Causses et celle,basaltique, du bassin de Tigrigra.Au niveau du bassin Fès-Meknès, les deux nappes sont alimentées à des altitudes différentes ; la nappe phréatique plio-quaternaire hydrogéologie (calcaire lacustre et sables fauves) est alimentée par infiltration sur sa surface d’affleurement,à des altitudes variant de 300 à 900 m (Margat, 1960), alors que la nappe profonde du Lias est alimentée indirectement par l’infiltration des précipitations au niveau des Causses moyen-atlasiques situés à des altitudes variant de 900 à plus de 2000 m (Amraoui,2005).Les outils isotopiques ont été utilisés pour mieux cerner cet aspect (Louvat et Bichara,1990),usage qui a cependant été limité et manquait de discernement entre les effets de l’altitude et ceux du mélange dans la quantification du bilan.Les travaux de Sefrioui (2013) ont permis de localiser les zones du mélange entre les deux nappes et de calculer ses proportions au niveau de chaque point d’eau analysé. Ainsi, l’analyse structurale et hydraulique du contexte de ces points permet de généraliser les résultats aux différents panneaux du bassin, avec une contribution de l’aquifère liasique profond au bilan de l’aquifère plioquaternaire superficiel qui varie entre 0 et 94%.Par ailleurs, les basaltes quaternaires de la plaine de Tigrigra présentent un excès de bilan avec des débits cumulés des exutoires qui dépassent les infiltrations des eaux de pluie (Sefrioui, 1999). Les travaux de Sefrioui et al (2010) permettent de relier l’origine de cet excédent au mélange souterrain des eaux, de localiser les zones d’abouchement au niveau de deux secteurs différents de la plaine (Ougmès et Tagounit) et d’estimer la contribution de la nappe liasique au bilan hydraulique de la nappe basaltique à plus de 80 % ! Salinité des eaux souterraines La salinité des nappes d’un pays semi-aride constitue une limitation à leur exploitation.L’utilisation des outils isotopiques et chimiques permet de remonter à l’origine de la salinité des eaux souterraines marocaines et d’aider à leur meilleure gestion. Pour les eaux saumâtres de la Chaouia côtière par exemple,l’origine de la salinité est reliée à la dissolution de sels dans l’encaissant, aggravée par le recyclage des eaux d’irrigation et par l’évaporation (Marjoua et al., 1997). L’intrusion marine est évoquée d’une manière secondaire et localisée par Fakir et al.,2001.Au niveau de la plaine du Souss,l’évaporation et la dissolution d’évaporites ont été évoquées comme causes primaires par Dindane et al.,2003. Les résultats isotopiques montrent aussi un mélange avec l’eau de mer pour les quelques échantillons les plus proches du littoral (Bouchaou et al.,2008). Au niveau de la plaine de Chtouka, il paraît que la formation schisteuse qui constitue le substratum de la nappe est à l’origine des fortes teneurs en chlorures mesurées dans certaines eaux souterraines, alors qu’un mélange limité avec l’eau de mer n’est pas exclu (Krimissa et al.,2004).Au niveau de la nappe de Guelmim,la dissolution semble être la cause primaire de la salinité, cause aggravée par l’effet de l’évaporation le long des Oueds (Zine et al., 2001). Au niveau du bassin d’Errachidia, l’évaporation est citée comme cause principale de la salinité ;elle est couplée à une dissolution de l’encaissant à relier avec les écoulements lents des eaux (El Ouali,1999). Au niveau de la plaine du Gharb et en fonction du contexte local, la salinité est reliée à une dissolution des roches salifères ou à un mélange avec les eaux de surface surchargées en sel. Un essai de calcul des proportions de mélange montre que la contribution des eaux de surface est comprise entre 10 et 84 % des eaux de la nappe (Sefrioui et al., 2014). Âge des eaux Les isotopes radioactifs, et en particulier du Tritium et du Carbone 14 ont été utilisés pour la détermination de l’âge des eaux de différentes nappes (Sahara, Guelmim, Souss, Errachidia,Tadla et Sebou) et de certaines sources thermales. Ces études ont montré que :1) le temps de transit est de plus en plus long depuis la zone de recharge vers la zone confinée, que les vitesses d’écoulement sont variables et évoluent du mm par an pour la nappe de Guelmim (Bouhlassa et Aiachi, 2002) à quelques mètres par an pour la nappe de Tadla (Marah et al.,2007),2) que l’eau ancienne contribue de manière significative aux réserves des nappes situées dans des régions semi-arides ou présentant un déficit de bilan hydraulique à cause d’une zone de recharge réduite ou d’une surexploitation (Direction de la Région Hydraulique du Sahara,2006),3) les sources thermales du domaine rifain sont rechargées à une période postérieure à 10 000 ans (Winckel et al.,2002),4) les eaux des principales sources du bassin de Sebou sont assez récentes (âge inférieur à 50 ans) puisqu’elles renferment du Tritium et 5) les eaux des sources situées en amont des écoulements sont les moins âgées (Sefrioui,2013). Conclusions et perspectives Bien que l’application des outils isotopiques en hydrogéologie marocaine soit assez récente (moins d’une cinquantaine d’années),elle a contribué à mieux comprendre le comportement des aquifères et à mieux préciser leur ressource. L’approche la plus efficace est pluridisciplinaire, combinant l’inventaire des points d’eau,l’étude de leur contexte hydrogéologique,la création d’une base de données sur un système d’information géographique,les analyses chimiques et isotopiques et l’interprétation des résultats à la lumière des données litho-stratigraphiques, structurales et hydrodynamiques. Les développements envisageables dans l’utilisation de cet outil seraient relatives à une meilleure caractérisation des eaux de pluie, à travers l’installation d’un réseau d’observation à long terme pour suivre l’évolution de leurs Géologues n°194 85 hydrogéologie teneurs isotopiques dans le temps et dans l’espace, à l’élargissement de l’utilisation de l’hydrologie isotopique aux nappes non encore étudiées, aux milieux karstiques et aux domaines fissurés.De nouvelles problématiques restent à traiter comme en particulier la recharge artificielle,l’origine de la pollution des eaux et la recharge en zone insaturée. Marah H., Zine N., Qurtobi M. et Zerouali A., 2007. Sens d'écoulement, vitesse et âge des eaux de l'aquifère turonien du bassin de Tadla (Maroc). AJEAM-RAGEE, 12. 1-12. Références bibliographiques Marjoua A., Olive P. et Jusserand C., 1997. 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Elle constitue aussi un tronçon important de l’autoroute maghrébine transnationale qui prend son origine à Nouakchott (Mauritanie) et dessert les principales métropoles du Maghreb pour arriver à Tobrouk en Libye. Le récent tracé de cette autoroute relie les deux villes de Fès et Taza sur une distance de 127 km à travers une région collinaire argileuse, difficile d’accès et avec peu/pas d'affleurements géologiques représentatifs. L’axe du tracé a été choisi de façon à suivre plus ou moins les crêtes des collines rencontrées, afin de minimiser les traversées des oueds (rivières avec ou sans eau) et l'exposition au risque de mouvements de versants. Cependant, même en suivant autant que possible le relief sommital naturel,ce tracé a impliqué localement de grandes hauteurs de déblais (et de remblais) permettant une analyse géologique et structurale originale et unique. Le tracé franchit notamment plusieurs oueds dont les principaux sont : Sebou, Hamri, Bou Zemlane, Matmata, Bou Hellou, Zireg et Inaouène (trois franchissements). Les observations géologiques nouvelles permettent en particulier de mieux considérer les différences entre les glissements de terrain et la néotectonique par le relevé de l’orientation et du pendage des failles et des joints tectoniques observés. L'interprétation visuelle de données par satellite (Sentinel-2 à 10m de résolution spatiale ainsi que celles de haute résolution Digital Globe – pixel de 60 cm – telles que GeoEye) a permis de délimiter latéralement l'extension planimétrique hors du périmètre autoroutier des différents types de mouvements de masse (glissements de terrain, écroulements et éboulements de roches). La différenciation des écroulements et éboulements a été fait à l'aide de données complémentaires telles que géologie et modèles numériques de terrain. En effet, le drapage des images satellitaires, des cartes géologiques, sur un modèle numérique de terrain permet de préciser les mouvements de terrain (zones de détache- ment amont, zones de transfert et zones d'accumulation de matériel en aval) ainsi que de mettre à jour la cartographie géologique, lithologique et structurale. En outre, la superposition, grâce à un système d'information géographique (SIG), des cartes géologiques détaillées disponibles (Taza, Tahala et Sefrou à l’échelle du 1/50 000), sur les images satellitaires re-traitées, permet d'optimiser les différences entre les caractéristiques et les faciès des écroulements de débris et de roches. Des campagnes de vérification sur le terrain ont été effectuées pour valider et préciser la délimitation de ces mouvements de masse. Cadre géologique et structural La nouvelle autoroute Fès-Taza traverse de l’ouest vers l’est, trois domaines structuraux majeurs distincts qui sont décrits ci-dessous (Fig. 1) : le Prérif situé au nord, le bassin du Saïs et le sillon sud-rifain situés au centre et le Moyen Atlas se développant au sud de l'autoroute. Le Prérif (ou Unités prérifaines) a été défini par Marçais et Suter (in Durand-Delga et al.,1962). Il correspond à la partie méridionale de la zone externe du Rif marocain déposé sur la marge nord de la plaque africaine (voir figure 1). Il est composé de la superposition de vastes nappes tectoniques à structure plus ou moins chaotique qui résultent de la destruction du front de nappes se déplaçant vers le sud lors de la compression, du Miocène supérieur au Pliocène moyen. Dans le Prérif, au nord de Taza, Tribak et al., (2012) montrent que les mouvements de terrain sont essentiellement des glissements boueux (mudslides) et des glissements-coulées (flowslides). Le bassin du Saïsconstitue,avec le bassin du Gharb,une grande dépression miocène (ou Sillon sud-rifain) qui s'étend de l’ouest (depuis l'Atlantique), vers l'est (jusqu’au « détroit » de Taza). Le Saïs est un bassin miocène ouvert après l'enfoncement de l'extrémité nord de la Meseta occidentale et du Moyen Atlas. Il s'est comporté comme un bassin marin régressant au cours du Miocène supérieur, devenant tout d’abord lacustre et émergeant progressivement au cours du Pliocène et du Quaternaire. Le Moyen Atlas, situé au sud, forme un ensemble de plateaux qui surplombent le Saïs par le biais de flexures de direction NE-SW. Les mouvements de terrain y sont représentés par des chutes de pierres de grès, de calcaires 1. Université Sidi Mohamed Ben Abdellah Fès, Faculté Polydisciplinaire de Taza, Laboratoire Ressources Naturelles et Environnement, B.P. 1223, Taza-Gare, Taza 35000, Maroc, [email protected]. 2. Université de Paris-Est Marne-La-Vallée (UPEM), 5 Bd Descartes F-77450 Marne-la-Vallée Cedex 2 France; Laboratoire de Recherche en Géodésie - LAREG (UDD-IPGP-IGN-UPEM)/LASTIG (IGN/UPEM); Laboratoire International Associé D3E N° 536 CNRS-MOST France-Taiwan; [email protected] 3. Université Sidi Mohamed Ben Abdellah Fès, Faculté Polydisciplinaire de Taza, Laboratoire Ressources Naturelles et Environnement, B.P. 1223, Taza-Gare, Taza 35000, Maroc. 4. Université Sidi Mohamed Ben Abdellah Fès, Faculté Sciences et Techniques, B.P. 2202, Route d'Imouzzer, Fès, Maroc. Géologues n°194 5. AlphaGéOmega, 62 rue du Cardinal Lemoine, 75005 Paris, France. 87 aménagements et géotechnique Figure 1. Cadre géologique général avec tracé de l’autoroute et situation des mouvements de terrain observés. a) Position du domaine rifain et de son avant pays au nord du Maroc. b) les grands domaines structuraux du Nord Maroc : DI) Domaine Interne, F) domaine Des Flyschs, DE) Domaine Externe (Domaine du Prérif), AP) Avant-Pays (Bassin du Saïs) et DA) Domaine atlasique (Moyen Atlas). c) Cartographie géologique et géomorphologique : Pz) Paléozoïque, Mz) Mésozoïque, C) Crétacé, E-O-M) Eocène-Oligocène et Miocène, M) Miocène moyen-supérieur, M-P-Q) Mio-Plio-Quaternaire. Cercles + points : position des mouvements de masse. Trait rouge foncé : tracé de l’autoroute Fès-Taza. Source : travail des auteurs. et de dolomies du Jurassique et quelques glissements et écroulements. Dans ces trois domaines, les structures tectoniques résultent de l’effet de la tectonique chevauchante dans le domaine rifain et de la tectonique cassante typique du domaine atlasique. Les grandes failles traversées par l’autoroute Fès-Taza sont (voir figure 1) : le front de déformation E-O du Rif, la faille de Tahala orientée NO-SE, la zone de faille de Tizi n'Tretten (NE-SO), la faille de Sebou orientées NO-SE et la zone de failles de Sidi Harazem orientée NE-SO. 88 Le tronçon étudié de l’autoroute Fès-Taza longe la partie sud du Prérif externe (nappes prérifaines) qui constitue le front méridional de la chaîne du Rif au contact du Moyen Atlas par le sillon sud-rifain. La nappe prérifaine est représentée dans la zone par des nappes de décollement et glissement dont la structure est caractérisée par des plissements souples et des écaillages avec rabotage basal (Fig. 2). Les séries sédimentaires s’échelonnent du Crétacé supérieur ou de l’Eocène jusqu’à la limite Miocène moyen-supérieur. Dans le détail, le Crétacé supérieur affleure à proximité de la structure anticlinale de l’Oued El Malleh (voir figure 2). Le Paléocène supérieur - Eocène inférieur se présente sous forme d’une couche repère dans des sédiments de nature marneuse du Prérif, créant une saillie morphologique très continue et bien lisible au nord Géologues n°194 du tracé de l’autoroute.L’Éocène moyen - supérieur (marnes et grés turbiditiques) affleure sur le bord nord de la tranchée de l’autoroute au dessus de l’unité précédente. L’Oligocène, épais de plus de 350 m, forme les principales crêtes du secteur qui bordent la tranchée de l’autoroute (Koudiate Zar Amran, 731 m au nord et Koudiate Bab El Qdima, 634 m au sud ; voir figure 2). Le Miocène inférieur - moyen affleure au nord et au cœur du noyau de la structure chevauchante d’Oued Maleh au droit du tronçon de l’autoroute.L’ensemble de ces unités prérifaines a glissé par un mouvement tangentiel sur le sillon sud-rifain et le Moyen Atlas. Les formations du Miocène supérieur (Tortonien-Messinien) occupent le sillon sud-rifain et le bassin de Saïs. Le Quaternaire est constitué d’alluvions et de dépôts de piémont le long des principaux cours d’eau. Du point de vue tectonique, les dépôts allochtones du Crétacé supérieur au Miocène supérieur sont répartis en nappes charriées vers le sud, et reposent sur le Miocène supérieur autochtone. Ce contact, orienté généralement E-O, est localement souligné par des écailles et klippes de gypses, argiles rouges et de basaltes triasiques et par quelques affleurements de sel injecté dans les zones de failles. Il est découpé par des failles transverses verticales, d’extension kilométrique de directions NE-SO et NO-SE. Cette structuration s’est déroulée en plusieurs phases du Crétacé supérieur au Quaternaire. La plus récen- aménagements et géotechnique te, plio-quaternaire est de type compressif et est orientée NNO-SSE. Elle a accentué dans le sillon sud-rifain, la surrection des rides, la déformation souple et la réactivation de structures cassantes en décrochements. Exemples de mouvements de masse observés Les mouvements de versant observés sur le tronçon de l’autoroute traversant le Prérif et le sillon sudrifain, sont essentiellement des glissements, des tassements et des coulées boueuses. En fonction de l’importance des mouvements observés et de la surface de rupture rencontrée, on distingue : les glissements qui sont très fréquents dans le Prérif. Certains, de type rotationnel ont été réactivés suite aux terrassements réalisés lors la construction de l’autoroute et de ses talus. Ils sont visibles sur les versants de pente assez forte (15 à 45°) constitués notamment de matériaux argileux ou marneux (Photos 1 et 2). D’autres, des glissements de type plan, s’observent dans le sillon sud-rifain. Ils se manifestent en surface par des cicatrices d’arrachement sur la voie de l’autoroute et par des rides centimétriques vraisemblablement associées à des processus de reptation lente. Ce type de glissement se développe le long de surfaces planes représentées par les calcaires liasiques du Moyen Atlas, pentés vers le nord de plus de 25° sur lequel glissent les formations marneuses miocènes Photo 1. Exemple de glissements près de Koudiate Bab El Qdima dans le Prérif ; ils montrent l’extrême sensibilité des pentes naturelles en l’absence de travaux de stabilisation et/ou confortement de talus. Source : photo des auteurs. sub-tabulaires. L’eau (précipitation et percolation) joue un rôle important dans la mise en place et la ré-activation de ces glissements. les coulées argileuses dominent les reliefs de Koudiate Lahwat, dans le Prérif (voir figure 2). La coulée argileuse est parfois de grande ampleur et constitue un risque en raison de son amplitude et de son caractère dévastateur. La nature géologique des terrains (argiles et marnes grises du Miocène supérieur), la pente et la tectonique, la saturation des terrains en eau (fortes précipitations) jouent un rôle moteur dans le déclenchement de ces phénomènes. Ceci a conduit à des déformations irrégulières de la topographie et à un endommagement des ouvrages de stabilisation des talus. Du point de vue tectonique, ces faciès correspondent à une klippe (lambeau de nappe du Miocène inférieurmoyen, isolé par l’érosion). Exemple d’observations néotectoniques Figure 2. Bloc diagramme montrant la géologie, les mouvements de terrain et les systèmes de failles en coupe nord-sud dans le Prérif (d’après la carte géologique de Taza au 1/50000 et des observations de terrain). 1- Quaternaire le long de l'Oued Inaouene ; 2- Miocène supérieur (Tortonien-Messinien) ; 3- Miocène inférieur moyen (Burdigalien supérieur - Langhien inférieur) ;4- Miocène inférieur ;5- Oligocène ;6- Éocène moyen - supérieur ; 7- Paléocène supérieur - Eocène inférieur ; 8- Crétacé supérieur ; 9- Trias ; 10- socle paléozoïque de Tazzeka ; 11- Mouvements de masses ; 12- Déblais de l’autoroute. Source : travail des auteurs. Nous avons constaté la faible présence de joints tectoniques dans les bassins ; ils sont en revanche bien visibles dans les convexités sommitales des versants des grandes vallées. Ainsi dans la région de Bled Haricha, un affleurement d'argile marneuse du Messinien, montre une série de fentes en échelon et de joints tectoniques regroupés en trois familles d’orientation et de pendages bien distincts : la première famille de fentes correspond à des fentes de tension en échelon orientées Géologues n°194 89 aménagements et géotechnique Photo 2. Déstabilisation du talus de l’autoroute Fès-Taza et destruction des canaux d’évacuation suite aux précipitations des mois de février et mars 2014 près de Koudiate Lahwat, dans le Prérif. Source : photo des auteurs. N105-115°E (Photo 3) et présente des longueurs qui varient de 5 m à plus de 20 m avec une ouverture de ces fentes comprise entre 1 à 5 cm et donnant un déplacement potentiel dextre. érosif. En effet ces fentes gravitaires à extension NE-SO, feraient partie de la cicatrice d'arrachement amont du glissement de ce versant de la rive gauche de l’Oued Sebou. la deuxième famille de ces fentes en échelon est représentée par la direction N165°E (voir photo 3) ; leurs longueurs varient entre 1 m et 20 m et leur ouverture varie de 2 à 4 cm ;ces fentes présentent un déplacement potentiel sénestre. Discussion et conclusion la troisième famille correspond à des joints tectoniques attribués à des fentes de tension orientées N130°E ( voir photo 3), situés dans l’angle bissecteur des deux familles précédentes.Ces joints sont les plus fréquents au niveau de cet affleurement et sont disposés de manière sériée avec des espacements de joints de quelques centimètres en deux endroits espacés d’une dizaine de mètres. Leurs longueurs dépassent les 15 m et leur ouverture varie de 1 à 5 cm. Ces trois familles de fentes de tension en échelon et de joints montrent un remplissage ferrugineux de couleur rouge, issu du lessivage des formations superficielles (très probablement des argiles pédogénétiques (Fig. 3). Ces remplissages se présentent aussi sous formes de plaquettes durcies de couleur brune et d’épaisseur inférieure à 0,5 cm. 90 Photo 3. Fentes en échelons de direction N130°E à remplissage d’argile pédogénétique parfois indurée et joints de direction N105°E et N165°E à remplissage de calcite et gypse, visibles à proximité de Bled Cherada. Le ravinement emprunte les directions N130°E et souligne parfois les joints de faible extension. Source : photo et interprétation des auteurs. L’explication géologique et structurale la plus probable sur l’origine de ces fentes de tension en échelon serait une déformation néotectonique en régime décrochant où la contrainte maximale (σ1) est horizontale et orientée NO-SE créant les fentes de tension N130°E ; la contrainte minimale est aussi horizontale (σ3) orientée NE-SO (Fig. 3). Les mouvements gravitaires semblent réutiliser et réactiver ces joints tectoniques pré-existants situés à proximité de l'Oued Sebou et de son fort potentiel Géologues n°194 Du point de vue climatique, l'autoroute Fès - Taza est située sous un climat continental tempéré avec une moyenne de précipitations annuelles variant de 390 mm à 840 mm. Généralement les chutes de pluie sont assez brutales et les plus grandes précipitations sont concentrées sur seulement quelques jours en saison humide. La succession rapprochée d'événements pluvieux exceptionnels, constitue ainsi une source de risques menaçant les infrastructures autoroutières. Ils accentuent en effet les risques géologiques liés aux différentes structures tectoniques et gravitaires observées dans les talus de déblai de l’autoroute qui peuvent être décrites de la manière suivante : du point de vue sédimentaire, les matériaux affectés sont des marnes altérées, et contiennent une forte proportion d’argile. Les argiles représentent l’aspect pénalisant du phénomène, compte tenu de leurs mauvaises caractéristiques mécaniques. Les analyses géotechniques (Mouhssine et al., 2015) sur les marnes du tronçon autoroutier passant par le Prérif, montrent leur caractère cohésif, leur forte plasticité et la dépendance de leur comportement géotechnique à la quantité d'eau qu'elles absorbent. Elles sont donc particulièrement sensibles aux variations climatiques. du point de vue tectonique, le tracé de l’autoroute est parallèle à deux contacts tectoniques chevauchants. Ils sont faiblement pentés voire subhorizontaux, et apparaissent sur la carte par des contours sinueux paralléli- aménagements et géotechnique sant les courbes de niveaux. Ils sont orientés E-O (voir figure 1) et sont décalés par des failles transverses orientées NE-SO et NO-SE qui entaillent les pentes topographiques.Le chevauchement situé au sud de l’autoroute a favorisé l’apparition du Trias argileux et évaporitique. C’est dans cette partie de la nappe que se sont développés des glissements récents et des coulées de boue. Concernant la déformation néotectonique du bassin du Saïs, l'analyse des joints tectoniques, effectuée à toutes les échelles en termes de contraintes, confirme le rôle de la néotectonique dans l’évolution du paysage actuel et futur de cette région. La compression NO-SE à NNO-SSE associée à la distension NE-SO à ENE-OSO a persisté au cours du Quaternaire. Elle est attestée par la formation de cônes torrentiels actuels et le décalage du réseau hydrographique dans l’avant-pays oriental rifain (Tabyaoui, 2000). D’autres indices de manifestations néotectoniques ont été relevés sur les glacis et les cônes alluviaux quaternaires récents du front sud-rifain au nord de Fès (rides de Zalagh et Trhat) par Charai et al., (2004). La direction de raccourcissement est en accord avec le mécanisme géodynamique régional marqué par un régime de rapprochement Afrique - Europe, avec une vitesse moyenne de l’ordre de 4 à 6 mm/an (De Mets, 1993), confirmée récemment par les champs de vitesse GPS (Tahayt et al., 2008). Cette convergence est accompagnée d’une activité sismique, quoique faible, avec des magnitudes qui ne dépassent pas la valeur de 4,6 (Cherkaoui, 1991). Cependant les secousses du tremblement de terre d'El Hoceima du 25 février 2004 (magnitude 6.1), ont été ressenties dans les villes de Taza et de Fès… La nouvelle autoroute Fès-Taza traverse une zone de terrains à dominante argileuse où de nombreux mouvements de masse, de nature et de volume différents sont observables. Les nouvelles tranchées révèlent des affleurements riches en enseignements géologiques qui permettent de mieux contraindre les rôles et les différences entre les glissements de terrain et les structures néotectoniques. La combinaison de l'interprétation des données satellites optiques haute résolution, des relevés cartographiques géologiques détaillées,de l’analyse structurale du MNT et enfin des campagnes de terrain, intégrés dans un système d'information géographique (SIG) nous permettent de créer des documents cartographiques thématiques géoréférencés,utiles pour les acteurs de terrain.Par ailleurs, il parait nécessaire de mettre en place de nouveaux moyens de surveillance des talus, tels que l’interférométrie radar (Deffontaines et al., 2015) pour déterminer l’évolution et l’activité des glissements proches de l’autoroute. Bibliographie Cherai B., Charroud M., Lahrach A. et El Moutaouakil N., 2004. Le front sud rifain une expression complexe d’une tectonique tangentielle à la limite du bassin de Saïs au Mio-Pliocène et au Quaternaire (Région de Fès, Maroc). Colloque international A. Faure Muret, Rabat, Maroc, 13. Cherkaoui T. E., 1991. 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Détachement peu profond (15-20m) matérialisé par la localisation des fentes de tension et des fentes en échelon. Source : les auteurs. Géologues n°194 91 aménagements et géotechnique Engineering Geology for Society and Territory – Vol. 5, © Springer International Publishing Switzerland 2015. 195-202. Durand Delga M., Hottinger L., Marçais J., Mattauer M., Milliard Y. et Suter G., 1962. Données actuelles sur la structure du Rif. Mém. Soc. géol. France [h. s.), 399-422. Mouhssine M.,Touzani A., Zinoune S. et Mahtal A., 2015.Terrassements sur terrains marneux sensibles aux glissements : cas des terrains et remblais autoroutiers entre Oued Amlil et Taza (Rif, Maroc). Physio-Géo, Vol. 9, 1, 61-80. Suter G., 1965. La région du Moyen Ouerrha (Rif. Maroc) : Étude préliminaire sur la stratigraphie et la tectonique. Notes Mém. Serv. Géol. Maroc, 183. 7-17. Tabyaoui H., 2000. Apport des données satellitaires (Spot-XS, 92 Géologues n°194 Radar SAR-ERS, Landsat-MSS) à la cartographie des structures géologiques du Maroc nord-oriental. Tectonique cassante, cinématique et contexte géodynamique du Trias à l'Actuel. Thèse Doct. Nationale, Mohammed V, Rabat, 338. Tahayt A., Mourabit T., Rigo A., Feigl K.L., Fadil A., McClusky S., Reilinger R., Serroukh M., Ouazzani-Touhami A., Ben Sari D. et Vernant P., 2008. Mouvements actuels des blocs tectoniques dans l’arc bético-rifain à partir des mesures GPS entre 1999 et 2005. C. R. Geoscience, 340, 400-413. Tribak A., El Garouani A. et Abahrour M., 2012. L’érosion hydrique dans les séries marneuses tertiaires du prérif oriental : agents, processus et évaluation quantitative. Rev. Mar. Sci. Agron.Vét. (2012) 1:47-52. aménagements et géotechnique Étude de l’érosion pluviale des talus autoroutiers au Maroc et proposition d’un système de protection par arcades bétonnées : application aux sections Tanger-Port Tanger Med et Fès-Taza Amal Chehlafi 1 , Azzouz Kchikach 2* et Abdelkrim Derradji 3 . Les tracés autoroutiers au Nord et à l’Est du Maroc traversent des zones montagneuses générant une série de déblais et remblais parfois de grandes hauteurs. Les déblais sont généralement établis dans des sols pélitiques et marneux très vulnérables à l’érosion pluviale. Sous l’effet des changements climatiques, les précipitations sont très irrégulières et se caractérisent par des averses souvent agressives. Ces dernières engendrent des pertes en terres importantes qui peuvent compromettre la sécurité et la durabilité des ouvrages autoroutiers. La Société Nationale des Autoroutes du Maroc, déploie un important programme de recherche et des travaux de terrain pour maitriser et lutter contre l’érosion hydrique des talus. Cette étude concerne l’évaluation des pertes en terres de ces talus dans les sections autoroutières de Tanger-Port Tanger Med et Fès-Taza. Elle est basée sur l’adaptation de l’équation universelle des pertes en terres définie par les agronomes à l’échelle du talus autoroutier. Ceci permet de proposer une méthode de dimensionnement d’un système d’arcades bétonnées pour les protéger. La stabilité des talus de déblais,plusieurs années après la mise en place des arcades témoigne de l’efficacité de ce système de protection. de ruissellement. Ceci conduit à des zones inondées si ces voies ne sont pas régulièrement récurées et génère un alourdissement du coût d’exploitation de l’ouvrage. La protection des talus autoroutiers et routiers contre l’érosion externe est donc nécessaire pour limiter tous les effets précités et assurer une bonne rentabilité de l’ouvrage. L’objectif de cet article est de présenter et discuter les résultats de l’étude de l’érosion pluviale sur les talus de déblais des autoroutes Tanger-Port Tanger Med et Fès-Taza (Fig. 1a). La méthode originale de protection employée a été celle des arcades bétonnées dont le fonctionnement et le dimensionnement sont développés ci-après. Importance du problème L’érosion et l’instabilité des masses rocheuses fracturées ou tendres qui constituent les talus autoroutiers et routiers est un phénomène récurrent auquel s’affronte le projeteur, notamment au regard des problèmes de maintenance des infrastructures routières et de gestion des risques. Les mécanismes d’instabilité en jeu sont souvent complexes et nécessitent des réflexions pluridisciplinaires en vue de les prendre en compte dès la conception et durant toute la vie des ouvrages. Dans les régions où les affleurements sont dominés par une alternance de couches tendres argileuses, marneuses ou de flyschs et de barres rocheuses, l’érosion externe du talus autoroutier est souvent à l’origine de chutes de cailloux et blocs qui peuvent parfois s’étaler à des distances considérables sur la chaussée avec des risques pour les personnes et des entraves à la circulation. Cette érosion engendre aussi un dysfonctionnement du réseau d’assainissement routier par le colmatage des voies destinées à acheminer l’eau Figure 1. (a) : Localisation des sections autoroutières étudiées.Exemples d’érosion pluviale des talus observée dans certains déblais de la section autoroutière Tanger-Port Tanger Med ; à gauche (b), un ravinement important avec éboulement des matériaux et comblement de la cunette du pied du déblai au PK4 27 ; à droite, (c) des ravinements constatés plusieurs années après la mise en place d’arcades bétonnées sur le talus du déblai situé au PK10. Source : les auteurs. 1. Doctorante, Laboratoire L3G, Equipe de recherche « Génie Civil et Géo-Ingénierie), UCA. Courriel : [email protected] 2. Enseignant chercheur, Laboratoire L3G, Equipe de recherche « Génie Civil et Géo-Ingénierie), UCA. Courriel : [email protected] * Auteur correspondant. 3. Chef de division du développement technologique et relation avec l’extérieur, ADM. Courriel : [email protected] 4. Point Kilométrique. Géologues n°194 93 aménagements et géotechnique Les premiers essais expérimentaux au Maroc dans l’utilisation des arcades bétonnées pour protéger les talus autoroutiers contre l’érosion pluviale ont été réalisés par la Société Nationale des Autoroutes du Maroc (ADM) au niveau des déblais situés au PK 10 et au PK 27 de l’autoroute Tanger-Port Tanger Med (voir figure 1a). Des arcades d’un rayon de 25 m ont été arbitrairement utilisées. Les observations faites quelques années après leur mise en place montrent que pour diminuer considérablement le taux d’érosion du talus, la dimension des arcades doit être adaptée au type de sol constituant le talus. C’est dans ce cadre qu’une étude visant l’élaboration d’un modèle numérique de conception et de dimensionnement des systèmes de protection des talus autoroutiers par arcades bétonnées a été entreprise en collaboration entre l’équipe de recherche « Génie Civil et Géo-Ingénierie » de l’université Cadi Ayyad-Marrakech et l’ADM. Évaluation de l’érosion d’un talus autoroutier L’érosion pluviale des sols des talus a jusqu’à présent été étudiée par les agronomes et pédologues (Renard et al., 1997) qui ont analysé le phénomène et proposé des démarches expérimentales pour tenter de la quantifier. Très sommairement, on peut schématiser l’analyse qu’ils en ont faite, en disant que ce phénomène est un processus qui, une fois amorcé, s’accélère tant que les conditions de pluie qui l’ont initié, ne régressent pas et qui, lorsqu’il est interrompu, peut reprendre dès que ces conditions sont à nouveau retrouvées. Le résultat, est l’apparition dans le talus de petites griffes ou rigoles de quelques centimètres de largeur et profondeur qui se développent pour donner des ravines plus larges et plus profondes susceptibles de mettre sérieusement en péril la stabilité du talus (Fig. 1b et c). Les gouttes de pluie frappant le sol, mis à nu par les travaux de terrassement, délogent les particules minérales et organiques alors que le ruissellement de surface transporte ces dernières jusqu’aux zones de sédimentation. Le potentiel érosif des pluies dépend de leur intensité, de la taille moyenne des gouttes et de la vitesse de chute. La vélocité du ruissellement de surface est proportionnelle à la pente du terrain. La force érosive et la capacité de transport des particules augmentent avec la vitesse d’écoulement de l’eau. Les sols tendres à faible cohésion (argiles, marnes, pélites, flysch, sable, terre rocailleuse, etc.) sont plus vulnérables à l’érosion. 94 Il existe plusieurs méthodes d’évaluation de l’érosion des sols. Ces méthodes varient en fonction de l’objectif de l’étude et des échelles spatio-temporelles considérées.L’éro5. Megajoule. Géologues n°194 sion peut être quantifiée par des méthodes directes telles que les mesures topographiques sur parcelles expérimentales (avec ou sans simulation de pluie), étude du transport solide ou de la sédimentation dans les retenues (Sabir, 1986 ;Wall et al., 2002 ; Reiffsteck, 2004 ;Yjjou, 2014). Nous avons développé un modèle de calcul basé sur l’équation universelle des pertes en terres (USLE : Universal Soil Loss Equation,Wischmeier 1960),utilisée dans le domaine agricole pour évaluer le taux d’érosion des bassins versants. La simplification et l’adaptation de cette équation à l’échelle du talus autoroutier a permis d’en déduire la quantité annuelle de terre érodée. Contraint par un seuil de tolérance fixé au comblement du tiers de la hauteur du fossé du pied du talus autoroutier, nous avons déterminé le diamètre optimal des arcades en fonction du type de sol constituant le talus. L’étude a montré que la pente et la texture du sol sont les facteurs les plus déterminants dans les taux des pertes en terres d’un talus autoroutier. L’équation des pertes en terres est une relation empirique qui donne la perte de sol annuelle par hectare (A) comme le produit de six facteurs : A = R.K.L.S.C.P A : perte de sol annuelle moyenne possible à long terme (t/ha.an) ; R : indice d’érosivité des pluies (MJ5.mm/ha.h.an) ; K : facteur d’érodibilité (t.h/MJ.mm) ; L : longueur de l’arcade selon la pente (m) ; S : facteur d’inclinaison de pente (adimensionnel) ; C : indice de culture (adimensionnel) ; P : facteur de pratiques antiérosives (adimensionnel). L’analyse fine des paramètres de l’équation USLE permet de s’approcher au mieux des réalités du terrain. La véracité des résultats a été prouvée par plusieurs études de cas. Les données intégrées dans cette équation sont généralement disponibles ou acquises lors des études d’avant-projet liées aux projets autoroutiers et routiers. Application au dimensionnement des arcades bétonnées utilisées pour la protection des talus des déblais des sections autoroutière TangerPort, Tanger-Med et Fès-Taza. L’étude de l’érosion pluviale des talus autoroutiers basée sur l’adaptation de l’équation USLE à l’échelle de la superficie des talus des déblais a été réalisée dans le cadre de la construction des autoroutes Tanger-Port Tanger Med et Fès-Taza. La plupart des déblais sont établis dans des aménagements et géotechnique Figure 2. (a) : Subdivision de la superficie du talus en plusieurs parcelles et pertes en terres annuelles globales pour chaque subdivision ; (b) : Nombre d’arcades à mettre en place pour chaque subdivision ; (c) : Dimensions des arcades et technique de mise en place ; (d) : Vue panoramique des arcades mises en place sur le talus de déblai au PK 228 de la section autoroutière Fès-Taza. Source : les auteurs. Géologues n°194 95 aménagements et géotechnique formations pélitiques pour le premier cas et dans des marnes grises plus au moins compacts pour le second cas. L’indice d’érosivité « R » moyen a été calculé par la formule de Wischmeier (1978), en considérant les intensités maximales des pluies (mm/h) extraites des données pluviométriques des vingt dernières années fournies par les agences des bassins hydrauliques de Loukous et de Sebou. Les valeurs d’indice d’érosovité obtenues sont très comparables pour les deux régions étudiées. Nous avons retenu la valeur R = 312 MJ.mm/ha.h.an, pour le calcul des pertes annuelles en terre. les quantités des terres érodées. Pour ce faire, nous avons pris un talus d’une superficie de 1 ha que nous avons subdivisée en de petites parcelles carrées successivement de 100, 50, 25, 20, 15, 10, 5, 3, 2 et 1 m de côté. On calcule tout d’abord les pertes en terres générées par chaque petite parcelle, en considérant les paramètres R et K préalablement déterminés, puis on les additionne pour trouver la quantité annuellement érodée pour toute la superficie du talus. La figure 2 illustre la méthode adoptée pour définir les arcades mises en place pour protéger les talus des déblais contre l’érosion pluviale. L’érodibilité du sol représente sa vulnérabilité à être érodé par la pluie. Elle est essentiellement liée à sa texture. L’effet de cette dernière a été analysé à l’échelle du talus autoroutier en superposant la codification utilisée par l’équation USLE à la classification selon le Guide de Terrassement Routier Marocain (GTRM) des sols étudiés, adapté de la classification générale française GTR 92. Les pélites de la section autoroutière Tanger-Port Tanger Med constituent une formation rocheuse de classe « C »6. Une fois altérés,ces matériaux se délitent complétement et leur granulométrie évolue vers la fraction fine et deviennent « A2/A3 ». Les essais d’identification effectués sur les marnes grises, dans lesquelles sont établis la plupart des déblais de la section autoroutière Fès-Taza, permettent de les classer « B1 » à « B3 » selon le GTRM. Le pourcentage des différentes fractions granulométriques des deux matériaux précités a été déterminé puis comparé aux codes utilisés dans l’équation USLE pour calculer le facteur d’érodibilité des sols. Les pertes en terres varient énormément avec la longueur de la pente (Fig.3) : la quantité annuellement érodée diminue, par exemple, de presque 40% en passant d’une longueur de pente de 100 m à 25 m. Ce paramètre est donc un facteur déterminant du taux d’érosion pluviale des sols. L’érosion est d’autant plus élevée que la longueur du ruissellement est importante. La réduction de la longueur de ruissellement de l’eau selon la pente du talus peut donc être un bon moyen pour limiter le taux d’érosion de ce dernier. Les calculs effectués montrent que les sols de type A, qui contiennent plus d’éléments fins, sont généralement facilement érodables. Pour un même sol, l’érodibilité diminue lorsque la teneur en argile augmente. Les valeurs parfois élevées du facteur d’érodibilité K des sols de type B peuvent être expliquées par leur structure hétérogène qui favorise le détachement des particules fines. Nous avons ainsi retenu les valeurs maximales de K= 0,072 t.h/MJ.mm et K = 0,054 t.h/MJ.mm pour calculer les pertes en terres, respectivement pour les pélites de Tanger et pour les marnes grises du couloir Fès-Taza. 96 Les facteurs d’érosivité R et d’érodibilité K étant déterminés, on attribue la valeur de 1 aux paramètres « C » et « P » de l’équation USLE considérés sans influence à l’échelle du talus nu du déblai. La quantité des pertes en terres est alors uniquement fonction de la pente et de la longueur selon la plus grande pente du talus. Sachant que le calcul de stabilité au glissement préalablement réalisé pour les ouvrages en déblai dans les deux sections autoroutières donne en général une pente de 3H/1V (33%), il reste à analyser l’effet de la longueur selon la pente sur 6. Sols argileux : A ; sols intermédiaires : B ; formations rocheuses : C. Géologues n°194 La mise en place des arcades, réduit en réalité un peu la surface du talus exposée à l’érosion. Nous avons ainsi déterminé pour chaque subdivision de la superficie du talus du déblai, le nombre d’arcades à mettre en place et la surface réellement concernée par l’érosion. Le tableau 1, montre à titre d’exemple, quelques résultats obtenus. Le choix du diamètre optimal des arcades a été déterminé en tolérant un colmatage instantané du tiers de la hauteur de la cunette du pied du déblai. Pour un talus carré de 100 m de côté, une section de la cunette de 0.5 m2 et un poids volumique du charriage de 20 kN/m3, on trouve un seuil tolérable de : A = 1/3 x 0.5x 100x 20 = 33,33 tonnes. Ce seuil correspondrait à un diamètre d’arcades de 7 m et par conséquent à une mise en place de 52 arcades Figure 3. Variations de la perte en terres (tonnes/an) pour un talus de 1ha de la section autoroutière Tanger-Port Tanger Med en fonction de la longueur de la pente L (m). (pente de talus S = 33% ; érosivité R = 312 MJ.mm/ha.h.an ; érodibilité K = 0.072 t.h/MJ.mm). Source : les auteurs. aménagements et géotechnique Parcelle Parcelle sans arcades Parcelle avec arcades de 50 m de diamètre Parcelle avec arcades de 25 m de diamètre Parcelle avec arcades de 10 m de diamètre Parcelle avec arcades de 7 m de diamètre Nombre Superficie Pertes d’arcades concernée par en terres l’érosion (m2) A (T/an) 2 10000 9300 345 201, 81 8 8700 123,30 32 7650 72,03 52 6970 36,24 Tableau 1. Nombre d’arcades pour chaque subdivision adoptée pour un talus de 1 ha et pertes en terres annuelles correspondantes. pour couvrir la totalité de la superficie du talus. En réalité, le seuil ainsi déterminé est surestimé, car nous avons considéré un talus parfaitement nu, sans végétation et ignoré la reprise des sédiments déposés dans la cunette7 à la faveur de précipitations successives. La mise en place des arcades réduit la surface exposée à l’érosion et la plantation et/ou la poussée d’herbacés font diminuer considérablement les pertes en terres annuelles. Les calculs des pertes en terres ont permis de fixer le seuil tolérable pour deux talus de déblais représentatifs, choisis respectivement dans les sections autoroutières Tanger-Port Tanger Med et Fès-Taza. Pour tenir compte de la poussée spontanée des herbacés sur les talus, nous avons pris la valeur de C= 0.8 pour le facteur du couvert végétal indiqué dans l’équation USLE. Les talus ne contiennent pas de risbermes8, le facteur P de l’équation universelle est pris égal à 1. Les résultats des calculs donnent respectivement un diamètre de 11,2 m pour le talus de flysch (Tanger) et de 7,36 m pour le talus de marnes (FèsTaza). Tenant compte des résultats de cette étude, l’ADM a opté pour la conception et l’utilisation d’arcades de 10 m de diamètre. Des travaux de construction et de mise en place de ces arcades pour protéger contre l’érosion pluviale les sols pélitiques et marneux des deux sections autoroutières étudiés ont été ainsi lancés (Fig. 2c et 2d). L’ADM compte généraliser ce système de protection des talus pour tous les futurs projets autoroutiers du Maroc. Les arcades se présentent sous forme d’arcs en béton armé coulé en place ou acheminés au chantier en éléments préfabriqués.La partie en voûte est prolongée par des longrines9 selon la pente. Des perrés10 maçonnés entre éléments verticaux et éléments de voûtes complètent le dispositif. La largeur et la hauteur des longrines varient en fonction du diamètre des arcades. Elles sont respective- ment de 10 à 40 cm et de 40 à 70 cm. De même la largeur des perrés maçonnés varie avec de le diamètre de 0,4 à 1 m. Une fois mises en place, des raccordements en béton arcs/cunette du déblai sont réalisés. La protection des talus de déblais par le système d’arcades bétonnées a amélioré considérablement la stabilité des talus (Fig. 4a et 4b). De plus, ADM a développé dans le cadre de programmes de recherche, des techniques ingénieuses de fixation des sols basées sur le génie biologique. Il s’agit de fixer le sol en le couvrant avec des canisses de roseaux ou pailles. Les canisses sont formées de matériaux biodégradables et permettent de limiter l’érosion pluviale en attendant la poussée des semences qu’ils abritent. Une autre technique consiste à ensemencer le talus avec des espèces herbacées autochtones finement choisies (Fig. 4c). Le couvert d’herbacés est consolidé par la plantation d’arbres et arbustes qui s’adaptent au climat de chaque région. Conclusions et perspectives Cette étude a permis de mieux appréhender le problème de l’érosion pluviale des talus autoroutiers dans les régions Nord et Est du Maroc. Elle montre que le taux des pertes en terres à l’échelle du talus de déblai est essentiellement lié à la texture du sol le constituant et à la longueur du ruissellement selon sa pente. L’analyse de ces deux paramètres a permis d’esquisser un modèle de dimensionnement d’un système d’arcades bétonnées pour protéger les talus de déblais contre l’érosion hydrique. Des arcades de 10 m de diamètre ont été conçues et mises en place sur les talus de plusieurs déblais des sections autoroutières Tanger-Port Tanger Med et Fès-Taza. Les calculs des pertes en terres annuelles intégrant les données pluviométriques et la nature des sols in situ, donnent une réduction d’environ 40% si des arcades sont mises en place. La stabilité des talus, plusieurs années après l’expérimentation de ce système de protection, témoigne de son efficacité. La détermination des paramètres de l’équation universelle des pertes en terres et du diamètre optimal correspondant au seuil d’érosion tolérable nécessite des calculs parfois lents. Nous avons programmé une petite application qui permet d’avoir rapidement les résultats des calculs avec possibilité de les reprendre si nécessaire sans que cela ne soit contraignant. Cette application permet d’estimer les pertes en terres sur un talus nu sans protection, puis de calculer le diamètre des arcades qui permettrait de ramener ces pertes au seuil toléré. Le coût de fabrication et de mise en place des 7. Canal d’évacuation de l’eau pratiqué le long d’une chaussée. 8. Replat intermédiaire dans un talus. 9. Poutre rectangulaire de support. 10. Revêtement en béton autour d’une arcade (voir figure 4b). Géologues n°194 97 aménagements et géotechnique 98 Figure 4. (a) : Photographies montrant un talus nu érodé et sa continuité latérale intacte où ont été mises en places des arcades au PK 185 de l’autoroute Fès-Taza et (b) état du déblai au PK 27 de la section autoroutière Tanger-Port Tanger Med avant et après mise en place des arcades ; (c) : Fixation du sol par végétalisation moyennant l’ensemencement du talus avant ou après la mise en place des arcades. Clichés : les auteurs. Géologues n°194 aménagements et géotechnique arcades peut apparaître assez élevé. D’autres techniques antiérosives, notamment le développement d’un couvert végétal à base d’espèces autochtones, pourront être combinées aux arcades pour diminuer le coût global de la protection du talus. Par ailleurs, elles n’offrent une protection contre l’érosion que sur des talus dont on a vérifié la stabilité interne. Remerciements Les auteurs remercient les responsables de l’ADM pour leur collaboration et pour l’intérêt qu’ils portent à la recherche scientifique et au partenariat avec les universités. Cette étude a été réalisée grâce au soutien du comité mixte interuniversitaire franco-marocain (programme Toubkal 15/17, nº 32401XB) Références bibliographiques Reiffsteck Ph., 2004. Érodabilité des sols dans le cadre des terrassements. Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’ingénieur, Lille 2004, 65-72. Renard K. G., Foster G. R., Weesies G. A., McCool D. K. et Yoder D. C., 1997. Predicting Soil Erosion by Water: A Guide to Conservation Planning with the Revised Universal Soil Loss Equation (RUSLE). Agricultural Handbook, N703, US Department of Agriculture, Washington DC, 212 p. Sabir M., 1986. Ressources en eau et aménagement : l’érosion hydrique et sa quantification. Mémoire de DEA, université Paris 6, Département d’hydrologie, 183 p. 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La construction des barrages au Maroc Les premiers barrages L'eau de surface subit des fluctuations d'apports importantes selon l'hydraulicité de l'année. Pour assurer la permanence de la fourniture d'eau, il est nécessaire de maîtriser les apports d'eau des années humides pour pouvoir faire face aux besoins en eau des années sèches. C'est à cette fin que sont réalisés les grands barrages réservoirs et les adductions régionales de transfert d'eau au Maroc. C’est en effet, dans les années 1920 que l’introduction des aménagements modernes a débuté avec la réalisation des premiers grands barrages réservoirs. L’objectif de ces barrages était principalement orienté vers la fourniture d’eau potable, d’eau pour l’irrigation et la production d’électricité. Le développement de la mobilisation des eaux de surface au moyen des grands barrages est passé par plusieurs étapes. Durant la période allant de 1925 à 1956, la politique de mobilisation de l'eau consistait à construire des barrages dans les régions à fortes potentialités en eau de surface pour assurer la production d'énergie électrique et dans les régions à centres urbains importants pour répondre aux besoins en eau potable. Ainsi jusqu' à 1956, le bilan des équipements en matière de barrages et de grande hydraulique en général a été très faible eu égard aux potentialités disponibles. En effet, en 30 années, il n'a été construit que 13 barrages au total qui permettaient de stocker environ 1,8 milliards de m3 et de régulariser un volume de 1,5 milliards de m3,chiffre qui représente moins de 10% du volume des eaux de surface régularisables estimé à environ 15 milliards de m3. Le premier barrage à but énergétique, fut construit en 1925 à Sidi Saïd Maâchou sur l'Oum Er R'bia pour être mis en eau en 1929. Le premier grand barrage à but agricole, à savoir Kasba Tadla, fut achevé en 1931. 100 Le plus grand barrage construit durant cette période, en l’occurrence Bin El Ouidane sur Oued El Abid, fut mis en eau en 1953. Il permettait avec la capacité utile de sa retenue de 1,4 milliards de m3 d'assurer une production annuelle de 500 millions de kWh. La période de 1956 à 1966 a été marquée par la réalisation de trois barrages à savoir : Mohamed V sur la Moulouya, Nakhla au Nord et la digue de Safi. Cette décennie peut être considérée comme une phase de transition qui a permis d'évaluer les ressources en eau du pays et de définir les objectifs permettant d'activer le développement du secteur de la mobilisation de l'eau. Ainsi, dans l'ensemble jusqu'en 1966, la politique de mobilisation de l'eau est restée assez timide puisqu'en 38 ans, n'ont été construits que 16 ouvrages d'une capacité totale de 2,2 milliards de m3. Le développement de la construction des barrages (1967-1986) C'est à partir de 1967 que FEU SA MAJESTE LE ROI HASSAN II a donné une impulsion nouvelle et décisive à la politique des barrages, en décidant la construction immédiate de 6 grands ouvrages devant constituer la première phase d'un vaste et ambitieux programme dont l'objectif principal devait aboutir à l'irrigation d'un million d'hectares avant l'an 2000. Au cours de cette même année, la Direction Générale de l'Hydraulique fut créée pour se charger de l'évaluation, la planification et la mobilisation des ressources en eau du pays, ainsi que de la mise en application de la législation de l'utilisation des eaux et de la sauvegarde du patrimoine hydraulique. Les principaux barrages réservoirs ainsi mis en service durant cette période sont les suivants : Barrage Moulay Youssef, 1970, destiné à l'irrigation de la Tessaout. Avec une hauteur de 100 m, sa retenue est d’une capacité de près de 190 millions de m3 (hm3) ; Barrage Hassan Addakhil, 1971, destiné à l'irrigation de la vallée du Ziz. Avec une hauteur de 85 m, il constitue un réservoir de 350 hm3 ; Barrage Mansour Eddahbi, 1972, destiné à l'irrigation de la vallée de Drâa. Avec une hauteur de 70m, il dispose d’une retenue de 530 hm3 ; Barrage Youssef Ben Tachfine, 1972, destiné à l'irrigation de la plaine du Massa. Avec une hauteur de 85 m, il permet le stockage de près de 300 hm3 ; Barrage Idriss Premier, 1973, destiné à l'irrigation de la 1. Directeur des Aménagements Hydrauliques (DAH), Ministère des Mines de l’Eau et de l’Environnement, rue Hassan Ben Chekroun, Agdal, Rabat, Maroc. Courriel : [email protected] Géologues n°194 aménagements et géotechnique plaine du Gharb. Haut de 72 m, il constitue une retenue d’une capacité de 1 200 hm3 ; Barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah, 1974, destiné à l‘AEPI de la zone Kénitra-Casablanca. Avec une hauteur de 98 m, sa retenue est de près de 486 hm3. Sa surélévation achevée en 2007 a permis de porter sa capacité de stockage à 1 025 hm3. Entre 1975 et 1986, la mobilisation des eaux de surface a été renforcée par la mise en service de cinq importants ouvrages hydrauliques : Barrage Al Massira, 1979, il permet avec une hauteur de 82 m de constituer une retenue de près de 2 700 hm3 au profit du périmètre de Doukkala ; Barrage Oued El Makhazine, 1979, avec une hauteur de 67 m, la capacité de sa retenue est de 710 hm3. Il est destiné à l'irrigation du périmètre du Loukkos, l'approvisionnement en eau potable des centres urbains de la région et la production d'électricité ; Barrage Abdelmoumen, 1981, il permet avec une hauteur de 94 m de stocker 216 hm3 au profit de l'irrigation dans la plaine du Souss ; Barrage Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi, 1981, avec une hauteur de 40 m et une capacité de stockage de 36 hm3, il permet l'irrigation de la plaine du Neckor et dessert en eau potable la ville d'Al Hoceïma ; Barrage Hassan Premier, 1986, il permet avec une hauteur de 145 m de mobiliser 262 hm3 au profit de l'irrigation de la Tessaout – aval et de l'eau potable de la ville de Marrakech. En parallèle avec les grands barrages, et en vue de favoriser un accès équilibré à l'eau sur l'ensemble du pays, FEU SA MAJESTE LE ROI HASSAN II a initié en 1984 le lancement d'un programme de construction de petits et moyens barrages. De nombreux ouvrages ont ainsi été édifiés à travers le Royaume dans les zones dépourvues d'eau souterraine en vue de répondre à des besoins locaux d'eau potable, d'irrigation ou pour protéger les personnes et les biens publics et privés contre les inondations. complexe assure le renforcement de la régularisation des eaux du Sebou pour l’irrigation, la production d’énergie et l’AEPI ; Barrage Smir, 1991, d’une hauteur de 45 m et de 43 hm3 de capacité, il assure l’alimentation en eau potable de la région de Tétouan ; Barrage Garde de Sebou, 1991 : c’est un ouvrage mobile qui permet la limitation des pertes d’eau en mer et maintient un plan d’eau au profit des pompages destinés à l’irrigation ; Barrage Aoulouz, 1991, ouvrage en BCR (béton compacté au rouleau) de 79 m de hauteur et de 110 hm3 de capacité. Il permet la réalimentation de la nappe du Souss qui souffre d’une intense surexploitation à des fins agricoles ; Barrage 9 Avril 1947, mis en service en 1995, avec 52 m de hauteur, il permet le stockage de 300 hm3, et est destiné à l’AEPI de la ville de Tanger ; Barrage Sidi Chahed, 1997, d’une hauteur de 60 m, il permet la régularisation d’un volume annuel de 80 hm3 pour le renforcement de l’AEPI de la région de Meknès, l’irrigation et le soutien des débits d’étiage. Ce programme de réalisation de grands barrages a été couronné par la réalisation du grand Barrage Al Wahda (Photo 1) inauguré par FEU SA MAJESTE LE ROI HASSAN II le 20 mars 1997. Ce barrage, le plus important du Maroc avec une retenue de 3 800 hm3 et le deuxième plus grand barrage d'Afrique, a fait accroître la capacité de stockage des grands barrages de près de 40%. Il permet d'assurer l'irrigation de 100 000 ha dans la plaine du Gharb,de produire en moyenne 400 millions de kWh par an et d'assurer la protection de la plaine du Gharb contre les inondations. À ce titre, sa mise en eau est venue à point nommé puisqu'il a permis Un barrage par an depuis 1986 À partir de 1986, et pour consolider cette politique de barrages, FEU SA MAJESTE LE ROI HASSAN II décida la réalisation d'un grand barrage par an afin de renforcer la mobilisation de l'eau. Cette période a connu la réalisation de grands ouvrages structurants, dont : Complexe Allal Al Fassi, 1991, composé du barrage d’une capacité de 82 Mm3, de la galerie de Matmata d’un débit de 38 m3/s et du bassin de compensation de 1,5 Mm3. Ce Photo 1. Barrage de El Whada – région du Gharb. Source : cliché DAH. Géologues n°194 101 aménagements et géotechnique de laminer les crues de décembre 1996 et janvier 1997 et d'éviter ainsi des dégâts aux infrastructures en aval et à la production agricole. En confirmation de son rôle stratégique pour le pays, la politique des barrages a été consolidée par SA MAJESTE LE ROI MOHAMMED VI. Ainsi, parmi les plus importants ouvrages structurants mis en service ces dernières années on peut citer : Barrage Oued Za,1998,barrage voûte de 61 m de hauteur et 275 hm3 de capacité, destiné à l’AEPI des villes d’Oujda et Taourirt, à l’irrigation de 4000 ha en plus de la protection du Barrage Mohamed V contre l’envasement. Barrage Mokhtar Soussi, 2001, avec une hauteur de 61 m et une retenue de 50 hm3 ; ce barrage permet de couvrir les besoins en eau d'irrigation d'appoint pour la sauvegarde du périmètre de Sebt El Guerdane. tra et Casablanca. Barrage Tanger-Med, 2007, 80 m de hauteur et 25 hm3 de capacité. Ce barrage est destiné à l’alimentation en eau potable du complexe portuaire de Tanger-Méditerranée ainsi que sa protection contre les inondations. Barrage Yacoub Al Mansour, 2008, 70 m de hauteur et 70 hm3 de capacité. Ce barrage est destiné au renforcement de l’alimentation en eau potable de Marrakech. Barrage Abou Al Abbas Sebti, 2013, 75 m de hauteur et 24,5 hm3 de capacité. Ce barrage est destiné principalement au renforcement de l’alimentation en eau potable de la ville de Chichaoua et sa région ainsi que l’irrigation de près de 5 200 ha. Des barrages en chantier Barrage Ahmed al Hansali, 2001, 101 m de hauteur et 740 hm3 de retenue. Associé au barrage Aït Messaoud, il assure l'irrigation de 35 000 ha dans le Tadla, la production de 170 GWh et fournit 65 hm3 d'eau potable aux villes de Beni Mellal,Khouribga,Oued Zem,Kasba Tadla et Boujaâd. La priorité ainsi donnée,depuis plusieurs décennies, au développement des ressources en eau de surface a permis de doter le pays d'un patrimoine d'infrastructures hydrauliques composé de 140 grands barrages d'une capacité de stockage de l'ordre de 17,6 milliards de m3 et de 13 systèmes de transfert d'eau d'une longueur totale de près de 785 km et d'une capacité totale de transport de 175 m3/s. Barrage Aït Messaoud, 2003, avec une hauteur de 34 m et une retenue de 13 hm3, il assure la compensation des débits turbinés par l’usine Dchar El Oued destinés à l'irrigation de 35 000 ha dans le Tadla. Actuellement, et sous les hautes instructions de SA MAJESTE LE ROI MOHAMMED VI, le Royaume poursuit la construction des barrages. Barrage Prince Moulay Abdellah, 2002, avec une hauteur de 65 m et une retenue de 110 hm3, il permet d’assurer l’AEPI de la ville d’Agadir. Barrage Moulay Hassan Ben El Mehdi, 2005, ouvrage en terre zonée de 49 m de haut et d’une retenue de 30 hm3. Il contribue à l‘AEPI de Tétouan et sa région côtière. Barrage Tamesna, 2005, ouvrage en BCR2 de 60 m de hauteur et d’une capacité de stockage de 57 hm3 ; destiné à la protection de la ville de Mohammedia contre les inondations, l’irrigation et l’alimentation en eau potable des centres avoisinants. Ainsi, l’effort entrepris pour la mise en place de l’infrastructure hydraulique du Royaume se traduit par la construction en cours de 12 grands barrages d’une capacité totale de stockage de 2,4 milliards de m3 et dont les plus importants sont : Barrage Oued Martil, 100 m de hauteur et 120 hm3 de capacité, ce barrage (photo 2) permettra d’assurer l’alimentation en eau potable de la ville de Tétouan et sa zone côtière jusqu’à l’horizon 2030, ainsi que l’irrigation de 1 000 ha et la contribution à la protection de la ville de Tétouan et la vallée de Martil contre les inondations. Barrage Hassan II, 2006, 123 m de haut, 400 hm3 de capacité. Ce barrage est destiné au soutien du volume régularisé par le complexe Mohamed V-Mechrâa Hommadi pour l'irrigation, la protection contre les crues et le renforcement de l’AEPI. 102 Surélévation du barrage Sidi Mohammed Ben Abdellah, 2007, Ce barrage a été construit en 1974 et a été conçu pour être surélevé. La surélévation de cet ouvrage a permis de porter la hauteur du barrage de 87,5 m à 95 m et sa capacité de stockage de 486 hm3 à 1.025 hm3 d’eau destinée au renforcement de l’alimentation en eau potable de la côte Atlantique entre la ville de Kéni2. Béton Compacté au Rouleau. Géologues n°194 Figure 1. Bilan actuel de la construction des barrages au Maroc. Nombre et capacités cumulés (capacités en milliards de m3). Source : DAH. aménagements et géotechnique de 185 hm3, ce barrage permettra le renforcement du système existant d’alimentation en eau potable de la région de Tanger, constitué essentiellement des barrages Ibn Batouta, 9 avril 1947 et Tanger-Med ainsi que la nappe de Charf El Akab. Barrage Mdez, 109 m de hauteur. D’une capacité prévue de 700 hm3, cet ouvrage assurera l’alimentation en eau potable des centres avoisinants et la protection contre les inondations des zones situées à l’aval. Il permettra également l’alimentation des exploitations du Saïss en eau d’irrigation. Photo 2. Barrage en construction de l’Oued Martil (région de Tétouan). Source : cliché DAH. Barrage Zerrar, 73 m de hauteur, 67 hm3 de capacité. Ce barrage est destiné à l'alimentation en eau potable et industrielle de la ville d'Essaouira, du projet touristique Mogador faisant partie du Plan Azur et des centres avoisinants jusqu’à l’horizon 2030. Il permettra également d’irriguer le périmètre de Ksob d’une superficie de 1 500 ha et enfin à protéger la baie et la plage d'Essaouira contre les inondations et la pollution dues aux crues de l’oued Ksob. Barrage Dar Khrofa,71 m de hauteur et 480 hm3 de capacité. Ce barrage est destiné principalement à l’irrigation du périmètre de Rissana-Souaken d’une superficie de 18 000 ha. Il permettra également d’assurer l’approvisionnement en eau potable de 16 communes et au renforcement du système d’alimentation en eau potable du Tangérois.Enfin,il contribuera à la protection de la plaine du Loukkos contre les inondations en complément du rôle assuré par le barrage Oued El Makhazine. Barrage Tamalout, 61 m de hauteur. Cet ouvrage, d’une capacité de stockage de 50 hm3, assurera l'irrigation d'un périmètre de plus de 5 000 ha planté d'arbres fruitiers à l'aval du barrage et l'alimentation en eau potable des agglomérations avoisinantes. Barrage Ouljet Essoltane, 99 m de hauteur. Cet ouvrage, d’une capacité de stockage de 510 hm3,contribuera au renforcement de l’alimentation en eau potable de la ville de Meknès et les zones avoisinantes ainsi qu’à la sécurisation de l’alimentation en eau potable des villes de Khémisset et Tiflet.Aussi,il est destiné à la production de l’énergie hydroélectrique et au renforcement de l’irrigation des périmètres de la grande hydraulique du Beht et de la PMH située à l’aval. Et enfin, il contribuera à l’amélioration de la protection de la région du Gharb contre les inondations importantes et récurrentes et à la protection du barrage Al Kansera contre l’envasement. Barrage Kharroub, 56 m de hauteur. Avec une capacité Aussi, et tout récemment à savoir au courant de l’année 2015, trois grands barrages d’une capacité totale de plus de 1 milliard de m3, sont en cours de lancement. Il s’agit de : Barrage Kaddoussa, 62 m de hauteur. D’une capacité prévue de 220 hm3, cet ouvrage assurera le renforcement de l’alimentation en eau potable de la ville de Boudnib et des centres avoisinants, le développement de l’irrigation des périmètres aval ainsi que la protection des zones situées à l’aval contre les inondations. Barrage Tiddas, 106 m de hauteur. Avec une capacité de 507 hm3, ce barrage permettra l’amélioration de la régularisation des apports du bassin de l’oued Bouregreg et l’augmentation du potentiel du barrage Sidi Mohammed Ben Abdellah, la contribution à la protection de la vallée de Bouregreg contre les inondations, l’irrigation des périmètres situés à l’aval ainsi que la production de l’énergie électrique. Barrage Targa Oumadi, 116 m de hauteur. Avec une capacité de 287 hm3,ce barrage assurera l’alimentation en eau potable de la ville de Guercif et des centres avoisinants, le développement de l’irrigation des périmètres de la région de Guercif, la protection des zones aval contre les inondations, la limitation de l’envasement du barrage Mohamed V et enfin, la production de l’énergie électrique. Barrage Agdez, 110 m de hauteur. Avec une capacité de 317 hm3, ce barrage assurera l’alimentation en eau potable de la ville de Zagora et des centres avoisinant, l’irrigation des périmètres à l’aval et la protection contre les inondations des zones aval. Barrage Toudgha, 67 m de hauteur. Avec une capacité de 33 hm3, ce barrage assurera la protection de la vallée de Toudgha contre les inondations, la sauvegarde du site touristique des gorges de Toudgha, l’irrigation des terrains cultivés à l’aval et l’alimentation en eau potable. Les cartes présentées (Fig.2 et 3) montrent l’implantation des barrages actuels,en cours et projetés dans tous les bassins versants de la région Nord et du Bassin du Sebou. Géologues n°194 103 aménagements et géotechnique Figure 2. Carte des barrages de la Région Nord. Source : MAH. Importance de la Géologie ce au développement important qu’a connu ce secteur. La connaissance du contexte géologique et géotechnique dans lequel s’intègre un projet de barrage est d’une importance capitale dans la phase des études d’autant qu’elle a pour objectif le choix du meilleur site présentant des caractéristiques favorables à la faisabilité de l’ouvrage ainsi que du type du barrage le mieux adapté au site. À cet effet, la détermination de la nature et de la structure géologique de la fondation à diverses échelles, voire régionale pour la cuvette et locale pour l’ouvrage et ses appuis, s’avère indispensable. D’autre part, l’étude régionale détaillée visant la prospection des gisements des matériaux de construction, l’analyse de la stabilité des versants et la connaissance de l’aléa sismique de la zone en question sont des facteurs à considérer pour se prononcer sur la faisabilité du projet. L’alimentation en eau potable des populations rurales s’est développée notamment à partir de 1995 avec le lancement du Programme d’Approvisionnement Groupé en Eau potable des populations Rurales (PAGER). Le taux d’accès à l’eau potable, qui n’excédait pas les 14% en 1994, dépasse les 94% actuellement. Les ressources en eau de surface ont joué, grâce aux barrages, un rôle prépondérant dans la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable notamment en milieu urbain dont la contribution atteint 66%. Par ailleurs,et lors de l’exploitation de l’ouvrage,plusieurs problèmes prennent place tel l’alluvionnement qui influe négativement sur la capacité utile de la retenue pouvant mettre en cause la sécurité des organes hydrauliques et compromettre également la qualité de l’eau stockée. Irrigation Bienfaits des barrages À la veille de l’indépendance, la superficie irriguée ne dépassait guère les 65 000 ha. L’objectif d’un million d’hectares irrigués fixé par Feu Sa Majesté le Roi Hassan II en 1967 a constitué un véritable tournant pour le domaine de l’irrigation. Approvisionnement en eau potable 104 Actuellement, l’accès à l’eau potable est généralisé en milieu urbain avec un taux de branchement individuel au réseau de 94% contre 57% en 1975. Le reste de la population, située dans les quartiers périphériques en zone semiurbaine, est desservie par des bornes fontaines. La sécurisation de l’approvisionnement en eau potable a été un des premiers soucis de la politique de l’eau adoptée par le Maroc. Cet objectif a été assuré malgré la multiplication des années de sécheresse et ce grâ- Géologues n°194 L’irrigation est l’utilisateur principal de l’eau au Maroc. Le potentiel des terres irrigables s’élève à 1 660 000 ha dont près de 1 360 000 ha d’irrigation pérenne et 300 000 ha d’irrigation saisonnière et d’épandage des eaux de crue. Depuis, des efforts importants ont été consentis pour le développement de l’irrigation. Actuellement, la aménagements et géotechnique Figure 3. Carte des barrages du Bassin du Sebou. Source : MAH. superficie irriguée équipée par les soins de l’Etat dépasse 1 million d’hectares dont 682 600 ha en grande hydraulique. Énergie hydroélectrique Les efforts déployés en matière de réalisation d’infrastructures ont réservé une place importante à la valorisation de l’eau mobilisée pour la production de l’énergie hydroélectrique. Cette production joue un rôle appréciable dans la satisfaction des besoins énergétiques du pays. Une part importante de la puissance appelée durant les heures de pointe pourrait être satisfaite à partir des usines hydroélectriques, en particulier lors des périodes où la demande en eau d’irrigation est maximale. Les usines hydroélectriques réalisées jusqu’en 2014 totalisent une puissance installée de l’ordre de 1 730 MW. La production hydroélectrique peut atteindre en année hydrologique normale plus de 2 500 GWh, soit près de 10% de la production totale d’électricité du pays. Protection contre les inondations En plus de la satisfaction des besoins en eau, du développement agricole et de la production énergétique, la politique des barrages a contribué d’une manière significative, à la protection des personnes et des biens contre les inondations grâce au rôle prépondérant des barrages dans l’écrêtement des crues. La poursuite du développement de la politique des eaux de surface au Maroc Pour accompagner le développement socioéconomique du pays et consolider les acquis en matière de mobilisation des ressources en eau, le Plan National de l’Eau (PNE), qui constitue un prolongement de la stratégie nationale de l’eau, propose des actions qui combinent la gestion et le développement de l’offre, aussi bien des ressources en eau conventionnelles que non conventionnelles, la gestion de la demande en eau, la valorisation et la préservation des ressources en eau. Concernant la gestion et développement de l’offre, l’effort de mobilisation des ressources en eau de surface sera consolidé pour maximiser la mobilisation des eaux de surface et développer l’offre en eau par : la poursuite de la mobilisation des eaux de surface avec la construction d’une quarantaine de grands barrages à raison de trois ouvrages par an jusqu’à 2030 ; le transfert de l’eau à partir des bassins du Nord-Ouest vers les bassins du Centre-Ouest ; le dessalement de l’eau de mer avec une capacité en 2030 estimée à près de 500 hm3/an ; la réutilisation des eaux usées épurées essentiellement dans l’agriculture irriguée et l’arrosage des espaces verts. Géologues n°194 105 aménagements et géotechnique Adaptations d’un projet de barrage en cours de construction : l’exemple du barrage de Moulay Bouchta en zone de flysch altéré Ahmed F. Chraibi 1 et Abdelaaziz Zaki 2 . Historique du projet Le projet initial Le barrage Moulay Bouchta est situé dans le Nord du Royaume du Maroc (Fig. 1),à environ 12 km au N-W de la ville de Chefchaouen. Les premières études en 1999 débouchèrent en 2002 sur un avant-projet suivi d’une consultation des entreprises en 2008 avec démarrage des travaux en 2010. Avec une capacité de stockage de 13 hm3, le barrage Moulay Bouchta doit permettre : l’alimentation en eau potable de la ville de Chefchaouen et des centres avoisinants ; la protection du barrage Ali Thailat contre l’envasement ; l’irrigation des terres agricoles situées à l’aval du barrage, et la constitution d’une réserve d’eau pour lutter contre les incendies de forêts. Les principales caractéristiques du projet initial sont les suivantes : digue en remblai à noyau argileux de l’ordre de 60 m de hauteur maximale sur fondation, avec des recharges en alluvions et enrochements ; parements réglés suivant une pente de 2.5H/1V à l’aval et 3H/1V à l’amont ; évacuateur de crue à seuil libre en arc de cercle de 130 m de longueur développée, disposé en rive droite ; dérivation provisoire en conduite sous remblai à deux pertuis dont un est transformé en vidange en fin de travaux ; initial. Elle vise notamment à montrer l’importance de l’évacuateur de crue comparé à la digue. Cette conception avait été retenue dans le souci de réduire au mieux la hauteur du barrage en assurant une grande capacité à l’évacuateur de crue. Le démarrage des travaux Il convient de noter que la conception de l’évacuateur était en cours et que les formes hydrauliques devaient faire l’objet d’une étude sur modèle pour examiner notamment la forme d’entonnement et les dispositions à adopter au coude. C’est d’ailleurs pour cette raison que le phasage d’exécution des travaux prévoyait d’engager en premier, les fouilles amont de l’évacuateur, en attendant la finalisation du design. Mais dès leur démarrage, sur les 5 m supérieurs couvrant toute l’emprise amont de l’évacuateur (voir figure 2), des fissures d’ouverture parfois pluri-décimétrique, dont certaines sensiblement parallèles aux courbes de niveau, sont apparues. Elles traduisaient clairement une instabilité généralisée du versant et évoluaient de jour en jour. Des expertises ont alors été engagées en urgence, car les mouvements de terrain commençaient à menacer les habitations et une ligne haute tension en haut du versant, en dehors de la zone expropriée. Il a été immédiatement décidé de remettre en place la totalité des matériaux excavés pour redonner au versant sa configuration initiale. Deux autres dispositions ont été adoptées : 3 prises pour l’alimentation en eau potable insérées dans une structure posée sur le versant gauche. La figure 2 ci-après donne la vue en plan du projet 106 Figure 1. Carte de situation du barrage. Source : Google Earth. Figure 2. Vue en plan selon la conception originale avec l’évacuateur de crues en rive droite. Source : publication au congrès Africain 2017 : Hydropower and Dams. 1. Consultant. Courriel : [email protected] 2. Direction des Aménagements Hydrauliques. Courriel : [email protected] Géologues n°194 aménagements et géotechnique la mise en place d’un drainage au droit du talus de fouilles provisoires et le remplissage gravitaire de certaines s grosses fissures à l’aide d’un coulis de ciment. La stabilisation a ainsi été atteinte rapidement, laissant le temps pour un examen détaillé de la situation. Il s’est avéré que la zone concernée par les glissements n’avait pas fait l’objet d’investigations et il a fallu lancer un programme de reconnaissances approprié pour mieux comprendre le contexte géologique et géotechnique local. Ainsi, des forages carottés avec suivi piézométrique ont été réalisés. Ils ont montré que les terrains de couverture atteignaient plus de 30 m d’épaisseur dans la zone concernée et que la nappe était très proche de la surface alors que c’était la saison sèche. Le maître d’ouvrage a alors décidé d’arrêter les travaux et s’est associé le concours d’une autre ingénierie pour une revue complète de la conception. Il en a profité également pour revoir l’hydrologie tenant compte des données disponibles depuis l’achèvement des études antérieures, couvrant notamment des années plus pluvieuses que la moyenne. du fait de la nature géologique des formations concernées. Au droit de l’axe du barrage, le fond de vallée est large d’environ 120 m, le versant de la rive droite présente une pente douce et régulière de l’ordre de 4.5 H/1V. La rive gauche a une pente irrégulière voisine de 2.7 H/1V. Hydrologie Le bassin versant de l’oued Moulay Bouchta a une surface d’environ 64 km2, avec des apports annuels de 25 Mm3/an. L’aire de la retenue au niveau normal est 0,68 km2,avec une capacité de retenue de l’ordre de 13 Mm3. Les apports solides annuels sont estimés à 190 000 m3/an. Des mesures visant à réduite l’importance de ces apports sont en cours d’examen. Les principales caractéristiques hydrologiques sont les suivantes : module interannuel : 0.84 m3/s (période 1945 à 2002) ; apport moyen annuel : 26 Mm3 ; minimum : 0.08 m3/s (année 1998) ; Pour se prémunir contre toute autre déconvenue,des investigations additionnelles ont été réalisées sur l’ensemble du site,en dehors même de l’emprise des ouvrages. Fort heureusement le contrat d’exécution comportait une rubrique ayant permis d’engager ces travaux sans délai. Pour aller vite,jusqu’à 6 ateliers de perforation travaillaient simultanément en fond de vallée et sur les rives. maximum : 2.36 m3/s (année 1962) ; La prise en compte des résultats obtenus conduisit au maintien d’un barrage en remblai à noyau argileux, mais avec des adaptations comportant entre autres : aire de la retenue au niveau normal : 0.682 km2 déplacement de l’axe du barrage de plusieurs dizaines de mètres vers l’amont principalement côté rive droite pour échapper à la zone de forte épaisseur des terrains de couverture ; déplacement de l’évacuateur de crues en rive gauche ; introduction d’une paroi moulée pour assurer l’étanchéité de la fondation en vallée, évitant ainsi la réalisation de fouilles profondes susceptible d’avoir une incidence sur la stabilité des versants ; substitution du pertuis de dérivation provisoire par un chenal à ciel ouvert au pied de la rive gauche et introduction d’une vidange avec tour de vannage et de prise d’eau. Le site du barrage Topographie Le barrage Moulay Bouchta se trouve sur l’oued Moulay Bouchta qui coule selon une direction générale Nord-Sud, avec une pente moyenne relativement forte de 2,4%. Les versants de la vallée sont relativement abrupts crues : Période de retour (en ans) 10 50 100 1000 10 000 Débit de pointe (m3/s) 3 Volume (Mm ) 300 490 575 865 1200 4.2 6.8 8.0 12.0 16.6 cote de la retenue normale : 372 NGM3 volume de la retenue normale : 12.25 Mm3 Géologie du site du barrage Le barrage est situé dans le Rif occidental au Nord du Maroc. La fondation est constituée de flyschs grésopélitiques avec une couverture argileuse instable, très développée en rive droite (épaisseur atteignant 20 à 30 m), peu présente en rive gauche (moins de 1 m). C’est l’altération superficielle du substratum, conjuguée avec la présence de terrains de couverture à forte composante argileuse et gorgés d’eau, qui a conduit aux instabilités importantes de la rive droite, apparues dès le démarrage des fouilles de l’évacuateur suivant sa conception initiale. En fond de vallée la couverture est constituée d’alluvions grossières dont l’épaisseur peut atteindre 13m. Les flyschs du substratum sont à prédominance argileuse, comme pour tout le reste de l’environnement du site du barrage. L’armature rocheuse est constituée de bancs de grès disloqués, discontinus et plus ou moins écrasés par la tectonique polyphasée qui a affecté cette région au cours 3. Altitude 372 m. Nivellement Général du Maroc. Géologues n°194 107 aménagements et géotechnique de son histoire géologique. Il en résulte un substratum argilo-gréseux dans différents états mécaniques en profondeur, relativement rigide et schistosé par endroits, ou écrasé aux passages des failles. En rive droite, la tranche altérée résiduelle,présente sous la masse de glissement,est de l’ordre de 10 m d’épaisseur en général, localement plus. Les vitesses sismiques mesurées sur ce site sont de 300 à 800 m/s dans les zones superficielles des glissements (2 à 10 m),jusqu’à 1 800 m/s dans les zones inférieures de ces glissements, entre 1 800 et 2 800 m/s dans les zones d’altération du substratum et de plus 3 600 m/s dans le substratum en place.Cela confirme,s'il en était besoin,le caractère particulièrement décomprimé des terrains de couverture à l'origine de leurs faibles caractéristiques mécaniques. La nouvelle conception de l’ouvrage Reconnaissances complémentaires Des investigations géologiques (sondages carottés), géophysiques et géotechniques ont permis entre autres de déterminer les courbes de niveau du toit du substratum en rive droite. La figure 3 donne les variations de l’épais- 108 seur des terrains de couverture et montre notamment la nouvelle implantation de l’axe du barrage au droit de la zone de plus faible épaisseur de la couverture. Aussi bien à l’aval qu’à l’amont, l’épaisseur augmente notablement (couleur rouge) où elle atteint localement les 35 m. Choix de conception Les conditions géologiques du site principalement en rive droite imposent pratiquement un barrage en remblai. En rive gauche le substratum est partout subaffleurant. Les vitesses sismiques rappelées ci-dessus, traduisent en effet un terrain côté rive droite à forte déformabilité qui ne peut en aucun cas s'accommoder d'une variante rigide, à moins de la fonder à grande profondeur. En dehors des volumes importants d'excavation et de béton que cela exigerait,l'instabilité des fouilles côté rive droite resterait un handicap incontournable pour une telle variante. La solution la mieux appropriée est donc une digue en remblai à noyau argileux. Elle bénéficie en plus de la remontée locale du substratum côté rive droite (voir figure 3), d’où l’implantation retenue pour le nouvel axe. En ce qui concerne les ouvrages annexes, le seul choix Figure 3. Épaisseurs des terrains de couverture selon les résultats des investigations additionnelles. Nord orienté vers le bas. Source : publication au congrès Africain 2017 : Hydropower and Dams. Géologues n°194 aménagements et géotechnique d'implantation possible est la rive gauche, évitant ainsi toute excavation de grande profondeur dans les terrains de couverture de l’autre rive. Une paroi moulée est introduite pour l’étanchéité des alluvions de fond de vallée et au pied de la rive droite. Ce choix a été motivé par la volonté d’éviter toute excavation profonde au pied de la rive droite de peur d’y créer des instabilités difficiles, voire même impossibles à contenir. Figure 5. Coupe type de la digue. 1A : noyau -2A : filtre - 2C : drain - 1B : alluvions - 3 : transition - A4 : protection aval - 4B :rip-rap - 9 :drain.Source :publication au congrès Africain 2017 :Hydropower and Dams. La profondeur de fouilles maximum considérée a été limitée à moins de 10m conservant sous le remun filtre et un drain cheminée chacun de 2,50 m de larblai une partie importante du manteau de couverture,malgeur horizontale disposés à l'aval du noyau. À l'amont gré les tassements dont ils peuvent faire l’objet. Le type de du noyau une transition grossière, d'une épaisseur horibarrage et la hauteur des remblais sont jugés compatibles zontale de 4 m. avec ces tassements. des recharges en alluvions naturelles ; La figure 4 ci-après donne une vue 3D du barrage des protections sur les deux parements. et de ses ouvrages annexes suivant la nouvelle conception. La continuité de l'étanchéité à travers les alluvions Conception de la digue en fond de vallée et au pied de la rive droite,où une tranche importante des terrains de couverture subsiste, est assuLa coupe type de la digue est classique avec un rée par une paroi moulée en béton souple. noyau central argileux relativement mince,encadré par des transitions et des recharges en alluvions. En dehors du rip-rap, les matériaux utilisés sont prélevés sur le site, le long du cours d’eau. Deux importantes bermes ont été introduites pour optimiser le volume des recharges tout en assurant la stabilité du barrage, une de 22 m à l'amont et une autre de 25 m à l'aval, côté rive droite, compte tenu de la qualité de la fondation. Le profil du barrage (Fig. 5) comporte : un noyau argileux mince symétrique, Il convient de noter que la recharge amont est constituée d’alluvions grossières considérées comme matériau semi-perméable.Pour garantir son essorage total à la vidange rapide de la retenue, des drains horizontaux ont été introduits à intervalle régulier au-dessus de la cote 355NGM, correspondant au niveau minimal du réservoir. Les bermes disposées sur les deux parements ont une largeur de 22 m à l’amont et de 25 m à l’aval, côté rive droite, réduite à 5 m côté rive gauche. Cela se justifie par la nature de la fondation nettement plus favorable en rive gauche, s’accommodant d’une pente moyenne plus raide qu’en rive droite. De plus, une tranchée drainante de 5 m de profondeur a été réalisée dans cette rive pour y abaisser le niveau de saturation dans l’emprise de la recharge aval et assurer ainsi des conditions de stabilité satisfaisantes. Ouvrages annexes Figure 4. Vue 3D du barrage depuis l'amont rive gauche (Nord vers le bas). Source : publication au congrès Africain 2017 : Hydropower and Dams. Pendant les travaux,l’oued emprunte un chenal de dérivation provisoire à ciel ouvert,implanté au pied de la rive gauche. Ce chenal est dimensionné pour passer le débit de pointe de la crue de période de retour de 50 années. Il a une longueur de 260 m et une pente de 1,5%. Le chenal a Géologues n°194 109 aménagements et géotechnique une section trapézoïdale de 12 m de largeur à la base et des bajoyers au fruit de 1.5H/1V côté droit (oued) et de 1H/1V côté rive gauche.Il a été jugé nécessaire de le revêtir sur toute sa longueur compte tenu de la vitesse d’écoulement atteignant les 13 m/s au passage de la crue de chantier. La digue est ainsi réalisée en deux phases, dont la première correspond à la réalisation de la paroi moulée et des remblais côté rive droite et la seconde à la fermeture côté rive gauche, comme cela est schématisé dans la figure 6. La vidange de fond est conçue en conduite sousremblai avec une tour de prise et de vannage accessible depuis la crête à l’aide d’une passerelle à deux travées,chacune de 17 m de longueur (voir figure 4).La galerie a une section rectangulaire de 2,50 m de hauteur et de 2 m de largeur avec des goussets aux 4 coins. La section est agrandie à l’aval de la vanne de réglage du fait de la perturbation de l’écoulement dans cette zone et de l’arrivée du conduit d’aération. Le seuil de la vidange est calé à la cote 345,60 NGM, soit environ 10 m au-dessus du fond de l’oued au droit de l’axe. Au-dessous de cette cote, le volume stocké est négligeable et devra être rapidement comblé par les sédiments. La vidange est partout fondée au rocher et comporte des talus extérieurs adoucis dans l’emprise du noyau. L’évacuateur de crue est conçu en seuil libre calé à la cote 372,00, de forme circulaire, d’une longueur développée de 25 m. Il permet de laminer la crue de projet d’un débit de pointe de 1 200 m3/s à 915 m3/s sous une charge d’environ 7,20 m. La longueur relativement faible du seuil se justifie par l'espace très réduit disponible pour l'im- plantation de l'évacuateur. Le coursier d’une largeur de 10m a un tracé rectiligne et se termine par un élargissement et une cuillère équipée de redents visant à disperser le jet. La mise au point des formes hydrauliques de l’évacuateur et de la cuillère de la vidange de fond a fait l’objet d’une étude sur modèle réduit hydraulique. Paroi moulée La paroi moulée dont la justification est détaillée dans ce qui précède,est en béton souple capable de s’adapter aux déformations de la fondation sans se fissurer. Pour lui assurer un ancrage suffisant dans le noyau, avec un gradient hydraulique inférieur à 4, la paroi remonte dans le noyau de 4 m. Elle a une épaisseur de 1,20 m largement suffisante pour les charges en présence. Elle est réalisée à partir d’une plateforme à la cote 337,00 obtenue moyennant 5 m de remblai argileux de la nuance la plus plastique destinée à la réalisation du noyau, de sorte à obtenir les 4 m d’ancrage exigés, après recépage du mètre supérieur juste avant d’engager la mise en œuvre en grand des remblais susjacents. La paroi a une profondeur maximale voisine de 20 m et une longueur de 156 m. Elle est ancrée dans le substratum de 1,20 m minimum. Une injection de liaison paroi substratum est réalisée par forages. La mise au point de la composition du béton souple a nécessité de nombreux essais visant à lui conférer les paramètres spécifiés, à savoir une perméabilité inférieure à 10-9m/s et un module d’Young à 90 jours entre 300 et 700 MPa dans un domaine de déformation inférieur à 0,5%. La résistance mécanique à la compression arrêtée après l’exécution des essais d’étude a été fixée à 1 MPa. Déroulement des travaux Dès la mise au point du nouveau projet, les travaux ont repris et se sont déroulés dans d’excellentes conditions. Pratiquement aucun incident majeur n’a eu lieu. De nombreux glissements de faible extension se sont produits en rive gauche, là où le substratum est très altéré, comme cela est illustré par la photo 1. 110 Figure 6. Phasage d'exécution des remblais : vue en plan en haut (Nord vers le haut) ; vue en coupe en bas. Source : publication au congrès Africain 2017 : Hydropower and Dams. Géologues n°194 Côté rive droite où les craintes étaient bien réelles, aucune instabilité n’a eu lieu,grâce notamment au phasage d’exécution adopté. Celui-ci consistait à réaliser dans un premier temps une tranchée étroite à la pelle,visant à drainer le terrain et à vérifier si les conditions réelles sont bien conformes aux prévisions. La tranchée a ensuite été élargie aux dimensions finales des fouilles en plan. Une nouvelle tranchée étroite est ensuite réalisée dans le prolongement de la première et ainsi de suite. Les photos 2 ci-après montrent une des nombreuses surfaces de glissement relevées aménagements et géotechnique contexte géologique et géotechnique difficile, marqué par la présence de flyschs à forte composante argileuse, notamment en rive droite. L’insuffisance des reconnaissances effectuées à l’avant-projet est la principale cause des problèmes rencontrés au démarrage des travaux. Photo 1. Exemple d'instabilité survenue en rive gauche. Source : cliché des auteurs. sur les talus. Elles n’ont fort heureusement pas eu d’incidence sur les travaux car elles étaient parallèles au versant et avaient une composante pratiquement horizontale suivant les talus de fouilles de la tranchée d’ancrage du noyau. De plus, elles avaient préalablement été bien drainées. Mis à part le contrat spécifique concernant la paroi moulée, tous les autres travaux ont été menés dans le cadre du contrat relatif à la première conception. Ils ont été achevés en 2014. Les adaptations du projet ont finalement abouti à un ouvrage répondant parfaitement à l’usage auquel il était destiné avec la même capacité de stockage, tout en s’inscrivant dans le budget prévu initialement. La date d’achèvement a connu une année de retard, ce qui est tout à fait normal compte tenu de l’arrêt des travaux durant plus de 6 mois et de l’introduction de la paroi moulée dans le projet. Bilan général Le barrage Moulay Bouchta est situé dans un Les décisions prises, suite à l’apparition de mouvements de terrain concernant l’ensemble du versant rive droite, se sont révélées payantes. Il s’agit de l’arrêt des travaux en cours, de la reconstitution à l’origine du versant, et de la revue de la conception du barrage et de ses ouvrages annexes, basée sur de nouvelles investigations géologiques et géotechniques. Il a ainsi été possible de mieux adapter le projet aux conditions particulières du site tout en préservant la même capacité de stockage et en se maintenant dans le budget initial. La relation de partenariat développée entre les parties, à l’occasion de leurs nombreuses collaborations sur d’autres projets,a été le facteur principal derrière la réussite de ce projet. Le barrage et ses ouvrages annexes ont eu un comportement très satisfaisant depuis la mise en eau intervenue à la fin de l’année 2013. Aucun signe d’instabilité des appuis ou de la digue n’a été observé. La paroi moulée est d’une efficacité remarquable, attestée par les mesures de pression interstitielle : à l’amont la pression est pratiquement confondue avec la charge de la retenue et en suit fidèlement les variations, alors qu’à l’aval, elle est faible et stable, voisine de la cote de pose des cellules. Remerciements Ce travail est une adaptation faite par les auteurs d’une publication au Congrès « Africa 2017, Hydropower & Dams, Marrakech, March 2017 ». Les auteurs tiennent à remercier la Direction des Aménagements Hydrauliques du Royaume du Maroc qui les a autorisés à publier cet article. Photos 2. A (à droite) et 2B (à gauche) : Surface de glissement identifiée dans les talus de fouilles de la tranchée du noyau en rive droite. Source : clichés des auteurs. Géologues n°194 111 patrimoine géologique Patrimoine géologique marocain et développement durable : l’exemple du Dévonien du Tafilalt, Anti-Atlas oriental Ahmed El Hassani 1 , Sarah Aboussalam 2 , Thomas Becker 3 , Mohamed El Wartiti 4 et Farah El Hassani 5 . Introduction La notion de patrimoine géologique dérive de la notion de patrimoine naturel qui reconnaît que des éléments de la nature font partie des biens communs, tels que les richesses géologiques, minéralogiques et paléontologiques. En tant que patrimoine naturel, le patrimoine géologique doit être considéré comme un bien commun d’une collectivité, d’un groupe d’hommes, de l’humanité, et comme un héritage transmis par les ancêtres. La géologie marocaine présente des affleurements reconnus mondialement parmi les meilleurs et les plus complets sur une très longue période de temps géologique. Cependant, les richesse/ressources naturelles, dont dispose le pays, subissent une détérioration irréversible : fossiles et minéraux faisant l’objet actuellement de pillage, d’exploitation abusive, de vente et d’exportation. Les mesures réglementaires sont elles suffisantes pour sa protection, sa valorisation et sa préservation ? Ou bien s’agit-il d’un système intégré où interviennent divers facteurs humains à différents niveaux ? Il s’agit là d’une problématique complexe nécessitant, de notre part, d’émettre un avis scientifique pour faire connaître ce patrimoine, le valoriser et surtout le protéger pour que le Maroc demeure une référence mondiale en géologie. La présente note s’intéressera aux merveilleuses successions de couches géologiques dévoniennes de la région du Tafilalt (Anti Atlas oriental) et représente une contribution qui veut encourager la préparation d’un inventaire national des espaces géologiques (autre que dévoniens) et des espèces (minérales et fossiles) nécessitant une conservation ou une gestion rationnelle. Cet inventaire, en plus des mesures réglementaires susmentionnées,comblera une grande lacune qui persiste dans le Plan Directeur des Aires Protégées du Maroc, récemment établi à l’initiative de l’Administration Forestière Marocaine. Contexte et intérêt pour la sauvegarde du patrimoine géologique 112 Pour donner envie de protéger, il faut d’abord faire connaître le patrimoine. Le Maroc, comme on peut le lire sur les cartes géologiques, est parmi les pays qui couvrent de manière la plus complète, l’histoire géologique du globe (de l’Archéen, 3 Ga, au Quaternaire). Il présente, à ce titre, un intérêt majeur pour la communauté scientifique internationale, ce qui lui vaut d’être régulièrement visité par un grand nombre de géologues des cinq continents. En plus de la grande diversité des terrains géologiques, plusieurs stratotypes et groupes de fossiles représentatifs à l’échelle planétaire, ont été identifiés au Maroc. Le Maroc présente également plusieurs curiosités (paysages) géologiques rares de par le monde (exemple : les mud-mounds Dévoniens de Hamar Lakhdad dans le Tafilalet, les péridotites de Beni Bousera dans le Rif interne, les nombreuses grottes, …). Ces richesses restent de nos jours, méconnues par la majorité des marocains,y compris les gestionnaires des espaces naturels, voire la communauté scientifique non spécialisée. Ceci incite à des études de type « inventaire » auxquelles les géologues se livrent rarement, mais qui ont un rôle fondamental dans la sensibilisation du public à la sauvegarde, à la valorisation et à l’utilisation rationnelle de ce patrimoine. Il résulte de cette ignorance, une faible sensibilisation à l’échelle nationale envers la conservation et/ou la valorisation respectueuse des « sites patrimoniaux ». Présentation de quelques exemples du patrimoine géologique marocain : le Dévonien du Tafilalt Les coupes du Dévonien de l’Anti Atlas sont parmi les meilleures au monde, car elles permettent de suivre, sans interruption notable, les affleurements sur plusieurs kilomètres. Leur étude tardive les a malheureusement exclues d’être élues « stratotypes » et l’on ne se réfère qu’à une seule coupe adoptée par la Subcommission de Stratigraphie du Dévonien (SDS) ; celle de Mech Irdane pour la limite Eifélien-Givétien (Walliser et al., 1995). Mech Irdane Le jbel portant le même nom, englobe le GSSP (Global Stratotype Section and Point) après recommandation de la SDS en séminaire (1991) puis ratification par IUGS en 1994 (Walliser et al., 1995). Le jbel Mech Irdane est une structure synclinale située dans la partie SE du Tafilalt à 12 km au SW de la ville de Rissani. Comme partout ailleurs 1. Académie Hassan II des Sciences et Techniques, Maroc. Courriel : [email protected] 2. Institut für Geologie und Paläontologie, Münster, Allemagne. Courriel : [email protected] 3. Institut für Geologie und Paläontologie, Münster, Allemagne. Courriel : [email protected] 4. Université Mohammed V de Rabat, Maroc. Courriel : [email protected] 5. Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, Maroc. Courriel : [email protected] Géologues n°194 patrimoine géologique Photo 1. Le Jbel Mech Irdane, son stratotype et ses événements géologiques (Photo : El Hassani). dans le Tafilalt, la coupe peut être entamée dès les niveaux calcaires à Scyphocrinites, caractérisant, dans l’Anti Atlas, la limite Silurien - Dévonien (Photo 1). La partie Dévonien inférieur est très bien représentée et riche en fossiles (Goniatites notamment) : les calcaires à Mimagoniantites avec le groupe des Anetoceras, dont Nowakia cancellata, apparaît dans la transition calcaires-schistes noirs du Dalejien. Au jbel Mech Irdane, les calcaires eiféliens sont très fossilifère, avec d’abondants trilobites, des pélécypodes du groupe « Panenka », des orthocône céphalopodes et des goniatites, en particulier Subanarcestes et Cabrieroceras, mais aussi Werneroceras, Fidélites, Agoniatites. La limite Eifélien-Givétien est située au niveau du banc 117, limite attestée aussi bien par des méthodes paléontologiques (Walliser et al., 1995) que magnéto-stratigraphiques (Ellwood et al., 2011). Le Givétien montre une large séquence de calcaires noduleux et lamellaires avec deux niveaux de pumilio6 (provoquées par les tsunamis) situés à la base et dans la Photo 2. La série dévonienne au Jbel Amelane. (Photo : El Hassani). partie centrale de la zone varcus, et avec la séquence de calcaires fins noduleux, caractéristiques de la partie supérieure comprenant les genres Maenioceras, notamment le M. terebratum et Pharciceras amplexum. Les calcaires à Pharciceras, qui coïncident avec l'ancienne zone à lunulicosta du Dévonien supérieur, sont absents dans cette coupe. Au dessus de cette lacune, affleurent les calcaires à Manticoceras dans un faciès crinoïdique. Quelques exemples d’affleurements à intérêts scientifique et géo-touristiques On ne peut pas parler du Tafilalt sans avoir en mémoire les merveilleux affleurements dévoniens et leur richesse en fossiles qui font le trésor des bazars et le bonheur des visiteurs/collectionneurs.Vu l’énorme variété et la richesse des coupes géologiques, nous ne donnons ici que quelques exemples de ce riche patrimoine naturel marocain, telles les séries stratigraphiques du jbel Boutchrafine, du jbel Amelane et de Ouidane Chebbi à la frontière avec l’Algérie et les mud-mounds de Hamar Lakhdad (Photos 2 à 5). 113 Photo 3. La série siluro-dévono-carbonifère du Jbel Bou Tchrafine (Photo : El Hassani). 6. Niveau calcaire à très nombreuses Terebratula pumilio. Géologues n°194 patrimoine géologique L’analyse de la coupe géologique du Jbel Amelane (voir Photo 2), située à 25 km au SO d’Erfoud, très facilement accessible par la route goudronnée allant à Msissi et Alnif, permet de suivre une série complète depuis la fin du Silurien jusqu’au Famennien où l’on observe (au bord de la route goudronnée) de longs orthocères et des goniatites de grandes tailles qu’on retrouve dans les bazars du Tafilalt (tables d’Erfoud : Photo 6). Cette coupe présente plusieurs curiosités géologiques, mais l’évènement Kellwasser (KW event)7 reste le plus important dans la région par ses deux niveaux inférieur et supérieur. Le jbel Bou Tchrafine (voir Photo 3) et le jbel Amelane sont des témoins d’une période géologique complète pour tout le Dévonien, ce qui leur vaut d’être visités par de nombreuses équipes de géologues de divers pays. Les affleurements situés dans la partie orientale du Tafilalt, à Ouidane Chebbi (voir Photo 4), montrent également une coupe complète du Dévonien avec le passage au Tournaisien (Carbonifère). Les terrains crétacés et néogènes de la Hamada du Guir sont en discordance angulaire sur le Paléozoïque. L’une des curiosités géologiques majeures du patrimoine litho-stratigraphique marocain reste manifestement les monticules dévoniens de Hamar Lakhdad dans le Tafilalet, à l’Est d’Erfoud (voir Photos 5) qui sont visités chaque année tant par les scientifiques que par les touristes. Ces structures, assez particulières, ont été décrites dès le début du siècle dernier par Nicolas Menchikoff, géologue pétrolier franco-russe, comme une accumulation d’origine récifale (Roch, 1934), divers termes ayant été utilisés par la suite par nombre d’auteurs : protubérances ou bulles pleines (Roch, 1934) ; curieux pitons récifaux (Massa et al., 1965) ; formations récifales du Dévonien inférieur (Hollard, 1963) ; nom que l’on donne localement au couscoussier traditionnel qui décrit parfaitement la morphologie de ces édifices : conique, à base subcirculaire et sommet pointu pour la majorité d’entre eux. Ils sont au nombre de 46, étalés sur 7km en direction E-W et dont la hauteur est comprise entre 3 et 45 m avec des pentes variables de 15 à 60°, mais généralement plus fortes vers le Nord. Ces structures constituent un exemple classique de monticules de boue en eau profonde (démontré par l’absence d’algues vertes) liés à l’hydrothermalisme. Elles ont été créées par des éruptions volcaniques sous-marines au Dévonien inférieur. Ces infiltrations hydrothermales ont persisté pendant une longue période, depuis la fin du Praguien jusqu’au début du Frasnien. La réactivation des processus magmatiques vers la fin de l’Emsien a permis la formation de structure en dômes du complexe volcanique, recouvrant des strates sédimentaires, et en conséquence création d’un réseau de failles. Ces failles servent alors de conduits pour les fluides chauds qui migrent sur le fond marin. Les données géochimiques suggèrent que les carbonates des monticules de boue se sont formés par un mélange de fluides hydrothermaux et l'eau de mer (Belka et al., 2015). L'un des traits caractéristiques de ces monticules de boue est la présence d'un grand nombre de cavités qui sont des fragments de plus grands espaces libres. À l'origine, ils constituent un système complexe de fissures, de cheminées et d’espaces ouverts remplis de sédiments laminés micritiques à grains fins et à ciments de calcite. Bien que les phases de leur formation ne corresponde qu’à une courte période (une seule zone de conodontes), ces monticules sont restés un lieu d'activité animale intense. En effet, les parties supérieures de ces structures, offrant une meilleure circulation des eaux, ont été colonisées par des communautés diverses de Coraux tabulés, de Bivalves, de Crinoïdes, et de Brachiopodes. Les cavités et les fissures, récifs du Dévonien inférieur (Hollard, 1974, Michard, 1976) ; mud mounds (Gendrot, 1974 ; Brachert et al., 1992, Hüssner, 1994, Belka, 1998) ; buildups, reef-mounds ou mud mounds (Tönebohn, 1991) ; venues hydrothermales localisées au droit du massif magmatique de Hmar Lakhdad (Mounji et al., 1996, Belka, 1998) ; monticules de boue (Belka et al., 2015). 114 Il s’agit en fait d’accumulations de carbonate du Dévonien, affleurant dans la partie est de l'Anti-Atlas (Tafilalt), connues sous le nom des monticules « Kess-Kess », 7. Une des cinq extinctions massive de l’histoire de la Terre à la fin du Dévonien. Géologues n°194 Photo 4. Le passage Dévonien-Carbonifère à Ouidane Chebbi (partie est du Tafilalt) (Photo : El Hassani). patrimoine géologique Et hors site Photo 5. Vue générale des mud-mounds (au nombre de 48) dévoniens de Hamar lakhdad (kess-kess) et différents aspects de ces mud-mounds en 3D et en coupes (Photo : El Hassani). Photo 6. Exposition de fossiles dans un Bazar à Erfoud (Photo : El Hassani). anciennes voies de migration de fluides, sont devenues le lieu de développement du biotope,avant d’être remplies par des sédiments. En outre, ces cavités ont été visitées périodiquement par des centaines de trilobites (Scutellum, Harpes) qu’on retrouve actuellement à l’état fossile. Cet environnement fait de cette région un lieu exceptionnel dans le monde,méritant d’être conservé et protégé. La protection de ce patrimoine géologique doit être envisagée D’abord sur site La création de réserves naturelles ou géo-parcs, permettra d’interdire la collecte d’échantillons à des fins autres que scientifiques, de valoriser des sites géologiques par la création d’itinéraires guidés (qu’on peut tirer des excellents documents des Notes et Mémoires du Service Géologique du Maroc), et la réalisation de panneaux explicatifs à fixer sur les géo-sites, en organisant des conférences grand public, en confectionnant et en mettant en vente des moulages (à buts éducatif et économique),et en réalisant des films documentaires. Les collections des musées peuvent servir à l’éducation relative à la conservation du patrimoine environnemental (au niveau des écoles) en permettant de conserver une partie de ce patrimoine. Mais, dans l’état actuel, au vu de la rareté des musées, des magasins (bazars) se sont développés un peu partout au Maroc, particulièrement dans la région du Tafilalt (Erfoud, Rissani, Alnif, Ouarzazate, …). Ces édifices offrent de jolis spécimens mis à la vente, bien qu’une bonne partie ait été façonnée d’une manière peu conventionnelle (voir photo 6, à droite). Cependant, dans le Tafilalt, de petits musées ont été également élaborés par des particuliers : on peut y admirer tant la richesse de la région que celles d’autres régions grâce à l’exposition de pièces rares, de valeurs scientifiques inestimables telles des copies de dinosaures, de reptiles et de poissons du plateau des phosphates (de Khouribga) ou des météorites de tailles et types différents. L’un des plus importants se situe au cœur d’une des principales palmeraies entre Erfoud et Rissani dans une bâtisse traditionnelle montrant, à l’extérieur, une emblématique copie de dinosaure. Ce musée comprend une partie exposition et une partie magasin de vente. Les espèces rares sont jalousement gardées. Son objectif est de vulgariser ce type de produits en le rapprochant d’un public large et diversifié (écoliers, touristes, scientifiques). Dans le Tafilalt, le commerce des fossiles est une source de revenu pérenne appréciable pour bon nombre de familles et permet d’attirer des touristes (dont des scientifiques). La mise au jour de la réalisation de pièces mises en vente nécessitent un travail acharné par des équipes de spécialistes (de fortune), pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, pour dégager un trilobite, un crinoïde ou une goniatite. Cette richesse en fossiles et minéraux est menacée de surexploitation ; seul prime ici, en effet, le prix de vente alors que la valeur scientifique est trop souvent laissée de côté. Et pourtant, le Tafilalt figure dans le réseau mondial des réserves de biosphère de l’UNESCO ! Il s’inscrit donc dans la convention de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert illicites de biens culturels qui cite dans son article premier (paragraphe a) les fossiles comme biens naturels à protéger. Cette convention a été ratifiée par le Maroc en février 2003, mais pour le moment, aucune action sérieuse pour la protection de ce patrimoine n’est visible. Géologues n°194 115 patrimoine géologique Mesures de protection du patrimoine naturel Pour mieux protéger, il faudrait donc envisager des mesures et des lois pour la conservation et l’utilisation rationnelle des ressources géologiques. Ceci passe par l’établissement d’un inventaire national, sous forme de base de données, des sites géologiques à valeur patrimoniale et également, la nécessité d’établir des sites web traitant et faisant connaître le patrimoine géologique du Maroc. Ces sites devraient comprendre toutes les propositions de lois et des mesures prises par l’administration en charge de cette tâche (Ministère de la Culture, Ministère de l’Énergie et des Mines) pour une meilleure gestion de ces ressources. De telles initiatives nécessitent des mesures réglementaires et incitatives dont certaines sont déjà prises par le Ministère de l’Énergie et des Mines. Celui-ci a lancé une étude pour l’établissement de mesures réglementaires pour remédier à la disparition progressive du patrimoine géologique national (par l’établissement de listes de fossiles, minéraux et sites à protéger). Le Plan Directeur des Aires Protégées, établi par le Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification, qui a identifié un large réseau de SIBE (Sites d’Intérêt Biologique et Ecologique) évoque, de temps en temps, les valeurs géologiques comme contribuant à la connaissance, la préservation et la protection de ce patrimoine. Cela entraînera, sans nul doute, des impacts et des retombées : scientifiques : contribution à l’avancement des connaissances sur le patrimoine géologique marocain et à sa conservation en tant que valeur scientifique internationale en facilitant l’accès aux données « patrimoniales » via la base de données et le site Web. socio-économiques : contribution à une exploitation durable des ressources géologiques à caractère patrimonial du Maroc,tout en proposant de nouvelles formes de mise en exploitation à valeurs éducatives et touristiques. Ces retombées permettront aussi la participation au développement durable par la création d’activités et d'emploi rémunérés autour des géo-sites. Conclusions mettre l’accent sur les moyens d’exploitation durable des ressources et sur les mises en valeur conservatrices de ces ressources. L’étude du patrimoine géologique marocain nous permet de constater que l’histoire de la Terre et l’histoire de la vie sur terre sont marquées par plusieurs épisodes enregistrés dans les couches stratigraphiques et leurs contenus en minéraux et fossiles. Elle nous apprend et confirme en même temps, que les constituants de la Terre bougent (plaques tectoniques),que les climats et le niveau des mers changent sans cesse, que la flore et la faune évoluent constamment et que l’on s’achemine très probablement vers la sixième extinction. Celle-ci, à la différence des cinq précédentes, serait complètement due à la présence de l’homme et à l’impact de ses actions sur les écosystèmes, dont le plus grave reste le réchauffement climatique qui provoquerait l’élévation du niveau de la mer par suite de la fonte des glaces de l’Arctique et de l’Antarctique. Des partenariats avec les institutions éducatives (ou de recherche) sont à encourager dans le cadre de projets intégrés pouvant impliquer les universités (Facultés des Sciences), les AREF (Académies Régionales de l’Éducation et de la Formation), le Ministère de l’Énergie et des Mines (Patrimoine Géologique), les Autorités et Collectivités locales, les Sociétés savantes et la Société civile. Tous doivent se rendre compte qu’il s’agit d’un patrimoine dont l’exploitation abusive est irréversible et dont l’utilisation rationnelle est devenue aujourd’hui plus que nécessaire. Il est donc du devoir des hommes de science et des sociétés savantes d’informer les responsables et les décideurs de ce que nous savons de l’état de la planète Terre.Dans ce contexte, la connaissance du patrimoine géologique marocain et sa conservation sont des valeurs scientifiques internationales inestimables qu’il faut préserver à tout prix. Le futur musée national d’archéologie et des sciences de la Terre, à Rabat, est, en ce sens, une excellente idée qu’il faudrait démultiplier dans la majorité des régions du Maroc, avec probablement, une spécificité associée à chaque région. Les mesures urgentes se résument comme suit : réaliser un inventaire national pour combler cette lacune et compléter le travail élaboré par l’administration forestière ; veiller à l’application des mesures établies par le Ministère de l’Énergie et des Mines et par le dahir (loi) de 2002 relatifs à l’exploitation des carrières, en collaboration avec Ministère de l’Équipement ; 116 De telles initiatives permettront la description des sites et de leur richesse par la cartographie, par système d’information géographique (SIG) et aussi par l’élaboration de programmes d’inventaires et de documentation scientifique. Elle permet également la vulgarisation des connaissances et sa médiatisation grâce à l’organisation de colloques,de séminaires thématiques et de rencontres avec les élus et les populations locales. Géologues n°194 patrimoine géologique Bibliographie Belka Z., 1998. Early Devonian Kess-kess carbonate mud mounds of the Eastern Anti-Atlas (Morocco), and their relation to submarine hydrothermal venting. Jour. of Sedimentary Research, vol. 68, N° 3, 368-377. Belka Z., Berkowski B., Jakubowisz M., Dopieralska J., Skompski S. et Feist R., 2015. Life of the dead mounds : an example from the Devonian mud mounds of Hamar Laghdad (Morocco). 31st IAS Meeting on Sedimentology, Cracow; N° 7, p. 60. Brachert T.C., Buggisch W., Flügel E., Hüssner H.M., Joachimski M.M.,Tourneur F. et Walliser O.H., 1992. Controls of mud mound formation : the Early Devonian Kess-kess carbonates of the Hamar Laghdad, Anti Atlas, Morocco. Geol. Rundshow., N° 81, 15-44. Ellwood B., Algeo T., El Hassani A., Tomkin et Rowe H., 2011. Defining the timing and duration of the Kacak interval within the Eifelian/Givetian boundary GSSP, Mech Irdane, Morocco, using geochemistry and magnetic susceptibility patters. Palaeogeography Palaeoclimatology Palaeoecology N° 304, 74-84. Gendrot C., 1973. Environnement du Dévonien récifal au Maroc. Notes et Mém. Serv. Géol. Maroc, N° 254, 55-86. Hollard H. (1963).Tableau stratigraphique du Dévonien du Sud de l’Ani-Atlas. Notes et Mém. Serv. Géol. Maroc, N° 172, 105-109. Hollard H., 1974. Recherches sur la stratigraphie des formations du Dévonien moyen, de l’Emsien supérieur au Frasnien, dans le Tafilalt et dans le Maider (Anti-Atlas oriental). Notes et Mém. Serv. Géol. Maroc, N° 264, 7-68. Hüssner H., 1994. Reefs, an elementary principle with many complex realizations. Beringeria, N° 11, 3-99. Massa D., Combaz A. et Manderscheid G., 1965. Observation sur les séries siluro-dévoniennes des confins algéro-marocains du Sud. Notes et Mém. Comp. Fr. Pétroles, N°8, 1-188. Michard A., 1976. Eléments de géologie marocaines. Notes et Mém. Serv. Géol. Maroc, N° 252, 439 p. Mounji D., Bourque P.A. et Savard M.M., 1996. Architecture and isotopic constraints on origin of Lower Devonian conical mounds (Kess-kess) of Tafilalt, Anti Atlas, Morocco. 17th Eur. Meeting of Sedimentology, Sfax, Abstract 192-193. Roch E., 1934. Sur des phénomènes remarquables observés dans la région d’Erfoud (confins algéro-marocains du Sud). Publ. Ass. Etud. Géol. Méditer. Occid., N° 5, 1-10. Tönneböhn R., 1991. Bildungsbedingungen epikontinentaler Dephalopodenkalke (Devon, SE-Marokko). Göttinger Arbeiten zur Geologie und Paläontologie, 47, 1-114. Walliser O.H., Bultynck P.,Weddige K., Becker R.T. et House M., 1995. Definition of the Eifelian-Givetian Stage boundary. Episodes, vol. 18, N°3, 107-115. 117 Géologues n°194 patrimoine géologique Les marqueurs permiens comme patrimoine géologique à promouvoir et à protéger dans le massif hercynien du Maroc central Mohammed El Wartiti 1 , Mohamed Zahraoui 1 et Ahmed El Hassani 2 . Préambule l’unité de Fourhal-Telt : Carbonifère ; Dans la Nature, au fil des siècles, l’Homme a puisé pour ses besoins de survie et son développement. Actuellement,dans la trilogie Nature – développement durable – environnement, on se doit de tracer des limites rouges, car une dégradation irréversible, due à une exploitation irraisonnée, a été constatée. Peut-on agir à travers des messages scientifiques explicites et ciblés pour remédier à ces dégâts, en montrant l’importance de la géologie au public c’est-à-dire en la rendant populaire tout en la préservant ? Introduction : Patrimoine géologique Le massif hercynien du Maroc central est le plus gros noyau paléozoïque des hercynides marocaines. Il est circonscrit dans une couverture méso-cénozoïque, reposent sur un socle cratonique précambrien similaire à celui de l'Anti-Atlas. Les seuls vestiges à l'affleurement de ce craton sont : le granite de Taïcha(situé au SW de Tiflet), le granite de Goâïda, ainsi que les rhyolites et les andésites de Bou Acila dans le Maroc central oriental (Fig. 1). le bassin carbonifère d'Azrou-Khénifra, à nombreuses unités allochtones. Associé aux unités de ce massif central, on trouve un large spectre de minéralisations génétiquement bien différenciées ayant fait l'objet d'exploitation : étain, tungstène, or, plomb, zinc, cuivre, argent, fluorine, barytine, antimoine, etc... Cette période géologique très favorable aux minéralisations,renferme aussi des gisements fossilifères de paléobotanique, à la fois assez fréquents géographiquement mais aussi exceptionnels en termes de biodiversité, témoignant du positionnement du territoire marocain dans une ceinture paléoclimatique tropicale. Sa valorisation et sa protection sont particulièrement légitimes, puisqu'il est avéré que les assises argileuses contenant ces végétaux fossiles sont en cours de disparition :exploitation pour usage de briqueteries, de céramique,de poterie,de matériaux de construction, d'aménagement urbain, etc... Les principales unités structurales de ce massif ont été rapprochées au cours de l’orogenèse hercynienne.Elles sont limitées par des failles et/ou des cisaillements. On distingue de l’Ouest vers l’Est : le Bloc côtier : Cambrien à Dévonien ; la zone de cisaillement de la Meseta occidentale appelée également zone de l'Oued Cherrat ; le Bloc calédonien des Sehoul ; la zone de Rabat-Tiflet : Ordovicien à Viséen ; le bassin de Sidi Bettache : Dévonien supérieur à Carbonifère ; la zone de chevauchement TsiliTafoudeit ; l’unité de Khouribga-Oulmès : Ordovicien inférieur à Carbonifère ; 118 la zone de faille Smaala-Oulmes ; Figure 1. Carte géologique du Massif Central Hercynien (source : rapport inédit ONHYM, Bled Jmeâ-Moulay Bou Azza, 2002). 1. Université Mohammed V de Rabat, Maroc. Courriel : [email protected] 2. Université Mohammed V de Rabat et Académie Hassan II des Sciences et Techniques du Maroc. Courriel : [email protected] Géologues n°194 patrimoine géologique Géodynamique et traits principaux du Permien L’époque permienne est marquée par la création de bassins intra-montagneux comblés par d'épaisses séries volcano-sédimentaires (Fig.2) ;elle est responsable de l’essentielle de l’architecture actuelle du Maroc central. En effet, la chaîne varisque qui vient d'être créée, est injectée d'importantes masses magmatiques qui remontent plus ou moins haut, au cœur de la chaîne en la réchauffant. Il s’en est suivi un découpage en plusieurs blocs à géométrie différenciée,limités par des failles profondes qui servent de drains à une importante circulation de fluides hydrothermaux chargés en éléments polymétalliques,et qui finissent par précipiter dans plusieurs paragenèses de forte, moyenne et faible température. Figure 2. Litho-stratigraphie du Permien du Maroc (source : El Wartiti, 1990). La reconstitution géodynamique de l'époque tardi-hercynienne est souvent problématique, dans la mesure où le magmatisme, calco-alcalin à alcalin, est considéré comme un marqueur de cet épisode de l'histoire varisque au Maroc. L'origine de ce magmatisme orogénique est interprétée dans un modèle qui fait intervenir le découpage de la croûte continentale par de grandes déchirures crustales cisaillantes permettant la genèse de ce magmatisme (Boushaba et al., 1987 ; El Wartiti,1990). Le premier cycle du magmatisme basique est un marqueur de la distension viséo-namurienne. Le deuxième cycle est calco-alcalin à alcalin, d'âge permien et termine l'histoire hercynienne du Maroc. Ce n'est qu'au Trias supérieur qu'auront lieu d'autres manifestations basiques, de type tholeïtique, annonciatrices du rifting atlantique. Géologie des bassins permiens L'objectif de cette note sur l'étude du Permien continental du Maroc est d’actualiser les connaissances acquises à la lumière des nombreuses et récentes découvertes d'éléments de datation. Ces nouveaux résultats se répartissent en trois catégories principales (El Wartiti, 1981 ; 1990) : la première résume l'évolution verticale et latérale de la sédimentation continentale en relation avec les variations paléo-climatiques et tectoniques ; la deuxième regroupe les données paléontologiques qui sont intimement liées à des étages bioclimatiques bien déterminés ; la dernière retrace l'évolution géodynamique (tecto- nique et volcanisme associé) de chacun des bassins dans un contexte régional. Au Maroc, les dépôts permiens sont continentaux et reposent en discordance angulaire sur un substratum cambrien à carbonifère structuré par la phase asturienne. Selon les bassins, ils sont surmontés, à leur tour, en discordance angulaire, par les dépôts du Trias supérieur ou par des terrains plus récents. L'étude litho-stratigraphique ainsi que l'analyse séquentielle et sédimentologique effectuée dans chacun des bassins permiens de la Meseta occidentale, montrent des ressemblances et des différences dans leur mode de remplissage et leur évolution géodynamique. Les produits rouges, souvent carbonatés, dominent. Ils sont toujours continentaux, à dominante détritique et s'organisent en séquences, le plus souvent positives, de conglomérats-grès-argile.Des cônes alluviaux de piedmont ou des coulées boueuses, apparaissent au début de la sédimentation ou sur les bordures.Au centre,les produits fins de plaines d'inondation dominent ; ils sont localement associés à des carbonates lacustres (calcaires à ostracodes de Mechraâ Ben Abbou), à des dépôts palustres (Freytet et al.,1992),et à des horizons pédogénétiques (Tiddas-KhénifraChougrane),parfois à des niveaux charbonneux et à cinérites de décantation (Bou Achouch).La sédimentation fluviatile est largement représentée dans la plupart des bassins par des cours d'eau en tresse (Tiddas,Khénifra,Chougrane,Mechraâ Ben Abbou),qui véhiculent le matériel arraché aux reliefs,sou- Géologues n°194 119 patrimoine géologique vent proches,vers le centre des bassins.Les variations d'épaisseur et de faciès sont brusques,la subsidence soulignée par la succession de petites séquences,montrent que les bassins sont alimentés en majorité par le substratum (Cambrien à Carbonifère) environnant,alors en relief :mais localement le matériel provenant des plutons granitiques et de leur auréole métamorphique participe aussi à ce comblement caractéristique de la fin de l’orogénèse hercynienne. La présence de niveaux lacustres à ostracodes et de nappes phréatiques oscillantes (marmorisation),l'abondance des dépôts fluviatiles et l'existence d'empreintes de gouttes de pluie et de restes végétaux,montrent que le climat n'était pas aride, mais sans doute en ceinture équatoriale, avec périodes humides et sèches plus ou moins longues. L'ouverture des bassins permiens est toujours accompagnée de manifestations volcaniques sous forme d'appareils greffés sur des failles profondes.Les bassins étudiés ont connu des distensions selon des directions NNO-SSE à NOSE. Ces dernières sont mises en évidence par l'existence de failles syn-sédimentaires observées dans tous les bassins. De nombreux marqueurs mettent en évidence l'enfouissement des bassins avec plusieurs épisodes de comblement. Il faut noter la présence de failles syn-sédimentaires et de discor- a 120 dances progressives,d’épaississements de séries vers le centre, la présence de petits horsts et grabens, etc. La subsidence est également accentuée par une activité permanente des failles bordières en transtension avec une composante verticale qui rajeunit les reliefs nourriciers. Les limites des différents bassins permiens sont toujours des contacts anormaux subrectilignes (Khénifra, Chougrane, Mechraâ Ben Abbou, Tiddas et Bouterhella) ; les marqueurs tectoniques observés dans le substratum à proximité des bordures de bassin indiquent un jeu coulissant dextre pour tous les bassins tardi-hercyniens. Nous savons actuellement que les dernières phases varisques de raccourcissement entre l'Amérique du Nord, l'Afrique et l'Europe du SO ont induit la surrection d'une chaîne de montagnes, qui est en partie permienne (phase alléghanienne) dans les Appalaches du Sud. Il s’ensuit une tectonique tardive essentiellement décrochante (grands linéaments transformant E-O) correspondant vraisemblablement à la réponse de cette hypercollision continentale. C'est dans ce contexte compressif global qu'on verrait s'ouvrir des bassins permiens intracontinentaux des régions péri-atlantiques dans un contexte géodynamique de transpression-transtension. b Figure 3. Position géographique du bassin permien de Khénifra et sa stratigraphie (source : El Wartiti, 1990). a- Colonne stratigraphique du Permien dans le compartiment méridional du bassin de Khénifra. b- Carte géologique simplifiée du bassin Permien de Khénifra. Géologues n°194 patrimoine géologique indispensable à la compréhension des mécanismes ayant abouti à la constitution de la Pangée permienne suite à la surrection de la chaîne hercynienne. Or,en raison même de sa situation géographique exceptionnelle, l'Afrique du Nord, et particulièrement le Maroc, constitue un domaine privilégié pour que des études paléobotaniques, replacées dans leur contexte sédimentaire et structural, puissent déboucher sur des résultats phytogéographiques susceptibles d'être utilisés, avec un grand profit, pour appuyer certains modèles géodynamiques, proposés par différents auteurs pour l'époque permienne (Broutin et al.,1986). Photo 1. Vue générale du bassin permien de Khénifra, ville construite sur les gisements fossilifères (source : El Wartiti, 1990). Paléontologie L’étude paléobotanique des gisements fossilifères végétaux (El Wartiti et al.,1986,1987,1990,Aassoumi,1994, 2007, Aassoumi et al., 1992, 1995) nous a servi d'outil pour, d'abord, dater avec précision les formations continentales du Permien du Maroc,et ensuite,avec les données structurales,replacer le Maroc dans un modèle géodynamique. Ce sont les gisements de Bou Achouch, de Tiddas et Khénifra, de Chougrane et de Bouterhella qui ont livré de 1986 à 2000 le plus de données nouvelles ; tous les végétaux fossiles, replacés dans leur contexte sédimentaire, ont permis de rapporter le Permien du Maroc central à de l'Autunien et cela sans ambiguïté. Les ostracodes d'eau douce extraits des calcaires lacustres de Méchraâ Ben Abbou ont donné un âge permien inférieur. Les bassins de Bou Achouch, Bouterhella,Tiddas et Khénifra se ressemblent tellement,que l'on pourrait faire d'eux un seul et grand bassin, ou des bassins très proches l'un de l'autre au sein du Massif central qui venait d'être édifié.Il est essentiel de faire ressortir qu'à cette époque, ces associations végétales sont clairement euraméricaines et appartiennent donc au domaine laurasien.Le paléoclimat était celui d'une ceinture équatoriale. Les empreintes de pattes de Vertébrés, les toutes premières découvertes dans le Permien inférieur du Maroc (bassin de Tiddas ;El Wartiti et al.,1986),se rapprochent exclusivement des formes de la province euraméricaine. Analyses détaillées des bassins de Tiddas, Bou Achouch et Khénifra Nous présentons ici les données liholostratigraphiques et paléobotaniques des trois bassins du Maroc Central : Khénifra (Fig.3 et Photo 1),Bou Achouch (Fig.4 et Photos 2 et 3) et Tiddas (Fig. 5 et Photo 4). Ces bassins ont livré des données paléontologiques particulièrement importantes,en tant qu’outils de corrélation, notamment paléobotanique, paly- Photo 2. Table cinéritique riche en végétaux fossiles (source : Bou Achouch, El Wartiti et al., 1987). Les données paléobotaniques constituent un paramètre essentiel pour les reconstitutions phytogéographiques et paléogéographiques du domaine méditerranéen occidental. Ceci d'autant plus que ces flores continentales se sont développées dans des conditions très similaires aux flores contemporaines décrites dans le sud de l'Espagne (Broutin et al.,1986). La connaissance paléontologique et chronologique approfondie du Permien du Maroc apparaît absolument Photo 3. Complexe conglomératique associé à des Vulcanites riches en végétaux de Bou Achouch, reposant sur les schistes du Viséo-Namurien (Maroc Central septentrional ; Termier 1936 ; El Wartiti, 1990). Géologues n°194 121 patrimoine géologique Figure 4. Position géographique du bassin permien de Bou Achouch et sa stratigraphie (source : El Wartiti, 1990). nologique et palichnologique. Les paléoflores, abondantes et diversifiées,sont dominées par des Conifères,des Ptéridospermes,des Cordaïtes et des Ginkgophytes,accompagnées de Filicophytes et Sphénophytes.Elles sont contemporaines aux paléo-flores du Permien inférieur de l'Europe occidentale. Des éléments gondwaniens,cathaysiens et angaridiens ont été trouvés ; il s’agit donc d’une flore « mixte ». 122 Les pélites rouges du bassin de Tiddas ont livré des empreintes de pistes d'Invertébrés, de pas de Vertébrés, et de gouttes de pluie, (El Wartiti et al., 1986 ; Broutin et al., 1987). Les genres Amphisauroides, Gilmoreichnus, du Permien inférieur du bassin de Thuringe (Allemagne), Hyloidichnus, qui sont bien connus dans les formations Hermit (Grand Canyon,Arizona) et Rabejac (Bassin de Lodève,Fran- Géologues n°194 ce), ont été récemment réinterprétés (Hmich et al., 2006). La présence de végétaux hygrophiles dans les pélites grises et rouges contemporaines, indique un environnement à périodes humides. Ceci est confirmé par la structure d'un bois (Aassoumi et al., 1996). Le bassin de Khénifra a livré aussi des empreintes de pistes de Vertébrés, attribuées à Limnopus, Dromopus et Batrachichnus (Hmich et al., 2006). Les premiers os de vertébrés amniotes, bien adaptés à la vie terrestre, ont été découverts (Hmich, 2004 ; Hmich et al., 2006). Le même gisement a fourni des végétaux méso-xérophiles et xérophiles adaptées à la sécheresse, indiquant un climat semi-humide. L'unique association sporo-pollinique, à caractère mixte, provenant de Khénifra indique un âge patrimoine géologique Figure 5. Position féographique du bassin permien de Tiddas-Sebt Aït ikkou (source : El Wartiti, 1981). « saxonien » à fin Rotliegend (Broutin et al., 1998). Les trois bassins Tiddas,Bou Achouch et Khénifra ont fournis des spores fossiles (macrospores et microspores), diversifiées et abondantes (Planches 1 et 2). L'ensemble de ces associations a été corrélé avec celles connues dans les bassins continentaux du Permien inférieur de l'Europe occidentale. C'est notamment avec les spores du bassin d'Autun (France), que des similitudes ont été remarquées, principalement avec les associations floristiques de l'assise de Millery. Les deux associations montrent la même dominance et la diversification des Calliptéridés (organes végétatifs surtout), des Cordaïtes et des Conifères. Photo 4. Vue du bassin permien de Tiddas de direction SW-NE, situé en contre-bas des reliefs viséens (source : El Wartiti, 1990). Des similitudes étroites avec les spores du bassin de Guadalcanal situé au sud-est de l'Espagne, (Broutin et al., Géologues n°194 123 patrimoine géologique 1998) ont été remarquées,surtout au niveau des groupes de Conifères et de Ginkgophytes qui présentent de nombreuses espèces en commun. Ces deux sites, se caractérisent aussi par la présence des formes particulières caractérisant le Permien cathaysien. Ce qui confère aux spores de ces deux régions leur caractère mixte.Enfin,la présence des organes reproducteurs du groupe des Peltaspermaceae dans le Maroc central est très importante. Ce groupe a été initialement considéré comme caractéristique du Mésozoïque. Il a été découvert à l'origine dans le Trias supérieur du Groenland. Puis, ces végétaux ont été reconnus dans le Permien supérieur de l'Europe du Sud, de Russie et de Chine, ainsi que dans le Permien inférieur de Chine (Broutin et al., 1998). 124 Conclusion : le Permien marocain, un patrimoine géologique à sauvegarder Les gisements fossilifères découverts dans les séries continentales permiennes, en particulier dans les trois bassins de Khénifra, Bou Achouch, Tiddas doivent être identifiés, valorisés et protégés, parce qu'ils constituent quelques chapitres essentiels de la mémoire de la Terre. La sensibilisation du grand public, toutes catégories confondues, vis-à-vis de l’importance de sauvegarde de ce patrimoine géologique est la responsabilité de tous. Les exemples pris ici, visent à faire des bassins permiens des sites protégés, vu leur grande richesse scientifique qui nous permet de remonter dans le temps jusqu’à –285 Ma Planche 1. 1- Culmitzschia laxifolia ; 2- Feysia minutifolia ; 3- Calamites gigas ; 4- Mostotchkia (Dycranophyllales) ; 5- Feysia sp. ; 6- Annularia cf. hunanensis ; 7- Walchia piniformis ; 8- Plagiozamites sp. ; Ullmania sp. ; 9- Cône mâle de Conifères ; 10- Walchia sp. ; 11- Ginkgophyllum sp. ; 12- Organe reproducteur de conifère detype Darneyella. Géologues n°194 patrimoine géologique Planche 2. 1- morceaux de tige et de racine de Mesopityoxylon tiddasense ; 2 et 3- Cônes mâles de Conifères ; 4- Pecopteris cf. aspidioides ; 5- Section transversale d'une racine à encroûtement centrifuge ; 6- Rachiphyllum sp. (Peltaspermacées) ; 7- Peltaspermum sp. (Peltaspermacées) ; 8- Empreintes de pattes d’« Antichnium salamandroides » ; 9- Sphenopteris gemanica. (Fig.6) et d’en reconstituer la vie sous une ceinture paléoclimatique équatoriale à saisons humides. Ces recherches vont certainement permettre la découverte de nouvelles données qui enrichiront les collections paléobotaniques et faunistiques, ainsi que le débat scientifique sur cette période. L’inventaire et la typologie des sites géologiques fossilifères et géomorphologiques à multiples valeurs dans ces bas- Figure 6.Reconstitution paléogéographique de bassins permiens marocains sur bloc diagramme (source :les auteurs). Géologues n°194 125 patrimoine géologique sins permiens marocains sont nécessaires pour permettre, à la fois, une exploitation de toutes substances utiles et une protection raisonné indispensable, ainsi qu'une promotion géotouristique sereine et rationnelle des différents géosites. Pour cela, la mise sur pied d’un géotourisme, dans le cadre du développement durable, doit prendre en compte une approche évitant toute dégradation irréversible. Enfin, l'élaboration d’une législation sur le géotourisme soutenable, fondée sur la protection des paysages, des coupes géologiques de références, des gisements paléontologiques et des sites classés « patrimoine culturel » qui sont une partie intégrante de notre histoire naturelle, est indispensable et est de la responsabilité de tous. Bibliographie Aassoumi H., 2007. Synthèse des données paléofloristiques et précisions biostratigraphiques du Stéphanien du Haut Atlas occidental et du Permien du Maroc Central : Paléogéographie et plaéoclimat. Thèse d’État, Univ. Rabat, 321 p. Aassoumi H., Broutin J., Youbi N.E., El Wartiti M. et Galtier J., 1995. 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