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Contrat de communication et principe de coopération.
Selon Aristote on doit distinguer pour tout discours trois éléments constitutifs : celui qui parle,
ce dont il parle, celui à qui il parle. La parole institue donc une relation triangulaire entre un
locuteur, un interlocuteur et l‟objet dont on parle. On parle toujours de quelque chose à
quelqu‟un, à un autre. Mais de quoi parle-t-on ? De tout. Mais cependant, pas n‟importe
comment. En effet, on ne peut penser ni parler le monde de façon contradictoire car aucune
entité ne peut à la fois être et ne pas être. Selon cette conception, il est impossible qu‟un
même attribut appartienne et n‟appartienne pas à la fois au même sujet sous le même
rapport ni même qu‟on puisse croire que des énoncés contradictoires puissent être vrais en
même temps. Mais comment cette règle s‟applique-t-elle au plan du dialogue ? Quel genre de
dialogue serait un dialogue sans contradiction aucune? Où la parole de l‟autre serait comme
un miroir de ses propres dires ? Ce serait comme si l‟autre était un autre soi-même. L‟absence
de contradiction toujours, tue l‟altérité. Or sans altérité pas de dialogue possible. Un tel
monde interlocutoire est-il possible ? Nous ne le pensons pas. Ce serait un monde sans contrat
de communication possible, puisque sans enjeu, et donc sans jeu de langage ; sans
interlocuteurs puisque sans altérité. Pour qu‟il y ait dialogue, il faut que les interlocuteurs
puissent dire des choses contradictoires sinon ils ne pourraient plus rien en dire, plus rien se
dire. Dialoguer, c‟est donc accepter le principe de la contradiction. Car si on ne peut se
contredire soi-même, on peut toujours contredire l‟autre. Ainsi parler, c‟est accepter en
quelque sorte le jeu de la contestation, c‟est remporter l‟enjeu de la non-contradiction. Dans
ces conditions pour que cet espace interlocutoire reste ouvert, les interlocuteurs veillent
jalousement à prévenir tout refus de co-énonciation, toute rupture de contrat. En effet, pour
polémiquer le locuteur a besoin d‟un minimum de coopération de la part de son adversaire. Sa
participation est un prérequis incontournable, elle constitue une condition d‟accomplissement
du contrat de communication car le contrat ne crée pas en lui-même les rapports individuels, il
ne fait qu‟en ouvrir la possibilité et en régler le déroulement. Même si l‟on considère le
principe de coopération comme le principe régulateur ultime sur lequel repose la possibilité
même de l'interaction (Bange 1992) on peut très bien coopérer à un certain niveau de
l‟interaction sans coopérer à un autre (Colleta 1995). En effet toute interaction communicative
est source de négociations, concessions, accords, réconciliations mais aussi de turbulences,
polémiques, conflits, ruptures, en ces sens elle repose sur une connivence
obligée (Berrendonner 1990). Si bien que les interlocuteurs sont sans cesse placés devant un
choix les conduisant à s‟engager plus ou moins dans des stratégies langagières à visée
collaborative ou agonale. Cette mise en jeu constante des deux principes
antagonistes inséparables : « Philia et Eris » chez Parret (1990), « de coopération et de
compétition » chez Ghiglione et Trognon (1996) s‟accommode fort bien d‟un autre jeu
nécessaire de l‟interlocution, celui consistant à mettre en péril les "faces" des interlocuteurs.
Rappelons, en effet, que pour Goffman (1973, 1974) toute interaction sociale est
potentiellement menaçante et que, de ce fait, les comportements communicationnels des
interlocuteurs sont le plus souvent guidés par la préoccupation de ne pas perdre la face. "Celui
qui risque une information ou un message, si banal soit-il, engage, et en un sens met en
danger, toutes les personnes présentes, y compris elle-même. Dès qu'il parle, le locuteur
s'expose à un affront de la part de ceux à qui il s'adresse, qui peuvent ne pas l'écouter, ou bien
le trouver indiscret, stupide ou offensant. Confronté à un tel accueil, il se voit alors contraint
d'agir pour sauver la face" (Goffman, 1973, op.cit.). Brown et Levinson (1978) ont montré
également que tout acte de parole constituait une menace pour les faces positives et négatives
de l'interlocuteur. Dans cette optique, l'ordre, la requête, l'offre, la suggestion, le conseil, le
désaccord, constituent autant d'actes menaçants pour la face négative de l'interlocuteur ; les
critiques, injures, moqueries, rebuffades, réfutations, réprimandes, rappels à l'ordre,