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SEWANE, Lallemand La Nuit des Grands Morts. L’initiée et l’épouse chez les Tamberma du Togo

Journal des
africanistes
74-1/2 | 2004 :
Cité-État et statut politique de la ville en Afrique et ailleurs
Mélanges
Comptes rendus
SEWANE, Dominique, La
Nuit des Grands Morts.
L’initiée et l’épouse chez
les Tamberma du Togo
Préface de Jean Malaurie, ill., bibl., Paris,
Economica, collection « Afrique Cultures », 2002,
272 pages
SUZANNE LALLEMAND
p. 527-529
Texte intégral
1
Dans le cycle de vie féminin tamberma1, deux moments ont été
retenus par Dominique Sewane : celui par lequel l’individu est
socialement autorisé à passer du statut d’enfant à celui de fille sexuée
et féconde – le rite initiatique, le rite pubertaire. Et celui, ultérieur, où
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elle prend mari ou en est prise – l’alliance matrimoniale. Moments
électifs pour l’ethnologue, qui sait décoder, dans les différentes
séquences des rituels, les significations attribuées aux institutions
locales par ceux qui choisissent de les perpétuer, ainsi que le poids
d’adhésion, d’affirmation identitaire impliqué lors de l’enquête.
Le rite pubertaire d’abord : il n’a jamais été facile d’en être le
témoin, lorsqu’on n’est ni tante paternelle ni adolescente. Maintenant,
c’est bien pis : le rite rétrécit à vive allure, il tend à devenir
squelettique en temps et en contenu. Au mieux, il change de sens et se
trouve des objectifs nouveaux : l’affirmation d’une entité régionale
face à l’idéal hégémonique de l’Etat, la reconnaissance en termes de
symbolique religieuse (mais d’une religion en péril de discrédit) ou la
carence de l’accompagnement collectif d’une maturation physique et
psychique que l’éducation scolaire ou professionnelle ne prétend pas
assurer. De conformiste, il tend à apparaître comme provocateur, mais
les conditions traditionnelles de mise en place varient peu. Aucun
touriste ne peut se targuer de restituer, comme dans ces pages, les
trois jours de réclusion des jeunes filles tamberma. Leur mise à mort
symbolique et leur résurrection, nécessaires au déroulement de ce type
de rituel, ne constituent pas encore un spectacle. À ce sujet, deux
observations : les étranges catalepsies des adolescentes, leur baisse de
température par laquelle elles manifestent un contact avec l’univers de
leurs défunts est fort rare en Afrique de l’ouest ; habituellement, c’est
plutôt par un excès de dynamique gestuelle inséré dans une
chorégraphie – les danses de possession – que cette vaste région
exprime la soudaine et brutale connivence avec l’au-delà ; donc,
rendons hommage à cette originalité, cultuelle et culturelle. Les
formes de ces morts et résurrections initiatiques seront d’ailleurs
réutilisées ultérieurement dans la vie religieuse des femmes
tamberma.
L’autre remarque touche au statut des deux sexes. Des ethnologues
et des psychanalystes ont constaté que, vis-à-vis des rites pubertaires
pratiqués sur plusieurs continents, les garçons et les filles ne se
situaient pas en position de symétrie. Disons que les filles, selon eux,
ne disposeraient que d’un écho didactique et cérémoniel atténué de
cette étape importante du cycle de vie par rapport à leurs
compagnons ; ce qui contribuerait à faire d’elles des membres de
seconde zone de leurs sociétés, ou du moins, signerait une certaine
indifférence sociale à leur sujet. Or, chez les Tamberma (ou
Batammariba), Dominique Sewane constate que ce sont les filles qui,
sur le plan de l’ordonnancement diachronique des cérémonies
touchant tous les adolescents, sont initiées les premières. Et que les
contenus de leurs rituels n’ont guère l’allure de résidus par rapport
aux phases masculines, puisque les unes et les autres sont affrontés à
des épreuves et vivent des épisodes entièrement différents.
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Non, les jeunes filles tamberma ne sont pas membres de seconde
zone de leur propre société. En témoigne la seconde partie de
l’ouvrage sur le mariage et ses à-côtés, ceux-ci surtout. Avec humour,
l’auteur nous décrit la situation pathétique du célibataire dont la
maison a toujours “ quelque chose d’étriqué, d’un peu hirsute ”, et se
fait le porte-voix, légèrement hypocrite, des déplorations masculines
face à l’infidélité de leurs femmes adultères. Jusque dans les recoins
de la maison de l’époux, il leur arrive parfois d’avoir plusieurs amants
en même temps. Comble de trahison, elle prennent la fuite lorsque
leurs maris, devant un bon repas, s’imaginent posséder une cuisinière
attentionnée. Et si les mariages par échange différé (d’un garçon avec
la fille de la tante paternelle) ont la faveur des patriarches, les jeunes
courageux leur préfèrent ceux du rapt organisé avec l’active complicité
de la fille. Quoi qu’il en soit, le rite matrimonial s’avère être aussi un
processus codifié d’enlèvement, le groupe du mari cherchant à
emmener la promise et les gens de la famille de la femme
s’interposant, soit par la force, soit par des demandes d’argent. Mais si
ce schéma se retrouve chez de multiples sociétés traditionnelles, la
teneur du rôle principal féminin en est ici différente. La mariée,
traditionnellement hurlante chez les Kotokoli du voisinage, se montre
d’une tristesse plus sobre chez les Mossi du Burkina Faso. Or,
comment se comporte la femme enlevée-emmenée légitimement chez
les Tamberma ? Juchée sur les épaules des gens du mari, elle agite son
fouet au-dessus des montures humaines. De même que dans les
parties visibles des danses d’initiation, c’est une jeune guerrière qui
apparaît, et non une captive défaite.
Ne parlons pas de la morgue de la fillette de six ans sollicitée
matrimonialement par un patriarche (pour son petit-fils). Certes, nous
sommes dans un monde de donneurs et de preneurs de femmes, mais
contrairement au modèle batak indonésien, où l’épouse fait corps avec
son mari, l’humble “ receveur d’épouse ”, ici, même la fillette
s’identifie non à la “ donnée ” mais aux donateurs, objets, comme on
sait, d’une reconnaissance infinie. Par ailleurs, il arrive souvent,
raconte Dominique Sewane, qu’une très jeune fille choisisse un
homme qui lui plaise en vue du mariage. L’entourage respecte sa
décision. Cet ensemble de comportements ne suggère certes pas une
dominance féminine de la société, mais montre que la part féminine
ré-élabore et façonne par le biais de l’infraction conjugale, comme par
celle des choix impliqués dans la normalité, le style de comportement
le plus prisé des Tamberma (ou Batammariba) : celui qui marque la
distance de l’individu par rapport aux normes collectives et son
indépendance en tant que sujet social.
Un mot aussi pour souligner le caractère exceptionnel du livre.
L’auteur a été longtemps l’hôte des Batammariba et a entretenu des
relations particulièrement chaleureuses avec plusieurs familles.
L’implication personnelle, le sens du détail menu mais signifiant,
donnent du prix à ce témoignage d’ethnologue. La sensibilité de
Dominique Sewane, très à fleur de texte dans ses interprétations
d’autant plus riches que l’hésitation, l’incertitude n'en sont pas
absentes, s’y associe à une grande qualité d’écriture.
Notes
1 “ Tamberma ” est le nom attribué par l’administration coloniale aux
Batammariba du Togo, qui s’est ensuite officialisé.
Pour citer cet article
Référence papier
Suzanne Lallemand, « SEWANE, Dominique, La Nuit des Grands Morts.
L’initiée et l’épouse chez les Tamberma du Togo », Journal des africanistes,
74-1/2 | 2004, 527-529.
Référence électronique
Suzanne Lallemand, « SEWANE, Dominique, La Nuit des Grands Morts.
L’initiée et l’épouse chez les Tamberma du Togo », Journal des africanistes
[En ligne], 74-1/2 | 2004, mis en ligne le 04 avril 2007, consulté le 30
octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/africanistes/377
Auteur
Suzanne Lallemand
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MARTINELLI Bruno, BOUJU Jacky (dir.), 2012, Sorcellerie et violence en
Afrique|FANCELLO Sandra (dir.), 2015, Penser la sorcellerie en Afrique
[Texte intégral]
Paris, Karthala, 331 p.|Paris, Hermann, 310 p.
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Nanterre, Société d’Ethnologie
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BARTHELEMY Pascale, 2010, Africaines et diplômées à l’époque
coloniale (1918-1957) [Texte intégral]
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Droits d’auteur
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