Entre-temps, grâce notamment
aux expériences de Rutherford qui
avaient établi, en 1911, l’existence
du noyau, petit, massif, central, et
chargé positivement, la première
théorie de l’atome avait été élaborée
par Niels Bohr, en 1913. La compo-
sition exacte du noyau (constitué de
protons et de neutrons) ne sera
connue qu’en 1932 avec la décou-
verte du neutron par le Britannique
Chadwick. Et cette découverte de
grande importance déclenchera une
avancée décisive sur la connais-
sance des forces mises en jeu dans
la radioactivité. Aux deux forces
fondamentales – la gravitation et la
force électromagnétique –, qui ren-
daient compte de tous les phénomè-
nes connus à la fin du XIX
e
siècle,
viennent s’ajouter deux nouvelles
forces. C’est, tout d’abord, l’inter-
action forte, qui lie les protons entre
eux, les neutrons entre eux et les
protons aux neutrons, et qui est
ainsi responsable de la cohésion des
noyaux. Mais cette interaction est
incapable d’expliquer la transforma-
tion d’un neutron en proton qui se
produit dans la radioactivité â
–
et il
faudra introduire une quatrième
force, baptisée interaction faible,
pour rendre compte de cette trans-
formation. En 1934, le Japonais
Hideki Yukawa formulera la pre-
mière théorie de l’interaction forte,
et l’Italien Enrico Fermi celle de
l’interaction faible. Cette dernière
intégrait l’existence du neutrino,
particule neutre presque indétecta-
ble, émise en même temps que
l’électron dans la radioactivité â,et
dont W. Pauli avait émis l’hypo-
thèse quelques années auparavant.
Ces deux nouvelles forces, et cette
seconde particule élémentaire, le
neutrino, actuellement chef de file
des leptons neutres, constituaient les
bases de la physique des particules
moderne. Il restera cependant, à la
fin des années 60, à découvrir les
quarks...
Deux autres découvertes impor-
tantes ont marqué ces années 30, et
parachevé les succès de la physique
nucléaire avant que n’éclate le se-
cond conflit mondial. C’est, tout
d’abord, en 1934, la première syn-
thèse d’un isotope radioactif par
Irène et Frédéric Joliot-Curie, bapti-
sée « découverte de la radioactivité
artificielle », et qui ouvrira la voie à
la production ultérieure de plus de
2 000 isotopes différents, dont cer-
tains trouveront des applications
scientifiques, médicales, ou indus-
trielles. C’est, peu de temps après,
la découverte, en 1939, du phéno-
mène de fission, libérateur de gran-
des quantités d’énergie, et dont on
connaît les applications militaires et
industrielles.
La découverte de la radioactivité
va faire progresser toutes les scien-
ces. A la chimie, elle apportera une
pléiade de nouveaux éléments, dont
le polonium et le radium ne sont
que les précurseurs. En ce qui
concerne ce dernier élément, le ra-
dium, Marie Curie en isolera une
quantité pondérable et le purifiera
suffisamment pour qu’Eugène
Demarçay puisse en obtenir un
spectre optique, ce qui établira défi-
nitivement son identité en tant
qu’élément chimique. Pour cet ex-
ploit, Marie Curie recevra le prix
Nobel de chimie, en 1911. Peu
après, l’exploration de la structure
de l’atome conduira Henry Moseley
à donner un sens physique à la clas-
sification de Mendeleïev : le numéro
atomique (numéro de la case dans le
tableau) est égal au nombre d’élec-
trons de l’atome de l’élément, c’est-
à-dire au nombre de protons de son
noyau. A la même époque, F. Soddy
met en évidence les isotopes (du
grec iso (même) et topos (place),
atomes dont le noyau possède le
même nombre de protons, mais des
nombres de neutrons différents, et
qui occupent donc la même case du
Tableau de Mendeleïev. Cette nou-
velle avancée ouvrira le monde de
la chimie isotopique, des traceurs et
des molécules marquées, ce dernier
domaine se développant surtout
après la découverte de la radioa-
ctivité artificielle.
Traceurs radioactifs et molécules
marquées s’avéreront être des outils
extrèmement efficaces pour les re-
cherches en biologie animale et en
biologie végétale. Le développe-
ment de la biologie moléculaire, et
la formidable percée dans les tra-
vaux sur le génome humain doivent
beaucoup à ces techniques de mar-
quage. La présence d’isotopes sta-
bles et radioactifs dans les roches
terrestres et les météorites sera
exploitée de façon très fructueuse
pour dater ces roches et étudier leur
évolution au cours des âges. Le car-
bone 14, présent dans tous les restes
organiques, et de période voisine de
5 700 ans, est devenu indispensable
pour dater des échantillons fossiles
ou des objets préhistoriques jusqu’à
50 000 ans environ. Les progrès ex-
périmentaux et théoriques de la
physique nucléaire et des particules
permettront des avancées spectacu-
laires dans la connaissance de l’uni-
vers et de ses origines.
L’ensemble de ces succès, qui
mériteraient un développement plus
détaillé, met en lumière l’impor-
tance considérable de la pluri-
disciplinarité, nécessaire à l’im-
plantation, dans une discipline,
de techniques issues d’une autre
science. De tels transferts de tech-
nologie ne peuvent se faire sans une
grande ouverture d’esprit et une
certaine abnégation des chercheurs
concernés, qui doivent accepter de
voir les techniques ou les objets de
leur recherche fondamentale passer
au service d’une autre science, avec
le cortège de problèmes humains
que de telles collaborations peuvent
engendrer.
Enfin, les applications médicales
et énergétiques de la radioactivité et
de l’atome posent de façon très
claire le problème de l’exploitation
des grandes découvertes scientifi-
ques par la société.
Les applications médicales de la
radioactivité ont été très précoces.
Dès 1900, deux chercheurs alle-
mands constatent que l’application,
sur leur peau, d’une préparation au
radium, provoque une inflammation
similaire à celle produite par les
rayons X. Peu après, Henri Becquerel,
Le centenaire de la découverte de la radioactivité
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