
leur encontre dans les espaces publics (Riger et al., 1978 ; Gardner, 1995). De
fait, elles élaborent des stratégies d’évitement ou d’auto-exclusion face aux
espaces publics dans une proportion bien plus importante que les hommes.
La construction sociale de la peur des violences se manifeste donc dans la
division socio-sexuée de l’espace (Pain, 1997). Ainsi, les femmes se sentent
plus « autorisées » à fréquenter certains espaces et ont au contraire l’impres-
sion que leur présence est moins « légitime » ou « permise » dans d’autres.
Franchir ces limites spatiales, c’est à leurs yeux s’exposer au risque de
violences. Les travaux de géographes féministes soulignent également la
dimension temporelle des contraintes imposées aux femmes par le monopole
masculin des espaces publics (Darke, 1996 ; Valentine, 1992b). C’est la nuit
qui évoque tous les dangers, le moment de la journée où une femme ne devrait
pas se retrouver au-dehors, seule. Si se retrouver dans un endroit mal éclairé
peut être source d’angoisse, il est suggéré également qu’il y a peut-être une
heure de la journée au-delà de laquelle il est déconseillé – ou mal vu – d’être
seule au-dehors. Hille Koskella (1999) a étudié le sentiment d’insécurité des
femmes dans la ville d’Helsinki, où les nuits d’été sont claires alors que les
journées d’hiver sont sombres et courtes. Il s’avère que les Finlandaises ne
font aucune différence en termes de danger entre les nuits d’hiver et les nuits
d’été. Ce n’est donc pas le manque de lumière qui incite les femmes à rester
sur le qui-vive, mais la dimension sociale de la nuit.
En définitive, selon certaines criminologues, les femmes ont constamment
à l’esprit qu’elles risquent de se faire agresser lorsqu’elles déambulent dans
les espaces publics après une certaine heure (Stanko, 1990). Riger, Gordon et
Lebailly (1978) montrent que les femmes se perçoivent comme plus vulnéra-
bles, plus faibles et moins rapides que les hommes. Or, la peur varie selon le
sentiment de vulnérabilité des personnes et suivant la gravité attribuée aux
dangers (Warr et Stafford, 1983). Ainsi, plus une personne appréhende
comme une réalité possible le fait d’être victime d’un crime majeur à ses
yeux, plus elle aura peur (1). Les femmes apparaissent comme le groupe le
plus touché par l’insécurité urbaine parce qu’elles se sentent vulnérables aux
violences sexuelles qui à leurs yeux constituent des faits graves, ce que
Ferraro (1996) nomme l’effet « shadow » : la peur du crime sexuel a une
influence sur tous les aspects de leur vie.
Maints écrits au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ont
cherché à expliquer l’origine concrète de ces peurs. L’expérience directe de la
violence ou une agression subie par une proche, une collègue, une voisine,
peut contribuer au sentiment de peur dans certaines situations ou certains
lieux publics (Gardner, 1990 ; Valentine, 1992a). Toutefois, nombre de cher-
cheurs ou d’acteurs de terrain sont d’accord pour dire qu’il n’existe pas de
relation simple et directe entre le type d’acte et sa conséquence spécifique en
termes de souffrance ou de changement de comportement (Kelly et Radford,
1998). Si les peurs que les femmes disent éprouver sont liées aux violences à
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Revue française de sociologie
(1) À cet égard, certains auteurs estiment
donc qu’il est aussi nécessaire de distinguer la peur du crime en général et la peur de violences
spécifiques (Charland, 1988).
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