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L'économie mondiale comme système : Introduction

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L'ECONOMIE
COMME
MONDIALE
SYSTEME
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Cet ouvrage a été honoré
d'une subvention du
Ministère des Universités
G) Ed. Presses Universitaires de Lyon, 1979
86, rue Pasteur, 69365 - LYON Cédex 2
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COLLECTION
SCIENCE DES SYSTEMES
dirigée par J.P. ALGOUD et D. DUFOURT
Daniel DUFOURT
L ' E C O N O M I E
COMME
M O N D I A L E
S Y S T E M E
PRESSES UNIVERSITAIRES
DE LYON
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I N T R O D U C T I O N
En l'an 1600, des négociants flanqués de quelques gentilshommes fondent
à Londres 17ze Company o f Mer chants o f London trading into the East Indies.
Parmi les 208 souscripteurs on trouve 23 actionnaires de la Compagnie du
Levant (1). Transformée en société par actions en 1612, la Compagnie rapporte
en 1617 un profit de 1 000 000 livres pour un capital qui s'élève alors à 200 000
livres (2). Elle compte déjà 1 000 actionnaires dont des marchands hollandais.
En 1625 apparaît parmi les actionnaires étrangers un groupe de marchands
français (3). En 1708 la Company of Merchants of London fusionne avec une
société concurrente la English Company trading to the East Indies, créée par
les marchands spécialisés dans le commerce interlope et désireux de mettre
fin au privilège de la première (4). La United East India Company qui succède
à ces 2 sociétés, ne devait cesser son activité qu'en 1858. Dès sa création en 1600
la Compagnie britannique des Indes orientales avait été autorisée à exporter du
capital argent à concurrence de 30 000 livres sterling par an (5). Elle exporta
par la suite du capital marchandise (6) destiné en majeure partie, —les produits
occidentaux ne trouvant pas acquéreurs — à l'édification de ses comptoirs, à
la construction de ses fortins et à l'entretien de ses employés. D'ailleurs l'activité
commerciale de la Compagnie avait pour support une réelle activité manufacturière à l'étranger : la East India Company n'a-t-elle pas, en effet, reproduit aux
Indes et à une échelle encore jamais atteinte le système de la manufacture
(1)
K.N. CHAUDHURI (1965) The English East India Company, Londres.
(2)
W.R. SCOTT (1912) Joint-Stock Companies to 1720, Cambridge, tome 1, pp. 115146.
(3)
K.N. CHAUDHURI, op. cit. p. 37.
(4)
L. DERMIGNY (1970) Le fonctionnement des Compagnies des Indes. II. East India
Company et Compagnie des Indes in Sociétés et Compagnies de Commerce en Orient
et dans l'Océan Indien, Actes du 8ème Colloque international d'histoire maritime,
S.E.V.P.E.N., Paris, p. 464.
(5)
P. BONNASSIEUX ( 1892) Les grandes Compagnies de Commerce, Pion, Paris, p. 10 1.
(6)
En 23 ans de 1600 à 1624 la Compagnie exporta 351 236 livres de marchandises
contre 753 336 livres d'or, argent et autres monnaies. Cf. K.N. CHAUDHURI ( 1963)
The East India Company and the Export of Treasure in the Early Seventeenth Century, t'collomic History Review, 2nd. ser., vol. XVI.
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dispersée (1), n'hésitant pas à envoyer sur place artisans et tisseurs (2) pour
adapter la fabrication artisanale locale aux goûts de la clientèle britannique
et européenne (3), et la soumettre aux cadences de production en vigueur
dans la métropole ?
La Vereenidge Oostindische Compagnie (V.O.C.), concurrente directe de
la Compagnie britannique qu'elle avait d'ailleurs précédé dans l'Océan Indien,
dominait directement 1 600 000 habitants à Java en 1760 (4). Elle créa dans
cette île ainsi que dans le reste des Insulindes de grandes plantations esclavagistes reposant sur une main d'oeuvre importée. Aux Moluques, la V.O.C.
«spécialisa chaque île dans une culture d'exportation et exigea le sacrifice des
produits vivriers qu'elle fournissait partiellement elle-même à partir des Indes en
prélevant un bénéfice supplémentaire» (5). De même la Compagnie française
des Indes Orientales voulut faire des îles Mascareignes «dès le début, des colonies
de rendement en utilisant à cet effet une main d'oeuvre servile importée d'Afrique et de Madagascar» (6).
Au total, qu'il s'agisse des objectifs assignés à l'exportation de capital (7),
de la délocalisation de l'activité manufacturière sinon industrielle (8), de la
taille, de l'ampleur du capital social, de la nationalité des actionnaires, et même
(1)
«En matière commerciale, la Compagnie profita de sa force politique et militaire :
elle conclut des contrats léonins avec les planteurs de coton et les tisserands de
cotonnades et soieries, comportant fourniture du produit à bas prix et interdiction
de travailler pour un autre acheteur sous menace de peine corporelle». A. SOBOUL,
G. LEMARCHAND, M. FOGEL (1977) Le siècle des Lumières, tome I, collection
Peuples et Civilisations, P.U.F., Paris, p. 89.
(2)
«Hasting fit venir de Lombardie dans l'Inde des ouvriers pour organiser des filatures
perfectionnées (1775)». P. BONNASSIEUX, op. cit. p. 113.
(3)
K. GLAMAN (1971) European Trade 1500-1750, The Fontana Economic History of
Europe, vol. II chap. 6, p. 86.
(4)
(5)
(6)
A. SOBOUL, G. LEMARCHAND, M. FOGEL, op. cit. p. 72.
Ibid. p. 72.
A. TOUSSAINT (1970) Conclusions et synthèse de la section II du 8e Colloque
d'histoire maritime, in Sociétés et Compagnies de Commerce en Orient et dans
l'Océan Indien, S.E.V.P.E.N., Paris, p. 719.
(7)
Rappelons avec HILFERDING qu'«on ne peut parler d'exportation de capital que
quand le capital travaillant à l'étranger reste à la disposition du pays d'origine et
quand les capitalistes de la métropole peuvent disposer de la plus-value produite par
ce capital». HILFERDING (1910) Le capital financier, Editions de Minuit, Paris,
1970, pp. 425-426.
Un planteur esclavagiste qui investit son capital dans l'acquisition d'une main d'oeuvre servile destinée à produire pour le marché est un fermier capitaliste. Or comme
le remarque Marx : «dans le sens catégorique le fermier est tout aussi bien un capitaliste industriel que le fabricant». K. MARX (1867) Le Capital, Livre 1, chapitre XXXI
«La genèse du capitaliste industriel», tome III, Editions Sociales, Paris, 1973, p. 192.
(8)
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du transfert des techniques les grandes compagnies de commerce du XVIle et
XVIIIe siècle peuvent être considérées comme la préfiguration des firmes transnationales contemporaines. L'analogie est d'ailleurs plus que troublante : G.
BERTIN ne conclut-il pas; en effet, son investigation relative à la gestion de la
Compagnie française des Indes Orientales, en affirmant qu'en la matière, «son
comportement ne laisse pas d'évoquer celui des grandes firmes internationales
de 1962» (1) ?
Dès lors si l'on ne veut pas confondre dans une même catégorie ces deux
types de phénomènes, peut-on se satisfaire d'une définition de la firme multinationale qui la caractérise comme étant «une grande entreprise nationale appartenant au secteur industriel et controlant plusieurs filiales de production à
l'étranger» (2) ?
Répondre négativement à la question précédente implique que l'on estime
l'analyse des formes anciennes et des formes nouvelles du processus d'internationalisation du capital nécessaire à la compréhension du fonctionnement
actuel de l'économie mondiale, et ceci à un triple point de vue :
— dépasser la recherche empirique sur les firmes transnationales.
En effet, si celle-ci constitue un préalable nécessaire à toute investigation relative
aux caractères contemporains de la division internationale du travail, elle ne peut
cependant fournir par elle-même les critères d'intelligibilité d'un tel phénomène.
Dans cette perspective, on ne peut que souscrire à la remarque lapidaire de
G. DESTANNE de BERNIS : «en soi, il n'y a pas de raison de consacrer des
développements spécifiques à l'étude des firmes pour la seule raison qu'une
partie de leurs activités se déroulent sur des territoires de nations différentes»(3).
— mettre en évidence les liens entre les formes anciennes et nouvelles du processus d'internationalisation du capital et le mode d'accumulation
historiquement dominant qui leur donne naissance (4).
(1)
G.Y. BERTIN (1962) Les aspects .comptables et financiers du commerce colonial
de la Compagnie des Indes, 1719-1730. Revue d'histoire économique et sociale,
nO 4, p. 482.
(2)
Cette définition est empruntée à C.A. MICHALET en raison de sa simplicité et de sa
concision. Cf. C.A. MICHALET (1975) Les firmes multinationales et le système
économique mondial, in J. WEILLER et J. COUSSY (Ed.) Economie Internationale,
tome 1, Mouton, Paris, p. 200.
(3)
G. DESTANNE de BERNIS et M. BYE (1977) Relations économiques internationales, tome 1, Précis Dalloz, Paris, p. 914.
Là encore nous rejoignons G. DESTANNE de BERNIS : «C'est seulement dans la
mesure oll nous comprendrons la nature de ce procès, nous semble-t-il, que nous
pourrons éclairer le rôle des F.T.N. en tant que telles». Relations économiques internationales, op. cit. p. 932.
(4)
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— découvrir les connexions entre ces formes et la structuration de
l'économie internationale d'abord, de l'économie mondiale ensuite. En d'autres
termes, la spécificité historique des formes contemporaines d'internationalisation
du capital tient-elle à ce que les firmes transnationales constitueraient les éléments du système de l'économie mondiale en voie de constitution (thèse de
B. MADEUF et C.A. MICHALET (1) ) ou ne procède-t-elle pas au contraire du
fait que le système de l'économie mondiale déjà formé sur la base du mode
d'accumulation progressive, produit les firmes transnationales comme résultat
de son propre fonctionnement (thèse de W. ANDREFF (2) ) ?
L'analyse de l'économie mondiale comme système soulève ainsi des questions de méthode fondamentales dont on s'attachera à repérer, dans cette introduction, la signification et la portée.
A cette fin, on montrera en premier lieu les difficultés de l'analyse des
formes nouvelles de la division internationale du travail. On s'interrogera ensuite
sur l'aptitude des paradigmes dominants de la pensée économique contemporaine à résoudre ces difficultés. Le constat d'échec auquel on parviendra, conduira à examiner la seule alternative théorique actuellement concevable et que
représentent les tentatives d'interprétation de l'économie mondiale comme un
«système de systèmes». Cet examen sera l'occasion d'une présentation succincte
des fondements méthodologiques de l'analyse du système de l'économie mondiale, au développement de laquelle cet ouvrage est consacré.
SECTION 1 — Difficultés de l'analyse des formes nouvelles de la division internationale du travail.
La division internationale du travail, dans le cadre d'un mode
d'accumulation historiquement déterminé, est la résultante d'un double mouvement :
- celui d'internationalisation du capital comme rapport social,
- celui de reproduction contradictoire des systèmes productifs
nationaux, en tant que totalités organiques articulant secteurs de production (3),
(1)
Cf. B. MADEUF et C.A. MICHALET (1978) Pour une nouvelle approche de l'économie internationale, Revue internationale des Sciences Sociales, vol. XXX, nO 2, pp.
267 - 298.
(2)
Cf. W. ANDREFr (1976) Profits et structures du capitalisme mondial. CalmannLévy, Paris.
Entendus au sens de W. ANDREFF, c'est-à-dire «un regroupement de firmes présentant une homogéinité externe (par rapport aux autres groupes) quant aux conditions
de valorisation du capital». Profits et structures du capitalisme mondial, op. cit. p 151.
(3)
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besoin social et mouvements d'engagement et de dégagement de la force de travail ; la cohésion de l'ensemble étant assurée par l'Etat national.
On est donc fondé à rechercher, dans un premier temps, les caractéristiques
nouvelles du capital internationalisé afin de les mettre en rapport, dans un
second temps avec les aspects contemporains de la dynamique des systèmes
productifs nationaux.
§ 1. Formes anciennes et formes nouvelles de capital internationalisé.
Après avoir souligné l'intérêt de la définition du concept de capital
internationalisé due à W. ANDREFF, on analysera les processus au terme
desquels des modes d'accumulation particuliers engendrent des formes déterminées de capital internationalisé.
Selon W. ANDREFF, «le capital internationalisé représente cette fraction
du capital global qui ne peut se valoriser et se reproduire que par son expansion
internationale» (1). Cette définition présente un triple intérêt :
— en caractérisant le capital internationalisé comme résultat d'un
processus, elle évite de mettre sur le même plan la tendance à la mondialisation,
«conséquence logique et abstraite de la structure du mode de production capitaliste indépendamment de toute référence historique» (2) et le procès d'internationalisation comme «expression concrète, historique et contradictoire de la
tendance qui s'affirme» (2). En d'autres termes, si la tendance à la mondialisation est incluse dans le concept même de capital (3), celle-ci ne se matérialise
historiquement qu'au niveau d'une fraction déterminée du capital global.
— elle permet, en raison de sa grande généralité, d'appréhender
en quelque sorte la forme générique du mouvement du procès d'internationalisation.
— enfin elle met l'accent, ne serait-ce qu'implicitement sur les
liens entre formes d'internationalisation du capital et contraintes de valorisation et de reproduction propres à un mode d'accumulation déterminé.
(1)
Profits et structures du capitalisme m o n d i a l , op. cit. p. 6 5 .
(2)
C. M E R C I E R ( 1 9 7 5 ) T e n d a n c e logique e t procès historique : m o n d i a l i s a t i o n et
internationalisation chez Marx. Cahier k F . J I . , nO 5, Institut des E t u d e s Economiques, L y o n , p. 143.
(3)
«La t e n d a n c e à créer le m a r c h é m o n d i a l est incluse dans le c o n c e p t IIRMIK- de lapita!». K. M A R X , Principes d ' u n e critique de l ' E c o n o m i e Politique, in Oeuvres. Economie 11, La Pléiade, N . R . F . , Paris, p. 258.
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Ce sont ces trois aspects de la définition de W. ANDREFF dont nous
allons nous efforcer de montrer la pertinence théorique et la validité historique
en étudiant d'abord le système mercantile et le mode d'accumulation primitive,
puis les firmes transnationales et le mode d'accumulation progressive.
1. 1 Mode d'accumulation primitive et système mercantile.
Marx distingue deux voies dans la transition du féodalisme au
capitalisme. Selon la première voie, «la seule réellement révolutionnaire» (1)
les petits producteurs marchands se transforment directement en capitalistes
industriels, alors que selon la deuxième voie «qui n'arrive pas à révolutionner
l'ancien mode de production qu'elle conserve comme sa base»(l), les capitalistes
marchands se bornent à extorquer aux petits producteurs, uniquement par le
biais des rapports d'échanges, un sur-travail grâce au contrôle qu'ils exercent
sur la circulation des marchandises. Tandis que la seconde voie réalise ce que
Marx qualifie de «subsumption formelle du travail sous le capital» (2) en raison
du caractère externe au procès de travail de la contrainte au surtravail (i. e à un
travail qui dépasse la nécessité immédiate), la première voie seule peut conduire
à la «subsumption réelle» c'est-à-dire à l'intégration au sein même du procès
de travail de la contrainte au surtravail, en raison de l'appropriation par le
capital de la force productive du travail social qu'elle implique (3). Or ces
deux voies ne sont pas indépendantes l'une de l'autre : la première ne peut
exister historiquement que dans la mouvance de la seconde. C'est, en effet,
la généralisation du système de la manufacture dispersée (putting out system)
qui, en plaçant les corporations sous le contrôle des marchands, crée la nécessité
pour les petits producteurs indépendants, et qui veulent le rester, d'exercer
leur activité en dehors du cadre des corporations. Le développement de l'industrie domestique et donc du travail à domicile à la campagne, pour échapper
aux réglementations des corporations urbaines, et à la domination du capital
marchand constitue donc ainsi que l'a montré Takahashi (4) la forme historique
(1)
(2)
K. MARX, Le Capital, Livre III, tome I, Editions Sociales, Paris, 1974, p. 342.
Cf. K. MARX (1971) Un chapitre inédit du «Capital», traduction de M. DANGEVILLE, 10/18, Paris. L'expression subsumption est préférée à celle de subordination, proposée par DANGEVILLE, pour les raisons qu'évoque G. BADIA à la page
455 du tome 1 de son édition des Théories de la plus-value de Marx (Editions Sociales, 1974).
(3)
La subsomption réelle requiert outre cette condition une transformation des forces
productives sociales générales (science et forces naturelles) en forces productives du
capital.
Cf. H.K. TAKAHASHI (1951) Contribution à la discussion reprise in M. DOBB, P.M.
SWEEZY (1977) Du féodalisme au capitalisme : problèmes de la transition, tome I,
Maspéro, Paris, pp. 95-140.
(4)
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privilégiée sous laquelle s'est réalisée la voie numéro un. Ainsi, selon cet auteur
les travaux de TARLE (1) montrent que «la force dynamique du capitalisme
français ne reposait pas sur la grande industrie ni sur les manufacturiers prospères des villes (putters out), mais sur les petits producteurs des campagnes» (2).
Si la dynamique du procès d'ensemble de la transition au capitalisme
repose ainsi au départ sur la généralisation du système de la manufacture dispersée, il demeure que celle-ci se heurte sur le plan intérieur à de puissants
obstacles. En effet, si le développement des échanges entre villes et campagnes
favorise la conversion de la rente en nature en rente en argent (3), et contraint
de ce fait les paysans à monnayer leurs surplus, le maintien des rapports de propriété et de production féodaux dans l'agriculture non seulement freine l'élargissement du marché intérieur des manufactures en limitant la pénétration de
leurs produits dans les campagnes, mais en outre aggrave la pénurie de main
d'oeuvre (4) en fixant sur place la population surnuméraire des campagnes.
Ainsi les droits collectifs de la petite paysannerie viennent s'ajouter aux réglementations des corporations pour faire obstacle à la mise en valeur du capital
marchand. Celle-ci se heurte d'ailleurs aux limites mêmes du système de la
manufacture dispersée : la subsomption fonnelle du travail sous le capital ne
modifie en rien les conditions d'existence et de travail des artisans qui restent
soumis aux horaires de travail, aux modes de rénumération établis dans le
cadre des corporations (5). Comme Marx associe explicitement extraction
de plus-value absolue et subsomption formelle, il s'ensuit que la seule possibilité
de reproduction du capital marchand est son extension dans l'espace. Dès
lors l'internationalisation du capital marchand et, sous sa houlette,
celle
de la manufacture dispersée auront deux fonctions essentielles : créer un marché
intérieur aux manufactures de la métropole en favorisant par le développement
des importations tout à la fois la concentration de la fortune monétaire et la
(1)
E. TARLE (1910) L'Industrie dans les campagnes en France à la fin de l'Ancien
Régime. Paris.
(2)
(3)
H.K. TAKAHASHI in Du féodalisme au capitalisme, tome I, op. cit., p. 131.
Conversion qui entraîne une chute tendancielle du taux du prélèvement foncier, dans
laquelle Guy BOIS voit l'origine de la crise du féodalisme. Cf. G. BOIS (1976) La
crise du féodalisme, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris.
(4)
Pénurie due entre autres au caractère quasi-permanent de l'état de belligérance.
Entre 1494 et 1559 il n'y eut pas une seule année où l'on ne combatit pas quelque
part en Europe. Le 17ème siècle ne connut que sept années de paix complète. L'Angleterre pour sa part fut en guerre pendant 84 des 165 années allant de 1650 à 1815,
Cf. H. HEATON (1936) Economic History of Europe, Harper, New York, p. 228.
(5)
Rappelons que 1' «Act of Artificers» de 1563 en excluant de l'apprentissage quiconque n'était pas le fils d'un franc tenancier avait interdit l'accès au métier aux trois
quarts de la population rurale. Cf. M. DOBB (1971) Etudes sur le développement
du capitalisme, Maspéro, Paris, p. 143.
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destruction des racines mêmes de la production artisanale, entretenir la continuité du processus de reproduction du capital marchand en lui fournissant
de nouvelles occasions de se mettre en valeur.
En résumé, on observerait les séquences suivantes :
- création d'un marché intérieur de produits manufacturés par
l'importation massive de produits artisanaux fabriqués à l'étranger (d'où l'élimination de l'artisanat de la métropole).
- subordination du capital commercial de la métropole au capital
industriel de la métropole (d'où l'élimination de l'artisanat dans les colonies).
- transformation du capital industriel de la métropole en capital
commercial : d'où l'exportation dans les colonies des produits manufacturés
de la métropole.
Ce processus peut être illustré historiquement par les rapports entre la
Grande Bretagne et ses colonies. Ainsi, en 1703, alors que le capital d'actions de
l'ensemble des compagnies britanniques s'élevait à 10 millions de livres «la
moitié environ de ce capital était investi dans le commerce extérieur et non
dans l'industrie nationale» (1). Le chiffre de 10 millions de livres est à comparer
avec l'estimation royale de 1688 qui évaluait le revenu national à 45 millions de
livres. C'est dire, étant donné l'insuffisance du marché intérieur, que la moitié
du capital actif du pays ne pouvait se mettre en valeur que dans le grand commerce international. Or, on constate précisément que les activités monopolistiques des grandes compagnies de commerce avaient eu pour effet, vers la fin
du XVIe siècle, «d'influencer non seulement les prix, en désavantageant notamment les produits artisanaux, mais encore le volume des produits du travail à
domicile en en restreignant l'expansion géographique» (2). En d'autres termes,
l'activité des compagnies a d'abord eu pour effet de ruiner l'artisanat urbain
de la métropole et d'y limiter la progression des manufactures dispersées. On
observe, ensuite, que la conjonction d'une diminution de la consommation
réelle de la population, de la hausse des prix et d'une progression du volume
des échanges internationaux a entraîné une concentration de la fortune monétaire dans certaines couches de la société. Cette concentration de la fortune
monétaire fut à l'origine d'une demande accrue de biens de luxe : celle-ci assurait donc au capital industriel qui commençait à se développer en métropole
(1)
M. DOBB (197 1 ) Etudes sur le développement du capitalisme, Maspéro, Paris, p. 204.
(2)
Ibidem, p. 133.
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la demande solvable nécessaire à la réalisation de la plus-value, précisément
au moment où les conditions nécessaires à une production de type capitaliste
étaient enfin réunies (1). Dès lors, dès que le capital marchand aura accompli
sa double mission historique : créer un marché intérieur en métropole, détruire
les bases de l'économie naturelle aux colonies en supprimant par la violence les
anciennes formes de propriété collective ; le capital industriel lui imposera la
mise au rebut dans les colonies elles-mêmes du système de la manufacture
dispersée (2). L'heure est, en effet, venue de la reproduction à une échelle
élargie du capital industriel : celle-ci nécessite la protection douanière de l'espace
national métropolitain, l'ouverture des colonies aux produits manufacturés
de la métropole et l'exportation de capital nécessaire à la capitalisation de la
plus-value extraite par le capital industriel (3).
Ainsi la politique mercantiliste forme un tout : la collusion des grandes
compagnies de commerce avec les banques (rendue nécessaire par l'emploi
généralisé de la lettre de change et par la nécessité d'un approvisionnement
régulier en monnaie internationale) et avec l'Etat complète les effets de l'internationalisation du capital marchand. Aux contraintes d'emploi et d'approvisionnement propres au mode d'accumulation extensive, l'internationalisation du
capital marchand apporte une solution qui unit dans un même mouvement
l'industrialisation de la Grande Bretagne et le développement du sous-développement aux Indes (4). Il y a ainsi une étroite relation entre la formation des
Etats nationaux au centre, sur la base des luttes qui opposent classes féodales
et classes capitalistes, et la vassalisation des ensembles politiques de la périphérie,
sur la base de la destruction des rapports sociaux qui les sous-tendent.
(1)
A savoir l'expropriation de la population campagnarde et la destruction des corporations comme conditions préalables à la formation d'une force de travail séparée de
ses conditions d'existence et à l'appropriation privée de moyens de production.
(2)
«Les instructions des directeurs du 17 mars 1769 visaient d'ailleurs à empêcher les
fabrications de soierie hors des factoreries de l'E.I.C. : elles interdisiaient aux filateurs
de travailler à domicile. En matière de cotonnade, les industriels britanniques poussaient dans le même sens ( . . . ) En 1780, sur requête des fabricants métropolitains
de calicot imprimé, l'E.I.C. suspendit l'importation de ce produit pendant quatre
ans ; en 1788, les droits de douane en Angleterre sur ces textiles furent augmentés».
A. SOBOUL, G. LEMARCHAND, M. FOGEL (1977), op. cit. p. 90.
«Mais plus les industriels de la Grande Bretagne devenaient dépendants du marché
indien, et plus ils sentaient la nécessité de créer de nouvelles forces productives en
Inde après avoir ruiné son industrie nationale. On ne peut continuer à inonder un
pays de ses produits manufacturés à moins de le mettre en état de vous fournir
quelques marchandises en retour». K. MARX (1853) La Compagnie des Indes Orientales. Son histoire et les conséquences de son activité, in Marx, Engels : Textes sur
le colonialisme, Editions du Progrès, Moscou, 1977, p. 57.
Cf. sur ce point A.G. FRANK (1978) L'accumulation dépendante, Editions Anthropos, Paris, p. 120.
(3)
(4)
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1. 2
Modes d'accumulation progressive et firmes multinationales.
De même que les fonctions assignées à l'internationalisation du
capital marchand changent de nature au terme de la phase mercantiliste d'accumulation primitive (puisque le capital marchand se trouve alors subordonné au
capital industriel) de même les fonctions des firmes transnationales dans le processus d'internationalisation du capital changent de nature entre la phase de
transition du mode d'accumulation intensive au mode d'accumulation progressive et la phase dans laquelle le mode d'accumulation progressive devient
prépondérant et rencontre de ce fait des contraintes qui lui sont propres.
Par rapport aux modes d'accumulation extensive et intensive qui l'ont
précédé, et que caractérisent respectivement l'extraction de plus value absolue
(1) et l'extraction de plus-value relative (2), le mode d'accumulation progressive
correspond à «une combinaison organique, et de plus en plus internationale,
de ces deux modes d'extraction de la plus-value» (3). Cette combinaison organique a pour origine les limites propres au mode d'accumulation intensive :
s'étant formé sur la base d'un bouleversement radical des méthodes de production (4) destiné à pallier le manque relatif de main d'oeuvre, celui-ci conduit tendanciellement à un excès de capital et à une surpopulation relative. La conjonction de ces deux phénomènes interdit la poursuite de l'accumulation sur le
mode intensif : en suscitant la création, sur la base d'une recomposition sectionnelle, d'un nouveau secteur producteur de biens mixtes (5), le mode d'accumulation progressive peut résorber à la fois l'excès de capital et la surpopulation
relative, pourvu que les conditions de production dans ce troisième secteur
soient à l'origine d'un écart relatif durable entre le taux de profit qui peut
y être formé et celui des autres secteurs.
(1)
Allongement de la période de sur-travail par accroissement de la durée de la journée
de travail.
(2)
Allongement de la période de sur-travail, la durée journalière de travail étant donné,
par diminution du temps de travail socialement nécessaire à la reproduction de la
force de travail.
(3)
(4)
W. ANDRFFF ( 1976) op. cit. p. 38 note 1.
Analysé comme suit par Marx : «Or pour qu'une nouvelle méthode de production
s'avère accroître réellement la productivité, il faut qu'elle transfère à la marchandise
prise à part une portion supplémentaire de valeur pour usure du capital fixe moindre
que la part de valeur qu'on économise en raison de la diminution du travail vivant : en
un mot, il faut que la nouvelle méthode réduise la valeur de la marchandises. K.
MARX (1894) Le Capital, livre 111, tome 1, chapitre XV, éditions Sociales, Paris,
1974, p. 273. Souligné par nous.
C'est-à-dire, destinés à la fois à la consommation des ménages et à la consommation
productive des entreprises.
(5 )
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L'analyse de la genèse du mode d'accumulation progressive va nous permettre de préciser la nature et la spécificité des formes contemporaines d'internationalisation du capital. Deux voies sont, en effet, susceptibles de ménager
la transition du mode d'accumulation intensive au mode d'accumulation progressive : la première (et nous aurions dit avec Marx la seule réellement révolutionnaire si la guerre n'en avait pas à ce point déterminé les caractères (1) ) passe
par une transformation profonde des procès de travail et des conditions d'existence du salariat (2). Elle conduit, en effet, sur la base d'une combinaison
organique des deux modes d'extraction de la plus-value, à résoudre successivement la double contradiction entre possiblités d'accumulation et possibilités
d'extorsion de plus-value d'une part, entre possibilités d'extorsion et possibilités
de réalisation de la plus-value d'autre part (3). Il s'agit, comme on l'aura pressenti, de la mise en place du taylorisme, puis du fordisme. Si, au niveau empirique, on juge le critère du mode d'extraction de la plus-value plus pertinent
que celui de l'intensité capitalistique, on pourra vérifier le réalisme de cette
analyse en constatant que taylorisme et fordisme ont bien eu pour effet, historiquement, de faire passer la branche automobile du secteur B (secteur de biens
de production soumis à l'accumulation intensive) au secteur C (secteur des biens
mixtes, soumis à l'accumulation progressive).
Cette première voie ne s'accompagne dans l'immédiat d'aucune production
de capital internationalisé. Contrairement donc à ce que semble dire W. ANDREFF (4), elle montre que la fraction du capital social soumise au mode
d'accumulation progressive ne recouvre pas nécessairement la fraction internationalisée de ce même capital.
La seconde voie, qui d'une certaine manière fait obstacle à la première,
substitue à la combinaison organique des deux modes d'extraction de la plusvalue réalisée au sein même du procès de travail une combinaison organique
de ces deux modes reposant sur la création d'un capital internationalisé, dont
l'incapacité à se mettre en valeur et à se reproduire autrement qu'à l'échelle
internationale, tient aux limites mêmes du mode d'accumulation intensive.
(1)
Cf. A. MOUTET (1978) Patrons de progrès ou patrons de combat ? La politique de
rationalisation de l'industrie française au lendemain de la Première Guerre Mondiale,
Recherches, no 32-33, pp. 449-489.
(2)
Cf. M. AGLIETTA (1976) Régulation et crises du capitalisme, Calmann-Lévy, Paris.
(3)
Nous reprenons ici des expressions d'Henri Claude, extraites de sa remarquable analyse de la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Cf. H. CLAUDE (1979)
Concepts et théories de la «suraccumulation» dans la littérature marxiste. Essai de
clarification. Les cahiers du C.E.R.M, nO 159, Paris.
(4)
«La constitution du capital internationalisé est spécifique du mode d'accumulation
progressive se développant dans la phase contemporaine du capitalisme» W. ANDREFF (1976) op. cit. p. 197.
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C'est à cette forme de capital internationalisé, à la fois agent et produit de
la transition du mode d'accumulation intensive au mode d'accumulation progressive, que répond la première grande vague de multinationalisation des firmes
des années 1900 - 1929.
Pour comprendre donc la spécificité et les fonctions de cette forme de
capital internationalisé, il faut revenir sur l'analyse du mode d'accumulation
intensive. Rappelons tout d'abord que l'accroissement de la quantité de travail
mort par unité de travail vivant, en vue de réaliser l'augmentation de la productivité du travail social caractéristique du mode d'accumulation intensive, entretient un développement inégal des secteurs producteurs de biens de production
et de biens salariaux. Ce développement inégal est, en outre, accentué par le
maintien du mode d'accumulation extensive dans le secteur fabriquant les
biens nécessaires à la reproduction de la force de travail, maintien souvent
lié à la résistance de la population campagnarde à la pénétration des rapports
sociaux capitalistes dans l'agriculture. Dès lors excès de capital et surpopulation relative résultent d'une disparité durable entre les mouvements de la
composition organique (1) de chacun des secteurs de production, qui interdit
une compensation intégrale de la hausse de la composition organique du capital
social par la dévalorisation de la force de travail (2). Il y a donc une tendance
à la baisse du taux de profit qui finit par menacer la continuité du processus
d'accumulation ; en effet, toute tentative de compenser cette baisse par un
nouvel accroissement de la productivité du travail implique une nouvelle hausse
de la composition organique du capital, laquelle présuppose une accélération
du rythme d'accumulation dans le secteur producteur de biens de production.
Cette accélération accroît la disparité entre les deux secteurs, donc accentue la
tendance à la baisse du taux de profit. L'excès de capital-argent en attente
d'investissement grandit, et par là la surpopulation relative. Cet excès même
(1)
(2)
Marx appelle composition-valeur l'analyse des composantes du capital ( i. e capital
variable, capital constant) du point de vue de la formation de la valeur, et composition technique le rapport entre «la masse des moyens de production employés et la
quantité de travail nécessaire pour les mettre en oeuvre».Il définit alors la composition organique du capital comme étant «sa composition valeur, en tant qu elle dépend de sa composition technique et que, par conséquent, les changements survenus
dans celle-ci se réfléchissent dans celle-là». Cf. K. MARX (1867) Le Capital, livre 1
in Oeuvres, Economie 1, La Pleiade, N.R.F., Paris, pp. 1121 - 1122.
1
— , si c augPour un taux de plus-value p 1 / v donné, le taux de profit étant
c+ v
mente le taux de profit diminue. Mais précisément l'accroissement de la productivité
du travail social consécutive à la hausse de la composition organique a pour effet de
diminuer le temps de travail socialement nécessaire a la production de biens salariaux,
et donc de diminuer la valeur de la force de travail. Il se pourrait donc que la diminution de v compense l'augmentation de c . L'hypothèse faite au texte est que ce
processus n'opère que partiellement, en raison d'un rythme insuffisant d'accroissement de la productivité du travail dans le secteur producteur de biens salaires.
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exacerbe la concurrence entre les capitaux : le capital additionnel ne peut, en
effet, à l'instar des capitaux existants compenser la baisse du taux de profit par
un accroissement de la masse des profits (1). Dès lors se développe un processus
de concentration-centralisation du capital dans lequel la loi de la baisse tendancielle du taux de profit trouve à la fois une confinnation concrète de son existence et le ressort de son mouvement.
En effet, le capital en excédent va être mobilisé en vue d'une concentration accrue des capitaux dans le secteur B à accumulation intensive parce que
la concurrence y est précisément moins forte que dans le secteur A à accumulation extensive, en raison de l'ampleur des investissements initiaux et des caractéristiques du marché. Cette concentration prendra la forme d'une cartellisation
des branches du secteur B, accompagnée de la mise en place de barrières douanières élevées. Ainsi, cette première réponse à la baisse du taux moyen de profit
conjuguera la sous-valorisation du capital de prêt et l'obtention de surprofits dus
aux écarts entre prix intérieurs et prix mondiaux. Mais cette stratégie rencontre
des limites qui tiennent à ce que les prix élevés des cartels font obstacle à l'élargissement du marché intérieur. Il ne reste plus dès lors qu'une autre solution :
elle consiste en une survalorisation du capital excédentaire obtenue par son
investissement à l'étranger dans des activités encore soumises au mode d'accumulation extensive. Rappelons à cet égard l'analyse magistrale de R. HILFERDING : «Aussi est-ce dans les pays où l'industrie est la plus avancée au point de
vue de l'organisation, comme en Allemagne et aux Etats-Unis, qu'on constate
aujourd'hui la plus forte tendance à l'exportation de capital industriel. Cela
explique ce phénomène singulier que ces pays, d'une part, exportent du capital,
et, d'autre part, importent de l'étranger une partie du capital nécessaire à leur
propre économie. Ils exportent surtout du capital industriel et élargissent ainsi
leur propre industrie, dont ils se procurent le capital de fonctionnement en
partie sous forme de capital de prêt dans des pays à développement industriel
plus lent, mais possédant une plus grande richesse de capital accumulé ( . . . ) .
Ainsi, grâce au développement de l'exportation de capital la cartellisation assure,
sous ce rapport également, aux capitalistes du pays où la monopolisation de
l'industrie est la plus avancée, une avance par rapport à ceux dont l'industrie
est moins bien organisée, et éveille, d'une part, dans ces pays le désir d'accélérer,
au moyen du protectionnisme, la cartellisation de l'industrie, tandis qu'elle
renforce, d'autre part, dans les pays les plus avancés la tendance à assurer à
tout prix la poursuite des exportations de capitaux par l'élimination de la
concurrence du capital étranger» (2).
(1)
Cf. K. M A R X ( 1 8 9 4 ) l.e Capital, livre III, chapitre XV ,Ed Sociales, 1974, Paris, p.269.
(2)
R. I l I L F E R D I N G ( 1 9 1 0 ) Le C a p i t a l Financier. E d i t i o n s de Minuit, Paris, 1970,
pp. 4 3 9 - 4 4 0 . Souligné par nous.
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En résumé, la constitution d'un capital internationalisé dans la période
1900 - 1929 prend appui sur une fonne de concentration-centralisation du
capital (le cartel) qui s'est heurtée à une double limite : celle du secteur d'investissement en ce qui concerne l'extorsion de plus-value, celle du territoire national
en ce qui concerne la réalisation de la plus-value. Ce capital ne peut se mettre en
valeur et se reproduire que sur la base d'une intégration verticale d'entreprises
ou d'établissements relevant de secteurs distincts dans des formations sociales
différentes. Les firmes multinationales «primaires» résultent de cette logique :
les industries cartellisées de la métropole connaissent les effets négatifs sur leur
taux de profit des variations des prix des matières premières ; elles vont donc
supprimer cet obstacle en investissant à l'étranger dans des industries extractives,
où l'extorsion d'une plus-value absolue n'est en rien entravée (1) par le degré relativement capitalistique de ces activités, celui-ci ayant déjà été compensé par la
sous-valorisation du capital de prêt emprunté.
Lorsque l'on quitte la phase de transition, pour examiner celle où le
mode d'accumulation progressive est dominant, on relève dans le cadre des
formations sociales nationales d'importantes transformations structurelles.
En effet, les conditions d'existence du salariat introduites par le fo'disme se
généralisent et s'appliquent également aux forces de travail engagées dans les
secteurs A et B qui restent soumis aux modes d'accumulation extcilsive et
intensive. Cette généralisation crée dans ces secteurs des contradictions entre
le mode d'accumulation, et notamment le mode d'extorsion de la plus-value, et
les caractères nouveaux de la force de travail et de son emploi. Ces contradictions ont trouvé historiquement une double solution : la nationalisation des
secteurs de base d'une part, qui conduit à une non-valorisation d'une fraction
importante du capital social et la politique économique, étatique exercée au
bénéfice des capitaux engagés dans les secteurs A et B. Distincte de la gestion
étatique de la monnaie et de la gestion étatique de la force de travail qui sont des
éléments permanents de l'intervention de l'Etat dans la vie économique, la politique économique peut être définie comme l'ensemble des actions de l'Etat qui
influent sur le processus de péréquation du taux de profit en vue de garantir
au capital privé une certaine masse de profits et un certain taux d'accumulation.
Pour la France, des études récentes (2) témoignent précisément du fait que les
capitaux engagés dans les secteurs A et B ont bénéficié respectivement des
transferts Etat-Industrie et de la politique des prix de la puissance publique.
(1)
Les industries extractives à la fin du XIXe siècle sont en effet a forte intensité de
main d'oeuvre tout en étant relativement eapitatistique.
(2)
Cf. INSLL
INSEE
( 1974)
(1975)
Fresque Historique du système productif. Collection I. 27.
La Mutation industrielle de la France. Collection E 31-32,
Paris, 2 volumes.
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La formation et le développement d'un capital public, industriel, et financier, d'une part ; la mise en oeuvre de la politique économique, de l'autre, ont
cependant des conséquences négatives sur la mise en valeur et la reproduction
des capitaux engagés dans le secteur C (à accumulation progressive). En effet,
l'engagement des capitaux dans ce secteur, comme en témoignent les remarquables travaux de W. ANDREFF, est subordonné au maintien d'un écart
positif entre le taux de profit que l'on peut y réaliser et celui que l'on peut
obtenir dans les autres secteurs. Or le prélèvement croissant sur la plus-value
qu'impliquent le financement du secteur public et la prise en charge par l'Etat
du coût d'entretien de la force de travail, ainsi que le nivellement des écarts de
profits auquel contribue l'exercice de la politique économique, freinent l'accumulation dans le secteur C, tout au moins dans les fonnations sociales du centre.
Au delà de cet environnement «hostile», le mode d'accumulation progressive
connaît des limites propres, auxquelles les capitaux engagés dans le secteur C
cherchent à se soutraire en créant une forme nouvelle d'internationalisation
du capital.
Les limites du mode d'accumulation progressive tiennent à la contradiction entre le mode d'extorsion de plus-value sur lequel il repose et les nécessités
de la réalisation de cette plus-value. En effet les branches du secteur C «se
différencient de celles des autres secteurs par : des dépenses de R - D considérables principalement axées sur le «développement», un progrès technique
rapide et continu se fondant à la fois sur des innovations majeures et sur une
multitude d'innovations mineures, une production mixte ( . . . ) et une intensité capitalistique peu élevée, ( . . . ) le progrès technique n'étant pas affecté
d'un biais «labour-saving» comme dans le secteur B» (1). En d'autres termes
ces branches sont caractérisées par un certain dualisme : d'une part, une intensité
capitalistique non négligeable en raison de leurs forts coefficients d'inputs
de recherche-développement ; d'autre part, des méthodes de production qui,
pour l'instant, les assimilent à des industries de main d'oeuvre. Ce dualisme
rend compte de la nécessité d'une combinaison organique des deux modes
d'extraction de la plus-value : la réduction de la valeur de la force de travail
est en partie inefficace dès lors que les conditions d'existence du salariat imposent un écart sensible entre prix et valeur de la force de travail. Il faut donc
recréer des modalités de prélèvement de la plus-value absolue par intensification
du travail. L'automatisation, comme instrument privilégié, du mode d'extorsion
de la plus-value propre au secteur à accumulation progressive pourrait constituer
une issue : malheureusement, elle conduit à élever considérablement l'intensité
capitalistique de ce secteur. En outre la dévalorisation massive de la force de
(1)
W. ANDREFF (1978) Structure de l'accumulation du capital et technologie en
U.R.S.S., Revue d'études comparatives Est-Ouest, vol. 9, nO 1, pp. 56 - 57.
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travail sur laquelle elle débouche entre en contradiction avec la nécessité d'introduire dans la liste des biens salariaux les produits du secteur C, dont chacun
sait que les prix en phase de diffusion initiale ne peuvent être qu'élevés en raison
de la nécessité d'amortir les coûteux investissements en recherche-développement.
Dès lors la formation d'un capital internationalisé dans le secteur C répond à une double nécessité : mettre en mouvement dans les pays en voie de
développement une force de travail acquise à un prix très faible (1), élargir
le marché intérieur au sein des pays développés en procédant à la restructuration
des branches relevant des secteurs B et C sur la base de l'extension de l'automatisation. En d'autres termes, l'internationalisation de la production résulte
de l'impossibilité de généraliser le mode d'accumulation progressive aux secteurs
A et B. Il est, à cet égard, intéressant de noter que cette impossibilité ne procède pas de contraintes techniques, mais bien du rôle décisif que les Etats
nationaux des formations sociales du centre ont joué et jouent encore dans la
mise en oeuvre du fordisme et de la politique économique.
De cette analyse des formes anciennes et des formes nouvelles de capital
internationalisé, on retiendra trois enseignements essentiels :
- la formation d'un capital internationalisé sous la forme de firmes
multinationales n'est pas un phénomène caractéristique de la deuxième moitié
du XXe siècle, ni du point de vue de son ampleur, ni du point de vue de sa
nature (2).
- la multinationalisation des activités industrielles et bancaires,
induite par la transition du mode d'accumulation intensive au mode d'accumulation progressive n'est pas le prélude à la constitution d'une économie mondiale
intégrée. Elle constitue, au contraire, le sous produit du fonctionnement du système de l'économie mondiale depuis sa création à la veille de la première guerre
mondiale.
- la coexistence de divers modes d'accumulation produit des effets
remarquables sur la place des Etats nationaux dans le système de l'économie
mondiale. Les contradictions entre leurs interventions et les nécessités de l'élar(1 )
Dans l'électronique le r a p p o r t des taux horaires de salaire aux Etats-Unis et à T a i w a n
s'élève à 18, 2 et d a n s le textile le r a p p o r t R F A / P a k i s t a n a t t e i n t 29, 2. Cf. P.K.M
T H A R A K A N ( 1 9 7 9 ) 1.0 division i n t e r n a t i o n a l e d u travail et les entreprises multinationales, C.E.E.I.M., P . l I Y . , Paris, p. 30.
(2)
L'analyse historique du fait m u l t i n a t i o n a l qui vient à l'appui de cette conclusion
est présentée par W. ANDRLF'I-' d a n s son ouvrage P r o f i t s et s t r u c t u r e s d u capitalisme
m o n d i a l , pp. 80-93.
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gissement du mode d'accumulation progressive à d'autres branches d'activité
conduisent celui-ci à atteindre prématurément ses limites : d'où l'apparition
de formes nouvelles de capital internationalisé.
§2
LA TRANSITION VERS UNE NOUVELLE DIVISION INTERNATIONALE DU TRAVAIL.
Des changements importants dans les conditions de valorisation du capital
sont à l'origine d'une remise en cause de la division internationale du travail
instaurée au lendemain de la seconde guerre mondiale. Après avoir rappelé la
nature de ces changements, on analysera les phénomènes récents qui en sont
issus et qui manifestent l'existence d'un processus de transition vers une nouvelle
division internationale du travail. On montrera enfin que la résultante nette de
tous ces mouvements est une aggravation des inégalités.
2. 1 Les
difficultés
croissantes
de
l'accumulation
capitaliste.
Dans les principaux pays industrialisés on constate une détérioration
des conditions physiques de la croissance qui retentit sur les possibilités de mise
en valeur et de reproduction des capitaux. Ainsi «la productivité du capital
au niveau global retourne à la baisse dès 1960 au Japon et en Allemagne, dès
1965 en France ; si aux Etats-Unis elle paraît obéir à un mode de régulation
plus global, elle n'en connaît pas moins une chute marquée depuis 1965, malgré
le redressement des années 1972-1973» (1). Conjuguée avec un ralentissement
du rythme de croissance de la productivité du travail, ce phénomène entraîne
une tendance à la baisse du taux de profit : «les problèmes de rentabilité, liés
à la détérioration des conditions de mise en valeur physique du capital, débutent
le plus souvent bien avant les années soixante dix : le taux de profit présente
une tendance prononcée à la baisse depuis 1955 en Grande Bretagne, aux EtatsUnis, depuis 1960, en Allemagne , seule la France et le Japon ont réussi à
maintenir et à faire croître leur taux de rentabilité jusqu'en 1969-1970» (2).
Cette évolution est confirmée par celle du partage du revenu national entre
salaires et profits : «Si l'on répartit par périodes de cinq ans les chiffres des
années 1960 à 1974 et si l'on calcule les moyennes pour ces périodes, on constate que, dans chacun des six principaux pays industriels, la part des profits
(1)
B. LOISLAU, M.B. WINTLR, J. MAZIER ( 1976) Quelques réflexions sur l'évolution
économique en France et à l'étranger de 1950 à 1974, Statistiques et études financières, nO 25, p. 35.
(2)
B. LOISEAU, M.B. WINTER, J. MAZIER (1976) art. cit. p. 35.
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dans le revenu national n'a pas cessé de diminuer entre 1960-1964 et 19701974» (1).
Ces obstacles à l'accumulation du capital ont eu tout une série de conséquences dont on retiendra les principales :
— la généralisation de l'inflation, dont le rytlune de croissance
reste sensiblement plus du double de celui de la décennie antérieure : «dans les
pays industriels, la hausse moyenne pondérée des prix à la consommation a été
de 8 % en 1977, c'est-à-dire sensiblement le même que l'année précédente ( . . . )
Dans les pays en développement importateurs de pétrole, la hausse moyenne
des prix à la consommation en 1977 a dépassé 30 % pour la deuxième année de
suite» (2).
— le développement du chômage qui touche 17, 5 millions de personnes dans l'ensemble des pays de l'O.C.D.E. (3). En dépit d'une amélioration
relative de la situation dans quelques pays (R.F.A. et U.S.A. essentiellement)
la tendance générale est à une hausse des taux de chômage ainsi qu'en témoigne
le tableau suivant :
Tableau 1
Taux de chômage, 1970-77, dans certains pays de l'O.C.D.E.
(Pourcentage)
(1)
exprimé en % de la population active civile.
Source : B. NOWZAD (1978) La recrudescence du protectionnisme, Finances et Développement, volume 15, nO 3, p. 17. Pour l'Italie, les nouvelles séries publiées évaluent
le taux de chômage à 6, 8 en 1976 et 7,1 en 1977.
(1)
G.A.T.T. (1976) Le Commerce international en 1975-1976, p. 21.
(2)
G.A.T.T. (1978) Le Commerce international en 19 77-1978, Genève, -p. 4.
(3)
L'observateur de l'O.C.D.E., nO 96, janvier 1979, p. 21.
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- la stagnation et la diminution des taux d'investissements exprimés en pourcentage du P.N.B. (1). Parallèlement à la décroissance rapide de l'investissement de capacité (2), on constate que les investissements de remplacement obéissent à une stratégie bien arrêtée. La rationalisation des méthodes de
production qui est poursuivie à l'occasion de ces investissements a, en effet,
pour objet de substituer aux formes anciennes d'automatisation à base d'équipements électromécaniques des formes nouvelles, prenant appui sur les composants
électroniques. Cette rationalisation accentue le caractère structurel du chômage
dans les pays développés : elle conduit, en effet, à une déqualification professionnelle des travailleurs remplacés par les processus automatisés.
— la crise des finances publiques non seulement dans les principaux
pays industrialisés, mais également dans les pays en développement non exportateurs de pétrole. Dans les pays industrialisés, cette crise s'explique par la contradiction entre le coût croissant des assurances sociales, lié à l'aggravation du
chômage tant en ce qui concerne le nombre de personnes secourues qu'en ce
qui concerne la durée du chômage, et la diminution de la capacité contributive
des entreprises conjuguée à d'importants dégrèvements fiscaux. Dans les pays
en voie de développement, c'est le ralentissement de la progression des recettes
d'exportation qui se trouve à l'origine d'une diminution des contributions
indirectes.
Au total, l'atrophie de la demande effective dans les pays industrialisés
y nourrit une paralysie de l'investissement. L'ampleur de l'endettement tant
public que privé interdit le recours à une politique de relance de type keynésien : ce serait aggraver la crise des finances publiques. Dès lors, l'accroissement
des exportations est souvent considéré comme la seule issue. Mais mesure-t-on
bien les conséquences de cette fuite en avant ?
2. 2
Les bases de la nouvelle division internationale du travail.
Outre les difficultés propres aux économies capitalistes développées,
trois facteurs déterminent, selon F. FROBEL, J. HEINRICHS et 0 . KREYE,
les modalités actuelles de la restructuration internationale des activités : il
s'agit de l'existence d'un immense réservoir mondial de main d'oeuvre potentielle
dans les pays en développement évalué par ces auteurs à plusieurs centaines
de millions de travailleurs ; des progrès technologiques qui «rendent le choix de
(1)
Cf. E. MANDEL (1978) La crise 1974-1978. Les faits, leur interprétation marxiste.
Flammarion, tableau 35, p. 115.
(2)
Ibidem, pp. 58-67.
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l'emplacement et la répartition de la production de plus en plus indépendants
de la situation géographique et des distances» (1) du mouvement de rationalisation de la production qui autorise tout à la fois un nouvel essor de l'automatisation dans les pays développés et la délocalisation des activités de production
grâce aux possibilités de décomposition des procès de travail même les plus
complexes. Dans cette dernière hypothèse, ces auteurs constatent que «même
une main d'oeuvre non formée peut être mise en mesure rapidement et sans
difficulté d'exécuter des opérations percellaires» (2).
La prise en compte simultanée de ces facteurs et des difficultés de l'accumulation capitaliste conduisent à concevoir la mise en place d'une nouvelle
division internationale du travail sur la base d'un double mouvement :
- dans les pays développés, où l'évolution historique a déterminé
des modalités particulières (3) d'articulation entre dynamique des systèmes
techniques (4) et dynamique d'accumulation du capital, à l'origine dans chaque
économie nationale d'un fractionnement sui generis du système productif en
branches d'activités, on observera un mouvement de restructuration des activités
des firmes multinationales. En effet, celles-ci ne peuvent se soustraire à l'approfondissement de la spécialisation intrabranches qui résulte dans les pays développés de la spécificité des systèmes techniques nationaux et de leur interdépendance. Dans les conditions actuelles de la concurrence internationale des capitaux les F.M.N. ont intérêt à favoriser une accélération de la transition d'un
système technique à un autre, puisqu'elles fondent en partie leur monopole
technologique sur leur participation à ce mouvement. Mais, n'ayant pas la
maîtrise de la dynamique des systèmes techniques, les firmes multinationales
en subissent comme les autres firmes les aléas et n'ont d'autre stratégie que de
s'y adapter. Les travaux de J.P. LAURENCIN et B. BILLAUDOT (5) ont confirmé cette incapacité des firmes multinationales, notamment américaines en
(1)
F. FROBEL, J. HEINRICHS et O. KREYE (1978) La nouvelle division internationale
du travail et ses répercussions sur l'emploi, Problèmes économiques, nO 1592, p. 21.
(2)
(3)
(4)
Ibidem, p. 21.
Notamment en fonction des caractères de la mémoire collective des techniques.
Sur la notion de système technique, cf. B. GILLE (1978) Histoire des techniques,
Encyclopédie de la Pléiade, N.R.F. Gallimard.
(5)
J.P. LAURENCIN, B. BILLAUDOT (1977) La différenciation des systèmes productifs européens. Essai d'approche factorielle sur la période 1960-1974, IREP,
Grenoble.
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Europe, à organiser à leur profit (1) la recomposition sectionnelle (2), et ont
ainsi apporté un démenti aux thèses qui soutiennent l'inéluctabilité de l'éclatement de la cohérence des systèmes productifs nationaux (3), et qui manifestent
une méconnaissance regrettable des caractères de la dynamique des systèmes
techniques (4).
— dans les pays en voie de développement, l'une des deux situations
suivantes prévaudra. Dans la première hypothèse, les firmes multinationales du
secteur à accumulation progressive, procéderaient à une délocalisation industrielle massive de leurs activités en direction des pays en développement. Comme
ces transferts d'unités de production n'auraient pas d'autre objet que de tirer
avantage des conditions particulièrement favorables de rénumération et d'exploitation (5) de la main d'oeuvre, les effets induits de ces transferts d'activité en
termes d'industrialisation seraient négligeables. Dans une seconde hypothèse, où
pour des raisons diverses (stagnation des débouchés au centre liée à une intensité
accrue de la concurrence) le développement du marché intérieur apparaîtraient
aux firmes multinationales comme une condition nécessaire à leur propre
croissance, l'édification dans les pays en développements d'un système productif
issu de l'adaptation des technologies importées aux conditions économiques et
sociales du pays d'accueil pourrait constituer le fondement d'un véritable processus d'industrialisation. Toutefois une telle hypothèse requiert de tels changements dans les rapports de force entre puissances et entre agents économiques,
qu'elle paraît aujourd'hui peu vraisemblable.
Ces deux mouvements rendent compte d'une part de l'intensité des transferts d'activité déjà opérés à destination des pays en développement et d'autre
part des hésitations de l'investissement extérieur direct qui tend à privilégier
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
«A cet égard, aussi bien l'étude du commerce extérieur des quatre pays que de leur
internationalisation sous la forme productive, bien spécifique par rapport à la forme
marchande, a fait état d'une imbrication des dynamiques de reproduction - le
triangle R.F.A., France, Italie - que le capital américain ne semble pas gérer bien
qu'il intervienne généralement sur le couple sectionnel biens d'équipement - biens de
consommation». J.P. LAURENCIN et B. BILLAUDOT (1977) op. cit. p. 346.
Sur cette notion cf. C. PALLOIX (1978) Travail et Production. Maspéro, Paris.
Cf. G. DESTANNE de BERNIS (1977) Relations économiques internationales,
Paris Dalloz, p. 954.
Pour une analyse préliminaire des caractères de la dynamique des systèmes techniques, cf. D. DUFOURT (1978) Transfert de technologie et dynamique des systèmes
techniques. Eléments pour une politique nouvelle de la recherche technique. Thèse
complémentaire, Université Lyon II. reprise in Cahier P.C.P.. nO 6, Institut des
Etudes Economiques, Lyon.
«Un travailleur fournit environ 2 800 heures productives dans l'année en Corée du
Sud contre 1 900 seulement en Allemagne Fédérale» F. FROBEL et alii (1978)
art. cit. p. 21.
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dans la période récente les économies du marché développées. Les deux tableaux
ci-dessous illustrent ces affinnations :
Tableau 2
Effectif des entreprises de l'industrie manufacturière
Ouest-Allemande en R.F.A. et à l'étranger
Source : F. FROBEL, J. HEINRICHS, O. KREYE (1978) La nouvelle division internationale du travail et ses répercussions sur l'emploi, Problèmes économiques,
nO 1592, p. 22.
Tableau 3
Répartition du stock d'investissements directs à l'étranger entre Pays Développés
à Economie de Marché et Pays en Voie de Développement
Source : W. ANDRI-'I--I,- (1979) Les capitaux étrangers dans les P.D.F.M. et dans les P.V.D.
Supplément aux Cahiers français, nO 190. Les données de base émanant de
l'O.N.U.
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2. 3
Des inégalités croissantes.
Ces inégalités doivent être appréciées à un double niveau : entre
pays développés et pays en développement d'une part, entre pays en développement d'autre part. S'agissant des disparités entre pays en développement on
constate que de « 1960 à 1975 le revenu par habitant des pays en développement
à revenu moyen et relativement élevé (400 dollars et plus) s'est accru de 4, 3 %
en moyenne, contre 1, 5 % seulement pour les P.V.D. plus pauvres (60 % de la
population du tiers monde)) (1). S'agissant des disparités entre les deux groupes
de pays le tableau suivant résume éloquement l'état de la situation en 1976 :
Tableau 4
Les inégalités dans le monde en 1976 (a)
(1)
«Disparités croissantes parmi les pays en développement». L'Observateur de l'O.c.
D.E., nO 96, janvier 1979, p. 8.
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Pour les pays en développement non exportateurs de pétrole, la mise
en place de la nouvelle division internationale du travail s'est traduite :
— par une évolution défavorable de leurs termes de l'échange. Ainsi
entre 1970 et 1975, la hausse des prix a gonflé de 56 milliards le coût de leurs
importations, alors qu'elle n'entraînait qu'une amélioration de 36 milliards de
dollars de leurs recettes d'exportations. Elle a donc ajouté 20 milliards de dollars
au déficit commercial de ces pays.
Tableau 5
Incidence des variations de prix et de volume sur les importations
et les exportations des pays en développement non exportateurs de pétrole
(En milliards de dollars)
Source : CNUCED (1978) Etude sur le commerce international et le développement
1977. TD / B / 642 / Add. 1 - 2/ Rev. 1, p. 10.
(a) Les données ne comprennent ni la Chine continentale ni les pays à économie planifiée.
(b) 52 pays à revenu moyen par habitant inférieur à 9 400, approximativement (en 1976).
(c) 55 pays à revenu moyen par habitant compris entre 9 400 et S 1 000, approximativement (en 1976).
(d) 28 pays à revenu moyen par habitant compris entre S 1 000 et S 2 500. approximativement (en 1976).
(e) Tous les autres pays en développement figurant sur la liste du CAD, sauf les producteurs
de pétrole.
(f) Tous les pays de l'O.C.D.E., sauf les pays méditerranéens figurant sur la liste du CAD.
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— par une aggravation de leur déficit commercial, due d'une part
au ralentissement de la progression de leurs exportations à destination des pays
développés et d'autre part à l'impact de la détérioration des termes de l'échange
évoquée ci-dessus. Ainsi le rythme d'accroissement à prix courant des exportations de produits manufacturés des pays en développement à destination des
pays développés à économie de marché a évolué comme suit : + 8, 4 % en 1971,
+ 61, 2 % en 1972,+ 64, 8 % en 1973, + 2 5 , 4 % en 1974 et - 1 , 6 % en 1975.
Au total «on a estimé que, des 3 1 , 8 milliards de déficit supplémentaire que les
pays en développement non exportateurs de pétrole avaient enregistré entre
1970 et 1975, I l milliards étaient imputables aux variations de volume et 20, 8
milliards aux variations de prix» (1).
— un accroissement considérable de leur dette publique sous l'effet
combiné de l'aggravation de leur déficit commercial et de la diminution de
l'aide, en valeur réelle, à des conditions libérales des pays membres du Comité
d'Aide au Développement de l'O.C.D.E. et des pays socialistes d'Europe orientale. Dès lors les pays en développement ont été contraints de financer leurs
déficits en faisant appel à des prêts à des conditions commerciales, dont le
volume a ainsi augmenté de 158 %, en valeur réelle, entre 1970 et 1975. Selon
les évaluations de la Morgan Guaranty Trust Company le total de la dette active
des pays en développement non exportateurs de pétrole à la fin de 1975 atteindrait 184, 3 milliards de dollars (2). La CNUCED l'évalue pour sa part à 240
milliards de dollars en 1976, de sorte que le total des paiements au titre du
service de la dette devrait atteindre le chiffre de 19 milliards de dollars en
1976 (3). Le C.A.D. (4) évalue pour sa part à 244 milliards de dollars l'encours
de la dette en 1977, et à 36, 6 milliards de dollars le total des paiements effectués cette même année au titre du service de la dette. Si l'on peut estimé avec
Yves LAULAN que «le différentiel entre le taux d'inflation mondiale et le taux
d'intérêt appliqué au montant de l'endettement représente un transfert net», il
n'en reste pas moins que l'écart entre apports financiers nets et service de la
dette va en s'accroissant (5).
Ayant ainsi présenté quelques aspects significatifs de la mise en place
d'une nouvelle division internationale du travail, nous pouvons confronter ces
réalités et les interprétations éventuelles qu'en proposent les théories économiques contemporaines.
(1)
CNUCED (1978) op. cit. p. 11.
(2)
(3)
Morgan Guaranty Trust Company of New York, World Financial Markets, sept. 1976.
CNUCl;D (1978) op. cit. p. 12.
(4)
C.A.D. (1978) Coopération pour le Développement, Examen 1978, O.C.D.E., Paris,
p. 269.
Y. LAULAN, L'impôt mondial, Le Monde de l'Economie, 17 juillet 1979, p. 14.
(5)
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SECTION II : LA CRISE DES PARADIGMES.
La crise que traverse la pensée économique, en cette seconde
moitié du XXe siècle, revêt un caractère exemplaire : n'assiste-t-on pas, en effet,
à une remise en cause tant de l'Economie Politique, en tant que domaine spécifique du savoir, que de la critique immanente de ses fondements, à savoir la critique marxiste ? Pour qu'une telle occurence ait pu advenir, il a fallu que deux
conditions soient réunies :
— que l'Economie Politique se soit pour l'essentiel enfermée dans le
moule d'un paradigme déterminé. De là le caractère totalement sclérosé de cette
discipline qu'illustre notamment son incapacité à intégrer les apports des autres
sciences. Le fait que des disciplines voisines (1) y soient parvenues, sans pour
autant perdre leur identité, crée un contraste pour le moins pénible.
— que la critique marxiste de l'Economie Politique, en dépit du
mouvement qui la portait, soit restée tributaire du paradigme qu'elle conteste,
au point que la crise de l'un entraîne la crise de l'autre. Faut-il, avec M. FOUCAULT (2), y voir le témoignage de leur germination sur un socle épistémologique commun, ou en déduire, plus simplement, une certaine inertie de la pensée
marxiste ?
Affirmer cela n'équivaut en rien à donner un quelconque assentiment à
une «Nouvelle Economie» qui découvre tout comme la Nouvelle Philosophie,
avec cinquante ans de retard, des arguments déjà exposés (3) dans une conjoncture politique et sociale curieusement
similaire à celle que nous connaissons
aujourd'hui, et qui proposaient de réserver l'usage de la liberté aux élites réputées créatrices et de soumettre la «plèbe» à l'arbitraire du pouvoir d'Etat.
C'est, au contraire, constater, pour les déplorer, la rigidité et l'immobilisme
d'une pensée, tant dans son contenu positif que dans sa dimension critique.
De cette crise globale de la pensée économique, citons quelques témoins
privilégiés :
— P.N. ROSENSTEIN - RODAN qui regrette, en ce qui concerne
(1)
Cf. par exemple «La Nouvelle Histoire» sous la direction de Jacques Le GOFF.
Editions Retz, Paris 1978.
(2)
Cf. M. FOUCAULT (1966) Les mots et les choses. Une archéologie des sciences
humaines. N.R.F., Gallimard, Paris, p. 273.
(3)
Cf J.P. FAYE (1978) L'archipel total in Guerre, fascisme et taylorisme, Recherches,
nO 32 - 33, pp. 15 - 34.
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l'économie néoclassique, que «les économistes utilisent avec raison les plus
récentes méthodes mathématiques posteinsteiniennes pour exprimer leurs
conceptions théoriques prénewtoniennes. Les techniques sont si brillantes
si bien qu'on risque d'être aveuglé par l'éclat au point de ne plus voir le paysage»
(0.
— H. CLAUDE qui constate, en ce qui concerne la théorie marxiste,
que «continuer l'oeuvre de Marx, ce n'est pas se lancer comme on a pu le faire
dans la folle aventure qui consisterait à refaire ou à compléter le Capital de
Marx en utilisant les brouillons qu'il a laissés, mais partir de la réalité concrète
telle qu'elle s'est présentée successivement après sa mort pour mettre la doctrine à jour en évitant le double piège du dogmatisme et du révisionnisme
liquidateur» (2).
S'il n'entre pas dans notre propos d'établir un diagnostic précis de la
crise de la pensée économique contemporaine, —cette tâche ayant déjà été
l'objet de remarquables travaux (3) — nous voudrions cependant en illustrer
ci-après les effets. On abordera donc successivement l'analyse de l'éclatement
du paradigme néoclassique et des contradictions du paradigme marxiste en centrant notre examen sur la pierre d'achoppement de ces paradigmes : les relations économiques internationales.
§ 1 L' ECLATEMENT DU PARADIGME NEOCLASSIQUE.
L'Univers économique tel que le conçoit la théorie néoclassique ne connaît ni entreprises, ni industries. Il ne connaît pas davantage de technologies.
L'Etat et la Nation lui sont également étrangers. Après avoir brièvement rappelé
l'origine de ces carences (4), on s'interrogera sur l'adéquation entre les enseigne-
(1)
P.N. ROSENSTEIN - RODAN (1970) Critères de l'évaluation de l'effort de développement national, Journal de la Planification du Développement, nO 1, p. 16.
(2)
H. CLAUDE (1979) Concepts et théories de la «suraccumulation» dans la littérature
marxiste, op. cit. p. 85.
Cf. le numéro spécial de la Revue Economique de novembre 1975 consacré à la Crise
de l'Economie et des Sciences Sociales et les diverses publications de l'A.C.S.E.S.
(Association pour la Critique des Sciences Economiques et Sociales).
(3)
(4)
Nous nous bornons ici à relever les symptômes de la crise du paradigme néoclassique.
Pour une analyse approfondie de sa genèse et de sa signification on se refèrera aux
travaux suivants ; P. DOCKES (1975) L'Internationale du Capital, P.U.F. Collection l'Economie en Liberté.
R. SANDRETTO (1976) Les inégalités transnationales. Ed. C.N.
R.S. Paris.
G. DESTANNE de BERNIS (1977) Relations économiques
internationales. Précis Dalloz.
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ments tant positifs que normatifs du paradigme néoclassique et les réalités de
l'économie mondiale actuelle.
1.1
De quelques carences du paradigme néoclassique.
La théorie économique telle qu'elle est fonnulée dans les versions
modernes de la théorie microéconomique de l'équilibre repose sur trois concepts essentiels : celui d'agent, celui de bien et celui d'action. A partir de ces
trois concepts et sur la base d'une nomenclature des biens, d'une typologie
des actions ou comportements et d'une double contrainte de répartition initiale des ressources et de distribution intégrale des profits «aux consommateurs-actionnaires» la théorie néoclassique élabore ses plus fameux théorêmes,
tel celui de l'équilibre général. Toutefois les nécessités de la démonstration
conduisent le plus souvent à un tel appauvrissement sémantique, que l'on
peut douter de l'utilité sociale d'une telle conceptualisation.
a) L'absence de concept d'entreprise.
Pour comprendre la disparition de l'entité entreprise dans la théorie
néoclassique il faut remonter aux travaux de L. WALRAS. Pour cet auteur
la richesse sociale, ensemble des choses valables et échangeables (1), n'est considérée que sous l'angle de sa production et de sa circulation. Elle se compose
des capitaux, «espèces de la richesse sociale servant plus d'une fois» (2) et des
revenus «espèces de la richesse sociale servant qu'une seule fois» (3). Les revenus
qui consistent en l'usage de capitaux sont appelés services. Si l'on fait abstraction
de la théorie de la circulation, les services se répartissent en services consommables et services producteurs. Les capitaux comprennent les terres dont les
revenus sont les services fonciers ; les personnes dont les revenus sont les services
personnels ou travaux ; les capitaux mobiliers ou capitaux proprement dits
dont les revenus sont les profits. Seuls les personnes et les capitaux proprement dits sont consommables : à ce titre, ils disparaissent et reparaissent, les
premières au cours d'une reproduction naturelle, les seconds au cours d'une
production économique.
La production est «la production des revenus et des capitaux mobiliers
par les capitaux à services producteurs» (4). Elle est assurée par l'entrepreneur
(1)
Léon WALRAS (1900) Eléments d'Economie Politique pure ou théorie de la richesse
sociale. 4ème édition, F. Pichon, Paris, p. 43.
(2) (3)lbidem, sommaire de la 17ème leçon, p. 175.
(4)
Ibidem, p. 190.
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dont la fonction est de louer les services en vue de vendre des produits. L'entrepreneur, personnage évanescent, est cependant le seul lien entre le marché des
services et le marché des produits. Sur le marché des services, les détenteurs de
capitaux, à savoir propriétaires fonciers, travailleurs et capitalistes, louent
leurs services. Sur le marché des produits, les entrepreneurs vendent aux détenteurs de capitaux les produits de leurs services. L'entrepreneur n'est donc qu'un
intermédiaire dans un vaste échange entre services producteurs et produits,
l'intervalle de temps consacré à la transformation des services en produits
constituant la pierre d'achoppement de la théorie walrasienne de l'équilibre
général. Les prix courants de chaque service sont les prix pour lesquels l'offre
et la demande effective sont égales : le prix courant de la rente ou revenu du
capital foncier est le fermage, le prix courant du travail ou revenu des «facultés
personnelles» est le salaire, le prix courant du profit ou revenu des capitaux
mobiliers est l'intérêt (1).
Walras définit alors l'état d'équilibre de la production comme étant «celui,
d'abord, où l'offre et la demande effective des services producteurs sont égales,
et où il y a prix courant stationnaire, sur le marché de ces services. C'est celui,
ensuite, où l'offre et la demande effectives des produits sont égales, et où il y a
prix courant stationnaire, sur le marché des produits. C'est celui, enfin, où le
prix de vente des produits est égal à leur prix de revient en services producteurs» (2). Cet état d'équilibre de la production, ajoute Walras, est «celui vers
lequel les choses tendent d'elles-mêmes sous le régime de la libre concurrence
appliqué à la production comme à l'échange» (3).
La production est ainsi réduite à un échange entre services producteurs
et marchandises. Mais services producteurs et marchandises ne sont pas disponibles au même instant. Walras recourt donc à la fiction de l'entrepreneur
pour rendre instantané un échange qui ne l'est pas (4). Cette fiction est possible
parce qu'en situation de concurrence l'entrepreneur ne fait ni bénéfice ni perte
et dès lors, tout se passe comme si l'échange entre usage des capitaux et appropriation des marchandises ne s'était point décomposé en deux échanges successifs, le premier entre offre de services et revenus, et le second entre revenus et
marchandises. En dépit de l'existence de travailleurs, de propriétaires fonciers
(1)
T o u s ces prix s o n t e x p r i m é s en numéraire. Cf. L é o n W A L R A S ( 1 9 0 0 ) op. cit. p. 192.
(2)
L é o n W A L R A S ( 1 9 0 0 ) op. cit. p. 193.
(3)
L é o n W A L R A S ( 1 9 0 0 ) I b i d e m , p. 194.
(4)
«Une fois l'équilibre établi en principe l'échange p e u t s'effectuer t o u t de suite. La
p r o d u c t i o n exige un certain délai. N o u s r é s o u d r o n s cette seconde difficulté en faisant
ici p u r e m e n t e t s i m p l e m e n t a b s t r a c t i o n de ce délai». L é o n W A L R A S ( 1 9 0 0 ) op. cit.
p. 215.
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et de capitalistes, l'économie walrasienne n'a vraiment rien d'une économie
d'entreprise : l'entrepreneur est «un simple mot, un signe qui permet de concevoir la combinaison des facteurs de production» (1). Walras le reconnaît d'ailleurs lui-même : «On peut même, à cet état, faire abstraction de l'intervention
des entrepreneurs, et considérer non seulement les services producteurs comme
s'échangeant contre des produits et les produits s'échangeant contre des services producteurs, mais considérer même les services producteurs comme s'échangeant en fin de compte les uns contre les autres» (2).
b) L 'absence de concept d'industrie.
Chacun sait dans la vie quotidienne différencier, par exemple,
l'industrie de la forge, de celle de la fonderie. Bien que les entreprises présentes,
dans ces industries accomplissent une même fonction, le formage des métaux,
elles n'en sont pas moins soumises à des contraintes techniques, économiques
et sociales distinctes.
Ainsi la forge est un procédé de formage des métaux qui consiste, à partir
d'une pièce métallique (lopin ou rond) chauffée à rouge, à obtenir des formes
par étirage, par écrasement, et tournage. L'exercice de cette fonction dépend
donc des caractéristiques du four de chauffage destiné à porter le métal à un
état pâteux, des propriétés du métal traité qui dépendent notamment des transformations (laminage) qu'il a déjà pu subir dans la filière d'amont, de la puissance et de la précision de l'équipement utilisé pour donner au bloc de métal
forgé les configurations requises, et enfin, last but not least, du savoir faire
ouvrier gardien de la mémoire collective des techniques. Il existe actuellement
quatre grandes classes de procédés de forge : le forgeage libre, l'estampage,
le forgeage à froid par extrusion et le forgeage à mi-chaud.
La fonderie est un procédé de formage des métaux qui consiste à façonner
une pièce, aussi près que possible de sa forme d'utilisation, par l'intermédiaire
de métal liquide versé ou injecté dans un moule donnant la forme définitive
de la pièce presque terminée. La construction du modèle de la pièce à réaliser,
à partir duquel sera fabriqué le moule ressort du travail du fondeur ainsi que le
choix de l'alliage permettant de conférer à la pièce les caractéristiques mécaniques et physico-chimiques souhaitées. C'est pourquoi il peut exister un noyau,
qui est la partie pleine située à l'intérieur du moule et qui produira, à la fonte,
le vide correspondant. En général, le noyau est réalisé dans le même matériau
(1)
F. PERROUX (1935) La pensée économique de Joseph SCHUMPETER, in
SCHUMPETER, Théorie de l'évolution économique, Dalloz, Paris, p. 65.
(2)
Léon WALRAS (1900) op. cit. p. 195.
J.
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que le moule. L'exercice de la fonction de fonderie nécessite donc un outillage
important tant pour la fabrication des moules que pour l'utilisation des noyaux.
Il existe actuellement huit procédés principaux en fonderie : le moulage sable,
le moulage avec coquille, le moulage sous pression, le moulage par centrifugation —ces trois derniers procédés utilisant des moules métalliques —le moulage
en carapace, le moulage en cire perdue, la coulée continue, et enfin le procédé
modèle polystyrène expansé - moule plein.
Ces deux industries diffèrent donc par :
— des conditions économiques : les investissements initiaux par exemple
sont en général plus lourd en forge qu'en fonderie, en raison du coût des presses
à forger, des fondations en béton nécessaire pour supporter la chabotte etc . . .
La parité n'est retrouvée que dans le cas de fonderie sous pression.
— des conditions techniques : alors que l'évolution technologique conduit,
en forge, vers une généralisation des procédés de frappe-à-froid (en raison
des économies d'énergie, de métal et d'usinages de reprise inhérentes à ces
procédés) elle tend en fonderie à une «chimisation» des procédés, caractéristique dans le cas de fonderie au polystyrène.
— des conditions sociales : la moindre qualification de la main d'oeuvre
et des conditions de travail plus précaires ont entraîné dans le passé un emploi
massif de travailleurs immigrés en fonderie. Aujourd'hui, dans un contexte
différent, on assiste à une automatisation beaucoup plus complète et rapide en
fonderie qu'en forge. Cette disparité s'explique par la résistance qu'opposent
à l'automatisation les ouvriers forgerons qui refusent tout à la fois leur déqualification et le gaspillage du patrimoine des connaissances techniques de la
branche.
On ne trouve pas dans la théorie néoclassique le vocabulaire adéquat
pour rendre compte de ces réalités. Ceci tient à l'hypothèse selon laquelle
le capital, bien qu'investi dans des machines aux caractéristiques physiques
et aux fonctions économiques très différentes, est immédiatement transférable
du patrimoine d'un agent à un autre. La théorie moderne de l'équilibre économique général suppose donc une malléabilité parfaite du capital qui semble
contradictoire avec un repérage des biens par leurs caractéristiques physiques
et qui exclut tout niveau intennédiaire d'analyse (1).
(1)
Cf. sur ce point les développements de G. DESTANNE de BERNIS dans son article
«Les limites de l'analyse en termes d'équilibre économique général» Revue économique, vol. XXVI, nO 6, novembre 1975, pp. 909-917.
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c) L'absence de concept de technologie.
La théorie néoclassique identifie un bien par la forme de sa fonction
de production. Il y a donc réduction des caractéristiques physiques du bien à la
technologie nécessaire pour le produire, puisque la fonne de la fonction de production recouvre l'ensemble des techniques disponibles pour fabriquer le bien
considéré, chaque technique étant caractérisée par un rapport de facteurs (en
général, le rapport du capital employé à la force de travail mise en mouvement)
ou intensité factorielle relative déterminée.
Que nous apprend de la technologie de la production d'un bien la connaissance du rapport K/L ? La réponse est immédiate : quasiment rien.
En effet, si la technique est un opérateur social, comme l'a montré P.
ROQUEPLO (1), la technologie peut se définir comme l'ensemble des connaissances nécessaires à la mise en oeuvre de cet opérateur. Ces connaissances
ont pour objet l'identification des caractères de la dynamique des systèmes
techniques (2). Or nous avons montré avec D. CARRIERE, H. NICOLAS et J.F.
TRONCHON (3), sur la base des travaux de B. GILLE, que la dynamique des
systèmes techniques se matérialisait concrètement sous la forme de transferts
de technologie, conçus comme des processus volontaires et lucratifs d'aliénation de connaissances techniques destinées à être intégrées dans un milieu
technique distinct de celui où elles ont pris naissance. C'est donc par les transferts de technologie que se réalise la transition d'un système technique à un
autre : ces transferts assurent, en effet, le passage de la cohérence observée au
niveau microtechnique (4) à celle observée au niveau macrotechnique (5) en
réalisant les ajustements nécessaires des ensembles techniques.
De plus, l'analyse des caractères de la dynamique des systèmes techniques
a également conduit à proposer sous le terme de noeuds technologiques la con(1)
Cf. P. ROQUEPLO (1979) La technique opérateur social, Revue de l'Entreprise,
numéro spécial consacré à l'Ethnotechnologie, 26 mars 1979, pp. 37-48.
(2)
La notion de système technique due à Bertrand GILLE est fondée sur l'idée d'une
nécessaire cohérence entre les techniques mises en oeuvre dans les diverses industries.
Cf. B. GILLE et ses collaborateurs, Histoire des techniques, Encyclopédie de la
Pléiade, Gallimard 1978.
Cf. D. CARRIERE, D. DUFOURT, H. NICOLAS et J.F. TRONCHON (1978) Rapport à la D.G.R.S.T. dans le cadre du marché, 7770509. Division Fonds de la Recherche.
(3)
(4)
Ce niveau est celui auquel s'observe la compatibilité entre structures techniques élémentaires.
(5)
Ce niveau est celui auquel s'observe la cohérence entre filières techniques, c'est-à-dire
entre suites d'ensembles techniques destinés à fournir les produits désirés.
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ceptualisation des modalités tant techniques qu'économiques et sociales selon
lesquelles s'effectue le raccord entre l'évolution des techniques dans une filière
donnée (exemple : la forge) et le nouveau système technique en fonnation.
Ainsi dans le procédé de forgeage par injection mis au point par la British Oxygen Company (1), il y a noeud technologique puisque ce procédé, qui pennet
des économies pouvant atteindre 50 % du coût de production en forgeage classique, s'apparente à la fonderie (le métal est fondu dans un four à induction), au
frittage (agglomération de particules solides) et au forgeage classique (chauffage
de l'ébauche préformée). En d'autres termes, un même procédé réalise la synthèse des opérations intervenant dans des techniques distinctes et cette synthèse
autorise la réalisation de pièces particulièrement délicates à fabriquer selon
les anciens procédés (pignons pour engrenages coniques, pales de turbine). En
même temps il y a polyvalence de la nouvelle technique puisqu'elle s'applique
aux alliages d'acier et d'aluminium, au laiton et à pratiquement tout autre
alliage en métal pouvant être fondu et atomisé. Cette polyvalence repose, au
demeurant, sur un phénomène de convergence des techniques (2) dont nous
précisons ci-après la signification.
Au total l'identification des noeuds technologiques (3) passe par le repérage de déterminants technologiques communs à plusieurs filières techniques.
L'interprétation de la nature des déterminants technologiques exige le recours
à trois niveaux d'analyse :
— celui du couplage de modes opératoires de filières distinctes,
— celui de la composition de techniques distinctes dans un même
mode opératoire (cf. exemple ci-dessus),
— celui des facteurs qui régissent les possibilités de transfert de
technologie d'un mode opératoire à un autre.
A chacun de ces trois niveaux, la dynamique des techniques se matérialise
par des tendances spécifiques : diversification - intégration au premier niveau
qui est celui des relations interindustrielles ; convergence des techniques au se(1)
(2)
(3)
Cf. la description que donne de ce procédé la Revue Industries et Techniques, novembre 1977, sur la base d'une documentation fournie par Osprey Metals.
S'agissant de l'analyse du phénomène de convergence des techniques, la référence
fondamentale est N. ROSENBERG (1976) Perspectives on Technology, Cambridge
University Press.
Pour plus de précisions sur ce concept essentiel à la compréhension de la dynamique
des systèmes techniques, cf. D. DUFOURT (1978) Transferts de technologie et dynamique des systèmes techniques : éléments pour une politique nouvelle de la recherche
technique. Thèse complémentaire de Sciences Economiques. Université Lyon II.
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cond niveau (dans l'exemple considéré le phénomène de convergence des techniques conduit à remplacer le formage du métal réalisé à l'aide d'une élévation des
températures par une transformation moléculaire, autorisant la mise en mouvement du métal à l'état de fluide et réalisé à l'aide d'une augmentation des
pressions) ; formation ou élimination des noeuds technologiques au troisième
niveau.
Cette analyse, développée conjointement par la société civile Conseil et
Développement et la section Analyse des Systèmes Productifs de l'Institut des
Etudes Economiques de Lyon atteste de l'importance décisive des changements
technologiques pour la compréhension de la dynamique des systèmes industriels.
Est-il dès lors admissible de persister comme le font la quasi-totalité des
économistes, à représenter la technologie de fabrication d'un produit par un
ensemble détenniné de paramètres K/L ?
d) L'absence de concepts d'Etat et de nation.
Pour comprendre la carence de la conceptualisation néoclassique
à ce double point de vue il convient de rappeler comment celle-ci analyse le
fonctionnement de la société. R. DEHEM a excellemment résumé cette analyse
dans le passage suivant :
«Dans une démocratie parfaite, seul l'individu compte. Il est souverain.
Cette souveraineté est exercée par délégation sur le plan politique et par
le libre choix des biens sur des marchés. L'Etat y est évanescent. L'individualisme, comme idéologie directrice, postule l'harmonie spontanée,
l'absence d'incompatibilités non résolubles entre les individus. L'intérêt
général est, dans cette conception, le résultat de décisions prises par les
individus égocentriques» (1).
En d'autres termes :
- la société n'est que la somme des individus qui la composent. Donc pour comprendre les buts de la société, il suffira d'agréger les préférences individuelles.
- l'activité économique est exclusivement orientée vers le
bien être des individus et sa maximisation.
(1)
R. DEHEM (1959) L 'utopie de l'économiste. Dunod, p. 10.
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- l'individu et lui seul est le meilleur juge de ses besoins
et de son bien être.
- Le bien être d'une collectivité dépend du bien être des
individus et de rien d'autre.
- la répartition des revenus à l'état initial est considérée
comme une donnée. Or Pareto ayant établi pour la répartition existante, l'équivalence entre équilibre général et optimum, il convient de considérer que un
franc dans les mains de l'individu le plus fiché et un franc dans les mains de l'individu le plus pauvre a la même utilité marginale au regard de la société dans son
ensemble.
En résumé la théorie nie l'existence de communautés humaines qui transcendent les individus qui les composent et ne conçoit l'intérêt général que sous
la forme d'un agrégat d'intérêts particuliers.
Dès lors il n'est guère surprenant que pour les tenants de cette théorie
la Nation se réduise tantôt à un stock de facteurs rendus solidaires par le partage
de propriétés communes, tantôt à un tiroir-caisse qui enregistre les flux entre la
caisse et le monde extérieur.
En réalité si l'on scrute attentivement les travaux de B. OHLIN on doit
convenir qu'il n'y figure aucune conception de la Nation.
En effet, les hypothèses de mobilités différentielles des facteurs et des
produits ne suffisent pas pour caractériser les nations de l'avis même de cet
auteur. Elles sont l'effet nécessaire de l'existence de celles-ci. La nation est
définie par deux critères (1) : c'est un système de prix de référence pour des
facteurs mobiles sur des marchés donnés dont la dimension est au plus égale au
territoire national, c'est un ensemble de facteurs rendus solidaires par des contraintes initiales. En fait Bertil OHLIN n'échappe pas à un raisonnement tautologique : le système de prix de référence renvoie à des caractéristiques «nationales» de l'offre en termes physiques des facteurs et aux «moeurs économiques»
des habitants en ce qui concerne la nature des fonctions de demande. De même,
les contraintes initiales qui établissent une solidarité entre les facteurs sont des
contraintes de répartition des richesses et de distribution géographique des ressources qui s'expliquent aussi et parfois surtout par l'histoire nationale. Cette
carence dans la conceptualisation de la nation peut être justifiée dans la perspective de B. OHLIN par le fait que la nation lui paraît une construction artificielle.
(1)
Cf. B. OHLIN (1933) Interregional and International Trade, Harvard University Press.
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Pour lui ce qui importe ce sont les marchés et les régions tels que la théorie
de la localisation permet de les définir. Les nations, dans la perspective de
l'auteur, sont des réalités artificielles plaquées sur les réalités fondamentales
que sont les régions. La région transcende donc l'expérience nationale. Au total,
la théorie néoclassique confond Nation et territoire : elle ne rend compte au
mieux que d'échanges entre unités localisés sur des territoires, ces unités n'ayant
d'identité nationale que si l'on inclut dans l'analyse des facteurs non-économiques. Si l'on renonce à l'hypothèse d'immobilité internationale des facteurs on
vérifie immédiatement que la théorie néoclassique des relations internationales
se ramène à une théorie de la localisation des activités entre divers territoires :
ainsi R. A. MUNDELL a montré, sous des contraintes analogues à celles du
modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson, que la mobilité parfaite d'un seul des deux
facteurs conduisait à une égalisation des prix des biens disponibles dans chaque
territoire et à une disparition totale des échanges de marchandises (1).
Ainsi à aucun moment dans la théorie néoclassique n'interviennent les
concepts d'organisation et de structures dont F. PERROUX a montré qu'ils
étaient essentiels à toute conceptualisation de la Nation (2).
On comprend dès lors le caractère désespéré de la tentative de H.G. JOHNSON (3) visant à donner chair à l'entité nationale et qui aboutit à confondre
Nation et Etat national. Reprenant les thèses de A. DOWNS (4), qui assimile la
démocratie à un pseudo-marché sur lequel l'exercice du pouvoir est échangé
contre l'engagement de réaliser une politique déterminée, JOHNSON montre que
l'Etat national est le résultat de la mise en oeuvre d'un programme politique
nationaliste visant à redistribuer le revenu réel en faveur de la classe moyenne.
Celle-ci constitue donc le support économique de l'Etat national. On ne sait
s'il faut, dans cette analyse, davantage admirer le caractère naïf de la théorie
politique qui ignore les contradictions entre Etat et Société civile déjà relevées
par les théoriciens libéraux du XVIIIème siècle, ou le néo-marxisme de JOHNSON qui découvre l'existence des classes et de leur antagonismes. Toutefois
(1)
Cf. R. MUNDELL (1957) International Trade and Factor Mobility, The American
Economic Review, vol. XLVII, nO 3, pp. 321 - 335.
(2)
Cf. F. PERROUX (1975) Unités actives et mathématiques nouvelles. Révision de la
théorie de l'équilibre économique général. Bordas-Dunod, Paris, pp. 185 -194.
Cf. H.G. JOHNSON (1965) A Theoretical Model of Economic Nationalism in New
and Developing States, Political Science Quaterly, vol. LXXX, nO 2, pp. 169 - 185.
Cf. A DOWNS (1957) An Economic Theory o f Democracy, Harper and Row, New
York.
(3)
(4)
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comme le montre Mel WATKINS (1) cette analyse reste bien fruste : d'une
part Johnson réduit la question nationale à la question des classes, d'autre part
l'opposition entre la classe moyenne et la classe ouvrière est ramenée à une
opposition entre une fraction des élites et le reste. Comment ne pas partager
l'appréciation de cet auteur sur le modèle de Johnson : «Il s'agit d'un modèle
de classes d'une très grande pauvreté, dont les perspectives sur le nationalisme
contemporain se situent au même niveau que celui des tracts mécanicistes et
dogmatiques des sectes d'ultra-gauche les plus doctrinaires» (2).
1. 2 De l'irréalisme de quelques enseignements de la théorie néoclassique.
On confrontera les enseignements de la théorie néoclassique et les
tendances actuelles de la division internationale du travail sur deux sujets : celui
des transferts de technologie et celui des effets des finnes multinationales sur
l'emploi et les revenus.
a) Sur les transferts de technologie.
Ceux-ci ne peuvent être appréhendés par la théorie néoclassique que
si elle renonce à ses hypothèses d'identité internationale de la technologie,
d'homogéinité du facteur capital, et d'assimilation de la nation à un stock de
facteurs rivés à un territoire. Dans une telle éventualité, il est possible de montrer, comme l'a fait H.G. JOHNSON (3), que ce sont les différences dans les
volumes d'investissement en capital humain consentis dans chaque pays qui sont
à l'origine des transferts de production et donc de capital technologique. Sous
l'angle normatif, la thèse de JOHNSON est malheureusement inconséquente :
après avoir rappelé que seuls les Etats nationaux sont en mesure de suppléer
les carences de la libre concurrence en matière d'investissement en capital
humain, il déclare, au terme d'un raisonnement qui montre selon quelles modalités les finnes exploitent ces différences internationales dans les dotations en
capital technologique, qu'il «est extrêmement douteux, pour des raisons évidentes, que les gouvernements soient capables de faire des investissements in(1)
Cf. Mel WATKINS (1978) The economics of nationalism and the nationality of economics : a critique of neoclassical theorizing, Canadian Journal O f Economics, XI,
Supplement, pp. 87 - 120.
(2)
Mel WATKINS (1978) art. cit. p. 112.
(3)
Cf. H.G. JOHNSON (1968) Coût comparatif et théorie de la politique commerciale
pour un monde en développement, Wicksell Lectures reproduites in Echange international et croissance, Recueil de textes choisis et présentés par B.Lassudrie-Duchênc,
Economica, Paris, 1972, pp. 323 - 358.
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telligents et socialement profitables dans la recherche et le développement» (1).
Mais alors la thèse s'effondre : d'où proviendront désormais les inégalités en dotation de capital technologique, si les Etats nationaux témoignent d'une incapacité rédhibitoire à prendre charge l'investissement en capital humain ?
Par ailleurs JOHNSON estime que l'imitation est le moyen le moins
coûteux et le plus efficace de diffusion internationale des technologies. Il se
montre donc optimiste en ce qui concerne l'aptitude des transferts de technologie à opérer une égalisation des chances de développement (l'avantage comparatif initial en matière de capital technologique disparaissant par diffusion dans
l'économie mondiale) même s'il reconnaît que «le mécanisme fonctionne de
façon très imparfaite et avec des retards considérables» (2).
La faiblesse de la thèse de JOHNSON est celle de la théorie néoclassique
dans son ensemble : n'est-il pas conduit, en effet, à considérer que «d'un point
de vue analytique, les économies d'échelle et les différences technologiques ne
sont que deux aspects d'un même phénomène, les économies d'échelle étant
surtout une différence de technologie reliée à une différence dans le volume
de la production» (3). Comment mieux souligner le caractère infiniment malléable du concept néoclassique de technologie !
Que ce soit dans leur aspect positif ou normatif les thèses de H.G. JOHNSON sont en grande partie contredites par l'expérience. Celle-ci montre que le
transfert de technologie n'accompagne pas nécessairement la vente des techniques ou des droits de propriété relatifs à leur mise en oeuvre (4). Elle montre
également que l'imitation n'est possible qu'entre économies à niveau de développement comparable. Surtout elle découvre d'autres fondements aux écarts
technologiques et qui tiennent notamment à la spécificité des systèmes techniques propres à chaque économie nationale et à la nature différente des noeuds
technologiques qui font obstacle au phénomène de convergence des techniques (5). Enfin elle établit, à rencontre des allégations de H.G. JOHNSON,
selon lesquelles «il semble beaucoup plus rentable d'adapter aux conditions
locales des méthodes inappropriées, plutôt que d'investir dans le développement
(1)
H.G. JOHNSON (1968) art. cit. p. 355.
(2)
H.G. JOHNSON (1968) art. cit. p. 353.
(3)
Ibidem, p. 331.
(4)
Cf. P. JUDET, Ph. KAHN, A. C. KISS, J. TOUSCOZ (1977) Transfert de technologie
et développement. Librairies Techniques, Paris.
(5)
Cf. sur ces points D. DUFOURT (1978) Transfert de technologie et dynamique des
systèmes techniques, op. cit. chap. IV, section II.
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de méthodes appropriées à ces conditions» (1) que seule une adaptation des
technologies importées aux conditions économiques et sociales locales peut
éviter de superposer aux noeuds technologiques du pays en développement
ceux du pays développé (2).
b) Sur les effets des firmes multinationales.
S'agissant des niveaux de rémunération, une des rares enquêtes
disponibles, portant sur les années 1969 et 1974, et relative aux accords de
sous-traitance internationale dans l'industrie électronique montre que les écarts
entre salaires horaires moyens de pays situés à des niveaux de développement
différents vont en s'accentuant et qu'il en va de même des écarts entre les
salaires horaires des filiales étrangères des firmes multinationales de l'électronique et les salaires horaires des sociétés mères aux Etats-Unis (3). Or, plusieurs
enquêtes séparées ont montré que la productivité des travailleurs employés dans
les filiales des multinationales est pratiquement identique, sinon supérieure, à
celle des travailleurs employés dans les sociétés mères (4). On peut donc affirmer
que la tendance à l'égalisation internationale des prix des facteurs que l'on pouvait inférer des résultats de l'étude de MUNDELL (5) relative aux effets de
l'exportation de capital, dans les conditions d'un modèle à la Heckscher-OhlinSamuelson, n'est pas vérifiée.
S'agissant des effets nets sur l'emploi, il convient de distinguer le cas du
pays d'origine de l'investissement extérieur direct, de celui du pays de destination. Dans le premier cas, H.G. JOHNSON estime, sur la base de l'analyse néoclassique habituelle, que les effets nets, directs et indirects, sont plutôt négatifs :
«il y a, écrit-il, des fondements théoriques solides aux préoccupations des organisations ouvrières relatives aux conséquences pour leurs mandants de flux
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
H.G. JOHNSON (1964) Tarifs douaniers et développement économique : quelques
conclusions théoriques, in Echange international et croissance, op. cit. p. 253.
Cette superposition étant à l'origine de phénomènes connus : retards dans la mise en
service des installations, fonctionnement en dessous de la pleine capacité, etc . . .
Cf. CNUCED (1976) Accords de sous traitance internationale dans le domaine de
l'électronique entre pays développés à économie de marché et pays en développement, Rapport du Secrétariat de la CNUCED, Nations Unies, New York, TD/B/C.2/
144/supp. 1, p. 21.
Cf. U.S. Tariff Commission (1970) Economic Factors Affecting the Use of the Items
807. 000 and 806. 30 of the Tariff Schedules of the United States, Washington ;
D.W. BAERRESEN (1971) The Border Industrialisation Program o f Mexico, Lexington Books, Lexington, Mass.
Cf. R.A. MUNDELL (1957 ) art. cit.
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massifs d'investissements directs à l'étranger» (1). En revanche, dans le cas des
pays destinataires de ces investissements, H.G. JOHNSON estime que les effets
nets directs et indirects, y compris la formation de la main d'oeuvre, sont indubitablement positifs (2).
A. EMMANUEL (3) confirme l'analyse de JOHNSON dans le cas des pays
originaires de l'investissement direct. Peu d'enquêtes ont été entreprises selon
la méthodologie proposée par G.Y. BERTIN (4). Néanmoins il est significatif
que toutes celles réalisées par des syndicats de salariés concluent à des effets
nets négatifs et que toutes celles entreprises à la demande des dirigeants des
compagnies internationales abondent dans le sens inverse (5).
C. VAITSOS réfute totalement les déductions de H.G. JOHNSON en ce
qui concerne le caractère positif des effets nets sur l'emploi des investissements
directs dans les pays destinataires, et achève son étude par ce commentaire :
«dans une large mesure, les opérations des firmes transnationales sont antinomiques aux préoccupations d'emploi des pays en développement»(6). P.K.M.
THARAKAN, un peu dans le même sens fait état de l'évolution paradoxale
suivante : «dans le cas de l'Argentine, [ alors que ] au cours de la période 19551974 les entreprises étrangères intervenaient pour environ 40 % de l'augmentation de la production industrielle, leur part dans l'accroissement de l'emploi
n'était que de 7 %» (7). Au delà de l'hypothèse d'un transfert systématique
d'activités hautement capitalistiques (8) qui pourrait rendre compte de cet écart,
il convient d'invoquer l'effet destructeur net d'emplois de nombreuses implantations de filiales étrangères. Ainsi «l'installation d'une firme très moderne, dirigée
(1)
H.G. JOHNSON (1975) Technology and Economic Interdependence, Macmillan,
Londres, p. 158.
(2)
Ainsi que le rapporte M. WATKINS (1978) art. cit. p. 92.
(3)
Cf. A. EMMANUEL (1976) Les sociétés multinationales et le développement inégal,
Revue Internationale des Sciences Sociales, vol. XXVIII, nO 4.
(4)
Cf. G.Y. BERTIN (1975) Les sociétés multinationales, P.U.F., Paris, p. 154.
(5)
Cf. P. DAUZAT (1979) L'impact des F.M.N. sur l'emploi dans lesP.D.E.M., Supplément aux Cahiers français, nO 190.
(6)
C. VAITSOS (1976) Employment Problems and Transnational Enterprises in Developing Countries : Distorsions and Inequality (with particular reference to Andean
Pact countries), Working Paper, nO 11, Word Employment Research Program, Geneve
B.I.T., p. 52.
(7)
Cf. P.K.M. THARAKAN (1979) Analyse des théories et bilan des données existantes
in La division internationale du travail et les entreprises multinationales, Publications
du C.E.E.IM., P.U.F., Paris, p. 156.
(8)
Dans le cas des industries d'extraction, C. VAITSOS (op. cit. p. 35) montre qu'un
investissement moyen de plus d'un million de dollars crée directement moins de 4 ou
5 postes d'emploi.
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vers le marché interne, entraîne le plus souvent la disparition des petites entreprises ou des artisans qui jusque là pouvaient satisfaire les besoins locaux. Par
exemple, pour 100 000 dollars une société peut créer une fabrique de chaussures
en matière plastique occupant 40 personnes et faire perdre ainsi leur emploi à
5 000 savetiers et à leurs fournisseurs» (1).
Au total ces questions restent très controversées. Toutefois, plus la connaissance empirique progresse dans ces domaines et de moins en moins convaincants semblent les arguments libre-échangistes, en raison de l'écart croissant
qui sépare l'intérêt privé des firmes transnationales et l'intérêt collectif des
populations des pays où elles s'implantent.
§ 2. LES CONTRADICTIONS DU PARADIGME MARXISTE.
Les contradictions de la pensée marxiste, à l'origine de son immobilisme
actuel, et dans lesquelles nous voyons les manifestations de la crise d'un paradigme, sont nombreuses (2). Nous n'aborderons ici que les suivantes :
— contradictions entre l'explication léniniste de l'exportation
de capital et l'analyse historique,
— contradictions dans l'analyse «emanuellienne» du fonctionnement de la loi de la valeur à l'échelle internationale,
— contradictions enfin entre la théorie de la suraccumulationdévalorisation et l'analyse historique des liens entre exportation de capital et
accumulation interne au XIXème siècle.
2. 1 Insuffisance de l'analyse des caractères historiques de l'impérialisme chez Lénine.
Dans son ouvrage, «l'Impérialisme, stade suprême du capitalisme»,
Lénine affirme d'abord que «l'impérialisme a surgi comme le développement
et la continuation directe des propriétés essentielles du capitalisme en général»
(1)
L'exemple est emprunté à R. McNAMARA (1975) Discours prononcé devant le
Conseil des gouverneurs de la Banque mondiale, Washington, D.C. La citation est
extraite de : Michel SCHIRAY (1978) Tiers Monde et Monde Industrialisé, Notes
et Etudes Documentaires, nO 4460 - 4461, Paris, p. 128.
(2)
Ainsi que nous le montrons dans le chapitre 1 «L 'interprétation marxiste de l'histoire» de la première partie de notre These de Doctorat d'Etat, non reproduite ici.
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(1). Il montre ensuite que le stade impérialiste du capitalisme résulte de la conjonction de trois mouvements historiques : la prépondérance du capitalisme
financier sur le capitalisme industriel comme résultat du mouvement de concentration et de centralisation du capital à l'échelle nationale puis internationale ;
la prépondérance de l'exportation des capitaux sur les exportations des marchandises comme conséquence des nécessités nouvelles de la lutte contre les
effets de la loi de la baisse tendancielle du taux de profit ; enfin, le partage
du monde étant achevé, la prépondérance de la lutte politique pour un nouveau
partage sur la recherche concurrentielle de nouveaux débouchés, ce nouveau
partage créant les conditions nécessaires à un approfondissement des contradictions du mode de production capitaliste en suscitant pour les Etats «de nouvelles
formes transitoires de dépendance» (2). Sur ce dernier point, Lénine se montre
très attentif à l'éveil des nationalités, résultat de l'expansion du capital à l'échelle mondiale, qui lui semble porteur, à travers les mouvements de libération
nationale qu'il suscitera, de possibilités nouvelles d'émancipation politique,
avant de susciter l'effondrement du capitalisme lui-même. L'impérialisme, stade
suprême du capitalisme, est tel parce qu'il présente un double aspect : «celui
d'un capitalisme parasitaire et pourrissant», où l'antagonisme s'accroît entre
la masse grandissante des exploités, pillés, opprimés, dominés et le cercle réduit
des exploiteurs; celui d'un «capitalisme de transition ou . . . agonisant», avec la
«socialisation de la production» à l'intérieur de «l'enveloppe» de la propriété
privée» (3).
Il y a dans l'analyse historique de Lénine deux grandes faiblesses.
D'une part de 1850 à 1913 la Grande Bretagne,le plus grand pays impérialiste de l'époque, a été importatrice nette de capitaux. En effet les séries statistiques établies par A.O. IMLAH (4) montrent qu'en termes de flux annuels,
les revenus courants des investissements britanniques à l'étranger ont pratiquement été constamment supérieurs aux exportations courantes de capitaux.
A. EMMANUEL s'appuie d'ailleurs sur ces données pour dénoncer le mythe de
l'impérialisme d'investissement (5). En outre, on constate que dans sa contro(1)
LENINE (1916) L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, Editions du Progrès,
Moscou, 1975, p. 129.
(2)
(3)
Ibid. p. 125.
Paul BOCCARA (1973) Les aspects sociologiques de l'analyse de Lénine de l'évolution du capitalisme, in Transactions of the seventh World Congress o f Sociology, vol.
5, Académie Bulgare des Sciences, Sofia, p. 43.
Cf. A.O. IMLAH (1958) The Economic Elements in the Pax Britannica, Harvard
University Press.
(4)
(5)
Cf. A. EMMANUEL (1970) Le colonialisme des «poor-whites» et le mythe de l'impérialisme d'investissement, L 'homme et la Société, nO 22, pp. 67 - 96.
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verse avec KAUTSKY, Lénine a eu finalement tort : il existe bien avant la
première guerre mondiale une discordance importante entre l'orientation géographique des mouvements de capitaux et l'orientation géographique des exportations de marchandises (1). Ainsi les exportations de capitaux n'ont pas eu
principalement pour fonction de préparer l'exportation de marchandises. A.G.
FRANK va même plus loin : au terme d'une analyse historique d'une rare
ampleur il affirme que ce sont les excédents commerciaux des pays de la périphérie qui ont permis à l'Europe de financer ses investissements dans les pays
neufs (Etats-Unis et Dominions) (2).
D'autre part, Lénine est conduit par une lecture sans doute trop rapide
de l'ouvrage de R. HILFERDING, à une surévaluation de l'importance du capital financier à son époque. Cette erreur d'appréciation trouve son origine dans
une analyse trop superficielle des rapports entre les banques et l'industrie en
Allemagne. S'il est exact, en effet, que l'on constate dans ce pays au cours de
la période 1890 - 1914 à la fois un haut degré de cartellisation de l'industrie
et des prises de participation très importantes des banques dans le capital des
entreprises, ces évènements ne sont pas déterminés par l'accession du capitalisme
allemand à un degré élevé de maturité, mais au contraire par l'insuffisance
globale du capital disponible pour l'investissement. En d'autres termes, c'est en
raison d'un retard relatif dans le développement du capital bancaire et non
l'inverse, que les banques allemandes ont été amenées à se spécialiser dans le
financement du développement industriel. Comparée à l'importance qu'elle
revêt alors en France, la centralisation du capital argent paraît en Allemagne
peu développée. D'où l'erreur de Lénine qui généralise indûment un accident
historique (le développement du capital financier en Allemagne) auquel il
attribue une signification qu'il n'a pas. Il est possible aujourd'hui de faire le
point sur ces questions grâce aux travaux de Jean BOUVIER (3). Ceux-ci confirment qu'antérieurement à la première guerre mondiale le capital financier
français est fort peu développé, en dépit de la puissance des banques françaises :
la masse des dépôts recueillis est utilisée à la souscription d'emprunts étrangers
et non à la participation dans le capital des entreprises. Jean BOUVIER précise,
en effet, que «les participations bancaires dans le capital des firmes industrielles
(1)
(2)
(3)
Cf. J. BOUVIER et R. GIRAULT (1976) L'impérialisme français d'avant 1914,
Mouton, Paris.
Cf. A.G. FRANK (1978) L'accumulation dépendante (notamment le chapitre 7),
Editions Anthropos, Paris.
Cf. a) J. BOUVIER (1974) Le capital bancaire, capital industriel et capital financier
dans la croissance française au XIXe siècle, La pensée, décembre 1974.
b) J. BOUVIER (1976) Application du concept de «capital financier» à une
économie déterminée : le cas français au XXe siècle, in Mélanges d'histoire
sociale offerts à Jean Maitron, Editions ouvrières, Paris, pp. 47-53.
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sont rares, faibles et n'entraînent qu'exceptionnellement un contrôle ( . . . )
L'indépendance des firmes industrielles s'appuie sur un autofinancement massif,
constant, systématique, de leurs investissements. L'économiste TENEUL a pu
calculer pour les années de 1900 à 1913 que les investissements des entreprises
étaient assurés pour 71 % par le réinvestissement de leurs profits ; et pour
29 % seulement par le recours au marché financier» (1). Il convient toutefois
d'apporter un léger correctif à cette analyse de Jean Bouvier : le capital financier français a connu un certain développement avant 1914 en raison des prises
de participation de banques françaises dans le capital de filiales à l'étranger,
en Russie notamment, de groupes industriels français dont la «surface financière» n'était pas à l'échelle des investissements entrepris. Par ailleurs, si l'on
retourne à la thèse de Lénine, il est significatif de noter — ce que ce dernier
ne pouvait pas prévoir - qu'en Allemagne de 1918 à 1948 les entreprises ont
pratiqué avec succès une politique tenace d'émancipation à l'égard des banques.
Au total, les «erreurs» historiques de Lénine sont toutes imputables au
parti-pris analytique, qu'il partage avec ses contemporains, et qui consiste à
n'envisager les relations internationales que sous l'angle bilatéral. Ce faisant
il s'interdit d'accéder à une connaissance profonde du fonctionnement de l'économie mondiale à la veille de 1914. Or ce fonctionnement, ainsi que nous le
montrerons, conforte beaucoup plus les thèses du leader de la révolution soviétique que ne le font ses propres analyses historiques.
2. 2 Contradictions dans l'analyse du fonctionnement de la loi
de la valeur à l'échelle internationale.
A. EMMANUEL dans son ouvrage «l'échange inégal» a apporté une
contribution essentielle à l'analyse marxiste du fonctionnement de la loi de la
valeur dans les rapports d'échanges internationaux. Toutefois cette analyse
n'est pas exempte de contradictions.
L'argumentation d'Arghiri EMMANUEL relative à l'origine des différences
des taux nationaux de plus-value repose sur un postulat : celui selon lequel il
existerait une valeur mondiale de la force de travail. L'auteur écrit ainsi, en réponse au «paradoxe» de Charles BETTELHEIM : «Dans le cadre de l'économie
mondiale, la seule valeur qui entre en ligne de compte pour mesurer le temps
nécessaire, c'est la valeur sociale (mondiale) et non pas la valeur individuelle
(nationale) des biens représentés par le salaire» (2). En d'autres termes, la valeur
(1)
J. BOUVIER (1976) Application du concept de capital financier, art. cit. p. 51.
(2)
A. EMMANUEL (1972) L'échange inégal, 2ème édition, F. Maspéro, Paris, p. 413.
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mondiale de la force de travail ainsi définie étant considérée comme donnée,
les écarts de salaires et les différences de degré d'exploitation qui leur correspondent ne peuvent provenir que d'obstacles de caractère institutionnel à l'exercice
de la loi de la valeur : «Si (la force de travail) a des prix différents, c'est que la
concurrence n'est pas parfaite, c'est qu'une entorse est faite à la loi de la valeur.
Et ce qui empêche cette concurrence d'être parfaite c'est d'abord et avant tout
le fait politique de la division du monde en Etats.
A la base de l'échange inégal il y a un monopole, mais pas celui des marchandises ( . . . ) mais celui des ouvriers des pays développés» (1).
Nous nous proposons de montrer que le postulat de l'existence d'une
valeur mondiale de la force de travail, qui permet à A. EMMANUEL de justifier
le caractère institutionnel et donc «exogène» des écarts de salaires, conduit
nécessairement à répudier la notion d'échange inégal au sens strict. Abandonnet-on ce postulat ? C'est alors à la thèse de l'exploitation des nations par les nations qu'il convient de renoncer. Veut-on conserver l'idée de l'exploitation des
nations par les nations ? Alors, on est nécessairement conduit à un raisonnement de type néoclassique déjà énoncé en 1938 par Ludwig von MISES.
La démonstration de l'échange inégal et plus encore de l'exploitation
des nations par les nations repose sur la transformation de valeurs nationales
en prix de production «internationaux», grâce à la péréquation internationale
des taux de profit. Mais, cette péréquation internationale est conçue d'une
manière tout à fait originale qui semble en son principe contradictoire avec
l'existence de valeurs mondiales des marchandises. En effet, les pays sont définis
dans les exemples considérés par Arghiri EMMANUEL, comme des ensembles
de branches distincts (2) : en d'autres termes le passage de la valeur individuelle
(nationale) des marchandises d'une branche à leur valeur sociale («internationale» ou mondiale) provenant de l'alignement des différents producteurs nationaux sur les conditions moyennes à l'échelle mondiale n'est pas envisagé par
l'auteur. Il s'ensuit que la péréquation internationale des taux de profit est conçue dans une optique très restrictive : les valeurs nationales sont d'emblée des
(1)
A. EMMANUEL, op. cit. p. 198.
(2)
Dans la deuxième édition de son ouvrage, A. EMMANUEL précise en ce qui concerne
la construction des tableaux nécessaires à l'exposé de la thèse de l'échange inégal :
«Il n'y a pas dans ce tableau trois branches mais six. Les deux groupes 1 A, II A,
III A d'une part, I B, II B, III B d'autre part, ne représentent pas les mêmes branches
et il n'y a pas de problème de localisation». Cf. L ' échange inégal, op. cit. note 32, p.
106.
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valeurs mondiales (1) (à tel pays, telle branche) et la péréquation internationale
des taux de profit est uniquement une péréquation interbranches à l'échelle
mondiale. Mais, pour que cette péréquation puisse faire apparaître l'échange
inégal au sens d'EMMANUEL et l'exploitation des nations par les nations, il
est nécessaire de supposer qu'elle s'effectue sur la base de la formation préalable
de taux moyens de profits nationaux. En effet, si cette formation de taux de
profits moyens nationaux n'avait pas lieu, on passerait directement à la formation d'un taux moyen de profit mondial par transfert de plus-value entre branches, les économies nationales disparaissant au cours du processus en tant
qu'entités autonomes, pour ne laisser place qu'à une économie mondiale unifiée,
constituée de l'ensemble des branches existantes. Dans cette dernière hypothèse,
la péréquation mondiale des taux de profit prendrait une toute autre signification : de même que dans une économie nationale, les prix de production résultent de l'adjonction au coût de production, mesuré en valeurs nationales, du
taux de profit moyen, de même à l'échelle mondiale, les prix de production
mondiaux résulteraient de l'adjonction au coût de production mesuré en valeurs
mondiales (la valeur sociale de marché par opposition à la valeur individuelle,
nationale) du taux de profit moyen à l'échelle mondiale. En d'autres termes, la
péréquation mondiale des taux de profit conduirait ici au passage de valeurs
mondiales de marché (2) (résultant de la concurrence à l'échelle mondiale
des capitaux nationaux relevant d'une même branche) à des prix de production
renvoyant à un marché mondial unique, où règne une concurrence intégrale des
marchandises, toutes différenciations nationales étant abolies. Or tel n'est pas
le processus de péréquation du taux de profit retenu par l'auteur : les prix de
production internationaux sont déduits des valeurs nationales par l'intermédiaire
des prix de production nationaux. Dans ces conditions, il y a contradiction
entre le mode de détermination des «valeurs internationales» des marchandises
et l'explication des écarts institutionnels de salaire par référence à une valeur
mondiale de la force de travail. Dans le premier cas, l'auteur cherche à mettre
en évidence des transferts de valeur qui ne puissent être ramenés à de banals
transferts de branche à branche : pour qu'il en soit ainsi, l'existence de valeurs
nationales, la formation de taux de profit moyens nationaux et donc la forma(1)
Christian PALLOIX a le premier critiqué cette hypothèse : «Le raisonnement d'A.
EMMANUEL suppose le problème résolu a priori ; il ne convient plus de rechercher
les lois de formation de la valeur internationale, qui s'impose elle-même - et on
peut s'étonner qu'il écrive le contraire - , mais il s'agit alors de passer de la valeur
internationale au prix de production international». C. PALLOIX (1971), L'économie mondiale capitaliste, tome 1, F. Maspéro, Paris, p. 127.
(2)
K. MARX définit la valeur de marché «d'une part comme la valeur moyenne des
marchandises produits dans une sphère ; d'autre part, comme la valeur individuelle
des marchandises produites aux conditions moyennes de la sphère et qui constituent
la grande masse de ses produits», cf. K. MARX (1894), Le Capital, livre Ill, tome
premier, Editions sociales, 1974, p. 194.
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tion de prix de production nationaux, puis la transformation de ces prix de
production nationaux en prix de production internationaux sont nécessaires.
Dans le second cas, le postulat de l'existence d'une valeur mondiale de la force
de travail renvoie obligatoirement à une homogéinisation des conditions de production qui suppose pour les branches productrices de biens-salaires la formation
d'une valeur mondiale de marché sur la base des valeurs individuelles nationales.
Mais alors la péréquation internationale des taux de profit n'exprime pas autre
chose que la transformation (1) de valeurs mondiales de marché en prix de
production (de marché) (2) mondiaux : les transferts de valeur se ramènent
à des transferts de branche à branche et ceci d'autant plus que l'on ne peut
invoquer aucun obstacle «institutionnel» durable à la concurrence des marchandises. Alors, avec les nations elles-mêmes, l'exploitation des nations par les
nations, se dissipe comme un mirage.
De deux choses l'une, en effet :
— ou bien l'on renonce à la thèse de l'existence d'une valeur mondiale de la force de travail pour conserver la thèse de l'échange inégal au sens
strict, mais alors les écarts de salaires doivent être imputés à l'existence de
valeurs nationales différentes, donc incommensurables, de la force de travail
et non à des facteurs institutionnels restreignant la concurrence à l'échelle
internationale des travailleurs. Dans ces conditions il ne saurait y avoir d'exploitation des nations par les nations (3), puisqu'il est impossible de mesurer
les taux de plus-value nationaux à l'aide d'un étalon commun, et donc de se
prononcer sur la nature et le sens de leurs écarts.
— ou bien on admet l'existence d'une valeur mondiale de la force
de travail, mais alors l'échange inégal au sens strict se dilue dans l'échange inégal
au sens large, puisqu'il n'existe plus rien dans le «modèle» qui puisse faire croire
à la réalité des économies nationales, celles-ci ayant fait place à une économie
(1)
Ne voyant pas la nécessité de cette transformation, la critique qu'adresse K. BUSCH
à la conception «emmanuellienne» de la péréquation internationale des taux de profit reste donc, à notre sens, incomplète, cf. Klaus BUSCH (1973), L'échange inegal.
Contribution à la discussion sur le taux moyen de profit international, Critiques de
l'Economie Politique, nO 13 - 14, pp. 81 - 95.
(2)
Pour un exposé et un approfondissement des concepts de valeur individuelle, de
valeur de marché, de prix de production individuel et de prix de production de
marché, cf. H. JACOT (1974), «Substance, grandeur et forme de la valeur dans le
Capital : quelques commentaires et hypotheses sur la méthode de Marx». Cahier
A E B E . , nO 4, pp. 3 - 84, et C. LEBAS (1975), «Prix de production individuel et
prix de production de marché», Cahier A JE.HE., nO 6, pp. 39 - 57.
(3)
Cette expression renvoie en fait, pour A. EMMANUEL, à l'exploitation au travers
de l'échange inégal des prolétaires des pays sous-développés par les capitalistes des
pays développés dont les salariés se font les complices.
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mondiale unifiée pour laquelle on doit admettre avec MARX «l'existence d'un
taux général de plus-value», «condition effective du système de production
capitaliste» (1). Ne sommes-nous pas, en effet, précisément dans la situation
où l'on doit convenir, en théorie «que les lois régissant la production capitaliste
se développent en toute rigueur» ? (2). Dans ces conditions, les écarts entre taux
nationaux de plus-value ne peuvent plus être considérés comme exogènes : ils
reflètent essentiellement une hausse ou une baisse des valeurs nationales de la
force de travail par rapport à sa valeur mondiale, hausse et baisse qui ne peuvent
intervenir sans un changement dans la productivité du travail produisant les
moyens de subsistance» (3).
Le raisonnement d'Arghiri EMMANUEL conduit donc à assimiler les nations à des zones de non-concurrence, pour des motifs institutionnels, des forces
de travail nationales. A partir d'une telle prémisse, on déduit aisément la notion
d'exploitation (au sens d'EMMANUEL) (4) des salariés des pays «pauvres»
par les salariés des pays «riches» dans le cadre d'un raisonnement néoclassique
très simple. Quels sont les facteurs qui peuvent, en effet, s'opposer à une égalisation des taux de salaires ? Il y en a essentiellement deux : les restrictions à l'immigration et les restrictions à l'importation des produits fabriqués par les pays
à bas salaires. Si seul le premier joue il y a une limite aux écarts de salaires, que
Ludwig von MISES énonce ainsi : «dans un monde où existerait le libre échange
des marchandises, celles-ci devraient être vendues au même prix par le producteur, compte non tenu du coût des transports. La possibilité, pour les syndicats
ouvriers d'un pays de relever le niveau des salaires semble donc limitée par la
concurrence des marchandises produites à l'étranger par une main-d'oeuvre
moins onéreuse» (5). Que se passe-t-il, cependant, si outre les restrictions à
l'immigration, les syndicats de salariés se comportant en monopole de la force
de travail dans les pays développés, obtiennent pour garantir l'emploi de leurs
mandants des restrictions à l'importation des marchandises en provenance des
pays à bas salaires ? La réponse de Ludwig von MISES est claire : «Les pays
anglo-saxons et quelques autres pays occidentaux sont doublement responsables
(1) (2)K. MARX (1894), Le Capital, livre III, tome premier, Editions sociales, 1974, p. 191.
(3)
(4)
(5)
K. MARX (1894), Le Capital, livre III, tome premier, Editions Sociales, 1974, p. 219.
Souligné par nous.
Comme l'observe Suzanne de BRUNHOFF, chez EMMANUEL la notion d 'exploitation renvoie au partage salaire-profit, cf. Suzanne de BRUNHOFF (1972), Note sur
certains aspects concernant «l'échange inégal», in Interrogations récentes sur la théorie du commerce international, Cahiers d'analyse économique, nO 1, Editions Cujas,
Paris, 1974, p. 161.
Ludwig von MISES (1938), La crise de la division internationale du travail, in La crise
mondiale, Collection d'études publiée à l'occasion du 10ème anniversaire de l'Institut Universitaire des Hautes Etudes Internationales, Editions polygraphiques, Zurich
1939, p. 282.
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du taux peu élevé des salaires et du niveau de vie peu élevé des régions surpeuplées, premièrement parce qu'ils ont rendu l'immigration pratiquement impossible et deuxièmement parce qu'ils se sont opposés à l'importation des produits
fabriqués» (1). De là à incriminer les syndicats de salariés des pays développés
il n'y a qu'un pas que Ludwig von MISES franchit avec conviction : «Les prolétaires sont tous amis et frères. Aveuglés par ce dogme, les marxistes ne voient pas
que la pauvreté de la grande masse des prolétaires de l'Europe et de l'Asie, qu'ils
déplorent, provient de ce que ceux-ci sont obligés de demeurer, de vivre et de
travailler dans des régions où les conditions naturelles de production sont moins
favorables, parce que les prolétaires de régions plus heureuses leur refusent
l'accès de leur pays. Ce serait appliquer avec conséquence la doctrine marxiste
de la «superstructure» que de dire que les prolétaires de l'Europe et de l'Asie
sont exploités par les prolétaires du Nouveau Monde, que l'impérialisme et le
militarisme modernes constituent la «superstructure» du conflit des intérêts
économiques entre les prolétaires des nations plus favorisées et les prolétaires
des nations moins favorisées» (2).
La similitude entre l'argumentation de Ludwig von MISES et celle d'Arghiri EMMANUEL est plus apparente que réelle. Néanmoins, l'idée de l'exploitation
des nations par les nations et son corollaire, celle de l'exploitation des prolétaires des pays sous-développés par les prolétaires des pays développés, ne nous
semble guère être soutenable ailleurs que dans un cadre d'analyse néoclassique.
2. 3 Théorie de la suraccumulation-dévalorisation et exportation
de capital.
En dépit des perfectionnements analytiques considérables (et peut
être serait-il plus équitable de parler ici de renouvellement complet) qu'apporte
M.F. L' HERITEAU (3) à la théorie de la suraccumulation-dévalorisation du
capital, son analyse historique des liens entre exportation de capital et accumulation interne ne semble guère convaincante. Selon cet auteur on constaterait au
XIXe siècle, tant dans le cas de la France que dans celui de la Grande Bretagne,
une relation d'alternance entre progression de l'exportation de capital et progression de l'accumulation interne. En d'autres termes, l'exportation de capital serait
un exutoire pour le capital-argent en excès et progresserait donc quand l'accumulation interne ralentit.
(1)
Ibidem, p. 284.
(2)
Ibidem, pp. 296-297. Souligné par nous.
(3)
Cf. Marie France L' HERITEAU (1975) Essai sur le concept d'impérialisme. Exportation de capital et régulation du mode de production. These de Doctorat d'Etat. Université Paris. Editions du Signe.
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Or ceci n'est vérifié ni dans le cas de la France, ni dans le cas de la Grande
Bretagne.
Dans le cas de la France, un historien marxiste, J. BOUVIER, écrit notamment ceci : «On remarque particulièrement un certain tassement des exportations de capitaux en 1882 - 1897 (en pleine «phase B» de ralentissement de la
croissance interne) ; et l'extraordinaire flux de la période 1898-1913, qui fut la
période de nouveaux développements rapides du capitalisme en France, période
qui, selon certains économistes, marque le début d'un nouveau «trend» séculaire
de hausse et d'accélération de la croissance capitaliste française» (1). Et il ajoute:
«Des analyses marxistes par trop simplifiées ont certainement eu tort de lier
les exportations de capitaux à une vue pessimiste du développement du capitalisme. Ces exportations ne sont pas toujours liées (il s'en faut !) à une situation
difficile de la croissance capitaliste, ou à une «sous-consommation» intérieure,
puisqu'elles croissent en même temps que s'accélère le développement capitaliste
lui-même» (2). De même, l'historien américain R. CAMERON écrit que «les
périodes d'exportation de capitaux d'une importance exceptionnelle : 1835 1838, 1852 - 1856, 1878 - 1881, 1910 - 1913 coïncident avec des périodes
de prospérité et de formation rapide du capital intérieur ; tandis que les périodes
de faible investissement à l'étranger : 1828 - 1833, 1882 - 1897 coïncident
avec des périodes de dépression ou de stagnation» (3).
Dès lors n'y a-t-il pas quelque inconséquence à voir dans l'exportation de
capital, comme le fait P. BOCCARA, «une forme de dévalorisation structurelle
du capital» (4), et à faire débuter la phase impérialiste du mode de production
capitaliste dans une période de crise mondiale prolongée (1880 - 1896) caractérisée par une nette décroissance de l'exportation de capital ? (5).
Dans le cas de la Grande Bretagne, on constate également comme nous le
montrerons dans le chapitre 2 de la 1ère partie, une accélération de l'exportation de capital au moment même où l'on enregistre un accroissement sensible
de l'investissement productif. Deux raisons expliquent sans doute l'insuffisance
de l'analyse historique de M.F. L' HERITEAU : d'une part elle ne distingue pas
(1)
J. BOUVIER (1976) Les traits majeurs de l'impérialisme français d'avant 1914 in
L'impérialisme français d'avant 1914, op. cit. p. 309.
(2)
(3)
Ibidem, p. 318.
R. CAMERON (1971) La France et le développement économique de l'Europe.
Editions du Seuil, Paris, p. 399.
(4)
P. BOCCARA (1974) Etudes sur le capitalisme monopoliste d'Etat, sa crise et son
issue, Editions sociales, p. 221.
(5)
Nous sommes à cet égard en plein accord avec l'analyse critique de H. CLAUDE,
présentée dans les Cahiers du C.E.R.M.S nO 159.
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dans la formation intérieure brute de capital de la Grande Bretagne la part qui
va à la construction de logement et celle qui va à l'investissement productif,
or celles-ci évoluent en sens inverse ; d'autre part elle ne met pas en relation
l'exportation de capital et l'investissement interne avec les mouvements migratoires et les mouvements de la formation brute de capital des pays destinataires
de l'exportation de capital britannique. En d'autres termes, à l'instar de Lénine,
elle en reste à une analyse bilatérale de l'exportation de capital mettant en scène
un pays et le reste du monde sans voir que ce sont les propriétés de l'économie
mondiale comme système qui régissent le mouvement de l'exportation de capital. Ce parti-pris analytique conduit donc à surévaluer les facteurs propres à
la formation sociale d'origine de l'exportation de capital.
En conclusion, les trois exemples que nous avons retenus illustrent la pertinence de cette observation de M. BALIBAR : « . . . un grand nombre de marxistes ont buté, à cet égard, sur un véritable obstacle théorique à cause de la
représentation qu'ils se faisaient de la théorie abstraite du mode de production
capitaliste comme une «moyenne idéale» des capitalismes particuliers, nationaux.
Dans ces conditions, le marché mondial ne peut apparaître que comme l'enveloppe commune, elle-même idéale et indifférenciée, des marchés nationaux :
les différences, les rapports d'antagonisme et de domination (par exemple
ceux qui détermine l'exportation de capitaux) ne sont que des inégalités provisoires en attendant l'uniformisation de l'espace économique mondial, même
s'ils sont nécessaires» (1). Pour notre part, et à nos yeux cette idée se situe
dans le prolongement de la critique précédente, nous pensons que l'origine
de la crise du paradigme marxiste se situe dans son incapacité actuelle à concevoir l'économie mondiale comme une totalité dont les propriétés infléchissent
les lois qui gouvernent l'accumulation du capital au sein de chaque formation
sociale nationale.
SECTION III : CHOIX METHODOLOGIQUES ET PLAN DE L'OUVRAGE.
Trois stratégies de recherche, en l'état actuel des connaissances
sont suceptibles de conduire à une conceptualisation de l'économie mondiale
comme système :
— la première consiste, sur la base des principes fondamentaux de
la théorie générale des systèmes, à caractériser abstraitement la nature des éléments constitutifs de l'économie mondiale, son mode de fonctionnement et ses
lois d'évolution. Cette stratégie a été illustrée par les différents travaux du Club
(1)
Etienne BALIBAR (1973) Les formations sociales capitalistes in Les Sciences de
l'Economie, Hachette littérature, C.E.P.L., Paris, p. 326. C'est nous qui soulignons.
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de Rome. Ainsi l'objet de son 1er rapport a-t-il pu être significativement défini
de la façon suivante : «une étude de la dynamique de l'écosystème mondial,
c'est-à-dire des tendances et de l'interaction de facteurs critiques et quantifiables
qui caractérisent la société moderne : croissance démographique, production
alimentaire, industrialisation, épuisement des ressources naturelles et pollution»
(1). L'utilité de cette démarche est certaine : elle conduit à l'aide d'une fiction
scientifique à repérer des tendances d'évolution et à montrer leur terme logique.
Mais elle rencontre très rapidement des limites : le processus historique réel
reste incompréhensible si l'on fait abstraction des contradictions de la réalité
historique et de leurs développements.
— la seconde tente de repérer dans l'évolution historique récente les
tendances nouvelles qui attestent du dépassement de l'économie internationale
et de la progressive émergence du système de l'économie mondiale. Elle se constitue, en quelque sorte, en phénoménologie de l'économie mondiale comme système. Cette stratégie de recherche est notamment illustrée par les travaux de
C.A. MICHALET (2). La fécondité de cette démarche est attestée par le renouvellement complet de la théorie des relations économiques internationales auquel
elle convie (3). Néanmoins, sur le plan méthodologique, elle revêt un caractère
typiquement holistique qui en détermine les limites. En d'autres termes n'ayant
pas forgé les instruments d'analyse adéquat à son objet, cette stratégie de recherche peut conduire à des erreurs d'appréciation historique notamment en ce qui
concerne la distinction entre formes nouvelles et formes anciennes de capital
internationalisé. Surtout, et c'est sur ce point que nous nous séparons de cette
approche, elle se refuse, sans que l'on en discerne bien les raisons sur le plan
théorique, à reconnaître que la genèse du système de l'économie mondiale
s'est achevée à la veille de la première guerre mondiale.
— la troisième stratégie de recherche est celle que nous appliquons
dans cet ouvrage. Elle se caractérise par un double refus : celui du caractère
non génétique de la première conception, celui de la perspective holistique
de la seconde. Elle rend compte ainsi des transformations structurelles qui
sont l'effet du fonctionnement du système de l'économie mondiale et qui
affectent tant la nature des éléments que la forme de leurs relations. Elle conduit surtout à distinguer ce qui relève de la régulation aux différents niveaux
hiérarchiques du système et ce qui relève des propriétés de son organisation.
(1)
(2)
(3)
A. PETITJEAN Ed. (1974) Quelles limites ? Le Club de Rome répond, Editions du
Seuil, Paris, pp. 87-88.
Cf. C.A. MICHALET (1976) Le capitalisme mondiale. P.U.F. Collection Economie
en liberté.
Cf. B. MADEUF et C.A. MICHALET (1978) Pour une nouvelle approche de l'économie internationale, Revue Internationale des Sciences Sociales, vol. XXX, nO 2.
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COLLECTION
SCIENCE
DES
SYSTEMES
dirigée par J.P. ALGOUD et D. DUFOURT
L ' o b j e c t i f de la collection Science des S y s t è m e s est de faire le
p o i n t de nos connaissances sur les systèmes et de favoriser ainsi le
r e n o u v e l l e m e n t de la p r o b l é m a t i q u e des différentes sciences. Elle
est d o n c ouverte a u x tentatives qui, dans des disciplines diverses,
t e n t e n t de c o n t r i b u e r à cette nouvelle vision de n o t r e univers.
Ce p r e m i e r ouvrage, dû à u n é c o n o m i s t e , présente u n e conc e p t i o n de l ' é c o n o m i e m o n d i a l e c o m m e système. Système dynamiq u e clos e t auto-organisateur, l ' é c o n o m i e m o n d i a l e fait l'objet
d ' u n e analyse t o u t à la fois qualitative et quantitative. Au m o m e n t
q u a l i t a t i f de l'analyse c o r r e s p o n d le repérage des t r a n s f o r m a t i o n s
structurelles sous l'effet desquelles le système évolue t o u t en conserv a n t intacte son organisation. L ' é t u d e des p r o p r i é t é s de l'organisation du système qui assurent à celle-ci la p e r m a n e n c e de son identité, en dépit du fait que le système est le p r o d u i t de son propre
f o n c t i o n n e m e n t , ressort d u m o m e n t q u a n t i t a t i f de l'analyse.
A u n e é p o q u e o ù la prise de conscience de la dimension
p l a n é t a i r e des p r o b l è m e s é c o n o m i q u e s de n o t r e t e m p s se c o n f i r m e ,
les e n j e u x d ' u n e telle d é m a r c h e ne sauraient é c h a p p e r à personne.
Daniel DUFOURT :
Né à Lyon en 1946, Docteur d'Etat
en Sciences Economiques, l'auteur enseigne
actuellement à l'U.E.R. de Sciences Economiques et de Gestion de l'Université
Lyon II. Spécialisé dans l'analyse des problèmes du système de l'économie mondiale,
il vient également d'achever un ouvrage
sur les transferts de technologie et la dynamique des systèmes techniques. Il participe aux activités du groupe de recherches
TASS , Théorie et analyse des systèmes,
de l'Institut des Etudes Economiques de
Lyon. Le groupe diffuse ses recherches
dans un Cahier édité par l'Institut des
Etudes Economiques. Il anime également
une revue diffusée sur abonnement : Analyse de Systèmes.
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