BRONCHOPNEUMOPATHIE CHRONIQUE OBSTRUCTIVE : QUELLE PLACE POUR LES SOINS PALLIATIFS ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Montréal - - 132.204.9.239 - 23/01/2020 16:24 - © Médecine & Hygiène Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Médecine & Hygiène | « InfoKara » 2009/3 Vol. 24 | pages 99 à 104 ISSN 1021-9056 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-infokara1-2009-3-page-99.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Médecine & Hygiène. © Médecine & Hygiène. Tous droits réservés pour tous pays. 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Alain Sauty 1 , Claudia Mazzocato 2 1 Pneumologue, PD, ancien médecin adjoint au CHUV, Lausanne 2 Médecin en soins palliatifs, PD et MER, Médecin cheffe, Service de soins palliatifs, CHUV, Lausanne Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Montréal - - 132.204.9.239 - 23/01/2020 16:24 - © Médecine & Hygiène Summary : Chronic Obstructive Pulmonary Disease : what place for palliative care ? – COPD is a major cause of morbidity and mortality. It is associated with a progressive deterioration of respiratory capacity, often punctuated by acute exacerbations that might lead to death. While COPD is a chronic disease that may have substantial physical and psychological repercussions, most patients do not have access to appropriate palliative care. This is partly due to uncertainty in predicting life prognosis and to inadequate communication between patients and caregivers on the one hand and between specialists on the other hand. It is essential that physicians recognize depression and anxiety which affect many COPD patients. Close collaboration between GP’s, pneumonologists, and palliative care teams should allow a better approach to patients’ needs, and better discussion of therapeutic and palliative possibilities. In addition, advance care planning could help the patient to better understand his future and lead to improved communication between patients and caregivers. Introduction Epidémiologie La bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) représente un problème majeur de santé publique puisqu’elle est actuellement la quatrième cause de mortalité dans le monde. La progression de l’atteinte pulmonaire ainsi que l’atteinte systémique associée peuvent conduire à une limitation respiratoire invalidante, à des complications cardio-vasculaires voire au décès. Lorsque les ressources médicales sont épuisées mais que le patient répond à des critères bien particuliers, une transplantation pulmonaire peut être envisagée. Cela ne concerne toutefois qu’un nombre limité de malades. Les travaux menés ces dix dernières années montrent que les patients souffrant de BPCO avancée ont une mauvaise qualité de vie, présentent de nombreux symptômes physiques et psychologiques insuffisamment identifiés et sont confrontés à un isolement social et à une perte d’autonomie précoce dans le cours de leur maladie. Cependant, ils n’ont que rarement accès à une approche palliative adéquate. Cet article passe en revue les particularités médicales de ces patients, leurs divers besoins et les barrières qui s’opposent à une prise en charge palliative. Il esquisse également quelques pistes de réflexion pour améliorer cet état de fait. La BPCO est la seule cause majeure de mortalité dont la prévalence augmente dans le monde [1, 2]. On estime qu’en 2020, la BPCO sera la troisième cause de mortalité et la cinquième cause d’infirmité [3]. Le tabagisme est le facteur de risque principal dans 80-90% des cas dans les pays développés. La prévalence de la BPCO dans la population suisse de 18 à 60 ans est de 9.1% avec une incidence de 1.3% par an [4]. On peut ainsi estimer qu’il y a environ 400-450 000 patients BPCO en Suisse. Dans une étude suédoise, on relève une prévalence de 14% chez les sujets 45 ans et de plus de 66% chez les fumeurs 76 ans [5]. Aux USA, les coûts engendrés par la prise en charge des patients présentant une BPCO sont comparables à ceux d’autres maladies chroniques comme le diabète ou les maladies cardio-vasculaires. Il faut noter que la moitié des coûts est due aux hospitalisations [6]. Correspondance: Alain Sauty, av. Rumine 31, 1005 Lausanne, Suisse. Tél. : 021 321 20 64 Fax : 021 320 64 98. Courriel : [email protected] INFOKara, vol. 24, N° 3/2009 Définition La BPCO comprend un ensemble de maladies caractérisées par une obstruction bronchique progressive et irréversible, comme on peut le voir dans l’emphysème. La BPCO est liée à une inflammation dont la principale cause, dans les pays développés, est le tabagisme [7]. Clinique99 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Montréal - - 132.204.9.239 - 23/01/2020 16:24 - © Médecine & Hygiène Résumé : Bronchopneumopathie chronique obstructive : quelle place pour les soins palliatifs ? – La BPCO est une importante cause de morbidité et de mortalité. Elle est associée à une détérioration progressive de la capacité respiratoire souvent rythmée par des exacerbations aiguës qui peuvent conduire au décès. Alors qu’il s’agit d’une maladie chronique pouvant avoir de considérables répercussions physiques et psychiques, la plupart des patients n’ont pas accès à une approche palliative adéquate. Ceci est en partie dû à la difficulté d’établir un pronostic vital correct et à une communication insuffisante entre patients et thérapeutes d’une part et entre spécialistes concernés d’autre part. Une étroite collaboration entre médecins de premier recours, pneumologues et spécialistes en soins palliatifs devrait permettre une meilleure prise en charge du patient BPCO en ce qui concerne ses besoins et de mieux identifier les approches thérapeutiques et palliatives possibles. Le recours aux directives anticipées peut aider le patient à mieux comprendre et accepter son futur, et conduire à l’amélioration de la communication patient-soignants. 02_sauty.qxp 24.8.2009 9:10 Page 100 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Montréal - - 132.204.9.239 - 23/01/2020 16:24 - © Médecine & Hygiène ment, elle se manifeste par une dyspnée d’effort progressive et souvent par une toux, fréquemment banalisée. De plus, la BPCO peut s’associer à des effets extra-pulmonaires ou des comorbidités tels qu’atteintes cardio-vasculaires, modification de la composition corporelle, ostéoporose et cancer pulmonaire [8, 9]. Le diagnostic de BPCO repose sur les valeurs spirométriques. Selon les recommandations GOLD (Global initiative for chronic Obstructive Lung Diseases) [7], un syndrome obstructif irréversible est présent lorsque le rapport de Tiffeneau (volume expiré maximal en 1 sec (VEMS/capacité vitale forcée (CVF)) est 70% malgré l’administration de broncho-dilatateurs. Il faut savoir que le rapport de Tiffeneau fixé à 70% entraîne un excès de diagnostic chez les patients de plus de 60 ans [2, 10]. Le degré de sévérité de la BPCO (stade I à IV) s’établit sur la valeur du VEMS et détermine le traitement à proposer (Tableau I) [7]. Dans les stades I, le traitement comprend les bronchodilatateurs à la demande ou en traitement de fond. A partir du stade II, on préconise également le réentraînement à l’effort. Au stade III, les stéroïdes topiques peuvent être ajoutés si le patient présente de fréquentes exacerbations. Au stade IV, il faut considérer l’oxygénothérapie, la ventilation non invasive (VNI) et les techniques chirurgicales telles que la chirurgie de réduction de volume ou la transplantation [7, 11]. Il faut bien entendu encourager les patients à cesser de fumer à tous les stades. Il est important de relever que les manifestations systémiques de la BPCO ne sont pas mesurables par le VEMS. Pour cette raison, Celli et al. ont développé un index (index de BODE) qui tient compte du BMI, du degré d’obstruction bronchique, de la dyspnée et de la capacité physique [12]. Cet index, qui a été validé prospectivement, est un meilleur indicateur pronostic de décès (toutes causes confondues) que le VEMS. Atteintes systémiques et comorbidités d’une inflammation pulmonaire et systémique [8]. La BPCO est un facteur de risque indépendant du cancer pulmonaire [13] et il est possible que certaines cytokines inflammatoires jouent un rôle promoteur. La BPCO augmente le risque de mortalité cardio-vasculaire et d’hospitalisation pour cause de problèmes cardiovasculaires [14]. Des études suggèrent que les atteintes cardio-vasculaires et les cancers pulmonaires représentent les causes les plus fréquentes de mortalité dans les BPCO modérées à sévères alors que c’est l’insuffisance respiratoire qui en est la principale responsable dans les formes très sévères [8, 9]. La BPCO est fréquemment associée à des troubles de la composition corporelle. Une baisse de masse musculaire est présente chez près de 30% des patients avec un VEMS entre 30-70% [15]. Elle peut être associée à une baisse de l’index de masse corporel (IMC) qui est un facteur de mauvais pronostic [12]. La baisse de la masse musculaire s’accompagne d’une intolérance à l’effort, d’une fatigue et d’une aggravation de la dyspnée. D’autre part, un nombre significatif de patients BPCO souffre d’obésité malgré une baisse de masse musculaire [16]. Cette obésité peut entraîner une résistance à l’insuline et contribuer au risque de maladie cardio-vasculaire. Il est important de noter qu’en raison de la dyspnée, nombre de patients réduisent leur activité physique ce qui contribue à aggraver la perte de masse musculaire. Enfin, les troubles de la composition corporelle s’aggravent encore lorsque les patients nécessitent des stéroïdes systémiques au long cours. Prise en charge de la BPCO Selon les guidelines internationales et suisses prise en charge de la BPCO reposent sur : [7, 17], la 1. La détermination et le monitoring de l’atteinte respiratoire. 2. La réduction des facteurs de risque. Le rapport entre la BPCO et les comorbidités associées n’est pas clair. Différentes études suggèrent la présence Tableau I : Degré de sévérité de la BPCO selon GOLD [7]. * Stade I : léger VEMS/CVF 0.70 VEMS* 80% du prédit Stade II : modéré VEMS/CVF 0.70 50% VEMS* < 80% du prédit Stade III : sévère VEMS/CVF 0.70 30% VEMS* 50% du prédit Stade IV : très sévère VEMS/CVF 0.70 VEMS* 30% du prédit ou VEMS* 50% + insuffisance respiratoire chronique** VEMS mesuré après l’administration de bronchodilatateurs. ** PO2 (pression partielle d’O2) 60 mmHg. 100 3. Le traitement de la BPCO stabilisée (bronchodilatateurs, stéroïdes topiques, réentraînement à l’effort, oxygénothérapie, vaccins). 4. Le traitement des exacerbations (intensifications des traitements en cours, antibiothérapie, VNI). 5. Les traitements chirurgicaux (bullectomie, résection de volume, transplantation). La prise en charge palliative de ces patients, dont la maladie est évolutive et incurable, est habituellement à peine esquissée dans les recommandations de prise en charge [7]. Cependant, l’American College of Chest Physicians a pris position en soutenant la prise en charge palliative de patients souffrant de maladies respiratoires ou cardiaques chroniques [18]. Dans les guidelines communes de INFOKara, vol. 24, N° 3/2009 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Montréal - - 132.204.9.239 - 23/01/2020 16:24 - © Médecine & Hygiène A. Sauty, C. Mazzocato, Bronchopneumopathie chronique obstructive : quelle place pour les soins palliatifs ? 02_sauty.qxp 24.8.2009 9:10 Page 101 A. Sauty, C. Mazzocato, Bronchopneumopathie chronique obstructive : quelle place pour les soins palliatifs ? Besoins des patients BPCO en fin de vie Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Montréal - - 132.204.9.239 - 23/01/2020 16:24 - © Médecine & Hygiène Plusieurs études récentes ont cherché à identifier les besoins des patients atteints d’une BPCO avancée. Malgré leur hétérogénéité en termes de populations et d’outcomes, toutes s’accordent sur un point, ces patients souffrent d’une mauvaise qualité de vie [20, 24]. Skilbeck et al. [24] ont évalué, à l’aide une échelle numérique (0 : pauvre –100 : excellent), la qualité de vie de 63 patients sévèrement atteints. Le score moyen était de 33. Un score bas était corrélé avec un isolement social plus important. Dans l’étude SUPPORT portant sur une large cohorte de patients atteints de BPCO sévère, 75% d’entre eux décrivaient leur qualité de vie comme passable ou faible [20]. Selon une étude récente, la faible qualité de vie chez ces patients est étroitement corrélée avec la « charge » en symptômes [25]. Une méta-analyse conduite par Solano et al. révèle que leur prévalence est similaire à celle des patients atteints d’un cancer avancé (Tableau II) [26]. La morbidité psychologique est également élevée. Gore et al. [27] ont étudié au moyen de divers questionnaires de qualité de vie 50 patients avec BPCO sévère, hospitalisés à au moins une reprise pour une décompensation hypercapnique, et 50 patients avec cancer pulmonaire inopérable. Il ressort de cette étude que 90% des patients avec BPCO vs 52% avec cancer pulmonaire souffraient d’anxiété et de dépression. Les malades avec BPCO se sentaient plus frustrés et « fâchés » contre leur maladie. Malheureusement, seuls 50% des patients avec anxiété et dépression sévères sont traités [28]. Les patients COPD expérimentent également un déclin fonctionnel nettement plus précoce que les patients cancéreux. Alors que 14% seulement de ces derniers ont des difficultés à se lever d’une chaise ou de leur lit un an avant leur décès, 35% des premiers rencontrent de telles difficultés à ce stade dévolution de leur maladie [29]. MalTableau II : Prévalence des symptômes chez les patients atteints d’un cancer et d’une BPCO avancés [26]. Symptômes Patients BPCO (%) Patients cancéreux Dyspnée 60-88 10-70 Fatigue 68-80 10-70 Anxiété 51-75 13-79 Douleur 34-77 35-96 Dépression 37-71 3-77 Insomnies 55-65 9-69 Anorexie 33-67 30-92 Constipation 27-44 23-65 INFOKara, vol. 24, N° 3/2009 gré ces besoins, ils ne reçoivent que peu de soutien des services de soins de la communauté [22, 27, 30] et vivent dans un grand isolement social [24, 31] La charge qui pèse sur leurs proches est également très lourde [23, 32, 33]. Gore et al. ont montré que les patients BPCO avaient moins de chance de décéder à la maison que ceux avec cancer pulmonaire [27]. Les besoins en informations, qui semblent particulièrement élevés dans cette population [34], ne sont pas non plus satisfaits. Près de 99% des patients avec maladies respiratoires chroniques inclus dans un programme de réhabilitation souhaitaient discuter de directives anticipées avec leur médecin [35]. Pourtant, seuls 19% d’entre eux ont eu une telle discussion et seulement 15% ont abordé le sujet de l’intubation et de la ventilation mécanique. Accès aux soins palliatifs Plusieurs travaux ont comparé la prise en charge palliative de patients présentant une BPCO sévère avec celle de patients souffrant de cancer pulmonaire. L’étude SUPPORT [20] a évalué les désirs de soins et la prise en charge médicale de 1008 patients avec BPCO sévère en exacerbation et de 939 patients avec cancer pulmonaire qui étaient hospitalisés dans 5 hôpitaux américains. Dans les 2 groupes, environ 60% des sujets souhaitaient des soins de confort et 80% ne voulaient pas d’intubation prolongée. Parmi les patients qui décédèrent durant leur hospitalisation, 70% de ceux avec BPCO vs 20% de ceux avec cancer pulmonaire ont été intubés et 25% vs 8% ont été réanimés. Dans une étude rétrospective portant sur les ressources médicales durant les 6 derniers mois de vie de patients souffrant de BPCO ou de cancer pulmonaire, les sujets BPCO avaient 2 fois plus de chance d’être hospitalisés en soins intensifs et recevaient, en moyenne, moins d’opioïdes et de benzodiazépines. Dans l’étude, déjà citée, de Gore et al. [27], 0% des patients BPCO vs 30% des patients avec cancer ont reçu l’aide d’une équipe de soins palliatifs. Les patients avec BPCO n’avaient généralement pas d’évaluation périodique de leurs besoins. Obstacles à l’accès aux soins palliatifs Pourquoi alors les patients BPCO sévères ne bénéficientils pas de soins palliatifs appropriés? S’il existe divers obstacles à un accès aux soins palliatifs pour les patients en fin de vie, toutes pathologies confondues [36], certains sont spécifiques aux patients BPCO. Incertitude pronostique Pour beaucoup de cliniciens, l’élément clef déterminant l’intervention des soins palliatifs est le caractère terminal 101 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Montréal - - 132.204.9.239 - 23/01/2020 16:24 - © Médecine & Hygiène l’American Thoracic Society et de la European Respiratory Society de 2004 [19], les aspects éthiques et palliatifs en lien avec la BPCO sont abordés de façon plus extensives. 02_sauty.qxp 24.8.2009 9:10 Page 102 A. Sauty, C. Mazzocato, Bronchopneumopathie chronique obstructive : quelle place pour les soins palliatifs ? Figure 1 : Trajectoires du cancer et des maladies pulmonaires chroniques [43]. souvent à la faveur d’une nouvelle exacerbation, que le décès survient. Etablir un pronostic vital est donc difficile dans la BPCO et l’intégration de l’équipe de soins palliatifs dans la prise en charge du malade est souvent retardée. Le patient et sa maladie Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Montréal - - 132.204.9.239 - 23/01/2020 16:24 - © Médecine & Hygiène Un autre facteur limitant l’accès aux soins palliatifs chez ces patients est leur manque d’informations sur la nature de leur maladie et son évolution [35] et, par là même, leur implication dans les prises de décision les concernant. Dans la mesure où le pronostic vital est difficile à établir, il est souvent délicat pour le médecin d’en parler avec le malade. Plus de 80% des généralistes pensent avoir un rôle important dans la discussion sur le pronostic avec le patient BPCO oxygéno-dépendant. De plus, plus de 70% de ces mêmes généralistes estiment nécessaire de le faire mais 33% n’en parlent que rarement ou pas du tout trouvant ardu d’entrer en discussion sur le sujet [39]. Il faut souligner que la moitié d’entre eux ne savent pas si les patients le souhaitent. Une étude canadienne a montré que la discussion concernant la ventilation mécanique se fait tard dans l’évolution de la maladie, le plus souvent aux soins intensifs et seulement dans 23% des cas en consultation ambulatoire [40]. Dans un questionnaire portant sur les barrières à la communication entre le patient et les soignants, 2 items étaient présents chez plus de 50% d’un collectif de patients BPCO oxygéno-dépendants : « je préfère me concentrer sur ma survie que de parler de mort » et « je ne suis pas sûr de quel médecin s’occupera de moi si je deviens très malade » [41] suggérant que le patient redoute d’être abandonné par son médecin à la fin de sa vie. Manque d’expertise des soins palliatifs et des pneumologues Diverses tentatives ont été menées dans l’objectif de développer des outils permettant au clinicien d’identifier les patients BPCO avec une survie égale ou inférieure à six mois. Le pronostic vital dépend d’un certain nombre d’éléments dont : le degré d’obstruction bronchique ; le déclin du VEMS ; le tabagisme ; les exacerbations et leurs fréquences ; les comorbidités notamment cardiaques ; la perte de poids (notamment de la masse maigre) et l’âge [38]. L’index de BODE, qui intègre un certain nombre de ces facteurs, est actuellement le meilleur index pronostic [12] mais il ne tient pas compte des exacerbations. Or c’est 102 Un troisième élément susceptible de limiter l’accès aux soins palliatifs est le manque d’expertise des spécialistes concernés au sujet la prise en charge palliative dans la BPCO. Les équipes de soins palliatifs se sont initialement focalisées sur les patients atteints de cancer et ce n’est que depuis quelques années que les besoins des patients atteints d’autres maladies chroniques sont reconnus. Il n’est pas évident que l’expérience acquise en oncologie leur soit transférable telle quelle. Par ailleurs, les patients BPCO peuvent bénéficier même tardivement de traitements susceptibles d’améliorer leur pronostic et/ou leur qualité de vie. Ce manque d’expertise et la nécessité de concilier les approches curative et palliative complexifient l’intervention des soins palliatifs [42]. Enfin, peu de pneumologues ont acquis des connaissances en soins palliatifs ce qui les rend peu sensibles à une telle approche. INFOKara, vol. 24, N° 3/2009 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Montréal - - 132.204.9.239 - 23/01/2020 16:24 - © Médecine & Hygiène de la maladie. La trajectoire d’un cancer permet d’identifier relativement aisément cette phase. Cette pathologie se caractérise généralement par une première phase de plusieurs mois ou années, où l’état du patient est relativement stable et conservé, suivie de la phase terminale, définie par un rapide et brutal déclin aboutissant au décès en quelques semaines ou mois. Une phase terminale aussi clairement déterminée n’est pas la règle dans la BPCO. Sa trajectoire est caractérisée par un déclin progressif de l’état du patient sur quelques années ponctué d’épisodes aigus, dont l’un aboutira au décès. Le moment de la mort reste incertain jusqu’à l’épisode fatal [37] (Figure 1). Cette incertitude pronostique est bien illustrée par l’étude SUPPORT. Cinq jours avant leur décès, la prédiction d’une survie à 6 mois était 10% pour les patients atteints d’un cancer pulmonaire mais 50% pour ceux avec BPCO [20]. 02_sauty.qxp 24.8.2009 9:10 Page 103 A. Sauty, C. Mazzocato, Bronchopneumopathie chronique obstructive : quelle place pour les soins palliatifs ? Les obstacles identifiés offrent de précieuses indications pour améliorer la prise en charge palliative des patients BPCO. Identification des patients relevant des soins palliatifs Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Montréal - - 132.204.9.239 - 23/01/2020 16:24 - © Médecine & Hygiène Identifier les patients BPCO susceptibles de bénéficier des soins palliatifs est le premier enjeu et les critères mentionnés ci-dessus fournissent une aide pronostique. Une approche palliative devrait être envisagée en présence de l’un deux. Le recours au pronostic comme seul critère de sélection risque néanmoins d’exclure un certain nombre de patients de cette approche. Le Gold Standards Framework [43], un programme développé en Grande-Bretagne dans l’objectif d’améliorer l’accessibilité et la qualité des soins palliatifs à domicile, propose d’y associer deux autres repères. Le premier est formulé sous forme d’une question intuitive au médecin traitant: «Seriez-vous surpris si ce patient venait à décéder dans les six ou douze mois à venir ? ». Le second consiste à évaluer si le patient souhaite une prise en charge palliative ou présente des besoins de cet ordre. Dépistage précoce des besoins bio-psycho-sociaux Le deuxième élément clef est un dépistage systématique et régulier des besoins des patients. Comme déjà évoqué, ceux-ci souffrent de nombreux symptômes physiques et psychologiques, dont la dépression chez 40% d’entre eux [44], face auxquels ils vont tenter de s’adapter sans s’en plaindre au médecin. Ils réduisent par exemple progressivement leur champ d’activité pour s’adapter à la dyspnée et peuvent ainsi perdre plus de 50% de leur capacité respiratoire avant de signaler une dyspnée d’effort. Communication avec le patient Les médecins peuvent craindre de traumatiser leurs patients en abordant avec eux les questions ayant trait à la progression de leur maladie, leurs attentes et leurs craintes ainsi que les options possibles en termes de traitement et de soins. Pourtant de telles discussions, faites précocement, si possible dans une période de stabilité de la maladie et hors hospitalisation, contribuent souvent à apaiser les craintes liées à l’incertitude de l’avenir. Il s’agit notamment d’aborder avec le patient les traitements possibles de la dyspnée, en particulier la ventilation mécanique, la VNI et les approches médicamenteuses. De tels entretiens peuvent déboucher sur la rédaction de directives anticipées dont certains modèles ont été proposés [45, 46]. Il convient aussi de bien informer les proches des complications, notamment respiratoires, qui peuvent survenir, surtout si le patient reste à domicile. La disponibilité du médecin traitant est clairement un atout qui rassurera le patient et sa famille, en particulier en ce qui concerne la prise en charge de la dyspnée en fin de vie. Collaboration pluridisciplinaire Le dernier élément est la nécessité de développer la collaboration entre médecins traitants, pneumologues et palliatologues dans l’objectif de définir des stratégies multidisciplinaires de prise en charge adaptées à la singularité de chaque patient. Cette mise en commun des compétences, qui associe approche curative et palliative, permet un enrichissement mutuel de ces différentes disciplines tout en offrant au patient tous les atouts pour une meilleure qualité de vie même en fin de vie. Conclusion La prise en charge palliative de patients souffrant de BPCO est trop souvent insuffisante voire inexistante. Plusieurs facteurs y contribuent, notamment la difficulté de prédire correctement le cours de la maladie et les problèmes de communications entre malades et soignants. L’approche palliative doit être envisagée assez tôt et certains facteurs pronostics peuvent guider le médecin dans sa démarche. D’autre part, les patients devraient être mieux informés concernant l’évolution de leur maladie, les différentes approches thérapeutiques et ce que les soins palliatifs peuvent leur offrir même si une transplantation pulmonaire est envisagée. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Hurd SS. International efforts directed at attacking the problem of copd. Chest 2000 ; 117 : 336S-338S. 2. Medbo A, Melbye H. Lung function testing in the elderly – can we still use fev1/fvc 70% as a criterion of copd ? Respir Med 2007 ; 101 : 1097-1105. 3. Murray CJ, Lopez AD. Alternative projections of mortality and disability by cause 1990-2020: Global burden of disease study. Lancet 1997; 349: 1498-1504. INFOKara, vol. 24, N° 3/2009 4. Bridevaux PO, Gerbase MW, Probst-Hensch NM, Schindler C, Gaspoz JM, Rochat T. Long-term decline in lung function, utilisation of care and quality of life in modified gold stage 1 copd. Thorax 2008 ; 63 : 768-774. 5. 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