pourlapalestine.be-1967 une guerre de conquête préparée par Israël pendant 16 longues années Sylvain Cypel

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1967 : une guerre de conquête préparée par Israël
pendant 16 longues années – Sylvain Cypel
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conquete-territoriale-preparee-pendant-16-ans/
Non seulement, de l’aveu même de ses généraux, Israël n’était pas menacé de
destruction en juin 1967, mais l’état-major de l’armée avait depuis longtemps
préparé son plan de conquête de la Cisjordanie, de Jérusalem, de Gaza, du Sinaï et
du Golan. Et il a imposé ce plan par un quasi-coup d’État contre le premier ministre
Levi Eshkol et les membres de son gouvernement encore hésitants à déclencher les
hostilités.
Deux jours après la fin de la guerre de juin 1967, le premier ministre israélien, le
travailliste Levi Eshkol, déclarait : «L’existence d’Israël ne tenait qu’à un fil. Mais les espoirs
des dirigeants arabes de l’anéantir ont été anéantis
Cette thèse — qu’Israël était menacé de disparition, et sa population avec — avait été à
l’origine de la «guerre préventive» que venait de mener Israël contre ses voisins arabes.
Une fois évaporée l’assertion initiale des Israéliens prétextant que les Égyptiens avaient
engagé les hostilités, la thèse de la «menace existentielle» devint l’argument politique et
diplomatique constant d’Israël pour justifier son attaque.
In this 1968 photo from the UN Relief and Works Agency archive, Palestinian refugees arrive in east Jordan in a
continuing exodus from the West Bank and Gaza Strip.AP Photo/UNRWA Photo Archives
Pourtant, cinq ans plus tard, une série de généraux israéliens allaient vigoureusement et
publiquement contredire cette assertion. L’ex-chef d’état-major adjoint Ezer Weizman
tirait le premier : «L’hypothèse de l’extermination n’a jamais été envisagée dans aucune
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réunion sérieuse» (Haaretz, 29 mars 1972), assurait celui qui deviendra plus tard président
de l’État d’Israël.
Quatre jours après, c’était au tour de Chaïm Herzog, ex-chef des renseignements
militaires et lui aussi futur président, de déclarer : «Il n’y avait aucun danger d’annihilation.
Le quartier général israélien n’y a jamais cru.» (Maariv, 4 avril 1972).
Enfin, le chef d’état-major lui-même, le général Haïm Bar-Lev, successeur au poste de
Yitzhak Rabin, enfonçait le clou. «Nous n’étions pas menacés de génocide à la veille de la
guerre des Six-Jours, et nous n’avons jamais pensé à une telle possibilité» (Ibid.).
Le général Matti Peled, chef de la logistique, allait résumer de manière radicale l’avis de
ces généraux : «Prétendre que les forces égyptiennes massées à la frontière étaient en
mesure de menacer l’existence d’Israël constitue une injure non seulement à l’intelligence de
toute personne capable d’analyser ce genre de situation, mais avant tout une injure à l’armée
israélienne». Et d’ajouter : «Toutes ces histoires sur l’énorme danger que nous courions (…)
n’ont jamais été prises en considération dans nos calculs avant les hostilités» . Quand ces
généraux disent «nous», ou «nos calculs», ils se réfèrent, bien entendu, à l’état-major.
Certes, ces propos datent de 1972, à une époque où enivrée par sa victoire massive et
fulgurante de 1967, l’armée israélienne se sent invincible. Les généraux qui les tiennent
ont pu enjoliver partiellement l’ambiance qui régnait parmi eux cinq ans plus tôt. Ils
occultent par exemple que Yitzhak Rabin craignait la possibilité de «plusieurs dizaines de
milliers de morts» israéliens en cas de guerre. Pour autant, ils expriment une vérité
fondamentale.
Avant juin 1967, presque tous les généraux israéliens manifestaient une confiance quasi
absolue dans leur future victoire. Ils n’étaient d’ailleurs pas seuls. John Hadden, patron
de l’antenne de la CIA à Tel-Aviv, jugeait qu’en cas de guerre avec ses voisins, Israël
vaincrait «en six à dix jours, il en était certain» , écrit l’historien Tom Segev. La CIA en
avait informé Washington, et cette certitude participa grandement à l’accord final que
donna le président américain Lyndon Johnson à l’attaque israélienne, après avoir
longtemps manifesté de grandes réticences à la mise en œuvre d’une «guerre
préventive».
«Élargir les frontières d’Israël»
Le motif pour lequel les généraux israéliens étaient si sûrs d’eux fait l’objet d’un chapitre
entier de The Six -Day War (Yale University Press, 2017), un livre récent de l’historien
israélien Guy Laron. Lorsque, en 1972, ces généraux levèrent le voile sur leurs
motivations réelles pour déclencher la guerre, celui qui était alors le chef de l’armée de
l’air, le général Mordechaï Hod — dont les forces avaient annihilé l’aviation égyptienne,
syrienne et jordanienne en à peine plus d’une heure au matin du 5 juin 1967 — déclara :
«Seize ans durant, nous avons planifié ce qui s’est passé pendant ces 80 minutes initiales.
Nous vivions avec ce plan, nous dormions avec lui, mangions avec lui. On n’a pas cessé de le
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perfectionner» . C’est cette préparation minutieuse et ses motivations qu’expose Laron.
Le titre du chapitre qu’il consacre au sujet est sans ambiguïté : il s’intitule «Élargir les
frontières d’Israël».
En treize pages denses, l’historien détaille comment, quasiment dès le lendemain de la
guerre de 1948, l’état-major israélien a préparé de manière minutieuse l’extension des
frontières d’Israël. Quand il arrive au pouvoir, en 1963, le premier ministre Levi Eshkol
rencontre le chef d’état-major, Tsvi Tsour, qui lui explique qu’il faut renforcer la capacité
militaire du pays, de sorte que, lors de l’inéluctable prochaine guerre avec ses voisins,
Israël soit en mesure de «conquérir le Sinaï, la Cisjordanie et le Sud-Liban» .
Son adjoint Yitzhak Rabin confirme. Ezer Weizman, chef de l’armée de l’air, le dit de
manière plus hautaine encore : «Pour sa sécurité, l’armée devra élargir les frontières, que
cela corresponde à l’approche du gouvernement ou pas». Le même Weizman, proche du
parti Herout, promoteur historique du Grand Israël, suggère alors au gouvernement de
«penser sérieusement à lancer une guerre préventive» dans les cinq ans à venir! Un autre
général, Yeshayahou Gavish, prévient que si le roi Hussein de Jordanie venait à être
renversé, Israël devrait immédiatement s’emparer de la Cisjordanie.
Eshkol fut surpris, pourtant en réalité, ces officiers «ne faisaient que réitérer des concepts
formulés dès les années 1950», explique Laron. Et de multiplier les exemples.
Tous les cercles de l’état-major depuis quinze ans avaient été éduqués dans l’idée que
les frontières de l’État, telles qu’issues de l’armistice signé en 1949 avec les armées
arabes, étaient «indéfendables». Dès 1950, le département de la planification de l’armée
s’attelait donc à travailler sur la mise en place d’autres frontières, plus sécurisantes. Trois
«barrières physiques» furent alors visées : le Jourdain face à la Jordanie, le plateau du
Golan face à la Syrie, et le fleuve Litani au Sud-Liban. Ces trois barrières étaient perçues
par les militaires comme constituant, selon leur expression, «l’espace vital stratégique» du
pays. Un document de 1953 leur ajoute le Sinaï, pour assurer à Israël… des ressources
pétrolières et minérales.
En 1955, un an avant l’opération de Suez menée avec les Français et les Britanniques , le
chef d’état-major Moshé Dayan expliquait qu’Israël n’aurait aucune difficulté à trouver
un prétexte pour lancer une attaque sur l’Égypte. «Nous devons être prêts à conquérir Gaza
et la zone démilitarisée [le Sinaï] jusqu’au détroit de Tiran. Mais nous devons penser à un plan
en trois phases. La seconde sera d’atteindre le canal de Suez et la troisième Le Caire.
Développer ou non les trois phases dépendra des objectifs de la guerre.» Quant à la Jordanie,
son plan évoquait «deux phases : la première sera d’atteindre la ligne d’Hébron, la seconde
de conquérir le reste jusqu’au Jourdain».
Enfin, ajoutait-il, «Le Liban n’est que notre dernière priorité, mais on peut aller jusqu’au
Litani. Et en Syrie, le Golan constitue une première ligne à atteindre, la seconde serait Damas».
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En 1960, Yitzhak Rabin, devenu général, rédige un mémorandum détaillé sur la manière
de faire évoluer l’armée afin de conquérir de nouveaux territoires lors d’une prochaine
guerre. En avril 1963, alors que des émeutes éclatent en Jordanie, Dayan alors ministre
de l’agriculture et le vice-ministre de la défense Shimon Pérès indiquent au premier
ministre David Ben Gourion qu’un renversement du roi hachémite «fournirait un
prétexte» à Israël pour conquérir la Cisjordanie.
Un plan longuement mûri
Cet état d’esprit — celui de conquérir de nouveaux territoires pour élargir les frontières
et en particulier «terminer le travail» non achevé par la guerre de 1948, c’est-à-dire en
particulier s’emparer de la Cisjordanie et de la bande de Gaza — ne fait pas seulement
l’objet de plans de conquêtes militaires.
Ceux-ci s’accompagnent d’une préparation politique du lendemain de ces conquêtes,
montrant qu’Israël, même à l’issue d’une guerre supposément strictement «défensive»,
n’entend pas se séparer de ses bénéfices. Ainsi, quatre ans avant la guerre «préventive»
de juin 1967, le procureur général de l’armée israélienne Meir Shamgar (futur président
de la Cour suprême de 1983 à 1995) avait reçu l’ordre de commencer à mettre au point
un code juridique qu’Israël appliquerait en cas de conquête de nouveaux territoires.
Des cours sur la juridiction militaire en territoire conquis furent dispensés aux élèves
officiers et aux officiers de réserve de l’armée israélienne dès l’été 1963, rapporte Laron.
En décembre 1963, le chef d’état-major appointa le général Herzog à la tête d’une unité
spéciale destinée à préparer une occupation de la Cisjordanie . Dès lors, indique Laron,
l’École supérieure d’études militaires israélienne inclut l’administration militaire des
populations de territoires conquis dans son cursus, et une brochure en ce sens fut
imprimée pour les futurs responsables d’une telle activité.
«De nombreuses copies de cette brochure furent insérées dans le kit que les juges et les
procureurs militaires devraient recevoir dès que l’occupation débuterait», écrit Laron.
Pourtant, avant juin 1967, l’idée de l’extension des frontières semblait rester confinée en
Israël à deux mouvances politiques très identifiées. D’une part la droite nationaliste, qui
ne renonçait pas à son rêve de Grand Israël «sur les deux rives du Jourdain», de l’autre la
fraction activiste du mouvement travailliste sur le plan territorial, nommée Ahdout
Haavoda (Unité travailliste), qui n’avait jamais accepté la partition de la Palestine.
Ensemble, ces deux mouvances restaient minoritaires. Quant aux gouvernements
israéliens, à dominante travailliste, ils se divisaient traditionnellement entre «faucons» et
«colombes» vis-à-vis de l’espace arabe environnant. Le premier ministre David Ben
Gourion faisait figure en leur sein d’arbitre faucon, mais pragmatique. En revanche, ce
que montre Laron, c’est que l’idée de «récupérer» par la force les territoires de la
Palestine non conquis en 1948 et plus généralement d’«élargir» les frontières d’Israël
était présente, au niveau de l’état-major, de manière constante entre 1948 et 1967
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Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à l’état-major, traditionnellement, la frange
Ahdout Haavoda du travaillisme était surreprésentée. Entre eux, par dérision, les
généraux israéliens appelaient les vieux politiciens sionistes «les Juifs», le terme
symbolisant à leurs yeux la «faiblesse» congénitale de ceux qui ont gardé la mentalité
peureuse de la diaspora. En retour, ces politiciens dénommaient les jeunes généraux
«les Prussiens»…
Un «putsch à l’israélienne»
Gen. Uzi Narkiss (là gauche), Moshe Dayan et Yitzhak Rabin dans la vieille ville de Jérusalem pendant la guerre de
1967 (photo credit: Ilan Bruner/Wikipedia)
Certes, les services de «planification» d’un état-major sont faits pour répondre à toutes
les situations imaginables, des plus évidentes aux plus improbables. Mais la constance
des plans de conquête israéliens, leur logique et leur amélioration permanente — le fait,
par exemple, que les dispositifs pour évacuer les populations de Cisjordanie et du Golan
(autobus et camions) furent instantanément disponibles en juin 1967 — montrent sans
conteste que, comme dira le général Hod, l’état-major avait vécu, mangé et dormi
presque deux décennies avec ce plan d’élargissement des frontières «sans jamais cesser
de le perfectionner».
C’est indubitablement avec ce plan en tête que de tous côtés, les généraux israéliens
vont commencer — surtout à partir du 23 mai 1967, date de l’annonce de la fermeture
par l’Égypte du détroit de Tiran, considéré par Israël comme un casus belli — à exercer
une pression croissante sur le gouvernement et le premier ministre pour qu’il autorise le
lancement d’une guerre préventive.
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