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Mini Manuel d'Economie Industrielle

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mini
manuel
d'Économie
industrielle
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Cours + Exos
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Henri-Louis Védie
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Professeur émérite au groupe HEC
DU MÊME AUTEUR
Macroéconomie en 24 fiches, 3e édition, Dunod, coll. Express, 2011.
Microéconomie en 24 fiches, 3e édition, Dunod, coll. Express, 2011.
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Avec Bernard Bernier, Initiation à la microéconomie, 3e édition, Dunod,
coll. Éco sup, 2011.
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© Dunod, Paris, 2012
ISBN 978-2-10-058123-8
Table des matières
Introduction
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3
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Points clefs
Exercice
Solutions
18
19
20
Les oligopoles
23
2.1 Les duopoles
2.2 La place des oligopoles dans l’économie industrielle
2.3 Une stratégie duale : fusions et ententes
Points clefs
Exercice
Solutions
24
31
38
43
44
44
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1.1 Des hypothèses de moins en moins réalistes
1.2 Concurrence imparfaite et concurrence monopolistique
1.3 L’apport de la concurrence monopolistique
au commerce international : l’analyse de P. Krugman
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La remise en cause du modèle de concurrence pure
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Partie 1
Une nouvelle approche des marchés concurentiels
Les monopoles
47
3.1 Définitions et domaines d’application
48
IV
Table des matières
3.2 Le monopole naturel :
un cas d’école de l’économie industrielle
Points clefs
Exercice
55
61
62
Solutions
62
4.1 L’économie des asymétries de l’information
4.2 Les conséquences des asymétries de l’information
4.3 Les alternatives
Points clefs
Exercices
Solutions
67
71
78
87
88
89
Contribution de l’économie industrielle à l’analyse
des marchés
91
5.1 Les coûts de transaction
5.2 La théorie des droits de propriété
5.3 La théorie de l’agence
Points clefs
QCM
Solutions
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Contribution de la théorie des jeux à l’économie
industrielle
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L’économie de l’information et les asymétries
de l’information
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Partie 2
Émergence de nouveaux concepts
117
6.1 L’apport de la théorie des jeux :
hypothèses et caractéristiques
117
6.2 Stratégies simples et stratégies mixtes
dans la théorie des jeux
120
6.3 Contribution de la théorie des jeux
à l’analyse des oligopoles
127
Table des matières
V
Points clefs
Exercices
Solutions
133
134
135
7.1 Les prix limites : théorie et pratique
7.2 Les prix prédateurs : théorie et pratique
7.3 La tarification en temps réel
Points clefs
Exercices
139
145
154
157
158
Solutions
159
Les stratégies de différenciation
161
8.1 Définition et domaines d’application
8.2 La différenciation spatiale : essai de modélisation
8.3 Stratégie du savoir-faire et stratégie du faire savoir
Points clefs
Exercices
Solutions
161
163
167
173
174
174
177
Bibliographie
181
Index
183
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Conclusion
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Les stratégies de prix
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Partie 3
Analyse stratégique
Comment utiliser le Mini Manuel ?
La page d’entrée de chapitre
Elle donne le plan du cours,
ainsi qu’un rappel des objectifs
pédagogiques du chapitre.
Le cours
Le cours, concis et structuré,
expose les notions importantes
du programme.
Les rubriques
Une erreur à éviter
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Un peu de méthode
Les exercices
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Ils sont proposés en fin de chapitre,
avec leur solution, pour se tester tout
au long de l’année.
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Les points clefs à retenir
−
−
×
×
Introduction
L’économie industrielle a une longue histoire, mais un passé récent
puisque cette discipline trouve ses fondements théoriques avec la publication de l’ouvrage d’A. Marshall, Industry and Trade, en 1919. Certes,
avant lui, J.-B. Say avait créé, au XIXe siècle, un cours d’économie industrielle au Conservatoire des arts et métiers de Paris. Mais tous les auteurs
reconnaissent que c’est le maître de Cambridge qui permet à cette discipline d’émerger, et de devenir progressivement une discipline autonome.
Rien de bien surprenant, si l’on veut se rappeler que la première révolution industrielle est anglaise, au milieu du XVIIIe siècle, un siècle avant
la révolution industrielle française.
Si tout le monde s’accorde donc sur le rôle déterminant qu’a été celui
d’A. Marshall quant à l’origine de l’économie industrielle, reste un autre
domaine tout aussi controversé qui est celui de sa définition.
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Dans son Dictionnaire de sciences économiques (1968), A. Cotta définit
l’industrie comme « l’ensemble des unités économiques de production
qui par l’usage de ses facteurs (capital et travail) transforme des biens
réels en produits ». Cette définition est dans le prolongement de celle de
J. B. Say, pour lequel « l’industrie est une activité humaine déployée
dans le but de produire des marchandises utiles ».
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On peut bien sûr définir l’économie industrielle comme l’approche
économique de l’industrie, reste alors à définir l’industrie. Or, pour
beaucoup d’auteurs, il faut distinguer industrie et industrie manufacturière.
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Plus récemment, L. Cabral définit l’économie industrielle comme
toute activité, au sens large, ayant un support matériel ou immatériel.
Mais le débat essentiel va porter sur l’économie industrielle en tant que
discipline autonome, sur ses rapports avec l’économie en général et la
microéconomie en particulier. Dans son approche contemporaine, on
va surtout opposer les auteurs, peu nombreux, qui considèrent l’économie industrielle comme étant du domaine de la microéconomie
(G. J. Stigler et P. Cahuc), à ceux qui la reconnaissent comme discipline indépendante.
2
Introduction
Dans La nouvelle microéconomie (2000), P. Cahuc définit l’économie
industrielle comme le champ d’application de la nouvelle économie, qui
se situe désormais dans le cadre de la concurrence imparfaite et des
asymétries d’information, avec pour conséquence la remise en cause du
modèle walrasien. De même, G. J. Stigler considère que le domaine
d’investigation de l’économie industrielle est celui de la théorie des prix
et de l’allocation des ressources, sujets traités par la théorie microéconomique.
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L’approche anglo-saxonne trouve son origine dans les travaux du MIT
de Boston. Sous l’impulsion d’économistes tels qu’E. Mason ou J.S.
Bain, dans les années 1940, on considère l’économie industrielle comme
la discipline nouvelle qui étudie le fonctionnement des marchés et le
comportement des entreprises sur ces marchés. Plus récemment, F. M.
Sherer, en 1970, dans Industrial Market Structure and Economic
Performance, étudie la manière dont les activités de production sont
mises en harmonie avec les demandes de biens et de services du marché.
J. Tirole, dans Théorie de l’organisation industrielle (1988), définit
l’économie industrielle comme l’étude de l’organisation interne des
entreprises et de leurs stratégies. Cette approche va bien au-delà de la
simple analyse de la structure des marchés, puisqu’elle permet de vérifier et d’étudier l’efficacité du marché - ce qu’ignore et ignorait la microéconomie.
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À part ces deux auteurs, la plupart considèrent l’économie industrielle
comme une discipline indépendante. Aux États-Unis, l’industrial organization remonte aux années 1940, et va être relayée en Europe par l’institut d’économie industrielle de Toulouse. Ce courant privilégie, dans
l’économie industrielle, l’étude des structures de marché et l’évaluation
de leur efficacité dans l’allocation des ressources. Un autre courant, s’appuyant davantage sur l’approche structuraliste, se développe dans les
années 1970, à partir de l’association pour le développement des études
sur la firme et l’industrie (Adefi).
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L’approche européenne des années 1970 doit beaucoup à Y. Morvan. Ce
courant va développer une approche de l’économie industrielle davantage orientée vers l’analyse de la production. Pour Y. Morvan, définir
l’économie industrielle implique d’abord d’insister sur ce qu’elle n’est
pas : en l’occurrence, ni de la microéconomie, ni de la gestion. Tout en
lui reconnaissant de grandes affinités avec ces deux disciplines, Y.
Morvan précise son champ d’analyse et son objet. L’analyse de l’activité économique sous l’angle de la production, autour de la valorisation du
capital, est son objet. Son champ d’analyse est très vaste, puisqu’on y
retrouve toutes les formes d’industries, mais aussi toutes les activités qui
Mini Manuel d’Économie industrielle
3
y concourent directement ou indirectement, comme la formation à la
compétitivité du système productif – idée reprise par M. Rainelli
quelques années plus tard dans son ouvrage consacré à l’économie
industrielle, définie comme la discipline ayant pour but l’étude du système productif et l’analyse de ses composantes. Cette approche structuraliste conduit à prendre en compte toutes les formes d’organisations
possibles.
Alors que la science économique étudie la production et la répartition de
la richesse, l’économie industrielle va privilégier l’étude des relations
d’interdépendances entre les composantes du système productif. À ce
titre, elle est aussi une théorie. La différence avec la microéconomie est
la conséquence d’un constat, celui de l’incapacité de la microéconomie
à traduire la réalité économique du monde de l’entreprise. Cette dernière, à l’évidence, ne se retrouve pas toujours dans la rationalité de l’Homo
economicus. De même, le rappel d’un intérêt personnel concourant à
l’intérêt général est battu en brèche par un comportement stratégique
d’entreprise au service de sa seule performance, expliquant pourquoi les
entreprises ne sont ni égales, ni homogènes.
À la rationalité parfaite des agents, si chère aux théoriciens de la microéconomie classique, va s’opposer la rationalité procédurale d’H. Simon,
prix Nobel d’économie en 1978. À l’atomicité de l’offre et de la demande s’opposent des scénarios de plusieurs configurations possibles. Au
coût zéro d’accès à un marché, O. E. Williamson va répondre par l’existence de coûts de transaction, etc.
Partie 3 : Une analyse stratégique propre
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Partie 2 : L’émergence de nouveaux concepts
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Partie 1 : Une approche nouvelle des marchés concurrentiels
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Structure de l’ouvrage :
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L’objet de ce mini manuel d’économie industrielle est de mieux la
connaître et de mieux la faire connaître.
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C’est pourquoi, aujourd’hui, l’économie industrielle est une discipline
indépendante reconnue en tant que telle, qui ne saurait se confondre avec
(ou prolonger) la microéconomie dans un monde de concurrence pure et
parfaite.
PARTIE
1
Une nouvelle
approche
des marchés
concurrentiels
Chapitre 1 La remise en cause du modèle de concurrence
pure .................................................................................... 7
Chapitre 2 Les oligopoles ................................................................. 23
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➤ L’atomicité se caractérise par un grand nombre d’acheteurs.
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La microéconomie s’est longtemps identifiée au modèle walrasien,
lequel reposait sur une structure de marché définie à partir de la
concurrence pure et parfaite – que l’on appellera par la suite la CPP.
Cela signifiait que la concurrence devait être pure, aucun des acteurs ne
pouvant agir unilatéralement et directement sur le prix du marché, et
parfaite, tous les acteurs disposant d’une information complète.
C’étaient les conditions requises pour que le marché fonctionne à
l’avantage des consommateurs, en leur proposant un prix le plus bas
possible, toutes choses égales par ailleurs.
Modèle théorique, le modèle de la CPP supposait que les cinq conditions suivantes soient réunies : l’atomicité du marché, la transparence,
la fluidité, l’homogénéité et la mobilité.
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Chapitre 3 Les monopoles .............................................................. 47
➤ La transparence concerne l’information dont disposent les consom-
mateurs : elle se doit d’être totale.
➤ La fluidité est la possibilité, pour une entreprise, d’entrer sur un
marché ou d’en sortir sans coût (prohibitif ).
➤ L’homogénéité est celle du produit : il s’agit d’un produit unique ou
similaire.
➤ Enfin, la mobilité est celle des facteurs de production, le travail et le
capital, qui doivent pouvoir se déplacer selon les besoins du marché.
Comme on peut l’imaginer, satisfaire aujourd’hui aux cinq conditions
en même temps est chose quasi impossible. C’est pourquoi ce modèle
n’existe pratiquement qu’en théorie : il suffit qu’une seule de ces cinq
conditions ne soit pas remplie pour que la concurrence devienne
imparfaite.
Dans la première moitié du XXe siècle, l’économiste allemand H. von
Stackelberg va proposer un tableau où vendeurs et acheteurs sont classés selon leur nombre : un acheteur, quelques acheteurs, de nombreux
acheteurs. Il distingue alors neuf structures de marché, et non une
seule.
Tableau 1 Les neufs structures de marché selon H.von Stackelberg
Offre/vendeur
Quelques
vendeurs
Grand nombre
de vendeurs
Monopole
bilatéral
Monopsone
contrarié
Monopsone
Quelques
acheteurs
Monopole
contrarié
Oligopole
bilatéral
Oligopsone
Grand nombre
d’acheteurs
Monopole
Oligopole
Concurrence
parfaite
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Comme on peut le constater, la concurrence imparfaite devient la règle,
et la CPP, l’exception. Dans la pratique, cette concurrence imparfaite
pourra se traduire par des situations très diverses, comme l’existence
de monopoles, de cartels d’oligopoles, etc. Dans l’hypothèse extrême,
la concurrence est totalement absente : une seule entreprise s’impose
au marché. Nous sommes alors en monopole.
Comme pour la concurrence pure et parfaite, le monopole peut être un
monopole purement théorique : on parlera alors de monopole pur,
même si, dans la réalité, d’autres formes de monopole existent.
L’économie industrielle va donc s’efforcer de se rapprocher de l’économie réelle, ce que n’avait pas réussi à faire la microéconomie. Pour cela,
elle va s’appuyer sur des réalités nouvelles, comme les asymétries de
l’information ou la non-homogénéité des produits.
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Un acheteur
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Un vendeur
Demande
acheteur
CHAPITRE
OBJECTIFS
1
La remise en cause
du modèle
de concurrence pure
➤ Connaître le modèle de concurrence pure.
➤ Comprendre les raisons de sa remise en cause et en tirer les conséquences.
PLAN
1.1 Des hypothèses de moins en moins réalistes
1.2 Concurrence imparfaite et concurrence monopolistique
1.3 L’apport de la concurrence monopolistique au commerce international : l’analyse de P. Krugman
1.1
DES HYPOTHÈSES DE MOINS EN MOINS RÉALISTES
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en effet que les PME et les entrepreneurs individuels constituent l’essentiel du monde de l’entreprise, ce qui n’est pas le cas dans un
marché mondialisé où cohabitent monopoles et oligopoles. De fait, le
libéralisme et la déréglementation ont eu raison de la CPP.
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➤ L’atomicité est l’une des conditions rarement atteintes. Elle suppose
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Parmi les cinq conditions nécessaires pour que l’on puisse parler de
concurrence parfaite, il suffit qu’une seule d’entre elles ne soit pas vérifiée pour que la concurrence devienne imparfaite. Comme nous allons le
voir, aucune d’entre elles n’est véritablement en phase avec la réalité
industrielle d’aujourd’hui.
Dans tous les milieux industriels – des médias à la distribution –, la
réalité de ce début de XXIe siècle est celle de la concentration et de la
fusion, afin de constituer des pôles industriels suffisamment puissants pour répondre à la mondialisation des marchés. Fusions et
concentration pourront s’arrêter au stade des oligopoles ou devenir
des monopoles de fait. Dans le cas des oligopoles, la tentation sera
grande, pour un certain nombre d’entre eux, de limiter davantage
Chapitre 1 • La remise en cause du modèle de concurrence pure
encore la concurrence en constituant des cartels, officiellement interdits, ou en pratiquant des ententes.
➤ La transparence, condition essentielle pour accéder à toutes les
informations du marché, et ce gratuitement, permet théoriquement
aux consommateurs comme aux autres producteurs de prendre en
toute connaissance la bonne décision.
Aujourd’hui, si le progrès technique a considérablement amélioré
l’accès à l’information, en réduisant plus particulièrement le temps
d’accès, on est cependant loin de la gratuité : l’information a un coût
de plus en plus important. Par ailleurs, si le consommateur est de
mieux en mieux informé, il faut noter qu’il est souvent influencé par
les campagnes publicitaires et que l’asymétrie d’information est la
règle (cf. les travaux de G. Akerlof).
➤ La fluidité des marchés est une autre condition nécessaire du modè-
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Cette fluidité est aujourd’hui principalement remise en cause par la
recherche d’économie d’échelle, qui seule permet d’atteindre la
capacité de produire dans une économie mondialisée, où la part belle
du marché est faite aux entreprises qui ont les coûts de production les
plus bas. Mais les économies d’échelle ont un coût, et des conséquences directes contraires au principe d’atomicité. Ce coût s’identifie aux besoins de capitaux, à leur mobilisation seule capable de
permettre d’atteindre la taille optimale leur permettant d’affronter la
concurrence. Toutes les entreprises ne disposent pas des moyens
financiers capables de les réaliser. Dans un marché dominé par la
petite entreprise, un petit nombre d’entre elles sera capable de mobiliser les capitaux nécessaires. Les autres devront disparaître à long
terme. Parmi les conséquences directes de cette recherche d’économie d’échelle, il y aura donc d’une part une diminution importante de
PME et, d’autre part, l’arrivée sur le marché d’entreprises de taille de
plus en plus importante.
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le de la concurrence parfaite. Elle permet à de nouveaux producteurs
de bénéficier de la profitabilité du secteur et/ou de la filière, mais
aussi à ceux existants déjà sur le marché de sortir de la filière, considérée par eux comme insuffisamment rentable, pour se reconvertir
dans d’autres activités.
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On s’éloigne ainsi à grands pas du principe d’atomicité, ce qui se
vérifie particulièrement dans la grande distribution, avec l’avènement
de véritables oligopoles dominés par des enseignes comme Auchan,
Carrefour, Casino ou Leclerc. De même, on ne saurait oublier les
obstacles d’ordre administratif, réglementaire, technique, etc., qui
sont autant d’obstacles à la fluidité.
1.2 • Concurrence imparfaite et concurrence monopolistique
9
Nouvelle
approche
Ne pas confondre fluidité et transparence des marchés. La transparence concerne
les informations, la fluidité les facteurs de production.
➤ L’homogénéité des produits n’est plus aujourd’hui qu’une hypo-
1
thèse d’école que l’on retrouve encore, par exemple, sur le marché
financier avec l’action ou l’obligation. Dans la quasi-totalité des cas,
la différenciation des produits est la règle. En effet, elle permet de
mieux affronter la concurrence directe, pour une même branche d’activité. Cette différenciation peut dépasser le produit lui-même et se
traduire dans le service après-vente, l’emballage, le conditionnement,
etc. L’homogénéité a fait donc place à l’hétérogénéité.
➤ Enfin, la mobilité des facteurs est souvent contradictoire. En ce qui
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CONCURRENCE IMPARFAITE ET CONCURRENCE
MONOPOLISTIQUE
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1.2
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En conséquence, la réalité industrielle d’aujourd’hui, c’est tout sauf
la concurrence pure et parfaite. De modèle de référence, elle est devenue modèle d’exception (voir le marché à la criée et le marché au
cadran, par exemple). L’économie industrielle en a tiré les conséquences et n’entend privilégier aucune structure de marché mais, au
contraire analyser toutes celles qui s’identifient au mieux à la réalité
de l’entreprise. Parmi ces nouvelles structures, il y a, bien sûr, celles
qui sont directement la conséquence de la remise en cause des hypothèses de la CPP : la concurrence monopolistique et la concurrence
imparfaite.
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concerne la mobilité du capital technique, elle est souvent rendue
difficile par les coûts qu’elle génère – ce qui n’empêche pas pour
autant de constater des mouvements importants de délocalisations
d’entreprises. Pour ce qui est de la mobilité du facteur travail, elle est
souvent constatée dans les pays émergents comme la Chine et l’Inde,
et, à un degré moindre, dans les pays anglo-saxons où la pratique du
contrat à durée déterminée est souvent la règle. Par contre, dans les
pays de l’UE, les contraintes sociales et le droit du travail sont
souvent des obstacles à la fluidité.
En 1933, deux auteurs, J. V. Robinson et E. H. Chamberlin, publient deux
ouvrages qui restent des références sur ce sujet. Élève d’A. Marshall, J.
V. Robinson publie The Economic of Imperfect Competition et, la même
année, E. H. Chamberlin publie The Theory of Monopolistic Competition.
Dans son ouvrage, J. V. Robinson remet en question la théorie de l’équilibre général de L. Walras, contestant les hypothèses sur laquelle elle
repose, et plus particulièrement celle de la CPP. Il propose alors une
10
Chapitre 1 • La remise en cause du modèle de concurrence pure
analyse plus réaliste des structures de marché. À la différence de L.
Walras, son analyse part du monopole et non de la CPP, non pas pour en
faire la structure référente, mais pour contester l’idée selon laquelle le
monopole n’est qu’un cas extrême, une exception de la CPP. Cette
démarche l’a conduit à faire de la concurrence imparfaite une structure de marché où les entreprises sont bien en concurrence, sans que soient
autant vérifiées toutes les hypothèses du modèle de CPP.
E. H. Chamberlin aboutit aux mêmes conclusions, mais à partir d’une
critique du modèle de CPP et de la remise en cause d’une de ses hypothèses : celle de l’homogénéité du produit. Ce qui va l’amener à définir
une nouvelle structure de marché : la concurrence monopolistique,
structure où cohabitent à la fois monopole et concurrence. L’analyse d’E.
H. Chamberlin trouvera un relais avec P. Krugman, prix Nobel 2008, qui
va proposer, dans les années 1980, un modèle du commerce international fondé sur la concurrence monopolistique.
En résumé, ces deux auteurs se complètent, la concurrence monopolistique n’étant que la conséquence d’une concurrence imparfaite. À ce
titre, la contribution d’E. H. Chamberlin est sans doute plus importante
pour l’économie industrielle que celle de J. V. Robinson, cette dernière
s’inscrivant davantage dans une contestation du modèle macroéconomique. Régime hybride entre le monopole et la concurrence pure et
parfaite, la concurrence monopolistique répond aux trois conditions
suivantes, réunies simultanément :
➤ il y a libre entrée et libre sortie des firmes dans la filière ;
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➤ chaque firme dispose de sa propre clientèle ;
➤ chaque entreprise considère les prix de ses concurrents comme une
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donnée.
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L’hypothèse centrale, celle de la différenciation du produit, remet totalement en cause l’hypothèse d’homogénéité. La différenciation d’un
produit se traduit par le fait que des firmes différentes offrent, pour
satisfaire des besoins identiques, des produits qui ne sont pas totalement
identiques, même s’ils portent souvent le même nom. Cette différenciation devient un élément du marché pouvant constituer une barrière à
l’entrée et, à ce titre, contribuer à rendre difficile la pratique concurrentielle.
Si la concurrence monopolistique est la conséquence d’une concurrence imparfaite (E. H. Chamberlin), cette dernière s’inscrit dans la logique de la contestation
du modèle de concurrence pure et parfaite (J. V. Robinson).
1.2 • Concurrence imparfaite et concurrence monopolistique
11
Nouvelle
approche
a) Les différentes formes de différenciation
1
On peut regrouper les différentes formes qu’elle peut prendre, en distinguant la différenciation spatiale, la différenciation verticale et la différenciation horizontale.
La différenciation spatiale
On doit à H. Hotelling, dès 1928, l’approche de la différenciation spatiale. Dans son modèle, il prend l’exemple de deux blanchisseries qui ne se
distinguent que par leur localisation (le long d’une rue, par exemple). Le
service proposé, ainsi que le prix qui s’y rattache, sont identiques. La
problématique à laquelle nous allons être soumis est double : la détermination de la clientèle de chacune des deux blanchisseries et la localisation optimale des offreurs (en l’occurrence, ici, les blanchisseries).
L’analyse du coût des transports des clients est nécessaire pour déterminer la clientèle de ces deux blanchisseries. H. Hotelling fait une autre
hypothèse concernant le comportement des acheteurs : celle de la minimisation du coût de transport, ce qui va permettre de déterminer une
clientèle, dans la partie de la ville où il est moins cher de se rendre. En
amont, les entreprises devront être le plus près possible l’une de l’autre
et du centre-ville (principe de différenciation minimale).
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En 1979, cinquante ans après H. Hotelling, d’autres économistes
(C. d’Aspremont, J. J. Gabszewicz et J.-F. Thisse) vont proposer un principe de différenciation maximale, les producteurs se situant près des
extrémités de cette route.
La différenciation horizontale
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La différenciation horizontale se caractérise par l’existence, sur un
même marché, de produits ayant un usage identique ou similaire, une
appellation souvent identique et une apparence différente.
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QE : Production maximisant le profit
Q* : Production minimisant les coûts
O
QE
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Q*
Q
Graphique 1-1 La différenciation horizontale
Chapitre 1 • La remise en cause du modèle de concurrence pure
Dans son analyse de la concurrence monopolistique, c’est cette approche que retient E. H. Chamberlin. Dans cette représentation, chaque
offreur est considéré comme disposant d’une partie de la demande totale. Une variation du prix de l’un des biens aura peu d’effets sur la demande des autres biens. À l’équilibre, le schéma est le suivant (voir page
suivante).
La différenciation verticale
La différenciation verticale (ou différenciation qualitative) peut se définir comme la situation où des produits présentent les mêmes structures
de caractéristiques, mais avec un nombre de caractéristiques différent.
Le produit ayant le plus grand nombre de caractéristiques sera considéré comme étant de meilleure qualité : cette différenciation est donc
subjective, et résulte souvent de l’action persuasive résultant des techniques de vente, comme la publicité.
b) Les conséquences de la différenciation
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
FA
C
NC
ES
SC
IE
DE
S
UL
T
E
En conséquence, plus l’entreprise différencie son produit, moins la
demande qui s’adresse à elle est sensible au prix. L’élasticité prix est
plus forte qu’en monopole, mais moins forte qu’en concurrence pure, et
le degré de différenciation devient un déterminant important de la
demande. Le marché n’est plus un lieu d’échange de biens strictement
homogènes, mais devient un lieu d’échange de l’ensemble des biens
différenciés. Il n’existe donc plus un prix unique sur le marché, mais un
prix différent pour chaque bien différencié.
JU
R
Quelle que soit la forme de différenciation, elle va permettre à chaque
entreprise de passer d’une demande individuelle à élasticité infinie, à une
demande à élasticité finie. De plus, la différenciation va permettre de
fidéliser une clientèle : l’élasticité finie de la demande sera le plus
souvent faible en valeur absolue. À court terme, l’entreprise pourra donc
privilégier un rapport prix-quantité tenant compte de cette demande fidélisée, ce qui aura pour conséquence de générer un super profit à court
terme, et ce, malgré une augmentation des coûts de production induite
par les coûts engendrés par la différenciation (coûts des dépenses publicitaires, par exemple).
uh
1
12
À court terme, comme en CPP, le nombre d’entreprises est donné.
Chacune d’entre elles maximise son profit sans prendre en compte les
décisions des concurrents. Du fait de la fidélisation au produit, elle se
comporte comme un monopole, avec un prix d’équilibre supérieur au
coût marginal. Comme en monopole, les quantités produites sont plus
1.2 • Concurrence imparfaite et concurrence monopolistique
13
Nouvelle
approche
faibles que celles obtenues en CPP. Pour autant, l’entreprise dispose
alors d’un véritable pouvoir de marché. La concurrence prend une autre
dimension, et ne se résume plus à la seule concurrence par les prix,
mettant en évidence le rôle de la publicité.
1
c) L’équilibre de l’entreprise en concurrence monopolistique
La concurrence monopolistique n’exige pas seulement une différenciation du produit, mais suppose implicitement des économies d’échelle
limitées. C’est à cette condition que les entreprises peuvent oublier leur
interdépendance avec les entreprises concurrentes. La courbe de demande à la branche DD est celle de la production totale pour un seul prix,
prix unique du marché. La part de marché de chaque entreprise dépend
bien sûr du nombre d’entreprises présentes et du prix pratiqué. Toute
entreprise présente peut décider d’accroître sa part de marché en proposant un prix moins élevé.
À court terme, l’équilibre de la firme est représenté par le graphique cidessous :
P
Rm
coûts D
JU
R
NC
ES
SC
IE
B
D
E
.sc
ho
la
uh
1
Rm
rvo
x.c
om
:
FA
C
UL
T
E
C
CMT
A
DE
S
PE
Cm
O
QE
Graphique 1-2 La firme à court terme
Q
14
Chapitre 1 • La remise en cause du modèle de concurrence pure
Le profit est maximisé en E (Rm = Cm), au prix PE pour des quantités
QE. PE ABC représente le profit pur de l’entreprise. C’est un prix d’équilibre, parce que pratiqué par l’ensemble des entreprises. Libre à elles de
le modifier, mais aussi de différencier le produit, afin de réduire son coût
moyen, ou de l’augmenter en justifiant cette augmentation par une
qualité supérieure du produit.
À long terme, l’existence de profits purs et la libre entrée sur le marché
vont justifier l’accroissement du nombre d’entreprises et de marques
concurrentes, ce qui entraîne une réduction de la demande à chaque
firme, D → D1 (cf. graphique 1.3).
P
Rm
coûts
CmLT
CMLT
PE
Pc
B
A
D
E
DE
S
SC
IE
NC
ES
JU
R
D1
UL
T
Q
FA
C
Qc
rvo
x.c
om
:
QE
E
Rm1
O
.sc
ho
la
Graphique 1-3 La firme à long terme
uh
1
Le partage de la production va conduire à une annulation des profits
purs, lorsque D1 est tangente en B, à la courbe de coût moyen de longs
termes. On retrouve l’une des caractéristiques de la CPP. Par contre, une
autre conséquence est celle de l’existence d’une capacité de production
inutilisée : on parle alors d’excès de capacité, représentée par QE – QC,
QC étant l’optimum concurrentiel. Cette fois, on n’est plus dans l’efficience concurrentielle pure, bien au contraire, puisque ce graphique
montre l’existence d’un coût social, dont l’annulation ne peut venir que
de la renonciation à différencier les produits. On retrouve alors la CPP.
1.3 • L’apport de la concurrence monopolistique au commerce international
15
Nouvelle
approche
Ce n’est pas l’accroissement du nombre d’entreprises qui explique l’existence de
profits purs, mais bien l’inverse.
Dans les faits, les meilleurs exemples de concurrence monopolistique se
retrouvent dans les activités, où les économies d’échelle sont faibles –
les activités de services, par exemple.
L’APPORT DE LA CONCURRENCE MONOPOLISTIQUE AU
COMMERCE INTERNATIONAL : L’ANALYSE DE P. KRUGMAN
1
1.3
Prix Nobel d’économie en 2008, P. Krugman propose, dès 1980, un
modèle original du commerce international fondé sur la concurrence
internationale. En 1977, A. Dixit et J. Stiglitz avaient déjà proposé un
modèle de concurrence monopolistique qui intègre l’effet positif de la
variété dans l’offre des produits sur le bien-être, et l’augmentation des
coûts fixes, qui en est la consistance. Dans son modèle, P. Krugman va
partir des hypothèses suivantes :
➤ les entreprises peuvent bénéficier de rendements d’échelle crois-
sants ;
➤ les produits sont différenciés ;
➤ chaque producteur détient sur un produit différencié un véritable
pouvoir de monopole ;
➤ les consommateurs aiment la variété ;
JU
R
➤ le coût du transport est un coût qu’il faut intégrer dans l’analyse de
uh
1
.sc
ho
la
SC
IE
DE
S
E
UL
T
FA
C
rvo
x.c
om
:
L’ouverture du commerce au niveau mondial va conduire les consommateurs à importer des produits en plus grand nombre. Se développe
alors un commerce intra-branche, où chaque entreprise doit faire face à
un marché de plus en plus vaste. Mais, si les consommateurs sont sensibles à la diversité de l’offre, pour autant l’élargissement des choix
conduit aussi, paradoxalement, à l’uniformisation, conduisant à une
double application. Tout d’abord, compte tenu des coûts de transport et
des rendements d’échelle, les entreprises ont un avantage compétitif sur
leur propre territoire. Ensuite, les mêmes entreprises implantées sur un
grand marché bénéficient d’économies d’échelle importantes, ce qui
renforce leur compétitivité.
NC
ES
la différentiation.
Exemple. Les grands pays, comme la Chine et l’Inde, ont tendance à se
spécialiser dans les secteurs à rendement croissant – ce qui se vérifie
plus particulièrement dans les secteurs high-tech, à fort potentiel de croissance.
Chapitre 1 • La remise en cause du modèle de concurrence pure
Dans la théorie traditionnelle de l’échange international, l’hypothèse de
base était la CPP : on en déduisait que le libre-échange était profitable à
toutes les nations qui échangeaient (cf. D. Ricardo). Dès 1989,
P. Krugman constatait que la CPP est l’exception et que, dans la majorité des cas, les marchés sont en situation de concurrence imparfaite, avec
un nombre d’entreprises réduit agissant sur le marché. Ce nouvel environnement stratégique est vérifié aujourd’hui avec l’émergence d’oligopoles industriels.
Dans un article fondateur paru dans le Journal of International
Economics, P. Krugman constatait que, si la spécialisation existe bien,
l’essentiel du commerce international a lieu entre pays de même niveau
de développement et s’adresse, le plus souvent, à des produits similaires : la France exporte des Renault en Allemagne et importe des
Volkswagen d’Allemagne. Comment expliquer ce phénomène ? Pour
cela, deux concepts vont être mis en avant : les économies d’échelle,
d’une part, et l’avènement d’un marché de concurrence monopolistique, d’autre part. L’existence d’économie d’échelle explique pourquoi plus on produit en grandes quantités, plus le coût unitaire diminue.
FA
C
UL
T
E
NC
ES
SC
IE
DE
S
P. Krugman en tirera une conclusion très importante : ce ne sont pas des
pays qui commercent entre eux, mais des groupes industriels, des firmes.
C’est donc à leur niveau qu’il faut chercher les raisons du commerce
international.
JU
R
La concurrence monopolistique se traduit par un nombre très limité de
producteurs au niveau national (deux constructeurs automobiles en
France, trois ou quatre en Allemagne, etc.). En réduisant le nombre d’entreprises sur le marché, la ou les entreprises restantes vont devoir diversifier leur offre. La concurrence prend une autre forme : ce ne sont plus
nécessairement les avantages comparatifs qui vont être déterminants,
mais l’antériorité dans la spécialisation (avantage au premier parti), la
taille du marché intérieur, les économies d’échelle, etc.
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
Dans la théorie du commerce extérieur de D. Ricardo, l’échange concerne deux
pays de développement économique différent, alors que celle de P. Krugman
privilégie l’échange entre deux pays de même niveau de développement.
uh
1
16
Dans les années 1980, P. Krugman ira encore plus loin, en justifiant les
aides qu’un État peut apporter à une grande entreprise nationale, en l’occurrence l’industrie aéronautique. Son argumentation s’appuie sur l’idée
qu’un seul constructeur d’avions sera plus efficace que plusieurs. Pour
devenir le seul, cela vaut la peine qu’un État aide son champion national. À partir de 1991, il va apporter une contribution décisive à l’économie géographique, avec la publication de Geography Trade, en 1991.
Pour lui, l’important n’est pas la frontière d’un pays, mais les zones
1.3 • L’apport de la concurrence monopolistique au commerce international
17
1
Nouvelle
approche
économiques et les déséquilibres entre zones économiques prospères et
non prospères. Et là encore, les économies d’échelle jouent un rôle
essentiel, associées à des coûts de production jusqu’alors ignorés de la
CPP, à savoir : les coûts de transport et les coûts de transaction. Les coûts
de transport sont intégrés au concept de différenciation et les coûts de
transaction font partie de l’apport de l’économie industrielle par rapport,
par exemple, à la microéconomie. Si ces coûts n’existaient pas, toutes les
entreprises finiraient par cheminer vers une même région.
Aujourd’hui, parmi les rares marchés qui vérifient globalement les
hypothèses de la concurrence pure et parfaite, deux sont le plus souvent
cités : le marché au cadran et le marché à la criée.
uh
1
.sc
ho
la
NC
ES
SC
IE
DE
S
E
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C
rvo
x.c
om
:
Le marché au cadran est un marché où la vente est la conséquence d’enchères électroniques, ce qui assure la transparence dans la
fixation des prix. Les prix sont affichés sur un cadran, permettant
ainsi de faire jouer la concurrence, en comparant le prix affiché avec
les prix pratiqués dans d’autres zones de production. Si les enchères
peuvent être progressives ou dégressives, dans la pratique, elles sont
dégressives, en partant d’un prix élevé. Cette technique est souvent
pratiquée dans la vente de la production légumière et maraîchère,
ainsi que dans la vente de bovins. Le premier marché au cadran en
France fut créé en 1961, à l’initiative d’A. Gourvenec, à Saint-Polde-Léon en Bretagne. Derrière un tableau de bord informatique, le
chef de vente, ou chef d’orchestre, affiche le prix proposé et les
acteurs regroupés autour d’une salle circulaire, face au cadran,
peuvent faire monter les enchères, ou les faire baisser. Ce système
de vente a permis d’obtenir des prix qui sont supérieurs à un marché
de gré à gré. À tout moment, le producteur est libre d’accepter ou de
refuser la vente au prix affiché. On soulignera que les productions
légumières et maraîchères sont des productions périssables. Aussi,
pour le producteur, mieux vaut un prix bas que pas de prix du tout.
Enfin, le marché au cadran peut aussi concerner d’autres productions, comme le marché des fleurs à Nice.
Le marché à la criée est un marché sur lequel s’échangent poissons
et autres produits de la mer. Un responsable de vente, qu’on appelait autrefois « crieur », propose un prix de départ, au kilo, des différents produits. Comme pour le marché au cadran, les enchères sont
descendantes et le premier acheteur qui montre un intérêt décroche
le lot. Il existe toutefois un prix de retrait pour éviter que les prix ne
JU
R
Marché au cadran, marché à la criée
Chapitre 1 • La remise en cause du modèle de concurrence pure
descendent trop bas. Mais, là encore, le caractère périssable du
produit ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre.
Bien sûr, ces deux marchés ne sauraient vérifier toutes les hypothèses de la CPP. Ce sont cependant les survivants d’une pratique
concurrentielle. On notera que, sur ces marchés, les prix sont particulièrement volatiles. En effet, si les pratiques de la consommation
sont généralement stables, il n’en est pas de même de la production,
qui est souvent soumise aux aléas climatiques, ce qui explique cette
volatilité.
POINTS CLEFS
➤ La concurrence pure et parfaite repose sur cinq hypothèses : atomici-
té, homogénéité, transparence, fluidité et mobilité des facteurs.
➤ Ces hypothèses sont de moins en moins réalistes et ont donné
naissance, dans leur contestation, aux approches proposées par
E. H. Chamberlin et J. V. Robinson.
➤ Chez E. H. Chamberlin, on propose un nouveau concept, celui de
NC
ES
JU
R
concurrence monopolistique. Chez J. V. Robinson, on parlera de
concurrence imparfaite.
DE
S
UL
T
E
ciation du produit offert sur le marché. Elle pourra être spatiale, verticale ou horizontale.
SC
IE
➤ Au cœur du débat sur la concurrence imparfaite se trouve la différen-
FA
C
➤ La concurrence monopolistique va trouver une autre application dans
rvo
x.c
om
:
le commerce international avec les travaux de P. Krugman.
.sc
ho
la
➤ Aujourd’hui, à part le marché au cadran ou le marché à la criée, les
marchés ne vérifient plus les hypothèses du modèle de CPP.
uh
1
18
Exercices
19
Nouvelle
approche
EXERCICE
1
Soit un marché concurrentiel regroupant 100 entreprises fabricant un
parapluie de voyage pliable. Ce produit commun à ces 100 entreprises
est proposé à un prix calculé par rapport au minimum de la fonction de
coût moyen à long terme, soit CM = 15. Sur ce marché, la production
des entreprises est calculée de telle sorte que le coût marginal soit égal
au coût moyen, toujours égal à 15 €. À ce coût, elles produisent des
quantités, dont l’unité est le millier de parapluies (1 = 1 000 parapluies,
2 = 2 000 parapluies, etc.). Pour chaque entreprise, la taille évolue selon
le coût marginal et le coût moyen de la façon suivante :
Tableau 1-1 Situation de marché concurrentiel du parapluie pliable
Production
2 (000)
3 (000)
4 (000)
5 (000)
6 (000)
Coût moyen
34
24
18,5
16
15
Coût marginal
4
3
4
8
15
et la demande globale du marché est égale à Q = 900 – 20 P
.sc
ho
la
13
× P p + 110,5
3
uh
1
Qp = −
Questions :
1) Préciser les conditions de fonctionnement du marché concurrentiel
avant intervention des entreprises EA et EP.
2) Peut-on considérer que ces deux entreprises modifient, par leur intervention, la nature de ce marché ?
3) Quels sont les avantages qu’elles en ont tirés ?
E
UL
T
rvo
x.c
om
:
La seconde entreprise décide d’intéresser la grande distribution à sa
production et, pour cela, finance une campagne de publicité dont le coût
annuel est estimé à 3 000 €. Là encore, le succès est au rendez-vous, et
la fonction de demande de cette entreprise devient :
DE
S
SC
IE
NC
ES
3
× Pa + 21
5
FA
C
Qa = −
JU
R
Parmi ces 100 entreprises, deux décident d’innover afin d’accroître leur
production et leur profit. La première, entreprise A, a l’idée astucieuse
d’inscrire sur l’emballage de ce parapluie rétractable « Fabrication artisanale ». Cette initiative connaît immédiatement le succès, et la fonction
de demande qui s’adresse à cette entreprise devient :
20
Chapitre 1 • La remise en cause du modèle de concurrence pure
SOLUTIONS
par E a , pour un prix Pa calculé à partir de Q a, soit :
uh
1
3
5
× Pa = −Q a + 21 soit encore : Pa = − Q a + 35
5
3
et
5
RTa = Pa × Q a = −
× Q a + 35 Q a
3
5
= − Q a2 + 35Q a
3
rvo
x.c
om
:
E
UL
T
3
× Pa + 21 avec Q a = Quantités Produites
5
.sc
ho
la
Qa = −
FA
C
3) Pour l’entreprise EA, la fonction de demande du marché créé est :
NC
ES
SC
IE
DE
S
2) En innovant dans le domaine stratégique, l’entreprise EA et l’entreprise EP modifient la nature du marché. La différenciation des produits,
en ayant recours, pour l’un, au packaging précisant la nature artisanale
de la fabrication, et pour l’autre à la publicité (EP), contribue à transformer le marché concurrentiel en marché de concurrence monopolistique.
Concurrentiel, il le reste parce que nos entreprises EA et EP sont toujours
en compagnie de 98 autres entreprises, fabricant elles aussi un parapluie.
Monopolistique, ce marché l’est pour EA et EP qui, en fidélisant leur
clientèle, disposent désormais d’un véritable pouvoir de marché, très
proche du monopole, conséquence de cette fidélisation.
JU
R
1) En équilibre concurrentiel de long terme, le prix va s’établir au minimum du coût moyen, soit dans notre exemple P = 15 €. À ce prix, c’est
aussi la valeur du coût marginal, soit 15 €, pour laquelle chaque entreprise adapte sa production. L’identité coût moyen/coût marginal précise
donc les quantités produites par ces entreprises, soit en l’occurrence
6 (000). Le couple prix (15) Q(6) permet de connaître les quantités
produites sur le marché, soit encore 100 × 6 = 600 (000). À partir de la
fonction de demande, on peut également calculer, compte tenu de ce
prix, l’ensemble de la demande. Soit Q = 900 – 20(15) = 600. Comme
on peut le constater, c’est une situation d’équilibre et d’efficience : équilibre entre l’offre et la demande, efficience parce que le prix est égal au
coût marginal, lui-même égal au minimum du coût moyen. Enfin, le fait
que toutes les entreprises aient le même coût marginal permet de conclure à l’impossibilité de produire 6 000 à un coût global plus faible que
celui induit par le marché concurrentiel. Le projet est maximisé, toutes
choses égales par ailleurs.
Solutions
21
Nouvelle
approche
et
d RTa
10
=−
Q a + 35
d Qa
3
Rm a =
Comme la production est toujours supposée s’adapter à un coût marginal de Cm = 15 €, nous aurons :
1
Rm a = Cm a = 15
Soit encore :
10
× Q a = 20 et Q a = 6
3
Pour un prix de
5
× Q a + 36 = 35 − 10 = 25
3
En conclusion, pour une même production, elle est toujours de 6 et il n’y
a pas d’investissement supplémentaire : E a a pu augmenter son prix, le
faisant passer de 15 à 25 €, en différenciant son produit et en le faisant
accepter comme artisanal, ce qui lui permet d’accroître son profit.
Pa = −
Pour l’entreprise B, le recours à la publicité a également permis de modifier la courbe de demande, soit désormais :
Qp = −
13
× Pp + 110,5
3
SC
IE
3
3
× Q p + (110,5)
13
13
DE
S
Pp = −
NC
ES
JU
R
soit
On aura
Rm p = −
6
3
× Qp +
110,5 et Rm = Cm = 15
13
13
UL
T
FA
C
rvo
x.c
om
:
.sc
ho
la
uh
1
3
3
× Qp +
110,5 × Q p
RTp = Q p × Pp = −
13
13
3 =
−Q 2p + 110,5Q p
13
comme
d RTp
Rm p =
Qp
E
et
22
Chapitre 1 • La remise en cause du modèle de concurrence pure
soit encore 6Q p = 331,5 − 195
et
et
136,5
= 22,75
6
3
3
× 22,75 +
110,5 = −5,25 + 25,5 = 20,25
P =−
13
13
Qp =
uh
1
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
FA
C
UL
T
E
DE
S
SC
IE
NC
ES
JU
R
En conclusion, le recours à la publicité a permis à l’entreprise d’augmenter et sa production, et le prix de vente de son produit. La production, qui était de 6 avant l’innovation publicitaire, atteint désormais
22,75. Elle était de 6, elle est donc multipliée par 3,5, ce qui doit lui
permettre de répondre à la demande de la grande distribution. Le prix
évolue lui aussi de façon spectaculaire, passant de 15 € à 20,25 €. Et ce,
pour un investissement publicitaire de 3 000 €. Comme nous raisonnons
par tranche de 1 000, la production atteint désormais 22 750 parapluies,
soit pour chacun d’entre eux une contribution individuelle de
30 000/22,750 = 1,311 € par parapluie. La différenciation a donc eu un
effet positif.
CHAPITRE
OBJECTIFS
Les oligopoles
➤ Appréhender l’originalité de la structure oligopolistique et sa diversité.
➤ Analyser les mécanismes de fusion et de concentration qui y sont asso-
ciés.
2.1 Les duopoles
2.2 La place des oligopoles dans l’économie industrielle
2.3 Une stratégies duales : fusions et ententes
SC
IE
DE
S
E
UL
T
FA
C
rvo
x.c
om
:
En situation de concurrence imparfaite, ou de concurrence pure, le
nombre d’entreprises est suffisamment important pour que l’on ne s’inquiète pas des conséquences des décisions prises sur les entreprises rivales ou concurrentes. Tel n’est pas le cas d’un marché oligopolistique,
regroupant quelques entreprises.
NC
ES
JU
R
PLAN
2
uh
1
.sc
ho
la
Exemple : l’automobile est le secteur oligopolistique par excellence,
duopolistique en France si l’on ne prend en compte que les groupes automobiles français. On considérera alors que l’industrie automobile est un
duopole en France, confronté à un oligopole européen et à un oligopole
mondial. Compte tenu du faible nombre de participants, chacune des deux
entreprises, en duopole ou en oligopole, doit nécessairement prendre en
compte les décisions que prendra l’autre, ou que prendront les autres. On
dira que la décision de l’une dépend de ses conjectures sur les réactions
des autres à cette décision, ce qui conduit à parler d’interdépendance
conjecturale.
24
Chapitre 2 • Les oligopoles
L’étude des oligopoles remonte au XIXe siècle, à partir d’un cas particulier et réducteur d’un marché avec deux entreprises. On parle alors de
duopole. Précisons que si les duopoles sont bien des oligopoles, tous les
oligopoles ne sont pas des duopoles.
Dans le cadre du duopole, deux auteurs français ont apporté, au XIXe
siècle, une contribution faisant référence. Ils ont donné leur nom à deux
analyses originales : celle d’A.-A. Cournot et celle de J. Bertrand. Au
XXe siècle, un auteur allemand, H. von Stackelberg, va venir enrichir et
compléter leurs analyses ; tandis que deux auteurs américains, P. M.
Sweezy et G. J. Stigler, vont s’affronter sur le fait de savoir si, en structure oligopolistique, il y a, ou non, concurrence par les prix.
Le faible nombre de participants et la taille des groupes industriels
concernés vont conduire, tout naturellement, s’interroger sur les risques
d’entente ou de collusion propres à cette structure.
2.1
LES DUOPOLES
NC
ES
JU
R
Structure de marché réduite à deux entreprises, le duopole est
une structure théorique où l’analyse simplifiée permet de proposer
des conclusions qui pourront être généralisées à un marché,
toujours oligopolistique, mais plus large. L’analyse théorique
revient à distinguer celles qui aboutissent à une situation d’équilibre (A.-A. Cournot et J. Bertrand), de celles du déséquilibre
(H. von Stackelberg).
SC
IE
a) Les duopoles en situation d’équilibre
DE
S
Le duopole de Cournot
rvo
x.c
om
:
FA
C
UL
T
E
Très en avance sur les théories de son époque, A.-A. Cournot va s’efforcer de formaliser le comportement des entreprises sur un marché. Pour
cela, il va faire deux hypothèses simplificatrices, à savoir :
.sc
ho
la
➤ le marché est celui d’un bien homogène à coût nul de production ;
uh
1
➤ la variable stratégique est le volume de production, et non le prix.
Pour donner une meilleure crédibilité à sa démarche, il prend l’exemple
de deux entreprises exploitant deux sources minérales, côte à côte,
alimentées par des puits artésiens auxquels les consommateurs viennent
s’approvisionner. Sous réserve de ces hypothèses, on peut alors formaliser l’analyse.
2.1 • Les duopoles
25
Nouvelle
approche
Soient deux entreprises (I et II) ; la demande qui s’adresse à ce marché
est linéaire = P = a − bQ avec Q = Q 1 + Q 2 , où Q 1 est la production de l’entreprise (I) et Q2 la production de l’entreprise (II).
En l’absence de coûts de production, le profit réalisé est égal à la recette totale, soit :
1
= P × Q = π1 + π2 ou
π1 = profit réalisé par (I)
π2 = profit réalisé par (II)
Soit pour π1 = (a − b(Q 1 + Q 2 )) × Q 1
et pour π2 = (a − b(Q 1 + Q 2 )) × Q 2
En développant ces deux équations, on obtient :
1 = a − Q 1 − bQ 22 − bQ 2 Q 1
2 = a − Q 2 − bQ 22 − bQ 2 Q 1
Chez A.-A. Cournot, ce que produit l’autre entreprise est une donnée
pour celle qui cherche à maximiser son profit, nous aurons donc dans le
cas de la maximisation du profit de (I).
1 maximum, si :
dπ1
=0
d Q1
JU
R
Soit encore :
NC
ES
a − 2bQ 1 − bQ 2 = 0
SC
IE
et pour (II) :
E
UL
T
a
Q2
−
(1)
2b
2
a
Q1
−
Q2 =
(2)
b
2
FA
C
et :
DE
S
a − 2bQ 2 − bQ 1 = 0
uh
1
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
Q1 =
(1) est la fonction de réaction de l’entreprise I compte tenu de la production de l’entreprise II.
(2) est la fonction de réaction de l’entreprise II compte tenu de la production de l’entreprise I.
Le marché est en équilibre lorsque les quantités offertes permettent de
résoudre de façon simultanée les équations (1) et (2), soit pour (1) :
26
Chapitre 2 • Les oligopoles
a
Q2
a
Q1 =
−
=
−
2b
2
2b
et pour (2) :
Q2 =
a
Q2
−
2b
2
2
=
a
3b
a
3b
soit :
Q1 = Q2 =
a
3b
Les conclusions de cette modélisation sont les suivantes :
Le profit de (I) dépend des quantités Q1 et Q2 produites par (I) et (II), et
réciproquement, pour le profit de (II).
L’interdépendance entre (I) et (II) est ainsi mise en évidence.
Les quantités de (I) et de (II) qui maximisent leur profit sont égales.
À l’équilibre, la demande n’est pas totalement satisfaite, ce qui ne peut
que contribuer à faire monter les prix.
uh
1
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
FA
C
NC
ES
SC
IE
DE
S
UL
T
E
Bien que reposant sur des hypothèses restrictives, l’analyse d’A.-A.
Cournot est particulièrement novatrice. C’est l’une des premières, voire
la première tentative de formalisation mathématique des comportements
de l’entreprise. Elle est, par voie de généralisation, une contribution référente et directe à l’étude de l’oligopole. Elle annonce aussi la théorie des
jeux (cf. encadré suivant). Enfin, ce n’est pas en introduisant les coûts de
production dans le modèle que l’on va modifier, ou annuler, la conclusion essentielle à laquelle on aboutit, à savoir l’interdépendance des
entreprises. L’hypothèse de coûts de production nuls a permis de simplifier la démonstration, mais n’est pas à l’origine des conclusions auxquelles elle aboutit.
JU
R
Le duopole de Cournot est un duopole symétrique à double satellitisme.
Pour I, la quantité Q2 est une donnée, de même pour II la quantité Q1.
Les fonctions de réaction (1) et (2) sont symétriques et le comportement
des entreprises est identique. Par la suite, on dira que le duopole de
Cournot est symétrique, à double satellitisme.
Parmi les critiques essentielles faites à cette analyse, la première porte
sur la variable explicative retenue, la quantité produite, et non le prix. Un
autre économiste français, J. Bertrand, va faire l’hypothèse inverse,
privilégier la variable prix et ignorer la variable quantité. La seconde
critique concerne le caractère statique de la démarche qui suppose l’instantanéité des ajustements.
27
Nouvelle
approche
2.1 • Les duopoles
Équilibre de Nash, équilibre de Cournot
1
Beaucoup d’auteurs considèrent qu’A.-A. Cournot est le premier à
formaliser, dans le cadre d’un oligopole, ce que l’on appellera, par
la suite, l’équilibre de Nash. Celui-ci part du principe que l’existence d’un équilibre n’implique pas nécessairement que celui-ci soit
nécessairement optimal. Ce qui suppose que l’équilibre n’est pas
unique. J. Nash, prix Nobel d’économie en 1994, va démontrer que
toute situation ayant un nombre fini de joueurs (ou d’entreprises) et
un nombre fini de stratégies connaît au moins une situation d’équilibre. Dans le cas d’un jeu à somme nulle, ce que gagne l’un est
nécessairement perdu par l’autre. Dans un film consacré à sa
biographie, Un homme d’exception, l’approche de l’équilibre résulte d’une stratégie de séduction où quatre condisciples de J. Nash
souhaitent séduire l’une des cinq filles présentes. S’ils poursuivent
tous les quatre leur intérêt personnel, leur choix va se porter sur la
plus belle. Pareille attitude va nécessairement conduire les trois
autres à se reporter sur les quatre restantes, et ainsi de suite... Mais
personne n’aime être ou bénéficier d’un second choix. Cette stratégie est donc vouée à l’échec. La meilleure stratégie serait donc de
s’entendre pour séduire, chacun, l’une des quatre autres filles
restantes, évitant ainsi de se faire concurrence. La théorie des jeux
va permettre à J. Nash de préciser la stratégie.
UL
T
E
DE
S
SC
IE
NC
ES
JU
R
Pour deux joueurs, il n’y a d’équilibre de Nash que si la stratégie de
chacun maximise son profit, compte tenu de la stratégie de l’autre.
Dans sa présentation matricielle, cela revient à établir la matrice des
gains envisageables pour deux entreprises (I et II), auxquelles on
propose deux stratégies (A et B).
rvo
x.c
om
:
FA
C
Tableau 2-1 Équilibre de Nash,équilibre de Cournot
I
Stratégie B
uh
1
Stratégie A
.sc
ho
la
II
Stratégie A
260
260
260
200
Stratégie B
200
320
300
300
Si (I) adopte la stratégie A, (II) choisira également la stratégie A, car
le profit obtenu avec (A) : 260, est supérieur à celui qu’elle obtiendrait avec B : 200. De même, (II) choisira A (260) si (II) retient (A),
car la stratégie A (260) est supérieure à la stratégie B (200), si elle
28
Chapitre 2 • Les oligopoles
choisissait (B). Le couple stratégique A/A conduit à un équilibre de
Nash, car il est compatible avec (I) et (II), compte tenu du choix fait
par l’autre.
Comme on peut le constater, l’équilibre de Cournot a les mêmes
caractéristiques que celui de Nash. Les quantités qui maximisent le
profit ne sont pas celles qui couvrent l’intégralité de la demande,
mais celles qui maximisent le profit de l’une et l’autre, à partir de la
production de l’autre.
L’équilibre de Nash s’applique à la formalisation de l’équilibre de Cournot, et non
l’inverse.
Le duopole de Bertrand
.sc
ho
la
Hypothèse : deux entreprises (A) et (B)
rvo
x.c
om
:
FA
C
NC
ES
SC
IE
DE
S
UL
T
E
Que se passe-t-il alors si les entreprises choisissent de faire jouer la
concurrence par les prix, sachant qu’elles sont capables de satisfaire la
demande qui répond au prix fixé ? C’est à cette question que va répondre J. Bertrand, partant d’un autre principe qui est que le consommateur
retient toujours le producteur qui pratique le prix le plus bas. Dans sa
réponse, les entreprises choisissent le prix et les consommateurs réagissent par rapport au prix proposé. De même, les entreprises sont supposées agir de façon symétrique et la décision sur les prix est prise, par
elles, de façon simultanée.
JU
R
Comme A.-A. Cournot, J. Bertrand est français, économiste et mathématicien, et s’est intéressé au duopole. Cependant, la variable stratégique retenue diffère, puisque le prix est cette fois la variable privilégiée,
même si la demande est la même. En effet, dans le duopole de Bertrand,
chacune des deux entreprises fixe son prix en considérant le prix de l’autre comme une donnée. On retrouve alors des fonctions de réactions à
partir des prix. Elles se déduisent des courbes d’iso-profit, définies
comme le lien des combinaisons de prix, de deux entreprises qui réalisent le même profit.
uh
1
Question : Si A propose un prix PA supérieur à un prix PB de B, que se
passe-t-il ?
Cela va continuer ainsi jusqu’au moment ou le dernier prix proposé est
égal au minimum de la fonction de Cm, soit PE, qui est aussi un prix
d’équilibre. Ce prix est nécessairement un prix d’équilibre commun aux
deux entreprises. Si ce n’était pas le cas, comme les produits sont homogènes, l’entreprise ayant le prix le plus bas prendrait toute la demande.
Nous ne serions plus alors en duopole, mais en monopole.
29
B baisse son prix avec P'B < P'A.
Réaction de A avec
P'(A) < PB.
Même constat que
précédemment,
mais cette fois
aux dépens de B.
1
Toute la demande va à B et le
profit de A est nul. Aucun
intérêt pour A de fixer PA.
Nouvelle
approche
2.1 • Les duopoles
Figure 2-1 Le duopole de Bertrand
JU
R
Contrairement au duopole de Cournot, le duopole de Bertrand aboutit à
une solution concurrentielle. Le prix d’équilibre auquel on parvient est
celui de la CPP, bien qu’il n’y ait pas atomicité du marché. Cette tarification au coût marginal entraîne donc la disparition du profit. Un des
paradoxes de la démarche est qu’il suffirait que deux entreprises se
livrent à une concurrence par les prix pour que l’on retrouve le schéma
de concurrence pure. La résolution de ce paradoxe passe par la modification de la qualité des produits et la prise en compte de la capacité de
production. La modification de la qualité des produits proposés va se
traduire par la présence de produits différenciés, se substituant aux
produits homogènes.
DE
S
SC
IE
NC
ES
b) Un duopole de déséquilibre :
le duopole de Stackelberg
uh
1
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
Avec l’économiste allemand H. von Stackelberg, l’analyse du duopole
s’enrichit et répond à certaines critiques faites aux duopoles de Cournot
et de Bertrand. Les hypothèses ne sont plus les mêmes, même s’il s’agit
toujours d’un marché à deux entreprises. Tout d’abord, l’auteur suppose
que ces deux entreprises ne sont pas symétriques, n’étant pas de même
taille et n’ayant pas la même capacité d’intervention sur le marché.
L’une sera considérée comme l’entreprise leader, l’autre étant l’entreprise satellite. L’analyse, ensuite, n’est pas statique, mais se place dans une
logique évolutive, dynamique. Rien n’est figé comme chez Cournot ou
Bertrand. Enfin, les stratégies privilégiées sont conjecturales et non
conjoncturelles, on ne se limite plus à constater l’interdépendance des
deux entreprises. Avec H. von Stackelberg, chacune des deux entreprises
FA
C
UL
T
E
Présentation du modèle
30
Chapitre 2 • Les oligopoles
anticipe la réaction de l’autre à sa propre décision. Les hypothèses de
départ ne sont pas les mêmes.
L’entreprise A et l’entreprise B ne sont pas de même puissance, c’est
pourquoi le duopole de Stackelberg sera dit « duopole asymétrique ».
Mais (A) et (B) vont, toutes deux, anticiper les réactions que leurs propres décisions auront sur les choix de l’autre. L’entreprise leader est celle
qui cherche à maximiser son profit en supposant que l’autre se comporte en satellite. À l’inverse, l’entreprise satellite suppose que l’autre est
leader avec une production considérée comme une donnée. L’entreprise
satellite ne connaît alors que sa fonction de réaction, et son comportement est celui décrit dans le duopole de Cournot.
Les stratégies conjecturales (Stackelberg) diffèrent des stratégies conjecturelles
(Cournot, Bertrand) et ne répondent pas aux mêmes hypothèses.
Les conséquences stratégiques
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
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DE
S
Dans le schéma (1), l’entreprise A est leader et l’entreprise B est satellite ; dans le schéma (2), B est leader et A est satellite. Dans ces schémas,
les leaders et les satellites ont bien été identifiés. La firme leader, si elle
veut maximiser son profit, devra tenir compte du comportement de la
firme satellite, et pour cela devra intégrer la fonction de réaction de l’entreprise satellite à sa propre fonction de profit. La firme satellite aura
alors un comportement « à la Cournot ». Dans les deux cas, et à ces
conditions, les schémas (1) et (2) sont des schémas d’équilibre.
JU
R
L’analyse de Stackelberg repose sur une hypothèse forte, celle de la
capacité d’anticipation de l’entreprise aux réactions de l’entreprise
concurrente. Cela suppose également que l’on puisse parfaitement
identifier l’entreprise leader et l’entreprise satellite. Dans la réalité, ce
n’est pas si simple. Si nous prenons, par exemple, le duopole
Renault/Peugeot, qui est leader ? Qui est satellite ? Aussi, le duopole de
Stackelberg revient à distinguer quatre situations possibles. Deux sont
des situations d’équilibres, et les deux autres des situations de déséquilibre.
uh
1
Dans les deux autres schémas, il y a erreur d’anticipation : les deux
entreprises pensent être leaders (schéma 3), ou pensent être satellites
(schéma 4). Il y a erreur car, dans le duopole de Stackelberg, il y a nécessairement un leader et un satellite. Cette erreur aura une conséquence
indiscutable, celle d’aboutir à une situation de déséquilibre, de nature
différente selon le schéma retenu.
Dans le schéma (3), si (A) et (B) pensent être leader, selon l’hypothèse
connue sous le nom d’hypothèse de Bowley, cette situation, aboutit
2.2 • La place des oligopoles dans l’économie industrielle
31
1
Nouvelle
approche
nécessairement à une surproduction. Cela entraînera, à terme, une baisse des prix et des profits réalisés par (A) et par (B). Selon A. L. Bowley,
trois hypothèses sont alors possibles. La première est celle où l’une des
deux entreprises capitule et devient l’entreprise satellite. On se retrouve
alors dans les schémas (1) et (2). La seconde hypothèse est que (A) et
(B) se retrouvent en double satellisation. Dans ce cas, on sera en situation de Cournot. Dernière hypothèse, celle d’une entente entre (A) et (B)
pour se partager le marché, on parlera alors de maximisation des profits
joints (cf. E. H. Chamberlin).
Dans le schéma (4), l’absence d’entreprise leader identifiée par le
marché revient à une situation de sous-production par rapport à la
demande. Les prix vont augmenter, ainsi que les profits.
L’analyse de Stackelberg prend en compte l’asymétrie de l’information.
On est très loin du modèle de transparence pure de la CPP. Comme pour
A.-A. Cournot et pour J. Bertrand, l’utilisation de la théorie des jeux va
permettre d’en préciser les conclusions et d’élargir le champ d’analyse.
Dans une certaine mesure, elle est un passage obligé entre la microéconomie et l’économie industrielle.
2.2 LA PLACE DES OLIGOPOLES DANS L’ÉCONOMIE
INDUSTRIELLE
.sc
ho
la
NC
ES
SC
IE
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S
E
UL
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x.c
om
:
En économie industrielle, la théorie des prix et leur détermination jouent
un rôle essentiel. L’enseignement de la microéconomie est principalement identifié aux structures de marché sur cette question. En concurrence, les prix baissent ; en monopole, les prix augmentent. Que se
passe-t-il alors en oligopole ? Dans une économie de marché, on sait
l’importance de la demande dans la détermination du prix d’un bien ou
d’un service. Aussi, dès 1939, P. M. Sweezy, en remettant en cause le
caractère linéaire de la courbe de demande, posait les bases de la théorie
moderne de l’oligo-pole.
JU
R
a) L’oligopole différencié de Sweezy
uh
1
P. M. Sweezy va rejeter l’hypothèse de l’homogénéité du produit et l’hypothèse de la parfaite information du consommateur, ce qui va lui
permettre de conclure que l’unicité du prix n’est plus nécessairement la
règle. À partir d’un constat, une production Q0 pour un prix P0, il s’interroge sur les conséquences éventuelles d’une modification de P0 sur
Q0. L’interdépendance conjecturale et les anticipations asymétriques
selon que la décision concerne une hausse, ou une baisse des prix, caractérisent l’oligopole de Sweezy.
32
Chapitre 2 • Les oligopoles
La thèse retenue est celle de la dissymétrie des comportements à la hausse et à la baisse du prix d’une entreprise. Et cette dissymétrie de comportement explique le caractère non linéaire de la fonction de demande. De
linéaire, la droite de demande devient coudée.
P
P0
O
Q
Q0
NC
ES
SC
IE
DE
S
L’asymétrie des anticipations est au cœur de l’analyse de P. M. Sweezy.
Et ces anticipations sont celles liées à une hausse, ou à une baisse des
prix. On distinguera donc les conséquences d’une augmentation des
prix, de celles consécutives à une baisse des prix.
JU
R
Graphique 2-1 Droite de demande coudée
uh
1
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
FA
C
UL
T
E
S’il y a augmentation de prix, c’est à dire si une des entreprises décide
d’augmenter ses prix, il y aura une diminution de la demande, certains
renonçant définitivement à acheter le produit, d’autres reportant leur
demande sur celui offert par les autres entreprises présentes sur le
marché oligopolistique. Ces dernières bénéficieront d’une augmentation
de leurs ventes et il est donc peu probable qu’elles décident de répondre
à la hausse par la hausse, bénéficiant sans rien faire d’une augmentation
de leur part de marché. On en conclura donc que, dans le cas général, les
entreprises ne suivent pas, à la hausse.
Différente sera la situation des entreprises confrontées à la baisse du prix
de l’une d’entre elles. Si elles veulent conserver leur part de marché,
elles devront, toutes choses égales par ailleurs, suivre à la baisse. Aussi,
l’entreprise qui prendra la responsabilité de baisser ses prix ne verra pas
2.2 • La place des oligopoles dans l’économie industrielle
33
Nouvelle
approche
sa demande augmenter, ou alors que faiblement. Elle n’aura donc pas
intérêt à le faire.
1
Certes, que cela soit l’hypothèse de la hausse des prix ou celle de leur
baisse, l’intensité des mouvements dépendra aussi du degré de différenciation du produit, mais la conclusion générale sera que la dissymétrie
des comportements en réaction à une hausse ou à une baisse des prix,
explique pourquoi la fonction de demande n’est plus linéaire et pourquoi
la stabilité des prix, c’est à dire le refus de faire concurrence par les prix,
est la conclusion de la démarche de P. M. Sweezy.
Si la fonction de demande est coudée, la recette marginale est discontinue. En conséquence, l’oligopoleur ne peut se trouver, de façon durable,
que dans une situation où son coût marginal ne coupe pas sa recette
marginale. L’entreprise ne peut donc ni maximiser son profit, ni espérer
l’augmenter en élevant ou en baissant son prix.
P
JU
R
P0
Q0
Q
Rm
–
Graphique 2-2 La discontinuité de la recette marginale
uh
1
O
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ho
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om
:
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C
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DE
S
SC
IE
NC
ES
Rm +
34
Chapitre 2 • Les oligopoles
En conclusion, si l’on suit la démonstration de P. M. Sweezy, l’oligopoleur n’aurait pas comme objectif le profit, et sa stratégie concurrentielle
ne serait pas celle des prix. Lorsqu’on prend un secteur oligopolistique
comme celui particulièrement représentatif de l’automobile, on constate
que l’objectif recherché par les groupes n’est pas la maximisation du
profit, mais bien davantage la recherche de parts de marché de plus en
plus importantes ou, à défaut, le maintien de leur part de marché. De
même, la concurrence par les prix n’est pas la règle dans ce secteur où,
par exemple, les modèles de base, chez Renault ou Peugeot, sont proposés à des prix souvent identiques. En revanche, la concurrence existe
bien, mais elle repose sur d’autres critères : différenciation du produit,
options proposées, service après-vente, garanties, etc. La réalité industrielle donne donc raison en 2011 à P. M. Sweezy.
Dans la théorie de P. M. Sweezy, les comportements des entreprises ne sont pas
symétriques en cas de hausse ou de baisse des prix.
b) La contestation de G. J. Stigler
FA
C
UL
T
E
NC
ES
DE
S
tion des goûts et des habitudes font que la demande devient plus sensible aux prix, conduisant le chef d’entreprise à ne pas les modifier.
SC
IE
➤ À long terme, l’apparition de produits de substitution et la modifica-
JU
R
Dès 1947, l’économiste américain G. J. Stigler, prix Nobel en 1982,
propose une critique générale de la théorie de la courbe de demande
coudée. Le point fort de sa critique est de proposer une analyse de la
stabilité des prix qui exclut la modification du caractère linéaire de la
droite de demande. Après avoir rappelé que la théorie traditionnelle n’impose pas une modification des prix chaque fois que la demande varie et
que les coûts de production changent, il privilégie, pour justifier cette
affirmation, trois arguments :
rvo
x.c
om
:
➤ La collusion implicite des entreprises laisse penser que, dans un
certain nombre de cas, le prix ne sera pas modifié.
.sc
ho
la
➤ Enfin, lorsque le marché du produit est restreint, cela peut entraîner
uh
1
des coûts significatifs, dans le domaine de la publicité par exemple, en
cas de changement de prix.
Notons que G. J. Stigler aboutit à une conclusion générale identique à
celle de P. M. Sweezy, à savoir la stabilité des prix - ce qui vient conforter la démarche de ce dernier quant aux conclusions auxquelles il aboutit. Il n’y a, à ce niveau de la contestation, rien qui permette de remettre
en cause le caractère non linéaire de la fonction de demande, bien au
contraire.
2.2 • La place des oligopoles dans l’économie industrielle
35
Nouvelle
approche
G. J. Stigler soumet ensuite sa triple argumentation à la vérification
expérimentale. Pour cela, il analyse les données portant sur une vingtaine d’oligopoles de taille significative, mais se rapportant à des secteurs
d’activité différents ; et ce, sur la période 1929-1937. Les conclusions
auxquelles il parvient sont les suivantes :
➤ L’étude de l’évolution des prix réels ne conduit pas à une tendance
1
préférentielle d’imitation à la baisse. Au contraire, l’imitation à la
hausse semble avoir la préférence.
➤ Les situations de collusion ne révèlent aucun accroissement de la
flexibilité des prix.
➤ Les oligopoles où existent des entreprises barométriques (c’est-à-dire
inspirant l’adhésion des autres à leurs propres décisions, car elles
sont perçues comme les entreprises référentes du marché) sont moins
flexibles que les autres.
La théorie de la droite de demande coudée ne serait donc, selon lui,
qu’une simple conviction que les faits viennent démentir. Rien d’étonnant, précise-t-il puisque l’existence du coude aurait pour conséquence
première la disparition de la maximisation du profit, et trouverait son
origine dans le comportement des oligopoleurs eux-mêmes.
uh
1
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ho
la
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ES
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:
Entre-temps, Le nouvel État industriel de J. K. Galbraith est venu apporter un éclairage nouveau sur la société industrielle d’après-guerre. Cette
société industrielle, dominée et représentée par la grande entreprise, va
se retrouver et s’identifier à une technostructure qui a pris le pouvoir. Par
ailleurs, le divorce entre la détention du pouvoir juridique (par les actionnaires) et l’exercice réel du pouvoir (par les managers) vient modifier les
conditions de fonctionnement du marché. Désormais, les prix vont être
fixés non pas pour maximiser le profit, mais pour minimiser les incertitudes du marché (risque de grève, par exemple). En outre, les apporteurs
de capitaux, qui hier décidaient de maximiser le profit, ne sont plus les
managers. Pour ces derniers, la part de marché est la variable objectif. Il
faut au mieux l’augmenter, au pire la maintenir. La guerre des prix ne va
plus être alors à l’ordre du jour des priorités. Le nouvel État industriel
annonce la mainmise des oligopoles sur le système industriel de la fin du
XXe siècle. La mondialisation des marchés, qui ne cesse de s’accélérer
depuis le début du XXIe siècle, n’a rien changé – bien au contraire.
JU
R
Lorsque G. J. Stigler fait cette constatation, nous sommes avant la
Seconde Guerre mondiale et dans l’environnement de la crise de 1929.
Depuis, les événements ont beaucoup fait évoluer la théorie et les faits
donnent raison à P. M. Sweezy et non à G. J. Stigler.
36
Chapitre 2 • Les oligopoles
Un oligopole type : le secteur automobile
Aujourd’hui, le secteur automobile est, sans aucun doute, celui qui
illustre le mieux le marché oligopolistique. Non seulement ce
marché se partage, au niveau national, entre quelques constructeurs,
mais il donne également lieu à des alliances et à des prises de
participations entre constructeurs, qui sont caractéristiques de l’oligopole.
En Europe, au 30 septembre 2011, dix constructeurs se partagent le
marché avec, pour la plupart d’entre eux, plusieurs marques.
Volkswagen AG Aston Martin
• Lagonda
• Volkswagen
• Audi
• Seat
• Skoda
• Bentley Motors
• Porsche
• Lamborghini
EUROPE
RENAULT
• Renault
• Dacia
• Samsung Motors
VOLVO
SAAB
FORD
JU
R
PSA Peugeot
• Citroën
UL
T
E
Source : La Tribune, 30 septembre 2010.
DE
S
SC
IE
BMW
• BMW
• Mini
• Rolls-Royce
NC
ES
OPEL
DAIMLER
• Mercedes
• Smart
• May Bach
FIAT
• Alpha Roméo
• Lancia
• Abarth
• Ferrari
• Maserati
rvo
x.c
om
:
FA
C
Figure 2-2 Le secteur automobile en Europe
uh
1
.sc
ho
la
Ces groupes sont très hétérogènes. Ford est la filiale européenne de
Ford Motor Company USA, Opel est la filiale de GM USA, Volvo
est détenu par Geely (constructeur chinois) et Saab par Spyker
(constructeur néerlandais). De plus, si l’on prend en compte les
participations des uns chez les autres, le schéma devient plus
complexe et moins transparent.
On n’aurait garde d’oublier les accords passés entre constructeurs,
dont PSA s’est fait le champion avec Fiat, BMW, Mitsubishi et
Ford.
37
Nouvelle
approche
2.3 • Une stratégie duale : fusions et ententes
19,00 % de Suzuki
FIAT
RENAULT
49,90 % de Porsche
20,00 % de Chrysler
44,30 % de Nissan (Nissan détient 15,00 %
de Renault)
25,00 % de AvtoVAZ
80,00 % de Samsung Motors
99,00 % de Dacia
31,00 % de Daimler (Daimler détient 3,10 %
de Renault)
1
V.W.
Figure 2-3 Trois groupes automobiles européens
Au Japon, on trouve huit constructeurs nationaux :
MAZDA
ISUZU
MITSUBISHI
NISSAN
HONDA
• Honda
• Acura
JAPON
TOYOTA
• Toyota
• Lexus
• Scion
JU
R
SUBARU (détenu à 15 %
par Toyota)
NC
ES
Figure 2-4 Le secteur automobile au Japon
ÉTATS-UNIS
CHRYSLER (20 % Fiat)
• Chrysler
• Dodge
• Jeep
SCION
Figure 2-5 Le secteur automobile au États-Unis
DE
S
E
UL
T
FA
C
rvo
x.c
om
:
.sc
ho
la
uh
1
FORD
• Ford
• Lincoln
• Mercury
GENERAL
MOTORS
• Chevrolet
• Buick
• Cadillac
• GMC
• Opel
• Vauxhall
• G.M. Daewoo
• Holden
SC
IE
Aux États-Unis, le nombre des constructeurs s’est considérablement réduit au cours de la dernière décennie, puisqu’on ne compte
plus que quatre constructeurs, dont Scion, une marque de Toyota.
38
Chapitre 2 • Les oligopoles
2.3 UNE STRATÉGIE DUALE : FUSIONS ET ENTENTES
a) Les fusion-acquisitions
La concentration fait partie de la vie des entreprises. Celles-ci peuvent
croître sans s’unir : on parle alors de croissance interne, reposant sur le
développement d’une activité existante. Mais elles peuvent également
croître en s’unissant à d’autres groupes : c’est ce qui caractérise la croissance externe. Cette dernière, dans le cas d’activités nouvelles, peut
permettre de réduire une concurrence exacerbée, en achetant un savoirfaire, en jouant sur la complémentarité, etc. Pour cela, l’arme stratégique
est la fusion acquisition. Très vite, celle-ci apparaît comme un moyen
rapide de répondre à la mondialisation. Elle consiste, par voie d’acquisition et/ou de prise de contrôle, à concentrer les activités concernées entre
un nombre de producteurs de plus en plus faible.
Au début du XXe siècle, les échanges internationaux étaient essentiellement intra-européens, le Japon produisant pour son marché intérieur et
les États-Unis pour le leur. Il faut attendre la deuxième moitié du XXe
siècle, et surtout les années 1970, pour voir se généraliser les fusionsacquisitions.
NC
ES
SC
IE
DE
S
UL
T
E
Les fusions-acquisitions (ou « fusac », ou encore M & A pour
Mergers and Acquisitions en anglais) se définissent comme « les
différentes formes de rachat partiel ou total d’une entreprise par un
agent économique, le plus souvent une autre entreprise ». Une
fusion-acquisition peut permettre à une entreprise de conserver son
identité, ou de fondre son identité avec celle de l’entreprise acheteuse. Pour cette dernière, l’objectif est d’accroître ses activités afin
d’augmenter son profit (croissance externe).
JU
R
Définition et domaine d’application
uh
1
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rvo
x.c
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:
FA
C
La classification habituelle conduit à distinguer, d’une part, les motivations économiques (dans le cadre d’une concentration verticale) de
celles concernées par le rachat de concurrents (dans le cadre d’une
concentration horizontale) ; d’autre part, les motivations financières
(conglomérats). Les activités concernées ne sont pas nécessairement
cohérentes sur le plan économique (complémentaires ou substituables),
mais s’inscrivent dans la recherche, en cas de difficultés conjoncturelles,
de réduction du risque encouru. Dans le cas particulier des entreprises
cotées en bourse, l’opération pourra être amicale (volonté partagée du
vendeur et de l’acheteur), ou inamicale (cf. Hermès/LVMH en 2011).
Pour les entreprises non cotées en bourse, l’accord se fera à partir d’un
marché de gré à gré.
2.3 • Une stratégie duale : fusions et ententes
39
Nouvelle
approche
Intérêt et avantages des fusions-acquisitions
1
Acheteur et vendeur ont le plus souvent intérêt à une fusion-acquisition.
L’acheteur y verra la possibilité de réaliser des économies d’échelle
(remise sur volume, réduction des doublons dans l’outil de production,
etc.). De même, dans l’hypothèse d’une fusion-acquisition avec intégration verticale, l’acheteur bénéficiera d’un meilleur contrôle de la chaîne
de production et de l’accès aux matières premières. À cela viendra
s’ajouter la synergie des circuits de distribution, l’acquéreur éventuel
pouvant utiliser son propre réseau pour diffuser les produits de ses
nouvelles activités (cf. Pernod-Ricard/Seagram). Enfin, on n’oubliera
pas de souligner l’éventuelle synergie fiscale, dans le cas d’une entreprise fortement bénéficiaire. Cette dernière aura alors intérêt à se rapprocher d’activités bénéficiant de crédits d’impôts importants, afin de réduire ou d’annuler les impôts consécutifs à son activité avant fusion.
JU
R
Mais l’avantage des fusions-acquisitions ne se limite pas à l’acheteur
éventuel : le vendeur peut aussi y trouver avantage. Par exemple, une
fusion-acquisition peut permettre à l’entreprise cédante d’améliorer son
profit en se recentrant sur des activités plus à la mode. Elle pourra aussi
lui permettre de se séparer d’une « branche morte ». Enfin, la fusionacquisition peut répondre à un besoin de trésorerie, comme ce fut le cas
pour Vivendi, en 2001-2002, avec la cession de Moughton-Mifflin. En
outre, il convient de ne pas oublier l’effet d’aubaine, le vendeur profitant
d’une valorisation élevée de son entreprise pour la céder à une autre
entreprise (cf. EDF en 2006, avec la mise sur le marché de sa filiale EDF
Énergies nouvelles).
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E
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C
On constate que les fusions-acquisitions ne sont pas des opérations sans
risque, puisque leur taux d’échec dépasse 50 % (cf. les travaux de
T. Straub). La raison principale est un prix payé trop cher par l’entreprise acheteuse. De plus, certains redoutent des concentrations excessives,
qui finiront par être des monopoles. C’est pourquoi le législateur a mis
en place, sur le marché, des instances destinées, si nécessaire, à se protéger des fusions-acquisitions jugées excessives et/ou contraires au bon
respect des règles de concurrence. Parmi les plus connues, citons :
SC
IE
NC
ES
Freins et limites du processus de fusion-acquisition
➤ les lois anti-trust (le démantèlement de la Standard Oil, par exem-
ple) ;
➤ la direction générale de la concurrence par la Commission euro-
péenne ;
➤ le contrôle du capital pour les sociétés par actions, cotées ou non en
bourse :
40
Chapitre 2 • Les oligopoles
– pratique de la majorité du capital (Casino),
– limitation du droit de vote d’un tiers,
– recours au chevalier blanc. L’entreprise en passe d’être achetée par
un concurrent peut faire appel à une autre entreprise, amie cette
fois, pour se substituer à cet acheteur inamical (par exemple, le
choix fait par AGF d’Alliance, et non de Generali),
– intervention des pouvoirs publics. Souvent, dans le cas d’activités
stratégiques, le législateur peut intervenir pour rendre impossible
toute fusac éventuelle les concernant (par exemple, la décision
américaine, en 2006, de rendre impossible l’acquisition de ports
américains par Dubaï).
Si toutes les fusions donnent lieu à une acquisition, toutes les acquisitions ne
prennent pas la forme d’une fusion. En effet, une fusion ne peut pas être partielle, alors que c’est le cas pour une acquisition.
Le tableau suivant présente les principales fusions-acquisitions des
dernières décennies :
Tableau 2.2 Les principales fusions- acquisitions
1998
Travelers / Citicorp (finance) 73 mds de $
1998-1999 Exon Mobil (pétrole) 85 mds de $
1999-2000 Pfizer / Warner-Lambert (pharmacie) 89 mds de $
NC
ES
Glaxo Wellcome / Smith Kline Beecham (médicaments) 79 mds de $
SC
IE
2000
JU
R
1999-2000 Vodafone / Manneman (télécommunications) 203 mds de $
DE
S
2000-2001 ACL / Timewarner (médias) 182 mds de $
ABN AMRO (banque) 99.364 mds de $
2007
Alcany / Rio Tinto (mines) 43.922 mds de $
2007
AT & T Belsouth (télécoms) 89 mds de $
2007
Kraft Foods / Altria Consortium (alimentaire 61.4 mds de $
2007
TXU / Holding US Company (finance) 44.922 mds de $
2008
BMP Billinton / Rio Tuito (mines) 147 mds de $
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E
2007
Comme on peut le constater, les principales fusions-acquisitions ont eu
lieu entre 1999 et 2000, ainsi qu’en 2007.
2.3 • Une stratégie duale : fusions et ententes
41
Nouvelle
approche
b) L’entente parfaite : le cartel
Le cartel est un oligopole où les offreurs contrôlent le marché par
une entente formelle.
d RT
d RT
d RT
=
=
dQA
dQB
dQN
1
On peut assimiler un cartel à une concentration horizontale, où de grandes entreprises juridiquement et financièrement indépendantes, ayant
des activités semblables, s’entendent en vue de contrôler un marché, en
compliquant l’entrée de nouveaux concurrents, et de maximiser les
profits. On parle alors de stratégie coopérative, pouvant naître d’un
accord formel ou d’un accord tacite. L’objectif est donc de maximiser les
profits du cartel, ou « profits joints ». Comme le cartel fixe un prix
unique à un produit, chaque unité supplémentaire fabriquée procurera la
même recette marginale, ce qui nous permet d’écrire, N représentant le
nombre d’entreprises constituant le cartel :
et Cm A = Cm B = ... Cm N
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Les cartels sont théoriquement illégaux (cf. la loi anti-trust aux ÉtatsUnis) mais, dans la pratique, il en existe de célèbres. Outre celui de
l’Opep, déjà cité, on rappellera celui, plus ancien, de De Beers, conglomérat diamantaire sud-africain fondé en 1888. Ce cartel était destiné à
monopoliser la fourniture de diamants bruts à tous les diamantaires de la
planète. Dans les années 1980, De Beers contrôlait la commercialisation
mondiale du diamant à hauteur de 80 %. Aujourd’hui, il est tombé à
40 % – ce qui n’est pas si mal pour un cartel. Rappelons, en effet, que
l’Opep ne contrôle pas l’intégralité, loin s’en faut, de la production
mondiale de pétrole.
JU
R
En règle générale, les cartels agissent sur les prix et sur les quantités
produites. Le cartel de l’Opep (voir encadré suivant) est tout à fait représentatif de cette stratégie, agissant tantôt sur les quantités, tantôt sur les
prix. Lorsqu’on agit sur les prix, cela se traduit par la mise en place de
quotas de production. En réduisant l’offre, on maintient ainsi une pression haussière sur les prix. Pratique anticoncurrentielle, la cartellisation
des marchés nuit nécessairement au consommateur, puisqu’elle revient à
lui faire payer un produit plus cher que ne le ferait la libre concurrence.
Le risque reconnu au cartel, c’est son instabilité, conséquence de l’opportunisme des agents économiques. Pour qu’il y ait stabilité, il faut que
les quotas de production et le prix officiel qui s’y rattache soient respectés. Mais la firme opportuniste, si elle accepte bien le prix élevé imposé
par le cartel, pourra être tentée de dépasser le quota de production,
42
Chapitre 2 • Les oligopoles
surtout si ses coûts de production sont faibles, recueillant ainsi un profit
bien supérieur à celui, déjà substantiel, que lui procure le cartel.
C’est pourquoi un cartel sera d’autant plus stable que le nombre de groupes le constituant est faible et que leurs besoins sont semblables. De
plus, pour qu’il soit efficace, il faut que le cartel puisse faire respecter les
accords passés entre ses membres. Pour cela, les sanctions pourront aller
des simples sanctions financières jusqu’à l’exclusion ; mais la sanction
la plus efficace est sans doute celle dite « du prix de déclenchement ».
Inspirée du modèle de Green-Porter, cette technique conduit à autoriser
les membres du cartel à baisser leurs prix, du fait de la tricherie de l’un
des membres. Le prix du marché passe alors en dessous d’une valeur dite
« prix de déclenchement », permettant aux membres du cartel de retrouver leur niveau de production antérieure.
Tous les marchés ne sont pas cartélisables. En effet, pour pouvoir imposer un prix
élevé au consommateur, il faut que le produit concerné soit de première nécessité ou de première qualité, sans substitut possible. De même, pour qu’un cartel
demeure efficient, il faudra que l’offre ne soit pas trop dispersée sur la planète.
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L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) est un cartel
constitué de pays dont l’objet est de négocier, avec les sociétés
pétrolières, tout ce qui concerne les prix, les quantités et les droits
de concession. Il a été créé en 1960, à l’initiative de l’Iran et du
Venezuela ; cinq pays seulement en sont membres fondateurs
(Arabie saoudite, Iran, Irak, Koweït et Venezuela). D’autres pays les
ont rejoints par la suite : le Qatar en 1961, la Lybie en 1962, les
Émirats arabes unis en 1971, l’Algérie en 1969, le Nigéria en 1971
et l’Angola en 2007. À ces onze pays vient s’ajouter l’Équateur, qui
fait des allers-retours (entre en 1973, se retire en 1992, puis revient
en 2007). Deux autres pays ont le statut d’anciens membres :
l’Indonésie et le Gabon.
Aujourd’hui, douze pays sont donc membres de l’Opep et, à travers
elle, cherchent à réguler la production et le prix du baril de pétrole.
Cette organisation fonctionne comme un véritable cartel utilisant la
régulation de la production pour agir sur les prix. Les transactions
se font en dollars, ce qui complique la stratégie, du fait du flottement des monnaies et de l’instabilité du cours du dollar qui en
découle. C’est pourquoi, si le cours du dollar baisse, on compensera par une augmentation de la production. L’inverse est moins
évident.
JU
R
L’Opep
Points clefs
43
1
Nouvelle
approche
Avec plus d’un demi-siècle d’existence, l’Opep a connu des jours
fastes et des jours sombres. La décennie 1973-1983 est la période
faste, où l’Opep impose sa loi. À partir de 1983-1985, elle entre sur
la voie du déclin. Les causes sont multiples : concurrence venue
d’autres pays non membres de l’Opep, comportement de francstireurs de certains de ses membres (Nigéria, Lybie, Équateur) accordant d’importantes remises de prix par rapport au prix officiel, et
demande mondiale explosive venue de Chine et d’Inde, face à
laquelle le cartel montre ses limites.
POINTS CLEFS
➤ Le duopole est un oligopole réduit à deux acteurs.
➤ Dans le duopole de Cournot, la variable stratégique est le volume de
production.
➤ Dans le duopole de Bertrand, la variable stratégique est le prix.
➤ L’équilibre de Nash est un équilibre de Cournot.
➤ Le duopole de Stackelberg est un duopole de déséquilibre.
➤ L’oligopole différencié de Sweezy retient comme hypothèse une fonc-
NC
ES
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tion de demande non linéaire, mais coudée.
➤ G. J. Stigler fait une analyse critique de la courbe de demande coudée.
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➤ Le secteur automobile est le type même du secteur oligopolistique.
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➤ Fusions et acquisitions font partie de la stratégie de l’oligopole.
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tère tout relatif de cette interdiction.
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➤ Les cartels sont théoriquement interdits. L’Opep témoigne du carac-
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➤ Le cartel est un oligopole qui refuse la pratique concurrentielle.
44
Chapitre 2 • Les oligopoles
EXERCICE
En considérant que le marché mondial du pétrole brut réunit quarantetrois pays, dont trente acceptent le principe d’un oligopole concurrentiel
et dont les treize autres constituent un cartel, et disposant des informations suivantes :
Demande du marché en millions de barils/jour : Dp = 10 000 – 25 P
Coût total d’extraction pour chaque pays estimé à :
CT =
1 2
Q + 100Q
2
Questions :
1) Quelles sont les conditions d’équilibre (prix et quantité) de ce
marché ?
2) Quelles remarques faire concernant les hypothèses implicites que
suppose la réalisation de cet exercice ?
3) Quelles conclusions tirer quant aux avantages constatés par l’existence de ce cartel ?
4) À travers cet exemple, préciser ce qu’il faut entendre par « opportunisme » et « free rider ».
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Le marché se décompose donc en une frange concurrentielle et un cartel.
Il est évident et logique que les pays appartenant à la frange concurrentielle soient preneurs du prix imposé par le cartel, qu’ils considèrent
comme le prix du marché.
SC
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SOLUTIONS
Q2
+ 100Q
2
uh
1
CT =
.sc
ho
la
1) Si le coût total d’extraction pour chaque pays est égal à :
Q étant la production de chacun d’entre eux, en millions de tonnes, le Cm
correspondant est égal à Q + 100. Ce coût marginal s’identifie au prix du
baril, ce qui signifie que ce prix sera nécessairement supérieur ou égal à
100 $. Et on aura Cm = P = Q + 100, soit Q = P – 100
À ce prix, on va distinguer l’offre globale des pays en concurrence (QFC)
de celle du cartel (QCL)
45
QFC = 30 (PFC – 100) = 30 PFC – 3 000
(1)
QCL = 13 (PCL – 100) = 13 PCL – 1 300
(2)
Nouvelle
approche
Solutions
De (1), on tire :
Q FC
+ 100
30
(3)
1
PFC =
Et de (2) :
QC L
+ 100
(4)
13
Comme c’est le prix imposé par le cartel qui sera considéré comme le
prix du marché, calculons tout d’abord PCL, en partant de la demande
résiduelle du cartel QCL. Cette demande est égale à la différence entre
la demande du marché, 10 000 – 25 P, et l’offre de la frange concurrentielle QFC. Soit encore :
PC L =
Q C L = (10 000 − 25PC L ) − (30PC L − 3 000)
= 13 000 − 55PC L
Soit encore :
55PC L = 1 300 − Q C L
Et :
PC L =
13 000
QC L
−
55
55
(5)
SC
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Q2
13 000
QC L − C L
55
55
DE
S
RTC L = PC L × Q C L =
JU
R
à partir de (5), on peut calculer RTCL et RmCL, soit :
QC L
13 000
2Q C L
+ 100 =
−
13
55
55
soit QCL = 1 203,70 millions de barils
et
P=
13 000
1 203,70
12 796,30
−
=
= 232,66
55
55
55
rvo
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:
.sc
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à l’équilibre (4) = (6) et :
(6)
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C
13 000
2Q C L
−
55
55
uh
1
Rm C L =
UL
T
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Et :
Chapitre 2 • Les oligopoles
Le prix de 232,66 dollars est celui qui va s’appliquer à l’ensemble du
marché. Aussi, pour les trente pays qui ne sont pas cartellisés, cela les
conduit à produire QFC, au prix PCL = PFC, où :
QFC est la frange concurrentielle égale à 30 PFC – 3 000 = 6 979,8
– 3000 = 3 979,8
En conclusion, le cartel impose un prix de 232,66 dollars le baril de
pétrole. À ce prix, les pays cartellisés vont produire 1 203,70 millions de
barils de pétrole, laissant les autres pays en produire 3 979,80, toujours
au prix de 232,66 dollars, soit 76,77 % du marché.
2) En supposant des fonctions de coût identique, cela revient à considérer que les conditions d’extraction sont les mêmes pour tous les pays, ce
qui n’est pas le cas.
En considérant un prix unique du baril de pétrole, on admet implicitement que le baril de pétrole est un produit homogène. Ce n’est pas
toujours le cas, car il existe différentes qualités de brut.
Le cartel se comporte ici comme une firme dominante, imposant son
prix au marché, et plus particulièrement à ce que nous avons appelé la
frange concurrentielle (trente pays).
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4) L’opportuniste est celui qui bénéficie d’une situation sans avoir à en
payer les conditions de réalisation. Dans notre exemple, les pays de la
frange concurrentielle peuvent être considérés comme des opportunistes,
puisqu’ils bénéficient d’un prix élevé du baril brut, alors qu’ils n’y sont
pour rien. À l’opportuniste est associé le free rider, celui qui fait cavalier seul, n’acceptant aucune des contraintes, comme par exemple celle
des quotas de production. Lorsque c’est intéressant, on est membre du
cartel Opep, lorsqu’on trouve mieux en dehors du cartel, on se retire.
C’est le cas de l’Indonésie qui rejoint l’Opep en 1962, puis la quitte en
2008. C’est aussi le cas du Gabon qui se retire en 1996, après y être entré
en 1975. L’opportunisme des acteurs, l’existence de free riders, etc.,
vont venir fragiliser les cartels, et expliquent, pour partie, qu’aux périodes de stabilité succèdent l’instabilité, et vice-versa.
JU
R
3) Les principaux bénéficiaires de la cartellisation du marché sont, dans
l’hypothèse où tous les producteurs n’appartiennent pas au marché, juste
ces derniers. Leur profit est supérieur à celui qu’ils auraient obtenu si le
marché était resté uniquement concurrentiel. Ils profitent du pouvoir de
marché du cartel pour obtenir un prix de marché du brut supérieur au
coût marginal. De plus, contrairement aux pays membres du cartel, ils
peuvent produire les quantités qu’ils souhaitent.
uh
1
46
CHAPITRE
Les monopoles
➤ Découvrir les monopoles à travers une approche plurielle.
➤ Comprendre et privilégier l’un d’entre eux : le monopole naturel.
3.1 Définitions et domaines d’application
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Définir le monopole est chose à la fois simple et compliquée. Simple, si
l’on se contente d’identifier le monopole à une seule entreprise présente
sur un marché, répondant à la demande de l’ensemble des consommateurs. Compliquée, si l’on considère fort justement que cette définition
est imparfaite. En effet, la réalité industrielle nous enseigne que l’existence de substitut au produit proposé met fin à ce monopole. De même,
il faudra distinguer le monopole absolu du monopole partiel, le monopole de production du monopole de distribution, etc. Plus généralement,
l’approche du monopole se fait à partir d’un double constat : l’absence
de concurrence rendue possible par l’existence de barrières à l’entrée, ou
l’absence de concurrence due à des raisons naturelles.
JU
R
3.2 Le monopole naturel : un cas d’école de l’économie industrielle
uh
1
OBJECTIFS
PLAN
3
Parmi les différents monopoles, l’un d’entre eux, le monopole naturel,
est un cas d’école pour l’économie industrielle, si l’on veut bien se
rappeler que cette dernière privilégie l’analyse des groupes industriels
dans un environnement non concurrentiel. C’est précisément le cas des
monopoles naturels et des problèmes de réglementation qui s’y rapportent, avec des stratégies conséquentes à l’encontre des positions dominantes ou exclusives.
48
Chapitre 3 • Les monopoles
3.1
DÉFINITIONS ET DOMAINES D’APPLICATION
Le mot « monopole » vient du grec monos polein, qui signifie « un
vendeur ». Aussi, au sens strict du terme, le monopole est caractérisé par une situation où un seul offreur répond aux besoins d’une
multitude d’acheteurs. On parle aussi souvent, à cet égard, de position dominante ou d’abus de positions dominantes. De plus, si l’on
applique cette définition de façon restrictive, le monopole est
partout : le coiffeur dans son village, l’épicier dans un rayon de
quelques centaines de mètres, etc. Enfin, relevons une chose
commune à toutes les formes de monopole : leur mauvaise réputation, à l’exception des monopoles naturels.
a) Analyse typologique
Nous reprenons ici la typologie proposée par P. Medan et T. Warin dans
Économie industrielle, une perspective européenne (Dunod, 2000).
Nous distinguerons donc, dans la pratique, le monopole classique,
le monopole naturel et le monopole légal. Le monopole naturel sera
traité plus loin ; rappelons donc seulement sa définition, liée à l’existence de coûts moyens décroissants, au fur et à mesure de l’augmentation
du volume de production.
Le monopole classique
DE
S
SC
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NC
ES
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Sur un marché, lorsqu’une seule entreprise existe, protégée par des
coûts d’entrée trop élevés du fait des compétences techniques dont
elle dispose, on est en situation de monopole. Ce monopole est
appelé monopole classique.
uh
1
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En effet, toute entreprise candidate à l’entrée sur ce marché, en raison de
l’ampleur des investissements nécessaires en recherche et développement pour acquérir la même compétence technique, ne pourra y donner
une suite favorable. Dans ces conditions, le prix proposé par cette entreprise en situation de monopole sera plus élevé qu’en situation de concurrence, et les quantités offertes plus faibles. On retrouve ici tous les
aspects négatifs que l’on attribue, en règle générale, à l’oligopole : prix
défavorable pour le consommateur et utilisation restrictive du moyen de
production (voir efficience économique).
Le monopole légal
Le monopole procède de l’intervention des pouvoirs publics pour
restreindre la concurrence sur un marché donné, afin de répondre à un
3.1 • Définitions et domaines d’application
49
Nouvelle
approche
objectif, le plus souvent politique : aménagement du territoire, contrôle
d’activités stratégiques, etc. La cause première du monopole légal est
liée à la notion de service public, qui conduit à exclure les activités
marchandes de certains secteurs d’activité où l’État pourra, par exemple,
les accompagner de la gratuité (l’éducation, par exemple). On retrouve
ici une idée chère à L. Walras, lorsqu’il parle de monopole moral.
1
Autre justification de l’intervention publique : celle qui permet aux innovateurs de jouir d’un monopole temporaire d’exploitation de leurs inventions, avec la mise en place et la délivrance de brevets afin d’encourager
l’innovation et de permettre à l’innovateur de se rembourser des investissements en recherche et développement.
Dans les faits, l’intervention des pouvoirs publics va se traduire soit par
la nationalisation, soit par un monopole d’exploitation. Dans le cas de la
nationalisation, ces monopoles sont souvent des monopoles de distribution et/ou d’utilisation.
Exemples. EDF disposait, à partir de 1945-1946, d’un monopole de
distribution d’électricité sur le territoire français – ce qui vient d’être
remis en cause –, mais n’avait pas pour autant le monopole de la production. On pouvait donc produire de l’électricité pour soi-même, ou pour la
revendre à l’EDF. De même, dans le cas de la SNCF, le monopole était
celui de l’utilisation des voies ferrées. Dans ces deux exemples, on retrouve un lien entre monopole légal, monopole naturel et industries de
réseaux.
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:
Exemple. En France, la gestion et l’exploitation des autoroutes ont été
confiées au secteur privé.
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En ce qui concerne les monopoles d’exploitation, ils concernent essentiellement le secteur privé, lorsqu’il bénéficie, par exemple, d’une
concession d’exploitation pour un temps donné de la part de l’État,
moyennant bien sûr une contrepartie financière.
uh
1
.sc
ho
la
Cette typologie ne prend pas en compte les monopoles locaux, ou
monopoles de niches locales, où les entreprises de taille réduite disposent, en pratique, d’une situation de monopole du fait de leur positionnement géographique. Comme on peut le constater, le monopole est
pluriel, comme le sont également les stratégies de prix qui s’y attachent.
b) Des stratégies de prix duales
Nous distinguerons ici le cas général du cas particulier : le monopole
discriminant.
50
Chapitre 3 • Les monopoles
Le cas général
Comme nous le rappelle l’approche microéconomique, le monopoleur a
pour objectif de déterminer le couple prix/quantité qui maximise son
profit. Si l’on distingue le court terme du long terme : à court terme, le
monopoleur sait que la taille de son entreprise ne changera pas et qu’il
n’a pas à craindre l’arrivée de concurrents éventuels sur le marché. Ce
n’est pas le cas si l’on considère le long terme.
➤ La stratégie de prix à court terme
Si la règle d’or de la maximisation du profit, Cm = Rm, vaut pour le
monopole, on ne peut aller au-delà, comme pour la concurrence pure
et parfaite (Rm = Cm = P). En effet, en monopole, la recette marginale est toujours inférieure à cette courbe de demande, de pente négative, qui est aussi la recette moyenne (voir graphique 3.1)
P
Rm
P0
εp > 1
εp = 1
M
P1
P1
NC
ES
JU
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εp < 1
DE
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Q
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Rm
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1
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Graphique 3-1 La stratégie de prix à court terme du monopoleur
rvo
x.c
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O
SC
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D
Le profit maximum est obtenu au point E (graphique 3.2 ci-après).
Pour un prix P* et une quantité Q*, ce prix se situe dans la partie de
la courbe de demande où l’élasticité prix/demande est la plus forte,
supérieure à 1 (graphique 3.1).
Comme on peut le constater, s’il désire maximiser son profit, le
monopoleur est contraint, pour fixer son prix, de tenir compte de la
fonction de demande et de la fonction de coût moyen total. De plus,
P
Rm
coûts
P*
51
Nouvelle
approche
3.1 • Définitions et domaines d’application
F
Cm
A
CMT
E
C
O
B
V
Q*
CMV
1
G
D ≡ RM ≡ P
Rm
Q0
Q
Graphique 3-2 La maximisation du profit à court terme du monopoleur
n’oublions pas que, si le monopoleur est théoriquement libre de fixer
son prix, l’acheteur éventuel est toujours libre, d’acheter (ou non) à
ce prix et de fixer lui-même les quantités achetées.
➤ La stratégie de prix à long terme
.sc
ho
la
NC
ES
SC
IE
DE
S
E
UL
T
FA
C
rvo
x.c
om
:
En conséquence, si le monopoleur a toujours autorité pour fixer le
prix du marché (price maker), les décisions qu’il prendra ne seront
pas neutres quant au maintien, à long terme, de sa situation monopolistique. Il pourra y avoir, à long terme, un conflit d’intérêt entre
profit maximum et maintien du monopole.
JU
R
À long terme, le monopoleur cherche à adapter la taille de son entreprise dans le but d’accroître ses profits, tout en supposant qu’il est
toujours en monopole. Il pourra alors éventuellement jouer sur les
économies d’échelle, afin de proposer un prix plus bas. Cette dernière solution a l’avantage, pour lui, de conforter la barrière à l’entrée
que constitue un prix de marché bas.
uh
1
En monopole, la maximisation du profit passe, comme en concurrence pure, par
l’égalité Cm = Rm ; en revanche, si le prix vient s’y associer pour un marché de
concurrence (P = Cm = Rm), ce n’est pas le cas en monopole.
Un cas particulier : la discrimination des prix
Discriminer un prix, c’est proposer des prix différents pour un
même bien (ou service). Lorsque ce bien est proposé à des qualités
différentes, cela revient à pratiquer la différenciation verticale. Et
cela ne concerne pas une structure de marché particulier. Par
52
Chapitre 3 • Les monopoles
contre, la seule structure qui, par définition, est capable de fixer un
prix et de l’imposer au marché, est le monopole. En concurrence, le
prix est price maker ; en oligopole, le prix est souvent un prix de
compromis entre quelques vendeurs refusant de se faire une guerre
des prix. C’est pourquoi la discrimination est souvent associée au
monopole, car elle suppose qu’on dispose d’un véritable pouvoir de
marché.
On doit à A. C. Pigou une analyse de la discrimination qui perdure et
permet de distinguer trois types de discriminations.
➤ La discrimination du premier degré
On parle aussi de discrimination parfaite, ou totale. Cela revient à
proposer le prix le plus élevé que le consommateur est prêt à payer.
Dans ce cas, on fait disparaître du marché le surplus du consommateur pour le transférer au producteur (cf. analyse microéconomique).
Si elle correspond à une démarche théorique, certaines situations s’en
rapprochent si on l’identifie à la disparition du surplus.
➤ La discrimination du second degré
rvo
x.c
om
:
FA
C
UL
T
E
NC
ES
SC
IE
DE
S
Exemples. La discrimination du second degré est pratiquée dans la tarification du téléphone, avec une offre au forfait ou une offre au réel (deux
groupes ayant un comportement différent). De même, dans la vente de
journaux, un abonnement à deux ans vaut moins cher que deux abonnements à un an.
JU
R
Elle repose sur le principe d’un prix dépendant des quantités achetées
et de la répartition du marché en différents groupes, auxquels va être
associé un prix unique, mais différent selon le groupe. Souvent pratiquée dans l’offre de services publics, cette discrimination est beaucoup plus fréquente que celle du premier degré.
.sc
ho
la
Le dilemme de Disneyland
uh
1
En 1971, W. Oi a proposé une réflexion portant sur la discrimination, à partir de l’étude du parc d’attraction de Disneyland. Pour
W. Oi, la problématique est de savoir quelle stratégie adopter, à
savoir :
• payer uniquement l’entrée,
• payer uniquement les attractions,
• payer entrée et attractions.
3.1 • Définitions et domaines d’application
53
1
Nouvelle
approche
En faisant payer les attractions, le prix de ces dernières aura pour
conséquence de faire évoluer l’usage des attractions en fonction du
prix pratiqué. À prix élevé correspond une utilisation modeste, à
prix modeste une utilisation importante. Par contre, en faisant le
choix de ne faire payer que l’entrée, il est plus que probable que les
consommateurs utiliseront toutes les attractions. On peut représenter graphiquement les conséquences de ces différents choix (voir le
graphique 3.3). Si l’on fait l’hypothèse que la construction et l’aménagement de ce parc ont un coût et que son utilisation n’en a pas, et
si l’on décide de ne faire payer que l’accès aux attractions, le
propriétaire du site dégage un profit égal à ABCD, pour une quantité consommée QA.
Prix
E
B
C
A
T
CM
E
QA
Q
UL
T
Q’A
FA
C
O
DE
S
SC
IE
NC
ES
JU
R
D
Fonction de demande
des attractions en fonction
de leur prix.
rvo
x.c
om
:
Graphique 3-3 Le dilemme de Disneyland
uh
1
.sc
ho
la
Si le propriétaire ne fait payer qu’un droit d’entrée, quel est le prix
maximum qu’il peut demander ? La réponse est celle qui fait disparaître la totalité du surplus des consommateurs d’attraction du parc,
ici représenté par le triangle EDF. Le prix d’entrée sera alors égal à
ce surplus, et on se retrouve dans le cas de la discrimination de
premier degré, avec annulation du surplus.
54
Chapitre 3 • Les monopoles
➤ La discrimination du troisième degré
Dans ce cas aussi, on pratique des prix différents selon des groupes,
comme pour la discrimination du deuxième degré. Mais ces groupes
ont d’autres caractéristiques : une demande homogène et une élasticité demande/prix sensiblement égale, différente selon les groupes.
En partant de la relation entre le prix, la recette marginale et l’élasticité demande/prix :
1
Rm = P 1 −
εp
On va pouvoir déterminer les prix qui, pour chaque groupe, maximisent le profit, soit :
1
1
1
= P2 1 −
= . . . = Pn 1 −
P1 1 −
ε p1
ε p2
ε pm
où n est égal au nombre de groupes homogènes constitués après
segmentation du marché.
La discrimination du troisième degré est souvent pratiquée à partir de
groupes homogènes constitués par les étudiants, les retraités, etc.,
auxquels se rattachent une élasticité demande/prix homogène.
NC
ES
SC
IE
DE
S
UL
T
E
Enfin, pour qu’elle soit opportune et possible, il faut rappeler deux de
ses conditions préalables :
JU
R
En conclusion, on rappellera que cette discrimination a pour objet de
développer ses recettes en élargissant son marché, ce qui est rendu
possible par le fait que le monopoleur dispose d’un pouvoir de
marché. La difficulté de discriminer les prix tient aussi au fait que
cette discrimination doit se placer dans le cadre légal, ce qui n’est pas
le cas de la discrimination de premier degré.
uh
1
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
FA
C
– Le produit ne doit pas pouvoir être acheté sur le marché où le prix
est le plus bas, ni être revendu sur celui où le prix est le plus élevé.
Il faut que les marchés soient cloisonnés, afin d’éviter la cannibalisation du marché où le prix est le plus élevé par le marché où le prix
serait le plus bas.
– Les marchés doivent être homogènes et avoir des élasticités
prix/demande bien différenciées.
Ces conditions préalables expliquent pourquoi il est plus facile de
discriminer les services parfaitement individualisables (médecin,
cinéma, par exemple) que les autres services. De même, les secteurs
où le produit dispose d’un monopole de distribution, comme le gaz
et l’électricité hier, seront plus faciles à discriminer que les autres.
3.2 • Le monopole naturel
55
Nouvelle
approche
Toutes les pratiques de discrimination sont soumises au critère de la légalité. En
effet, si celles des deuxième et troisième degrés sont légales, ce n’est pas le cas de
la pratique de discrimination totale, appelée discrimination de premier degré par
A. C. Pigou.
1
3.2 LE MONOPOLE NATUREL :
UN CAS D’ÉCOLE DE L’ÉCONOMIE INDUSTRIELLE
a) Un concept ancien
Dès le début du XIXe siècle, des économistes s’intéressent à ce concept.
Ainsi, S. Mill en 1846, A. Marshall en 1923, et R. T. Ely en 1937 – pour
citer ceux qui ont le plus fait évoluer le concept – ont successivement
enrichi son approche.
.sc
ho
la
NC
ES
SC
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S
E
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FA
C
rvo
x.c
om
:
Dans l’ouvrage de référence Industry and Trade d’A. Marshall, le
monopole naturel est lié aux ressources naturelles et à leurs conditions
d’exploitation, là où n’existe pas d’offre de substitution. C’est le cas des
industries de réseaux (réseau ferroviaire, réseau routier, réseau de distribution de l’eau, du gaz, de l’électricité, etc.). Aussi, il définit le monopole naturel comme celui où l’on observe des rendements d’échelle
croissants, et donc des coûts d’exploitation décroissants. Dès 1927,
A. Marshall défend l’idée que toutes les activités à rendement croissant
de par l’augmentation de leur taille sont socialement destinées à être des
monopoles.
JU
R
Pour S. Mill, le monopole dans son approche générale peut être la conséquence d’une technologie contrôlée, ce qui va se traduire par l’émergence de grandes entreprises, reposant sur une maîtrise technique. Et S. Mill
d’ajouter que le monopole peut être artificiel ou légal. À titre d’exemple,
il cite la production et la distribution d’eau et d’électricité à Londres, qui
ne peut être confiée à un marché concurrentiel. Le monopole naturel est
alors caractérisé par des rendements d’échelle croissants, ce que va
confirmer A. Marshall.
uh
1
Auteur moins connu, mais dont la contribution à la définition du
monopole naturel est intéressante, R. T. Ely propose trois monopoles
possibles :
➤ ceux qui sont définis à partir des sources d’approvisionnement ;
➤ ceux qui sont la conséquence d’une décision juridique protégeant le
secret de leur technologie (brevets d’instruction) ;
➤ ceux qui ont des savoir-faire liés à leur activité, industries de réseaux
par exemple, services publics et chemins de fer plus précisément.
Chapitre 3 • Les monopoles
Dès lors, il définit les monopoles naturels comme étant ceux dont l’activité ne se prête pas à la pratique concurrentielle, du fait des économies
d’échelle qui s’y rattachent.
Point commun à tous les auteurs, la présence d’économies d’échelle
croissante. Bien que libéral, et donc peu enclin à défendre les monopoles, L. Walras va pourtant faire une exception avec les monopoles naturels, qu’il n’est pas souhaitable de combattre, selon lui. Il justifie sa
proposition en développant les deux arguments suivants :
➤ Dans le cas des monopoles naturels, il faut éliminer les effets pervers
qui résulteraient de la mise en concurrence de plusieurs réseaux.
Parmi les effets pervers : l’anarchie des prix plus élevés (rendement
d’échelle croissant oblige).
➤ Éviter la multiplication des frais de premier établissement.
rvo
x.c
om
:
FA
C
UL
T
E
NC
ES
SC
IE
DE
S
Si l’on retient de l’économie industrielle la définition la plus simple et la
plus globale, à savoir l’économie de la concurrence imparfaite, on peut
considérer le monopole naturel comme un cas d’école de cette économie, dont la problématique est contradictoire. En effet, c’est le seul cas
théorique où le monopole, bien que disposant d’un pouvoir de marché,
est préférable pour le consommateur. Bien que souvent caractérisé par
des coûts fixes importants et invariants, comme c’est le cas des industries
de réseau, le monopole naturel (du fait de l’existence de rendement
d’échelle croissant) produira toujours à un coût moyen plus bas – toutes
choses égales par ailleurs – que celui obtenu par des entreprises de taille
plus modeste et en concurrence. De même, la fonction d’utilité, dans le
cas du monopole pur, est une fonction croissante du fait qu’elle augmente au fur et à mesure que le nombre de bénéficiaires consommateurs
augmente. On retrouve donc une des définitions proposées pour ce
monopole pur, à savoir celle d’un monopole préférable à toute structure
concurrentielle alternative.
JU
R
b) L’économie industrielle et le monopole naturel
.sc
ho
la
D’autre part, avoir des coûts plus faibles ne met pas pour autant fin à la
position dominante, bien au contraire : cela la conforte, avec les risques
qui s’y rattachent. Le premier risque est celui d’un prix de marché,
imposé au marché supérieur à celui de la structure concurrentielle. En
effet, le monopoleur est toujours dans la situation où il peut choisir le
prix. Ceci est d’autant plus regrettable que, si tous les monopoles naturels ne sont pas des industries de réseau, toutes les industries de réseau
sont des monopoles naturels.
uh
1
56
3.2 • Le monopole naturel
57
1
Nouvelle
approche
Exemples. La production et la distribution d’eau, d’électricité, et l’utilisation du chemin de fer sont des monopoles naturels et des domaines où
l’utilité collective est indiscutable, voire prioritaire. Aussi, la pratique de
prix élevés, qui n’est pas empêchée dans les monopoles naturels, pénalise
le consommateur pour lequel les services proposés sont vitaux pour la vie
quotidienne.
Enfin, le monopole naturel peut conduire à l’inefficience dans l’allocation des ressources, si le monopoleur décide de réduire l’offre. C’est le
cas, par exemple, dans l’exploitation des voies ferrées, avec la priorité
donnée aux trains à grande vitesse et le démantèlement programmé et
régulier des réseaux secondaires. C’est pour combattre ces effets pervers
que l’on a proposé de remettre en cause les monopoles naturels privés en
les nationalisant, et de réglementer ceux qui privés ou publics risqueraient d’utiliser, à leur profit exclusif, les positions dominantes.
Affirmer que tous les monopoles sont contraires à l’intérêt du consommateur est
une erreur, car tel n’est pas le cas du monopole naturel : il peut s’avérer très favorable au consommateur.
c) Réglementation et remise en cause des monopoles
naturels
JU
R
Nous distinguerons ce qui est du domaine théorique et du domaine réglementaire, tout en rappelant qu’un monopole naturel peut être privé ou
public.
SC
IE
NC
ES
Tarification au coût moyen et tarification au coût marginal
FA
C
rvo
x.c
om
:
La tarification au coût moyen concerne tous les monopoles naturels, privés ou publics.
UL
T
E
DE
S
La théorie de la régulation par les prix distingue la tarification au coût
moyen et la tarification au coût marginal.
uh
1
.sc
ho
la
La tarification au coût marginal est le privilège des monopoles
publics.
➤ La tarification au coût moyen
Comme le montre le graphique 3.4 (voir page suivante), la tarification au coût moyen est une solution intermédiaire non optimale, car
la perte sociale n’est pas annulée totalement (surface ABC).
La fonction de demande est dans la zone des économies d’échelle.
Si le monopoleur choisit le prix concurrentiel on a : P0 Q0
58
Chapitre 3 • Les monopoles
P
Rm
coûts
P0
Cm LT
A
PM
CM LT
PC
C
E
O
Rm
Q0
B
QM
D
QC
Graphique 3-4 La tarification au coût moyen en monopole naturel
Au coût moyen, on aura : Pm et Qm
On produit plus et moins cher.
➤ La tarification au coût marginal
E
NC
ES
SC
IE
DE
S
On va donc utiliser la règle simple P = Cm et comparer cette situation à celle de la tarification au Cm et à celle du monopole pur
(graphique 3.5)
JU
R
Elle n’est retenue que dans le cas des monopoles publics, où l’objectif n’est pas le profit maximum mais l’optimum sociétal.
uh
1
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
FA
C
UL
T
La tarification au coût marginal procure un surplus EPC qui est
maximum. On fait donc disparaître la perte sociale, mais cela a un
prix à payer : l’apparition d’un déficit mesuré par ABCPc. Il convient
donc de le combler. Pour cela, la logique est, dans le cadre d’un
monopole public, de subventionner cette entreprise publique à
hauteur du déficit constaté. Il faudra donc recourir au prélèvement
fiscal correspondant. Cette solution, à supposer qu’elle soit légale et
acceptée par la commission européenne de la concurrence et des prix,
n’est pas sans inconvénient. Outre le fait que toute levée nouvelle
d’impôt peut entraîner des distorsions, on soulignera que les prélèvements fiscaux peuvent concerner des agents qui n’utilisent pas le bien
ou le service offert. C’est pourquoi certains préconisent de pratiquer
la discrimination du prix, au deuxième degré. Pour cela, on va consi-
3.2 • Le monopole naturel
59
1
Nouvelle
approche
P
Rm
coûts E
H
P
C
PC
O
B
F
A
Rm G
Q0
Q
D
QM
QC
CMLT
Cm LT
Q
Graphique 3-5 La tarification au coût marginal
uh
1
.sc
ho
la
NC
ES
SC
IE
DE
S
E
UL
T
FA
C
rvo
x.c
om
:
Pour combattre les effets pervers d’une situation monopolistique, on aura recours
à la tarification au coût marginal et/ou au coût moyen, ne laissant plus le monopoleur libre de fixer son prix.La tarification au coût moyen est réservée aux monopoles naturels ; la tarification au coût marginal est le privilège des monopoles
publics.
JU
R
dérer deux groupes de clients. Le premier paie un prix élevé P*, ce
groupe consomme OQ* ; le second groupe se voit proposer le prix Pc
pour lequel l’entreprise connaît une perte d’exploitation. À ce prix,
on va consommer Q*Q0. Cette pratique est connue sous le nom de
« règle Ramsey-Boiteux », du nom des deux économistes qui l’ont
appliquée dans le cadre de la tarification des prix de l’électricité à
EDF. Comme on peut le constater, une telle pratique revient à accepter une perte d’exploitation FBCG, pour un prix Pc qui sera plus que
compensé par le gain d’exploitation (P*HFA), conséquence du prix
élevé pratiqué (P*).
La réponse réglementaire
Les réponses apportées par l’économie industrielle dans le domaine
réglementaire procèdent d’une démarche positive visant à maintenir, ou
à recréer, les conditions garantissant l’efficacité des monopoles naturels.
On distinguera, à cet effet, celles qui concernent le secteur public
(concessions de services publics) et celles qui s’adressent aux monopo-
60
Chapitre 3 • Les monopoles
les naturels privés (pratiques du price cap, du rate of return et de la
nationalisation).
➤ La concession de service public
La concession de service public (ou mise en règle) revient à vendre
pour une durée déterminée un droit de monopole par l’État à une
entreprise privée. Cette vente répond à des critères très précis :
enchère concurrentielle, attribution du marché au meilleur prix, à
partir d’un cahier des charges très précises. Il s’agit de faire appliquer
les méthodes de gestion du privé à l’activité concédée.
Exemple. Citons la gestion des autoroutes confiée, pour un temps, à des
opérateurs privés : à charge pour ces derniers d’en assurer l’entretien, les
investissements nécessaires, etc. En contrepartie, ces opérateurs reçoivent
les recettes consécutives aux droits de péage. Si l’État est sans doute
gagnant, ce n’est pas toujours le cas du consommateur. L’expression
montre en effet que les prix pratiqués par l’opérateur privé sont souvent
supérieurs à ceux avant concession.
➤ Le prix cap
NC
ES
SC
IE
DE
S
L’avantage de cette pratique est dans l’incitation à réduire les coûts
de production. L’inconvénient est dans le risque que cette réduction
entraîne une diminution de la qualité du produit ou du service offerts.
JU
R
Il s’agit d’une forme de régulation d’origine anglo-saxonne qui
remonte aux années 1980, où le législateur impose un prix plafond,
laissant l’entreprise libre de pratiquer des prix inférieurs. Ce prix
plafond, renégocié périodiquement, permet de protéger le consommateur d’une hausse inconsidérée des prix, ce qui est toujours possible dans le cas d’un monopole privé.
rvo
x.c
om
:
FA
C
UL
T
E
Dans le cas d’un syndicat d’eau confié à un opérateur privé, cette
pratique du price cap est chose courante.
➤ Le ROR (rate of return)
uh
1
.sc
ho
la
Il s’agit d’une expression anglaise mettant en évidence un taux de
rendement ou un taux de retour sur investissement. Le principe est
simple : autoriser un taux de profit calculé à partir des dépenses réalisées par l’entreprise auxquelles on ajoute une marge bénéficiaire.
➤ La nationalisation
Les monopoles, naturels ou non, ont mauvaise presse. Aussi, pour
beaucoup, l’État actionnaire sera toujours mieux à même de gérer et
de contrôler un monopole. Dans ce cas, la vente de monopole revient
à la collectivité. Cette idée n’est pas nouvelle, M. Allais, seul prix
Points clefs
61
1
Nouvelle
approche
Nobel d’économie français, la proposait déjà en 1945 pour les monopoles naturels à rendement d’échelle croissant. Il précisait même que,
dans ce cas, la tarification devait se faire au coût marginal. On sait
que cette dernière risque de générer des déficits importants, qu’il
conviendra alors de combler par des subventions. Pour autant, la
nationalisation a un coût – sauf dans le cas des nationalisations sanctions, qu’il ne faut pas oublier. Et il faudra aussi veiller à ce qu’elle
aille de pair avec la recherche de gains de productivité.
Parler de monopole, en économie industrielle, apparaît trop restrictif ; mieux vaut
parler des monopoles, même si tous ont un point commun : le pouvoir de marché
dont ils disposent. C’est aussi à partir de ce pouvoir de marché que chacun d’entre eux va définir sa propre stratégie.
POINTS CLEFS
➤ Le monopole est pluriel : monopole légal, monopole naturel, mono-
NC
ES
JU
R
pole discriminant, monopole géographique, etc.
➤ Le monopole naturel est défini par l’existence de rendement d’échelle croissant, et donc de coût moyen décroissant au fur et à mesure
qu’on augmente le volume de production.
➤ Le monopole légal est dû à l’intervention des pouvoirs publics, restreignant la concurrence sur un marché.
➤ Le monopoleur dispose d’un pouvoir de marché (price maker).
SC
IE
➤ Le monopole classique se définit comme une situation où existe une
DE
S
seule entreprise sur le marché.
entraînant la disparition du surplus du consommateur.
.sc
ho
la
➤ La discrimination de premier degré est une discrimination totale,
uh
1
➤ Les discriminations des second et troisième degrés sont des discrimi-
nations légales.
➤ Dans la discrimination de troisième degré, on utilise la formule :
1
Rm = P 1 −
εp
➤ Le monopole naturel est un concept ancien que l’on trouve chez
S. Mill et A. Marshall.
UL
T
rvo
x.c
om
:
FA
C
Cm = Rm.
E
➤ La règle d’or de la maximisation du profit, en monopole, est l’égalité
62
Chapitre 3 • Les monopoles
➤ Pour réguler un monopole naturel, on peut avoir recours à la tarifica-
tion au coût moyen ou à la tarification au coût marginal.
➤ La réponse réglementaire visant à garantir l’efficacité des monopoles
naturels peut se traduire sous différentes formes : concession de service public, pratique du price cap et du ROR, recours à la nationalisation.
EXERCICE
Connaissant la relation prix/quantité demandée de dix consommateurs,
soit :
Tableau 3-1 Relations prix/quantité pour 10 consommateurs
P
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
x
11
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
Où P est le prix et x la quantité demandée par chaque consommateur.
Sachant que les coûts fixes sont de 100 et que nous sommes en présence d’un monopole naturel.
Questions :
1) Calculer le surplus global net que pourrait tirer la collectivité pour
une tarification au coût marginal égale à 5.
2) Quel résultat obtiendrait-on si l’on retenait une tarification au coût
moyen Cm ?
FA
C
SC
IE
DE
S
UL
T
E
NB : Cet exercice a été construit à partir d’un article d’A. Bonnafous et
Y. Croissant, consacré à la tarification des transports (« La microéconomie en pratique », Cahiers français, n° 327).
NC
ES
JU
R
3) Quelles conclusions tirer de cette comparaison ?
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
SOLUTIONS
uh
1
À partir des données, on peut connaître la fonction de coût total CT =
5Q + 100. Elle vérifie bien Cm = 5 et le coût fixe égal à 100.
1) La demande globale X est égale au produit de x par le nombre de
consommateurs égal à 10.
P
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
x
11
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
X
110 100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
Solutions
63
Nouvelle
approche
Si le prix retenu est celui de la tarification au coût marginal, nous aurons
P = Cm = 5. À ce prix, les quantités demandées sont de 70 et le surplus
dégagé, manque à gagner par rapport à ceux qui auraient accepté de
payer plus, est de 210.
Calcul du surplus :
1
Si P = 5, le surplus individuel est de 6 + 5 + 4 + 3 + 2 + 1 = 21 et le
surplus collectif est de 21 × 10 = 210.
Si la tarification au coût marginal englobe bien les charges variables, elle
ne couvre pas, par contre, les charges fixes. Ces dernières sont de 100.
Le surplus global net est donc de : 210 – 100 = 110
2) Calculons d’abord le coût moyen CM. C’est ici le prix, puisque la tarification est au coût moyen, qui égalise les recettes et les dépenses. À
partir du tableau et de la fonction de coût, on peut mettre en évidence les
résultats suivants, en faisant différentes hypothèses de prix :
P = Cm = 5 Recettes totales = 70 × 5 = 350 et Ct = 5 × 70 + 100
= 450
P = Cm = 6 Recettes totales = 60 × 6 = 360 et Ct = 300 + 100 = 400
P = Cm = 7 Recettes totales = 50 × 7 = 350 et Ct = 250 + 100 = 350
P = Cm = 8 Recettes totales = 40 × 8 = 320 et Ct = 200 + 100 = 300
uh
1
.sc
ho
la
NC
ES
SC
IE
DE
S
E
UL
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FA
C
rvo
x.c
om
:
3) Chaque cas est particulier : on ne peut pas dire avant calcul quelle tarification est préférable à l’autre. Dans notre exemple, la tarification au
coût marginal est préférable pour le consommateur qui paie moins cher.
C’est la règle générale, puisqu’elle ne prend pas en compte les charges
fixes. Encore faut-il que cela soit possible et que le surplus dégagé
permette de les financer, ce qui est vérifié dans notre exemple. La tarification au coût moyen est la seule qui garantisse l’équilibre financier
recettes/dépenses. Ce n’est pas nécessairement la plus favorable au
consommateur.
JU
R
Le coût moyen, celui qui égalise les recettes aux dépenses, est donc de
7. À ce prix, on aura une demande globale de 50 et un surplus individuel,
par consommateur, de 10 (4 + 3 + 2 + 1), et un surplus global de 100. Ce
surplus est inférieur à celui obtenu par la tarification au coût marginal.
PARTIE
2
Émergence
de nouveaux
concepts
Chapitre 4 L’économie de l’information et des asymétries
de l’information ............................................................ 67
Chapitre 5 Contribution de l’économie industrielle
à l’analyse des marchés ................................................ 91
Chapitre 6 Contribution de la théorie des jeux à l’économie
uh
1
.sc
ho
la
NC
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La nouvelle économie industrielle, que certains auteurs continuent à
appeler l’économie industrielle, connaît un enrichissement considérable dans les années 1980, dû à l’apparition et à la généralisation de
nouveaux concepts et de nouveaux outils d’analyse. Parmi ces derniers,
l’économie de l’information, fondée à partir du constat des asymétries de l’information, constitue un champ d’analyse novateur, en
prolongement direct de la non-transparence des marchés et de la remise en cause du modèle de concurrence pure. Rien ne sera plus comme
avant, avec l’introduction des asymétries de l’information dans
l’analyse.
En particulier, les conséquences des asymétries de l’information ne
seront plus ignorées : elles constituent de nouvelles hypothèses indiscutables sur lesquelles repose l’économie industrielle du XXIe siècle.
Parmi ces conséquences, la sélection adverse, l’aléa moral, l’opportunisme des agents sont des concepts et des outils d’analyse incontournables, qui contribuent à son enrichissement.
L’introduction du droit, et des droits de propriété avec R. Coase, est
aussi un tournant historique. Elle va conduire à la théorie des droits de
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industrielle .................................................................. 117
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propriété qui constitue, encore aujourd’hui, le fondement théorique de
l’approche contractuelle. Cette approche propose une alternative à
l’hypothèse contestée, issue du modèle de concurrence pure, selon
laquelle le comportement de l’entreprise est un comportement rationnel.
De même, l’affirmation selon laquelle le fonctionnement a un coût est
une hypothèse tout à fait nouvelle, qui va donner lieu à la théorie des
coûts de transaction, aujourd’hui au cœur de l’analyse explicative de
la concentration verticale.
Enfin, l’économie industrielle va bénéficier de la contribution de la
théorie des jeux, sans laquelle beaucoup de questions posées seraient
CHAPITRE
OBJECTIFS
PLAN
4
L’économie
de l’information
et les asymétries
de l’information
➤ Rappeler ce qu’est l’économie de l’information, et plus particulièrement
ce que sont les asymétries de l’information (cf. G. Akerlof).
➤ En analyser les conséquences : sélection adverse, aléa moral, opportu-
nisme des agents.
➤ En étudier les alternatives : théorie des signaux, contrat, etc.
4.1 L’économie des asymétries de l’information
4.2 Les conséquences des asymétries de l’information
4.3 Les alternatives
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L’économie de l’information est désormais une branche de la science
économique où il convient de distinguer l’information comme secteur,
comme acteur économique de l’information et comme acteur de la prise
de décision. C’est le deuxième aspect que nous entendons traiter ici, à
partir d’une question simple : celle de la transparence (ou de la nontransparence) des marchés.
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4.1 L’ÉCONOMIE DES ASYMÉTRIES DE L’INFORMATION
a) Le modèle de concurrence pure
et les asymétries de l’information
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On dira qu’il y a asymétrie de l’information lorsque, dans un
échange, certains disposent d’informations que d’autres n’ont pas.
Dans le modèle de concurrence pure, l’hypothèse retenue est celle d’une
parfaite transparence (prix, quantité, qualité, etc.). Mais la réalité des
marchés est toute différente : la parfaite transparence n’existe pas. En
revanche, le prix est en lui-même un vecteur d’information. Certes, la
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
théorie microéconomique nous rappelle que le prix est la conséquence
du rapport d’une offre à une demande, mais aussi un indicateur de qualité. Vrai ou faux, un produit de bonne qualité justifiera nécessairement un
prix cher, et un produit peu cher sera assimilé à de la mauvaise qualité.
La qualité est subjective et l’information la concernant complexe à
recueillir et à analyser. En effet, l’accès à l’information a un coût en
argent dépensé et en temps passé. L’information a donc une valeur,
comme tout bien offert. Cependant, l’information est un bien particulier,
en ce sens qu’on ne connaît pas et qu’on n’est pas capable d’apprécier
son utilité avant de l’avoir obtenue. Premier dilemme : va-t-on accepter
de payer pour savoir ? Autre dilemme, celui d’essayer d’accéder gratuitement à l’information, au risque évident de ne plus vouloir payer ensuite son utilisation (en évoquant, par exemple, l’incapacité à l’exploiter).
En tant que bien peu ordinaire – certains auteurs parlent de « bien d’expérience » –, l’information est souvent inéquitablement partagée, asymétrie oblige. Les seules choses généralement reconnues par le marché sont
l’unicité du prix, et le lien implicite qui existe, pour le consommateur,
entre prix et qualité. En revanche, ce lien est beaucoup moins évident
pour le producteur, principalement lorsque le prix est price maker,
comme c’est le cas en CPP. C’est à partir de ce constat que G. Akerlof
va apporter une contribution décisive à l’analyse des asymétries de l’information, avec la publication de « Market for “Lemons” » en 1970.
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À l’origine, l’auteur part d’un marché réel : celui des voitures d’occasion, une centaine, où la moitié sont des modèles de mauvaise qualité et
l’autre moitié des modèles de bonne qualité. Qui connaît, écrit-il, la
qualité exacte du modèle proposé ? Certainement pas l’acheteur, sensible comme toujours au lien prix-qualité. Seul le vendeur connaît la qualité exacte du modèle qu’il propose, et seul il dispose de l’information.
Pour les acheteurs éventuels, l’asymétrie de l’information est totale. Tout
laisse croire que le propriétaire d’un modèle de mauvaise qualité est prêt
à le vendre moins cher que le propriétaire d’un modèle de bonne qualité. Aussi, si la qualité des modèles est parfaitement identifiée, pas de
problème, le juste prix récompensera mieux celui qui dispose d’un bon
modèle que celui qui dispose d’un mauvais modèle, d’un « tacot ». Cela
suppose une parfaite transparence du marché, ce qui n’est généralement
pas le cas. Que se passe-t-il alors, asymétrie de l’information oblige, si
l’acheteur ne dispose pas d’informations sur la qualité du modèle qu’il
souhaite acheter ?
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b) G. Akerlof et le marché des « tacots »
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À cette question simple, G. Akerlof répond en faisant référence à l’unicité du prix d’un marché. Le marché, dit-il, compte tenu des asymétries
4.1 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
69
d’information constatées, va proposer un prix unique, par exemple un
prix égal à un prix moyen entre le prix le plus bas (qu’est prêt à accepter le vendeur du modèle de moins bonne qualité) et le prix le plus élevé
(que le vendeur du modèle de bonne qualité n’acceptera pas de baisser).
8 000 euros
10 000 euros
Prix de réserve du
vendeur de « tacots »
mauvaise qualité
Prix de moyen de marché
12 000 euros
Prix de réserve du
vendeur de « tacots »
bonne qualité
Nouveaux
concepts
Figure 4-1 Le marché des « tacots » de G. Akerlof
2
À ce prix, dans notre exemple de 10 000 euros, les détenteurs de modèles de bonne qualité feraient la mauvaise affaire s’ils vendaient, puisque
ce prix est inférieur de 2 000 euros au prix plancher qu’ils s’étaient fixé
(12 000). Ils ne le feront pas puisque, selon G. Akerlof, ils se retirent du
marché. Par contre, pour ceux qui étaient prêts à vendre à 8 000 euros, il
s’agit d’une bonne affaire, le marché leur proposant plus que ce qu’ils
étaient prêts à accepter.
L’asymétrie de l’information, sur ce marché des voitures d’occasion, a
donc permis de mettre en évidence la sélection adverse, l’aléa moral et
l’opportunisme des agents.
➤ La sélection adverse, ou anti-sélection, revient à exclure du marché
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➤ L’aléa moral (ou hasard moral, ou comportement caché) concerne
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les produits de bonne qualité : les détenteurs de « tacots » de bonne
qualité se retirent du marché. Seuls restent sur ce marché les produits
de médiocre qualité. En généralisant, on dira que l’asymétrie de l’information est pénalisante pour le consommateur, qui ne dispose pas
des meilleurs produits offerts sur le marché, et qui paie plus cher les
seuls produits disponibles et de moindre qualité. On est loin de l’efficience proclamée du modèle de CPP.
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l’absence de connaissance du comportement, après achat, de celui
qui découvre que le modèle acheté est de mauvaise qualité.
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➤ L’opportunisme des agents, enfin, se traduit ici par le fait que le
vendeur de « tacots » de mauvaise qualité accepte, en toute connaissance, un prix supérieur à ce qu’il estimait être le juste prix, tirant un
bénéfice « malsain » du dysfonctionnement du marché, consécutif
aux asymétries de l’information.
En conséquence, le prix n’est plus un parfait signal de la valeur d’un bien
et n’est plus en mesure de permettre au marché concurrentiel de fonctionner efficacement.
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
La modélisation du « Market for “Lemons” »
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À ce prix, 0,75 P, on est inférieur au prix du marché P. On en conclura donc de l’incapacité du marché à fonctionner. Seules les voitures
de très mauvaise qualité, pour lesquelles les vendeurs connaissant
cette qualité médiocre, seront offertes sur le marché, par exemple à
0,75 P. À ce prix, le vendeur fera sans doute encore une bonne affaire, si par exemple il était prêt à céder son modèle à 0,50 P, dans le
cas d’un marché totalement transparent sur la qualité des modèles
proposés. Par contre, compte tenu des asymétries de l’information,
le prix du marché est trop élevé pour les acheteurs, dont le prix limite est 0,75 P et non pas P. Cette présentation, qui privilégie le
comportement de l’acheteur, aboutit aux mêmes conséquences que
celles qui reposent habituellement sur le comportement de l’offreur.
Rien de plus normal : en cas d’asymétrie de l’information, le marché
élimine les produits de bonne qualité, considérés comme trop chers
par l’acheteur ou pas assez cher pour le vendeur.
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Supposons que le marché des voitures d’occasion soit distribué de
façon uniforme, sur un intervalle [0,1], avec des voitures d’occasion
affectées d’un indice de qualité Iq. Pour une voiture de qualité
moyenne, l’indice de qualité moyenne sera de Iq/2. Sur ce marché,
acheteurs et vendeurs n’ont pas le même comportement, et cette
diversité se retrouve parmi les acheteurs et parmi les vendeurs. Pour
les acheteurs, à qualité égale, il y a un prix au-delà duquel ils
n’achètent pas : ce prix est le prix de réserve. Supposons qu’il soit
égal à 3/2 Iq.
Si l’acheteur connaît parfaitement la qualité du modèle qui lui est
proposé à l’achat, les prix vont être compris entre IqP et 3/2IqP et
toutes les voitures d’occasion seront vendues au juste prix. Si l’on
fait l’hypothèse la plus probable d’asymétrie de l’information,
conséquence pour l’acheteur de l’incapacité de connaître avec certitude la qualité du modèle qu’il souhaite acheter, le marché va alors
faire référence à l’indice de qualité moyenne I/2q. Cet indice va
venir pondérer le prix du marché P. Ce prix est le prix d’équilibre de
ce marché. L’indice de qualité des voitures de qualité moyenne sera
alors de P/2. Pour une qualité attendue de P/2, le prix de réserve des
acheteurs baisse et devient :
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=
P = 0,75 P
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4.2 • Les conséquences des asymétries de l’information
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4.2 LES CONSÉQUENCES DES ASYMÉTRIES DE L’INFORMATION
a) La sélection adverse
Définition et conséquence
Nouveaux
concepts
Si l’on élargit la définition de la sélection adverse à l’ensemble des
marchés où existent des asymétries de l’information, on dira que la
sélection adverse recouvre toutes les situations où, dans un contrat, l’un
des deux contractants dispose d’une information dont l’autre n’a pas
connaissance. Cela revient à considérer que le marché est un contrat
particulier entre acheteur et vendeur.
2
La sélection adverse se pose donc lorsque, dans une transaction, une des
parties détient des informations que l’autre partie ne détient pas. Elle a
souvent donné lieu à une formulation sèche : « Les mauvais chassent les
bons ». Dans certains marchés, elle pourra aller bien au-delà de l’inefficience du marché, entraînant sa propre disparition. Ce sera le cas si, en
l’absence de mécanismes permettant de réduire ces asymétries, il ne
reste sur le marché que les acteurs économiques, les entreprises les
moins performantes et les produits de mauvaise qualité.
Certes, le problème de la sélection adverse sera d’autant plus observable
que ne le sera pas la qualité des biens et des services offerts sur le
marché.
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➤ Les assurances
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Le choix fait par G. Akerlof d’un marché de voitures d’occasion n’est
bien sûr pas un choix de hasard car, s’il est un marché où la qualité du
produit est difficile d’appréhender, c’est bien celui des voitures d’occasion (ou encore des bateaux). Pour autant, s’il y a des domaines où la
sélection adverse se pratique et s’observe régulièrement, ce sont ceux
des assurances et du marché du travail.
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La sélection adverse n’est pas la cause des asymétries de l’information, mais leur
conséquence.
Rappelons le principe du système d’assurance : les compagnies
proposent une prime capable de couvrir un risque normal s’appliquant à l’ensemble d’une population. L’assurance n’étant pas obligatoire, dans le cas général, l’assureur va être confronté à une double
problématique : tout d’abord, celle que constitue la partie de la population à faible risque. Elle risque de ne pas s’assurer, trouvant la
prime trop élevée. Celle ensuite, à l’inverse, qui ne trouve pas, dans
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
ce contrat général, la couverture de risques beaucoup plus importants, avec les incidences financières que cela suppose, et qui va décider de ne pas s’assurer. En conséquence, les recettes obtenues par
ceux qui malgré tout ont décidé de s’assurer ne seront pas suffisantes
pour couvrir, en cas de sinistre, les dépenses engagées. La probabilité est donc la faillite du système.
La sélection adverse se traduit ici par le refus d’un trop grand nombre de s’assurer, jugeant la prime trop élevée. La pratique d’une
prime unique, du fait des asymétries de l’information, a conduit à ne
pas couper d’un nombre trop important d’assurés potentiels. De plus,
en n’assurant que les hauts risques, à partir d’une prime trop faible
par rapport au risque encouru, on a contribué à fragiliser davantage
encore le système. En conclusion, les assureurs se sont privés des
bons assurés, ceux qui ne présentent que peu de risques, et n’ont
conservé que les « mauvais », ceux qui présentent le maximum de
risques.
➤ Le marché du travail
b) L’aléa moral
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À ce prix, les plus productifs refuseront l’offre, et ne resteront sur le
marché que les moins productifs, qui seront tout heureux de toucher
1 500 euros/mois. L’asymétrie d’information, qui révèle l’incapacité
à distinguer les bons et mauvais candidats sur le marché du travail,
conduit donc à laisser sur le marché les moins productifs, vérifiant la
règle selon laquelle « les mauvais chassent les bons ».
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Sur le marché du travail, l’asymétrie d’information est souvent la
règle. Au moment de l’embauche, il est souvent impossible pour
l’employeur de distinguer les bons et les mauvais candidats. Aussi, le
salaire proposé sera celui qui est égal à la moyenne pondérée du
salaire correspondant au salarié le moins productif (par exemple
1 200 euros/mois) à celui du salarié, sur le même poste, le plus
productif (1 800 euros/mois). Si l’employeur estime que la répartition entre productifs et non-productifs est de 50/50, le salaire moyen
sera de (1 200 + 1 800)1/2 = 1 500 euros/mois.
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Définition et conséquences
A. Smith parlait déjà, sans le savoir, de l’aléa moral pour désigner les
effets pervers qui peuvent apparaître dans certaines situations à risques,
opposant deux parties. On parle aujourd’hui de risque moral et, en
économie industrielle, il apparaît le plus souvent lié aux asymétries d’informations post-contractuelles, ex post.
4.2 • Les conséquences des asymétries de l’information
73
Dans le cadre de situations contractuelles, l’aléa moral se définit
comme :
« Toute modification de comportement d’un des deux cocontractants,
contraire à l’intérêt général du contrat, par rapport au comportement qui
prévalait avant la signature du contrat, dans le but de privilégier leurs propres intérêts aux dépens des intérêts de l’autre partie. »
Nouveaux
concepts
Ce n’est pas l’effet du hasard si ce concept est né dans le secteur des
assurances. En effet, dans ce secteur d’activité, on a pu observer régulièrement certains comportements d’assurés différents avant et après
l’achat d’un contrat d’assurance.
2
Exemple. Avant l’achat d’un contrat d’assurances contre le vol, on constate que, non assuré, l’assuré potentiel redoublait de prudence, veillant à
bien fermer les portes de sa résidence à clef ; au contraire, au lendemain
de l’achat, il oubliait toute précaution. De même, en cas d’assurance tous
risques, l’aléa moral revient à identifier un changement de comportement
du conducteur : prudent avant le nouveau contrat, beaucoup moins
prudent après.
Les primes étant calculées en supposant que le contractant ne change pas
de comportement, de tels comportements ont, pour les assureurs, des
conséquences financières importantes. Lorsque cela n’est pas le cas, le
système peut être mis en grande difficulté en cas de sinistre imputable au
changement de comportement.
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Si l’aléa moral est né avec les assurances, on le retrouve aujourd’hui dans beaucoup de domaines de la vie économique et de la vie des affaires, où existent des
situations contractuelles.
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➤ Le marché du travail
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Sur le marché du travail, l’aléa moral est très présent. Dans la plupart
des contrats à durée indéterminée existe une période probatoire qui
doit théoriquement permettre au chef d’entreprise de se faire une idée
définitive sur la personne qu’il vient d’embaucher. Durant cette
période, celui ou celle auquel est promis un contrat à durée indéterminée devrait donc tout naturellement se montrer sous son meilleur
jour : ponctualité, disponibilité, etc. Pour autant, est-on certain que,
après la période probatoire et avec les garanties liées à un contrat à
durée indéterminée, le comportement de l’agent ne changera pas ? À
l’évidence, la réponse est non.
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
➤ L’entreprise
L’aléa moral est aussi très présent dans l’entreprise, tant du côté des
employés que des cadres dirigeants. Il est au cœur de la théorie de
l’agence, abordée dans le chapitre suivant. Dès 1929, F. Taylor constatait, dans The Principles of Scientific Management,
« Qu’il n’est pas rare qu’un ouvrier compétent découvre, en peu de temps,
comment travailler moins tout en donnant l’impression à son employeur
qu’il travaille beaucoup. »
De même, aujourd’hui, avec la pratique généralisée d’Internet, l’employé modèle est-il celui qui, arrivant le premier et partant le dernier,
passera une partie de son temps à surfer sur Internet pour organiser
ses prochaines vacances ? Probablement pas ; pourtant, aléa moral
oblige, il sera préféré à celui ou à celle qui, peut-être moins ponctuel,
sera moins présent au bureau, se contentant d’utiliser l’Internet au
seul intérêt de l’entreprise.
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Mais l’aléa moral ne saurait se limiter aux employés : il est très
présent aussi chez les cadres dirigeants, lorsque ces derniers ont des
objectifs (voire des intérêts) différents de ceux des actionnaires,
propriétaires de l’entreprise, ces derniers étant incapables de s’en
rendre compte. Là encore, l’asymétrie de l’information n’est pas en
reste, et il est évident que les managers disposent d’informations
inaccessibles aux tiers s’ils le souhaitent, et principalement à leurs
actionnaires. Cette asymétrie de l’information va conduire à la sélection adverse, et cette dernière va être accompagnée d’aléa moral dès
l’instant où les actionnaires seront dans l’incapacité d’évaluer le
travail fourni par les managers. À court terme, c’est l’hypothèse la
plus probable, car les décisions prises sont souvent à effet long terme.
Souvent, cet aléa moral se traduira par l’opposition entre le management, soucieux d’investir les résultats dans l’entreprise, et les actionnaires, désireux en priorité de toucher des dividendes. L’aléa moral,
pour les dirigeants, s’exprime alors dans un comportement contraire
à la mission qui leur a été confiée par le conseil d’administration,
sans que celui-ci s’en rende compte.
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Conséquence directe de l’aléa moral observé sur le marché du travail,
les salariés ne sont pas souvent rémunérés par rapport à leur contribution réelle, ce qui conduira un certain nombre d’entre eux à avoir
ce comportement, légitimé à leurs yeux par un salaire insuffisant.
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4.2 • Les conséquences des asymétries de l’information
75
c) L’opportunisme
On dira qu’il y a opportunisme d’un agent dès l’instant où cet agent
utilise l’asymétrie de l’information à son profit.
Nouveaux
concepts
O. E. Williamson, prix Nobel d’économie en 2009 pour ses travaux sur
les coûts de transaction, précise ce concept en expliquant l’opportunisme à partir de la rationalité de comportement de l’agent. Pour lui, c’est
dans la logique des choses qu’un agent rationnel tente d’exploiter à son
profit, les faiblesses d’un arrangement, fût-il contractuel. On parlera par
la suite d’opportunisme williamsonien.
2
A. Alchian et S. Woodward complètent cette explication, partant du
constat selon lequel tout contrat est source de profitabilité pour ceux qui
en bénéficient. Cette profitabilité, qu’ils assimilent à une quasi-rente, les
agents vont chercher à se l’approprier. Cette recherche d’appropriation
expliquerait l’opportunisme des agents. Cependant, quelle qu’en soit la
cause, derrière l’opportunisme se cache une volonté qui dépasse la capacité de tromper l’autre en lui confisquant l’information : cette volonté est
celle d’utiliser à son avantage tous les moyens, y compris la tricherie. On
est bien dans un aléa moral ex post. Aussi, dans l’hypothèse d’un contrat
mal rédigé, incomplet, etc., il est plus que probable que l’on constate
l’opportunisme d’un des agents.
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Exemple. Il y a opportunisme dans le cas de la sous-traitance, où celui qui
sait être le seul à pouvoir répondre à une offre dans les délais l’utilisera
pour exploiter au mieux le contrat qui le lie au demandeur.
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Parmi les facteurs favorisant l’opportunisme des agents, il faut souligner
le nombre d’acteurs participant à un marché. En effet, lorsque le nombre d’acteurs est important, l’opportunisme sera limité. À l’inverse, une
situation où le nombre de participants est faible est une situation favorable à l’opportunisme.
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De façon générale, il est très rare, voire impossible, qu’un contrat soit transparent
et parfait.Aussi le risque d’opportunisme est-il toujours présent.Enfin, vérifier que
le contrat est bien respecté, jusque dans ses détails, a un coût. C’est pourquoi on
réfléchira avant de mettre en place les structures capables de le faire.
d) La rationalité limitée
Dans le modèle de concurrence pure, le comportement des agents est
supposé totalement rationnel (cf. l’Homo economicus). Cette rationalité
totale, pure, est aussi un élément central du raisonnement, dans le cadre
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
de ce modèle. H. Simon, prix Nobel d’économie en 1978, va contester
cette approche et proposer un nouveau concept : celui de rationalité
limitée.
Pour H. Simon, deux raisons principales expliquent cette rationalité
limitée :
➤ La première tient à la nature même de l’humain, incapable selon
lui de maximiser une fonction d’utilité, du fait de son incapacité à
résoudre les problèmes de calcul qu’elle pose et de l’hypothèse sur
laquelle elle repose, à savoir celle où il n’y a pas de place pour le
hasard ou l’inconnu. De même, si l’on s’en tient à la théorie néoclassique, les acteurs économiques ont le choix parmi un nombre fini de
propositions, auxquelles individuellement est associé un revenu. Or,
il suffit que l’une de ces hypothèses ne soit pas vérifiée pour que la
rationalité chère aux néoclassiques soit mise à mal. C’est pourquoi la
rationalité sera limitée, au sens où elle ne vérifie pas l’hypothèse
néoclassique.
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l’incertitude de l’avenir dans lequel évolue l’agent : ce dernier n’a
pas, seul, la réponse aux questions qu’il se pose. Le comportement
des autres agents et leurs réactions sont autant d’éléments imprévisibles qui le conduisent à agir dans un environnement d’incertitude.
C’est pourquoi la seule certitude qu’il a est celle d’agir dans l’incertitude de l’avenir. Faute de connaître la totalité des choix possibles
liés à l’objet de sa demande, la rationalité de l’agent est limitée. Pour
autant, rationalité limitée ne signifie pas absence de rationalité. Elle
traduit seulement la situation nouvelle dans laquelle elle opère. On
n’est plus dans l’univers néoclassique avec maximisation de la fonction d’utilité, collective ou non.
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➤ La seconde tient à des facteurs environnementaux. Parmi ceux-ci,
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L’agent sait désormais que la solution qui sera sienne n’est pas la solution optimale, mais celle qui lui donne satisfaction et répond à ce qu’on
appelle l’utilité désirée. Cette rationalité nouvelle, ou rationalité procédurale, repose sur d’autres hypothèses, parmi lesquelles on retiendra
que :
➤ l’agent ne connaît pas toutes les possibilités qui s’offrent à lui ;
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➤ l’agent qui décide n’est pas en mesure d’anticiper toutes les consé-
quences de la décision qu’il prend ;
➤ l’agent ne recherche plus, systématiquement, à maximiser une fonc-
tion d’utilité qu’il ne connaît pas.
Que ce soit la sélection adverse, l’aléa moral, l’opportunisme ou la rationalité limitée, tous ces concepts font désormais partie des incontourna-
4.2 • Les conséquences des asymétries de l’information
77
bles de l’économie industrielle. Les conséquences des asymétries de
l’information sont parfois favorables aux agents, mais parfois défavorables. L’opportunisme est souvent contraire à l’éthique des affaires.
L’abus de bien social, le délit d’initié sont là pour en témoigner. De
même, la sélection adverse est contraire à l’intérêt du consommateur et
l’aléa moral nuit à l’efficacité du contrat.
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concepts
Aussi, nous allons maintenant étudier comment l’économie industrielle
entend répondre aux effets pervers générés par les asymétries de l’information, et comment il est possible d’améliorer la rationalité relative du
comportement des agents. C’est à ces problématiques que répondent la
théorie des signaux, la théorie du salaire d’efficience et la théorie des
contrats.
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La société Enron était, en 2000, le septième groupe industriel américain par le chiffre d’affaires, avec plus de 101 milliards de dollars.
À l’origine, Houston Natural Gas, rebaptisé Enron en 1989, était
spécialisé dans le commerce du gaz, pour ensuite se replacer sur le
marché de l’électricité, du charbon, de l’aluminium, de la pâte à
papier et du cuivre. Le nouveau groupe a connu une croissance rapide. Fin 2000, la Californie subit une grave crise de l’énergie et
Enron, qui avait assis sa réputation en garantissant un prix fixe de
l’électricité, va se ruiner en payant plus cher à l’achat l’électricité
qu’elle vend à un prix fixe, beaucoup moins cher. Cela conduit l’entreprise à emprunter et à placer ses dettes hors bilan, sans susciter la
moindre remarque de la part du cabinet d’audit Arthur Andersen,
qui a en charge cette société.
K. Lay, déjà à la tête de Houston Naturel Gas, est alors aux
commandes d’Enron. Officiellement, il est le seul à connaître l’état
des dettes. Il cède sa place en 2001 à J. Skillings, et vend au passage une partie des actions qu’il détient à un prix élevé. En 2001,
Skillings quitte sa place et vend pour 27 millions de dollars
d’actions qu’il détient, dont le cours est au plus haut (90 dollars). K.
Lay revient et profite de son retour pour vendre les actions qui lui
restent, engrangeant par-là même 34 millions supplémentaires de
dollars. Fait troublant, il interdit à son personnel d’en faire autant.
En octobre 2001, pour la première fois de son histoire, Enron
annonce des pertes. La SEC, équivalent de la COB française, ouvre
alors une enquête et découvre les dettes hors bilan. Le cours
2
Enron : cas d’école de l’opportunisme
78
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
s’effondre le 5 décembre : l’action ne vaut plus qu’un dollar. C’est
la ruine pour les petits actionnaires et les 12 000 retraités qui avaient
placé leur épargne, comme c’est souvent encore le cas aux ÉtatsUnis, dans des fonds de pension maison. Le 23 décembre 2001,
l’entreprise Enron est déclarée en faillite. Des millions de salariés
perdent à la fois leur emploi et leur retraite.
Le cas Enron est exemplaire de ce que peuvent permettre les asymétries de l’information, et plus particulièrement de ce qu’il a de pire
dans l’opportunisme des agents. Cet opportunisme se manifeste
d’abord ici avec la mise hors bilan des dettes de l’entreprise, avec la
complicité du cabinet Arthur Andersen, dont on découvre qu’il
travaillait aussi pour Enron. Opportunisme des agents avec la vente
de leurs actions au plus haut par Lay et Skillings, profitant de l’ignorance, par le marché, des dettes souscrites. Opportunisme toujours,
avec de surcroît le délit d’initié dont ont bénéficié ces deux dirigeants, en s’autorisant à vendre leurs actions au bon moment.
4.3 LES ALTERNATIVES
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a) La théorie des signaux
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Aussi, afin d’en limiter les effets pervers, la réflexion a naturellement porté
sur les réponses à donner à ces effets pervers, afin d’en limiter l’étendue,
à défaut de les annuler. La théorie des signaux, la théorie du salaire d’efficience et la théorie des contrats sont, parmi les réponses possibles, celles
qui nous apparaissent les plus pertinentes et les plus originales.
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Par alternatives, il faut entendre les réponses aux conséquences des
asymétries de l’information, étudiées dans la section précédente. En
effet, les concepts de sélection adverse, d’aléa moral, d’opportunisme et
de rationalité limitée sont au cœur de l’analyse des marchés imparfaits,
chère à l’économie industrielle. Avec leur prise en compte, rien ne sera
plus comme avant, et les non-bénéficiaires en sont prioritairement les
consommateurs.
Avec la sélection adverse a été mis en évidence un lien différent entre
prix et qualité. Dans la théorie néoclassique, un prix élevé – toutes
choses égales par ailleurs – est synonyme de bonne qualité. On sait
aujourd’hui que ce n’est pas toujours le cas, loin s’en faut, comme l’ont
prouvé les travaux de G. Akerlof (ne restent sur les marchés que les
produits de médiocre qualité, payés à un prix supérieur à celui attendu
par ceux qui les détiennent).
4.3 • Les alternatives
79
Vecteur d’information, le prix, dans le cadre du modèle de concurrence
pure, donne une information sur la rareté du produit offert sur le marché
et sur sa qualité. Aujourd’hui, le prix n’est plus un signal satisfaisant, dès
l’instant où on le considère comme une information aidant celui qui la
reçoit à prendre la bonne décision. Il faut donc rechercher de nouveaux
signaux dont la crédibilité sera incontestable. De cette idée est née la
théorie des signaux (ou théorie du signalement), dont le chef de file
incontesté est M. Spence, prix Nobel 2001 avec G. Akerlof et J. Stiglitz.
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Cette théorie suppose bien sûr l’authenticité du signal et, indirectement,
une hypothèse dite de compatibilité des motivations. Avec l’authenticité
du signal, on entend se protéger de celles et ceux trichant sur leur CV –
ce qui explique pourquoi il est souvent demandé au candidat ou à la
candidate de l’authentifier. L’hypothèse de compatibilité des motivations
est celle où le candidat à faible productivité est supposé n’avoir pas assez
de motivation pour poursuivre ses études, par manque d’ambition, par
exemple, ce qui le conduit à arrêter très vite ses études.
Nouveaux
concepts
Les travaux de M. Spence s’appliquent au marché du travail ; ils remontent à 1973, mais leur actualité ne se dément pas aujourd’hui. Partant du
constat que, sur ce marché, les employeurs n’ont pas d’information
parfaite sur la capacité réelle des offreurs de travail, il en conclut qu’il
n’y a plus d’équilibre possible entre la productivité marginale du travail
et le salaire, par manque de connaissance de la première. L’offreur de
travail (le candidat au marché du travail) se doit donc d’envoyer un
signal fort au demandeur, si l’on veut que l’échange soit mutuellement
avantageux pour les deux parties. Cette réflexion le conduit à distinguer
les bons et les mauvais candidats à partir d’un signal objectif : le diplôme. Ce dernier va agir comme un révélateur pour le demandeur, lui
signalant des qualités qu’il n’aurait pas pu identifier autrement. Le diplôme est ainsi porteur de l’information qui va favoriser l’équilibre entre
vendeurs et acheteurs. On dira alors que le bon candidat est signalé par
son diplôme. Appliquée sur le marché des biens et des services, cette
théorie propose un autre signal, la publicité. Elle est alors le signal de
ceux et celles qui croient au produit et/ou au service qu’ils proposent au
marché, au point d’engager, pour mieux les vendre, des dépenses publicitaires.
Certains ont critiqué cette théorie, lui reprochant d’être élitiste et de
donner une vision négative de l’éducation sur le marché du travail, ne
servant qu’à sélectionner les candidats sans améliorer pour autant l’allocation des ressources. D’autres critiques ont voulu voir dans cette théorie une source d’inefficience si l’investissement dans le signal est une
dépense qui n’augmentera pas la productivité du salarié. À ces critiques,
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
M. Spence a répondu en démontrant que, sous certaines conditions, le
signal permet d’améliorer l’allocation en ressources et que l’information
qu’il porte peut être, elle aussi, productive lorsqu’elle conclut à une décision plus efficace.
Quelles que soient les critiques et remarques faites à la démarche de
M. Spence, aucune ne remet en cause la conclusion essentielle à laquelle elle aboutit : si le prix n’est plus un signal indiscutable de la valeur
d’un bien et de l’efficacité d’une transaction, d’autres signaux existent
qui selon les cas sont des substituts de bien meilleure qualité. Sur le
marché du travail, le diplôme est l’un d’eux. De plus, on peut généraliser le raisonnement à d’autres produits et services, avec d’autres
signaux, comme par exemple la publicité, signal destiné à identifier
celles et ceux qui croient à leur produit ou au service qu’ils proposent.
La théorie des signaux est donc bien une alternative, une réponse aux
conséquences des asymétries de l’information.
La théorie des signaux n’est pas à l’origine de la sélection adverse. En revanche, la
sélection adverse, où le prix n’est pas toujours garantie de qualité, a conduit à la
théorie des signaux.
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J. Stiglitz part d’un autre constat : le salaire individualisé à un seul salarié n’est pas un indicateur de sa productivité. Il propose donc de réfléchir au moyen d’apprécier cette productivité ex ante, partant du principe
que seul l’employeur est en mesure de le faire. Pour cela, il propose de
fixer, d’entrée de jeu, un salaire supérieur à celui du marché. Ce salaire
est dit salaire d’efficience : celui qui en bénéficie est donc incité à
travailler davantage, car il sait qu’il ne retrouvera pas pareilles conditions
salariales sur le marché. De plus, avec le salaire d’efficience, on entend
également combattre l’opportunisme des agents. En effet, celui qui
bénéficie d’un salaire d’efficience, pour des raisons évidentes, n’est pas
dans une situation où son intérêt est de se livrer à l’opportunisme. Avec
le salaire d’efficience, on fait donc coup double : on favorise la productivité et on combat l’opportunisme.
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b) La théorie du salaire d’efficience
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Les théories de J. Stiglitz et de M. Spence ont été reprises dans l’étude
du chômage. En effet, le salaire d’efficience a aussi un effet pervers :
celui d’accroître le chômage du fait de l’amélioration de la productivité.
De même, avec la théorie du signalement de Spence, sont exclus du
marché ceux qui ne sont pas diplômés ou qui sont mal diplômés (diplôme non reconnu), contribuant à accroître le taux de chômage global, et
ce, quelles que soient leurs prétentions salariales.
4.3 • Les alternatives
81
Signaux manipulés et brouillage des signaux
2
Nouveaux
concepts
Dans un article référent de 1973, « Market Signaling Information in
Hiring and Related Process », Spence montre qu’un signal peut être
aussi utilisé pour brouiller l’information et la modifier à son profit.
C’est le cas lorsque le secret absolu des informations n’est plus
possible en ce qui concerne, par exemple, une nouvelle technologie.
Anticipant sur l’information de demain, l’entreprise peut considérer
alors qu’il est, pour elle, stratégique de communiquer dès aujourd’hui sur une technologie nouvelle qu’elle met au point. Cette pratique
pourra avoir l’avantage de faire patienter sa clientèle et d’éviter ainsi
qu’elle aille à la concurrence, tout en bénéficiant d’une technologie
déjà existante sur le marché. Ce type de comportement est fréquent
sur le marché de l’automobile (communication sur les voitures électriques) et sur celui des consoles de jeux (chez Sony et Samsung, par
exemple). On espère ainsi retenir des clients.
Mais les signaux peuvent être manipulés pour donner à la concurrence de fausses informations. En économie, ceci est rare ; mais,
dans le domaine militaire, si l’on élargit la théorie du signalement à
la stratégie militaire, ceci est fréquent. On a pu en constater la réalité lors de la Seconde Guerre mondiale, à l’occasion des opérations
de débarquement sur les côtes normandes.
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c) Le contrat et la théorie des contrats
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L’article fondateur de la théorie des contrats est celui de R. Coase, « The
Nature of the Firm », publié en 1937. L’auteur y propose une méthodologie de la connaissance des règles utilisées par les acteurs économiques
pour associer leurs forces respectives et les coordonner. Pour cela, il part
de la situation de deux agents et analyse les mécanismes mis en œuvre
pour mettre en synergie leur potentiel de développement. Il aboutit à une
première conclusion, à savoir que cela conduit le plus souvent à un contrat.
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Définitions et conditions de réalisation
Un contrat est défini comme un accord signé, par lequel les deux
parties s’obligent mutuellement à céder ou à s’approprier, à faire ou
à ne pas faire certaines choses. Et ce, afin de mieux coopérer pour
répondre, avec plus d’efficacité, à une concurrence. De cette synergie doit naître une réduction des coûts de production, justifiant parlà même l’existence de ces contrats.
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
Très rapidement cependant, cette théorie va dépasser le domaine d’analyse de l’article de R. Coase et se généraliser à l’ensemble des situations
mettant en présence acteurs et/ou agents économiques. On parlera alors
de contrats sociaux, s’appliquant aux relations entre deux catégories
d’agents, quelles qu’elles soient, et aussi différentes que celles constituées par les salariés et l’employeur, le producteur et le fournisseur, l’actionnaire et le manager, etc.
Avec le contrat, on va se doter de moyens de réguler le système
marchand, en proposant éventuellement des solutions contractuelles à
d’éventuels litiges. Enfin, l’environnement général dans lequel évolue
l’analyse contractuelle est celui des asymétries de l’information, où la
rationalité des acteurs n’est plus celle de la concurrence pure, mais celle
de la rationalité procédurale, où le comportement des agents procède de
la sélection adverse et de l’opportunisme.
➤ La théorie des contrats et les asymétries de l’information
Cette information imparfaite, asymétrique, a une double conséquence. Tout d’abord, l’information, et surtout l’accès à l’inforrmation des
contractants sont inégaux, avec les conséquences que cela implique
pour ce qui est du contenu du contrat. Ensuite, les contractants ne
disposent pas du même niveau, ni du même stock d’informations.
L’information devient donc une ressource inégalement répartie antre
les acteurs économiques, ce qui fait d’elle une ressource rare, ayant
un coût d’acquisition. Cela ne sera pas sans influence sur la façon
dont les acteurs économiques prendront leur décision.
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La rationalité d’un agent ne saurait être analysée en dehors du
contexte et de l’environnement social dans lesquels l’agent évolue.
C’est ce à quoi K. Arrow aboutissait dans un article consacré à la
rationalité de l’individu. H. Simon, de son côté, a précisé que la
rationalité ne saurait être totale, compte tenu de l’existence des
asymétries de l’information privant les éventuels contractants d’un
savoir universel de l’ensemble des alternatives qui, théoriquement,
s’offrent à eux. De même, conséquence toujours des asymétries de
l’information, les contractants ne sont pas en mesure de connaître la
totalité des conséquences des choix qu’ils font, ce qui les conduit à
l’incapacité de vérifier l’hypothèse néoclassique de la maximisation
de la fonction d’utilité. C’est pourquoi cette rationalité est dite limitée (ou procédurale).
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➤ La théorie des contrats et la rationalité procédurale
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Le contrat va alors apparaître comme la réponse, l’alternative à la
rationalité procédurale, en tenant compte de l’environnement temporel où il s’applique. Cet environnement temporel est celui des antici-
4.3 • Les alternatives
83
pations que l’on fait sur l’avenir. L’avenir est-il certain ? L’avenir estil risqué ? L’avenir est-il incertain ?
– Contrat et avenir incertain
C’est la pire hypothèse pour concevoir et rédiger un contrat. En
effet, l’incertitude est un obstacle à la rédaction d’un contrat parfait.
Aussi, l’objectif poursuivi ne pourra être celui des conséquences de
la décision prise, à l’exception de celles liées à l’incertitude, en les
mutualisant.
– Contrat et avenir certain
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Nouveaux
concepts
À l’inverse, si l’avenir est certain, cela facilite la rédaction du
contrat, ce dernier devant veiller à une répartition symétrique de
l’information disponible. Comme toujours, l’information a un coût.
Aussi, le contrat pourra être incitatif, permettant aux acteurs et/ou
agents en présence de bénéficier des informations dont disposent
individuellement les deux partenaires. Cela contribuera à en réduire les coûts d’accès. Dans le cas d’un avenir certain, à supposer
qu’il existe, on retrouve une autre hypothèse, celle de la rationalité
totale, parfaite pour reprendre le langage néoclassique. Le contrat
est alors une réponse à l’asymétrie de l’information, lorsqu’il
permet de réduire le coût de l’accès à l’information.
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À la différence de la situation en avenir incertain, l’avenir risqué
n’ignore pas les différentes situations possibles et les caractéristiques qui se rattachent à chacune d’entre elles. Le risque, en dehors
du contrat, est de ne pas pouvoir anticiper, asymétrie de l’information oblige, ce que sera la situation réelle (parmi celles qui restent
des situations possibles). En spécifiant les droits et devoirs de
chacun des cocontractants, qui se rattachent à chacune des possibilités identifiées, le contrat permet de pallier les conséquences de
chacune d’entre elles.
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– Contrat et avenir risqué
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Aussi, dans le cadre de la rationalité procédurale, l’alternative aux
asymétries de l’information est principalement l’hypothèse de
l’avenir incertain. Il s’agit, certes, de l’hypothèse la plus difficile
pour la rédaction d’un contrat. Le contrat à court terme sera privilégié, car il permet de mieux répondre à l’incertitude, par rapport
au contrat à long terme.
Dans la théorie des contrats, le contrat est considéré comme le moyen de réguler
le système marchand. En l’absence de rationalité parfaite, le contrat est une
réponse aux asymétries de l’information et doit tenir compte de l’environnement
temporel où il s’applique (avenir certain, incertain ou risqué).
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
➤ La théorie des contrats et le comportement des agents
Les asymétries de l’information ont des conséquences sur le comportement des agents que la théorie des contrats ne peut ignorer, à savoir
la pratique de la sélection adverse et de l’opportunisme.
La sélection adverse est la conséquence d’informations inégalement
partagées. Nous en avons vu les conséquences pour le consommateur : restent sur le marché les produits de médiocre qualité à un prix
supérieur à celui auquel ils correspondent. Le contrat va alors s’efforcer de limiter les effets pervers de cette situation, d’autant plus
que, même en l’absence d’une rationalité totale, la rationalité limitée
qui s’y rattache est suffisante pour que l’agent cherche à exploiter à
son profit le contenu du contrat. On parlera alors d’opportunisme des
agents, ou encore d’opportunisme de Williamson, nom de l’auteur
qui, le premier, a mis en évidence ce comportement.
L’analyse comportementale des agents permet de mettre en évidence
une double responsabilité du contrat. Tout d’abord, c’est le contrat
qui, par ses insuffisances, ses non-dits, favorise l’opportunisme des
agents. Mais c’est aussi au contrat de veiller à encadrer cet opportunisme et d’en limiter les effets pervers.
Les solutions proposées dans le cas des contrats à court terme
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On étudiera ici les solutions proposées pour répondre aux conséquences
des asymétries de l’information, en privilégiant l’hypothèse d’un avenir
incertain, hypothèse la plus fréquente, afin de limiter, voir d’annuler
l’opportunisme des agents.
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Combattre l’opportunisme des agents, c’est veiller à la bonne exécution d’un contrat signé. La théorie des contrats retient différents
moyens pour éviter cet opportunisme ; parmi les principaux, citons :
la surveillance, les incitations et la rupture.
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➤ Les alternatives contractuelles à l’opportunisme des agents
– La surveillance
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La surveillance doit permettre de détecter les manquements au
respect du contrat et les comportements opportunistes des agents.
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Le contrat doit donc comporter des clauses permettant de mettre en
place des mécanismes de surveillance, voir une organisation interne qui aura la fonction de superviseur, par exemple. Comme il n’y
a pas de surveillance possible sans sanction opposable à ceux ou
celles dont le comportement n’est pas conforme aux termes du
contrat, le contrat devra donc prévoir les différentes sanctions
applicables en cas de manquement. La mise en place de mécanis-
4.3 • Les alternatives
85
mes de surveillance a donc un coût mais, en cas d’opportunisme
avéré, il apparaîtra dérisoire par rapport aux incidences financières
de cet opportunisme.
– L’incitation
À l’opposé de la surveillance, l’incitation a pour objet de veiller au
bon respect du contrat, en l’associant à une prime, à une rémunération incitant les agents à coopérer.
Nouveaux
concepts
Dans un environnement d’information parfaite, d’avenir certain, les
mécanismes d’incitation financière sont relativement faciles à
imaginer et à mettre en place. On pourra, par exemple, préciser
dans le contrat si l’on veut lier la rémunération au respect des engagements, ce qui conduira les contractants à bien en préciser les
conditions.
2
Plus difficile est la situation d’un univers d’incertitude, compte
tenu que l’incertitude concerne aussi les résultats financiers de l’entreprise. Il ne servira alors à rien de préciser qu’en cas de respect
du contrat un certain pourcentage du bénéfice sera destiné à ceux
et à celles qui y ont participé, s’il n’y a pas de bénéfice. L’effet
pourrait même être contraire et inciter à l’opportunisme.
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Enfin, l’incitation pourra également prendre la forme d’avantages
financiers contractualisés, incitant l’agent à ne pas prendre le risque
de perdre son emploi en cas d’opportunisme avéré. On retrouve ici
l’idée de J. Stiglitz et du salaire d’efficience. En proposant des
avantages financiers supérieurs aux normes du marché, on espère
ainsi inciter les agents à ne pas prendre le risque de perdre un
emploi qu’ils ne retrouveront pas ailleurs.
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La rupture du contrat est la dernière alternative contractuelle face à
l’opportunisme des agents. Dans le cas général, tout contrat prévoit
toujours les conditions de rupture mettant fin à son application.
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– La rupture
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L’hypothèse de rupture vise à encourager les parties contractantes
à respecter les engagements en dehors de tout opportunisme, ce qui
conduit à réfléchir sur l’efficacité de cette hypothèse. Lorsque les
investissements réalisés sont des investissements spécifiques et, par
conséquent, non réutilisables dans d’autres activités, les contractants essaieront d’éviter à tout prix d’avoir à se trouver dans cette
situation, désastreuse sur le plan financier. De même, pour que
cette hypothèse de rupture joue pleinement son rôle, il faut qu’elle
donne lieu, en cas de réalisation, à des dépenses plus importantes
que celles induites par la continuité du contrat même en cas d’op-
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
portunisme. Prévoir la rupture et les conséquences qui l’accompagnent – sur le plan financier, plus particulièrement –, c’est donc
inciter à ce que l’un des deux contractants ne soit pas en mesure de
l’imposer à l’autre. Il s’agit donc d’utiliser le contrat, et les conditions de rupture qui y sont associées, pour éviter un comportement
opportuniste des agents.
➤ Les alternatives contractuelles face aux risques
Face aux risques, le comportement des acteurs pourra être différent.
Certains choisiront la voie de la prudence, pendant que d’autres
accepteront la prise de risques, sachant qu’elle s’accompagne d’une
espérance de gain supérieure à celle du comportement prudentiel.
La réalité contractuelle industrielle est celle des contrats signés avec
des acteurs économiques qui n’ont nécessairement la même attitude
face au risque. Certains préféreront une rémunération garantie, mais
plus faible que celle potentielle, plus importante, reposant sur des
résultats à venir. Le contrat pourra alors prévoir des clauses d’assurance réduisant les conséquences du risque pris en cas de résultats
médiocres.
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Autre alternative possible : celle qui consiste à mutualiser les risques,
en cas de non-respect du contrat. Cela conduit alors à mutualiser
également les résultats et bénéfices en les partageants. Il reste ensuite à préciser la clef du partage : ce pourra être, par exemple, la part
du risque supportée par chacun.
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Pour autant, les clauses d’assurances devront veiller à ne pas renforcer l’aléa moral et conforter l’opportunisme éventuel des cocontractants. Souvent, un système à double rémunération, distinguant une
partie fixe et une partie variable liée aux résultats, pourra être un bon
compromis.
Les contrats incitatifs
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Afin de réduire les conséquences d’un aléa moral éventuel, certaines activités, de plus en plus nombreuses, proposent des contrats
incitatifs (ou d’objectifs), liant la rémunération à la performance
réalisée. Les incitations sont essentiellement d’ordre financier et
leur objet est double : améliorer la productivité en favorisant la créativité et la motivation, et combattre l’opportunisme des acteurs
économiques en s’assurant de leur loyauté.
Ces contrats incitatifs peuvent prendre différentes formes : rémunération en fonction des résultats, salaire à la pièce, commissions sur
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Points clefs
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Nouveaux
concepts
ventes, intéressement aux bénéfices, distribution d’actions, primes,
etc. Depuis une dizaine d’années, la pratique des stocks options est
une forme originale d’incitation. À l’origine, les bénéficiaires
(cadres dirigeants exclusivement) recevaient des actions de leur
entreprise, placées dans un portefeuille dont ils pouvaient disposer
seulement lors de leur départ de l’entreprise. Les contrats incitatifs
sont aussi, aujourd’hui, très développés chez les sportifs professionnels, notamment dans le monde du football.
Enfin, ces contrats ont aussi des effets pervers, voire choquants,
comme celui de faire bénéficier un cadre dirigeant, remercié pour
insuffisance de résultats, d’un portefeuille d’actions important lors
de son départ. Ou encore celui de ne prendre en considération que
les résultats financiers bénéficiaires comme objectifs. Un bon dirigeant est aussi celui qui, dans des circonstances difficiles, aura su
minimiser les pertes.
POINTS CLEFS
➤ Les asymétries de l’information remettent en cause le fonctionne-
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ment efficient du modèle de concurrence pure, en montrant que l’hypothèse de transparence des marchés n’est plus respectée.
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➤ G. Akerlof et son « Market for “Lemons” » vont montrer les conséSC
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quences des asymétries de l’information.
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conséquences, peut se résumer ainsi : les mauvais produits chassent
les bons produits du marché, et le prix n’est plus un indicateur de la
qualité du bien offert sur le marché.
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➤ La sélection adverse (ou anti-sélection), qui est la première de ces
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➤ L’aléa moral, autre conséquence des asymétries de l’information, se
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définit comme toute modification du comportement d’un des deux
contractants, contraire à l’intérêt général du contrat, dans le but de
privilégier son intérêt personnel.
➤ L’opportunisme, troisième conséquence de ces asymétries, revient à
les utiliser à son profit, sans hésiter à avoir recours à la tricherie si
nécessaire.
➤ Dernière conséquence, la rationalité limitée. On doit ce concept à H.
Simon.Il s’oppose à la rationalité pure et totale de l’agent économique
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
Homo economicus. Cette rationalité limitée ne veut pas dire absence
de rationalité, mais traduit le fait des asymétries de l’information.
➤ Des réponses aux conséquences des asymétries de l’information exis-
tent : théorie des signaux, théorie du salaire d’efficience et théorie des
contrats.
➤ La théorie des signaux (ou théorie du signalement) entend proposer
un autre signal que le prix, en partant du principe que les asymétries
de l’information ne permettent plus de l’utiliser. M. Spence va appliquer cette théorie au marché du travail, en faisant du diplôme un
signal destiné à l’entreprise qui embauche.
➤ Le salaire d’efficience, ce salaire supérieur au marché, est une réponse
au risque d’aléa moral, consécutif au contrat du travail signé
(J. Stiglitz).
➤ La théorie des contrats propose d’intégrer, dans la rédaction d’un
contrat, des règles écrites permettant de réduire les conséquences
négatives des asymétries de l’information.
EXERCICES
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1) Une compagnie d’assurances chargée d’assurer le risque d’incendie
dispose des informations suivantes : la probabilité d’avoir un sinistre est
de 1/10 pour ce que l’on qualifiera de bons risques (ceux qui ont la
probabilité la plus faible de connaître ce risque). Ceux qui, au contraire,
ont une probabilité plus forte (mauvais risque), ont une probabilité égale
à 1/5. En supposant que la proportion des assurés considérés comme
faiblement exposés est identique à celle ayant une probabilité plus forte,
déterminer tout d’abord la prime d’assurance minimum que devra fixer
la compagnie d’assurances, considérant que cette dernière doit faire face
à un nombre moyen d’accidents. Cette prime est-elle capable de répondre aux attentes des bons et des mauvais assurés ? On précise qu’en cas
de sinistre, la compagnie devra rembourser une somme forfaitaire de
3 000 €.
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Questions :
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2) Le pourboire est-il un mécanisme qui permet de distinguer, dans le
cadre d’un restaurant, les bons et les mauvais serveurs ?
3) Deux catégories de salaires sont présentes dans une entreprise. Tout
d’abord, ceux à forte productivité, qui peuvent produire 60 € de valeur
à l’heure ; ensuite, ceux à faible productivité, où la production par heure
Solutions
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est de 20 €. Sachant que le pourcentage d’employés à forte productivité est de 25 %, quelles conclusions tirer quant au fonctionnement de ce
marché du travail ?
4) Quelles sont les différences et les complémentarités entre la théorie du
signalement et la théorie du capital humain ?
5) Préciser ce qu’il faut entendre par aléa moral ex ante et aléa moral ex
post. Entraînent-ils les mêmes conséquences ?
Nouveaux
concepts
SOLUTIONS
1) Étant donné que la répartition entre bons risques et mauvais risques
est de 50/50, et connaissant la probabilité pour chacun d’entre eux, on
peut calculer la prime qui annule l’espérance de perte. Soit encore :
2
E p = 0,5(1/10 × 3 000) + 0,5(1/(5)x 3 000) = 450 €
Avec cette prime à 450 €, l’assureur équilibre ses comptes à long terme.
En appliquant ce raisonnement aux assurés, l’assuré « bon risque » a
une espérance de perte égale à 3 000/10 = 300 € et l’assuré « mauvais
risque » a une espérance de part égale à 3 000/5 = 600 €.
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2) Le restaurateur, lorsqu’il engage des serveurs, ne peut distinguer
d’emblée les bons des mauvais serveurs. Par contre, il sait que de
mauvais serveurs vont mettre à mal sa réputation. L’idéal, pour lui, est
de n’attirer que des bons serveurs. Pour cela, il doit proposer un salaire
au moins égal, voir supérieur à celui du marché. Mais, afin d’éviter les
mauvais serveurs, il doit décomposer leur rémunération en une part fixe
et une part variable, liée au nombre de tables servies dans la journée par
exemple, et reposant sur le pourboire. Seuls resteront alors sur le marché
les bons serveurs, dès l’instant où la part du salaire fixe est suffisamment
basse.
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Compte tenu de la prime de 450 €, les « bons risques » ne vont pas s’assurer, sauf ceux pour lesquels le risque individualisé, sera estimé supérieur à 450 €. Par contre, les « mauvais risques » vont s’assurer.
3) Partant du principe selon lequel les employeurs ne peuvent distinguer
les bons et les mauvais salariés, la pratique salariale est celle d’une
rémunération unique. Elle sera alors calculée à partir de la moyenne
pondérée entre la valorisation heure des salariés à forte productivité et la
valorisation heure des salariés à faible productivité. Soit encore :
0,25 (60) + 0,75 (30) = 375 €
Chapitre 4 • L’économie de l’information et les asymétries de l’information
À ce salaire, les salariés les moins productifs sont gagnants (20 € de
valorisation horaire pour un salaire de 37,50 €). Ils sont donc surpayés,
ce qui n’est pas le cas des salariés à forte productivité, qui ont une valorisation heure de 60 € pour un salaire de 37,50 € / heure. Ils risqueront
alors de refuser le poste de travail au profit des salariés à faible productivité.
4) Les liens entre éducation et revenu sont réels. Plusieurs théories se
sont appliquées à en préciser la nature, comme par exemple celles de
Denison. La plus aboutie de ces théories est celle du capital humain, qui
analyse la relation entre la croissance et le niveau d’éducation, grâce aux
conséquences du niveau de la formation sur la productivité. Si la théorie
du signalement reconnaît, elle aussi, un rôle central à l’éducation, elle
postule cependant une hypothèse forte, non reprise dans la théorie du
capital : celle des asymétries de l’information.
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5) Par aléa moral ex ante, particulièrement présent dans le secteur des
assurances, l’assuré est supposé ne pas faire de prévention, du fait même
qu’il est assuré, entraînant par conséquent une augmentation du risque
couvert par l’assurance. Par aléa moral ex post, on analyse cette fois-ci
le comportement de l’assuré : il peut rechercher le sinistre dans le seul
but d’être indemnisé à un prix supérieur au marché, mais il peut aussi ne
pas rechercher le meilleur prix pour la réparation du dommage. Dans ces
deux cas, l’aléa moral se confond avec l’opportunisme.
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CHAPITRE
5
Contribution de
l’économie industrielle
à l’analyse
des marchés
OBJECTIFS
➤ Découvrir la théorie des coûts de transaction, la théorie de l’agence et
la théorie des droits de propriété.
➤ Comprendre les conséquences de ces théories sur l’analyse des
marchés.
➤ Aborder l’analyse des marchés sous un angle nouveau.
PLAN
5.1 Les coûts de transaction
5.2 La théorie des droits de propriété
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On ne peut pas comprendre la théorie des coûts de transaction si l’on ne
rappelle pas les principes qui président à la définition de la firme standard dans le cadre de la théorie néoclassique. Selon cette approche, les
coûts de production sont une donnée et il existe un prix du marché, prix
d’équilibre et unique. Pour l’entreprise, le prix est price taker, et la seule
marge de manœuvre concerne le choix des facteurs de production.
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LES COÛTS DE TRANSACTION
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5.1
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5.3 La théorie de l’agence
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Il faudra attendre R. Coase, en 1937, pour rappeler que, si les transactions se réalisent par un système de prix, l’utilisation de ce système de
prix a un coût, contrairement à l’hypothèse néoclassique. Ce coût est le
coût de transaction.
Avant R. Coase, A. Smith, et surtout D. Robertson, s’étaient interrogés
sur les rôles du marché et de la coordination exercée par le système de
prix ; mais aucun ne proposait d’éléments capables d’expliquer cette
coordination.
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
a) La contribution de R. Coase
Pourquoi créer une entreprise ? À cette question simple, R. Coase
répond qu’il est avantageux de créer une entreprise parce que l’utilisation du mécanisme de prix a un coût, contrairement à l’enseignement
néoclassique.
Ces coûts ont une double origine. Tout d’abord, utiliser le marché suppose qu’à chaque transaction soit associé un contrat, et la rédaction de ces
contrats a un coût ; ensuite, la recherche sur un marché du prix le plus
pertinent a également un coût.
L’entreprise va permettre d’internaliser un certain nombre de ses transactions, réduisant le coût de rédaction du contrat en le limitant à celui ou
ceux qui ont survécu à l’internalisation, et en limitant les dépenses liées
à la recherche de prix pertinents, et ce pour les mêmes raisons. Dès lors,
on pourra dire que l’entreprise représente la constitution d’un contrat à
long terme, remplaçant une série de contrats à court terme.
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Dans son article de 1937, R. Coase insiste plus particulièrement sur le
fait que les transactions ne peuvent se réaliser qu’à partir d’un marché et
du système de prix auquel il est associé. L’utilisation de ce système a un
coût, qui a différentes origines. Tout d’abord, ce coût est celui de toute
négociation, mais aussi de la surveillance de l’exécution des termes du
contrat, de la transaction. Enfin, il représente également la conséquence
du temps passé et des dépenses engagées (dépenses publicitaires par
exemple) pour trouver le meilleur prix. Tous ces coûts constituent les
coûts de transaction.
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Par voie de généralisation, on peut définir les coûts de transaction
comme l’ensemble des coûts engendrés par la coordination, quelle
que soit la nature de ces coûts.
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C’est pourquoi toutes les transactions, selon R. Coase, ne donnent pas
lieu à un marché. L’existence d’entreprises se justifie alors par la volonté de limiter ces coûts, en imposant leur coopération. Mais la contribution ne s’arrête pas là, puisque la réflexion de cet économiste porte aussi
sur le choix de la meilleure institution économique, celle qui permettra
d’économiser sur ces coûts. Parmi les institutions possibles, le marché
bien sûr, mais aussi le contrat, le recours à l’État, le recours à une organisation hiérarchique, etc. La réponse dépend alors de la comparaison
entre les coûts de fonctionnement, de gestion, de transaction.
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La figure 5.1 reprend l’ensemble des hypothèses et les conséquences
auxquelles elles aboutissent quant au choix de l’institution et de l’organisation.
5.1 • Les coûts de transaction
93
Arbitrage entre le marché
et l’entreprise
Marché
(échange traditionnel)
Nouveaux
concepts
Le choix de l’entreprise se justifie
si les coûts de fonctionnement de
l’entreprise, ou coût de gestion,
sont inférieurs au coût de
transaction. C'est ce qui justifie,
pour R. Coase, son existence.
L'intégration verticale est aussi
une forme d’internalisation des
externalités.
2
Le recours au marché se justifie
si les coûts de transaction y sont
inférieurs, par exemple, à ceux
de l’entreprise (coût de gestion).
C’est la comparaison entre coût
de transaction et coût de gestion
qui décidera donc du choix entre
marché et entreprise.
Entreprise
(internalisation)
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L’intervention de l’État se justifie
pour deux raisons.
1) l’existence de coûts de
transaction condamnant
l’efficience paretienne.
2) l’existence de coûts de
transaction inférieurs à tous
ceux engendrés par d’autres
solutions.
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Intervention de l’État
Figure 5-1 Les différents recours possibles pour une entreprise
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
b) Les prolongements : l’apport d’O. E. Williamson
O. E. Williamson va reprendre et théoriser les travaux de R. Coase. Point
de départ de son raisonnement : l’idée que toute transaction économique
entraîne des coûts préalables à leur réalisation, justifiant la raison d’être
de l’entreprise par la recherche d’économies sur ces coûts, appelés coûts
de transaction. Cette idée le conduit à distinguer les coûts de transaction
ex ante et les coûts de transaction ex post.
Par coûts de transaction ex ante, il faut entendre tous les frais,
toutes les dépenses liées aux activités amont précédant la signature
du ou des contrats. Ces coûts ex ante sont imputables à la négociation et à la rédaction du contrat matérialisant l’accord. Plus les
marchandises et les services concernés par ces contrats sont standards, donc à faible contenu informationnel, plus ces coûts seront
faibles.
Par coûts de transaction ex post, il faut comprendre ceux
correspondant aux coûts d’administration, de gestion et de
surveillance mis en place pour veiller au bon respect des clauses
contractuelles et pour couvrir les différents aléas susceptibles de
survenir dans l’exécution des contrats. Cela concerne éventuellement aussi les conditions de leur renégociation.
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La forme organisationnelle, permettant la minimisation de l’ensemble de
ces coûts, sera celle retenue par l’entreprise.
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Pour O. E. Williamson, le choix entre les différentes formes organisationnelles alternatives doit se faire à partir de l’analyse comparée de
leurs coûts de transaction. C’est une condition nécessaire, déjà analysée
par R. Coase, mais ce n’est pas une condition suffisante. Ce qui distingue O. E. Williamson de Coase, c’est qu’il y ajoute les trois attributs
suivants : la rationalité limitée, l’opportunisme et la spécificité des
actifs. Un système d’organisation optimal doit favoriser les échanges en
tenant compte de ses attributs. L’économie des coûts de transaction est
aussi celle de la détermination d’une organisation de régulation, qui
minimise les coûts de transaction.
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Les formes organisationnelles alternatives
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➤ Les coûts de transaction et la rationalité limitée
L’environnement des contractants est celui d’une rationalité limitée,
de par son incapacité à résoudre tous les problèmes de langage et de
calcul auxquels il doit faire face, et aussi celui d’un avenir incertain
– l’acteur économique effectuant un ensemble de transactions parmi
5.1 • Les coûts de transaction
95
beaucoup d’autres. Il est donc impossible de prévoir à l’avance tous
les cas de figure possibles et toutes les solutions éventuelles qui s’y
rattachent.
Les contrats signés ne pourront donc être qu’incomplets, constituant
une source de conflit éventuel. O. E. Williamson en tire alors une
conclusion qui est de rechercher d’autres formes organisationnelles,
économisant sur les dépenses ex ante consécutives à la rationalité
limitée. Le recours à l’entreprise permet non seulement de faire
l’économie des coûts de transaction, mais aussi de l’opportunisme.
Nouveaux
concepts
➤ Les coûts de transaction et l’opportunisme
O. E. Williamson attache beaucoup d’importance à cet attribut. Ne
parle-t-on pas d’opportunisme williamsonien ? Il le définit non seulement comme la recherche de son intérêt personnel, mais aussi le
recours à la tricherie, où à la ruse, si nécessaire pour y parvenir.
2
Si le contrat prête à ambiguïté – ce qui est souvent le cas dans un
environnement incertain –, il est plus que vraisemblable que l’un des
contractants cherchera à l’exploiter à son profit. Il faudra donc
rechercher une autre organisation que le contrat.
➤ Les coûts de transaction et la spécificité des actifs
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Aussi, cet actif sera fortement déprécié si on l’utilise dans des activités auxquelles il n’était pas, à l’origine, destiné. En comparant la
fréquence des transactions et la spécificité des actifs, O. E.
Williamson démontre que plus la spécificité est forte et la fréquence
élevée, plus l’alternative organisationnelle est celle de l’intégration
de l’activité de l’entreprise, et non celle du marché. Ce dernier est la
conséquence, et non le marché, d’une spécificité faible des actifs et
d’une fréquence de leur utilisation qui ne l’est pas moins. C’est pourquoi la théorie des coûts de transaction est aussi à l’origine d’une
nouvelle explication de l’intégration verticale.
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La spécificité des actifs se définit comme la caractéristique d’un
input à n’être utilisable que dans la production d’un bien ou d’un
service particulier.
L’intégration verticale et la théorie des coûts de transaction
En cas d’avenir incertain et en présence d’actifs spécifiques, le marché
présente d’importants coûts de transactions qui seront amplifiés si la
fréquence des transactions augmente. C’est pourquoi O. E. Williamson,
lorsque toutes les hypothèses sont réunies, propose comme forme organisationnelle celle de l’intégration verticale. Cette dernière sera d’autant
plus optimale que les transactions seront très fréquentes et les actifs très
spécifiques.
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
Si l’on compare cette solution aux autres formes de coordination que
propose le marché, elle est la seule capable de minimiser les coûts de
transaction. En effet, compte tenu de la recherche d’une plus grande efficacité, la réponse à la présence d’actifs spécifiques et/ou à un nombre
élevé de transactions ne peut être à l’évidence le marché.
Bien sûr, le recours à la théorie des coûts de transaction n’est pas la seule
explication à l’intégration verticale. L’existence d’externalités, positives
et/ou négatives, peut elle aussi la justifier, tout comme les imperfections
du marché. Elle contribue simplement à les enrichir.
Pour beaucoup d’auteurs, le progrès technique, en contribuant encore
davantage à la spécification des actifs, contribue indirectement à l’intégration verticale. Par contre, les NTIC (nouvelles techniques d’information et de communication) contribuent à l’effet inverse, avec des possibilités de connexions plus ouvertes, plus transversales aussi, et à des
coûts sans cesse décroissants, ce qui contribue à améliorer la flexibilité
des opérations et à rendre désormais possibles toutes les formes d’arrangement contractuel dans le secteur des prestations de service. Cette théorie présente donc un bilan empirique réel, ce qui ne saurait taire ses limites et faire oublier les critiques dont elle est l’objet.
Chez R. Coase et O. E. Williamson, les coûts de transaction ne sont pas tout à fait
les mêmes. Chez R. Coase, ils sont liés au coût de fonctionnement du marché, alors
que chez O. E. Williamson, ils sont liés à une transaction économique.
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Parmi les travaux récents sur les coûts de transaction, certains insistent
plus particulièrement sur les limites de cette théorie.
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c) Critiques et limites de la théorie des coûts
de transaction
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La contribution de H. Demsetz
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La principale critique de H. Demsetz concerne les coûts d’information
et de gestion, négligés selon lui par R. Coase et O. E. Williamson.
Il insiste plus particulièrement sur l’importance du coût de gestion,
rappelant que c’est de sa comparaison avec les coûts de transaction que
va dépendre la décision de recourir, ou non, au marché, et de créer, ou
non, l’entreprise.
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De plus, dans l’hypothèse où les coûts de gestion s’accompagnent d’économies d’échelle, même si les coûts de transaction sont faibles, voire
nuls, il sera logique de garder l’entreprise comme mode organisationnel,
et d’augmenter sa taille si besoin. L’important est de pouvoir accéder à
5.1 • Les coûts de transaction
97
la connaissance de l’évolution des coûts de gestion par rapport au coût
de transaction.
Nouveaux
concepts
Enfin, il propose d’introduire un nouveau concept, le « savoir-faire »,
auquel est associé un coût qui regroupe les dépenses afférentes à la
production, à l’utilisation de son outil et à son entretien. Au fur et à
mesure que l’entreprise croît en taille, le coût du savoir-faire augmente,
ce qui peut constituer un frein à sa croissance. Avec l’intégration verticale, ce coût va encore augmenter, pouvant remettre en cause la stratégie
d’intégration. Comme on peut le constater, l’entreprise ne doit alors plus
vie et survie à la seule connaissance des coûts de transaction qui s’y
rattachent.
La contribution de P. R. Milgrom et J. Roberts
2
Leurs critiques portent sur les coûts de négociation trop négligés par les
auteurs, et sur les coûts d’organisation traités de façon trop incomplète. Pour eux, les coûts de négociation sont déterminants dans l’arbitrage
entre marché et intégration verticale. Si les coûts de négociation sont
nuls, ou quasi nuls, il n’y aura pas de véritable choix et l’arbitrage se fera
nécessairement en faveur du marché.
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En ce qui concerne les coûts d’organisation, ils ne sauraient se résumer
aux seuls coûts d’organisation marchands. Pour ces auteurs existent des
coûts d’organisation non marchands, qu’ils appellent coûts d’influence.
Ces coûts sont, par exemple, la conséquence d’une mauvaise utilisation
de l’autorité hiérarchique, suite à des tentatives de manipulations de cette
autorité. Elles concernent celles et ceux qui, à l’intérieur de la structure,
cherchent à influencer la gouvernance de l’entreprise pour en obtenir des
avantages d’intérêt personnel. De tels comportements, malheureusement
fréquents dans l’entreprise d’aujourd’hui, nuisent à l’efficacité de l’entreprise, comme alternative au marché, ce qui peut entraîner la remise en
cause du processus d’intégration verticale.
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La non-prise en compte du temps et du progrès technique
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La théorie des coûts de transaction est une théorie du court et du moyen
terme. Aussi, la contribution à l’analyse de l’évolution du processus
d’intégration verticale, processus de long terme, ne peut être que très
relative.
En particulier, cette théorie qui ne prend pas en compte le progrès technique ne peut répondre à la question fondamentale de savoir si l’intégration verticale, à long terme, sera favorable ou défavorable. En réduisant
le progrès technique et son évolution à une simple donnée, on oublie que
le progrès technique est d’abord un processus de création, en lien avec
les changements institutionnels.
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
L’analyse aboutit donc à un équilibre statique, alors que l’entreprise
évolue dans un environnement dynamique. Certes, en prenant en compte la spécificité des actifs, on n’ignore pas totalement le progrès technique, mais on le cantonne et on le limite à son rôle dans l’échange,
oubliant sa contribution majeure au processus de production.
Comme on peut le constater, personne aujourd’hui ne conteste l’existence de
coûts de transaction. L’intérêt de la démarche de O. E. Williamson est d’avoir, plus
que d’autres auteurs, intégré à sa réflexion les facteurs d’influence qui les concernent et, parmi eux, ceux qui sont la conséquence du comportement des agents et
ceux qui tiennent à la nature même des transactions.
Les comportements opportunistes et les limites de la rationalité caractérisent les premiers. Ils contribuent à renchérir les coûts de production
et expliquent, peut-être par défaut, pourquoi internaliser les transactions
au sein d’une structure d’entreprise de plus en plus importante est la
réponse.
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La théorie des coûts de production explique non seulement pourquoi
l’entreprise est préférée au marché comme institution, mais insiste également sur la logique de constituer des entreprises de plus en plus grandes,
transformant les marchés concurrentiels en marchés oligopolistiques.
Notons cependant que, si l’entreprise réduit les coûts de transaction
imputables au fonctionnement des marchés, elles ne les annulent pas
totalement. Seule condition permissible de l’annulation, celle de l’existence d’une seule entreprise. R. Coase, dès 1937, avait déjà répondu à
cette hypothèse en montrant combien elle était irréaliste.
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L’existence d’actifs de plus en plus spécifiques, dans un environnement
où l’incertitude est la règle, conforte ce mouvement et explique l’existence d’entreprises de plus en plus importantes, avec la création de
consortium.
La nouvelle économie institutionnelle
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Pour les tenants de ce courant de pensée, on parle aussi de « néoinstitutionnalisme » : cette appellation regroupe un ensemble de
courants de pensée ayant contribué au renouvellement de l’analyse
économique des institutions, dont les premiers travaux ont été ceux
des institutionnalistes américains du début du XXe siècle, T. Veblen
et J. R. Commons, principalement.
Cette école de pensée regroupe un ensemble d’économistes s’interrogeant sur le rôle joué par les institutions dans le domaine économique, et plus particulièrement dans celui de la coordination éconouh
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5.2 • La théorie des droits de propriété
99
2
Nouveaux
concepts
mique. C’est à partir des années 1970 que cette école va véritablement émerger sous l’impulsion de R. Coase, d’O. E. Williamson et
de D. North. En 1997, ils fondent la société internationale pour la
nouvelle économie.
Les institutions, définies comme l’ensemble des règles et des
normes qui encadrent et régulent les comportements des acteurs
économiques, ont aussi comme objet de permettre une meilleure
coordination de leurs actions, afin d’optimiser au mieux leur résultat. L’environnement institutionnel et les arrangements institutionnels sont les deux domaines abordés dans la nouvelle économie
institutionnelle.
Même si cette école de pensée constitue un ensemble hétérogène,
regroupant des approches pour le moins différentes, celles-ci traduisent cependant une problématique commune : celle de la prise en
compte de l’environnement institutionnel dans l’étude de l’activité
économique. Alors que l’économie politique, que l’on va appeler
par la suite « science économique », s’identifiait à la seule analyse
de l’activité économique (mécanisme de fixation des prix, structures de marché, etc.), l’économie institutionnelle va privilégier l’étude des règles institutionnelles et des institutions au sein desquelles
l’économie évolue, se situant ainsi en amont du processus. Pour
cela, l’approche historique de l’organisation économique, chère à
D. North, va venir enrichir les approches habituelles.
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L’approche économique des droits de propriété privilégie une approche à partir des droits qui lui sont attachés. Cette théorie est devenue, au
cours du temps, une théorie partie prenante du droit de propriété et de
son analyse. Elle s’intéresse aux conséquences économiques de la
propriété et reprend les différentes formes institutionnelles auxquelles on
l’associe.
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5.2 LA THÉORIE DES DROITS DE PROPRIÉTÉ
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Théorie récente, remontant aux années 1960, dans la mouvance des
travaux de R. Coase, elle se prolonge ensuite avec les contributions d’A.
Alchian, d’H. Demsetz, d’H. Manne, de S. Cheung, d’E. Furubotn, de S.
Pejovich et de L. de Alessi.
Ces auteurs, d’origines très diverses, tantôt économistes, tantôt juristes,
vont à partir du Journal of Law and Economics nourrir une réflexion
permettant une analyse théorique pluridisciplinaire des droits de propriété. Point de départ la différenciant de l’approche juridique : le fait que
tout échange, quels qu’en soient la forme et le contenu, se traduise
100
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
comme un échange de droit de propriété sur des biens ou des services.
Si l’on s’en tient à l’approche juridique, rappelons que trois attributs
caractérisent le droit de propriété :
➤ l’usus, ou droit d’utiliser ;
➤ le fructus, ou droit d’en tirer un revenu ;
➤ l’abusus, ou droit de céder à un tiers.
Ces trois attributs vont être repris, mais cette fois-ci sous l’angle économique, mettant en valeur :
➤ un droit socialement reconnu pour identifier les usages d’un bien
économique (voir les travaux de B. Coriat et O. Weinstein) ;
➤ un droit assigné à une personne, morale ou physique, aliénable
contre des droits similaires sur d’autres biens (voir les travaux
d’A. Alchian et S. Woodward) ;
➤ un droit à consommer, à obtenir un revenu, à aliéner biens ou actifs,
soumis à ce droit.
L’accent est plus particulièrement mis ici sur le droit au rendement résiduel (droit au profit) et sur le droit au contrôle (droit de prendre toute
décision concernant l’utilisation des actifs).
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Nous avons déjà souligné l’importance des travaux de R. Coase et de sa
contribution à la théorie des coûts de transaction. Concernant la théorie
des droits de propriété, ses apports ne sont pas moins importants, bien au
contraire. Avant de préciser ce que l’on va appeler le « théorème de
Coase », voyons tout d’abord dans quel cadre d’analyse il évolue.
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a) Une contribution référente : l’analyse de R. Coase
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Le cadre conceptuel d’analyse et les différentes formes
de propriété
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La théorie des droits de propriété est d’abord une approche de l’analyse
économique du droit de propriété évoluant dans un environnement
précis. Tout d’abord, les personnes et acteurs concernés sont considérés
comme des agents néoclassiques, à la rationalité parfaite, supposés
maximiser leur fonction d’utilité sous les contraintes imposées par le
système économique et les droits qui y sont associés. C’est donc au
marché qu’il appartiendra de révéler les préférences des acteurs.
Cette analyse constate l’existence d’informations et de coûts de transactions non négligeables. On est loin du modèle néoclassique de concurrence pure et parfaite : ceci se vérifie plus particulièrement dans le cas
d’une entreprise dirigée par un directeur général salarié. Deux questions
5.2 • La théorie des droits de propriété
101
viennent immédiatement alors à l’esprit. La première concerne les
options prises par le manager salarié : sont-elles conformes (ou non) aux
souhaits du ou des propriétaires. La seconde concerne toujours les choix
pris : ont-ils été faits, ont-ils été pris dans l’intérêt de ces derniers ?
La réponse à ces questions oblige à ne plus considérer l’entreprise
comme une seule unité indivisible, mais bien comme un ensemble de
droits associés à des personnes, poursuivant leur intérêt propre, qui ne
sera pas nécessairement celui de l’ensemble.
Nouveaux
concepts
Selon E. Mackay et S. Rousseau, on distingue pas moins de cinq approches de la propriété, associées chacune à un droit spécifique, et pour
lesquelles l’usus, le fructus et l’abusus ne sont pas nécessairement entre
les mains de la même personne. Ce qui complique le schéma et l’analyse, c’est aussi que ces auteurs distinguent la propriété privée, la propriété communautaire, la propriété collective, la propriété mutuelle et la
propriété publique.
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La propriété privée se définit par l’existence d’un droit sur actif socialement reconnu, attribué à un individu et aliénable par l’échange.
La propriété communautaire, ou propriété communale, se caractérise par l’attribution, à plusieurs personnes, d’un droit simultané sur
un même actif. Exemples de propriétés communautaires : une source
d’eau, des terrains communaux, etc. Personne ne peut en tirer un revenu ou céder cet actif.
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La propriété collective est le fait que l’usage de l’actif est géré
collectivement, à partir d’une décision collective.
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Enfin, la propriété publique est un ensemble d’actifs détenu par un
agent au service de l’État ou de toute autre collectivité publique
(région, département, etc.).
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La propriété mutuelle, ou copropriété, est définie par le fait qu’elle
peut donner lieu à un droit de jouissance, pouvant être transmis.
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Comme nous l’avons vu (cf. 5.1), R. Coase va proposer une théorie des
coûts de transaction, qui explique pourquoi le recours au marché a un
coût et, si les entreprises existent, pourquoi elles existent. La réponse à
ces questions tient en une seule phrase : réduire les coûts de transaction.
On parle alors d’internalisation. R. Coase élargit ensuite sa réflexion à la
définition et à l’analyse du droit de propriété.
Internalisation et droit de propriété : la contribution de R. Coase
Pour R. Coase, le droit de propriété est le droit d’exclure autrui d’un
bien, et le marché est l’institution qui transfère ce droit, le déplaçant vers
102
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
ceux pour qui il a le plus de valeur. Droit à caractère absolu, il ne peut
être réduit ou transféré que par consentement du propriétaire. Le plus
souvent, le transfert donne lieu à un contrat.
L’auteur applique ce raisonnement dans le cadre de la prise en compte
des externalités. Si A. C. Pigou est le premier à avoir conceptualisé l’externalité, distinguant les externalités positives (création de parcs et de
routes par exemple) et les externalités négatives (par exemple, une pollution engendrée par les transports routiers).
Avant ces travaux, la théorie dominante était celle inspirée par A. C.
Pigou, à savoir celle du pollueur payant. R. Coase va proposer une tout
autre démarche, reposant sur l’internalisation de ces coûts, en les faisant
supporter par le producteur ou par le consommateur.
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La taxation du pollueur est une autre réponse (celle d’A. C. Pigou), et a
le grand inconvénient de poser le problème de l’incidence éventuelle de
la taxe sur le consommateur. Aussi, R. Coase va proposer de faire payer
le pollueur et le pollué. Le pollué, en payant une taxe, se donne un droit
nouveau, celui d’exiger de l’utilisateur du lac une eau d’une qualité
prévue dans le contrat instaurant cette taxe. Pour le pollueur, la taxe
payée lui donne un droit à polluer.
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Exemple. Soit un lac poissonneux, où cohabitent une conserverie de poissons pêchés dans le lac et une industrie chimique qui utilise l’eau du lac
en la polluant. Comment traiter ces externalités négatives ? Plusieurs solutions sont envisageables, dont la fusion entre les deux entreprises (entre
l’entreprise polluante et l’entreprise victime de la pollution). De cette
fusion naîtrait alors une seule entreprise. Ce transfert de propriété suppose, comme nous l’avons déjà souligné, qu’il y ait accord des deux propriétaires, ce qui n’est pas évident.
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Pareil raisonnement suppose que l’on précise les droits de propriété de
chacun. Ces droits, fixés par la loi, précisent les limites de la possession,
les limites d’utilisation et les limites du droit à vendre. Pour R. Coase, si
les droits initiaux attachés à la propriété d’un actif sont bien établis et
transférables, la négociation dans le cadre d’externalités négatives sera
toujours préférable à une réglementation publique.
Suite de l’exemple. Dans le cas de nos deux usines, en supposant que le
coût de la dépollution soit 100, avec un gain pour la conserverie de 102,
la négociation pollueur/pollué sera bénéfique pour le pollueur si le paiement demandé au pollué est supérieur au coût de la dépollution estimé à
101. Pour que la négociation soit acceptée par le pollué, il faut que le paiement demandé par négociation, au pollueur soit inférieur à ce que le
5.2 • La théorie des droits de propriété
103
Pollueur
101
Pollué
Prêt à payer 102
Ne paie que 101
Gain de 1
(101 – 100)
Gain de 1
Nouveaux
concepts
pollué serait prêt, en situation ultime, à payer. Dans notre exemple, il
pourra accepter de payer à hauteur de 102, soit le gain obtenu par la
conserverie s’il y avait dépollution. La synthèse de ces propositions se
retrouve dans la figure 5.2.
Figure 5-2 Une négociation pollueur/pollué
2
Cette situation est dite « Pareto optimale », puisque chaque participant tire
de la négociation un avantage de 1. Ce raisonnement suppose des droits
de propriété clairement établis. Ce qui ne sera pas toujours le cas. On aura
alors recours à la taxation, avec les inconvénients que l’on connaît. De
même, il sera parfois difficile de connaître les éventuels partenaires à la
négociation, la rendant impossible.
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b) Une approche fonctionnelle de l’entreprise :
l’analyse d’A. Alchian et de H. Demsetz
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Les droits de propriété ne concernent pas seulement l’échange de biens et/ou de
services, mais également des droits immatériels, comme le droit à polluer.
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Ainsi, dans la société civile, peu importe comment ces droits sont répartis, si ces droits peuvent donner lieu à un marché et être échangés sans
coût, ou au moindre coût. Ils pourront être alors acquis par ceux qui leur
accordent la valeur la plus grande. Cette solution est, lorsqu’elle est
possible, beaucoup plus efficace sur le plan économique que le recours
à la réglementation. Les travaux de R. Coase sont à l’origine des
marchés des droits à polluer promus par le protocole de Kyoto.
Ces deux auteurs partent d’un constat : celui de la complexité de l’entreprise, où les relations entre les acteurs qui y sont associés vont être à
l’origine de leurs conditions d’existence et de management.
L’objectif est de montrer comment les droits de propriété agissent sur le
comportement des individus.
104
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
Hypothèses implicites et explicites
Comme chez R. Coase, tout échange sera analysé par A. Alchian et
H. Demsetz comme un transfert de droit de propriété. L’environnement
dans lequel évolue ce transfert est celui de l’asymétrie des informations,
et plus particulièrement de ses conséquences : information imparfaite,
rationalité limitée et opportunisme.
Trois hypothèses sont à l’origine de leur théorie des droits de propriété :
➤ les acteurs économiques recherchent toujours leur intérêt individuel,
et ce, quels que soient les droits de propriété qu’ils détiennent, ou ne
détiennent pas ;
➤ le marché, dont le fonctionnement a un coût, révèle les préférences
individuelles ;
➤ les structures en place génèrent des contraintes, qui ne sont pas neut-
res dans la recherche de l’efficience économique.
À partir de ces hypothèses, H. Demsetz va rappeler – comme R. Coase
– que la fonction principale des droits de propriété est de faciliter l’internalisation des externalités. La reconnaissance et la pratique de droits
de propriété échangeables en sont le bras armé.
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Cette internalisation, le plus souvent d’externalités négatives, ne sera
bien sûr pas neutre sur l’organisation de la production, et doit permettre
de restaurer l’efficacité, voire d’améliorer le système.
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Compte tenu des asymétries de l’information, il n’est pas possible de
connaître avec certitude le contenu et la valeur réels de l’actif échangé.
Les contrats modifiant et/ou transformant ce droit de propriété seront
donc des contrats imparfaits. Ces droits seront toujours soumis à deux
conditions : être exclusifs et être transférables.
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A. Alchian et H. Demsetz justifient l’entreprise (capitaliste, plus particulièrement) par une organisation efficace de la production et des échanges. Cependant, cette organisation suppose une relation entre le mode de
rémunération et l’efficacité. C’est possible et facile dans le cas d’un
travail individualisé ; c’est plus complexe dans le cas d’un travail en
équipe.
Droits de propriété et productivité
Pour A. Alchian et H. Demsetz, l’existence d’un travail en équipe
caractérise l’entreprise, ce qui signifie deux choses : tout d’abord, du
côté de la production, différentes ressources seront utilisées, et toutes ces
ressources n’appartiennent pas à la même personne. Ensuite, du côté de
5.2 • La théorie des droits de propriété
105
la rémunération, il faut que le système mis en place incite à l’effort
productif.
Mais, avec la production en équipe, il est difficile de connaître la contribution de chacun à la production, d’autant plus que la production en
équipe apporte des synergies qui font que la fonction de production ne
se réduit pas à une fonction additive des facteurs de production. C’est
pourquoi, selon A. Alchian et H. Demsetz, le marché n’est pas un mode
efficace et efficient d’organisation de la production lors d’un travail en
équipe. En revanche, l’entreprise l’est.
Nouveaux
concepts
➤ Les conditions d’efficience de l’entreprise capitaliste
2
Il appartient à un membre de l’équipe de veiller à ce que la productivité de chacun soit, toutes choses égales par ailleurs, optimale.
Celui qui aura en charge cette fonction est le contrôleur, qui pourra
être le propriétaire, l’employeur gérant, etc. Sa rémunération sera
d’autant plus importante qu’il aura été efficace dans l’accomplissement de sa fonction. Le profit apparaît alors comme le mode de
rémunération du propriétaire/contrôleur ayant en charge de veiller à
la bonne performance des membres de l’équipe.
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Cependant, ses attributions supposent que le contrôleur soit le
propriétaire des moyens de production, même si elles ne l’excluent
pas. C’est pourquoi, afin de pallier cette lacune, A. Alchian et H.
Demsetz définissent des droits attribués à chacun des membres de
l’équipe. Ces droits, exclusifs, devront être mis à la disposition du
contrôleur pour permettre à ce dernier de parvenir à l’objectif recherché.
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Outre sa fonction disciplinaire, le contrôleur dispose d’autres attributions qui vont le conforter comme manager de l’équipe. Il est celui
qui mesure la performance de l’équipe, distribue les rémunérations,
et est en mesure d’apprécier la relation entre le comportement des
acteurs et l’évolution de leur productivité.
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Ces droits sont les suivants : droit de s’approprier le résultat, droit
d’observer les comportements, droits de modifier la composition de
l’équipe, et droit de vendre ses droits. C’est ce dernier droit qui définit la propriété et qui permet à l’équipe de s’identifier à l’entreprise.
➤ La remise en cause de la contribution d’A. Alchian
et de H. Demsetz
Si le marché n’est pas une organisation adaptée au travail en équipe,
à son exercice et à sa mesure, l’entreprise ne pourra alors prétendre
mesurer la productivité marginale du travail. Cette relation est postulée, mais jamais démontrée.
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
De même, rien ne justifie dans la démarche que l’entreprise soit le
moyen le plus efficace pour garantir la rémunération des facteurs à
leur productivité marginale. En effet, le contrôleur est-il la personne
la mieux placée pour effectuer le contrôle ? Rien n’est moins sûr, dès
l’instant où l’on sait que sa rémunération est constituée par la totalité du profit réalisé. Il est probable que, comme cela se passe aujourd’hui dans de nombreuses entreprises, le recourt à un contrôle externe (cabinet d’audit ou de conseil, par exemple) soit aussi performant
pour mesurer l’effort productif.
Enfin, le travail en équipe est-il, comme l’affirment ces auteurs, une
spécificité de l’entreprise ? Beaucoup d’entreprises ne pratiquent pas
le travail en équipe et, comme nous l’avons déjà rappelé, l’internalisation n’annule pas l’ensemble des coûts de transaction. Par ailleurs,
la nature de ces coûts et leur ampleur influencent le choix du système. Parmi ces coûts, outre les coûts de transaction, il faut souligner
la difficulté d’appréhender les coûts de gestion, imputables à l’internalisation, du fait d’une quasi-impossibilité de mesurer l’impact de
cette internalisation sur la productivité marginale des facteurs, et plus
particulièrement sur la productivité marginale du facteur travail.
Le modèle de Grossmann et Hart,
ou « théorie des contrats incomplets »
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L’existence de ces droits engendre également des devoirs. À chaque
droit de propriété est associé un ensemble de devoirs. Le droit de
propriété n’est pas un droit absolu. Lorsqu’il s’exerce dans l’entreprise, soit à travers le processus d’internalisation si l’entreprise
existe déjà, soit à travers le processus d’achat d’une entreprise déjà
existante, il s’accompagne aussi de la nécessité de protéger et de
valoriser cette structure nouvelle, afin de la rendre la plus efficiente
possible.
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La théorie des droits de propriété a cependant l’avantage indéniable
de rappeler que, si l’échange transfère bien un droit de propriété,
chaque échange est un cas particulier, que viennent compliquer les
asymétries de l’information.
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C’est à partir de la théorie des coûts de transaction que S. J.
Grossmann et O. Hart vont proposer, en 1986, une réflexion sur ce
qui va devenir la théorie des contrats incomplets. À l’origine de l’incomplétude des contrats se trouvent la rationalité limitée des acteurs
(agents) économiques et l’incertitude à laquelle ils doivent faire
face.
5.3 • La théorie de l’agence
107
2
Nouveaux
concepts
Pour ces deux auteurs, parler de « non-contractualisation » et/ou de
« non-vérifiabilité » est préférable à la rationalité limitée. De même,
davantage que la spécificité des actifs, c’est l’investissement spécifique à une relation qu’il convient de retenir. Aussi, les réalisations
non anticipables, ainsi que la nécessité de s’y adapter, sont, dans
leur modèle, les contraintes contractuelles qui expliquent l’existence de contrats incomplets. Cette incomplétude va être confortée par
l’existence de coûts de transaction associés à la rédaction des
contrats et des clauses contractuelles d’une part, et à la recherche de
l’information observable par les contractants d’autre part.
Conséquence de cette incomplétude : il est nécessaire de réfléchir
aux actions à entreprendre afin de faire face à des situations non
prévues par le contrat. Pour ces auteurs, c’est au propriétaire des
actifs de décider des actions à entreprendre, car la propriété va de
pair avec la possession d’un droit résiduel de contrôle sur la propriété. Pour O. Hart et J. Moore, ce droit résiduel est le droit d’utilisation, sous toutes les formes non interdites par la loi, d’un bien dont
on est propriétaire, dès l’instant où un contrat précédent ne l’interdit pas. Ces droits résiduels de contrôle vont donc affecter le pouvoir
de négociation des termes du contrat : si plusieurs cas de figure du
partage de ces droits résiduels existent bien, les deux parties du
contrat choisiront la solution qui leur permet de maximiser le
surplus total.
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Déjà à l’époque d’A. Smith, on s’intéressait aux relations entre ceux qui
détiennent le capital et ceux qui ont en charge son maniement – dès l’instant où ce ne sont pas ceux qui le détiennent, personnes physiques ou
morales, qui l’ont en charge. Ainsi, dans La richesse des nations, dès
1776, on pouvait lire, au sujet des sociétés par actions :
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5.3 LA THÉORIE DE L’AGENCE
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« Les directeurs de ces sortes de compagnies étant les régisseurs de
l’argent d’autrui, plutôt que de leur propre argent, on ne peut guère
s’attendre à ce qu’ils y apportent cette vigilance exacte et soucieuse que des associés apportent souvent dans leurs maniements de
fonds. »
Depuis, le problème posé par la divergence d’intérêt entre celui qui dirige et celui qui possède l’entreprise est mieux posé, même si, bien sûr,
une théorie va naître de ce constat.
C’est ainsi qu’en 1932, A. Berle et G. Means approfondissent la problématique issue de cette divergence d’intérêt.
108
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
M. Jensen et W. Meckling généralisent ensuite cette problématique à
l’ensemble des contrats que l’on trouve dans l’entreprise, et ce à partir
des conséquences de la théorie des droits de propriété d’A. Alchian et de
H. Demsetz.
J. K. Galbraith, enfin, dans Le nouvel État industriel, vulgarise ce qu’on
appellera par la suite les technostructures, rappelant que, dans la grande
entreprise, ce sont elles qui détiennent le pouvoir, à défaut de son financement. Ce pouvoir a pour objet la croissance de l’entreprise ; pour la
première fois, J. K. Galbraith parlera de « divorce » entre la détention du
pouvoir juridique par les actionnaires, et l’exercice réel par les managers.
a) L’universalité de la relation d’agence
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Appliquée à l’analyse de l’entreprise, cette théorie conduite à étudier les
relations entre les actionnaires (principal) et le manager (agent) dans un
environnement où les asymétries de l’information sont la règle, avec ces
conséquences : aléa moral, opportunisme, rationalité procédurale, etc.
Les intérêts contradictoires des uns (actionnaires) et de l’autre (manager), conduisent à opposer maximisation de la valeur et maximisation du
revenu, les actionnaires cherchant avant tout à maximiser la valeur de
l’entreprise alors que le manager aura une préférence pour la maximisation de son revenu.
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La théorie de l’agence, ou théorie des mandats, remet en cause le
postulat représentant l’entreprise comme un acteur unique, pour
mettre l’accent sur les divergences d’intérêts potentiels entre les
différents partenaires : dirigeants, actionnaires, créanciers, etc. La
théorie de l’agence est alors identifiée à un contrat par lequel une ou
plusieurs personnes (le principal) engagent une autre personne
(l’agent) pour exécuter en son nom une tâche impliquant une délégation de pouvoir à l’agent.
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À l’origine, la théorie de l’agence va donc privilégier l’opposition entre
deux agents : d’une part, le principal détenteur des moyens de production (ou actionnaire) et, d’autre part, l’agent, qui a en charge (à la demande du principal) l’exploitation de ces moyens de production. C’est pourquoi selon cette théorie, les managers sont les agents des actionnaires, au
sein d’une entreprise.
De même, la banque (ou le banquier) sera l’agent des épargnants, le salarié l’agent de son employeur, etc.
5.3 • La théorie de l’agence
109
Là où il y a contrat entre deux parties, au sein d’une même structure, là où existe une organisation hiérarchique entre celui (ou ceux)
qui exécute, et celui (ou ceux) qui en assure la gestion, la direction,
etc., il y aura une relation d’agence, opposant le principal à l’agent
et réciproquement.
Dans la théorie de l’agence, selon les cas, l’agent sera principal et le principal
deviendra agent.
Nouveaux
concepts
Cette universalité de la relation d’agence va alors devoir être analysée
à partir d’un double constat : celui de l’opposition d’intérêt entre les uns
et les autres et celui de l’asymétrie de l’information dont ils disposent.
Relation d’agence et divergence d’intérêt
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Dans les grandes entreprises, la généralisation de structures oligopolistiques en est l’illustration. Le dirigeant, ou agent, sera d’abord choisi
pour sa capacité à gérer par rapport à un indicateur qui sera la part de
marché et non le profit. On sait très bien aujourd’hui que la rentabilité
d’une unité de capital est bien meilleure dans une PME que dans une
grande entreprise. Comment alors faire coïncider les objectifs de l’un
avec ceux de l’autre, du principal avec celui de l’agent ? M. Jensen et
W. Meckling vont proposer une analyse permettant de répondre, pour
partie, à cette question (cf. 5.3).
2
Entre agent et principal existent des divergences d’intérêt évidentes,
conséquences de leurs fonctions respectives et des droits et devoirs qui
se rattachent à chacun d’entre eux. La fonction d’utilité de l’un n’est pas
la fonction d’utilité de l’autre, ce qui les conduit dans la recherche de la
maximisation de leur utilité respective à agir et à penser différemment.
Les travaux de M. Jensen et W. Meckling, déjà cités, ont ainsi montré
que les dirigeants préféreront souvent la croissance du chiffre d’affaires
à celle du profit, même si cela doit se traduire par employer plus de
personnel que nécessaire. De même, toujours dans l’entreprise, l’agent
privilégiera souvent l’intérêt social de l’entreprise lui permettant d’éviter des conflits internes, à la distribution des dividendes, prioritaire pour
l’actionnaire.
Relation d’agence et asymétrie de l’information
La principale difficulté pour rapprocher les intérêts de l’agent et du principal tient aux asymétries de l’information qui les entourent. Ces asymétries vont se traduire par l’apparition de la sélection adverse, de l’aléa
moral, et vont renforcer l’opportunisme des agents. Avec la sélection
adverse, l’agent dispose d’une information sur la relation qualité-prix de
110
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
l’opération, dont ne dispose pas le principal. Quand l’agent ne les révèle pas au principal, cas le plus probable, on dira qu’il dispose d’une rente
informationnelle. Le risque moral, ou aléa moral, s’identifie à un
comportement de l’agent inobservable par le principal. Dès l’instant où
il y a divergence d’intérêt, les éventuels conflits qui s’y rattachent seront
d’autant plus difficilement surmontés, en présence d’informations
asymétriques.
De même, ces asymétries d’information vont conforter l’opportunisme.
En effet, les dirigeants (agents) qui ont en charge la gestion de l’entreprise disposent de par leurs fonctions d’informations privilégiées sur son
fonctionnement. L’actionnaire (le principal) ne disposera pas de cette
information, sauf bien sûr si l’agent décide de lui transmettre. De plus, il
n’aura pas toujours les compétences nécessaires lui permettant de savoir
si une transaction sert ses propres intérêts ou ceux des dirigeants. C’est
pourquoi, l’agent pourra adopter un comportement opportuniste en
gérant l’information comme il le souhaite, ne communiquant que sur ce
qui sert son intérêt propre, même au prix d’une diminution du profit résiduel destiné au principal.
Il appartiendra à ce dernier de rechercher comment réduire, à défaut
d’annuler, ces conséquences perverses des asymétries de l’information,
et plus particulièrement celle qui renforce l’opposition d’intérêt entre
l’agent et le principal.
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M. Jensen et W. Meckling vont partir d’un double constat : les divergences d’intérêt entraînent des conflits et ces conflits ont des coûts qu’il
convient de minimiser.
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b) Relation d’agence et coûts d’agence :
l’apport de M. Jensen et W. Meckling
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Parmi les conflits les plus probables, on en retient trois :
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Les coûts d’agence
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➤ Tout d’abord, celui qui est la conséquence directe de la contradiction
entre l’objectif de l’agent (maximisation de son utilité) et l’objectif
du principal (maximisation de sa richesse).
➤ Ensuite, celui qui tient à l’analyse comportementale des acteurs en
présence face au risque. Il y aura toujours des dirigeants prudents et
d’autres moins prudents. De même, certains actionnaires, avides de
hauts rendements, accepteront une prise de risque plus forte que ceux
qui se contenteront de revenus moyens.
5.3 • La théorie de l’agence
111
➤ Enfin, l’horizon temporel sera aussi source de conflits, les actionnai-
res préférant souvent le court terme, alors que les dirigeants demanderont à être jugés sur moyen et long termes.
Ces conflits étant identifiés, M. Jensen et W. Meckling rappelent que,
dès l’apparition de ces conflits, des coûts doivent y être associés : ils sont
la conséquence des dépenses engendrées pour les réduire et pour contrecarrer le comportement opportuniste de l’agent. Ces coûts, ce sont les
coûts d’agence. Ils vont en identifier trois types :
➤ Si le principal veut mettre en place un système veillant à surveiller
Nouveaux
concepts
l’agent, ce système aura un coût : les monitoring costs.
➤ De même, il peut être opportun de mettre en confiance le principal.
Il faut pour cela engager des dépenses, ou binding costs.
➤ Enfin, si l’agent prend une décision non conforme aux intérêts du
principal, lui occasionnant une perte, celle-ci est assimilable à un
coût d’opportunité, ou residual costs.
2
La relation d’agence devra alors se traduire par un contrat qui, en cas de
conflit, minimise les coûts d’agence tout en maximisant l’utilité des
deux parties.
La minimisation des coûts d’agence
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La seule réponse possible est celle de l’incitation, en particulier celle de
ne pas être opportuniste, afin que l’agent agisse dans l’intérêt du principal. Les contrats vont donc devoir inclure des règles permettant un
comportement coopératif. Cela pourra aller de la sanction à la récompense, du bâton à la carotte. Pour M. Jensen et W. Meckling, cela suppose indirectement la mise en place de mécanismes de surveillance (sanctions) et de mécanismes d’incitation assimilables à des binding costs.
Tout cela a un coût, et demande du temps.
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La minimisation des coûts d’agence suppose que l’on parvienne, toutes
choses égales par ailleurs, à trouver le meilleur contrat : celui qui, en cas
de conflit, permet de minimiser ces coûts d’agence. La difficulté tient
bien sûr à l’existence des asymétries de l’information, de la rationalité
limitée et de l’opportunisme qu’elles facilitent. Ce contrat doit donc
comporter des clauses qui rendent difficile le comportement opportuniste, à défaut de l’annuler, et qui tiennent compte de la rationalité limitée
des contractants.
Reste une difficulté majeure : l’arbitrage entre le laisser-faire et l’instauration de ces mécanismes de surveillance et d’incitation a un coût définitif, alors que les coûts du manque à gagner et/ou des pertes liés à une
décision de l’agent contraire aux intérêts du principal sont potentiels, et
très difficiles à estimer au moment de la signature du contrat.
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
Les divergences d’intérêt entre agent et principal génèrent des conflits, qui ont
des coûts. Pour les minimiser, il faut engager des dépenses afin de vérifier le
respect du contrat, combattre l’opportunisme, etc. : ce sont les coûts d’agence.
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« Qui est le vrai propriétaire d’une entreprise ? Ses actionnaires ?
Son patron ? Ses ouvriers ? La société ? Personne ? Si la société est
petite et dirigée par son fondateur, la réponse semble aller de soi.
Mais plus elle grandit, plus l’évidence s’éloigne. Steve Jobs est
l’âme d’Apple mais n’en est pas le propriétaire. Un petit ou un gros
actionnaire de Total ou de BNP Paribas ne possède pas ces entreprises de la même façon qu’il possède sa voiture ou sa maison.
Longtemps cantonné à la lutte entre marxisme et capitalisme, le
débat sur la propriété revient, notamment à la faveur de la crise de
2008, qui a mis en lumière les dérives de la finance et de la maximisation des profits pour l’actionnaire.
Si la question est posée depuis longtemps par les défenseurs de la
responsabilité sociale des entreprises, elle déborde aujourd’hui
largement de ce cadre. Nous évoquions ici même récemment
[Les Échos, 16 février 2011] le nouveau discours tenu par le célèbre gourou américain du management, Michael Porter, qui prône
désormais la “valeur partagée” comme nouvel horizon de l’entreprise. En France, le collège des bernardins, université de théologie
de l’église catholique, a lancé il y a plus de deux ans un projet de
recherche académique sur ce sujet, en procédant à un vaste appel
d’offres auprès de la communauté française des chercheurs en
sciences sociales. Une trentaine de chercheurs de sept disciplines
ont planché depuis 2009 sur le thème de la propriété de l’entreprise
et de ses responsabilités sociales. Comme l’explique Olivier
Favereau, professeur d’économie à l’université Paris Ouest et coordinateur du projet, le modèle intellectuel actuel qui fonde le fonctionnement des entreprises trouve sa naissance en 1970 dans un
fameux article du New York Times signé Milton Friedman. Pour lui,
dans une économie de marché et de propriété privée, le P-DG. est
l’employé des vrais propriétaires de l’entreprise, ses actionnaires.
C’est la théorie de l’agence : le patron est le mandataire de ces
investisseurs et agit uniquement en leur nom.
Ce double postulat de l’actionnaire propriétaire et du patron
employé à son service constitue la base actuelle du fonctionnement
de toutes les grandes entreprises. D’où l’idée d’aligner les intérêts
de l’agent sur ceux de son commanditaire, par l’intermédiaire de
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À qui appartient l’entreprise ?
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Points clefs
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Nouveaux
concepts
stock-options et autres attributions d’actions. Ce dogme de la valeur
actionnariale a prospéré à partir de la fin des années 1980, sous le
triple impact de la libéralisation des marchés financiers, de la révolution technologique et de la mondialisation.
C’est ce que les auteurs appellent “la grande déformation” en faveur
de la finance. Une déformation qui s’est déclinée à l’intérieur de
l’entreprise, avec ses implications en termes de gestion des
hommes. Les objectifs financiers ont conduit à une hyper individualisation et financiarisation de l’évaluation des salariés à un
moment où l’essentiel de la valeur est créé dans les interactions
entre personnes. On valorise le collectif mais on récompense l’individu. D’où la grande détresse actuelle du management face à des
salariés à la fois stressés et démotivés.
Pour les chercheurs, tout cet édifice, malmené par la crise financière, repose sur du sable. Il est faux d’affirmer que l’actionnaire est le
propriétaire unique et absolu, car il n’en assume pas tous les risques.
Dans un marché liquide comme la bourse, il faut vendre ses titres
instantanément et, de plus, sa responsabilité est limitée au seul
montant de son apport. Comme si la responsabilité du propriétaire
d’un pot de fleur qui blesse un passant n’était limitée qu’à la valeur
du pot. Un propriétaire à responsabilité limitée ne doit donc avoir
que des prérogatives limitées. »
SC
IE
NC
ES
JU
R
Source : P. Escande, « La fin du dogme actionnarial ? », Les Échos, 4 mai 2011.
FA
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:
➤ Pour R. Coase, contrairement à l’analyse néoclassique, le recours à un
UL
T
E
DE
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POINTS CLEFS
marché et à un mécanisme de prix a un coût : le coût de transaction.
uh
1
réduit les coûts de transaction.
.sc
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la
➤ L’entreprise, en internationalisant un certain nombre de transactions,
➤ O. E. Williamson va reprendre les travaux de R. Coase et distinguer,
parmi les coûts de transaction, les coûts ex ante, coûts engendrés en
amont de la transaction, et les coûts ex post, directement imputables à
la transaction.
➤ Pour R. Coase et O. E. Williamson, le choix entre le marché et l’entrepri-
se se fait à partir de la comparaison de leurs coûts respectifs.
114
Chapitre 5 • Contribution de l’économie industrielle à l’analyse des marchés
➤ L’économie des coûts de transaction, c’est la recherche d’une organi-
sation qui les minimise, en tenant compte de la rationalité limitée des
agents, de leur opportunisme financier et de la spécificité des actifs.
➤ L’économie des coûts de transaction apporte une contribution impor-
tante à l’analyse de l’intégration verticale.
➤ La théorie des droits de propriété (Coase, Alchian, Demsetz) est une
approche économique du droit de propriété dans un environnement
précis : celui de l’asymétrie de l’information.
➤ La fonction principale des droits de propriété est de faciliter l’interna-
lisation des externalités.
➤ La théorie de l’agence repose sur l’opposition d’intérêt entre deux
acteurs économiques : le principal propriétaire des moyens de
production, et l’agent chargé à la demande du principal de l’exploitation de ces moyens. On va généraliser cette théorie en opposant celui,
ou ceux, qui sont les décideurs (principal) à celui, ou ceux, qui sont
chargés d’exécuter la décision (universalité de la relation d’agence).
➤ La relation d’agence doit être replacée dans l’environnement d’asy-
métrie de l’information et de ses conséquences (rationalité limitée,
opportunisme).
➤ Les divergences d’intérêt, dans cet environnement, entraînent des
conflits. Ces conflits ont des coûts, qu’il faut minimiser (M. Jensen et W.
Meckling).
rvo
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:
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S
entre agent et principal,permettant de les inciter tous deux au respect
des règles. Cette démarche suppose, implicitement, de prévoir des
sanctions éventuelles (non-respect des règles et/ou avantages sous
forme de primes, par exemple, pour ceux qui les respectent).
JU
R
➤ La minimisation des coûts d’agence passe par la rédaction de contrats
uh
1
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la
QCM
Parmi les trois affirmations proposées, cocher la case correspondant à la
bonne réponse.
1) A. L’internalisation est la cause de coûts de transaction.
B. L’existence de coûts de transaction justifie le processus d’internalisation.
C. Les coûts de transaction sont des coûts de gestion.
Solutions
115
2) La contribution de Milgrom et de Roberts concerne :
A. les coûts de négociation ;
B. les coûts de transaction ;
C. les coûts d’agence.
3) L’opportunisme des agents :
A. est pris en compte par la théorie des coûts de transaction ;
B. est ignoré par la théorie des coûts de transaction ;
Nouveaux
concepts
C. dépend de la rationalité limitée des agents.
4) Les droits à polluer :
A. font partie de la théorie des droits de propriété ;
B. justifient le processus d’internalisation ;
C. sont en contradiction avec les droits de propriété.
2
5) Dans la théorie de l’agence :
A. le principal est toujours le propriétaire de l’entreprise ;
B. le principal peut être un salarié de l’entreprise ;
C. l’intérêt du principal peut être celui de l’agent.
6) Pour R. Coase :
A. l’entreprise est toujours préférable au marché ;
B. le marché est toujours préférable à l’entreprise ;
DE
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R
C. l’entreprise peut être préférée au marché.
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:
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SOLUTIONS
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1) B, 2) A, 3) A, 4) A, 5) B, 6) C.
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CHAPITRE
6
Contribution
de la théorie des jeux
à l’économie
industrielle
OBJECTIFS
➤ Comprendre la théorie des jeux en tant qu’outil d’analyse des compor-
tements humains et des interactions auxquelles ils sont soumis.
➤ Connaître les hypothèses et les caractéristiques sur lesquelles repose
cette théorie à partir de situations modélisées.
➤ Découvrir l’utilisation de cette théorie dans le cadre de l’analyse de
6.1 L’apport de la théorie des jeux : hypothèses et caractéristiques
6.2 Stratégies simples et stratégies mixtes dans la théorie des jeux
6.3 Contribution de la théorie des jeux à l’analyse des oligopoles
NC
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PLAN
l’oligopole.
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1
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:
Théorie ancienne, puisqu’elle remonte à 1944 avec la publication de
Theory of Games and Economic Behavior de J. von Neumann et
d’O. Morgenstern, la théorie des jeux propose des solutions aux problèmes rencontrés, à partir de situations modélisées. Pour cela, elle va s’appuyer sur l’étude de différents types de jeux, coopératifs ou non coopératifs. La théorie des jeux a pour objet de faciliter l’étude et l’analyse des
interactions comportementales des différents acteurs d’une situation
donnée. Ce domaine est souvent abordé dans le cadre de la microéconomie.
E
DE
S
SC
IE
6.1 L’APPORT DE LA THÉORIE DES JEUX :
HYPOTHÈSES ET CARACTÉRISTIQUES
a) Les concepts fondamentaux
Deux concepts essentiels résument les fondements de cette théorie : le
jeu et la stratégie.
118
Chapitre 6 • Contribution de la théorie des jeux à l’économie industrielle
On définit un jeu comme une situation concurrentielle où, deux
personnes au moins, poursuivent leur intérêt.
La stratégie sera alors l’action entreprise par l’un des joueurs pour
chaque situation possible.
Les hypothèses
Les joueurs sont les décideurs et les stratégies qui sont les leurs décrivent à la fois leurs comportements et les choix auxquels ils sont confrontés dans tous les cas de figures possibles. Ces jeux obéissent à des règles,
qui sont autant de contraintes imposées aux joueurs. Ces règles, à tout
moment, viennent encadrer les actions que les joueurs décident d’entreprendre.
À chaque jeu correspond un résultat, sous forme de paiement perçu ou
versé. Lorsque ce qui est gagné par l’un est perdu par l’autre, on dira que
le jeu est à somme nulle. Dans un jeu à somme non nulle, les deux
peuvent gagner ou perdre, et l’un peut perdre plus que ce que l’autre
gagne et inversement.
On supposera toujours que les joueurs ont un comportement rationnel, où l’objectif est la recherche de son propre intérêt.
Les caractéristiques
DE
S
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La caractéristique d’un jeu est celle du gain, défini comme le résultat net obtenu par un joueur, suite à la contre-stratégie de l’autre. Le
gain peut s’exprimer par rapport au chiffre d’affaires, sous forme de
profit mais aussi par rapport à la part de marché.
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Au gain correspond une matrice des gains, regroupant l’ensemble des
stratégies possibles, et pour chacune d’entre elles les gains que l’on peut
espérer suite à la stratégie de l’un et à la contre stratégie de l’autre.
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1
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la
Dans la théorie des jeux, chacun connaît les stratégies possibles de l’autre, ou des autres, mais prend sa décision avant que ces derniers ne le
fassent. Dans l’information que possèdent les joueurs, il faut distinguer
celle que possède le joueur sur la structure même du jeu et celle concernant la décision prise par les autres joueurs.
On parlera d’information complète lorsque chaque joueur connaît tous
les choix possibles qui s’offrent à lui et tous les choix possibles de l’autre joueur, sans oublier, bien sûr, toutes les conséquences et tous les gains
associés à chacun d’entre eux. Dans le cas contraire, on dira que le jeu
est à information incomplète.
6.1 • L’apport de la théorie des jeux : hypothèses et caractéristiques
119
Enfin, on parlera d’information parfaite lorsque le joueur connaît le
choix des autres joueurs au moment où il prend sa décision. S’il ne les
connaît pas, l’information sera imparfaite.
Dans la théorie des jeux, il faut distinguer les joueurs (décideurs) et leurs stratégies. Le gain d’un joueur est obtenu suite à la réponse de l’autre (contre-stratégie)
à sa stratégie. Au gain correspond une matrice des gains regroupant tous les
gains possibles suite à l’ensemble des stratégies identifiées.
Nouveaux
concepts
b) Les représentations
Elles pourront être stratégiques ou extensives. Une représentation stratégique prend la forme d’une matrice. Une représentation extensive peut
prendre la forme d’un arbre de décision.
La représentation matricielle
2
Supposons un marché avec deux entreprises E1 et E2 ; les variables d’action sont les prix P et les gains auxquels ils sont associés. La matrice des
gains correspondante est la suivante :
Tableau 6-1 Représentation matricielle des gains
E2
P = 10
130
130
120
120
P=7
100
100
80
80
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E1
P=7
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P = 10
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:
Si l’entreprise E1 choisit une stratégie P = 10 et si l’entreprise E2 choisit
la même stratégie (P = 10), le profit de E1 est de 130 (chiffre de gauche).
Celui de E2 est aussi de 130 (chiffre de droite). De même, si E1 choisit
P = 7, le profit de E1 sera 100 et si E2 choisit P = 7, le profit de E2 sera
également de 100. À partir de cette matrice, on peut déterminer la
meilleure stratégie, dite stratégie dominante. Pour cela, on va comparer
les choix stratégiques de E1 et de E2.
SC
IE
Sur cette matrice, les stratégies de E1 (P = 10 et P = 7) se lisent en ligne,
tandis que les stratégies de E2, qui sont les mêmes, se lisent en colonnes.
Les gains des deux entreprises se déterminent de la façon suivante :
➤ Les choix stratégiques de E2 :
Les choix stratégiques de E2 sont ceux en réponse aux stratégies de
E1. Les profits, ou gains, de E2 sont lus en ligne. Aussi, si E1 choisit
P = 10, la meilleure stratégie de E2 est aussi P = 10. En effet, dans ce
120
Chapitre 6 • Contribution de la théorie des jeux à l’économie industrielle
cas, son profit, ou gain, est 130, alors que si elle avait choisi P = 7, le
gain n’aurait été que de 120. Si E1 choisit P = 7, la meilleure stratégie de réponse de E2 est P = 10, car son gain sera alors de 100,
meilleur que celui obtenu pour P = 7, égal à 80.
➤ Les choix stratégiques de E1 :
Même raisonnement, mais cette fois les profits de E1 sont lus en
colonne : si E2 choisit P = 10, E1 ne peut répondre que par P = 10,
car le gain est alors de 130, supérieur à celui obtenu pour un prix
P = 7 (gain de 100). Si E2 choisit P = 7, E1 répondra en choisissant
P = 10.
Le prix de 10 est systématiquement choisi par les deux concurrents,
P = 10 est la stratégie dominante.
L’arbre de décision
L’arbre de décision permet une simplification de la représentation
séquentielle des actions des joueurs. On parle aussi de graphe de décision binaire.
Dans cette présentation, toutes les possibilités des joueurs sont regroupées. À
chaque nœud de la branche, les joueurs doivent choisir l’action suivante, en tenant
compte de l’information dont il dispose.
E2
NC
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E2
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Réagit
Ne rentre pas
Entre
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E1
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Ne rentre pas
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Laisse faire
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E1
Réagit
Laisse faire
E1 en situation de
monopole
Duopole
Équilibre E1 en situa- Duopole
concurrentiel tion de
monopole
Figure 6-1 Un arbre de décision
Réagit
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1
Laisse faire
.sc
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E1
Équilibre
concurrentiel
6.2 • Stratégies simples et stratégies mixtes dans la théorie des jeux
121
L’arbre de décision binaire est la représentation la plus simple des fonctions booléennes, à partir d’une structure de données.
Hypothèses : Soient deux entreprises sur un marché. Soit E1 une entreprise en place, et E2 une entreprise concurrente qui s’interroge sur l’opportunité de rentrer sur le marché de E1.
Deux comportements possibles : un comportement passif, de laisserfaire, et un comportement actif, stratégique, visant à empêcher E2 de
rejoindre E1 sur le marché (voir figure 6.1)
Nouveaux
concepts
NB : À chaque nœud de l’arbre, les joueurs doivent prendre une décision. C’est pourquoi l’on parle de présentation séquentielle.
6.2 STRATÉGIES SIMPLES ET STRATÉGIES MIXTES
DANS LA THÉORIE DES JEUX
a) Les stratégies simples
2
Les stratégies simples concernent les jeux à deux joueurs, non coopératifs et à somme nulle.
Ces jeux obéissent aux règles suivantes :
➤ chaque joueur connaît les stratégies possibles de l’autre ;
➤ chaque joueur connaît les gains du jeu ;
➤ chaque joueur, face à l’autre, se prépare au pire et joue la prudence,
JU
R
pensant que l’autre adoptera pour lui-même la stratégie la plus favorable.
SC
IE
NC
ES
Ce type de jeu aboutit à une situation d’équilibre, dite « de Nash », qui
est un cas particulier.
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Tableau 6-2 Matrice des gains des entreprises E1 et E2
E2
E1
CS1
CS2
CS3
Minima (lignes)
S1
25
30
35
25
S2
40
35
50
2035
S3
45
20
30
20
45
35
35
Maxima (colonnes)
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:
Le tableau ci-dessous présente une matrice des gains d’une entreprise E1
confrontée sur le marché à une concurrente E2.
E
DE
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La stratégie du MiniMax
122
Chapitre 6 • Contribution de la théorie des jeux à l’économie industrielle
On supposera ici que les gains sont identifiables aux parts de marché. Le
jeu étant un jeu à somme nulle, si E1 choisit la stratégie S1, elle choisit
une stratégie de prudence avec une part de marché de 25 %, ce qui signifiera que E2 détient 75 %. La lecture de ce tableau se fait donc de la
façon suivante :
Si E1 choisit S1 et que, en réponse, E2 choisit CS2, la part de marché de
E1 est de 30 % et celle de E2 de 70 %. Quant à E2, si elle choisit CS3 et
si E2 répond par S2, la part de marché de chaque firme est de 50 %.
➤ Les stratégies optimales de E1
En choisissant S1, E1 choisit un objectif de prudence, 25 % de la part
de marché, pensant que E2 choisira alors la stratégie la plus favorable pour elle-même (75 %). Respectivement, les parts ne seraient
plus alors que de 70 % et de 65 %. De même, si E1 choisissait S2, sa
part de marché serait de 35 %, tombant à 20 % si elle choisissait S3.
Ce sont ces résultats que nous avons portés dans la colonne minima.
Ayant sélectionné les gains minimaux (25, 35, 20), E1 peut choisir le
gain le plus élevé des gains minima, soit 35. La stratégie correspondante, S2, est appelée la stratégie du MaxiMin. Elle veut dire que, si
E1 peut gagner plus, il ne peut pas gagner beaucoup moins.
➤ Les stratégies optimales de E2
NC
ES
JU
R
On suit le même raisonnement que pour E1, mais en y ajoutant la
matrice complémentaire de celle de E1, à savoir la matrice des gains
E2. Dans ce tableau, les parts de marché de E2 figurent entre parenthèses.
SC
IE
Tableau 6-3 La stratégie du MiniMax
(65)
S2
(60)
(65)
(50)
S3
(55)
(80)
(70)
(55)
(65)
(50)
Minima (colonnes)
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(70)
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(75)
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S1
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:
CS3
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CS2
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E1
CS1
DE
S
E2
Si E2 choisit SC1, elle retiendra 55. C’est aussi la donnée pour laquelle la part de marché de E1 est maximale. En effet, E2 croit que E1
choisira pour elle-même la solution la plus favorable. Aux stratégies
SC2 et SC3 correspondent des parts de marché de 65 et 50 %. Ces
trois minima (55, 65 et 50) correspondent aux maxima en colonne de
6.2 • Stratégies simples et stratégies mixtes dans la théorie des jeux
123
la matrice des gains de E1 (45, 35 et 50). E2 va donc choisir le minimum de ces maxima = 35. La part de marché de E1 sera alors de
65 %. On dira que E2 a choisi le « minimum maximorum ».
Cette stratégie sera dite stratégie du MiniMax. Ce jeu est équilibré :
chaque joueur a une seule stratégie, et le nombre de minima en ligne
est égal au nombre de maxima en colonnes. L’équilibre est défini par
la paire de stratégies S2/SC2, soit respectivement des parts de marché
de 35 % pour E1 et 65 % pour E2.
Nouveaux
concepts
Un équilibre particulier : l’équilibre de Nash
J. Nash, prix Nobel d’économie, est aussi un remarquable mathématicien. Il propose une analyse stratégique où chacun maximise ses gains
compte tenu de la stratégie de l’autre : cet équilibre sera désormais appelé « équilibre de Nash ».
À partir de la matrice des gains suivante :
2
Tableau 6-4 Une situation d’équilibre de Nash
E2
Stratégie A
E1
Stratégie B
Stratégie A
130
130
130
100
Stratégie B
100
160
150
150
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:
Le couple stratégique A/A est donc un couple compatible à la fois pour
E1 et pour E2, compte tenu du choix de l’autre. Si E1 changeait de stratégie, son gain ne serait pas supérieur à 130, E2 gardant la même stratégie.
JU
R
L’équilibre de Nash correspond au choix de la stratégie A/A. En effet, si
E1 adopte la stratégie A, la réponse de E2 sera également de choisir la
stratégie A, car le gain qu’elle obtient avec ce choix (130) est supérieur
à celui qu’elle obtiendrait en choisissant B (100). De même, si E2 choisit A, E1 choisira également A, car le gain obtenu (130) est supérieur à
celui qu’elle obtiendrait en choisissant B (100).
Deux autres prix Nobel d’économie, R. Selten et J. C. Harsanyi, vont
enrichir considérablement la recherche de solutions dans le cas de stratégies simples. R. Selten va s’efforcer de réduire le nombre d’équilibres
possibles, afin d’éliminer les solutions qualifiées « d’anti-économiques »
auxquelles on pouvait aboutir dans le cadre de l’équilibre de Nash.
Pour cela, toujours à partir d’une approche globale de l’équilibre de
Nash, il introduit un nouveau concept : le « sous-jeu », correspondant à
124
Chapitre 6 • Contribution de la théorie des jeux à l’économie industrielle
une situation où les joueurs donnent, à chacune de leur intervention, une
meilleure réponse au regard du jeu restant. Ce jeu restant est le « sousjeu », qui va le conduire à proposer une théorie nouvelle dite « théorie
des équilibres séquentiellement rationnels ».
J. C. Harsanyi va partir d’une autre hypothèse, celle d’une information
incomplète. Pour cet auteur, dès l’instant où un des joueurs ignore une des
composantes du jeu, quelle qu’elle soit, il y a information incomplète.
L’originalité de la démarche va donc être, sous certaines conditions, de
transformer des jeux à information incomplète en jeux à information
imparfaite. Ces derniers proposent en effet une réponse à partir des
méthodes standard, d’où l’intérêt de la démarche.
Les stratégies concernant un jeu à deux joueurs ne sont pas nécessairement des
stratégies simples. Pour qu’elles le soient, il faut que les jeux soient non coopératifs
et à somme nulle.
b) Les stratégies mixtes
Dans le cas des stratégies simples, nous avons considéré que chaque
joueur effectuait un seul choix et s’y tenait. Nous allons maintenant,
dans le cadre des stratégies mixtes, faire d’autres hypothèses.
Le dilemme du prisonnier
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1
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Dans le cadre d’un crime, deux suspects sont arrêtés et accusés de ce
meurtre comme complices. Le juge a la certitude que l’un des deux est
coupable, mais n’en a pas la preuve, ces deux suspects n’ayant été arrêtés que pour une infraction mineure. Ces deux suspects sont détenus
dans deux cellules séparées et ne peuvent communiquer. Le juge, pour
faire avouer le coupable, leur propose le marché suivant :
SC
IE
NC
ES
JU
R
La plus courante est celle où chaque joueur peut choisir des stratégies
aléatoires, faisant reposer son choix sur les probabilités attachées à
chacune d’entre elles. Parmi les plus connues de ces stratégies mixtes,
celle où chaque joueur a le choix entre différentes stratégies est appelée
« dilemme du prisonnier ».
➤ Si tu dénonces ton complice et qu’il ne te dénonce pas, tu seras remis
en liberté, et celui que tu as condamné en le dénonçant le sera à 10
ans de prison.
➤ Si tu dénonces ton complice et qu’il te dénonce également, vous
serez condamné tous les deux à 5 ans de prison.
➤ Si aucun ne se dénonce, la sanction sera minimale (6 mois) faute de
preuve.
6.2 • Stratégies simples et stratégies mixtes dans la théorie des jeux
125
La matrice des gains correspondant à cette situation est la suivante :
Tableau 6-5 Le dilemme du prisonnier
1
2
Refuse de dénoncer
Dénonce
Refuse de
dénoncer
– 0,5
0
– 0,5
– 10
Dénonce
– 10
0
–5
–5
Nouveaux
concepts
Si chaque suspect peut avoir rationnellement intérêt à dénoncer l’autre,
car c’est la seule façon d’être libre, c’est aussi prendre le risque d’une
condamnation à 5 ans. En revanche, si les deux suspects restent silencieux, ils minimisent le risque à 0,5 an (6 mois). Il est fort probable que
cette solution l’emportera.
2
Quel que soit le choix fait, si chacun poursuit son intérêt individuel, le
résultat obtenu n’est pas optimal au sens parétien. C’est également un
jeu à somme non nulle, puisque la somme des gains pour les participants
n’est pas toujours la même.
Avec le dilemme du prisonnier,le résultat obtenu n’est pas optimal au sens parétien,
puisque ce jeu revient à privilégier la solution du compromis, pouvant aller jusqu’à
faire avouer un innocent.
Les jeux répétitifs
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1
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:
Dans l’hypothèse où les joueurs connaissent le nombre de jeux qu’ils
peuvent répéter, chaque joueur aura les plus grandes chances de privilégier, comme réponse, l’équilibre de la stratégie dominante. Y participer
une dernière fois revient à n’y participer qu’une seule fois. Aussi, lorsqu’on parvient au dernier jeu, on est dans une probabilité très forte de
non-coopération. C’est pourquoi, dans l’hypothèse de jeux à cinq répétitions, la question de la pertinence de coopérer en quatre, si l’on n’a pas
coopéré en trois (et ainsi de suite), se pose.
JU
R
On distinguera les jeux où le nombre de répétitions est connu, et les
jeux où le nombre de répétitions est indéfini, voire infini.
Le raisonnement est différent si le jeu se répète à l’infini : chaque joueur
sait alors que l’autre peut réagir en sens contraire au coup suivant à sa
propre décision. Il s’agit de l’hypothèse d’une non-coopération ultérieure, qui conduit à rechercher une stratégie de coopération efficace pour les
deux joueurs.
Dans un jeu, lorsque l’un est actif, intervenant le premier sur le marché,
l’autre lui répondant, on dira que le jeu est séquentiel.
126
Chapitre 6 • Contribution de la théorie des jeux à l’économie industrielle
Le jeu de la poule mouillée
Il s’agit d’un jeu à somme non nulle, où la coopération est récompensée. Il a en commun avec le « dilemme du prisonnier » le fait
qu’il est avantageux de trahir lorsque l’autre coopère. Il s’en éloigne
par le fait qu’il est avantageux de coopérer si l’autre trahit. La défection double est la pire des solutions, avec un équilibre instable – ce
qui n’est pas le cas du « dilemme du prisonnier ».
Dans le cas de ce jeu, où la coopération est récompensée, la matrice de gains pourra, par exemple, répondre aux données suivantes :
• les deux joueurs coopèrent, gain de 10 ;
• l’un coopère, gain 2, l’autre refuse, gain 20 ;
• les deux refusent de coopérer et perdent 40.
La matrice des gains se présente comme suit :
Tableau 6-6 Le jeu de la poule mouillée
+ 10
+2
+ 20
Trahison
+ 20
+ 20
– 40
– 40
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1
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Dans ce cas, le fort l’emporte toujours sur le faible, s’il parvient à
rester dans le jeu. Apparaître comme un dur est un avantage dans
notre matrice des gains, car cela revient à imposer à l’autre la noncoopération (gain 20). La poule mouillée est le faible, qui coopère
lorsque l’autre refuse. Comme nous l’avons déjà souligné, la double
défection est la pire des solutions (perte de – 40 pour les deux
joueurs).
On trouve des exemples concrets des conclusions de ce jeu dans de
nombreuses situations de la vie quotidienne et dans le domaine de
la politique internationale.
Dans le domaine de la vie quotidienne, prenons l’exemple de deux
exploitations agricoles ayant en charge le système d’irrigation. Si
l’une des deux décide de ne plus coopérer, et n’assure plus sa part
de l’entretien, l’autre a-t-elle pour autant intérêt à la suivre (double
défection) ? Probablement pas si elle veut toujours bénéficier du
service d’irrigation. L’indélicate pourra donc continuer à en bénéficier. Cette situation est alors très proche de celle du passager
NC
ES
+ 10
SC
IE
Coopération
JU
R
Dénonce
DE
S
Refuse de
dénoncer
E
I1
I2
6.3 • Contribution de la théorie des jeux à l’analyse des oligopoles
127
Nouveaux
concepts
clandestin, qui utilise un ascenseur dans un immeuble sans participer, ou avoir participé à son investissement ou à son entretien.
En politique internationale, cela correspond à une situation où deux
États entretiennent un différend susceptible de déboucher sur une
guerre ; par exemple, la France ou la Grande-Bretagne face à
l’Allemagne avant 1939. Se comporter comme une poule mouillée,
c’est se garantir d’être confronté de nouveau à cette situation ultérieurement. Mais être le fort suppose également des dépenses militaires et l’acceptation du risque de guerre.
6.3 CONTRIBUTION DE LA THÉORIE DES JEUX À L’ANALYSE
DES OLIGOPOLES
2
La théorie des jeux va permettre de mieux connaître les relations entre
agents, entre entreprises ou entre joueurs à partir de leur choix stratégique.
Lorsqu’il y a équilibre, elle contribue à préciser la nature de cet équilibre.
On doit à T. Schelling, dans The Strategy of Conflict, le concept de
comportement stratégique. Dans son approche restrictive, ce concept
s’applique à la concurrence imparfaite et identifie le comportement stratégique à l’analyse de la stratégie mise en place pour éviter l’entrée d’un
concurrent potentiel.
uh
1
.sc
ho
la
FA
C
rvo
x.c
om
:
Enfin, dans un environnement d’asymétrie de l’information, qui est le
cas général, les entreprises devront non seulement faire preuve de qualités d’anticipation, mais aussi de qualités de synthèse afin de choisir la
stratégie finale, sans perdre de vue les données de départ. La théorie des
jeux à information incomplète répond à cet environnement d’asymétrie
de l’information et à ses conséquences.
UL
T
E
DE
S
SC
IE
NC
ES
JU
R
Si la théorie des jeux distingue les jeux coopératifs dont l’issue est l’optimum parétien et les jeux non coopératifs, dont les acteurs sont des intérêts divergents, l’économie industrielle privilégie les seconds. En effet,
la concurrence va se nourrir de cette opposition d’intérêt, soit pour
préserver des parts de marché (cas des entreprises déjà présentes sur le
marché), soit pour participer au partage de ce que certains auteurs ont
appelé « rentes de marché » (cas des entrants potentiels).
La théorie des jeux permet donc non seulement de mieux comprendre le
comportement des entreprises en situation de concurrence imparfaite, et
plus particulièrement en situation d’oligopole, mais propose également,
avec ses différents jeux, de nouveaux outils d’analyse.
Nous nous limiterons ici à l’apport de la théorie des jeux à un oligopole
particulier, le duopole.
128
Chapitre 6 • Contribution de la théorie des jeux à l’économie industrielle
a) L’apport de la théorie des jeux à l’analyse
du duopole de Cournot
Présentation du modèle
Le duopole de Cournot étudie la concurrence par les quantités, à partir
de deux hypothèses restrictives : le marché produit un bien homogène, à
coût de production nul.
Chaque entreprise considère que la production de l’autre est une donnée.
Le profit réalisé par l’une dépend non seulement des quantités qu’elle
produit, mais aussi des quantités produites par l’autre.
uh
1
L’équilibre Cournot-Nash
.sc
ho
la
rvo
x.c
om
:
FA
C
UL
T
E
NC
ES
SC
IE
DE
S
On peut démontrer que le comportement de l’entreprise 1 s’étudie à
partir d’une fonction de réaction,
a
Q2
Q1 =
−
2b
2
et que le comportement de l’entreprise 2 fait apparaître une fonction Q 2,
où :
a
Q1
−
Q2 =
2b
2
Comme on peut le constater, les deux entreprises ont des fonctions de
réaction symétrique. C’est pourquoi le duopole de Cournot est dit
duopole symétrique à double satellitisme. À l’équilibre, il existe une
solution simultanée aux équations Q 1 et Q 2, soit :
4
Q1 = Q2 =
3b
La solution de Cournot est une solution d’équilibre. Aucune des deux
entreprises n’est incitée à modifier sa production aussi longtemps que
celle de l’autre ne varie pas. Cet équilibre est stable ; c’est pourquoi
l’équilibre de Cournot est dit aussi équilibre de Nash (la stratégie des
deux entreprises est optimale, compte tenu de la stratégie de l’autre).
JU
R
π1 = f (Q 1 Q 2 ) et π2 = f (Q 2 , Q 1 )
Cet équilibre est celui de Cournot dans le cadre d’une représentation
matricielle reprenant l’équilibre de Nash. Comme on l’a vu, chaque
entreprise, chez Cournot, est censée adapter sa production à celle de
l’autre, considérée comme une donnée. Si l’on considère le modèle de
Cournot comme un jeu, les entreprises se substituent aux joueurs (E1/E2)
et les stratégies sont représentées par les quantités que chacune des
entreprises peut produire (Q 1 /Q 2 ). Enfin, les gains possibles sont ceux
correspondants aux stratégies retenues.
6.3 • Contribution de la théorie des jeux à l’analyse des oligopoles
129
Dans le cas de deux entreprises, où la production peut être de 20 ou de
10, on sait que si E1 produit 20 et que E2 produit 20 : le gain est zéro.
Par contre, si E1 produit 10 et E2 produit 20, le gain pour E1 est de 6 et
pour E2 de 8. De même, si cette fois E1 produit 20 et E2 produit 10, les
gains respectifs de E1 et de E2 seront de 8 et de 6. Enfin, en produisant
toutes les deux 10, les gains seront respectivement de 10 et de 10. Cela
donne la représentation matricielle suivante :
Tableau 6-7 Une situation d’équilibre Cournot-Nash
Q1 = 20
Entreprise 1
Nouveaux
concepts
Entreprise 2
Q2 = 10
Q 1 = 20
0,0
8,6
Q 1 = 10
6,8
10,10
2
Cette matrice des gains montre bien que la seule combinaison possible
est 10/10, où E1 et E2 produisent 10 et maximisent leur gain à 10. Cette
représentation montre également que l’équilibre de Cournot est le seul
envisageable, compte tenu des hypothèses, dans un jeu ramené à une
seule période.
JU
R
b) L’apport de la théorie des jeux à l’analyse
du duopole de Bertrand
NC
ES
Présentation du modèle
uh
1
.sc
ho
la
DE
S
E
UL
T
FA
C
rvo
x.c
om
:
Cela signifie que chaque entreprise fixe son prix en considérant que l’autre maintient le sien. Par contre, les autres hypothèses sont similaires à
celles de Cournot (produit homogène et coût de production identique
pour les deux entreprises). Elles sont toutes deux confrontés à des fonctions de réaction sur les prix. Le comportement des deux entreprises est
symétrique, toutes deux ayant une capacité de production suffisante pour
répondre à la totalité du marché. Enfin, les consommateurs sont censés
acheter à l’entreprise qui propose le prix le plus bas.
SC
IE
Comme le modèle de Cournot, le modèle de Bertrand est un duopole,
mais la variable stratégique est le prix.
Dans le modèle de Bertrand, les entreprises se comportent comme si elles étaient
en grand nombre sur le marché pour converger vers un équilibre concurrentiel,
alors qu’elles ne sont que deux.
130
Chapitre 6 • Contribution de la théorie des jeux à l’économie industrielle
Point de départ : un prix de marché pour E1 supérieur à son coût marginal. Si E1 baisse, son prix, même d’un faible montant, et que l’autre
maintient son prix inchangé, toute la demande va se porter vers E1, ce
qui conforte E1 dans l’idée de proposer un prix P1 légèrement inférieur
à P2 (prix de E2). Mais E2 peut faire exactement le même raisonnement.
C’est pourquoi tout prix supérieur au coût marginal n’est pas un prix
d’équilibre. Le seul équilibre possible est donc l’équilibre concurrentiel
classique où :
P = Coût marginal avec P1 = P2 = P
Le paradoxe, chez Bertrand, est que deux entreprises agissent comme si
elles étaient en nombre infini : elles se comportent conformément à l’hypothèse d’atomicité de la concurrence pure et parfaite, pour converger
vers un équilibre concurrentiel. Le résultat est donc totalement différent
de celui observé chez Cournot.
Relecture du modèle de Bertrand par la théorie des jeux
Soient deux entreprises, E1 et E2, où la variable stratégique est le prix.
Leur choix est donc dual : coopérer ou casser les prix. Si elles choisissent de s’entendre sur un prix élevé, leur gain respectif est de 5. Si l’une
pratique un prix élevé et que l’autre casse les prix, la première perd –5,
et la seconde aura un gain de 10. Enfin, si toutes deux se livrent concurrence par les prix, il y aura annulation.
Sous forme matricielle, cela donne la représentation suivante :
NC
ES
JU
R
Tableau 6-8 Une situation d’équilibre de Bertrand
Casse les prix
10,5
0,0
DE
S
–5,10
UL
T
E
5,5
FA
C
Coopère
Casse les prix
rvo
x.c
om
:
Entreprise 1
Coopère
SC
IE
Entreprise 2
uh
1
.sc
ho
la
Casser les prix est bien la stratégie dominante, ce qui entraîne une évolution du prix allant jusqu’à son coût marginal. Cet équilibre va permettre
d’aboutir à une situation paradoxale, où les profits sont 0/0.
Comme on peut le constater, l’équilibre de Bertrand est aussi un équilibre de Nash (mais à quel prix !). Dernière contradiction : la libre entrée
sur le marché. Pourquoi entrer sur le marché et ne faire aucun profit ?
6.3 • Contribution de la théorie des jeux à l’analyse des oligopoles
131
c) L’apport de la théorie des jeux
au duopole de Stackelberg
Présentation du modèle
Le duopole de Stackelberg est un prolongement du duopole de
Cournot, mais il tient compte d’un comportement asymétrique de la
part des deux entreprises présentes sur ce marché.
2
Nouveaux
concepts
Par ailleurs, on considère ici que l’interdépendance est non seulement
conjoncturelle, mais également conjecturale. L’interdépendance
conjoncturelle, reprise par Cournot, est celle où chaque entreprise sait
que non seulement sa situation dépend du comportement de l’autre, mais
également que l’autre entreprise concurrente fait le même raisonnement.
Dans le cadre de l’interdépendance conjecturale, l’entreprise E1 se situe
toujours dans le cadre de l’interdépendance conjoncturelle, mais sait
également que l’entreprise E2 détermine son profit par rapport aux quantités produites par E1. E1 va donc s’efforcer d’anticiper les réactions que
ses propres décisions auront sur les choix de E2. E2 fera, bien sûr, le
même raisonnement.
Pour H. von Stackelberg, il est plus que probable que E1 et E2 ne soient
pas de même taille, ni de même puissance : c’est pourquoi on parle de
« duopole asymétrique ». Son modèle suppose donc qu’on distingue un
leader (ou pilote) et un suiveur (ou satellite).
.sc
ho
la
FA
C
rvo
x.c
om
:
La difficulté première est de savoir quelle entreprise est satellite, et quelle entreprise est leader. Quatre cas de figures sont possibles et, selon le
cas retenu, le duopole sera (ou non) en équilibre.
UL
T
E
DE
S
SC
IE
NC
ES
JU
R
L’entreprise satellite va faire l’hypothèse que l’autre est leader, avec une
production qui est pour elle une donnée. L’entreprise satellite ne connaît
donc que sa fonction de réaction, et son comportement est celui du
duopole de Cournot. Par contre, l’entreprise leader, maximise son profit
en supposant que l’autre entreprise se comporte en satellite.
uh
1
Pour simplifier et comparer avec Cournot, on supposera que les coûts de
production sont nuls, (π1 = RT1 = P × Q1 et π2 = RT2 = P × Q2), et que
la fonction de demande au marché est de type :
P = a – b (Q1 + Q2)
Q1 et Q2 sont les quantités produites respectivement par E1 et E2. Le
tableau suivant reprend les quatre hypothèses
132
Chapitre 6 • Contribution de la théorie des jeux à l’économie industrielle
Tableau 6-9 Situation de duopole de Stackelberg
Entreprise 1 Entreprise 2
E1 et E2
E1 et E2
leader
leader
peuvent être peuvent être
leaders
satellites
Oui
Marché
en équilibre
a
Q1 =
,
2b
a
Q2 =
4b
Marché en
déséquilibre
–
Oui
a
,
4b
a
Q2 =
2b
Q1 =
–
–
–
Oui
Oui
Si l’entreprise leader est bien identifiée, le marché est en équilibre et
l’entreprise leader maximise son profit, ce qui n’est pas le cas de l’entreprise satellite. Par contre, si les deux pensent être leaders ou satellites,
on est sur un marché en déséquilibre.
UL
T
E
NC
ES
SC
IE
DE
S
Pour retrouver l’équilibre, deux solutions sont possibles. La première est
celle de Cournot, mais encore faut-il que E1 et E2 se comportent en
entreprises satellites. La seconde est celle où E1 (ou E2) devient leader.
Si l’on fait l’hypothèse que E1 et E2 sont leaders toutes les deux (hypothèse de Bowley), Q1 et Q2 sont fixés en toute indépendance, ce qui
conduit à un déséquilibre sur le marché, avec une tendance baissière
de P.
JU
R
Bien sûr, la nature de ces déséquilibres n’est pas la même. Lorsque E1 et
E2 pensent être satellites, Q1 + Q2 est inférieur à Q1 et Q2 évalués séparément par E1 et E2. Les quantités produites en quantités insuffisantes
devraient avoir une influence haussière sur les prix.
rvo
x.c
om
:
FA
C
L’arbre de décision et le duopole de Stackelberg
uh
1
.sc
ho
la
La théorie des jeux est aussi un outil d’analyse du jeu concurrentiel,
entre entreprises. Cet outil peut prendre la forme d’une matrice ou de
l’arbre de décision. Dans le cas du duopole de Stackelberg, nous
pouvons construire un arbre de décision.
Points clefs
133
E1 et E2
produisent Q1 et Q2
E1 maximise
son profit
et produit Q1
a
2b
E2 ne maximise
pas son profit
et produit Q2
Q2 =
a
4b
Nouveaux
concepts
E2 satellite
E1 leader
Q1 =
E1 et E2 pensent être
leaders ou satellites
E1 et E2 leaders E1 et E2 satellites
Surproduction
Sous-production
Baisse des prix
Augmentation
des prix
Baisse des profits
2
E1 et E2 sont
leaders ou satellites
Augmentation
du profit
JU
R
Figure 6-2 Arbre de décision d’un duopole de Stackelberg
SC
IE
NC
ES
POINTS CLEFS
E
UL
T
FA
C
rvo
x.c
om
:
tives des entreprises. Celles-ci peuvent être étudiées à partir de la
matrice des gains et/ou de l’arbre de décision.
DE
S
➤ La théorie des jeux est une méthode d’analyse des stratégies interac-
➤ Les stratégies simples sont relatives aux jeux non coopératifs à deux
uh
1
.sc
ho
la
personnes et à somme nulle. Dans ces jeux, chaque joueur s’attend au
pire de la part de l’autre et opte pour la prudence. C’est pourquoi les
stratégies optimales sont d’une part celles du MaxiMin pour l’un des
joueurs, et d’autre part du MiniMax pour l’autre. Ces jeux peuvent être
en équilibre, dont un cas particulier est l’équilibre de Nash.
➤ R. Selten introduit un nouveau concept d’équilibre en sous-jeu, où
chaque joueur donne une meilleure réponse au regard du jeu suivant.
Pour parvenir à l’équilibre, il propose la théorie des équilibres séquentiellement rationnels.
134
Chapitre 6 • Contribution de la théorie des jeux à l’économie industrielle
➤ J. C. Harsanyi part d’une nouvelle hypothèse, où les joueurs disposent
d’une information incomplète. Il démontre que, pour chaque jeu en
information incomplète, existe un équivalent en information complète, ce qui permet de résoudre le problème.
➤ Une stratégie sera dite mixte lorsque chaque joueur a le choix entre
deux stratégies, ou qu’il peut choisir les stratégies aléatoires.
➤ Le dilemme du prisonnier montre, en asymétrie de l’information, que
l’on ne choisit pas toujours la solution rationnelle dans l’intérêt de
celui qui la choisit.
➤ Dans l’hypothèse de jeux répétitifs, au nombre de jeux déterminés,
chaque joueur aura les plus grandes chances de privilégier l’équilibre
de la stratégie dominante. Si le nombre de jeux est indéterminé, le
risque de non-coopération est élevé.
EXERCICES
S11
12,9
6,21
0,11
S12
15,15
5,13
8,6
IE
NC
ES
S13
DE
S
SC
Joueur 1
S11
Joueur 2
S12
JU
1) Connaissant la matrice des gains suivante :
CU
L
TE
Questions :
x.c
o
rvo
B. Quelles sont les conditions d’équilibre pour les deux joueurs ?
m:
FA
A. Toutes ces stratégies sont-elles acceptables pour le joueur 2 ?
uh
1.s
ch
ola
2) Deux entreprises E1 et E2 se partagent le marché automobile. La fonction de demande totale est : QD = 20 – P. Et la fonction de coût total est
la même pour E1 et E2 = CQ = 4Q :
A. Si E1 est l’entreprise leader de ce duopole, quelles sont les conditions
d’équilibre (prix et quantités) de ce marché ?
B. Même question si E1 et E2 décident de faire une guerre des prix.
Solutions
135
SOLUTIONS
1) A. L’analyse de la matrice des gains ne nous permet pas de savoir ce
que E2 choisira. Par contre, elle nous permet de connaître ce que E2 ne
choisira pas, en l’occurrence S13. C’est pourquoi on peut éliminer S13,
ce qui va permettre de travailler à partir d’une nouvelle matrice de gains.
S13, que l’on élimine, est dite stratégie dominée : celle où le joueur 2 est
dominé.
Nouveaux
concepts
B. La nouvelle matrice est :
Joueur 1
S22
S11
8,6
2,7
S12
5,5
5,1
2
Joueur 2
S21
Cette nouvelle matrice permet de constater que, si le joueur 2 n’a
toujours pas de stratégie dominante, ce n’est pas le cas du joueur 1. Pour
ce dernier, en choisissant S12, le joueur 2 répondra par S21. La solution
d’équilibre est donc S12, S21
JU
2) A. Compte tenu des données, il nous faut calculer les fonctions de
réaction de E1 et E2. Ces fonctions de réaction sont calculées à partir des
conditions de Cournot, chaque entreprise déterminant sa production en
considérant la production de l’autre comme une donnée.
NC
ES
Détermination de la fonction de réaction de l’entreprise E1 :
DE
S
SC
IE
Profit de E1 = πE1 = P × Q E1 – 4 Q E1
CU
L
πE1 = (20 – Q E1 – Q E2) Q E1 – 4Q E2
FA
Soit encore
TE
Mais P = 20 – (Q E1 + Q E2)
soit encore = 16 – 2Q E1 – Q E2 = 0
La fonction de réaction de E1 est donc
1
(16 – Q E2)
2
De même, pour l’entreprise E2, la fonction de réaction sera :
1
(16 – Q E2)
2
x.c
o
rvo
ola
ch
1.s
uh
= 16 Q E1 – Q 2E1 – Q E2 Q E1
dπE1
=0
πE1 est maximum, si
d Q1
m:
= 20 Q E1 – Q 2E1 – Q E1 Q 1 – 4 Q E1
136
Chapitre 6 • Contribution de la théorie des jeux à l’économie industrielle
Si E1 est considérée comme l’entreprise dominante, elle va choisir sa
production Q E1 en prévoyant que E2 (entreprise satellite) choisira Q E2
(fonction de réaction de E2). Cette situation est celle du duopole de
Stackelberg.
1
(16 – Q E1), le
Compte tenu de la fonction de réaction de E2 (Q E2 =
2
profit de E est égal à :
1
πE1 = [(20 – Q E1 – 1/(2) (16 – Q E1)] Q E1 – 4 Q E1
Soit encore πE1 = 8 Q E1 –
Maximum pour
Q 2 E1
2
dπE1
= 0, soit 8 – Q E1 = et Q E1 = 8
d Q E1
Si Q E1 = 8, Q E2 =
1
(16 – 8) = 4 et P = 20 – (Q E1 + Q E2)
2
Soit P = 20 – 12 = 8
Si P = 8 et Q1 + Q2 = 12, le profit total réalisé par E1 et E2 est égal à :
πE1 + E2 = 12 × 8 – 4 (12) = 48 réparti entre E1 et E2 de la façon
suivante :
πE1 = 64 – 32 = 32 et πE2 = 16
JU
B. Si les entreprises se livrent à une concurrence par les prix, on retrouve le modèle de Bertrand. Cette concurrence par le prix s’arrête au
minimum de la fonction de coût moyen. Cette fonction étant égale à
SC
IE
NC
ES
dC
=4
dQ
FA
CU
L
TE
L’équilibre dit de Bertrand s’établit donc à un prix moyen de 4. À ce
prix, les quantités produites par E1 et E2 sont connues à partir de :
DE
S
C = 4Q, le minimum de cette fonction est de
x.c
o
m:
P = 20 – Q où Q = Q E1 + Q E2
ch
ola
rvo
Si P = 4, Q = 16 et π = 64 – 64 = 0
uh
1.s
On vérifie bien ici les conclusions du modèle de Bertrand, à savoir que
l’on peut avoir, même en duopole, un comportement concurrentiel qui
annule le profit.
PARTIE
3
Analyse
stratégique
Chapitre 7 Les stratégies de prix ................................................ 139
Chapitre 8 Les stratégies de différenciation .............................. 161
Il n’y a pas d’économie industrielle sans stratégie industrielle. La théorie microéconomique distingue habituellement deux situations différentes quant à l’approche stratégique. La première se situe dans le
cadre d’un marché concurrentiel, la seconde privilégie les marchés
imparfaits, et plus particulièrement les marchés oligopolistiques. Dans
le cadre de ce mini-manuel, nous nous plaçons dans un environnement
de concurrence imparfaite et, parmi les stratégies possibles, nous en
privilégions trois :
ES
JU
➤ La première est celle des stratégies de prix, où le prix est une des
DE
S
SC
IE
NC
variables clés de l’entreprise, que cette dernière ait à subir le prix du
marché ou qu’elle en ait la responsabilité.
1.s
ch
ola
rvo
CU
L
FA
x.c
o
m:
dre différentes formes (différenciation horizontale, verticale, etc.).
Cette différenciation est au cœur du modèle de concurrence imparfaite, avec la remise en cause de la notion du concept d’homogénéité du produit.
TE
➤ La seconde a trait à la différenciation des produits, qui peut pren-
uh
➤ La troisième entend mettre en évidence les différentes stratégies
possibles, allant de la simple entente, en passant par la coopération
pour, ultime étape, se traduire par une fusion ou une acquisition.
L’absence d’un prix unique sur le marché et d’un produit homogène,
aussi bien que l’existence de structures oligopolistiques de plus en plus
puissantes, contribuent à mettre à mal le modèle de concurrence pure
et à justifier le rôle de plus en plus dominant des marchés imparfaits, si
chers à l’économie industrielle.
m:
x.c
o
rvo
ola
ch
1.s
uh
TE
CU
L
FA
DE
S
ES
NC
IE
SC
JU
CHAPITRE
7
Les stratégies de prix
OBJECTIFS
➤ Comprendre pourquoi, en oligopole, la stabilité des prix est la règle
générale.
➤ Comprendre pourquoi la guerre des prix est toujours d’actualité et en
connaître les conditions.
➤ Connaître la tarification en temps réel, ou yield management.
PLAN
7.1 Les prix limites : théorie et pratique
7.2 Les prix prédateurs : théorie et pratique
7.3 La tarification en temps réel
JU
LES PRIX LIMITES : THÉORIE ET PRATIQUE
IE
SC
DE
S
TE
CU
L
FA
m:
rvo
x.c
o
Par prix limite, il faut entendre un prix suffisamment bas, rendant
non profitable toute entrée d’un concurrent potentiel. La pratique du
prix limite est une pratique stratégique, car il appartient à la gouvernance de l’entreprise de proposer ce prix au marché, constituant
ainsi une barrière dissuasive pour de nouveaux entrants potentiels.
NC
ES
7.1
uh
1.s
ch
ola
Bien sûr, ce prix limite n’est pas un prix maximisant le profit. Dans le
cadre de la stratégie dite du prix limite, l’entreprise devra choisir le prix,
mais aussi les quantités permettant à la demande insatisfaite à ce prix
d’être suffisamment faible pour qu’aucune autre entreprise ne soit tentée
de pénétrer ce marché. Pour les entreprises en place, le prix limite est
une pratique de court terme, permettant à long terme de compenser,
grâce à une concurrence réduite, le manque à gagner du court terme.
On doit à J. S. Bain, dès 1956, le constat que les entreprises instables sur
un marché cherchent à optimiser leur profitabilité en limitant l’entrée de
140
Chapitre 7 • Les stratégies de prix
nouveaux concurrents. S. Labini, puis F. Modigliani, vont compléter les
travaux de J. S. Bain par le modèle BSM (Bain-Sylos-Modigliani) où,
pour la première fois, une explication est donnée à ce constat.
a) Le modèle BSM
Les hypothèses du modèle
Le modèle part de l’idée que, si les entreprises installées, déjà en place
sur le marché, sont protégées par des barrières à l’entrée, quelle que soit
la nature de ces barrières, elles sont libres de fixer leur prix.
Dans le cas du modèle BSM, on part d’une situation où existent deux
entreprises : l’une déjà installée (E1), et l’autre potentiellement entrant
sur le marché (E2). De même, on considère que la demande est stable
durant les deux périodes, avant entrée et après entrée, et que les
consommateurs sont indifférents au choix de E1 et de E2. Enfin, avant
dernière hypothèse, E1 maintient son niveau de production initial après
entrée de E2. Dernière hypothèse, E2 anticipe une absence de réaction de
E1, suite à son entrée sur le marché.
Les conclusions du modèle
ES
NC
IE
SC
TE
DE
S
➤ Prix limite et avantage absolu de coût
JU
Dans ce modèle, tout entrant potentiel, E2 par exemple, considère la
production totale comme étant la somme de la production de E1 avant
entrée de E2, et de E2 une fois entré sur le marché. Aussi, le prix « limite » du marché proposé par E1 ne pourra que baisser une fois l’entreprise E2 installée. La détermination de ce prix limite va dépendre de la nature des barrières à l’entrée dont bénéficie E1. On en retient habituellement
deux qui sont incontestables : l’avantage absolu de coût et l’existence
d’économie d’échelle.
rvo
x.c
o
m:
FA
CU
L
Par avantage absolu de coût, il faut entendre le différentiel de coût
entre les deux entreprises E1 et E2. On supposera que cet avantage de
coût est celui dont dispose E1.
uh
1.s
ch
ola
Pour E1, en fixant le prix limite à la valeur du coût moyen de E2, cette
dernière ne sera pas motivée pour rentrer sur ce marché non profitable. Et ce d’autant plus que E2 sait qu’en entrant sur ce marché,
l’offre va augmenter et ce qui était le prix limite va baisser. Pour E1,
reste une dernière condition à satisfaire : celle où le prix limite retenu est supérieur au coût moyen de E1. Ce qui est plus que probable
(voir « Prix limite et économie d’échelle », page suivante).
En conséquence, l’existence d’un avantage absolu de coût pour E1 lui
permet de retenir un prix limite supérieur au coût moyen de E2
7.1 • Les prix limites : théorie et pratique
141
puisque l’entrée de E2 sur ce marché contribuera à faire baisser ce
prix. De même plus, le volume résiduel destiné à E2 sera important,
plus le prix de marché, après entrée de E2, baissera. Cela pourra
permettre, dans ce cas précis, d’avoir un prix limite supérieur au coût
moyen de l’entrant. Comme on peut le constater, plutôt que de parler
d’un prix limite, très difficile à établir, il conviendrait de retenir l’idée
d’une zone de prix limite.
Le prix limite n’est pas le prix le plus bas possible, mais dépend de la nature des
barrières à l’entrée, avantage absolu de coût et/ou économie d’échelle.
➤ Prix limite et économies d’échelle
Si l’on peut accepter l’hypothèse que E1 et E2 aient la même structure de coût, et puissent disposer de la même technologie, par contre E1
aura toujours un avantage sur E2 de par les économies d’échelle dont
elle bénéficie théoriquement, et du fait d’une présence sur le marché
antérieure à celle de E2 et d’un volume de production très supérieur
à ce que pourrait être celui de E2.
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Pour autant, les conditions d’équilibre, prix et quantités offertes, sont
rarement dissuasives pour l’entrant éventuel (E2). En effet, afin de
maintenir une pression haussière sur les prix, les quantités produites
par E1 laisseront à E2 une demande résiduelle non satisfaite suffisamment importante pour l’inciter à entrer sur le marché. Seul
élément dissuasif, celui d’un prix limite qui ne maximise pas le profit
de E1 en situation de monopole. Ce prix limite sera nécessairement
inférieur à celui P prix en monopole, qui maximise le profit. Plus ce
prix limite se rapprochera du coût moyen de E2, plus ce prix limite
constituera une barrière à l’entrant, confortant E1 en situation de
monopole.
Analyse
stratégique
Dans le cas d’un marché réduit à E1 et E2, E1 est en situation de
monopole. Cette situation lui est très favorable par rapport à E2, car
E1 peut fixer son prix et son volume de production.
uh
1.s
ch
ola
rvo
Dans le cadre du modèle BSM, la théorie du prix limite se résume à
un prix limite égal au niveau du coût moyen de l’entrant. À ce prix,
l’entreprise en place ( E1) réalisera toujours un profit et découragera
l’entrant potentiel E2 à entrer sur le marché.
Un autre modèle, le modèle de Milgrom-Roberts complète l’apport
du modèle BSM en tenant compte de l’existence d’asymétries de
l’information lors de la détermination du prix limite. Si certains
auteurs présentent le modèle de Milgrom-Roberts comme se rattachant aux stratégies prédatrices, son contenu nous a incités à le rattacher à la théorie du prix limite.
142
Chapitre 7 • Les stratégies de prix
b) Asymétrie de l’information et prix limite :
le modèle de Milgrom-Roberts
Les hypothèses du modèle
Le modèle est supposé agir sur deux périodes, faisant intervenir deux
entreprises E1 et E2.
En période I, l’entreprise E1 est en situation de monopole. C’est elle qui
choisit le prix de la première période, E1 est l’entreprise existante. En
période II, l’entreprise E2 peut choisir d’entrer (ou non) sur le marché de
E1. E2 ne connaît pas le coût de production de E1 et ne le connaîtra qu’une fois entrée sur le terrain. Par contre, bien sûr, E1 connaît son coût de
production. La décision de E2 d’entrer sur le marché de E1 dépend de la
connaissance qu’elle a du coût de production de E1.
Compte tenu des asymétries d’information concernant ce coût de
production, P. R. Milgrom et J. Roberts vont faire deux hypothèses :
celle d’un coût de production de E1 faible et celle d’un coût de production de E1 élevé, soit respectivement CF et CE. En situation d’information complète, E2 n’entrera sur le marché que si nous avons CE (coût de
production élevé). Mais nous sommes en situation de concurrence
imparfaite : quelles conclusions faut-il alors tirer de cette situation ?
rvo
x.c
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m:
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L’intérêt de E1 est donc de communiquer sur un coût CF, et pour cela le
moyen indirect dont elle dispose est d’envoyer un signal, sous la forme
d’un prix faible, même si les coûts de production sont élevés. Pour
autant, E1 n’est pas sûr que E2 sera convaincu de l’intérêt d’entrer sur le
marché suite à cette communication d’un prix bas. En effet, E1 et E2
connaissent les faiblesses de l’autre, et plus particulièrement l’intérêt de
E1 à communiquer sur une non-vérité, voir sur un mensonge. De même,
E1 sait que E2 connaît son intérêt de communiquer sur un prix bas. Aussi,
cette décision aboutit à deux types d’équilibres : l’équilibre séparateur et
l’équilibre mélangeant
JU
Équilibre séparateur et équilibre mélangeant
ch
ola
➤ L’équilibre séparateur
uh
1.s
Dans le cas d’un équilibre séparateur, l’entreprise déjà présente sur le
marché (E1), ne propose pas le même prix si le coût de production est
fort, ou s’il est faible.
En période I, le prix de E1 traduit le coût de production de E1, et E2
bénéficie alors de cette information. P. R. Milgrom et J. Roberts
démontrent alors, à partir de leur modèle, que :
– les conditions d’entrée sur ce marché sont les mêmes que celles
rencontrées lorsque l’information est symétrique
7.1 • Les prix limites : théorie et pratique
143
– l’entreprise existant déjà sur un marché, dont les coûts de production sont faibles, aura nécessairement une stratégie de prix limite.
Sans cette pratique, elle serait considérée comme une entreprise à
coût élevé, ce qu’elle n’est pas, avec les conséquences que l’on
peut imaginer pour l’entrant éventuel.
➤ L’équilibre mélangeant
Dans le cas d’un équilibre mélangeant, le prix pratiqué par E1, en
période I est indépendant du coût de production de E1. L’entrant,
contrairement au cas précédent, n’apprend donc rien sur le coût réel
de E1. Les conclusions principales qu’en tirent P. R. Milgrom et
J. Roberts sont les suivantes :
– E1 va tout faire pour que l’information sur son coût de production
ne soit pas révélée.
– Si E1 a un coût faible, elle choisira comme prix limite un prix de
monopole.
– Si E1 a un coût élevé, elle va s’engager dans une stratégie de prix
limite, afin de dissuader E2 de rentrer sur le marché.
Analyse
stratégique
P. R. Milgrom et J. Roberts vont en conclure que la pratique du prix
limite ne saurait être découragée, contribuant à la diminution des prix
à court terme, sans limiter, à chaque fois, la probabilité d’un nouvel
entrant sur le marché.
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Si la définition d’un prix limite est relativement simple, sa mise en
pratique s’avère plus complexe, comme l’ont montré les modèles BSM
et de Milgrom-Roberts. Parmi les critiques et les réserves formulées à
son égard, on distinguera celles qui tiennent aux hypothèses qui la précèdent et celles qui tiennent aux informations disponibles et à leur condition d’accès.
JU
c) Limites et critiques de la théorie du prix limite
ch
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rvo
Des hypothèses non réalistes
uh
1.s
Parmi toutes les hypothèses retenues, deux ne semblent pas devoir résister aux faits et à la pratique observés sur les marchés. Ces deux hypothèses sont le maintien du niveau de production initial de E1 en période
II et l’absence de réaction de E1 suite à l’entrée de E2 sur le marché.
Pour la firme déjà installée, la première de ces deux hypothèses manque
de réalisme et est démentie par les faits, principalement si cette entreprise est une grande entreprise. En effet, elle laisse supposer que E1 va se
contenter d’une stratégie non optimale, ne maximisant pas son profit et
144
Chapitre 7 • Les stratégies de prix
pouvant même la conduire à des pertes, et ce malgré la possibilité de
faire autrement.
De même, comment imaginer que E1 ne réagira pas à l’entrée de E2 sur
le marché ? Une entreprise dominante sur un marché disposant d’un
véritable pouvoir de monopole acceptera difficilement de baisser ses
prix afin de dissuader l’entrent potentiel. Si elle doit le faire, elle préférera que cela soit fait une fois l’entrant sur le marché, et non avant. C’est
pourquoi certains auteurs considèrent que la théorie du prix limite ne
sera pas souvent dissuasive pour un entrant potentiel particulièrement
motivé.
Le paradoxe des asymétries de l’information
Dans la théorie du prix limite, les asymétries de l’information vont jouer
un rôle essentiel.
Si l’on prend bien en compte le fait que E2 est désavantagé vis-à-vis de
E1, ne connaissant pas ses coûts de production, on oublie cependant une
donnée importante dont dispose E2, et dont ne dispose pas E1 : celle des
coûts de production de E2. Le même raisonnement vaut pour E1 vis-àvis de E2. Laquelle des deux de ces entreprises est en situation de force
par rapport à l’autre ?
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Exemple. Dans une ville moyenne existe une supérette familiale, implantée depuis longtemps ; un supermarché décide de venir la concurrencer.
L’entrant potentiel sera immédiatement en position de force sur ce marché
et, si l’existant décidait de mettre en place une stratégie de prix limite, il
ne serait pas crédible et n’aurait guère de chance de dissuader l’entrant
potentiel.
JU
Pour la théorie du prix limite, l’entreprise existante est celle qui souffre
le moins de ces asymétries. La réalité est moins évidente.
uh
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m:
FA
En cas de symétrie de l’information entre les deux entreprises E1 et E2,
on peut également penser que l’entrant potentiel, E2, sera capable d’anticiper les conditions d’un marché élargi. La théorie d’un prix limite ne
pourrait alors s’appliquer qu’en cas d’asymétrie de l’information,
lorsque E2 sera convaincue, à tort ou à raison, de la non-profitabilité de
l’opération visant à entrer sur le marché.
La théorie du signal vient alors judicieusement compléter l’analyse. Il
faudra un signe fort pour convaincre véritablement E2 de la non-opportunité d’entrée sur le marché. Cela représente un coût que seules les
grandes entreprises, disposant d’une trésorerie solide, sont capables
d’assumer.
7.2 • Les prix prédateurs : théorie et pratique
145
Si la stratégie du prix limite est bien légale, on lui reproche souvent son
manque d’agressivité face à un concurrent potentiel déterminé. Pour
beaucoup d’auteurs, elle n’est pas suffisamment agressive et ne se vérifie que dans des circonstances particulières : forte asymétrie de l’information et économies d’échelle importantes.
C’est pourquoi d’autres stratégies de prix, beaucoup plus radicales vont
voir le jour. Elles n’auront plus comme objectif de limiter seulement
l’entrée sur un marché, mais prendront en compte également la possibilité de réduire le nombre d’entreprises existantes sur un marché. On
parlera alors de stratégie d’éviction, ou de prédation.
7.2 LES PRIX PRÉDATEURS : THÉORIE ET PRATIQUE
Analyse
stratégique
Si la stratégie des prix limites est tout à fait légale, ne remettant pas en
cause l’éthique des affaires, telle n’est pas la stratégie des prix prédateurs, (dite stratégie de prédation, ou d’éviction). Même si, globalement,
cette stratégie est celle d’une entreprise dominante – fixant ses prix à un
niveau bas pendant une période de temps suffisamment longue pour
conduire certaines entreprises concurrentes à sortir du marché, ou des
concurrents potentiels à renoncer à ce marché pour autant –, définir la
stratégie des prix prédateurs ne saurait pour autant se résumer à cette
affirmation.
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Le sujet est beaucoup plus complexe, et la définition devra tenir compte
de l’objectif poursuivi par l’entreprise et des moyens mis en œuvre pour
y parvenir. Les prix resteront-ils bas définitivement ? Que faut-il entendre par prix bas ? Prix égal au coût marginal ? Prix inférieur au coût
moyen ? etc. À toutes ces questions, il faudra répondre si l’on veut
comprendre la stratégie du prix prédateur et en préciser les limites.
uh
1.s
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x.c
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Le modèle de Dixit présente la situation de deux entreprises où E1,
entreprise en place, est confrontée à la concurrence de E2 (entrant
potentiel). A. Dixit fait l’hypothèse que E1 adresse un signal fort à
E2 en investissant dans ses moyens de production et en le faisant
savoir. Le caractère irréversible de l’investissement réalisé crédibilise la volonté de E1 d’éviter E2. On peut présenter cette situation
sous la forme d’un arbre de décision (voir page suivante).
m:
FA
Le modèle de Dixit
Ce modèle distingue deux situations. Tout d’abord, celle où l’entreprise installée laisse faire : on parlera alors de comportement passif.
Celle où, au contraire, l’entreprise installée réagit et donne un signal
146
Chapitre 7 • Les stratégies de prix
E1
Comportement actif
Comportement passif
E2
E2
Entre sur le
marché
Ne rentre pas
sur le marché
Entre sur le
marché
Ne rentre pas
sur le marché
E1
E1
Conflit
Partage
Perte
Profit de
duopole
Profit de
monopole
Conflit
Partage
Perte
Profit de
duopole
Profit de
monopole
Figure 7-1 Le modèle de Dixit
x.c
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m:
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Dans le cas où E1 laisse faire, on est en présence d’un jeu séquentiel en deux étapes : tout d’abord, celle où E2 prend sa décision d’entrer (ou non) sur le marché. Puis, celle où E1 choisit le partage ou le
conflit. Si E2 reste en dehors, E1 est en monopole et peut prétendre
à un profit de monopole. Si E2 entre sur le marché, E1 peut choisir
entre le partage ou le conflit. Le partage lui assure un profit de
duopole et le conflit transforme les profits en perte.
JU
fort à l’entrant potentiel : on parlera alors de conflit, ou de comportement stratégique.
uh
1.s
ch
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rvo
Dans le cas où E1 décide de donner un signal fort, par exemple
destiné à E2, en investissant officiellement et massivement ∆I, nous
sommes alors en présence d’un jeu séquentiel en trois étapes :
➤ Première étape : la décision de E1 d’adopter (ou non) un
comportement conflictuel. Dans ce cas, les profits se transforment en perte.
➤ Deuxième étape : celle où E2, compte tenu de la décision de E1,
décide (ou non) d’entrer ; les gains de E1 seront alors minorés
de ∆I.
7.2 • Les prix prédateurs : théorie et pratique
147
➤ Troisième étape : celle où E2 choisit (ou non) le conflit. Comme
pour la deuxième étape, le profit E1 sera diminué de ∆I.
Cependant, pour que E1 accepte l’hypothèse conflictuelle, il faut
que la perte, en cas de coopération, soit plus importante que la perte
en cas de conflit. Dans ce cas, il est probable que E2 refusera d’entrer sur le marché. De même, si E1 choisit la passivité, laissant E2
entrer sans réagir, la situation d’équilibre est celle de gains de
duopole pour E2 et E1. C’est pourquoi la décision d’investir ∆G,
coûteuse pour l’entreprise, ne pourra intervenir qu’à la suite d’une
succession d’arbitrage, que le modèle de Dixit a mis en évidence.
a) Définition et enjeux des stratégies de prédation
Une définition plurielle
Analyse
stratégique
La difficulté de définir la stratégie de prédation tient tout d’abord à la
confusion entre stratégie de prédation et prix bas. Comme le soulignent
avec force P. Rey et J. Tirole, il convient de distinguer une pratique qualifiée d’innocente et une pratique agressive. La première (pratique innocente) recherche la maximisation du profit et se rapproche de la pratique
du prix limite. La seconde (pratique agressive) a pour objet d’éliminer
un concurrent déjà présent sur le marché. Et c’est pourquoi elle s’identifie à une stratégie de prédation. Toute la difficulté tient dans la définition
d’un prix prédateur.
➤ L’approche de R. A. Posner
3
ES
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Pour R. A. Posner, le prix prédateur est :
uh
1.s
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Il y aura prédation si et seulement si le prédateur est capable de maintenir ce prix bas aussi longtemps que nécessaire pour éliminer du
marché les concurrents. En cas de nouveaux entrants potentiels, ce
prix devra être maintenu bas le temps nécessaire pour dissuader ce
nouvel entrant. Pour R. A. Posner, les prix prédateurs supposent une
intention délibérée d’exclusion.
NC
« Le prix qui conduit à exclure du marché un concurrent au moins
aussi efficace que l’agresseur. »
➤ La contribution de M. Motta
Pour M. Motta, dans la pratique du prix prédateur, il faut distinguer
le court terme et le long terme : un temps pour le sacrifice (court
terme) et un temps pour le profit (long terme).
Un prix prédateur est donc un prix qui sacrifie les profits à court
terme, en vue de les retrouver plus élevés que jamais à long terme.
148
Chapitre 7 • Les stratégies de prix
Au prix prédateur correspond une stratégie de la prédation qui peut
aller jusqu’à accepter une perte, en pratiquant un prix inférieur au
coût moyen par exemple, permettant d’éliminer le concurrent, condition nécessaire pour pouvoir ensuite pratiquer la politique du prix
élevé, augmentant son profit à long terme.
Il ne faut pas confondre prix de prédation et prix bas. Tous les prix de prédation
sont des prix bas, mais tous les prix bas ne sont pas des prix de prédation.
Des conditions permissibles
Les conditions permissibles de la prédation tiennent à la fixation du prix
prédateur et à la crédibilité de l’entreprise prédatrice.
➤ Le prix prédateur
Le prix prédateur suppose que le prix retenu soit le plus bas possible.
Si l’on part de l’hypothèse probable que les coûts de production de
l’entreprise prédatrice sont plus forts que ceux des entreprises
concurrentes, présentes ou non sur le marché, le prix prédateur devra
être supérieur au coût de production. Reste à préciser quel sera le
coût de production retenu : coût moyen ? Coût marginal ?
➤ La crédibilité du prédateur
x.c
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m:
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Pour cela, il faut que le prédateur dispose d’une trésorerie solide, de
moyens financiers importants et, en toute hypothèse, plus importants
que ceux de la victime présumée. De même, il faut que le prix bas
retenu soit perçu comme le signe de la puissance du prédateur, quelle que soit la réalité de ses coûts de production par ailleurs.
JU
Le prédateur devra être crédible pour ses concurrents et ses concurrents potentiels : les concurrents sont déjà présents sur le marché ; les
concurrents potentiels rêvent de devenir concurrents. Il faudra
convaincre les premiers que le prédateur maintiendra ses prix en
dessous du coût de production tout le temps nécessaire, et dissuader
les seconds de l’intérêt de rentrer sur le marché.
ola
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Les limites de la stratégie de prédation
uh
1.s
ch
Dès la formulation de cette théorie, un certain nombre d’auteurs ont
douté de son bien-fondé. Outre le fait qu’elle aboutit à une situation illégale, la vente à perte est interdite par le législateur. Les critiques ont
porté essentiellement sur le risque de non-efficacité.
W. Leeman, dès 1956, va insister sur les faiblesses de cette théorie,
soulignant tout d’abord que les entrants potentiels peuvent, eux aussi,
disposer de ressources financières importantes, les rendant insensibles à
la stratégie de prédation. De même, l’auteur va souligner qu’en cas de
guerre des prix, si certaines entreprises disparaissent, leur production
7.2 • Les prix prédateurs : théorie et pratique
149
pourra donner lieu à un rachat groupé par un tiers, faisant de ce dernier
un concurrent potentiel redoutable. Tout serait donc à recommencer.
Enfin, pour que la prédation soit définitive, il faut que l’entreprise
concernée ne soit plus directement capable de repartir sur le marché - ce
qui, selon W. Leeman, est loin d’être le cas général, l’entreprise pouvant,
selon la stratégie du prédateur, effectuer des entrées et des sorties successives.
Reste que la principale difficulté de la stratégie de prédation est celle de
la preuve objective d’une pratique de prix prédateurs, inférieurs à leur
coût de production. En effet, les modalités de calcul des prix peuvent
résulter de méthodes diverses, complexes, rendant difficile la connaissance du coût de production. Baisser un prix pourra être aussi la conséquence de pratiques commerciales, comme celles correspondant à une
action de promotion ou à des opérations de soldes. C’est pourquoi, afin
de répondre à ce manque de rationalité, certains économistes vont avoir
recours à la théorie des jeux et à la modélisation pour montrer le bienfondé de cette théorie et sa rationalité.
Analyse
stratégique
b) Essai de modélisation des stratégies de prédation
L’apport de la théorie des jeux
➤ La contribution de R. Selten
➤ La contribution de D. M. Kreps et R. Wilson
uh
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Il applique sa théorie à une chaîne de magasins, confrontée dans une
situation de monopole à un entrant potentiel. Sa conclusion est que,
dans des jeux répétés finis, il n’est pas rationnel que cette chaîne de
magasins entre en guerre avec ce nouvel entrant potentiel. Si nous
appelons la chaîne de grands magasins EGM, et E1 l’entrant potentiel, R. Selten démontre que, à chaque coup n – 1, il n’y a pas de
menace de prédation au ne coup, et ce jusqu’au début du jeu en période 1, de la part de EGM. En conséquence, E1 entrera toujours sur le
marché et EGM choisira de s’en accommoder.
JU
R. Selten, économiste allemand et prix Nobel d’économie en 1994,
propose, comme nous l’avons rappelé, le concept d’équilibre parfait
en sous-jeu.
D. M. Kreps et R. Wilson s’interrogent sur la possibilité de se créer
une réputation d’agressivité par le recours à des prix prédateurs.
Leur modèle est construit à partir d’une situation où cohabitent deux
entreprises E1 et E2 en situation de monopole. E1 est supposée être
l’entreprise faible et E2 l’entreprise forte. Pour E1, entre combattre E2
ou s’accommoder de E2, le choix rationnel est celui de s’accommo-
150
Chapitre 7 • Les stratégies de prix
der. Par contre, E2 combattra toujours pour éviter l’entrée de E1. Si,
au début du jeu, l’entrant ou les entrants potentiels ne connaissent pas
la nature du monopole, fort ou faible, auquel ils sont confrontés, ni le
comportement à en attendre, D. M. Kreps et R. Wilson démontrent
que le monopole faible doit aussi combattre, dès le premier jeu, afin
de se créer une réputation d’agressivité et faire croire à E2 qu’elle est
un monopole fort. On parle alors de modèle de prédation par réputation.
C’est plus particulièrement intéressant pour une entreprise prédatrice
intervenant sur plusieurs marchés. Si, sur un marché, cette entreprise
a des coûts de production très bas, elle pourra fortement baisser son
prix, sans vendre à perte. Elle se donne alors l’image d’une entreprise agressive, ce qui va lui profiter sur un marché B, celui de la prédation. Même si le coût de la prédation est élevé sur ce marché B, il est
cependant probable qu’il soit inférieur aux bénéfices obtenus par
cette entreprise sur d’autres marchés.
Les modèles d’asymétrie financière
➤ Les principes
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Par la suite, cette théorie va conduire à de nombreux essais de modélisation à partir d’une hypothèse implicite, celle de l’imperfection des
marchés financiers. À l’inverse des modèles reposant sur l’imperfection (ou asymétrie) de l’information avec les modèles de prédation
fondés sur les asymétries financières, tout le monde sait qu’il est
profitable de rester sur le marché. La rationalité de la prédation s’exprime alors dans l’existence d’une asymétrie financière entre deux
entreprises (A et B), où A peut se financer elle-même sur ses fonds
propres et où B dépend uniquement de ses créanciers pour son financement de projet. On retrouve ici la relation principal/agent entre une
entreprise et ses créanciers, et l’impact de cette relation sur la structure du marché. La prédation serait donc efficace dans la mesure où
elle s’attaque à la relation d’agence entre l’entreprise faible et ses
créanciers.
JU
On doit à L. Tetser la théorie selon laquelle il est rationnel de se
lancer dans une guerre de prix si elle est passagère et si elle conduit
à la faillite du concurrent.
➤ Le modèle Fudenberg-Tirole
Dans ce modèle, deux entreprises E1 et E2 sont en concurrence sur
plusieurs périodes. À l’issue de la période 1, E1 et E2 doivent effectuer un investissement pour pouvoir être compétitifs au cours des
périodes 2, 3..., n. On suppose que E1, entreprise prédatrice, n’a
7.2 • Les prix prédateurs : théorie et pratique
151
aucune contrainte financière et peut tout autofinancer, tandis que E2
doit tout emprunter, dès la fin de la période 1, pour financer son
investissement. La banque, disposant de peu d’informations sur la
situation financière de E2, propose un emprunt dont le surcoût croît
avec le montant de l’emprunt. D. Fudenberg et J. Tirole montrent que
E1 a intérêt à pratiquer un prix faible en période 1, de façon à réduire la capacité de profit de E2 à la fin de la même période, obligeant
E2 à emprunter davantage pour financer son investissement. Le coût
de l’emprunt peut devenir si élevé que l’entreprise E2 soit contrainte
de renoncer à l’investissement, ce qui la conduit à sortir du marché.
c) L’environnement juridique de la théorie
de la prédation
Analyse
stratégique
Rappelons que la prédation est interdite par la loi, et qu’elle constitue un
acte grave, contraire à l’éthique et à la déontologie des affaires. Que cela
soit aux États-Unis, au Canada ou au sein de la Communauté européenne. Encore faut-il dégager une méthode d’analyse permettant de prouver
s’il y a prédation ou non, car bas prix ne veut pas dire prédation.
La règle Areeda-Turner
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Cette règle est aussi connue comme celle de la présomption de prédation, dans le cadre des lois anti-trust. Une présomption de prédation sera
retenue dès l’instant où le prix pratiqué par l’entreprise dominante est
inférieur au coût marginal de court terme. Rappelons que la référence au
coût marginal est celle d’un marché en concurrence pure. Aussi, dès
l’instant où l’on pratique un prix inférieur au coût marginal, on ne
respecte pas les règles normales de la concurrence. À défaut de la
connaissance du coût marginal, cette règle prévoit explicitement de le
remplacer par le coût variable moyen.
JU
Cette règle est américaine et s’inspire de la jurisprudence de ce pays, à
partir des travaux de P. Areeda et D. Turner.
uh
1.s
ch
Satisfaisante sur le plan intellectuel, cette règle pose cependant, encore
aujourd’hui, un problème majeur : celui de la capacité, pour les autorités de concurrence, à établir et/ou à connaître parfaitement la structure
des coûts de production de l’entreprise suspectée. Or, comment les
établir si ce n’est à partir des informations données par l’entreprise ?
Le test Akzo
Suite à l’affaire Akzo, la Cour européenne a proposé une méthode
d’identification connue sous le nom de test Akzo.
152
Chapitre 7 • Les stratégies de prix
Cette méthode distingue trois zones de prix : une zone noire, où les prix
sont fixés en dessous des coûts variables moyens ; une zone grise, où les
prix sont fixés entre les coûts variables moyens et les coûts totaux
moyens ; et une zone blanche, où les prix sont fixés au-dessus des coûts
totaux moyens. En zone noire, les prix sont prédateurs ; en zone blanche,
ils ne le sont pas. Et en zone grise, il faudra prouver l’intention de nuire
et/ou de faire disparaître le concurrent. Le tableau 7.1 reprend le test
Akzo.
Tableau 7-1 Le test Akzo
Zone grise
Zone blanche
Prix pratiqué
Prix supérieur au coût
variable moyen
Prix compris entre
les coûts variables
moyens et les
coûts totaux
moyens
Prix supérieur au
coût total moyen
Argument
de la Cour
européenne
Une entreprise dominante n’a aucun intérêt
à pratiquer ce prix,
puisqu’elle ne couvrirait alors aucun coût
fixe et qu’une partie
de ses coûts variables.
La seule explication
possible est d’éliminer
ses concurrents, afin
de relever ses prix et
utiliser le pouvoir de
monopole ainsi créé.
Il appartient de
prouver l’intention de nuire au
concurrent
Prix
Prédateur
Prédateur si
l’intention de
nuire est prouvée
CU
L
TE
DE
S
SC
IE
NC
ES
JU
Zone noire
1.s
ch
ola
rvo
x.c
o
m:
FA
Non prédateur
uh
Le test Akzo représente certes une avancée par rapport à la règle AreedaTurner, mais il demeure une difficulté majeure, qui est de connaître les
différents coûts de production (coût moyen, coût variable, coût marginal,
etc.) de l’entreprise présumée prédatrice.
7.2 • Les prix prédateurs : théorie et pratique
153
L’affaire Akzo
Cette affaire est ancienne (1983), mais ses conclusions sont toujours
d’actualité. Akzo est une multinationale hollandaise dont l’activité
est l’industrie chimique. En 1979, une plus petite entreprise anglaise, ECS, entre sur le marché. Elle s’est spécialisée dans la production du peroxyde de benzoyle, composant chimique utilisé dans l’industrie des plastiques, mais aussi dans la minoterie, comme agent
favorisant le blanchissement de la farine.
Au départ, dans les années 1980, ECS ne concurrençait Akzo que
sur le marché britannique de la farine, moins rémunérateur que celui
de la chimie. À partir de 1983, ECS entend également venir le
concurrencer sur le marché de l’industrie chimique, utilisatrice de
peroxyde de benzoyle. La réaction d’Akzo est immédiate, et se
traduit par une baisse du prix du peroxyde de benzoyle. ECS va
alors réagir, accusant Akzo de pratiquer des prix prédateurs sur ce
marché.
JU
Analyse
stratégique
Le 14 décembre 1985, la Commission européenne va condamner
Akzo à une amende de 10 millions d’ECU pour abus de position
dominante sur le marché des peroxydes organiques. Akzo fait appel,
et la Cour de Justice des communautés européennes va confirmer la
première condamnation. Dans son arrêt, la cour va développer une
méthode d’identification des prix prédateurs, basée sur les coûts de
production, en distinguant deux niveaux de prix :
NC
3
ES
➤ Tout d’abord, ceux fixés en dessous du coût variable moyen. Ces
SC
IE
prix sont considérés comme des prix prédateurs.
TE
CU
L
FA
m:
rvo
x.c
o
en dessous du coût total moyen. Dans ce cas, les prix ne seront
considérés comme prédateurs que si l’on apporte la preuve de
l’intention de nuire à son concurrent (cf. test Akzo).
DE
S
➤ Ensuite, les prix fixés au-dessus du coût variable moyen, mais
uh
1.s
ch
ola
La cour va retenir, contre Akzo, le deuxième niveau de prix et va
démontrer conjointement l’intention de nuire à ECS. Pour cela, elle
va s’appuyer sur des documents internes et des témoignages, et
surtout sur le fait qu’Akzo avait sélectivement baissé ses prix à
l’égard des seuls clients d’ECS.
Malgré les critiques adressées à cette méthode d’identification, basée sur
les seuls coûts de production, le test Akzo a été par la suite retenu dans
les quelques cas de prédation soumis à l’appréciation de la Commission.
154
Chapitre 7 • Les stratégies de prix
La difficulté de savoir si un prix est prédateur (ou non) a conduit la Cour européenne à distinguer trois cas : prix inférieur au coût variable moyen, prix supérieur
au coût total moyen et prix compris entre les deux. Le premier est un prix prédateur, mais pas le deuxième. Pour le troisième, il faut prouver l’intention de nuire
pour qu’il soit considéré comme prédateur.
7.3 LA TARIFICATION EN TEMPS RÉEL
La tarification en temps réel est aussi connue sous l’appellation de yield
management (ou revenue management).
a) Définitions et conditions d’application
Définition
Comme son nom l’indique, la tarification en temps réel est celle au
meilleur prix, à un moment donné. À mi-chemin entre le marketing et
l’économie industrielle pure, cette tarification est une technique permettant de calculer, en temps réel, les meilleurs prix pour optimiser le profit
généré par la vente d’un produit, ou d’un service, à partir de la prévision
du comportement de la demande, en temps réel. On entend ainsi maximiser le chiffre d’affaires obtenu, en utilisant la variabilité des prix et le
coefficient d’occupation, ou d’utilisation, du service concerné ou des
locaux auxquels il se rattache.
uh
1.s
ch
ola
rvo
x.c
o
m:
FA
CU
L
ES
NC
IE
SC
DE
S
TE
À l’origine, le yield management remonte aux années 1960 lorsque, aux
États-Unis, certaines compagnies aériennes allaient chercher des solutions face à des passagers qui, malgré une réservation, voire un achat, ne
se présentaient pas à l’embarquement. Dans une première étape, le yield
management a donc consisté à connaître et à quantifier le nombre moyen
de passagers défaillant, dits « no show passengers », ce qui a donné lieu
au code aérien Nosh. L’objectif était alors de vendre plus de billets que
de places physiques. Si la moyenne Nosh était de 10 %, on pouvait
vendre 10 % de billets supplémentaires, sans pour autant prendre un
grand risque d’être confronté à la surréservation (ou surbooking), et à ses
conséquences.
JU
Historique du yield management
Puis, à partir des années 1980, toujours dans le domaine de l’aviation, les
grandes compagnies aériennes ont été confrontées à un problème majeur
et à une innovation technologique de première importance :
➤ Le problème majeur est celui de nouveaux entrants, potentiels et
réels, sur le marché dont les coûts de production et d’exploitation
étaient très inférieurs à ceux des grandes compagnies aériennes de
l’époque, comme American Airlines ou Delta Airlines.
7.3 • La tarification en temps réel
155
➤ L’innovation technologique concerne la naissance des systèmes
informatisés de réservation (SIR). Ces systèmes informatisés vont
permettre de créer des liens directs, en temps réel, entre les agences
de voyages et les compagnies aériennes, et de communiquer, toujours
en temps réel, sur le taux de remplissage des vols. C’est l’époque où
vont naître différents SIR : Sabre (American Airlines), Apollo
(United Airlines) et Amadeus (partagé à l’époque par Air France,
Ibéria et Lufthansa). Compte tenu de ces nouveaux moyens, les
compagnies aériennes de transport civil vont proposer de nouvelles
méthodes de tarification et de gestion des sièges disponibles, en
temps réel. Ces méthodes sont aujourd’hui connues sous l’appellation de yield management. Elles vont contribuer, et contribuent
toujours aujourd’hui, à la déréglementation du transport aérien.
Caractéristiques et conditions préalables à la pratique du yield
management
➤ Produits ou services périssables
Analyse
stratégique
Le caractère périssable du produit, ou du service concerné est une
condition nécessaire, mais pas toujours suffisante. Par périssable, il
faut entendre « non-valeur à partir d’une certaine date ». Les produits
périssables ne sont pas stockables.
CU
L
TE
DE
S
SC
IE
NC
3
ES
JU
Exemple. Dans les activités de services, comme le transport aérien ou le
transport SNCF, tout siège non occupé lors d’un vol ou lors de l’utilisation du train a, et aura toujours, une valeur résiduelle zéro. De même, en
ce qui concerne les produits alimentaires frais, on sait très bien que les
prix pratiqués en début de marché ne sont pas les mêmes qu’en fin de
marché, et que plus on se rapproche de la date limite d’utilisation de ces
produits, plus le prix baisse.
m:
FA
➤ Une demande variable et une offre stable et rigide
uh
1.s
ch
ola
rvo
x.c
o
La variabilité de la demande peut être à la hausse et à la baisse. Ce
ne sont pas les mêmes clients en début de marché et en fin de marché,
comme ce ne sont pas les mêmes clients qui attendent au dernier
moment de faire leur réservation sur un train ou un avion, ou qui
prennent régulièrement leur réservation sans tenir compte de la politique tarifaire pratiquée. Pour les premiers, l’important est que le prix
soit le plus bas possible ; pour les seconds, l’important est qu’il y ait
une place disponible, quel que soit son prix.
En ce qui concerne l’offre, elle est une donnée finie rigide, qui se
réduit au fur et à mesure que l’on consomme. Une demande fluc-
156
Chapitre 7 • Les stratégies de prix
tuante, confrontée à une offre rigide qui ne peut que baisser, cela
explique l’existence de prix variables et différents. Dans un train ou
un avion, l’offre est limitée aux places disponibles. De même, sur un
marché ou dans un rayon de la grande distribution, l’offre est limitée
par la taille du marché ou par celle du rayon.
➤ Un produit ou un service au coût marginal faible
Par exemple, dans les activités de transport, le coût marginal lié à
l’occupation d’un siège supplémentaire, dans un train ou un avion, ne
représente qu’une faible part des coûts fixes supportés par la compagnie ferroviaire ou par la compagnie aérienne. C’est pourquoi, quel
que soit le prix proposé, il constitue une recette quasi nette pour
l’opérateur.
➤ Une vente des produits et des services par réservation
Cette dernière condition est très importante pour pouvoir optimiser le
chiffre d’affaires réalisé, compte tenu de prix différenciés. Cette
condition n’est pas toujours présente sur le marché des produits,
même si elle tend à se développer avec la pratique de l’e-commerce.
La tarification en temps réel n’est pas applicable dans tous les domaines. Elle
suppose que les produits et/ou services concernés soient périssables, et pour
lesquels la demande est donc variable, contrairement à l’offre qui est stable et
rigide.
FA
CU
L
ES
NC
IE
SC
DE
S
TE
La pratique du yield management suppose implicitement que l’on puisse segmenter la clientèle, et que cette segmentation soit la plus précise
possible. Or, les critères de segmentation diffèrent selon les activités
concernées et les objectifs poursuivis. Deuxième condition indispensable à cette pratique, celle d’une bonne connaissance du marché dans
lequel on évolue.
JU
b) Pratiques et limites du yield management
uh
1.s
ch
ola
rvo
x.c
o
m:
La connaissance du marché passe par celle de l’évolution de la demande globale, de sa localisation et de ses périodes à forte consommation.
Mais elle suppose également la connaissance de ses concurrents, de leur
réactivité éventuelle à une décision tarifaire, etc., car la pratique du yield
management suppose que l’on soit toujours plus attractif que la concurrence ou le concurrent.
Autre difficulté : le choix tarifaire. Il doit permettre de perdre le moins
de clients possibles, sans pour autant faire chuter le chiffre d’affaires, ce
qui n’est pas évident.
Points clefs
157
Exemple. Les ventes promotionnelles ne doivent pas devenir la règle,
mais conserver un caractère exceptionnel : c’est pourquoi, dans le cadre
de ventes promotionnelles de places d’avion bon marché, on accompagnera ces ventes de quotas maximums afin de conserver un contrôle sur
l’influence de cette promotion sur l’activité de l’entreprise. De même,
cette vente pourra être accompagnée de contraintes, comme prendre le
billet à certaines dates de la semaine ou loger dans tel ou tel hôtel pour
bénéficier du meilleur prix.
Certes, l’utilisation croissante d’Internet et la pratique des enchères,
comme sur Ebay, donne des opportunités nouvelles au yield management. Pour autant, cette pratique reste essentiellement réservée aux activités de services, où existent des sites de réservation, en temps réel. C’est
le cas dans le transport aérien, dans le transport ferroviaire et dans l’hôtellerie en général. Bras armé de la dérégulation de ces marchés, elle a
su montrer son efficacité.
JU
Analyse
stratégique
Suite de l’exemple. Si le consommateur peut tirer avantage du yield
management, il n’est pas toujours simple pour lui de constater, à l’occasion d’un vol aérien, que toutes les personnes qui l’entourent dans la cabine paient un prix différent, alors qu’ils partent du même aéroport, le même
jour, à la même heure, pour revenir (parfois) dans la même ville et à la
même heure via la même compagnie, etc.
SC
IE
NC
3
ES
POINTS CLEFS
DE
S
➤ Par prix limite, il faut entendre un prix suffisamment bas rendant non
FA
m:
➤ Le modèle BSM met en évidence deux barrières à l’entrée dont béné-
CU
L
TE
profitable l’entrée d’un concurrent potentiel.
ch
ola
rvo
x.c
o
ficie l’entreprise en place : l’avantage absolu de coût et l’existence
d’économies d’échelle.
uh
1.s
➤ Le modèle Milgrom-Roberts prend en compte les asymétries de l’in-
formation dans la définition du prix limite. Ce modèle met en évidence un équilibre séparateur et un équilibre mélangeant.
➤ Si la stratégie du prix limite est légale, tel n’est pas le cas de la straté-
gie du prix prédateur. Pour P. Rosner, le prix prédateur est celui qui
conduit à exclure du marché un concurrent au moins aussi efficace
que le prédateur. Pour M. Motta, il faut distinguer le court terme, dans
la prédation, où le prédateur accepte de perdre de l’argent, et le long
158
Chapitre 7 • Les stratégies de prix
terme où sa position de monopole lui permet de regagner, et au-delà,
ce qu’il a perdu dans la période précédente.
➤ Le prix prédateur est inférieur au coût moyen (CM) de l’entrant poten-
tiel. La théorie de la prédation suppose la crédibilité du prédateur, à
savoir sa capacité à maintenir autant que nécessaire, ce prix très bas,
où il perd de l’argent, ce qui suppose une trésorerie solide.
➤ Selten, Kreps et Wilson vont utiliser la théorie des jeux pour proposer
une modélisation de la stratégie de prédation.
➤ Le modèle Fudenberg-Tirole est un modèle d’asymétrie financière,
expliquant pourquoi l’entreprise présente a intérêt à pratiquer une
stratégie de prédation.
➤ La tarification en temps réel, ou yield management, est surtout utilisée
dans les activités de services bénéficiant d’un système de réservation
informatisé, et où les services sont périssables.
EXERCICES
1) Une entreprise E1 est en situation de monopole ; sa fonction de
demande est égale à :
P = – Q + 30
ES
DE
S
SC
IE
NC
Q2
+3
2
TE
C T (Q) =
JU
Et sa fonction de coût total est :
FA
CU
L
Questions :
1.s
ch
ola
rvo
x.c
o
m:
A. Quel est le prix que peut pratiquer E1 pour empêcher un entrant éventuel (prix limite), ou pour faire disparaître une entreprise déjà présente
sur le marché (prix prédateur) ?
uh
B. Que se passera-t-il si un concurrent potentiel E2, décide de venir sur
ce marché en vendant trois unités du bien produit par E1 au prix de
15 ?
2) Dans l’oligopole européen du marché de l’automobile, peut-on parler
de guerre des prix, ou de pratique de prix prédatrice ?
Solutions
159
SOLUTIONS
1) A. Le marché étant un marché en monopole, le prix qui maximise le
profit est obtenu à partir de l’identité Rm = Cm. Dans le cas de l’exercice, le coût marginal est égal à :
dC T (Q)
2Q
=
+0= Q
dQ
2
Et
Rm =
d RT (Q)
dQ
avec RT = P Q = −Q 2 + 30Q et Rm = −2Q + 30
Analyse
stratégique
Les quantités qui maximisent le profit sont donc connues par l’identité −2Q + 30 = Q , soit Q = 10 et P = 20. À ce prix, et pour Q = 9,
le profit réalisé est égal à :
100
RT − C T = 200 −
+ 3 = 147
2
JU
Dans la théorie du prix limite, ce prix doit être légèrement supérieur au
coût marginal, tout en maintenant son niveau de production initial. Si
Cm est égal à Q, pour une production de 10, le coût marginal sera de 10,
très inférieur au prix maximisant le profit. Ce prix, légèrement majoré,
est le prix limite. Pour qu’il y ait prédation, le prix pratiqué devra être
inférieur au coût marginal, soit inférieur à 11.
IE
NC
3
SC
DE
S
TE
CU
L
x.c
o
m:
FA
Q
3
+
ou Q = 10 et C M = 5,3
2
Q
rvo
CM =
ES
B. Si E2 arrive sur le marché, les quantités offertes par E1 et E2 sont alors
de 13 (soit 10 + 3), ce qui conduit à un prix de P = 30 – 13 = 17.
À ce prix, E1 est-elle toujours profitable ? Pour le savoir, il faut calculer
le coût moyen de E1, soit :
uh
1.s
ch
ola
E2 a donc contribué à faire baisser le prix du marché, le faisant passer de
20 à 17. Ce prix reste très supérieur au coût moyen de E1. Le marché lui
est donc toujours profitable.
2) Le marché automobile européen est un marché oligopolistique classique où la guerre des prix n’a pas vraiment eu lieu. Les modèles de base
sont proposés à des prix semblables à ceux de la concurrence. Aussi, cela
traduit bien une volonté de coopération, plus qu’une volonté de guerre,
le prix de revient des modèles de base n’étant pas, bien évidemment,
identique selon les marques.
m:
x.c
o
rvo
ola
ch
1.s
uh
TE
CU
L
FA
DE
S
ES
NC
IE
SC
JU
CHAPITRE
OBJECTIFS
PLAN
8
Les stratégies
de différenciation
➤ Connaître la théorie de la concurrence monopolistique
d’E. H. Chamberlin, pour laquelle la règle est la différenciation.
➤ Appliquer la théorie de la différenciation à l’économie industrielle en
analysant sa double stratégie.
8.1 Définition et domaines d’application
8.2 La différenciation spatiale : essai de modélisation
8.3 Stratégie du savoir-faire et stratégie du faire savoir
ES
JU
8.1 DÉFINITION ET DOMAINES D’APPLICATION
a) Différenciation horizontale et différenciation
verticale
uh
1.s
ch
ola
rvo
IE
SC
DE
S
TE
CU
L
FA
x.c
o
m:
Aujourd’hui, on sait que la différenciation peut prendre quatre formes
principales : la localisation géographique, les différences intrinsèques de
qualité, la prestation de services annexes et les différences subjectives
perçues par le client (image de marque, emballage, publicité, etc.).
NC
Pour E. H. Chamberlin, une catégorie de produits sera différenciée s’il
existe une base suffisante pour distinguer les marchandises (ou les services) d’un vendeur de ceux d’un autre.
La différenciation horizontale
La différenciation horizontale a trait à des facteurs subjectifs. C’est la
plus difficile à quantifier et à analyser, faute de caractéristiques objectives du produit.
162
Chapitre 8 • Les stratégies de différenciation
Exemples. Certains préféreront une voiture blanche à une voiture bleue,
d’autres l’inverse. Certains sont attachés à une marque, d’autres pas.
Certains sont prêts à faire plusieurs kilomètres pour aller dans leur supermarché habituel, d’autres pas, etc.
La différenciation verticale
Dans la différenciation verticale, la subjectivité est mise de côté au
profit de l’objectivité. La différenciation verticale tient compte de la
qualité du produit, mais cette qualité est objectivement reconnue.
Exemple. Une voiture pourra être grande, moyenne ou petite ; utiliser de
l’essence, du gazole ou de l’électricité ; être polluante ou non, etc. Si l’on
prend comme indicateur de qualité un indicateur de pollution, ce dernier
donne lieu à des mesures objectives que personne ne viendra contester.
À différenciation reconnue, la préférence du consommateur sera identique.
b) La différenciation spatiale
1.s
uh
Différenciation spatiale minimale
ch
ola
rvo
x.c
o
m:
FA
CU
L
DE
S
TE
Dans le cas où deux entreprises E1 et E2 sont proches l’une de l’autre, on
pourra supposer que les produits qu’elles proposent toutes deux sont peu
différenciés. À l’inverse, si E1 et E2 sont éloignées l’une de l’autre, les
produits seront différenciés. On parle alors de différenciation spatiale
maximale et de différenciation spatiale minimale.
SC
IE
NC
ES
JU
La différenciation spatiale (ou de localisation) est objective, puisqu’elle s’identifie à une distance physique, qui sépare l’acheteur du
vendeur, de son domicile au domicile de vente. Cette différenciation
spatiale a une contrepartie, celle du temps passé en transport et du coût
éventuel de ce transport. C’est pourquoi, à l’occasion du choix d’un
point de vente, l’entreprise s’efforcera de se rapprocher de l’endroit où
se concentre le plus de consommateurs potentiels intéressés par le
produit qu’elle fabrique.
Par différenciation spatiale minimale, il faut entendre l’implantation d’un point de vente proche d’un point de vente déjà existant.
Si l’on considère que E1 est l’entreprise installée et E2 l’entreprise qui
souhaite s’installer, E2 vise à tirer un bénéfice des similitudes, dans
l’esprit du consommateur, avec l’acquis de E1. Dans ce cas, les produits
8.2 • La différenciation spatiale : essai de modélisation
163
E1 et E2 seront peu différenciés et la concurrence pourra s’exercer par les
prix, à défaut de coopération. Lorsqu’un restaurant étoilé Michelin décide de s’installer dans la même rue qu’un autre restaurant étoilé Michelin,
on dira qu’il a choisi une différenciation spatiale minimale.
Différenciation spatiale maximale
L’objet de la différenciation spatiale maximale est de fidéliser une
clientèle et, avec cette fidélisation, d’acquérir un pouvoir de marché.
Pour cela, E2 se positionnera loin de E1. Cette segmentation de marché
s’accompagne le plus souvent d’un marché de niches, où on pourra
augmenter ses prix, très au-delà d’un prix de concurrence. Si nous reprenons notre exemple précédent, jamais E2 n’ira s’installer auprès de E1, si
E1 était un McDonald’s.
Analyse
stratégique
Comme on peut le constater, certaines approches de la différenciation
relèvent davantage du marketing, d’autres de la sociologie ou de la
psychologie et, bien sûr, certaines approches accordent une place
prépondérante à l’économie en général et à l’économie industrielle en
particulier. C’est le cas de la différenciation spatiale, dont nous allons
préciser le contenu.
Dans le cas de la différenciation spatiale, les produits ne sont pas différenciés : soit
le produit est unique, soit les produits sont semblables.
NC
3
ES
JU
8.2 LA DIFFÉRENCIATION SPATIALE : ESSAI DE MODÉLISATION
uh
1.s
ch
ola
rvo
FA
x.c
o
m:
La ville linéaire se déploie tout le long d’un axe linéaire : le long d’une
place, par exemple. Tout le long de cet axe, les consommateurs doivent,
pour acheter un bien, financer le prix du bien et le coût du transport pour
se rendre sur le lieu de la production ou de la vente. Que va rechercher
l’entreprise ? Bien évidemment, la localisation lui permettant d’avoir le
chiffre d’affaires le plus élevé, le volume de vente le plus important, etc.
Si l’entreprise est seule sur le marché, tout laisse penser qu’elle s’arrêtera à mi-chemin du linéaire, seule localisation lui permettant de maximiser la demande.
CU
L
TE
DE
S
SC
IE
a) La différenciation spatiale horizontale :
le cas de la ville linéaire
Supposons que ce même marché est proposé à deux entreprises E1 et E2.
Nous sommes dans un duopole et le prix retenu est commun à E1 et E2.
Quelles localisations vont choisir E1 et E2 le long de ce linéaire ?
164
Chapitre 8 • Les stratégies de différenciation
À l’équilibre, les deux entreprises vont choisir la même localisation au
milieu du linéaire, comme pour l’hypothèse précédente d’un marché en
monopole. C’est le seul endroit où le positionnement de E1 ne pénalise
ni n’avantage E2, et réciproquement. Cette stratégie est celle de la différenciation minimale, qui permet à E1 et E2 d’obtenir la part de marché la
plus importante.
Supposons maintenant que E1 et E2 choisissent aussi leur prix P1 et P2.
Le choix qu’elles feront de leur localisation dépendra alors des incidences de cette localisation sur la fixation du prix. Comme nous l’avons vu,
plus la différenciation est minimale, plus les entreprises choisiront la
même localisation, facilitant la concurrence, ce qui contribuera à faire
baisser le prix.
C’est à partir de ce constat que H. Hotelling propose, dès 1929, un
concept nouveau pour l’époque : celui d’équilibre non coopératif, où E1
et E2 choisissent leur localisation par rapport à la concurrence par les
prix qui vont en résulter.
x.c
o
m:
FA
CU
L
ES
NC
IE
SC
DE
S
TE
À l’équilibre, la localisation de E1 et de E2 va dépendre de l’interaction de l’effet centripète et de l’effet centrifuge. C. d’Aspremont,
J. J. Gabszewicz et J.-F. Thisse montrent que, si les coûts de transport
sont quadratiques, l’effet centrifuge est supérieur à l’effet centripète ; la
différenciation sera alors maximale, avec les conséquences que l’on sait
sur la localisation de E1 et de E2.
JU
Lorsque E1 et E2 sont localisées au même endroit, la différenciation est
minimale et la concurrence est maximale. C’est ce qu’on appelle l’effet
centripète. Par contre, si E1 et E2 sont localisées aux extrémités respectives du linéaire, la différenciation est maximale et l’effet de concurrence par les prix est faible, voir inexistant, ce qui conduit à des prix P1 et
P2 élevés, entraînant une baisse des parts de marché respectives de E1 et
de E2. Cet effet est dit centrifuge.
ola
rvo
La loi de Hotelling
uh
1.s
ch
Cette loi, également appelée principe de différenciation minimale,
qui ne doit pas être confondue avec la rente de Hotelling, est sans
doute l’une des premières approches de la stratégie de différenciation utilisant la géométrie. Cette approche est aussi appelée modèle
de la ville linéaire.
Supposons deux magasins concurrents, installés dans une même rue,
MG1 et MG2. Les consommateurs sont répartis le long de la rue, et
chaque consommateur choisit toujours le magasin le plus proche.
8.2 • La différenciation spatiale : essai de modélisation
165
MG1 M MG2
M2
M1
N
S
Figure 8-1 Situation de deux magasins concurents
La loi de Hotelling conclut que, si MG1 et MG2 sont en concurrence pour s’installer le long de l’axe NS, ils s’installeront vers M,
MG1 attirant les consommateurs situés sur la partie NM, et MG2 se
réservant les consommateurs situés sur l’axe MS. Sur le plan social,
ce n’est pas la solution optimale. En effet, si l’on considère que cette
solution optimale est celle où les consommateurs auront le moins de
distance à faire pour consommer, les points M1 et M2 auraient été
plus judicieux, et chacun des magasins aurait toujours une moitié de
marché.
(NM1 + M1M = NM et MM2 + M2S = MS)
Pour autant, aucun des deux magasins ne prendra la décision de
s’implanter en M1 ou M2, craignant que l’autre ne s’implante pas en
M2, mais au milieu de l’axe M1S, en M3M :
N
M1
M
M2
Analyse
stratégique
M3
S
Figure 8-2 La loi de Hotelling
CU
L
TE
DE
S
SC
IE
NC
3
ES
JU
En M3, MG2 est équidistant de M1 et de S : sa part de marché sera
alors supérieure à celle constituée par 50 % du marché. En effet, si
à M1 est associé un magasin MG1, et à M2 un magasin MG2, en
décidant de se positionner en M1, MG1 ne dispose alors plus que
d’une part de marché égale à NM.
Figure 8-3 Un changement de stratégie
S
ola
M2
ch
M
1.s
M1 (MG1)
uh
N
rvo
x.c
o
m:
FA
M (MG2)
Par contre, en se positionnant en M, et non en M2, MG2 dispose
d’un marché potentiel égal à NS. Pour qu’il en soit autrement, il
faudrait que, de lui-même, MG2 se positionne en M2 et non en M.
En se positionnant en M, MG1 et MG2 ne prennent donc aucun
risque. Pour autant, ce positionnement n’est pas optimal pour le
consommateur.
166
Chapitre 8 • Les stratégies de différenciation
Ce phénomène est observé sur de nombreux marchés, en particulier
sur ceux des marchandises, davantage que sur celui des services.
Pour autant, ce positionnement, qui se traduit par une différenciation minimale, n’est pas le plus satisfaisant pour le consommateur,
les choix offerts étant en nombre réduit du fait de la différenciation
minimale. Cela vient s’ajouter aux désavantages liés à des coûts de
transport plus élevés pour le consommateur.
La loi de Hotelling permet donc de comprendre pourquoi, dans le cas
du choix de la stratégie, le rationnel ne sera pas nécessairement l’option retenue. L’entreprise qui aura à faire le choix préférera souvent
celui sans risque, qui lui assure des parts de marché stables, à celui
plus risqué lui permettant éventuellement plus de profitabilité.
Dans la pratique, la même entreprise aura souvent également aussi
une double stratégie. Dans un premier temps, elle choisira la stratégie maximale, seule stratégie capable de la différencier de ses
concurrents, puis dans un second temps, si elle souhaite se partager
un marché, elle privilégiera la loi de Hotelling pour minimiser ses
différences avec la concurrence par rapport, par exemple, aux services offerts, aux horaires qui s’y rattachent, etc. Lorsqu’il y a différenciation elle ne concerne pas seulement la différenciation par les
prix, la loi de Hotelling le rappelle fort utilement.
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Le modèle de la ville circulaire a été proposé par S. C. Salop en 1979.
Ce modèle part d’une hypothèse : l’inaccessibilité du centre-ville à
certaines activités, comme l’implantation d’un supermarché ou d’un
hypermarché. Les activités se déplacent alors en périphérie urbaine. On
supposera également que les consommateurs se déplacent le long d’un
cercle d’une circonférence égale à 1 et que les consommateurs désirant
acheter un bien ont tous un coût de transport.
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b) La différenciation spatiale horizontale :
le cas de la ville circulaire
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Quel que soit le nombre d’entreprises, E1, E2... En, chacune ne peut retenir qu’une seule localisation, et l’équilibre s’obtient lorsque les entreprises sont équidistantes les une des autres sur le cercle. On est alors dans
la situation d’une différenciation maximale, où chaque entreprise aura
1/n du marché.
Si l’on se place dans une logique de stratégie de prix, et non de part de
marché, que se passe-t-il ? Pour répondre à cette question, S. C. Salop
propose un modèle en deux temps :
8.3 • Stratégie du savoir-faire et stratégie du faire savoir
167
➤ Premier temps : celui de la localisation. En fonction de leur nombre,
elles vont se répartir, équidistantes les unes par rapport aux autres.
➤ Second temps : celui de la concurrence par les prix. Celle-ci tient
compte du coût de transport supporté par le consommateur pour
accéder au bien désiré. Plus le coût de transport est élevé, plus on se
rapproche de la différenciation maximale et de la pratique d’un
monopole local, permettant à l’entreprise de vendre à un prix supérieur au coût marginal. À l’inverse, si le coût de transport est faible,
on se rapproche de la différenciation minimale, avec un prix d’équilibre proche du prix concurrentiel. Dans ce cas, si le nombre d’entreprises présentes le long d’un cercle augmente, la concurrence va être
exacerbée, conduisant à accentuer davantage encore la tendance baissière du prix. Et en l’absence de coûts fixes d’installation, l’entrée sur
un marché différencié est toujours possible.
Analyse
stratégique
Si l’on raisonne par rapport au profit maximum, on choisira la stratégie de différenciation maximale. Cette stratégie est aussi celle où le risque est le moins important.
Aussi, dans la pratique, l’entreprise préférera moins de risque et moins de profitabilité, en acceptant de partager le marché (loi de Hotelling).
8.3 STRATÉGIE DU SAVOIR-FAIRE ET STRATÉGIE DU FAIRE SAVOIR
ES
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Dans le cadre des stratégies de différenciation, deux stratégies sont à
privilégier : celle du savoir-faire, avec la pratique de la discrimination des
prix, et celle du faire savoir qui se confond avec la stratégie publicitaire.
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En discriminant un marché, et en ayant recours à la discrimination par les
prix, on espère élargir sa part de marché (cas d’un marché oligopolistique) ou augmenter son profit (cas d’un marché en monopole).
Discriminer par les prix, c’est proposer un prix différent pour un bien, ou
un service.
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a) Stratégie du savoir-faire :
le recours à la discrimination
Dès 1947,Y. R. Maroni rappelait que la discrimination des prix allait de pair
avec la différenciation verticale, où cohabitent des produits ou des services
de différentes qualités, pouvant aller de l’excellence à la médiocrité.
La pratique de la discrimination est souvent liée à celle d’un monopole,
car elle suppose, comme nous allons le voir, l’existence d’un pouvoir de
marché. Mais ce pouvoir de marché existe aussi dans le cas de la concurrence imparfaite.
168
Chapitre 8 • Les stratégies de différenciation
Enfin, une différenciation spatiale maximale aboutit à une pratique de
monopole. Nous avons déjà étudié dans le chapitre 3, consacré au monopole, les différentes formes de discrimination. Nous ne les reprendrons
donc pas ici, afin de nous consacrer uniquement à la prise en compte des
asymétries de l’information, à la discrimination comme barrière à l’entrée stratégique et à l’approche juridique de la discrimination par les
prix.
Asymétrie de l’information et discrimination
Dans le cadre de la différenciation verticale, les entreprises vont choisir
de produire les qualités qu’elles veulent offrir, qu’elles veulent proposer
au marché. Et par leur positionnement, ces entreprises disposeront d’un
pouvoir de marché leur permettant une stratégie de prix autonome (différenciation spatiale maximale), où seront en concurrence pour se partager
le marché, avec un prix imposé par le marché (différenciation spatiale
minimale).
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Enfin, même en cas de qualité reconnue, quels que soient le bien ou le
service concernés, deux personnes interrogées sur l’évaluation de la
qualité, donneront une évaluation différente, à l’origine de la deuxième
difficulté : la relation qualité-prix. Certes, les produits de bonne qualité
sont toujours plus chers que les produits de moyenne qualité mais, pour
autant, les consommateurs n’ont pas la même perception du rapport
qualité-prix.
JU
La discrimination et les asymétries de l’information ne concernent que
les entreprises ayant choisi la différenciation spatiale horizontale maximale, ce qui leur permet de proposer une différenciation verticale, qui
tient compte de la qualité des produits offerts. Deux difficultés apparaissent alors immédiatement : celle, tout d’abord, qui tient au caractère
subjectif de la perception de la qualité. Certes, il y a des biens dont la
qualité est perçue immédiatement, ce qui simplifie les difficultés, mais le
plus souvent, la qualité apparaît dans l’utilisation d’un bien ou d’un
service. Or, le prix affiché est le prix avant utilisation.
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La prise en compte des asymétries de l’information augmente les difficultés. En effet, rappelons-nous la sélection adverse et ses conséquences : les produits de moyenne qualité sont proposés à un prix trop élevé,
mais à ce prix, jugé trop bas par les entreprises qui les produisent, les
produits de qualité ne sont pas offerts sur le marché.
Or, la discrimination par les prix n’est possible que si l’on peut identifier
des groupes de consommateurs acceptant de payer des prix différents
selon les groupes. Cela suppose que ces groupes soient capables d’éta-
8.3 • Stratégie du savoir-faire et stratégie du faire savoir
169
blir, consciemment ou non, une relation prix/qualité du bien ou du service qui leur est offert.
Enfin, l’efficacité de la discrimination tient aussi au fait que les consommateurs ne puissent pas passer d’un groupe à l’autre. Cette fois, l’asymétrie de l’information n’est plus en défaveur du consommateur, mais
en défaveur du producteur. Pour ce dernier, l’existence d’asymétrie de
l’information peut conduire à ce qu’il soit victime de l’opportunisme
d’un consommateur déclarant appartenir à un groupe afin de payer
moins cher.
Exemple. La situation d’un étudiant bénéficiant d’un tarif réduit de
transport, et revendant ce billet à tarif plein à des personnes qui ne sont
pas étudiantes, implique de prévoir des procédures qui permettront d’empêcher de telles pratiques. Cela pourra aller de la nécessité de présenter
une carte d’étudiant avec photo, pour pouvoir bénéficier d’un tarif réduit
et d’imprimer des tickets à prix réduits, avec des signes distinctifs dans le
cas de cet étudiant opportuniste, ou à la coloration de l’essence détaxée
pour les agriculteurs, par exemple.
Analyse
stratégique
Ces pratiques ne simplifient pas le fonctionnement du marché et ont un
coût, mais elles sont nécessaires si l’on veut permettre à la discrimination d’être efficace.
La discrimination : une barrière à l’entrée stratégique
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Exemples. Pendant longtemps, l’image de marque des produits allemands
était celle de produits de qualité – ce qui n’était pas nécessairement l’image des produits italiens. De même, dans le secteur automobile, en Europe,
les modèles haut de gamme allemands sont toujours perçus comme de très
bonne qualité. C’est pourquoi tout nouvel entrant sera pénalisé pour
communiquer sur sa marque et la qualité de son produit. Dans les années
1960-1970, l’image de qualité de Toyota, par exemple, était loin derrière
celle de Mercedes ou de BMW.
JU
En l’absence d’information suffisante sur les qualités respectives des
biens offerts sur le marché et en présence de biens dont seul l’usage révélera (ou non) la qualité, il est impossible pour les consommateurs de
savoir quel est le bon ou le mauvais produit. Aussi, dans ces conditions,
la marque et/ou l’image de marque sera souvent la référence.
À défaut d’information, l’entreprise installée aura toujours un avantage
concurrentiel sur les concurrents éventuels, ce qui lui permettra de pratiquer une politique de prix au-dessus du coût moyen. De plus, générale-
170
Chapitre 8 • Les stratégies de différenciation
ment, la concurrence va privilégier les niches de marché, où la marge de
l’entreprise en place est la plus importante.
Le prix pratiqué par l’entrant devra donc être plus bas que celui de l’entreprise en place, et d’autant plus bas que l’entreprise en place a une
réputation de bonne qualité. L’écart entre ces deux prix, prix de l’entreprise déjà présente et prix de l’entreprise désireuse d’entrer sur ce
marché, est la seule façon de faire contrepoids à l’absence d’image de
qualité de cette dernière. Cette fois, la discrimination ne joue pas en
faveur de la maximisation du profit, bien au contraire.
En effet, face à la volonté confirmée de l’entrant, la pratique d’une stratégie de prix baissière, via un processus discriminatoire des prix pratiqués est probable. Lorsqu’il s’agira de biens représentant une immobilisation financière importante à l’achat du bien, la location pourra
supplanter la vente, ce qui aura comme conséquence de transférer le coût
d’acquisition sur le loueur, augmentant au détour le droit d’entrée du
concurrent potentiel.
Un prix élevé n’est pas toujours un signal de qualité (sélection adverse) : c’est pourquoi le consommateur préférera souvent un autre signal, comme la marque ou
l’image de marque.
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Dans la pratique, la discrimination de premier degré est illicite, puisque
contraire à l’article 85 du traité de Rome, article qui interdit tout accord
entre entreprises qui se traduirait par des conditions inégales, pour des
prestations équivalentes, faites aux partenaires commerciaux. La même
interdiction est prévue, dans le cadre de l’article 86 cette fois, pour les
entreprises en situation de position dominante. On parlera alors d’abus
de position dominante.
JU
Discrimination et respect du droit de la concurrence
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La Cour européenne considère que les pratiques discriminatoires
peuvent être assimilées à une pratique abusive de position dominante,
voir révéler des abus de position dominante. Pour autant, à défaut d’une
pratique de prix discriminés sélectifs, la discrimination peut aussi se
traduire par une distribution sélective. Son principe est admis, mais
soumis à certaines conditions. Parmi ces conditions, il faut rappeler
celles qui tiennent à la qualification professionnelle du revendeur, de ses
installations. Par contre, les critères ayant pour objet d’exclure une autre
forme de commerce apte à cette distribution ne sont pas admis.
Comme on le voit, la discrimination est certes possible, mais demeure
soumise à un environnement juridique strict, ce qui peut nuire à son efficacité. Ceci est particulièrement vrai pour un marché en concurrence
8.3 • Stratégie du savoir-faire et stratégie du faire savoir
171
imparfaite. Cela l’est beaucoup moins pour un marché en monopole. Ce
que le législateur a voulu protéger, c’est le consommateur, dans l’hypothèse de position dominante ou de monopole, se traduisant par des prix
prédateurs pour le consommateur.
En revanche, si la discrimination donne lieu à des prix dont le consommateur est le premier bénéficiaire, on ne saurait alors lui opposer l’article 85 ou l’article 86 du traité de Rome. Comme souvent en économie,
le court terme s’oppose au long terme. À court terme, des prix bas discriminés sont tout bénéfice pour le consommateur, mais constituent une
barrière à l’entrée confortant une situation de monopole qui, à long
terme, peut totalement se retourner, mais cette fois dans l’intérêt exclusif du producteur.
b) Stratégie du faire savoir : la stratégie publicitaire
JU
Analyse
stratégique
La publicité est un outil stratégique clé dans la différenciation du
produit, plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’une différenciation
minimale horizontale ou de la différenciation verticale. Dans le cas
de la différenciation minimale, elle oriente le choix du consommateur vers tel ou tel produit, vers tel ou tel service. Elle apparaît d’autant plus nécessaire lorsqu’elle concerne des produits peu différenciés. Dans le cas de la différenciation verticale, où le subjectif est
dominant, comme le sont les asymétries de l’information, la publicité est une des réponses possibles.
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Il est toujours difficile, pour les économistes, de parler de la publicité.
Pendant longtemps, elle fut même considérée comme un obstacle à la
rationalité, confortant les asymétries de l’information, renforçant le
pouvoir de l’offreur aux dépens du consommateur. Pour autant, aujourd’hui, elle est incontournable ; notre analyse consistera donc, tout
d’abord, à distinguer le plus du moins, à montrer en quoi elle enrichit
l’analyse, mais aussi pourquoi certaines de ses pratiques nous apparaissent critiquables, voire condamnables.
3
ES
Les économistes et la publicité
➤ Une approche positive de la publicité
La publicité, en améliorant l’information dont vont disposer offreur
et demandeur, permettrait de réduire les asymétries de l’information
et les conséquences négatives qui s’y rattachent, comme celles liées
à la sélection adverse.
172
Chapitre 8 • Les stratégies de différenciation
De même, en communiquant non seulement sur le prix mais aussi sur
la qualité du produit, elle contribue à faciliter la pratique de la différenciation verticale, permettant à la concurrence de mieux s’exprimer. À ce titre, elle contribuerait donc à faire baisser le prix du
produit concerné.
Dès 1972, dans le Journal of Law and Economics, L. Benham avait
montré que le prix moyen des lunettes aux États-Unis, était plus
faible là où l’on constatait une pratique publicitaire les concernant,
que celui observé dans les états où cette même publicité était interdite. Enfin, aux yeux de certains, elle facilite le travail du consommateur dans la recherche du meilleur rapport qualité-prix, et réduit donc
leur coût d’accès à cette recherche.
➤ Une approche négative de la publicité
Pour les économistes critiques à l’encontre du fait publicitaire, l’information contenue dans le message publicitaire est une information
partielle, tronquée, destinée à orienter la décision du consommateur.
Elle ne serait donc pas un facteur de meilleure transparence des
marchés, mais au contraire, un élément de plus destiné à tromper
davantage le pauvre consommateur.
Publicité ou non-publicité, la difficulté de communiquer sur le qualitatif reste la même. Et la publicité, qui agit à partir d’un donneur d’ordre, ne communiquera jamais sur le négatif d’un produit ou d’un
service. À ce titre, l’information ne pourra être que partielle.
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Exemple. En France, la publicité comparative n’est que partiellement
autorisée, ce qui permet à Leclerc ou à Darty de dire qu’ils sont les moins
chers, mais interdit de communiquer avec les prix pratiqués par la concurrence, comme c’est le cas aux États-Unis.
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Enfin, la publicité a un coût, parfois très élevé, comme dans le cas des
cosmétiques. Or, ce coût sera toujours répercuté sur le prix du produit ou
du service, faisant du consommateur la première des victimes.
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De fait, la publicité n’a jamais contribué à l’amélioration du pouvoir d’achat des
consommateurs, à l’exception de celui des publicitaires. Et, à ce titre, elle représente
une source de gaspillage, et non d’enrichissement.
Parmi les économistes célèbres les plus critiques à l’encontre du fait
publicitaire, citons le prix Nobel R. M. Solow et son article critique de
1967.
Ces deux approches contradictoires montrent bien la difficulté d’analyse du lien entre publicité et information. Aussi, certains auteurs, comme
P. Nelson, proposent une autre façon d’aborder la publicité à partir de
Points clefs
173
l’objectif poursuivi. En économie industrielle, la stratégie publicitaire
aura pour objet soit de communiquer sur la différenciation maximale,
soit de communiquer sur la différenciation minimale, dans le but de les
accentuer ou de les renforcer.
La publicité : une stratégie incontournable de la différenciation
Quelle que soit l’approche que l’on a de la publicité, elle est porteuse
d’information. Cette information est au cœur de la stratégie de différenciation et pourra, selon les cas, contribuer à mettre en évidence ce qui
différencie deux produits, ou ce qui les rapproche.
➤ Dans le premier cas, mettre en évidence ce qui les rapproche va servir
les intérêts de la stratégie dite de différenciation maximale. Lorsque
cette différenciation existe, elle contribue à la renforcer et, si elle
n’existe pas vraiment aux yeux du consommateur, elle contribuera à
la créer. Dans les deux cas, elle contribue à la volonté des entreprises
de travailler dans un environnement de concurrence monopolistique,
seul environnement capable dans le long terme de leur garantir des
profits.
➤ À l’inverse, la stratégie de communication ne sera bien sûr pas la
Analyse
stratégique
même s’il s’agit de promouvoir une différenciation minimaliste, où
l’entreprise qui souhaite participer à un marché le fera en privilégiant
le site déjà occupé par le ou les entreprises concurrentes. Stratégie
conflictuelle pour certains, elle est privilégiée lorsqu’il est difficile de
différencier les produits.
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Les stratégies de différenciation, quelle que soit la forme retenue, ont
toujours pour objet ou pour conséquence de modifier la fonction de
demande, soit en agissant directement sur cette fonction, soit en modifiant la perception qu’a le consommateur du produit ou du service offert.
Dans ce cas, l’action sera indirecte, et la stratégie publicitaire privilégiée.
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POINTS CLEFS
➤ On doit à E. H. Chamberlin la première approche de la théorie de la
différenciation. Cette théorie remet en cause le principe d’homogénéité du produit.
➤ La différenciation horizontale est celle liée à la perception du produit,
ou du service, par le consommateur. C’est une différenciation subjective.
174
Chapitre 8 • Les stratégies de différenciation
➤ La différenciation verticale tient compte de la qualité du produit,
objectivement reconnue. On parle alors de différenciation objective.
➤ La différenciation spatiale est illustrée par le temps de transport qui
sépare l’acheteur du point de vente. Elle est dite maximale si le temps
de transport est important, et minimale si le temps de transport est
faible, ou inexistant.
➤ Dans le cas de la ville linéaire, ou circulaire, le positionnement de l’en-
treprise est optimal si l’entreprise est équidistante des centres de
consommation.
➤ Dans certains cas, la discrimination des prix peut constituer une
barrière stratégique à l’entrée sur le marché.
➤ La stratégie publicitaire est une stratégie complémentaire à la straté-
gie de la différenciation.
EXERCICES
Questions :
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1) Quels sont les avantages et les inconvénients, pour McDonald’s, de
s’installer auprès d’une enseigne commerciale comme Flunch ?
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3) La discrimination du premier degré est-elle légale ? Justifier la
réponse.
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2) McDonald’s aurait-il intérêt à s’installer auprès d’un restaurant étoilé
Michelin ?
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SOLUTIONS
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4) Pourquoi est-il plus facile de discriminer une entreprise de services
qu’une entreprise de produits ?
1) Si McDonald’s décide de s’installer auprès d’une enseigne comme
Flunch, c’est parce que le groupe a choisi la stratégie de différenciation
minimale, espérant ainsi bénéficier des acquis de Flunch en matière de
positionnement et d’image de marque, au risque d’affronter une réaction
concurrentielle pouvant se traduire par une baisse des prix. Si
Solutions
175
McDonald’s avait choisi une autre stratégie, celle de la différenciation
maximale, cela voudrait dire qu’il privilégie une stratégie non concurrentielle, reposant sur les parts de marché. Ce qui le conduira à engager
des dépenses dans une étude de marché, dépenses qui seront bien sûr
assimilées à des coûts de production.
2) Dans le cas où McDonald’s aurait la possibilité de s’installer auprès
d’un restaurant étoilé Michelin, cette installation ne lui apporterait rien :
pas de synergie entre les deux mais, en revanche, des coûts d’installation
plus élevés que ceux qui seraient liés à l’installation en périphérie urbaine ou dans une zone artisanale, par exemple.
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4) Dans les activités de services, la différenciation est plus facile à faire
que dans le cas d’un produit supposé homogène. On pourra ainsi différencier un service par rapport aux heures de consommation (par exemple, dans le cas de la tarification de l’électricité ou du téléphone), ce qu’il
n’est guère possible d’envisager dans le cas d’un produit. De plus, un
produit a nécessairement des coûts de production incompressibles : des
coûts de matière première, par exemple, qui ne permettront pas des différences de prix aussi importantes que celles proposées dans des activités
de services discriminées. Ainsi, dans le cas d’une place de cinéma ou de
train, si la salle est à moitié vide ou si le train n’est qu’à moitié rempli,
proposer des prix bas pour les 50 % des places restantes ne nécessite pas
de coût supplémentaire, ou alors des coûts très faibles. Cependant, si
l’on cherche à discriminer un produit comme la lessive, les écarts de prix
ne pourront pas être aussi sensibles, car le produit discriminé aura
toujours un coût minimum, représenté par le prix de la lessive en tant que
matière première.
Analyse
stratégique
3) La discrimination du premier degré est une discrimination absolue qui
suppose qu’à chaque produit ou service offerts, le prix soit le plus élevé
possible compte tenu de ce qu’accepterait de payer le consommateur. En
théorie, la règle « un consommateur/un prix » représente la discrimination absolue. Elle est totalement en contradiction avec le principe qui
veut qu’un prix affiché s’impose à tous et à toutes. Ce prix ne tient pas
compte du pouvoir d’achat de chaque consommateur, de ses goûts, etc.,
mais est proposé par rapport aux conditions de production (au coût de
production, en particulier). Ce principe d’unicité du prix est donc tout à
fait contraire à celui de la discrimination de premier degré.
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Conclusion
LES INDUSTRIES DE RÉSEAUX ET LA DÉRÉGULATION
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Jusqu’à la fin du XXe siècle, ces activités évoluaient dans un environnement de marché qui était celui du monopole naturel. Ceci s’expliquait par
la structure des coûts de production de ces activités. Du fait de coûts fixes
importants, liés en partie à l’existence des réseaux, ces activités connaissaient des rendements d’échelle croissants, justifiant une structure de
marché monopolistique – une seule firme produisant à un coût moyen
plus faible que ceux d’entreprises en situation de concurrence –, ou de
concurrence oligopolistique. La stratégie de l’époque était alors une stratégie de long terme, dont l’objectif était de répondre aux besoins quantitatifs des populations, avec un rapport qualité/prix satisfaisant pour les
deux parties. Ce qui explique pourquoi ces monopoles étaient souvent
des monopoles publics, et non privés. L’expérience montre, en effet, que
ces industries de réseaux répondent à une double caractéristique. La
première est celle d’être, pour une partie seulement de l’activité, en
monopole naturel. La seconde, liée au caractère public de ce monopole
naturel, est d’assurer une fonction sociale de redistribution de la richesse
produite. Cette fonction sociale pouvait, selon les cas, prendre la forme
d’un prix hors marché, calculé pour permettre au plus grand nombre
d’accéder à la consommation du service et/ou du bien concerné ; ou se
JU
Depuis une dizaine d’années, un processus de dérégulation des marchés
est en marche, principalement concentré sur les industries de réseaux.
Comme leur nom l’indique, ces industries supposent l’existence de
réseaux qui peuvent prendre différentes formes : pour l’activité électrique, les réseaux sont constitués par les lignes électriques et leur maillage ; pour l’activité ferroviaire, les réseaux prennent la forme de voies
ferrées ; pour les activités de communication, les réseaux seront les
réseaux hertziens, etc. Ces activités de réseaux sont aujourd’hui concentrées dans les activités de transport, de production d’énergie et de
communication.
178
Conclusion
traduire par une offre de service identique, quel que soit le lieu sur le
territoire, comme ce fut longtemps le cas de la SNCF.
La dérégulation des marchés concernant ces différentes activités a des
origines diverses selon les cas. Sans ordre chronologique et sans ordre
préférentiel, on citera l’interdiction, pour ces entreprises publiques, de
toucher des subventions ; la nécessité, pour l’État, de trouver de nouvelles ressources financières ; la recherche d’un meilleur prix pour répondre à une concurrence de plus en plus mondialisée, etc.
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Sensiblement aux mêmes périodes de l’histoire, l’endettement des États
et les contraintes du traité de Maastricht en matière d’endettement et de
déficit budgétaire ont progressivement réduit les capacités d’intervention
de ces États sur les marchés. En auraient-ils eu le droit ? Ils ne le
pouvaient plus. Aussi, cette absence de moyens, conjuguée avec l’interdiction précédente, ne pouvait qu’aboutir aux démantèlements de ces
monopoles naturels. Et ce, d’autant plus que ce démantèlement pouvait
permettre, en privatisant, d’obtenir des ressources dont ces États ont
grand besoin. Cela fut fait lorsque les conditions de privatisation étaient
réunies.
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Avec la naissance de l’UE, reposant sur la libre circulation des personnes et des biens, où la politique européenne de la concurrence est celle
de la condamnation à toute forme d’entrave au bon fonctionnement des
marchés, l’avenir des industries de réseaux, en tant que service public,
étaient celui de leur disparition progressive. En effet, le fonctionnement
de ces industries de réseaux, en tant que service public, supposait que le
prix pratiqué et proposé au consommateur soit calculé par rapport au
pouvoir d’achat de ce dernier, et non à partir de coûts de production
réels. Cela pouvait entraîner des budgets en déficit, financés sur le
budget de la nation. Cette pratique étant désormais interdite, les monopoles naturels publics ont dû revoir leur copie et oublier ce qu’était un
service public. Le cas de la SNCF est, à ce sujet, révélateur. Compte tenu
de la privatisation du chemin de fer anglais, il était interdit de faire bénéficier les compagnies nationales d’une quelconque subvention, sous
peine de nuire à la concurrence entre ces entreprises nationales et les
chemins de fer britanniques.
Enfin, la dérégulation (ou libéralisation) des industries de réseaux visait
aussi à introduire la concurrence partout où cela était possible, afin de
faire baisser les prix. Dans les faits, cela a conduit à séparer les activités
de réseaux en les dédoublant. Tout ce qui concerne les réseaux proprement dits, c’est-à-dire leurs infrastructures, reste en situation de monopole. Cependant, les services proposés sont désormais soumis à concurrence et, quel que soit l’opérateur, celui-ci a accès à l’ensemble des
réseaux disponibles.
Mini-Manuel d’Économie industrielle
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Cette dérégulation a été particulièrement active et constatée dans l’activité de la production électrique, puisqu’elle s’est généralisée à l’ensemble des pays industriels. Elle est en marche programmée dans d’autres
secteurs, comme ceux du transport ferroviaire et du transport aérien. At-elle été aussi favorable pour le consommateur que le laissaient penser
les théoriciens de la dérégulation ? Rien n’est moins sûr, et il faudra sans
doute attendre plusieurs décennies afin d’apporter une réponse à cette
question. Cette dernière devra non seulement prendre en compte le prix
pratiqué, mais aussi y associer la qualité qui s’y rattache.
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Bibliographie
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JU
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DE
S
SC
IE
NC
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JU
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C
Cabral L., 1
ES
NC
IE
SC
DE
S
TE
CU
L
FA
m:
rvo
x.c
o
D
ch
ola
d’Aspremont C., 164
Demsetz H., 96, 99, 103-105, 108
Différenciation, 137, 173
Différenciation horizontale, 161, 173
Différenciation spatiale, 162-163, 174
Différenciation spatiale horizontale,
163, 166
Différenciation spatiale maximale, 163
Différenciation spatiale minimale, 162
Différenciation verticale, 161-162, 174
1.s
B
Bain J. S., 2, 139-140
Barrière à l’entrée, 169, 174
Benham L., 172
Berle A., 107
Bertrand J., 24, 26, 28, 30-31
Bowley A. L., 30-31
Cahuc P., 1-2
Cartel, 41, 43
Chamberlin E. H., 9, 31, 161, 173
Coase R., 65, 81-82, 91-92, 94, 96, 98104, 113
Commons J. R., 98
Concession, 60
Concurrence imparfaite, 7, 9-10
Concurrence monopolistique, 9-10
Contrat, 83
Coriat B., 100
Cotta A., 1
Cournot A.-A., 24-28, 30-31
Coûts d’agence, 110-111
Coûts de transaction, 91, 94-96, 101
Coûts de transaction ex ante, 94
Coûts de transaction ex post, 94
uh
A
Acquisition, 137
Akerlof G., 8, 67-69, 71, 78-79, 87
Alchian A., 75, 99-100, 103-105, 108
Aléa moral, 72-73, 75-76, 86-87
Allais M., 60-61
Anticipations, 32
Arbre de décision, 119-120, 132-133
Areeda P., 151
Arrow K., 82
Assurance, 71, 73
Asymétrie de l’information, 31, 67, 82,
84, 87, 109, 134, 144, 157, 168
Asymétrie financière, 150
Atomicité, 7
Avenir certain, 83
Avenir incertain, 83
Avenir risqué, 83
JU
Index
Mini Manuel d’Économie industrielle
G
Gabszewicz J. J., 164
Galbraith J. K., 35, 108
Grossmann S. J., 106
H
Harsanyi J. C., 123-124, 134
Hart O., 106-107
Homogénéité des produits, 9
Hotelling H., 164
K
Kreps D. M., 149-150
Krugman P., 7
L
Labini S., 140
Leader, 131-132
Leeman W., 148-149
Loi de Hotelling, 164-166
x.c
o
m:
FA
CU
L
ES
NC
IE
SC
DE
S
TE
Mackay E., 101
Manne H., 99
Marché du travail, 72-73, 88
Maroni Y. R., 167
Marshall A., 1, 9, 55, 61
Mason E., 2
MaxiMin, 122, 133
Means G., 107
Meckling W., 108-111, 114
Mergers and Acquisitions, 38
Milgrom P. R., 97, 142-143
Mill S., 55, 61
MiniMax, 121, 123, 133
Mobilité des facteurs, 9
Modèle de concurrence pure, 7
Modèle BSM, 140-141, 143, 157
Modèle de Dixit, 145, 147
Modèle de Milgrom-Roberts, 141-143,
157
Modèle Fudenberg-Tirole, 150, 158
Modigliani F., 140
Monopole, 48
Monopole absolu, 47
Monopole classique, 48
Monopole de distribution, 47
Monopole légal, 48
JU
M
rvo
Fluidité des marchés, 8
Fonction de réaction, 25
Fudenberg D., 151
Fusion, 23, 38, 137
Fusion-acquisition, 38
J
Jensen M., 108-111, 114
Jeu répété fini, 149
Jeux répétitifs, 125
ola
F
Incitation, 85
Intégration verticale, 95
ch
E
Économie de l’information, 67
Économie d’échelle, 141
Ely R. T., 55
Entente, 23, 38, 137
Équilibre Cournot-Nash, 128
Équilibre de Cournot, 27-28
Équilibre de Nash, 27-28, 43, 123, 128,
133
Équilibre mélangeant, 142-143
Équilibre séparateur, 142
I
1.s
Dilemme du prisonnier, 124-126, 134
Discrimination, 167-170, 174
Discrimination des prix, 51
Discrimination du premier degré, 52
Discrimination du second degré, 52
Discrimination du troisième degré, 54
Dixit A., 145
Droits de propriété, 99-100, 106
Duopole, 23-24, 43
Duopole asymétrique, 30
Duopole de Bertrand, 28-29, 43, 129130
Duopole de Cournot, 24, 26, 29-30, 43,
128-131
Duopole de Stackelberg, 29-30, 43,
131-132
uh
184
Index
185
S
Salaire d’efficience, 80, 88
Salop S. C., 166
JU
ES
NC
IE
SC
DE
S
TE
CU
L
FA
Rainelli M., 2-3
Rationalité limitée, 75-76, 94
Rationalité procédurale, 82-83
Règle Areeda-Turner, 151-152
Relation d’agence, 108-110
Rey P., 147
Roberts J., 97, 142-143
Robertson D., 91
Robinson J. V., 9
ROR, 60
Rosner P., 157
Rousseau S., 101
Rupture, 85
m:
R
T
Tarification en temps réel, 139, 154,
158
Taylor F., 74
Test Akzo, 151-153
Tetser L., 150
Théorie de l’agence 74, 91, 107-108
Théorie de la prédation, 151
Théorie des contrats, 81-82, 84, 88
Théorie des droits de propriété, 91
Théorie des jeux, 117, 127-128, 130,
133, 158
Théorie des signaux, 78, 88
Thisse J.-F., 164
Tirole J., 2, 147, 151
Transparence, 8
Turner D., 151
x.c
o
P
Pigou A. C., 52, 55, 102
Posner R. A., 147
Prix cap, 60
Prix limite, 139, 143-145, 157
Prix prédateur, 139, 145, 147-148, 157158
Publicité, 171-174
rvo
Oligopole, 23, 41, 43, 48, 127
Oligopole différencié de Sweezy, 31, 43
Oncurrence monopolistique, 7
Opportunisme, 75-76, 84, 87, 95
ola
O
ch
Nash J., 27, 123
Nelson P., 172
Neumann J. von, 117
North D., 99
1.s
N
Satellite, 131
Say J.-B., 1
Schelling T., 127
Sélection adverse, 69, 71-72 76, 84, 87
Selten R., 123, 133, 149
Simon H., 3, 76, 87
Smith A., 72, 91, 107
Solow R. M., 172
Spence M., 79-81, 88
Stackelberg H. von, 6, 24, 29-31, 131
Stigler G. J., 1-2, 24, 34-35, 43
Stiglitz J., 79-80, 85, 88
Stratégie de prédation, 147-148
Stratégie de prix, 49-51, 137, 139
Stratégie publicitaire, 171
Stratégies mixtes, 120, 124
Stratégies optimales, 122, 133
Stratégies simples, 120, 124, 133
Suiveur, 131
Surveillance, 84
Sweezy P. M., 24, 31-35
uh
Monopole naturel, 47, 55, 57
Monopole partiel, 47
Moore J., 107
Morgenstern O., 117
Morvan Y., 2
Motta M., 147, 157
V
Veblen T., 98
Ville circulaire, 166, 174
Ville linéaire, 163, 174
Mini Manuel d’Économie industrielle
Wilson R., 149-150
Woodward S., 75, 100
Y
ola
rvo
x.c
o
m:
FA
CU
L
TE
DE
S
SC
IE
NC
ES
JU
Yield management, 154-158
ch
Walras L., 9, 49, 56
Weinstein O., 100
Williamson O. E., 3, 75, 84, 94-96, 9899, 113
1.s
W
uh
186
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