nous voulons qu’on tienne de nous les derniers. Ce n’est point par un pur penchant
à l’imitation que nous nous enflammons au récit des actions vertueuses : la vertu
seule, par sa force irrésistible, nous attire vers elle, commande à notre volonté, et
forme les moeurs par les exemples qu’elle nous offre. C’est cette considération qui
m’engage à continuer d’écrire ces Vies, dont je publie aujourd’hui le dixième
volume5 : il contient celles de Périclès et de Fabius Maximus, celui qui fit la guerre
contre Annibal. Ces deux personnages se ressemblent par toutes les vertus qu’ils
possédèrent, mais principalement par leur douceur, leur justice, leur patience à
supporter les folies de leurs concitoyens et de leurs collègues. Tous deux ils ont
rendu à leur patrie les services les plus importants. Ce que nous allons rapporter de
leurs actions fera voir si ce jugement est conforme à la vérité.
III. Périclès était de la tribu Acamantide, du bourg de Cholargue, et descendait par
sa mère des plus illustres familles d’Athènes. Xanthippe, son père, qui vainquit à
Mycale les généraux du roi de Perse, épousa Agariste, mère de Clisthène, celui qui
chassa les Pisistratides6, qui détruisit avec tant de courage la tyrannie, donna des
lois aux Athéniens, et établit une forme de gouvernement propre à maintenir parmi
les citoyens l’union et la sécurité. Agariste, dans un songe, crut qu’elle accouchait
d’un lion ; et peu de jours après elle mit au monde Périclès, qui, bien conformé
dans le reste de son corps, avait la tête d’une longueur disproportionnée. Aussi
toutes ses statues ont-elles le casque en tête : les sculpteurs ont voulu, sans doute,
cacher un défaut que les poètes athéniens, au contraire, lui ont publiquement
reproché, en l’appelant Schinocéphale7, car ils donnent quelquefois le nom de
schine à la scille. Entre les poètes comiques, Cratinos8 dit de lui dans sa pièce des
5 Il donne le nom de volume à deux vies parallèles, comme celles de Périclès et de Fabius Maximus.
6 Hérodote, liv. VI, c. CXXXI, fait la généalogie de Périclès. Clisthène, roi de Sicyone, avait une fille unique, nommée
Agariste, qu’il maria à Mégaclès, fils d’Alcméon. De ce mariage naquirent deux fils : le premier fut appelé Clisthène comme
son grand-père ; le second se nommait Hippocrate. Celui-ci, s’étant marié, eut un fils nommé Mégaclès et une fille nommée
Agariste, qui fut mère de Périclès. — La bataille de Mycale en lonie, vis-à-vis l’île de Samos, se donna à pareil jour que celle
de Platées, la deuxième année de la soixante-quinzième olympiade, quatre cent soixante-dix-neuf ans avant J.-C., et ne fut ni
moins glorieuse ni moins décisive que celle-ci. Plus de quarante mille Perses périrent dans le combat ; un plus grand nombre
furent tués en fuyant ou en défendant leurs retranchements ; le reste se sauva en désordre, et ne se crut en sûreté que quand
il se vit dans les murs de Sardes. Du côté des Grecs, cette bataille fut plus sanglante que toutes celles qui se livrèrent dans le
cours de cette guerre. Pisitrate s’était emparé de la puissance souveraine à Athènes, peu de temps après que Solon eut donné
des lois à cette ville. Ses fils, qui lui avaient succédé dans la tyrannie, furent chassés par ce Clisthène, qui réunit le peuple
divisé en plusieurs factions, porta les quatre tribus athéniennes jusqu’au nombre de dix, et établit un gouvernement purement
démocratique. Voy. Hérodote,liv. V, c. LXVI, et la vie de Solon, c. XXI, et note 54.
7 C’est-à-dire tête d’oignon marin, que les anciens appelaient schine ou scille, comme Plutarque le dit ensuite.
8 Poète de la vieille comédie, fort livré à la bonne chère et aux plaisirs. Il était contemporain d’Aristophane, et composa sa
dernière pièce, intitulée Pytine, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans, suivant Fabricius, Bibl. gr.