L’inadaptation de notre systeme immunitaire au monde moderne ?

Cahier de lauto-immunité médecine interne Dr Khadija Moussayer
L’inadaptation de notre système immunitaire au monde
moderne ?
Les maladies auto-immunes connaissent depuis une trentaine d’années une
nette augmentation de leur fréquence. Elles représentent aujourd’hui la
3e cause de morbidité après les affections cardio-vasculaires et les cancers.
Les études montrent souvent comme facteur explicatif de cette recrudescence
des difficultés de l’organisme à s’adapter à la « modernisation » de son
environnement.
Un premier exemple concerne la maladie cœliaque (MC) ou intolérance au gluten,
une pathologie auto-immune (cf. annexe 1) en relation avec l’ingestion de gluten et
de protéines apparentées contenues notamment dans le blé. A leur contact,
l’organisme des personnes prédisposées produit des auto-anticorps qui
endommagent la muqueuse intestinale et provoquent des troubles variés (digestifs,
neurologiques, infertilité…).
La MC connait une forte prévalence près de 1 % de la population - en Europe, en
Amérique, au Maghreb et au Moyen Orient. Comme le risque global de décès pour
une personne souffrant de MC est augmenté de 39 % par rapport à la population
générale (1) et que le seul remède la suppression du gluten n’a é connu que
depuis les années 1950, il aurait été possible de penser que le processus évolutif
provoquerait au cours des siècles une forte diminution ou une disparition des
individus atteints. Or, il n’en a rien été.
Des spécificités régionales marocaines
La MC paraît en particulier courante chez les populations du sud marocain : une
étude ponctuelle menée sous l’égide de l’OMS sur des enfants sahraouis a ainsi
révélé une prévalence de 5,6 %, soit le plus haut taux connu au monde (2). Plusieurs
facteurs peuvent l’expliquer : une fréquence élevée des gènes DQ2 et/ou DQ8 (qui
prédisposent à cette maladie) dans leur système HLA /Human leukocyte Antigen (cf
annexe 2)), une forte consanguinité, la réduction de l’allaitement maternel, la
modification du régime alimentaire par l’introduction tardive historiquement mais
rapide du blé lors de la premre année d’enfance et des épidémies de gastroentérite
à l’époque.
Des chercheurs se sont penchés sur la partie du nome connue pour être associée
à la MC chez 195 sahraouis atteints (3). Trois régions présentaient des signes de
sélection positive, c'est-à-dire que le risque de développer la maladie a été favorisé
dans ces populations. Il a été montré également qu’un gène présent dans ces zones
correspondantes était associé à une réponse immunitaire plus forte. Les Sahraouis
prédisposés ou atteints de la MC possèdent donc une meilleure capacité de réponse
aux infections bactériennes. Cette configuration - la cohabitation d’un risque et d’un
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atout dans le génotype - a représenté un avantage de survie très supérieur à
l’inconvénient d’une éventuelle MC. Ce dernier danger était au demeurant
pratiquement inexistant du fait que ces populations ne consommaient pas
traditionnellement de gluten avant la colonisation. Elles subissent maintenant de
plein fouet ce risque avec les modifications de leurs habitudes alimentaires.
L’excès d’hygiène perturbateur
Un autre exemple concerne le diabète de type 1 qui progresse partout dans le
monde avec un taux annuel de plus de 3 %. Dans certains pays comme la Finlande
(pays le plus touché au monde avec un taux de prévalence de 64/100 000
personnes), le nombre de cas de cette pathologie devrait doubler dans les 15 ans à
venir (4). De plus en plus d’enfants en bas âge en sont atteints alors que,
traditionnellement, ce diabète se manifestait en général entre 10 et 14 ans.
L’excès d’hygiène est actuellement mis en avant parmi les causes explicatives de
cette « épidémie ». Un univers trop « aseptisé» empêcherait en effet le système
immunitaire des enfants d’apprendre à reconnaître ses ennemis. Les cellules
immunitaires, par manque de maturité, sont en quelque sorte désorientées et
s’attaquent alors par erreur à notre propre corps (5,6) en l'occurrence dans le cas du
diabète de type 1 aux cellules productrices dans le pancréas de l'insuline, utile à la
régulation du glucose dans notre corps.
Une étude sino-danoise (7) est venue indirectement conforter cette thèse en
montrant que les bébés nés par voie basse et exposés aux premières bactéries au
travers du rectum de la mère ont un risque moindre de contracter des allergies que
les bébés nés par césarienne. Le microbiote intestinal a ainsi un rôle fondamental
dans le bon développement de notre système immunitaire.
Plus globalement, la survenue des maladies auto-immunes s’explique par
l’accumulation de plusieurs facteurs s’associant comme les pièces d’un puzzle. Les
premiers sont génétiques ; les seconds sont sexuels, impliquant le rôle du
chromosome X et des hormones minines, d’où la nette prédominance des femmes
à contracter ce type de pathologies ; et les troisièmes environnementaux (8),
impliquant notamment les virus (en particulier celui d’Epstein Barr responsable de la
mononucléose infectieuse), les bactéries, les rayons UV, le tabac, des agents
toxiques, l’alimentation… La prise en compte des interactions entre tous ces
paramètres est nécessaire à une meilleure compréhension de ces pathologies.
Un patrimoine génétique inadapté
Dès 1962, un chercheur, J Neel, a émis l’hypothèse plus nérale que des variants
génotypiques bénéfiques pour les humains pendant des milliers d’années seraient
devenus « contre-productifs » du fait du progrès et de la modification de notre milieu
(9). Ainsi, un génotype « d’épargne » assurant l’utilisation optimale de la nourriture,
autrefois très utile dans un univers fait de pénuries et de famines, n’a plus sa
pertinence auprès d’individus à régime alimentaire satisfaisant ou abondant, d’où
l’augmentation de la fréquence du diabète non insulinodépendant (10) ou de
l’obésité.
De même, la pauvre en sel de la ration alimentaire de l’homme, pendant une très
longue période de son histoire, a provoq une sélection positive des nes
impliqués dans sa rétention. Notre consommation actuelle souvent trop forte n’est
plus adaptée à notre constitution génétique, d’où le développement de l’hypertension
(11).
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A ce propos, les conclusions d’une étude sur la prévalence élevée de l’hypertension
artérielle chez les individus d’origine afro-américaine aux Etats-Unis illustrent
parfaitement l’histoire de l’évolution et de ses contradictions, parfois cruelles(12) : les
esclaves africains les plus aptes à survivre aux traversées de l’Atlantique, dans des
conditions souvent difficiles par manque d’eau potable, étaient ceux qui détenaient
dans leurs gènes la meilleure capacité à assurer la réabsorption du sel au niveau
rénal. Leurs descendants actuels ont hérité à leur désavantage de cette supériorité
conjoncturelle.
Au final, les chemins empruntés par l’espèce humaine dans son évolution sont
compliqués et paradoxaux, et parfois de ce fait sources de nouveaux risques pour la
santé. Tout changement de notre environnement doit faire l’objet d’une certaine
vigilance, en particulier à l’égard des produits chimiques divers qui sont très
nombreux à accompagner notre vie quotidienne mais dont certains sont fortement
suspectés actuellement d’être responsables du développement de nombreuses
maladies, auto-immunes notamment.
Casablanca, le 26 février 2019
Dr MOUSSAYER KHADIJA 
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Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie
Consultante à l’Hôpital Cheikh Khalifa Ben Zayed de Casablanca
Présidente de l’Alliance Maladies Rares Maroc 
Présidente de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS)
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Vice-président du Groupe de l’Auto-Immunité Marocain (GEAIM)
Chairwoman of the Moroccan Autoimmune and Systemic Diseases Association
Membre de la Société Marocaine de Médecine Interne (SMMI)
Vice-présidente de l’association marocaine des intolérants et allergiques au gluten (AMIAG)
Secrétaire générale de l'association des médecins internistes du grand Casablanca (AMICA).
Vice-présidente de l'association marocaine de la fièvre méditerranéenne familiale (AMFMF)
ANNEXE 1 : les Maladies Auto-Immunes
Une maladie auto-immune est une pathologie provoquée par un dysfonctionnement
du système immunitaire : des cellules spécialisées et des substances, les anticorps,
sont sensées normalement protéger nos organes, tissus et cellules des agressions
extérieures provenant de différents virus, bactéries, champignons... Pour des
raisons encore non élucidés, ces éléments se trompent d’ennemi et se mettent à
attaquer nos propres organes et cellules. Ces anticorps devenus nos ennemis
s’appellent alors « auto-anticorps ».
Parmi les maladies auto-immunes, on peut citer des maladies connues : la maladie
de Basedow (hyperthyroïdie), la thyroïdite chronique de Hashimoto (hypothyroïdie),
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le lupus érythémateux dissémi (LED), la myasthénie, la Sclérose en plaques
(SEP), le diabète de type 1, la polyarthrite rhumatoïde, la spondylarthrite, la maladie
cœliaque (intolérance au gluten), la maladie de Crohn…
Et des maladies rares et peu connues : le syndrome de Goodpasture, le pemphigus,
l'anémie hémolytique auto-immune, le purpura thrombocytopénique auto-immun, la
polymyosite et dermatomyosite, la sclérodermie, l'anémie de Biermer, la maladie de
Gougerot-Sjögren, la glomérulonéphrite…
Ces pathologies constituent un grave problème de santé publique du fait de leur
poids économique et humain : 3ème cause de morbidité dans le monde après les
maladies cardiovasculaires et les cancers, elles touchent en effet environ 10 %
de la population mondiale et occupent le troisième poste du budget de la santé
dans les pays développés. Enfin, dernier point mais pas le moindre, ces maladies
concernent les femmes dans près de 75 % des cas
ANNEXE 2 : le système HLA
Le système HLA (Human leukocyte Antigen), appelé également CMH (complexe
majeur d’histocompatibilité), est le principal marqueur du « soi » c’est-à-dire de
son identité biologique. Il est différent d’un individu à l’autre. C’est un groupe de
molécules situé à la surface des cellules de notre corps. Chaque cellule (sauf les
globules rouges) renferme entre cinq cent mille et un million de molécules de ce
complexe, ce dernier expose en permanence le contenu peptidique de la cellule
pour qu’il soit reconnu par les cellules immunitaires comme appartenant au « soi »
soi-même) ou au « non-soi » un corps étranger comme une bactérie, un virus). Le
système immunitaire se mobilisera dans ce dernier cas pour attaquer ces cellules
étrangères et potentiellement pathogènes.
Références :
1) Ludvigsson JF, Montgomery SM, Ekbom A, Brandt L and Granath, F : "Small-
intestinal histopathology and mortality risk in celiac disease." 2009 - JAMA 302(11) :
1171-1178.
2) Catassi C et al. Why is coeliac disease endemic in the people of the Sahara ?
Lancet, 1999, 354 : 647648.
3) Zhernakova A et al. Evolutionary and functional analysis of celiac risk loci reveals
SH2B3 as a protective factor against bacterial infection. Am J Hum Genet. 2010 ; 86
(6) :9707.
4) Harjutasalo V, Sjöberg L, Tuomilehto J. Time trends in the incidence of type 1
diabetes in Finnish children : A cohort study. Lancet, 2008 ; 371 : 177782.
5) Bach JF et al Eat Dirt The Hygiene Hypothesis and Allergic Diseases. N Engl J
Med. 2002 ; 347 : 911.
6) Jean-François Bach and Lucienne Chatenoud The Hygiene Hypothesis: An
Explanation for the Increased Frequency of Insulin-Dependent Diabetes
doi: 10.1101/cshperspect.a007799 Copyright © 2012 Cold Spring Harbor Laboratory
Press
7) Bisgaard H and all, reduced diversity of the intestinal microbiota during infancy is
associated with increased risk of allergic disease at school age. Journal of Allergy
and clinical Immunology. DOI /10.1016/j.jaci.2011.04.060.
8) Moins d'infections, plus de maladies auto-immunes, Interview jean françois Bach,
Le Figaro Santé 04/09/2015
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9) Neel JV. Diabetes mellitus : a « Thifty » genotype rendered detrimental by «
progress ». Am J Hum Genet 1962 ; 14 : 353-62.
10) Neel JV, Fajan SS, Conn JW, Davidson RT. Diabetes mellitus. In : Genetics and
the epidemiology of chronic diseases. Amsterdam : Excerpta Medica, 1965 : 105-32.
11) Jeunemaitre X, Inoue I, Williams C, et al. Haplotype of angiotensinogen in
essential hypertension. Am J Med Genet 1997 ; 60 : 1448-60.
12) Thompson EE et al. CYP3A variation and the evolution of salt-sensitivity variants.
Am J Hum Genet. 2004 ; 75 : 105969.
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