Non, les jeunes filles tamberma ne sont pas membres de seconde
zone de leur propre société. En témoigne la seconde partie de
l’ouvrage sur le mariage et ses à-côtés, ceux-ci surtout. Avec humour,
l’auteur nous décrit la situation pathétique du célibataire dont la
maison a toujours “ quelque chose d’étriqué, d’un peu hirsute ”, et se
fait le porte-voix, légèrement hypocrite, des déplorations masculines
face à l’infidélité de leurs femmes adultères. Jusque dans les recoins
de la maison de l’époux, il leur arrive parfois d’avoir plusieurs amants
en même temps. Comble de trahison, elle prennent la fuite lorsque
leurs maris, devant un bon repas, s’imaginent posséder une cuisinière
attentionnée. Et si les mariages par échange différé (d’un garçon avec
la fille de la tante paternelle) ont la faveur des patriarches, les jeunes
courageux leur préfèrent ceux du rapt organisé avec l’active complicité
de la fille. Quoi qu’il en soit, le rite matrimonial s’avère être aussi un
processus codifié d’enlèvement, le groupe du mari cherchant à
emmener la promise et les gens de la famille de la femme
s’interposant, soit par la force, soit par des demandes d’argent. Mais si
ce schéma se retrouve chez de multiples sociétés traditionnelles, la
teneur du rôle principal féminin en est ici différente. La mariée,
traditionnellement hurlante chez les Kotokoli du voisinage, se montre
d’une tristesse plus sobre chez les Mossi du Burkina Faso. Or,
comment se comporte la femme enlevée-emmenée légitimement chez
les Tamberma ? Juchée sur les épaules des gens du mari, elle agite son
fouet au-dessus des montures humaines. De même que dans les
parties visibles des danses d’initiation, c’est une jeune guerrière qui
apparaît, et non une captive défaite.
4
Ne parlons pas de la morgue de la fillette de six ans sollicitée
matrimonialement par un patriarche (pour son petit-fils). Certes, nous
sommes dans un monde de donneurs et de preneurs de femmes, mais
contrairement au modèle batak indonésien, où l’épouse fait corps avec
son mari, l’humble “ receveur d’épouse ”, ici, même la fillette
s’identifie non à la “ donnée ” mais aux donateurs, objets, comme on
sait, d’une reconnaissance infinie. Par ailleurs, il arrive souvent,
raconte Dominique Sewane, qu’une très jeune fille choisisse un
homme qui lui plaise en vue du mariage. L’entourage respecte sa
décision. Cet ensemble de comportements ne suggère certes pas une
dominance féminine de la société, mais montre que la part féminine
ré-élabore et façonne par le biais de l’infraction conjugale, comme par
celle des choix impliqués dans la normalité, le style de comportement
le plus prisé des Tamberma (ou Batammariba) : celui qui marque la
distance de l’individu par rapport aux normes collectives et son
indépendance en tant que sujet social.
5
Un mot aussi pour souligner le caractère exceptionnel du livre.
L’auteur a été longtemps l’hôte des Batammariba et a entretenu des
relations particulièrement chaleureuses avec plusieurs familles.
6