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Plan détaillé Histoire de la vie politique

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Histoire de la vie politique
Plan détaillé
Cours de Brigitte Gaïti
UFR 26 L1
Introduction :
Histoire de la vie politique et processus de démocratisation entre Révolution
française et 5e république
Première idée : processus long, peu linéaire, toujours en jeu, susceptible de
régression (on peut rappeler la période du régime de Vichy où les éléments
attachés au régime démocratique ont été abandonnés)
Difficile de définir ce qu’est substantiellement la démocratie et on verra que
cette question reste tout au long de la période jusqu’à aujourd’hui un enjeu des
débats politiques)
On peut souligner (pour mieux les éviter) quelques défauts fréquents dans
l’analyse de la vie politique
- se focaliser sur les événements : on étudiera le poids de certains
événements (la crise du 16 mai 1977, l’affaire Dreyfus, la manifestation du
6 février 1934, le 13 mai 1958 ou encore mai 68 ou mai 1981) mais à
condition de comprendre comment ces événements s’insèrent dans des
processus longs : par exemple, l’affaire Dreyfus s’inscrit dans un
mouvement qu’elle accélère et renforce, à savoir la collectivisation et la
pluralisation de acteurs de la vie politique (naissance des partis politiques,
rôle nouveau de l’armée, de l’opinion ou des intellectuels). D’autres
événements moins connus seront mis en lumière ; par exemple, la loi de
1913 sur l’isoloir qui rend matériellement possible le vote secret, renvoie
à une lutte longue entre partisans d’un contrôle maintenu des électeurs
(plutôt des notables) et partisans d’une émancipation de l’électeur
(susceptible de voter pour des nouveaux venus en politique) : pour ces
derniers, l’isoloir permet aux électeurs de s’affranchir des tutelles sociales
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- focalisation sur les règles institutionnelles : la Constitution ne résume pas
ce qui peut se passer dans la vie politique ; il y a des règles formelles mais
aussi informelles. La puissance du président de la République ne relève
pas seulement de la Constitution de la Ve République mais s’inscrit aussi
dans des transformations des règles du jeu partisanes, des formes de
discipline électorale et parlementaire, et la configuration liée au conflit
algérien entre 1958 et 1962 ; plus largement, elle s’inscrit dans un temps
long qui déborde les changements de régime et qui est celui de la montée
en puissance de l’exécutif (qu’on observe dès la première moitié du XXe
siècle)
- Attention aussi à ne pas trop se focaliser sur les idées : par exemple on
peut faire remonter le clivage droite gauche à la Révolution si l’on y
tient mais c’est un clivage qui change de contenu, et qui la plupart du
temps n’est pas opérationnel pour comprendre la vie politique. Le
nationalisme, au départ idée de gauche contre la monarchie, passe
ensuite à droite sous la 3e République. Le pacifisme, revendiqué à gauche
avant la première guerre mondiale, touche dans les années trente les
rangs d’une droite peu disposée à en découdre avec l’Allemagne nazie et
qui fait des communistes l’adversaire principal. Plus largement, les idées
ne sont pas toujours au départ de l’action politique : un homme politique
compose avec ce qu’il pense, ce qu’il peut y gagner et ce qu’il peut faire et
dire dans certaines conjonctures. Il faut bien sûr prendre en compte la
manière dont certains enjeux organisent les clivages : la question de la
laïcité ou encore l’affaire Dreyfus divisent droite et gauche au tournant du
XXe siècle, mais quelques années plus tard, la question sociale liée à la
montée du mouvement ouvrier dans un contexte d’industrialisation
devient un enjeu structurant la compétition politique. Résultat, des
hommes situés très à gauche dans la première configuration se retrouvent
déplacés à droite lorsque la question sociale devient un enjeu porté par le
tout nouveau parti socialiste (SFIO créée en 1905)
- Attention aux termes : le mot « parti politique » ne désigne pas tout à fait
le même type d’organisation selon les époques, le libéralisme sous la IIIe
n’a pas le sens économique qu’il a pris aujourd’hui, etc.
Principes d’analyse :
Temps long de la démocratisation : il renvoie à des processus longs également
(processus de scolarisation, de salarisation, etc.)
Par ailleurs, la démocratisation peut renvoyer à des processus apparemment
contraires à ses finalités : ainsi, la professionnalisation des hommes politiques
qui prétendent parler au nom des citoyens (et donc qui d’une certain façon,
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« confisquent » sa parole) a pourtant à voir avec une démocratisation du
recrutement du personnel politique et une émancipation des électeurs vis-à-vis
de certaines tutelles sociales
Attention à essayer de reconstituer les contextes d’action précis dans lesquels
les hommes politiques, les militants, les syndicalistes, les patrons, les
intellectuels, etc., pensent, calculent agissent.
Enfin rappelons des points de l’on oublie souvent dans l’histoire de la
démocratisation de la vie politique : le rôle des femmes exclues du suffrage
universel jusque 1944 alors même qu’elle sont de plus en plus indépendantes
socialement, le poids du colonialisme,, l’interprétation de Vichy dans la vie
politique (s’agit-il d’un moment de rupture complète avec l’héritage
démocratique français ou y a-t-il des formes de continuité ente les politiques des
années 30 et la période de Vichy)
Annonce du plan d’ensemble
Un court chapitre introductif qui s’intéresse à la période qui va de la Révolution
française aux débuts de la IIIe République
Puis deux chapitres : un chapitre 1 sur la domination des parlementaires et ses
contestations : la démocratie représentative entre 1870 et 1958
et un chapitre 2 sur les transformations et les crises de la démocratie
représentative sous la Ve (depuis 1958)
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Chapitre Introductif
L’émergence chaotique d’un processus de démocratisation entre 1789 et 1870
Rappel d’une chronologie chaotique qui évoque une forte instabilité
institutionnelle, des conflits importants entre élites politiques
1789 - 1815 : période révolutionnaire
- 1789 – 1792 : monarchie constitutionnelle (1792 : fuite du roi)
- 1793 : 1ere République (Constitution de l’an 1 non appliquée car guerre
civile et situation d’urgence. Régime dit de terreur)
- 1795 : directoire
- 1799 : Consulat
- 1802 : Consulat à vie
- 1804 : Premier Empire
1814-1848 : période de retour à la monarchie
- la Restauration (1814-1830)
- La monarchie de Juillet (1830-1848)
1848- 1852 : la seconde République
1852-1870 : la seconde République
Durant ces périodes, des débats, des dispositifs, des principes de
légitimation, des pratiques, des normes sont discutés, expérimentés mais peu
stabilisés. Il est intéressant malgré tout de s’y confronter pour voir comment
se structurent des enjeux nouveaux et les multiples façons dont s’inventent
et se renégocient des régimes politiques.
A Les incertitudes de la période révolutionnaire
Beaucoup de choses sont débattues avec vigueur (nature du suffrage, de la
représentation, du peuple, de la volonté générale ou de la souveraineté) et
beaucoup sont expérimentées ; mais la vie politique est alors très faiblement
stabilisée.
1. Les débats ouverts durant la période révolutionnaire
Quel peuple ? quel citoyen ?
Le peuple est politiquement insaisissable : le pouvoir lui est donné mais sous
quelle forme ? L’article 1 de la DDH dit que : « Les hommes naissent libres et
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égaux en droit » mais l’article 3 propose que « le principe de toute souveraineté
réside essentiellement dans la nation » et l’article 6 affirme que « la loi est
l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir
personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ». Le peuple conçu
comme l’ensemble des citoyens se distingue de la nation, cet ensemble juridique
qui regroupe l’ensemble des représentants. Ces articles ne précisent pas
vraiment si l’ensemble des citoyens a un droit de vote et comment comprendre
l’articulation entre peuple / nation.
Quel régime ?
L’enjeu est celui de la définition du titulaire de la souveraineté : il s’agit de
préciser quel est le fondement de la légitimité du pouvoir puisque désormais il
ne s’agit plus d’une légitimation religieuse (la souveraineté de droit divin) ou
dynastique. Deux options, au moins théoriques :
Si le souverain est le peuple, alors il a la prime sur les représentants ; le suffrage
est un droit du citoyen : on ne peut lui retirer le droit de vote. Le suffrage doit
être universel. La souveraineté est populaire. (on peut évoquer ici Jean Jacques
Rousseau et son contrat social)
Si le souverain est la nation, la prime est donnée aux représentants qui fixent
l’étendue du corps électoral et on ne parle plus d’un électorat droit mais de
l’Electorat fonction : le fait de voter est associé à une fonction détenue par
quelques-uns qui désignent les représentants qui vont parler au nom du peuple.
La souveraineté est nationale (On peut évoquer ici l’abbé révolutionnaire Sieyès
« Tous les habitants d’un pays doivent y jouir des droits de citoyen passif :
protection de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, mais tous n’ont
pas droit à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics »)
Cette opposition entre deux définitions (peuple souverain ou nation souveraine)
a des conséquences importantes : la souveraineté nationale implique une
participation politique éventuellement réduite à quelques-uns (les plus riches ?
les plus instruits ? les propriétaires fonciers ? les commerçants ?) et un rôle
prééminent des représentants. On verra que si cette formule du régime
représentatif va durablement l’emporter, la seconde formule, plus proche d’u
régime de démocratie directe, centrée non seulement sur le suffrage universel
mais aussi sur une participation politique intense, permanente des citoyens et
sur une mise sous contrôle populaire des élus reste un idéal et une arme critique
disponibles. Durant la période révolutionnaire, la radicalisation qui s’engage
après la mort du roi et se lit dans la Constitution de 1793 renvoie à cela
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Dans un régime de démocratie directe, la démocratie est entendue à l’époque
révolutionnaire dans un sens radical que le terme perd par la suite : à savoir que
le peuple est législateur et magistrat, qu’il exerce les pouvoirs législatif et
exécutif
Dans un régime représentatif (à l’époque on parle de gouvernement
représentatif et pas de démocratie représentative), les principes sont différents.
Sieyes justifie ainsi son choix en faveur du gouvernement représentatif : « Un
des effets du système représentatif dans l’ordre politique est de mettre chaque
fonction dans les mains d’experts » « La très grande pluralité de nos concitoyens
n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir pour vouloir s’occuper directement
des lois qui doivent gouverner la France : la France n’est point, ne peut pas être
une démocratie »
L’ombre de Rousseau et de cette souveraineté populaire hante malgré tout les
révolutionnaires, y compris les défenseurs d’un régime représentatif : « La
législature, concède Sieyes, a continuellement besoin d’être rafraîchie par
l’esprit démocratique : il ne faut qu’elle soit placée à un trop grand éloignement
des premiers commettants ». Bref, il faut des élections régulières pour redonner
de la légitimité aux représentants ; en ce sens, ils dépendent du peuple.
On sait que la solution trouvée dans l’histoire politique au moins jusqu’à
aujourd’hui est celle du gouvernement représentatif qu’on appellera très vite
« démocratie représentative ». Rappelons que le gouvernement représentatif
s’accommode d’un suffrage universel comme d’un suffrage réduit : il indique
simplement cette structuration du régime autour des représentants
2 Quelles applications concrètes de ces innovations conceptuelles durant la
révolution française ?
On peut dire qu’entre 1789 et 1795 ; les deux types de formule politique
(démocratie populaire et gouvernement représentatif) sont tentés
Mise en place d’un régime de gouvernement représentatif fondé sur le suffrage
restreint dans la constitution du 3 septembre 1791
La souveraineté est celle de la nation et le mandat confié aux représentants
n’est pas impératif (les représentants ne sont pas tenus par leurs électeurs) il est
représentatif (on fait confiance aux représentants sur leur capacité à trouver
dans la délibération le bien commun). Le peuple n’est puissant politiquement
que durant le moment électoral ; ensuite c’est aux représentants d’agir, à
distance des représentés
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-
-
 Le suffrage est restreint : sont électeurs
ceux qui peuvent faire état d’une année de domicile dans la ville ou le canton
du vote (éviter les vagabonds ou les instables)
ceux qui disposent d’une citoyenneté pleine et entière (pas de faillis,
d’accusés)
ceux qui disposent de l’indépendance du jugement (pas de mineurs, de
femmes et de domestiques)
ceux qui ont un intérêt à l’établissement public, c’est-à-dire à un bon
gouvernement des choses et des hommes (il faut posséder au moins un peu
pour être raisonnable)
il y a des conditions de cens. Attention, il ne s’agit pas de payer un impôt
pour voter mais seuls ceux qui paient un certain montant d’impôt sont
concernés par le vote. Le débat peut porter sur le type d’impôt : faut il faire
voter ceux qui paient un impôt foncier (et les citoyens sont des propriétaires
terriens) ou par exemple ceux qui paient un impôt lié au commerce (et on
favorisera d’autres groupes citoyens davantage lié au négoce). La
Constitution de 1791 prévoit une imposition minimale de trois journées de
travail pour faire partie des citoyens actifs. En fait, la somme est faible
Statistiquement en 1791 : plus d’1/3 de citoyens exclu (en gros 4 300 000
actifs et 2 700 000 passifs). On trouvera dans l’histoire des systèmes
beaucoup plus censitaires (ici ce ne sont pas seulement les très riches qui
peuvent voter) Système qui a très mal fonctionné de toute façon : désordre
fiscal, dispense. Liste d’électeurs mal faite
Les révolutionnaires mettent en avant des principes de justification de
l’élimination de certains citoyens (dit citoyens passifs)
- Justification au nom de la collusion probable entre les plus riches et les plus
pauvres (achat de voix est craint)
- Justification au nom de l’élargissement à venir du nombre des citoyens actifs : il
faut dit Condorcet miser sur l’instruction publique et le progrès économique et
bientôt les citoyens actifs représenteront l’ensemble des citoyens)
 le suffrage est indirect : les citoyens actifs désignent au sein d’assemblées
primaires les électeurs du second degré chargés d’élire les députés. Pour
être électeur du second degré, il faut être propriétaire, usufruitier ou
fermier d’un bien évalué entre 100 et 400 journées de travail selon
l’importance des communes. C’est une manière de filtrer les élans d’un
peuple, qui même déjà réduit, est pensé comme versatile et émotif
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Cette première solution est d’emblée fragilisée par ceux qui vont mobiliser
l’idéal de la démocratie directe et du suffrage universel pour conquérir le
nouveau pouvoir
Radicalisation révolutionnaire entre 1792 et 1794 : le mot d’ordre de la
souveraineté populaire
Entre 1792 et 1794, c’est une autre solution qui est explorée : celle de la
souveraineté populaire et de la démocratie.
La critique de la monarchie constitutionnelle et surtout de la séparation entre
citoyens actifs et citoyens passifs est menée par certains révolutionnaires (les
Jacobins autour de Robespierre) au nom de la démocratie et du suffrage
universel. En 1792, le roi est suspendu de ses fonctions du fait de sa noncoopération avec les représentants. Un conseil exécutif provisoire dont les
membres sont nommés par l’Assemblée est mis en place. Les citoyens sont
appelés à élire une nouvelle assemblée, la Convention, qui sera chargée
d’assurer « la souveraineté du peuple ». En aout 1792, un décret du mois d’aout
supprime la distinction entre citoyens actifs et citoyens passif et un suffrage très
large est instauré (même s’il écarte les femmes bien sûr mais aussi les
domestiques et les indigents et même s’il est un suffrage indirect). Reste que 7
millions de citoyens sont théoriquement électeurs : théoriquement, car
seulement un dixième d’entre eux se déplaceront. En septembre, la nouvelle
assemblée élue, dite Convention, proclame l’abolition de la royauté et inaugure
l’an 1 de la République française ; elle a pour tâche de choisir un projet de
Constitution qui sera soumis au peuple.
Cette Constitution dite de l’an 1 votée en 1793 proclame le suffrage universel
masculin direct et le principe de la souveraineté populaire :
« Le peuple souverain est l’universalité des citoyens français » (art 7) ; « il
nomme immédiatement ses députés » (art. 8) ; (scrutin direct) Les mandats sont
courts (un an pour les députés), révocables, impératifs. Les marges de
manœuvre des représentants sont pensées comme extrêmement étroites. Les
députés sont compris comme des commissaires du peuple ; ils siègent un an et
en permanence : l’exécutif est le commis de l’assemblée,elle-même agissant
sous contrôle du peuple. Cette Constitution est votée par référendum (1 801 918
oui contre 11 610 non et 4 300 000 abstentions) mais elle ne sera jamais
appliquée (car guerre civile et période dite de la Terreur qui s’achève avec la
condamnation à mort de Robespierre) ;
Ces deux premières constitutions symbolisent bien les deux configurations
possibles : gouvernement représentatif contre démocratie directe ; suffrage
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censitaire et indirect contre suffrage universel direct, souveraineté nationale
contre souveraineté populaire, mandat représentatif contre mandat impératif.
Ces différents « ingrédients » politiques décrivent un continuum dans lequel
prennent place les différents régimes qui suivent 1789
Ainsi de 1795 à 1814, le suffrage universel n’est jamais formellement aboli mais
de fait ne s’exerce plus. Retour au suffrage restreint sous le Directoire sur la
base de critères fluctuants (par exemple sous le premier Empire, les personnes
qui veulent s’inscrire, doivent savoir lire et écrire et exercer une profession
« mécanique »)
3 Quelles pratiques politiques nouvelles ?
 les citoyens restent assez indifférents dans leur majorité au droit de vote.
problème qui va rester tenace tout au long du XIXe siècle
Le modèle démocratique du vote suppose une société où des individus
pourraient exprimer librement un choix politique personnel. Ce choix pèserait le
même poids quel que soit celui qui le fait. Le droit de suffrage démocratique
suppose donc une société individualisée et égalitaire. Or, ce dispositif de
suffrage est introduit dans une société qui présente des caractéristiques
différentes : la société d’Ancien régime est faite de collectifs, de corps de statut
très inégaux et non pas d’individus et encore moins d’individus égaux. On peut
repérer une organisation communautaire de la société et une structuration
hiérarchique de ces communautés. On peut comprendre ainsi le fait, étrange vu
d’aujourd’hui, que, lors des élections, il n’y a pas de candidats déclarés jusque
1795 et pas de compétition électorale : cela montre les réticences très fortes visà-vis du pluralisme électoral et de la concurrence entre candidats vus par
beaucoup comme un facteur néfaste de division du groupe communautaire
Dans ces sociétés organisées sur la base de communautés très hiérarchisées, le
vote est réinterprété par beaucoup de ceux qui le pratiquent non pas comme
une expression politique individuelle et égalitaire mais comme l’expression
d’une appartenance à une communauté et donc comme un des vecteurs de
reconduction et de légitimation des hiérarchies et des inégalités qui structurent
les communautés. Les révolutionnaires ont compris assez vite le problème et
certains ont tenté de construire un nouveau peuple et une nouvelle société
(éradication des patois, suppression des corporations, création des
départements et suppression des paroisses)
Mais les révolutionnaires échouent dans leurs tentatives pour créer les
conditions d’un vote citoyen (par ex. par le scrutin secret, ou le vote hors de la
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paroisse) en contournant le contrôle social ; le vote à haute voix, en assemblée,
est plus conforme aux pratiques sociales ordinaires. Le droit de suffrage est
confronté aux réalités d’une société organique où l’individu n’existe guère
(incorporation à une hiérarchie de corps). Le citoyen, individu requis par les
institutions nouvelles, célébré par tout le discours révolutionnaire, n’existe pas
dans la société réelle, si ce n’est dans les élites pour l’essentiel urbaines qui ont
fait avant 1789 l’apprentissage des principes et des pratiques de la sociabilité
démocratique.
 les représentants restent extrêmement méfiants vis-à-vis des électeurs et
s’emploient à les tenir à distance
Le mandat représentatif est préféré au mandat impératif (sauf Constitution de
l’an1) « Les représentants nommés dans les départements ne seront pas les
représentants d’un département particulier, mais de la nation entière, et il ne
pourra leur être donné aucun mandat. » ; en fait, la nation est l’assemblée des
représentants et c’est entre eux, dans la délibération qu’ils mènent, dans les
arguments éclairés qu’ils échangent, que se dégagerait l’intérêt général ou le
« bien commun ». On verra que ce principe continue de structurer la vie
politique jusqu’au milieu du XXe siècle
. les électeurs votent souvent de façon indirecte : il s’agit en quelque sorte de
filtrer socialement la composition du corps électoral
. lorsque des élections sanctionnent les équipes en place, elles sont invalidées
(élections de l’an V et l’an VI sous le Directoire) ou encore on en passe par le
coup d’Etat (18 Brumaire)
. les citoyens votent de moins en moins ; la durée de mandats tend à s’allonger
(très net sous l’Empire) ; l’appel aux citoyens se fait rare
 les organes de l’exécutif non élus reviennent sur le devant de la scène :
l’exemple du premier Empire
Le pouvoir exécutif avait été très largement marginalisé depuis la révolution ;
souvenir du monarque de droit divin et du rôle peu coopératif de Louis XVI lors
de la monarchie constitutionnelle installée en 1791
Napoléon, rompt avec ce tabou de la puissance de l’exécutif : tout au long de
son ascension au pouvoir, puis lorsqu’il se trouve au sommet, il tend à s’appuyer
sur des hommes et des groupes nommés par lui et plus largement, il consolide
une administration d’Etat (naissance des préfets)
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Dans ce cadre, les électeurs et les élus sont marginalisés au profit des hommes
de l’Etat ; les électeurs ne choisissent pas : ils ratifient des hommes cooptés par
le pouvoir et sont censés reconduire les équipes en place : exemple
napoléonien du plébiscite (consulat à vie : plébiscite de 1802 se solde par 3
millions de oui et 1600 non. Le passage à l’empire est plébiscité en 1804 par
3.500 000 oui contre 2569 non).Théorie de la confiance qui vient d’en bas et le
pouvoir d’en haut (Sieyès)
. les organes élus sont eux aussi marginalisés. Les représentants sont placés sous
le contrôle de l’exécutif, lorsqu’il s’agit de légiférer
Conclusion : premier bilan sur la participation. Les électeurs ne font pas grandchose du suffrage et les représentants l’ignorent ou le contournent tout en
apprenant à s’en prévaloir à des fins de légitimation. Cependant, le droit de
suffrage reste une contrainte et ne pourra plus vraiment être totalement
supprimé. Période suivante le montre ; période conservatrice mais reconduction
de l’élection comme principe de désignation de certains organes du pouvoir
politique. Même si lesuffrage est contrôlé de différentes façons : par la
restriction du corps électoral entre 1815 et 1848 d’abord puis par la surveillance
des élections sous le Second Empire
B Régression politique et apprentissages des pratiques électorales sous les
monarchies de 1815 à 1848 et le Second Empire
1. les monarchies censitaires 1815 1848 : la mise l’écart des citoyens et la
surveillance des représentants
Période de la restauration : retour à l’Ancien régime, à la monarchie de droit divin
Louis XVIII roi en 1814 et Charles X en 1824.
1830 Louis Philippe et la monarchie de juillet : intégration de certains principes
révolutionnaires dans le régime monarchique : ainsi Louis Philippe n’est plus roi de
France mais roi des français
1.1. la restriction du corps électoral :
40 000 électeurs en 1815 ; 250 000 en 1847 (pour les élections législatives) : en
1848, il y aura 9 400 000 électeurs. Sur la période, on peut noter un timide
élargissement du corps électoral ; on passe de 40 000 à 250 000 mais surtout, la
loi de 1831 sous la Monarchie de juillet a élargi le principe de l’élection et
l’étendue du corps électoral pour les élections locales.
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1.2.
Apprentissage limité du droit de suffrage et d’une compétition
politique très ancrée dans les relations sociales
Ce que montrent aujourd’hui les historiens, c’est la familiarisation de citoyens et
des élites sociales avec le suffrage dans ces périodes très « douteuses » dans
l’histoire démocratique
Elections ne ressemblent pas aux élections contemporaines : les électeurs et les
candidats se connaissent ; ils appartiennent à un monde socialement aisé. La
campagne se fait bien souvent en face à face et on donne sa voix en échange
d’avantages assez individualisés (une décoration, un avancement, une mise en
relation etc). On y parle peu de politique nationale.
1.3. Le contrôle des parlementaires par l’exécutif
Les parlementaires eux-mêmes sont de plus en plus surveillés par l’exécutif ; en
1816, le roi Louis XVIII se retrouve avec une chambre peuplée d’ultra royalistes,
souvent issus de l’émigration qui préconisent une politique intransigeante (ils
sont, dira-t-on « plus royalistes que le roi »). Le roi dissout la Chambre en 1816
et tente de contrôler les candidatures. Les élections, pourtant réservées à une
toute petite minorité de nobles fortunés, seront de plus en plus surveillées par
l’administration royale qui va développer là une nouvelle technologie de
contrôle des élections, aussi bien des électeurs que des candidats.
2. 1848 la deuxième République et les surprises du suffrage universel : les
mystères de l’élection de 1848 ( participation forte et résultat inattendu)
La Constitution du 4 novembre 1848 (IIe République) consacre le suffrage
universel dans ses articles 24 («Le suffrage est direct et universel. Le scrutin est
secret.») et 25 (« Sont électeurs sans condition de cens, tous les Français âgés de
vingt et un ans et jouissant de leurs droits civils et politiques.»). Le nombre
d’électeurs passe à 9,5 millions de personnes. Le vote se déroule au chef-lieu de
canton.
Deux surprises de l’élection d’avril 1848
- le taux élevé de participation 83,69 % des inscrits (7 835 000 votants pour
9 400 000 électeurs inscrits)
- le résultat : Près des deux tiers des élus sont des anciens élus (comme si 9 400
000 personnes votaient de la même façon que les 250 000 électeurs très
fortunés de la monarchie de juillet)
Pourquoi ? Cela tient à la dimension communautaire de l’acte de vote en 1848
Dans les campagnes, le vote devient une fête de village. Electeurs endimanchés
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se déplacent en cortège jusqu’au chef lieu de canton et votent sur un mode
unanimiste pour le candidat le plus connu, c’est-à-dire généralement le député
en place. Le suffrage universel perd son caractère étrange, c’est-à-dire ici son
caractère « politique », pour devenir une pratique communautaire, structurée
par l’appartenance au village et la reconnaissance des autorités traditionnelles.
Les nouveaux venus (les républicains de 1848) n’ont pas eu le temps de
véritablement s’organiser et de se faire connaître. Une partie des autorités
sociales et politiques déjà en place se font donc consacrer par le suffrage
universel (c’est le cas bien connu de Tocqueville, élu de la monarchie de Juillet
reconduit sous la IIe République) :
A partir de 1849, les républicains s’organisent et brouillent le jeu
communautaire dans la mesure où ils divisent et politisent l’élection : montée
des abstentions et des votes plus hostiles aux notables.
La riposte des députés assez conservateurs élus en 1848 à la possible montée en
puissance de députés plus réformateurs consiste dans un aménagement de la
loi électorale : il ne s’agit pas de revenir sur le principe du suffrage universel
mais de ruser avec lui, par le biais des conditions d'inscription sur la liste
électorale. La loi du 30 mai 1850 porte à 3 ans le délai de résidence requis : il
s’agissait d’écarter la « vile multitude » (Thiers), c'est-à-dire les fractions
populaires urbaines de l’électorat les plus mobiles (ouvriers itinérants,
célibataires chassés par la crise et qui cherchent l’embauche). La loi aurait retiré
le droit de suffrage à 2.800.000 électeurs (sur 9,6 millions) mais elle n’a jamais
été appliquée. Louis Napoléon Bonaparte s’appuie sur la défense du suffrage
universel pour légitimer son coup d'État (2 décembre 1851)
Problème nouveau qui va connaître un grand retentissement dans les temps à
venir : le président de la République (comme incarnation de l’Etat) notamment
lorsqu’il peut revendiquer un lien direct avec le peuple (le président est élu au
suffrage universel sous la 2e République) devient un personnage suspect pour les
parlementaires Républicains
3. Le second Empire (1852 6 1870) : la mise sous tutelle étatique des élus et
des citoyens. Suffrage universel sous contrôle ou suffrage universel
« dirigé » (Thiers)
Défi pour le nouveau régime : mettre en place le suffrage universel et les
incertitudes qu’il comporte alors même que s’accélère le processus
d’industrialisation et d’urbanisation du pays (montée de la classe ouvrière,
fragilisation des communautés traditionnelles due à l’exode rural) ? Pour
affronter ces défis, il faut, dit Thiers, un « suffrage universel dirigé »
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Le gouvernement met en place différents dispositifs.
- un dispositif institutionnel de mise à distance (ou de marginalisation) du
suffrage universel (héritage de Napoléon Ier)
. allongement des mandats (députés et conseillers généraux sont renouvelés
tous les six ans, conseillers municipaux tous les sept ans)
. faible nombre de représentants : le nombre d’élus au corps législatif est de 261
députés (ils étaient 750 auparavant).
. manipulation des résultats ; grâce à un découpage approprié des
circonscriptions, les votes ruraux (plus favorables au régime) noient les votes
urbains (les circonscriptions urbaines voient le nombre de leurs représentants
chuter : la Seine passe de 28 à 9 ; le Nord de 24 à 8 et le Rhône de 11 à 4)
- un dispositif politique de contrôle des campagnes électorales des
candidatures et des organes élus
. obligation pour les élus et les candidats (1858) de prêter un serment de fidélité
au régime : certains républicains refusent de prêter serment et donc sont exclus
du jeu électoral
. système de la candidature officielle renforce ce contrôle de l’exécutif sur les
élections.
Effets du suffrage universel sont contrôlés ; compétitions marquées par le poids
du candidat officiel qui l’emporte souvent dès le premier tour. Les autorités
sociales (patrons, curés) font pression sur le vote. L’encadrement des opinions
fonctionne moins bien dans un cadre urbain et dans les univers poly-industriels :
succès électoraux républicains à Paris Lyon ou Marseille
. marginalisation des organes élus par le suffrage universel qui sont placés sous
contrôle étroit de l’exécutif (l’Empereur est réputé être le personnage qui a été
le mieux consacré par le suffrage universel et que rien ne peut contester) : par
exemple le maire n’est pas élu par son conseil municipal mais choisi par
l’empereur, y compris en dehors du conseil, y compris sans tenir compte des
résultats électoraux locaux. Le maire est considéré ici comme un fonctionnaire
de l’Empire, soumis à la tutelle de l’exécutif
Remarque : la mise en place d’une élite notabiliaire (recomposée autour des
bonapartistes) ne vient pas uniquement de ces dispositifs impériaux. Elle
provient aussi d’un faible intérêt des électeurs pour la politique. Les
Républicains, à la fin du second Empire, saisissent l’intérêt qu’il y a pour eux à
15
faire émerger des citoyens nouveaux, éduqués politiquement, capables de voir
dans le vote une condition de l’amélioration de leurs conditions de vie (s’ils
votent pour ceux qui les défendent) : ces républicains quadrillent le territoire,
organisent partout des réunions, des fêtes, informent, tentent de rendre la
politique plus familière, d’inculquer l’idée que le vote est un devoir et qu’il peut
avoir des effets en terme d’amélioration des conditions de vie.
Conclusion : alors même que le suffrage universel masculin est établi depuis
1848, le rôle des électeurs est encore très largement encadré et limité. Les élus
eux-mêmes et plus largement une nouvelle classe politique se voit elle aussi
mise sous tutelle du pouvoir exécutif. A partir de la IIIe République, les
représentants semblent cette fois assurer leur domination : ils réussissent à
domestiquer l’électorat et le suffrage universel et semblent désormais contrôler
le pouvoir exécutif. On verra que cette représentation d’un monopole des élus
dans l’exercice de la vie politique est largement trompeuse : de nouveaux
groupes (militants et dirigeants des partis, des ligues ou des syndicats,
banquiers, intellectuels, journalistes) et d‘autres plus anciens (magistrats,
militaires, hommes de l’exécutif) viennent les concurrencer dans leur prétention
à orienter la vie politique
Chapitre 1
La mise en place d’une démocratie représentative : domination et contestation
des parlementaires dans la vie politique
A L‘installation des représentants aux commandes :
1 la mise en place difficile d’une démocratie représentative : 1875 1900
1. 1. l’organisation des pouvoirs publics : les incertitudes des origines
 Succession monarchiste impossible (comte de Chambord jugé trop
réactionnaire ne fait pas l’accord entre fractions monarchistes)) et
suspension de la question du régime en attendant qu’une solution viable
se dessine pour la majorité conservatrice monarchiste de l’Assemblée
 Initiatives et événements complexifient le problème : Thiers chef du
pouvoir exécutif provisoire veut conforter la République ; il est destitué et
la majorité royaliste du Parlement élit le Maréchal Mac Mahon,
monarchiste comme chef du pouvoir exécutif pour sept ans. Durée
pendant laquelle se produit un changement des rapports de force
politique (monarchistes perdent du terrain aux élections partielles)
16



.
Les monarchistes, pour éviter de discuter du nouveau régime dans de
trop mauvaises conditions politiques, sont ainsi conduits à accepter de
discuter des premières lois constitutionnelles relatives à l’organisation
des pouvoirs publics à l’assemblée à partir de 1875 : Amendement Wallon
adopté à une voix de majorité le 30 janvier 1875 (353 contre 352 : « Le
président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par
le Sénat et la chambre des députés réunis en assemblée nationale. Il est
nommé pour 7 ans. Il est rééligible ». Ce sera l’article 2 de la loi relative à
l’organisation des pouvoirs publics. Les lois constitutionnelles dessinent
un poste puissant, celui de président de la république, capable avec
l’assentiment du Sénat, de dissoudre la Chambre des députés. Il partage
avec la Chambre l’initiative des lois ; malgré tout, il n’est pas responsable
(il ne peut être renversé) et donc tous ses actes doivent être soumis à un
contreseing. Les lois constitutionnelles aménagent aussi une garnison
monarchiste au Sénat en prévoyant la nomination par l’Assemblée (alors
encore monarchiste) de 75 sénateurs inamovibles sur 300. Les 225 autres
sont élus par un collège d’élus locaux.
La gestion institutionnelle du tournant politique républicain de
l’Assemblée : la crise du 16 mai 1877 (le problème de la responsabilité du
gouvernement et de celle du chef de l’Etat se pose dans la crise ; que se
passe-t-il si la majorité de l’assemblée nationale n’est pas en harmonie
avec le président de la République ? Comment s’organise le choix du chef
du gouvernement ?). Dissolution et nouvelles élections législatives en
1877. Gambetta avertit le président de la République : « Quand le pays
aura parlé, il faudra se soumettre ou se démettre » ; Une fois l’assemblée
républicaine réélue, Mc Mahon se soumet dans un premier temps
Les rapports de force électoraux tournent à l’avantage des républicains :
stratégie payante de quadrillage du terrain. Le Sénat, est la dernière
institution à se républicaniser. Mac Mahon se démet en janvier 1879. Un
nouveau président de la République est élu par les chambres : Jules Grévy
qui déclare le 6 février 1879 « Soumis avec sincérité à la grande loi du
régime parlementaire, je n’entrerai jamais en lutte contre la volonté
nationale exprimée par ses organes constitutionnels » (C’est ce qu’on
appelle la constitution Grévy » : la dissolution devient durablement
suspecte ; le chef de l’Etat est toujours susceptible d’être une menace et
doit être cantonné ; le gouvernement n’a des comptes à rendre qu’aux
chambres et le président de la république doit le choisir parmi la majorité
de l’Assemblée)
17
Ccl : Il faut dire ici l’importance des commencements et des premiers arrangements
institutionnels. Ce qui naît dans la contingence de la crise du 16 mai signe la
naissance d’un régime parlementaire redéfini et légitimé
En 1879, la « Constitution Grévy » signe quant à elle l’émergence d’un régime
parlementariste, dans lequel l’exécutif se refuse tout pouvoir d’agir sur la Chambre
des députés, qui, elle, peut renverser, le gouvernement. Signalons aussi que le Sénat
peut renverser le gouvernement (dont il est dit qu’il est responsable devant LES
chambres) alors même qu’il ne peut être dissout. Ces premières années de la IIIe
République installent une méfiance durable des députés à l’égard du chef de l’Etat
et de l’administration.
1.2.le consensus parlementaire et républicain de 1875 à 1900
la républicanisation des institutions :
Parlementarisation du régime mais aussi démocratisation et républicanisation :
 Le suffrage devient le principe général de désignation (suppression des
sénateurs inamovibles en 1884 : fin de la nomination des maires en 1882)
 marginalisation du personnel politique monarchiste ou bonapartiste ; à
partir de 1889, les républicains emplissent à eux seuls quasiment tout
l’espace politique
 la symbolique républicaine est affichée (14 juillet devient fête nationale
en 1879, Marseillaise comme hymne national, suppression des prières
publiques au début de la session parlementaire en 1884)
 Le programme républicain de Belleville – proclamé en 1869 à la fin de
l’Empire – est mis progressivement en place : vote des grandes lois
républicaines sur la liberté de la presse, la liberté syndicale, et la liberté
d’association, l’obligation scolaire, la laïcité. les libertés publiques sont au
cœur des grandes lois de la république
La question des institutions tend à se régler (même si le régime semble toujours
fragile et à protéger y compris avec des mesures d’exception contre tous les
complots) et de nouveaux conflits vont surgir au tournant du siècle (question
sociale) produisant de nouveaux clivages politiques.
1.3 A partir de 1890 : droitisation des gouvernements et essouflement des
républicains
Programme scolaire d’instruction publique (programme républicain élaboré à la
fin du Second Empire) est largement entamé
18
Programme de laïcisation de la société (retirer le magistère du peuple aux
ecclésiastiques) est lui aussi engagé : tribunaux, écoles, cimetières et hôpitaux,
charité, administration sont laïcisés. Par ailleurs, les relations avec l’Eglise
s’apaisent. L’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII publiée en 1891 y
contribue : constatant l’anarchie et l’injustice de la société industrielle, Léon XIII
propose une charte économique et sociale qui reconnaît la nécessité de
l’intervention de l’Etat et jette les bases d’un droit du travail. Souci de se
réconcilier avec la France et montée de la question sociale et de la démocratie
dans la plupart des pays de tradition catholique : le pape appelle à l’union
autour des intérêts communs de la patrie et reconnaît la république et le
suffrage universel
Les majorités parlementaires apprennent à protéger la République : ils
affrontent les premières crises et trouvent dans la coopération des moyens de
les surmonter. Solutions institutionnelles (ainsi de la cour de justice) sont
trouvées face à la menace qu’a représenté la mobilisation autour du général
Boulanger.
Les républicains sont devenus des élus bien enracinés localement ; ils
remplacement progressivement les notables même s’ils ne sont pas des
propriétaires fonciers (plutôt des avocats, des médecins, des enseignants, des
journalistes) même s’ils ne sont pas des nobles
A la chambre des députés, se dessinent des majorités nouvelles dite de
« conjonction des centres » qui regroupent en fait la droite et le centre de
l’hémicycle. Apaisement généralisé et disparition des enjeux sur lesquels s’était
fondé ce premier républicanisme.
La stabilisation d’une première organisation de la vie politique sous la IIIe
République est marquée par
- la domination des représentants élus : Les républicains ont défendu une
conception de la représentation politique assez traditionnelle : l’ancrage
local, la personnalisation des relations entre élus et électeurs, la faiblesse des
repères politiques et liberté des parlementaires lorsqu’ils siègent à la
chambre.
- la faiblesse des partis : jusque la fin du XIXe siècle, on compte quelques
rassemblements d’élus faiblement structurés
- des citoyens qui n’interviennent qu’au moment des élections
Certaines transformations pourtant du jeu politique :
19
- Les campagnes électorales se transforment, se publicisent, entre fête sociale
d’un genre nouveau et moment de familiarisation avec la politique
(disqualification des échanges électoraux non politiques, des pressions et des
faveurs, tendance à la délocalisation des élections et à leur
dépersonnalisation, invention des programmes, professions de foi – Barodet
1881- , rôle accru de la presse qui fait de la politique une activité durable,
débordant le temps de la campagne électorale, qui soutient des
candidatures, tend à centraliser et homogénéiser l’offre politique, modifie les
répertoires de mobilisation, etc)
- Divisions nouvelles surgissent dans le camp républicain : les radicaux
engagent des critiques et réclament face aux modérés qu’ils appellent des
« opportunistes » un nouveau programme républicain : appelant à une
réforme nouvelle des institutions (suppression du sénat jugé trop
conservateur), à de nouvelles audaces (critique de la colonisation, forme de
laïcité plus exigeantes, impôt sur le revenu)
2 L’invention du citoyen ou la démocratisation du régime (cf. Alain Garrigou, « Le
secret de l’isoloir », Actes de la recherche en sciences sociales, n°71-72, 1988)
D’une certaine façon, le citoyen va être lui aussi fidélisé et rattaché à des
représentants et à des familles politiques républicaines
Rappel : la question de l’émergence d’une figure du citoyen reste une question que
l’on peut régler de différentes façons
- rappeler d’abord que le mot « citoyen » emplit les débats de la période
révolutionnaire : les droits du citoyen sont proclamés mais parmi ces droits
inaliénables, le droit de vote est dissocié. Ce sont les représentants
rassemblés en assemblée nationale qui fixent la composition du corps
électoral.
- on peut rappeler ensuite que pourtant, même sous la Révolution, le suffrage
universel (masculin) a pu être proclamé mais il n’a jamais été pratiqué que
sous des formes indirectes et confuses ; l’organisation déficiente de listes,
des bureaux de vote, mais aussi l’organisation sociale très communautaire et
hiérarchisée du monde social de l’époque produisent une très faible
mobilisation d’électeurs en grande partie indifférents à cette innovation
politique (un homme = une voix comme principe assez étranger à la société
du 18e siècle)
- on peut rappeler également que la proclamation du suffrage universel
masculin est cette fois officielle et durable à partir de 1848. Le suffrage
universel direct est inscrit dans la Constitution de la Seconde République.
20
- Mais là encore, la proclamation du suffrage universel direct ne suffit pas car
le citoyen qui se dessine en pratique ne correspond pas à l’image
démocratique idéale d’un citoyen informé, intéressé par les affaires
publiques, qui se ferait une opinion individuelle et motivée et pourrait
l’exprimer librement et secrètement. Dans les faits et pour de nombreuses
décennies, le citoyen reste pour une large part sous influence (des notables,
des patrons, des curés), peu intéressé par les affaires publiques ; il se
mobilise en fonction de considérations sociales même si certains hommes
politiques, souvent des républicains, sont disposés à jouer du suffrage pour
se faire reconnaître sur la scène politique. Ces hommes politique prennent
conscience qu’il faut intéresser les électeurs à la vie politique, produire un
discours audible, insérer les programmes et promesses politiques dans la vie
et les expériences sociales quotidiennes, De fait, progressivement sous la IIIe
République, plus en plus d’individus se reconnaissent dans un courant d’idées
politique et sont prêts à aller voter en fonction de ces nouvelles dispositions.
Cet intérêt n’est pas toujours constitué de lectures de programmes mais il y a
des nouvelles formes de solidarités sociales plus politisées
Les républicains, nouveaux venus en politique ont ainsi tenté de faire surgir un
électeur qui se rapproche du citoyen, davantage familier avec les sigles et les
objectifs politiques. Ils ont d’une certain façon réussi puisque sous la IIIe
République, le monde rural jusque-là dominé par des notables monarchistes
passent dans le camp républicain (le Sénat devient républicain en 1879)
Comment constituer le vote en outil d’émancipation sociale et non pas en
système de légitimation et de consécration des autorités sociales ou
gouvernementale (Second Empire) en place ? Les premiers républicains se
confrontent à ce problème : dans une société largement hiérarchisée comment
faire surgir les conditions d’un vote personnel, sincère et libre, sans pression ?
Favoriser une conscience individuelle du vote semble l’objectif d’une série de
réformes touchant à l’organisation matérielle du vote :
- réforme du mode de constitution des listes électorales : le maire avait le
monopole de constitution des listes (fraudes) ; après 1874, c’est une
commission formée du maire, d’un délégué du conseil municipal et d’un
délégué de l’administration (choisi par le préfet)
- réforme de l’organisation du bureau de vote : depuis 1852, le maire ou les
représentants du maire contrôlent le bureau. En 1884, la présence
d’électeurs au bureau devient indispensable. Des troubles demeurent.
Certains réclament que les représentants de tous les candidats en présence
21
soient au bureau. EN 1913, les candidats se voient donner l’autorisation de
désigner des scrutateurs au moment du dépouillement.
- réforme de l’acte de vote lui-même visant à garantir le secret et liberté du
vote (rappelons que le vote secret avait été proclamé – sans succès – dès la
Révolution française). Le vote secret fait peur à beaucoup de représentants
politiques jusqu’au début du XXe siècle : admettre une part d’imprévisibilité
du vote est tout bonnement difficilement tolérable pour les élites politiques
en place, y compris les élites républicaines
Loi du 29 juillet 1913 institue le secret et la liberté du vote en réformant l’acte de
vote, la fabrication et la préparation des bulletins. Sous le Second empire,
l’électeur préparait son bulletin hors du bureau sur un papier blanc et sans signes
extérieurs. Il remettait ce bulletin fermé au président du collège électoral qui le
déposait dans l’urne. Ce bulletin pouvait être imprimé et distribué par les
candidats. il était parfois reconnaissable et la pression était d’autant plus forte
que ce bulletin était distribué tout près de l’urne.
Sous la Troisième République, le débat sur le secret du vote se focalise sur des
questions très matérielles : l’uniformisation des bulletins, son enveloppe,
l’isoloir. Les débats parlementaires de 1913 montrent encore des députés
opposants à l’isoloir qui évoquent sous un mode fantasmatique (l’ouvrier avec
ses gros doigts incapables de glisser le bulletin dans l’enveloppe) l’électeur
populaire comme un incompétent, incapable : on voit ainsi que les élites
politiques ont du mal à s’accommoder du suffrage universel.
Conclusion de ce point l’isoloir constitue une technologie d’intimisation et
légitime une représentation idéalisée du vote en conscience. L’isoloir place
l’électeur devant un devoir d’opinion : il lui intime de se conformer à son rôle. Le
vote secret, protégé par une enveloppe que seul l’électeur est en droit de
toucher est ainsi sanctuarisé, sanctifié. Les hiérarchies sociales sont réputées ne
plus s’inscrire dans les urnes. L’isoloir n’est pas qu’une cabine d’isolement ; il
constribue à la construction d’un être fictif politique, le citoyen, différencié de
l’être social. L’isoloir parachève l’entreprise engagée avec la Révolution française
de création d’un être nouveau, abstrait, en partie irréel, le « citoyen », différent
de l’homme réel concret, engagé dans tous les liens de la vie réelle (y compris
des liens de dépendance, de clientèle). De fait, des solidarités sociales nouvelles
sont politisées : l’appartenance de classe par exemple (et le lien qui se crée entre
les instituteurs et les socialistes, entre les classes moyennes et les radicaux) mais
encore la pratique d’un sport ou d’une religion. L’électeur démocratique est
censé choisir selon des principes politiques celui qui va le représenter.
22
Ce nouveau citoyen semble domestiqué par les parlementaires qui réussissent à
se faire réélire et à fournir de nouvelles allégeances politiques relativement
stabilisées à une « clientèle électorale ».
B Du tournant du siècle aux années 1930 : le monopole des représentants au
parlement est de plus en plus contesté
Les parlementaires ont pris les commandes de la vie politique aux débuts de la
troisième République, une fois la « constitution Grévy » consacrée. Ils incarnent un
modèle de la délibération parlementaire où tous les députés sont des individus qui
débattent, argumentent, tentent de convaincre, se font une idée et votent en
conscience. A chaque fois dans le cours de la délibération, ils peuvent changer
d’alliés et donc perturber la majorité précédente qui avait investi un président du
Conseil. Les députés ne sont pas durant toute la législature les représentants des
électeurs ; ils se dégagent de leur contrôle et du contrôle du parti qui les avaient
investi et sous l’étiquette duquel ils se sont présentés. En effet, ils ne semblent
guère engagés par une promesse électorale ou le programme d’un parti et ne
respectent pas une discipline de groupe. Tout cela nourrit en pratique la
souveraineté de la délibération parlementaire. Or, cette vision de la « bonne »
représentation politique et les pratiques qui lui sont associées sont de plus en plus
contestées au début du XXe siècle
1. LA montée d’acteurs politiques « collectifs » : partis, syndicats, opinion publique,
intellectuels
1. 1 un épisode fondateur d’un nouveau jeu politique : l’affaire Dreyfus
C’est une affaire politico-judiciaire qui dure de 1894 à 1906. L’affaire a clivé, elle
a eu un effet de politisation générale :
- sur les parlementaires d’abord : l’affaire a favorisé le regroupement des
radicaux, radicaux-socialistes, des socialistes, défenseurs de Dreyfus. Elle ad
divisé à droite et constitué de nouveaux camps politiques entre dreyfusards
et antidreyfusards. Beaucoup des républicains opportunistes ont glissé dans
le camp antidreyfusard. L’étiquette républicaine ne suffit plus à définir des
camps politiques
- sur la structuration de la compétition politique : Le clivage droite gauche
prend de la force à ce moment avec la redéfinition de ses contenus :
l’anticléricalisme est une des marques de la gauche dans un premier temps.
23
Le nationalisme, l’antisémitisme deviennent des marqueurs de la droite la
plus conservatrice. C’est un moment où la discipline républicaine entre
courants de gauche se met à fonctionner ; on trouve une délégation des
gauches à l’assemblée qui fait exister dans l’enceinte du Palais Bourdon ce
qu’on voyait durant la campagne. Une certaine stabilité liée à des pratiques
parlementaires plus disciplinées, notamment chez les radicaux, caractérise
cette période que l’on appelle parfois la belle époque : ministère Waldeck
Rousseau 1899 1902 , ministère Combes (1902 1905) ou ministère
Clemenceau (1906 1909)
- sur les clivages religieux : l’enjeu clérical est de nouveau au cœur de la
compétition politique. Les dirigeants catholiques, en partie par
antisémitisme, ont rejoint le camp antidreyfusard. Les relations entre la IIIe
République et le Vatican sont stoppés en 1904. L’anticléricalisme va faire la
force du parti radical. Loi de 1901 sur la liberté d’association mais contrôle
des congrégations religieuses ; à partir de 1902, les politiques
gouvernementales sont très sévères vis-à-vis des congrégations religieuses
(Emile COMBES se fera un nom là-dessus) : on peut voir là l’expression du
poids des francs-maçons mais aussi de la ligue des droits de l’homme qui sont
des groupements très présents au sein du parti radical
- - sur la multiplication des acteurs susceptibles de participer à l’orientation de
la vie politique ; l’armée, tout au long de l’Affaire Dreyfus montre ses
tentations antirépublicaines et sa capacité à ignorer les ordres
gouvernementaux, les intellectuels et la presse entendent lancer des
combats politiques hors du Parlement, l’opinion publique même est
sollicitée.
1.2 La montée en puissance de l’acteur collectif partisan entre 1900 et 1930
Au tournant du siècle et un peu partout sur l’échiquier politique, de nombreuses
naissances d’un genre politique inédit modifient profondément la vie politique. Les
partis politiques apparaissent entre la fin des années 1890 et les années 1905 ; il y
aura une nouvelle vague de créations partisanes dans les années 1920 (parti
communiste, et ligues nationalistes). Pour des raisons au départ en partie
matérielles (le coût des campagnes de plus en plus concurrentielles s’élève), les élus
doivent de plus en plus se regrouper, se ranger derrière des étiquettes collectives,
se faire investir par des fédérations partisanes, défendre des programmes et
s’appuyer sur des militants pour faire campagne. On voit monter le poids des
24
dirigeants du parti et des militants qui de fait en viennent à concurrencer les élus
pour la direction de la vie politique.
Trois caractères de ces embryons d’organisation partisane : permanentes, elles se
différencient progressivement des comités électoraux. Nationales, elles désignent
des candidats sur l’ensemble du territoire. Développant un programme idéologique,
elles supposent une discipline collective minimale des élus qui sont investis sous
l’étiquette partisane. Malgré cette convergence, les partis offrent aussi de grosses
divergences organisationnelles : Maurice Duverger dans son livre sur les partis
politiques publié en 1951 établit une célèbre distinction entre les partis de cadre
(faiblement structurés, sans militant, regroupés autour de quelques notables élus)
et les partis de masse (structurés, hiérarchisés, centralisés, abritant un pôle militant
qui peut contrôler ou même dominer le pôle des élus)
On peut rappeler comment cette dynamique de la constitutions de partis joue sur
tout l’échiquier, de l’extrême droite à l’extrême gauche et comment se repèrent ces
distinctions organisationnelles :
A l’extrême droite : d’abord marquée par la question des institutions (l’extrême
droite est encore monarchiste dans les premières décennies de la IIIe
République) elle se fédère dans les années 1900 autour de nouvelles
thématiques : l’antiparlementarisme, le nationalisme ou l’antisémitisme. Ainsi
l’action française, fondée en 1899 se nourrit des ligues anti-dreyfusardes. C’est
une organisation militante très structurée et bien implantée dans le monde
étudiant. C’est un mouvement radical et violent en même temps qu’un
mouvement d’opinion rassemblé autour de la pensée de Charles Maurras
philosophe nationaliste, antisémite, catholique et royaliste. Quatre ennemis sont
désignés : les métèques, les francs-maçons, les protestants et les juifs. Lors de la
victoire électorale du Cartel des gauches en 1924, la dynamique de l’action
française est relancée et si en 1926 la condamnation du pape bouleverse le
mouvement, le processus de radicalisation est encore renforcé. Cette droite
extrême fournit peu d’hommes au Parlement ou au gouvernement mais elle
pèse sur la vie politique par le militantisme, la diffusion des idées, la violence
politique et la manifestation
A droite, plusieurs groupes se forment au tout début du 20e
- chez les conservateurs, on trouve l’action libérale populaire (ALP) fondée en
1902 par Jacques Piou qui a contribué au ralliement de certains catholiques à
la République. Le mouvement vise la défense des libertés religieuses et
bénéficie du soutien du clergé et de l’infrastructure catholique, ce qui lui
25
permet un développement rapide : jusqu’à 250 000 adhérents et 2000
comités locaux en 1910 ; l’ALP recrute chez les catholiques conservateurs
mais aussi dans le catholicisme social et ses organisations de jeunesse. Le
parti tente de faire tenir ensemble ces deux courants du catholicisme. Par
ailleurs, l’ALP tient un groupe parlementaire d’une soixantaine d’élus jusque
14. En gros, l’ALP, est une sorte de parti démocrate chrétien : s’il a développé
son pôle électif (75 élus en en 1906) ; il est aussi un parti militant du fait de
son infrastructure catholique. Il soigne son programme : réforme du mode de
scrutin, représentation des professions au sénat pour assurer une réforme
sociale pacifique contre les socialistes. L’ALP périt du fait des divisions catho
entre les plus réformistes et les catholiques nationalistes antiparlementaires :
entre 1919 et 1925 la majorité des membres catholiques les plus modérés
rejoint les rangs de la fédé républicaine. Absence de démocratie chrétienne
en France
- à droite toujours, on peut citer la Fédération républicaine fondée en 1903 et
qui regroupe l’aile droite des républicains modérés, dits opportunistes. C’est
un parti structuré de façon assez souple autour de comités électoraux locaus
et de notables émus, lié à une bourgeoisie industrielle et hostile à toute
réforme. les militants restent peu nombreux.
- au sein de la droite modérés, l’alliance républicaine démocratique ARD est
fondée en 1901 ; elle compte beaucoup de députés et parmi eux, beaucoup
participent à des gouvernements de la IIIe République (notamment, dans
l’entre-deux guerres entre 1919 et 1939, lorsque la majorité parlementaire
est conservatrice). L’ARD est marquée par la prééminence de grands députés
ministres et souvent présidents du conseil : Waldeck Rousseau, Raymond
Poincaré, André Tardieu, ou encore Paul Reynaud. On le comprend, l’ARD
est un parti qui n’est pas vraiment un parti de militants mais un partis d’élus
et de ministres, un rassemblement de personnalités des gouvernements,
familiers des jeux parlementaires. Ils n’ont pas de programme fixe, ni de
doctrine fédératrice mais des lignes politiques se dégagent dans l’action et en
situation attachées à l’ordre et au libéralisme éco, modérément cléricales
- Au centre de l’échiquier politique, on trouve le parti radical, une organisation
qui se structure au début du 20 e siècle et qui va marquer les troisième et la
quatrième Républiques parce que elle a beaucoup d’élus et qu’elle se trouve
très souvent en position soit de prendre la tête de gouvernements, soit de
jouer le rôle de parti d’appoint nécessaire à la formation des majorités. Les
26
députés radicaux développent ainsi une capacité à gouverner avec la droite
ou avec la gauche selon les conjonctures. En 1901, le Parti radical est fondé
c’est-à-dire que 78 sénateurs, 201 députés, 476 comités, 155 loges
maçonniques, 215 journaux y adhèrent. On peut ainsi voir dès l’origine que le
parti radical connaît des tensions entre le pôle militant et le pôle des élus.
Grossièrement, le parti radical est un parti avec des militants et des
dirigeants, un congrès et un programme mais il a des élus qui ont du mal à se
discipliner et à tenir compte, tout au long des législatures, des programmes
partisans. Durant les campagnes électorales, les militants et les dirigeants du
parti radical réussissent à orienter les promesses et les alliances électorales
mais les députés, une fois élus, retrouvent en quelque sorte leur liberté de
pensée, de vote et d’alliance
A gauche, ce sont désormais les socialistes (et non plus les radicaux) qui
viennent occuper l’espace politique et parlementaires. Avant 1905 ; il y a plein
de petits groupements qui entendent représenter un peuple nouveau : celui des
prolétaires d’usine. Les petits artisans, fonctionnaires ou les intellectuels sont
eux, en partie déjà représentés par les radicaux. Au début du siècle les
mouvements socialistes sont divisés : certains socialistes se prononcent pour la
participation à l’espace parlementaire et acceptent même d’aller dans des
gouvernements dirigés par des radicaux. Alexandre Millerand, qui deviendra par
la suite un président de la république plutôt à droite est le premier socialiste à
devenir ministre en 1899. Ces socialistes dits « indépendants » fondent le parti
socialiste français en 1902 et obtiennent 37 élus aux législatives de 1902. Ils
soutiennent le gouvernement d’Emile Combes qui est un radical connu pour son
anticléricalisme. Mais il y a un second pôle plus marxiste qui reste opposé à la
participation au gouvernement ; c’est le parti socialiste de France qui compte
peu d’élus (12 en 1902) mais qui montre une bonne vitalité militante. En avril
1905, tous ces groupements se regroupent dans un même parti et fondent la
SFIO ; même les indépendants acceptent la fusion, d’autant plus que leur
compromis avec les radicaux se délite ; seule une fraction des indépendants
(Millerand ou Aristide Briand notamment) refuse l’adhésion et continue les
alliances avec les radicaux. Jusque 1920, date de la création du parti
communiste, la SFIO reste partagée entre action ouvrière et représentation
parlementaire. Le poids des parlementaires augmente car la SFIO connaît des
succès électoraux (52 députés SFIO en 1906, 75 en 1910 et 103 en 1914 ;
1 400 000 voix aux élections de 1914 et pas plus de 80 000 adhérents. Les
fédérations du parti sont puissantes au moment du choix des candidats mais
elles perdent du poids ensuite. Les syndicats restent à distance car ils prônent
l’autonomie ouvrière, ce qui « droitise » le parti et lui interdit une forte
structuration ; les syndicats ouvriers à forte composante anarchiste, et
27
longtemps défenseurs d’un programme ouvriériste sont très méfiants vis-à-vis
des parlementaires socialistes, qui appartiennent à des couches sociales plus
cultivées et aisées (journalistes enseignants ou avocats) et sont pour les
syndicalistes toujours disposés à les trahir.
En 1920, les choses se compliquent à gauche et pour longtemps avec la scission
de la SFIO en deux au Congrès de Tours ; le Parti communiste voit venir vers lui
la majorité des adhérents et la SFIO, reste minoritaire, mais garde une bonne
partie des parlementaires. Le parti communiste adopte, sous injonction de
l’Internationale communiste, un mode d’organisation totalement différent : le
parti est structuré sur la défiance vis-à-vis des parlementaires, sur la valorisation
à l’inverse du pôle militant, sur la revendication d’un monopole de
représentation de la classe ouvrière et sur une discipline politique très
hiérarchisée au nom du centralisme démocratique. Même si les communistes du
monde rural se distinguent de ceux qui militent dans les régions ouvrières, la
règle officielle est celle de la soumission uniforme aux ordres, à l’idéologie, à la
stratégie du Comité central et de l’Internationale communiste. La naissance du
parti communiste tend à rejeter la SFIO un peu plus à droite.
Conclusion : La compétition politique n’oppose plus seulement des personnes
mais des collectifs. Le travail politique est de moins en moins individuel : envois
de poste, confections de journaux, copie de listes électorales, distribuer des
bulletins, les imprimer, les relier, collecter et centraliser des fonds
La forme la plus spectaculaire de cette collectivisation de l’activité politique est
bien sûr la généralisation des partis politiques sur l’ensemble de l’échiquier
politique. Cela dit, ces partis sont structurés différemment (partis de
cadre/partis de masse) et certains au fond ne perturbent guère la prééminence
des parlementaires et le modèle de la souveraineté parlementair
1.3
La montée en puissance de l’’exécutif
Rappel : apparemment l’exécutif est impuissant sous la IIIe République et la
rupture intervient en 1958 avec la Ve République. C’est vrai si l’on se focalise sur
les rapports entre les pouvoirs institutionnels : de fait, depuis la crise du 16 mai
1877 et la renonciation de Jules Grévy à l’arme de la dissolution, le Parlement
investit le président du Conseil et peut renverser les gouvernements sans
craindre de représailles politiques. Mais ce n’est pas vrai si on se réfère à
l’action publique, et même à la capacité de légiférer qui est bien plus partagée
entre députés, ministres et fonctionnaires qu’on ne le dit.
28
- le nouvel interventionnisme social et économique de l’Etat :
A partir de 1905 – 1906, l’émergence d’un mouvement ouvrier, dans le contexte
de l’industrialisation perturbe à nouveau la structure des clivages politiques : la
question sociale envahit l’espace social (grèves ouvrières, grèves de
fonctionnaires) et politique, obligeant les gouvernements radicaux à des
concessions (création d’un ministère du travail en 1906 et lois sur la retraite
ouvrière et paysanne en 1910). Cela dit, les radicaux, s’ils font des concessions,
montrent également une grande fermeté répressive qui les éloigne des
socialistes : Clemendeau ou Briand, qui sont à l’époque des radicaux répriment
rudement des grandes grèves (postiers en 1907, bâtiment en 1908, cheminots
en 1910) ;
La trajectoire de Clemenceau est exemplaire de ces basculements
de conjoncture : Clemenceau commence sa carrière à l’extrême
gauche ; très virulent à l’assemblée contre les opportunistes,
anticolonialiste farouche, adversaire du Sénat qu’il voit comme une
institution réactionnaire à supprimer. Ardent dreyfusard, il défend
Zola et l’Aurore. Mais il devient à partir de 1906 un ministre de
l’intérieur extrêmement dur, organisant la répression des grèves
ouvrières (il s’appelle le premier flic de France) et finira sa carrière
en étant largement combattu par la gauche. « Père la victoire »
durant la première guerre mondiale, il combat aussi les désertions
et les mutineries sans faiblir et s’oppose à partir de 1917 aux
parlementaires en restreignant très fortement leur capacité
d’expression.
Les radicaux au pouvoir contribuent à mettre à l’ordre du jour des lois en
matière sociale qui élargissent le périmètre d’intervention de l’Etat en matière
économique et sociale ; citons la loi sur les accidents du travail en 1898 qui rend
obligatoire une assurance financée par les patrons, la loi sur les retraites
ouvrières et paysannes en 1910, loi sur l’aide aux familles nombreuses en 1913,
la loi sur la journée de 8 heures en 1919
L’administration se renforce et de nouveaux ministères voient le jour,
développant une expertise sur le domaine social : un ministère du Travail et de
la prévoyance sociale est fondé en 1906 par Georges Clemenceau, alors
président du Conseil et le premier des ministres du travail est un socialiste, dit
indépendant, qui accepte l’alliance avec les radicaux : René Viviani. En 1906,
l’agitation sociale est à son combe (1300 grèves d’une durée moyenne de 19
jours). LA CGT organise des manifestations spectaculaires le Premier mai. Ce
ministre du Travail lance des projets de lois qui instaure le dialogue social : loi
29
de 1907 sur la parité syndicat salariés et patrons aux conseils de prudhommes,
loi de 1909 obligeant l’employeur à verser régulièrement le salaire en monnaie
légale ; loi de 1910 qui créé le code du travail
- accélération brutale de cette montée de l’exécutif, durant la première guerre
mondiale
En temps de guerre, il faut de la rapidité d’exécution et la souveraineté de la
délibération a dû être amendée : les députés acceptent l’idée que c’est
l’exécutif et l’administration (le gouvernement, mais aussi l’armée) qui
prennent les choses en main Or, très vite, on s’installe dans une guerre longue,
de position. Les deux chambres décident alors de siéger en permanence pour ne
pas laisser l’exécutif seul à la manœuvre et tenter de trouver les moyens de le
contrôler mais, de fait, c’est un peu l’expérience de la relégation du parlement
qui s’opère, notamment lorsque Clemendeau devient président du conseil en
1917 (jusque 1920) : d’importants pouvoirs de police sont confiées aux
autorités militaires, la liberté de l’information est limitée. La vie politique est
mise en sommeil dans un premier temps même si une tension demeure entre
les exigences de secret du commandement militaires et les demandes
parlementaires qui au fur et à mesure que la guerre se prolonge, deviennent
plus pressante. A la fin de la guerre, les décrets issus du gouvernement ont très
largement remplacé les lois dans la gestion politique des affaires du pays
. le périmètre d’action de l’Etat s’étend tout au long de la guerre : dans le
domaine de l’économie (gestion des usines d’armement, organisation de la main
d’œuvre) et dans le domaine sanitaire et social
Conclusion: Cette extension du rôle de l’Etat
n’est pas seulement
conjoncturelle : elle était déjà engagée par les gouvernements radicaux du
début du siècle (loi sur les retraites de 1910 oblige par exemple à accroître les
capacités d’intervention de l’Etat). La bureaucratie se développe et quadrille le
territoire, inventant des savoir-faire inédits (recenser, contrôler, distribuer des
prestations, etc). Des politiques publiques prennent en charge des questions
nouvelles : la natalité, les assurances, le logement, la reconstruction (maisons et
édifices publics détruits).
Les parlementaires eux même doivent composer avec l’Etat ; ils trouvent dans
l’administration une expertise dont ils ont besoin. Les lois, les réformes sont
davantage coproduites par le parlement et le gouvernement. Mais le jeu
politique (c’est-à-dire désigner des gouvernements, les faire tomber, gérer les
alliances électorales) revient après-guerre aux parlementaires
30
2 LA
REAFFIRMATION CONTESTEE DE LA « SOUVERAINETE
PARLEMENTAIRE » 1919 1930
Dans un contexte marqué par la montée en puissance des partis et de l’exécutif,
les parlementaires réussissent pourtant à garder une maîtrise du jeu politique,
c’est-à-dire à faire nommer les gouvernements, à choisir les ministres, et à les
faire tomber à tout moment. Les parlementaires continuent à forger leurs
majorités au parlement et à ne pas tenir vraiment compte des alliances qui se
sont nouées durant les campagnes électorales
2.1.
Le contexte de l’après guerre ; polarisation sociale et union
sacrée
L’union sacrée contre l’Allemagne s’est forgée aux tout débuts de la guerre sur
la tombe de Jaurès. Patriotisme populaire semble alors fort mais surtout cette
union sacrée devient une quasi-norme pour des dirigeants politiques de tous
bords et se comprend de fait comme une sorte de large alliance qui peut aller
de la droite au centre gauche et qui laisse de larges marges de manœuvre aux
parlementaires
Ambiance euphorique de l’après -guerre : En janvier 1919, Georges Clemenceau
surnommé le Père de la victoire est désigné par acclamation à la chambre
président de la conférence de la paix qui aboutit à la signature du traité de
Versailles le 28 juin 1919 ; la France retrouve l’Alsace et la Lorraine annexées
par l’Allemagne en 1871. L’après-guerre consacre cette mystique de l’union
sacrée dont la figure est l’ancien combattant, célébré et dans le même temps,
porteur d’une revendication de retour à l’ordre.
Cette union sacrée n’est pourtant pas si solide : elle s’est déjà affaiblie à la fin
de la guerre comme le montraient les désertions, les mutineries mais aussi les
grèves de l’arrière ; après-guerre, il y a de grosses mobilisations dans une
ambiance révolutionnaire. Le gouvernement Clemenceau lâche du lest sur les
primes de démobilisation et sur la journée de huit heures, mais réprime les
mouvements qui naissent : grèves énormes à ce moment, quasi
insurrectionnelle (métallurgie chemins de fer) Le mouvement est
international (cf Allemagne). Cette radicalisation politique est la toile de fond
des législatives de 1919.
2.2.
Les majorités glissantes de l’après-guerre : alternances
électorales et continuité gouvernementale
31
Enigme à résoudre : deux élections législatives en 1919 et 1924 très
intéressantes à étudier car elles dessinent apparemment une véritable
alternance : un bloc très conservateur est majoritaire en 1919 (il rassemble
la droite et le centre droit) et en 1924 c’est une victoire du cartel des
gauches (qui rassemble les radicaux, les radicaux socialistes et les socialistes)
Pourtant ; au cours de ces deux législatures, ce sont finalement des
gouvernements de centre qui vont gouverner et plus étonnant encore, c’est
Raymond Poincaré qui est président du conseil de 1922 à 1924 et de 1926 à
1928, investi donc par des majorités parlementaires trouvées dans des
assemblées opposes
Assemblée de 1919 (total 613 sièges) : la chambre Bleu horizon (victoire du
Bloc national)
Tendance
BLOC NATIONAL
Nombre de sièges et % du total
433 (70,64%)
- Union républicaine démocratique
- gauche
républicaine
démocratique (attention au terme
de « gauche » qui peut être
trompeur)
- républicains de gauche (idem)
- indépendants et non inscrits
- action républicaine et sociale
GAUCHE
183 (29,85%)
- parti républicain, radical et radical
socialiste
- Parti Républicain socialiste
Ext- GAUCHE
SFIO
86 (14,03%)
93 (15,17%)
61 (9,95%)
50 (8,16%)
46 (7,5%)
112 (18,27%)
26 (4,24%)
68 (11,09%)
32
Assemblée élue en 1924 (total 581 sièges) Victoire du Cartel des gauches
TENDANCE
CARTEL DES GAUCHES
radicaux – SFIO)
(alliance
Nombre de sièges et % du total
327 (56,2%)
- Parti républicain, radical et radical
socialiste
- SFIO
- Républicains socialistes
- gauche radicale
EXT GAUCHE
Parti Communiste (pas dans l’alliance
DROITE ET CENTRE
- 139 (23,92%)
- Union républicaine démocratique
- gauche
républicaine
démocratique
- républicains de gauche
- parti démocrate populaire
104 (17,9%)
INDEPENDANTS
29 (4,99%)
104 (17,90%)
44 (7,5%)
40 (6,88%)
26 (4,48%)
199 (34,25%)
43 (7,4%)
38 (6,54%)
14 (2,41%)
- de la victoire du bloc national en 1919 aux gouvernements de centre
La campagne électorale de 1919 est très virulente, et centrée sur les désordre et
l’antiblochévisme (affiche du bolchévique avec le couteau entre les dents)
33
Le Bloc national est composé de l’alliance démocratique et de l’Entente
républicaine et démocratique : bloc favorable à un rapprochement avec l’Eglise,
à la fermeté vis-à-vis de l’Allemagne et à la lutte contre les révolutionnaires.
Le retour à l’ordre est le programme fédérateur : lutte contre le mouvement
ouvrier. L’action répressive est continue : arrestation, action judiciaire, les
directions syndicales se voient décapités, les grévistes sont remplacés par des
« Jaunes » au nom de l’union sacrée et du relèvement de la nation). Programme
clair et réussi sur ce point : la division syndicale et l’affaiblissement du
mouvement ouvrier sont réalisées (effectifs CGT fondent : moins de 600 000)La
division syndicale s’accélère : naissance de la CFTC en 1919 qui s’inspire de la
doctrine sociale de l’Eglise et en 1921 scission de la CGT entre sa fraction
réformiste majoritaire et sa fraction révolutionnaire minoritaire (la CGTU)
Au début de la législature, la grosse majorité de la droite se retrouve bien dans
les gouvernements et dans le programme accompli. Mais très vite, les
gouvernements se reforment ailleurs, beaucoup plus au centre : il faut dire que
les gouvernements investis durant la législature 1919 – 1924 rencontrent des
difficultés sur des enjeux de politique étrangère, de politique monétaire et
34
financière. Sur ces questions, la droite regroupée dans le bloc ne présente pas
toujours un point de vue identique ; les députés du bloc se sont éparpillés et les
gouvernements se forment en « piochant » au centre. Les radicaux deviennent
indispensables à la survie gouvernementale, et ce, dès 1920. Le gouvernement
Poincaré en 1922 par exemple comprend des radicaux socialistes et des
républicains socialistes.
Dans ces conditions, le programme énoncé durant la campagne perd de sa
consistance ou en tout cas vise l’unanimisme : retour à la thématique de l’Union
sacrée ce qui implique un certain conservatisme et de nouvelles orientations
politiques plus « réalistes » : fin du mot d’ordre « L’Allemagne paiera », révision
du montant des réparations allemandes pour dommages de guerre, mesures
impopulaires prises contre la spéculation (augmentation des impôts de 20 % et
diminution des emplois de fonctionnaire) sous injonction des banques
étrangères (anglaises et américaines) qui exigent pour prêter de l’argent une
remise en ordre des finances publiques. En augmentant les impôts au début de
l’année 1924, Poincaré a pris le risque d’une défaite électorale assez logique.
Conclusion : la droite a montré ses divisions dans le contexte de l’après-guerre
et ce sont finalement des gouvernements centristes au sens large qui ont mené
des politiques de gestion financière et monétaire. Les radicaux ont aussi
démontré leur capacité, dans des conjonctures, critiques, à « oublier » ou
« contourner » leur position durant la campagne électorale
- du cartel des gauches aux gouvernements centristes
La victoire du Cartel des gauches, a été précipitée par la politique impopulaire
de redressement financier lancée par Poincaré en fin de législature précédente.
La campagne électorale de 1924 se fait très à gauche au parti radical : les
militants radicaux ont dénoncé leurs leaders parlementaires qui ont participé
aux premiers gouvernements de Poincaré durant la législature précédente.
Edouard Herriot, chef des radicaux, réussit à re-discipliner le parti radical un peu
plus à gauche. Il réussit même à obliger la SFIO en reconstruction à des accords
électoraux : la base c’est l’anticléricalisme ; mais aussi l’amnistie des mutins ou
des pacifistes de même que des grévistes réprimés après-guerre ; accord
également contre les décrets lois Poincaré.
On peut observer un premier décalage entre la campagne très radicale dans la
presse de gauche et les professions de foi des députés cartellistes plutôt
prudentes. On peut citer aussi ce journal Le Quotidien, créé en 1923 et qui
passe pendant la campagne de 200000 à plus de 350 000 exemplaires ; le
journal entend jouer l’opinion contre ses représentants. Au lendemain des
35
élections du 11 mai 1924 il présente le programme attribué au Cartel pour « le
faire entrer dans toutes les têtes à commencer par les têtes parlementaires »
Or, la victoire électorale du cartel est très fragile ; minoritaire en suffrage et
sans large bases parlementaires. En effet, la SFIO soutient sans participer. Le
président du Parti radical Herriot est nommé premier ministre ; il forme un
gouvernement de centre gauche avec 13 radicaux ; le gouvernement rencontre
des difficultés sur les lois d’amnistie qui mobilisent les anciens combattants
(dans le cas de l’amnistie des mutins) la droite antibolchévique (dans le cas
d’amnisties de meneurs des grèves réprimés en 1920.
Le gouvernement Herriot est confronté à de graves problèmes
économiques comme les gouvernements de la législature précédente : un
impôt forcé est levé ; mais le pays se trouve en état de faillite larvée. Certains
ont parlé de la « levée d’un mur d’argent » face à la gauche, évoquant par là la
spéculation financière des industriels et des financiers, l’attitude peu
coopérative des banques et surtout de la Banque de France qui publicise la
mauvaise santé monétaire du pays, et la méfiance des épargnants, qui sous
pression des banques et de l’église catholique ne répondent guère au
lancement de deux emprunts, pourtant assez favorables, par le gouvernement..
Une des solutions qui reste pour le gouvernement du Cartel aurait été de
s’aligner sur le programme socialiste de taxation du capital ce que fait
finalement Herriot en sachant qu’il va tomber au Parlement sur ce terrain (les
députés libéraux d’un point de vue économique sont nombreux y compris chez
les radicaux) ; en avril 1925 même pas un an après le vote, les sénateurs
renversent le gouvernement Herriot. A partir de 1925, délitement du cartel et
glissement à droite des majorités de gouvernement fabriquées à la Chambre
des députés
La chute du Cartel est intéressante car ici les parlementaires ne sont pas seuls à
l’origine du renversement du gouvernement. Ce dernier a été confronté à des
acteurs nouveaux (les banquiers, les épargnants mais aussi des mouvements
d’extrême droite très virulents) qui ont réduit ses marges de manœuvre en
matière financière et monétaire. Le retour de la droite et du centre, non
cartellistes, au pouvoir vient de cette pression
Ainsi, on observe de nouveau au cours de la législature 24-28 ce phénomène de
majorités glissantes. Un gouvernement Painlevé (républicain socialiste)
remplace le gouvernement Herriot en 1925 avec des soutiens mêlant des
députés de centre gauche et de centre droit. L’augmentation continue des
difficultés financières conduit le gouvernement à faire un nouvel emprunt
auprès des banques américaines qui exigent de la France la fin des
36
revendications en matière de dette de guerre par rapport à l’Allemagne. EN
1926, le gouvernement, qui reste un gouvernement composé pour partie de
membres du cartel des gauches fait face à une élévation de l’évasion fiscale et à
une véritable panique financière en même temps qu’à des manifestations très
violentes de mécontentement de l’opinion. La chute du gouvernement Briand
en 1926 met fin au cartel des gauches : les radicaux rejoignent la droite et les
socialistes passent dans l’opposition. On revient à ce qu’on appelle à l’époque
des gouvernements d’union nationale qui sont de fait des gouvernements de
majorités transformistes, opérant dans un large centre de l’échiquier politique.
Le retour de Poincaré au pouvoir dans un gouvernement dit d’union nationale
se comprend dans ce contexte de crise : la composition de ce gouvernement n’a
plus grand chose à voir avec les résultats électoraux et les alliances partisanes
de 1924. Il s’agit bien d’un gouvernement de crise restreint à 13 ministres dont
6 anciens présidents du conseil : la confiance est de nouveau à l’ordre du jour
et les capitaux reviennent de l’étranger. Le président du Conseil Poincaré
demande au parlement des pouvoirs spéciaux pour élargir ses marges d’action.
De 1926 à 1929, on observe une accalmie sur le front des affaires financières et
des affaires internationales
Conclusion n°1 : Dans ces conditions, on comprend que les élections d’avril
1928 sont un succès pour Poincaré : 325 députés se réclament de lui sur 607 :
les radicaux passent dans l’opposition et y resteront jusque 1932. Poincaré
propose une politique de stabilisation, une réforme du service militaire qui
repasse à un an : il entérine la fin d’une politique de puissance coloniale, et le
développement d’une doctrine militaire défensive afin de protéger l’inviolabilité
du territoire national (chantiers de la ligne Maginot commencent en 1928 et à
partir de 1930, de gros crédits sont débloqués pour fabriquer le « bouclier »).
On peut dire qu’on sort alors de l’après-guerre et des problèmes financiers et
internationaux qui l’avaient caractérisée. Cette politique de stabilisation et
d’apaisement passe par la mise en place de lois sociales : loi sur le logement
social en 1928 (Loi Loucheur) ; loi sur les assurances sociales (chômage, maladie,
retraite) en 1930
D’autres formes de crise politique vont se déployer après la démission d’un
Poincaré épuisé. En 1929 Tardieu, un des chefs parlementaires de la droite, est
investi comme président du conseil : il fait partie de cette nouvelle génération
politique
qui se définit comme celle des républicains constructeurs
(« anticonformistes » des années 30 fascinés par les USA, la réforme de l’Etat, la
rationalisation du parlementarisme et un pouvoir exécutif plus fort : favorable à
la construction d’un grand parti conservateur à l’anglaise et à une discipline
nouvelle des partis et des groupes)
37
Entrée dans une nouvelle ère dans laquelle l’union sacrée ne sera plus possible
et les parlementaires se verront très sérieusement concurrencées par de
nouvelles forces sociales et politiques
Conclusion n°2 ; on a décrit ici le monde de la souveraineté de la délibération qui
s’est construit et légitimé sous la IIIe République
Ce monde de la souveraineté parlementaire est caractérisé par un monopole, au
moins tendanciel, que détiennent les représentants élus dans l’orientation de la vie
politique : la liberté de vote des députés “garantit” une véritable délibération où
le résultat n’est jamais acquis à l’avance. Le gouvernement, ou le ministre qui
défendent un projet, le président du Conseil qui défend une politique générale ne
sont jamais certains du vote des députés, y compris de ceux qui étaient des
soutiens dans des délibérations précédentes. A chaque nouvel enjeu, il leur faut
gagner des majorités, et pour cela, convaincre par l’argumentation, du bien-fondé
de leur position. Il fallait trouver « les diagonales du compromis » dit l’historien
Nicolas Roussellier dans son livre Le Parlement de l’éloquence qui retrace cette
période
En ce sens, les parlementaires doivent tenir à distance les « verdicts » du scrutin et
ne pas se lier les mains par des alliances électorales. Certes, sur les grands sujets
constitués en « marqueurs idéologiques » comme la laïcité ou les institutions, il est
parfois fait appel à une discipline de type idéologique mais, dans « le quotidien du
parlementarisme », le gouvernement devait chercher la logique de son
argumentaire entre plusieurs tendances ou plusieurs idées dominantes. Le meilleur
chef de gouvernement est un spécialiste de la conciliation et non pas un leader.
Gouverner pour l'essentiel, consistait à organiser la meilleure délibération possible
en vue de la confection des meilleures lois possibles. Cette forme de gouvernement
est légitimée en tant qu’elle permet de gouverner au-dessus des partis et en
surmontant les divisions. Comme il faut sans cesse composer et négocier, c’est aussi
une version de l’action politique très « réformiste » qui triomphe dans les faits ; il ne
saurait être question de transformer la société de manière autoritaire et brutale
mais trouver des points de consensus entre centre droit et centre gauche
Cette conception de la souveraineté de la délibération parlementaire commence à
être discutée et contestée : à gauche, le chef de la SFIO Léon Blum critique « ces
chefs sans troupes classées et sans opinions définies, professionnels du
gouvernement …, véritables déracinés de la politique ». Blum vise aussi le
conservatisme associé à ce mode de direction politique qui trahit tout autant les
militants que les électeurs. A droite, de plus en plus de groupes ou de dirigeants de
parti sont hostiles à ce qu’ils appellent le bavardage parlementaire et préconisent
38
une légitimation des gouvernants au nom de la compétence qui permettrait de
décider et d’être efficace. Ils envisagent une émancipation de l’exécutif du contrôle
permanent de l’Assemblée, ce qui permettrait de fabriquer des gouvernements de
législature (pendant 4 ans, les ministres auraient en quelque sorte les coudées
franches). En fait, c’est aussi une critique de l’élection comme principe de légitimité
qui est produite à droite et dans certains groupes d’ingénieurs, de hauts
fonctionnaires qu’on commence à appeler des technocrates
C Crise et effondrement de la démocratie parlementariste : de la crise des années
1930 au régime de Vichy
Les manières de gouverner et de de légiférer deviennent instables et sont très
largement dénoncées. Les accords entre groupes parlementaires et les ajustements
de majorité deviennent impossibles à trouver. Des solutions sont recherchées et
expérimentées avec un succès inégal durant les années 1930 (tentative de réforme
de l’Etat autour de Tardieu, polarisation politique et partisane durant le Front
populaire, émancipation de l’exécutif durant la présidence du conseil de Daladier),
sous Vichy (mise à l’écart du Parlement et des partis) et sous la IVe (tripartisme,
expérience Mendès France et construction d’une position arbitrale au-dessus et en
dehors du jeu parlementaire)
Attention, ici, on met le gouvernement de Vichy dans une histoire de la crise du
parlementarisme et c’est bien sûr une simplification)
1 Les crises des années 1930
1.1.
la réforme impossible du parlementarisme ; premières contestations
internes et externes (1928 1934)
Tentative de réforme interne du jeu politique autour de Tardieu
1929 Tardieu, président du conseil, et poulain de Poincaré, est aussi un
rénovateur qui se veut un critique du régime parlementaire tel qu’il s’est
développé
Tardieu est porteur avec d’autres, d’une vision de la modernisation économique
sur le modèle américain. Il propose une concentration de l’industrie et une
39
capitalisation plus forte. (problème : crise de Wall Street éclate lorsqu’il est
investi président du conseil en 1929)
Il est aussi porteur avec d’autres de la Réforme de l’Etat ; il s’agit dans la vie
politique de valoriser les compétences pour accéder aux positions de direction.
Il s’agit de rationaliser le parlementarisme, c’est-à-dire ici de contenir les
parlementaires, de les discipliner autour du gouvernement et du même coup de
renforcer les possibilités de décision de l’exécutif gouvernemental en
restreignant le pouvoir de la délibération. Tardieu vise une organisation
bipartisane de la vie politique.
Il a été président du Conseil trois fois (en 1929, 1930 et 1932), mais les
gouvernements qu’il a dirigés ont été assez brefs (moins de 1 an) : Tardieu a
essayé de montrer l’exemple en ne négociant pas la composition de son
ministère avec les président des groupes parlementaires et a voulu obliger – en
vain – le parti radical – à choisir son camp (il voulait l’attirer durablement à
droite en le séparant de la SFIO)
Durant la campagne de 1932, Tardieu met la réforme de l’Etat et du système
parlementaire au cœur des enjeux disputés. Il fait une campagne assez
provocatrice en intervenant à la radio ; c’est-à-dire en parlant directement à
l’opinion, sans médiation parlementaire. Ses idées sur la réforme de l’Etat sont
associées par beaucoup de députés au risque de césarisme et le poids donné à
l’opinion est renvoyé aux dérives plébiscitaires. Tardieu échoue comme le
montrent les résultats des législatives de 1932 : les radicaux obtiennent leur
meilleur score depuis 1919 et les droites essuient un recul. Surtout, la chambre
des députés n’a jamais été aussi fragmentée ; le parti radical est le parti pivot
de la fabrication des majorités mais la composition des gouvernements se
révèle à partir de 1932 très « sportive ». Et ce à un moment difficile notamment
sur le plan international (prise du pouvoir par Hitler) qui exigerait une capacité
de l’exécutif à décider rapidement. La Chambre des députés est divisée et les
partis le sont également. Nombreuses scissions (au PC, à la SFIO et au parti
radical) qui trouvent leur origine dans l’émergence de nouveaux enjeux
internationaux (le pacifisme et la position par rapport aux régimes fascistes
allemands et italiens compliquent le jeu politique à droite comme à gauche, et
ce, d’autant que la position de l’internationale communiste interdit jusque fin
1934 toute alliance entre socialistes et communistes)
l’autonomisation
extraparlementaire
et
la
montée
en
puissance
d’un
espace
40
Ces professionnels de la politique qui se divisent doivent compter avec
l’autonomisation et l’émergence d’un espace extraparlementaire
particulièrement virulent :
. montée et regroupement d’élites modernisatrices autour de la question de la
réforme de l’Etat, enjeu désormais porté par des agents en marge ou extérieurs
au champ politique (ingénieurs, intellectuels, hauts fonctionnaires, etc.)
. montée de ligues extra (et anti)parlementaires puissantes: l’Action française
toujours mais aussi création de la Solidarité française, radicalisation des Croix de
feu, rassemblement des paysans dans les Chemises vertes, organisation des
« classes moyennes », des contribuables (fédération des contribuables est créée
en 1928). Ces ligues recrutent massivement, copient le répertoire des
organisations de masse communistes ou fascistes : tenues et méthodes
paramilitaires)
1.2 Le tournant de 1934 : scandales, mobilisations et constructions d’une
alternative politique (34-37)
L’affaire Stavisky devient l’événement catalyseur de la crise. (rappel de cet
épisode qui concentre beaucoup de facteurs de déstabilisation ; escroc juif qui
bénéfice de protections de magistrats, d’hommes politiques radicaux et francs
maçons). La dénonciation de la corruption du régime prend un tour subversif
dans les formations d’extrême droite. Le gouvernement dirigé par Camille
Chautemps, radical et franc maçon, mêlé à l’affaire Stavisky doit démissionner.
Le jour de l’investiture de Daladier, son successeur ,lui aussi radical, on voit
converger des manifestations d’origine différent, vers la Chambre des députés
et de l’Elysée ; émeutes, 15 morts, plus de 1400 blessés. Daladier démissionne
malgré son investiture unanime. Symbole fort, le gouvernement a abdiqué
devant l’émeute. Plus inquiétant encore, la défection des élites étatiques
(magistrature, armée police), c’est-à-dire leur obéissance de plus en plus
conditionnelles aux autorités de l’Etat, devient perceptible
. dans un premier temps, on voit se développer une réaction des élites
gouvernementales en place : une ultime tentative de faire passer la réforme de
l’Etat (Doumergues en 1935) mais les soutiens parlementaires manquent
. puis, une autre solution à la crise va être trouvée, non pas tant par les
parlementaires mais par des militants puis des dirigeants de parti qui lancent
mobilisation antifasciste au principe de la construction d’une alternative
41
politique. Cette mobilise s’organise de 1934 à 1936 et se termine par la victoire
du Front populaire :
Des initiatives politiques de toutes sortes, provenant d’intellectuels, de petits
groupes organisés, de syndicalistes poussent les dirigeants des partis à l’union
des forces de gauche (rappeler que ce n’est pas évident tant la SFIO et le Pc se
sont affrontés depuis plus de 10 ans). Un pacte d’unité d’action contre le
fascisme est signé le 27 juillet 1934 et se traduit par l’émergence d’une alliance
inédite entre communistes socialistes et radicaux. Un programme de
gouvernement est même élaboré : la SFIO et le PC demandent une dissolution
de la Chambre, le vote à la représentation proportionnelle, une dissolution des
ligues. Une alliance avec le parti radical (et avec Daladier contre Herriot à droite
du parti) est trouvée. Le 14 juillet 1935 des manifestations inédites se déroulent
en France qui sont des manifestations de la gauche unie ; La question d’un
programme commun est réglée dans la perspective des législatives de 1936.
Concessions sont réciproques mais objectifs et stratégies restent autonomes ; la
campagne électorale de 1936 est très tendue. Forte participation électorale,
victoire du Front populaire et le PC apparaît comme le grand vainqueur, au sens
où il a réussi son intégration dans le jeu politique
. L’expérience BLUM juin 1936 juin 1937 : c’est un moment rare de la IIIe non
seulement parce qu’ il voit entrée des socialistes sur la scène gouvernementale,
non seulement parce que, pour la première fois, les communistes soutiennent
un gouvernement et avec lui les masses ouvrières font leur entrée sur la scène
publique mais aussi parce qu’il y a une vraie opposition politique entre droite et
gauche qui se dessine sur un mode très polarisé. Le ministère Blum commence
par d’énormes grèves dans tout le pays, dont on ne sait pas si ce sont des
grèves revendicatives, festives ou les deux. S’ouvrent le 7 juin à Matignon des
négociations tripartites, syndicats, patrons, gouvernement. Les résultats sont
connus : augmentation des salaires, congés payés, durée hebdomadaire de
travail est réduite. Vote de grandes lois (fenêtre d’opportunité et retour d’une
capacité politique de décision). On avait vu que le modèle de la souveraineté de
la délibération favorisait plutôt les compromis, les réformes menées à petits
pas ; ces premiers moments du Font Populaire échappent à ce modèle et
marquent au contraire de grandes réformes structurelles, sociales et
économiques
. La fin du front populaire et le retour à un parlementarisme chaotique :
radicalisation politique et sociale antifront populaire. Lâchage des radicaux
42
1.3. les dérives du transformisme parlementaire : la dictature Daladier,
nouveaux clivages politiques et effondrement du régime (Vichy avant
Vichy ?)
. Retour à un parlementarisme déstructuré : immobilisme, difficulté à ouvrir des
brèches pour agir, fragmentation partisane. Gouvernements à direction
radicale : 1937-1938, période vue comme une période d’enlisement. En janvier
1938, la SFIO et le PC lâchent les radicaux : longue crise ministérielle. Aucun
chef de gouvernement ne peut être investi

. Avril 1938-mars 40, « dictature Daladier » (moment d’une émancipation
provisoire de l’exécutif) : construction collective d’une position arbitrale pour
sortir de l’enlisement, appel au grand homme. Daladier incarne à lui seul le jeu
de la fabrication des majorités. Il joue sur son image d’aile gauche du
radicalisme, continuant d’affirmer sa fidélité à l’esprit de 1936, mais en fait, il
fait glisser l’axe de sa majorité et organise un renversement d’alliance en pleine
législature. Politique de répression sociale féroce (retour sur les lois du front
populaire), de xénophobie, de conservatisme et en même temps politique de
reprise économique (soutien patronal). Naissance d’un nouveau clivage entre
pacifistes (munichois) et bellicistes qui traverse l’ensemble de la droite et de la
gauche. Munich comme point de rencontre entre un pacifisme de gauche
doctrinal et un néo pacifisme de droite conjoncturel plus tactique.
Mars 1939 au lendemain de l’invasion tchèque, Daladier obtient les pouvoirs
spéciaux pour prendre des mesures « nécessaires » ; un véritable chèque en
blanc lui est donné. La vie publique démocratique semble suspendue au nom
de l’anticommunisme. Le Pacte germanosoviétique signé en 1929 achève de
bouleverser l’espace politique
Daladier président du conseil incontesté, qui disposait jusqu’au 30 novembre
1939 de pouvoirs spéciaux, voit son autorité s’éroder dans une compétition
politique bouleversée par le clivage entre pacifistes et bellicistes qui déchire les
milieux dirigeants ; il démissionne en mars 1940. Le Président Lebrun appelle
Reynaud, une figure importante de la droite modérée mais républicaine,
fermement antifasciste. Le 10 mai 1940, début de la bataille de France qui
commence : débâcle. Le 15 juin Reynaud démissionne ; Pétain est son
successeur et le général Weygand qui remplace Gamelin à la tête des armées
est ministre de la Défense. Discours de Pétain du 17 juin « c’est le cœur serré
que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat » ; 10 juillet : vote des
pleins pouvoirs (pouvoirs constituants) à Petain
2. Vichy ou l’effondrement du parlementarisme
43
Problème historiographie : dans un premier temps, vision d’un gouvernement
de Vichy comme bouclier face à l’Allemagne ; puis, travaux historiens ont
montré que les dirigeants de Vichy menaient leur propre politique, que parfois
ils dépassaient les nazis sur le terrain de l’antisémitisme et de
l’anticommunisme (Paxton, Vichy et les juifs, 1973).
Vichy perçue comme la revanche des ennemis de la République et du régime
parlementaire :
- effondrement de la République : la mort de la gueuse dit Maurras, refus du
principe égalitaire, proclamé par la Révolution « Le régime nouveau sera une
hiérarchie sociale »
- effondrement du Parlement : montée d’un gouvernement de techniciens et
d’un chef charismatique (expérience Daladier montre des prémisses)
contrepied d’une « tradition parlementaire » : personnalisation du régime et le
culte du chef
condamnation de la démocratie libérale, jugée impuissante, contrôlée par des
professionnels mus par des intérêts personnels qui auraient entraîné les
Français dans la décadence et l’esprit de jouissance
Lois d’exclusions août et octobre 1940 qui frappent juifs et francs maçons
d’interdictions professionnelles ; Chasse aux communistes se déchaîne
Organisation du régime de Vichy
actes constitutionnels qui font de Pétain et son entourage le lieu unique de la
décision (Acte n°1 Pétain assume les fonctions de chef de l’état français ; acte
n°2 il s’accorde la plénitude du pouvoir gouvernemental en concentrant dans sa
seule personne les pouvoirs naguère dévolus au président de la République et au
conseil des ministres. Il exerce les fonctions législatives en Conseil de ministres ;
exerce les fonctions diplomatiques, les fonctions administratives par le biais du
pouvoir réglementaire renforcé par le serment prêté à la personne du chef de
l’Etat par les ministres, les hauts fonctionnaires, les magistrats ; acte n°4 : il peut
désigner son successeur)
Pas de contrepouvoir : ce qui subsiste du Parlement disparaît le 10 juillet 40
(vote de délégation qui organise la reddition parlementaire).
Il n’y a plus d’assemblées ; les pouvoirs des conseils généraux sont donnés aux
sous préfets et préfets assistés de commissions administratives nommées par
44
décret ; les conseillers municipaux et les maires dans les communes de plus de
2000 habitants sont nommés par l’exécutif
Le suffrage universel est menacé « il ne suffit plus de compter les voix, dit
Pétain ; il faut peser leur valeur pour déterminer leur part de responsabilité dans
la communauté »
syndicalisme est présenté comme source de division et les confédérations
ouvrières et patronales sont supprimées ; la charte du travail, instituée en
octobre 41, impose un modèle corporatif (profession organisée de façon
pyramidale dans un syndicat unique qui excluait les conflits de classe où les
représentants de l’Etat rendraient des arbitrages nécessaires)
rôle des médias est réduit à néant
rôle des partis contesté
rôle du droit aboli : Etat policier. Usage d’un droit rétroactif ; hommes politiques
de l’ancien régime sont emprisonnés (Procès de Riom)
Les fondements idéologiques de cette « Révolution nationale » sont précisés
dans le discours du 11 octobre 1940 : retour à des valeurs qui auraient fait jadis
la force de la nation : l’ordre soumis à l’autorité, société enracinée dans des
communautés naturelles comme « la famille », la commune et la profession (et
d’abord la paysannerie « un des plus solides soutiens de la paix sociale »
Rôle de l’Eglise est également réévalué
Vichy comme repaire de toutes les droites, des ultras et des ligueurs. Militaires
sont nommés à des postes clés. Seule novation : la percée des technocrates :
hauts fonctionnaires ou cadres du secteur privé qui avaient pantouflé et qui
étaient issus des mêmes corps En septembre 40, on ne trouve plus de ministres
ayant été parlementaires excepté Laval. Problème des ruptures et des
continuités : Vichy est un moment (exacerbé) de l’émancipation de l’exécutif qui
constitue un des processus en marche depuis le début du siècle
3 La IVe république : l’exception du tripartisme et le retour au parlementarisme
3.1. la Libération comme moment de révolution des pratiques et de la
compétition politiques
45
. Travail complexe de légalisation du régime : durant l’hiver 44, rétablissement
d’une autorité de l’Etat, du gouvernement et de l’administration et relance de
l’effort de guerre.
. La refondation de la République autour d’une politique de démocratisation :
vote des femmes – ordonnance du 21 avril 44 ; démocratisation du recrutement
de l’élite administrative ;
démocratisation des relations sociales :
reconnaissance des droits éco et sociaux et mise en place d’une sécurité
sociale ; démocratisation des relations professionnelles avec la participation des
travailleurs à la vie des entreprises
. République nouvelle se fonde dans un contexte politique tout à fait inédit :
grands partis disciplinés sont maîtres du jeu et sont dotés d’une forte légitimité.
Elaboration d’une Constitution marquée par deux contre-modèles : le pouvoir
personnel de Pétain et le souvenir de l’instabilité de la troisième République.
Préparation de la Constitution avec perturbation gaulliste. Le général de Gaulle
cherche à revenir dans le jeu politique après sa démission de janvier 1946 et à
nouer l’alliance avec le MRP ; discours de Bayeux prend sens là. Les propositions
gaullistes sont rejetées, car renvoyées du côté du pouvoir personnel (militaire)
et d’une trop forte émancipation de l’exécutif. Le personnage de Gaulle fait
peur car il ne semble guère intégrable dans les jeux partisans ; il est renvoyé au
rôle de sage et non pas d’acteur du jeu politique. Le projet élaboré par les
groupes parlementaires est un projet beaucoup plus favorable aux chambres.
Le président du conseil est vu comme une institution centrale à égalité avec
l’Assemblée nationale : coordonnateur et conducteur de la politique
gouvernementale, il est pensé également comme le chef de la majorité
parlementaire (procédure de l’investiture à la majorité absolue. Idée d’un
contrat de gouvernement à l’anglaise, voire d’un contrat de législature)
Rationalisation du parlementarisme est un des soucis des parlementaires de la
IVe République, contrairement à ce qui est souvent dit. Il faut rappeler que le
système est pensé dans le cadre du tripartisme.
Valorisation tout à fait nouvelle du parti comme centre de pouvoir, de décision
et d’orientation
Valorisation d’une élite politique résistante, qui peut donner des leçons aux
élites patronales, intellectuelles ou administratives antérieures
Prééminence de certaines ressources politiques collectives, organisationnelles
(le passé de Résistant, la discipline militante, l’affichage de principes
idéologiques, l’éloquence combattante)
46
Problème : Configuration d’application de ce texte ne sera pas du tout celle de
sa production
3.2. La (re) production d’une configuration parlementariste
fin du tripartisme en 47 : Le général de Gaulle (s’) est mis hors du jeu mais il
n’accepte pas sa retraite ; il va reconstruire un mouvement (le RPF) dans
l’opposition au régime, interdisant à ses soutiens de participer au
gouvernement ou d’investir un président du Conseil.
Le PC va également être exclu du jeu pour des raisons internationales et sociales
(grèves de 1947) Ce départ du PCF (qui regroupe à peu près un quart de
l’électorat et plus d’une centaine de députés) marque durablement l’histoire
politique de la IVe République, contraint les alliances possibles et autorise le
déplacement à droite de la SFIO
On entre dans la phase dite de troisième Force qui dure jusque 1952 : les
majorités doivent être trouvées alors ni les gaullistes ni les communistes, deux
groupes importants, ne peuvent participer aux gouvernements. La difficulté de
la fabrication des majorités de gouvernement favorise le retour et de le
développement des petits partis du centre et de droite comme forces d’appoint,
le retour des hommes de la IIIe avec leurs expériences du pouvoir (ainsi la
double investiture inaugurée par Ramadier en janvier 1947 va par la suite
prendre le sens d’un retour au contrôle parlementaire sur la fabrication des
majorités parlementaires)
Pour pouvoir continuer à constituer des gouvernements, les parlementaires
tentent collectivement de négocier largement, en ouvrant la composition des
gouvernements à l’ensemble du spectre du palais bourbon, communistes et
gaullistes exclus. Autrement dit, on trouve des ministres de droite à côté de
ministres sociales dans les gouvernements, et ce dès 1948.
On peut parler d’une mise sous tutelle du suffrage sous la Quatrième
République. Contrôle de ses éventuelles fluctuations par la manipulation des
calendriers électoraux (par ex. le refus opposé aux revendications gaullistes
d’élections anticipées après la victoire des candidats RPF aux élections
municipales de 1947), par l’invention de modes de scrutin (le système des
apparentements en 1951) qui permettent de dissocier très largement les
résultats en voix et l’orientation effective de la politique. (cf. tableau et
notamment résultats de 1951) Les majorités gouvernementales ne sont pas
47
produites par les voix des électeurs mais par le jeu des modes de scrutin et les
ajustements parlementaires
La mise à distance de l’électorat est justifiée et revendiquée par les hommes
politiques au nom de la démocratie. Seuls des marginaux des jeux
parlementaires comme Pierre Mendès France tenteront des usages de l’opinion
(causeries radiophoniques, sondages) pour servir leur cause
Découverte d’une obligation à la coopération maîtrisée entre les dirigeants des
formations pour pouvoir fabriquer et faire durer des majorités
gouvernementales : Chacun dépend de tous. Travail politique devient exigeant,
épuisant (Edgar Faure résume ainsi sa présidence du Conseil entre janvier et
février 1952 : « Mon gouvernement dura quarante jours, compta quarante
ministres et me fit perdre quatre kilos ») ; il faut aller chercher les soutiens un à
un pour pouvoir gouverner et compter sur la coopération des acteurs
parlementaires susceptibles d’être inclus dans les majorités
Jeux parlementaires de plus en plus difficiles à reproduire par la coopération des
députés sous la deuxième législature (1951 1956) On repère de nombreux ratés
de la mécanique parlementaire notamment durant la seconde législature (5156) : des votes inattendus (rejet de la CED), des investitures non contrôlées
(Pinay en 52, Mendès France en 54), des crises qui rallongent (et donc un
vacance du pouvoir plus longue), une dissolution non empêchée (décembre
1955).
La troisième législature (1956-1958) voit la fragmentation du jeu parlementaire,
la montée de mobilisations externes (militaires, Français d’Algérie, petits
commerçants, etc.) et la paralysie des jeux parlementaires autour du conflit
algérien : impossible de sortir du « consensus » sur l’Algérie Française, gardé par
une minorité de blocage parlementaire trans-partis, par l’armée réticente à
obéir, et les colons algérois prompts à protester. Impossibilité de sortir l’enjeu
algérien de l’agenda politique. Les hommes politiques perdent la croyance en
leur capacité d’agir. L’appel à de Gaulle apparaît progressivement au cours de la
deuxième moitié du mois de mai comme la solution trouvée pour sortir de cette
paralysie
3.3 bilan de la 4e république : 4 configurations de pouvoir
48
première configuration : le tripartisme (44-47) : puissance des ressources
et des valeurs collectives (celles de la Résistance), force des centres
partisans, et discipline partisane et parlementaire
 deuxième configuration : le retour au parlementarisme type troisième
république 1947-1952 (la Troisième force). Parlement au cœur de la vie
politique car fabrication des majorités de gouvernement devient délicate
sous l’effet de la mise hors système du pc et du RPF. Faiblesse des centres
partisans et indiscipline, mise à distance du suffrage
 troisième configuration 1952-1958 : paralysie du système qui prend deux
formes :
d’un côté, les dirigeants du jeu politique ne contrôlent plus leurs minorités
internes, ne tiennent plus le processus de fabrication des majorités : montée des
prétendants politiques (jeu de Auriol à la tête de l’Etat qui appellent les
parlementaires les plus critiques à la présidence du conseil, montée des
minorités pro Algérie française). Affichages des désaccords, manœuvres non
contrôlées
de l’autre, émergence de menaces extérieures non contrôlées : suffrage non
contenu par le mode de scrutin par apparentement (résultats de 1956 et
montée des poujadistes), mouvement de mouvements anti-parlementaristes,
désobéissances de l’armée ou de la police, émeutes algéroises qui s’imposent
(accueil virulent de Guy Mollet le 6 février 56 à Alger et changement
d’orientation politique qui suit)
 quatrième configuration : la production récurrente et contrôlée
d’hommes « providentiels » susceptibles de dénouer les blocages et
d’endosser le règlement d’un problème insoluble par la voie
parlementaire (Pinay en 52 mais surtout Mendès France en 54 et Charles
de Gaulle en mai 58) ; dans les deux premiers cas, le contrôle collectif de
la promotion de ces outsiders est possible (ni Pinay ni Mendès n’ont de
forts soutiens parlementaires et partisans) mais dans le cas de De Gaulle
la nouveauté vient des ressources externes sur lesquelles peut s’appuyer
le général de Gaulle (poids de l’armée, de la police et des foules
manifestantes à Alger dans un contexte où l’arène extraparlementaire a
pris de la puissance). L’investiture du général de Gaulle introduit ces
nouvelles ressources dans le jeu et le contrôle collectif devient impossible
après juin 1958 : usage nouveau de l’opinion publique, mise en vacance
du Parlement crée un différentiel de ressources en sa faveur et lui permet
de bouleverser la hiérarchie des enjeux (il met en sourdine le conflit
algérien qu’il se réserve, à lui et aux électeurs par l’intermédiaire des
référendums de 61 et 62 ; il met en avant l’enjeu institutionnel autour de

49
la Constitution) : retour d’une capacité d’agir alors même que la force du
général de Gaulle consiste à ne pas s’engager sur le conflit algérien pour
garder deux fers au feu
La question du changement de régime. La question de savoir si de Gaulle a fait
un coup d’Etat ou non n’a pas de sens si elle est posée ainsi : il faut noter le
travail de légalisation collective du retour du général de Gaulle au
pouvoir qu’ont effectué les dirigeants politiques de la IVe République (le
président de la République qui accepte de l’appeler à la présidence du Conseil et
une majorité de parlementaires dont une fraction du groupe socialiste qui se
décide – en partie par anticommunisme – à voter son investiture dans les règles)
1958 va favoriser un renouvellement des élites sociales qui se lira dans la
construction de nouveaux soutiens au régime (les ordonnances de 1958
bouleversent certains univers professionnels – médical, université, magistrature,
haute fonction publique et consacrent des fraction sociales montantes, dotés
d’une compétence scolaire et professionnelle dans leur secteur d’activité )
élections
élections
élections
élections
élections
1945
1946 juin
1946 nov
1951
1956
%-sièges
PC
26.2%-159
26%-151
28.3%-182
26.9-103
25.9-150
SFIO
24.9-146
21%-127
16.3%-102
14.6%-107
15.2%-94
MRP
23.9%-150
28.2%-166
27.6%-173
12.6%-95
11.1%-83
droite
9.1%-53
12.8%-61
11.5%-72
14.1%-86
15.2%-95
radic
12.1%-71
11.6%-31
11.1%-42
10.1%-90
11.3%-91
19.3%-121
3.3%-21
RPF
UFF
poujadistes
11.6%-52
50
Conclusion de la deuxième partie :
histoire qui a mis en avant la puissance déclinante d’un modèle du
parlementarisme tout en montrant les crises régulières que ce type de pratique
subit (années 30, Vichy d’une certaine manière et la fin de la 4e) : en fait, une
histoire assez fréquemment rapportée fait de la 3e et de la 4e république un long
moment de gouvernement d’assemblée animé par des parlementaires et des
partis tout puissants : la rupture se situerait ainsi en 1958 avec l’entrée dans le
monde « moderne » de la 5e République
Une autre histoire est possible en 5 temps :



un « âge d’or » du régime parlement finalement très court qui va de la
crise du 16 mai 1877 à l’affaire Dreyfus : application d’un programme
républicain, affirmation de valeurs (démocratie = république = assemblée
nationale), et discipline relative ;
un renversement des valeurs au tournant du siècle : entre l’affaire Dreyfus
et le début de la première guerre mondiale. Dénonciation des
parlementaires sous deux formes : une forme de gauche qui dénonce un
pouvoir parlementaire comme masque d’une oligarchie sociale
conservatrice, trahissant le peuple car séparée des syndicats et partis
vecteurs de l’opinion des citoyens et une forme de droite qui en fait un
lieu de bavardage et d’incompétence
une accentuation du désajustement entre campagne électorale et
composition et action des gouvernements à partir de la première guerre
mondiale : les campagnes électorales opposent de plus en plus des
« blocs » ou des « camps » politiques mais ces blocs ne trouvent que
rarement des traductions majoritaires et gouvernementales. Le
transformisme parlementaire est vue par beaucoup comme une rupture
de contrat entre le peuple et ses représentants (souveraineté du peuple
usurpée par la souverainement parlementaire). Ce qui veut dire que le
conflit droite gauche est finalement moins présent dans la vie politique
française qu’il n’y paraît : il est mis en scène le temps des campagnes mais
ensuite alliance fluctuante des centres. Quelques rares moments de
l’histoire politique française où ce clivage trouve des traductions
parlementaires et gouvernementales : gouvernements radicaux durant
l’Affaire Dreyfus, premiers mois du Cartel des gauches en 24, et du Front
populaire en 1936, Libération
51



processus long de rationalisation parlementaire (commission, groupe,
contrôle de l’expression des parlementaire) au-delà de ce jeu politique de
fabrication et de destitution des gouvernements. De ce point de vue, le
commencement ne se situe pas en 58
loi et parlement sont concurrencés par l’exécutif à partir de la première
guerre mondiale: (lois d’habilitation, décrets lois, loi cadre). Beaucoup de
grandes réformes sont prises par ces voies
transformation de l’action publique : accroissement des capacités de
l’exécutif en terme de mise en œuvre mais aussi de conception de l’action
publique (expertise d’Etat, montée des centres de coordination
transministérielles) ; sous la Ive République, inscription du Commissariat
au plan dans un circuit de décision parallèle et concurrent à celui du
Parlement
CHAP 2 Transformations et crises de la démocratie représentative
de 1958 aux années 1980
A Transformations de la démocratie représentative
-1. redéfinition du rôle de l’intervention du peuple : élections, référendum,
montée parallèle du poids des sondages. A partir de 1958, opinion des citoyens
devient une énigme (qui sont ceux qui votent pour le général de Gaulle ?) qu’il
importe de résoudre car cette opinion est appelée à intervenir de plus en plus
dans la vie publique (référendum, élection du président au suffrage universel) ;
opinion utilisée intensément par le général de Gaulle qui ne dispose pas de
soutiens institués solides en début de régime au sein du Parlement. On entre
dans ce que Bernard Manin appelle « la démocratie d’opinion », succédant à la
démocratie parlementaire (notabiliaire) et à la démocratie des partis
- 2. bipolarisation politique : processus beaucoup plus lent, chaotique qu’il n’est
dit en général ; jeu brouillé des origines (le conflit algérien perturbe la formation
de clivages très lisibles) ; à partir de 1963, jeu politique commence à être décrit
et pensé en termes d’alliances plus durables droite –gauche ou encore majoritéopposition. Mais les groupes centristes de la troisième force sont encore très
puissants : référendum de 1969, élections de 1969 (avec ce deuxième tour
Poher Pompidou) en font la démonstration éclatante Cette « troisième force »
trouve ses appuis au Sénat, dans les positions locales. Les premières élections
52
municipales largement bipolarisées se passent seulement en 77. La
bipolarisation est moins le fait de l’application de la Ve ou du mode de scrutin
pris isolément : elle est aussi le produit de rapports de force localisés et de
stratégies politiques : Pompidou lors des élections législatives de 67 qui entend
imposer l’étiquette de « Candidat 5e République », Mitterrand qui construit sa
prise de pouvoir au sein du parti socialiste sur le pari qu’il fait de l’alliance
gagnante avec le PC, etc. Création du nouveau parti socialiste en 1971 au
Congrès d’Epinay marque un moment important de cette dynamique de
bipolarisation
3 émancipation de l’exécutif ; cette émancipation se manifeste dès les origines
par le choix de ministres non parlementaires (les techniciens ou les
technocrates) par le sacrifice de Michel Debré sur l’autel de l’Algérie Française,
par l’usage intensif d’outils constitutionnels permettant de dompter les
parlementaires
B Crises de la démocratie représentative (depuis les années 1980)
- 1 nouvelles dénonciation de la confiscation du pouvoir par les dirigeants (cette
fois les parlementaires ne sont pas les seuls visés) : montée d’une arène de
contestation (mouvements populistes, mouvements altermondialistes).
Abstention monte lors des consultations électorales et investissement militant
ou politique se fait hors du jeu politique représentatif traditionnel ; on voit
s’exprimer des revendications d’une démocratie participative renouvelée
- 2 fragmentation du jeu politique depuis les années 1980 (amenuisement du PC,
émergence du Front national, organisation des verts). Alternances successives
ont fait surgir un clivage entre partis de gouvernements et partis dits
« protestataires ». Emiettement sans précédent au premier tour de l’élection
présidentielle de 2002.
- 3 dénonciation et fragilisation du poids de l’exécutif et des administrations
(critiques de la technocratie). Revendications de proximité politique ;
concurrence faite aux lieux de décision exécutifs par des pôles de décision
locaux (décentralisation) ou européens
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