Cas Cliniques Diabète Glycogénose hépatique chez le diabétique de type 1 : une complication qui ne se limite pas aux enfants ! Anne-Cécile Paepegaey1, Aurore Mensah2, Philippe Chanson1 1 Service d’Endocrinologie et Maladies de la Reproduction, AP-HP, Hôpital Bicêtre 2 Service d’Anatomopathologie, AP-HP, Hôpital Bicêtre L a glycogénose hépatique est une complication peu connue du diabète de type 1 par les endocrinologues adultes car surtout décrite chez l’enfant. On peut néanmoins l’observer aussi chez le jeune adulte comme en témoigne l’histoire suivante. Cas clinique Un patient de 18 ans, diabétique de type 1 depuis l’âge de 2 ans, consulte aux urgences en juin 2014 pour une altération de l’état général, avec perte de 20kg sur 6 mois, associée à des douleurs épigastriques. Le patient est très asthénique. L’examen clinique met en évidence une distension abdominale. Le bilan biologique montre une cytolyse majeure avec des ASAT à 3 301 UI/l, soit 66 fois la limite supérieure de la normale (LSN), des ALAT à 1 195 UI/l, soit 24 fois la LSN et une cholestase anictérique avec des GGT à 434 UI/l, soit 7 fois la LSN, des PAL à 175 UI/l soit 1,4 fois la LSN et une bilirubine normale à 10 µmol/l. Il n’y a pas d’insuffisance hépato cellulaire associée (TP > 110 %, FV > 115%). Ce tableau est associé à une hyperglycémie majeure à 26,5 mmol/l avec une hyperlactatémie à 26,5 mmol/l dans un contexte de rupture thérapeutique secondaire à des difficultés sociales et familiales avec une HbA1c à 12 %. Le patient est hospitalisé en réanimation pour poursuite de la prise en charge. Un bilan étiologique des perturbations du bilan hépatique met en évidence une hépatomégalie de 25 cm de hauteur et une ascite de moyenne abondance au scanner abdominal, des sérologies EBV, VHA, VHB, VHC, VHE, VIH, CMV et HSV négatives, une recherche de toxique (alcoolémie, paracétamolémie, recherche de benzodiazépine, tricyclique et phénobarbital) négative, des anticorps anti-LKM1, anti-mitochondries et anti-muscle lisse négatifs. Devant l’absence de diagnostic évident, une biopsie hépatique par voie transpariétale est réalisée et montre un aspect de surcharge métabolique avec des modifications cytologiques des hépatocytes en faveur d’une surcharge glycogénique secondaire au diabète (Figure 1). Le patient est transféré en service de médecine et l’évolution est marquée par une amélioration spontanée du bilan hépatique en parallèle de l’équilibre glycémique. En août 2014, devant une nouvelle rupture thérapeutique, le patient est de nouveau hospitalisé pour acidocétose diabétique avec pH à 6,96. La glycogénose hépatique Figure 1. Histologie hépatique. HES x150; foie d’architecture conservée, hépatocytes au cytoplasme clarifié, quelques noyaux glycogéniques. Supplément au MCED n°83 – Cas Cliniques Diabète n°9 – Août 2016 3 Diabète CAS CLINIQUE B A Figure 2. TDM abdominal non injecté en coupe axiale (A) et en coupe coronale (B) mettant en évidence l’hépatomégalie majeure du patient. est, elle aussi, de nouveau décompensée, avec une augmentation du périmètre abdominal et une perturbation du bilan hépatique : les ASAT sont à 3 070 UI/l soit 60 fois la LSN, les ALAT à 1 385 UI/l soit 27 fois la LSN et les GGT à 1 385 UI/l soit 28 fois la LSN. Le scanner abdominal confirme l’hépatomégalie homogène avec un épanchement intrapéritonéal de faible abondance (Figure 2). L’évolution hépatique est de nouveau favorable grâce au contrôle glycémique. Le bilan hépatique de contrôle un mois plus tard trouve une amélioration de la glycogénose avec des ASAT à 172 UI/l soit 4 fois la LSN et des ALAT à 129 UI/l soit 3 fois la LSN. Le patient consulte à nouveau début mars 2015 pour une réapparition de l’épanchement abdominal avec une nouvelle perturbation du bilan hépatique (ASAT à 11 fois la LSN, ALAT à 15 fois la LSN et GGT à 21 fois la LSN) car il a limité son insulinothérapie à une seule de ses injections quotidiennes au cours des 2 mois précédents. Il est alors réhospitalisé : le bilan hépatique trouve des ASAT à 5 289 UI/l soit 106 fois la LSN, des ALAT à 1 685 UI/l soit 34 fois la LSN, des GGT à 1 512 UI/l soit 30 fois la LSN et des PAL à 177 UI/l soit 1,4 fois la LSN. L’échographie abdominale met en 4 évidence une hépatomégalie discrètement hétérogène, compatible avec la glycogénose, une ascite de faible abondance non accessible à un drainage. Les sérologies virales VIH, VHB et VHA sont négatives. Les anticorps anti-mitochondries, anti-muscle lisse, anti-LKM1, anti-LC1 et anti-cellules pariétales gastriques sont négatifs. Le bilan martial est normal. Par ailleurs, le patient présente une taille normale à 171 cm et un bilan hormonal montre un axe gonadotrope normal avec une testostérone totale à 4,2 ng/ml, une LH à 4,67 UI/l, une FSH à 7,58 UI/l et une TeBG à 43 nmol/l. La cytolyse hépatique est de nouveau amé- liorée au cours de l’hospitalisation en parallèle de l’équilibre glycémique. Moins d’un mois après le patient est de nouveau hospitalisé en réanimation médicale pour une acidocétose diabétique secondaire à une rupture thérapeutique avec une réaggravation légère de la cytolyse. L’évolution du bilan hépatique du patient est décrite dans la figure 3. Discussion La glycogénose hépatique est une complication peu connue du diabète de type 1. On connaît mieux la glycogénose hépatique primaire ou de type 1, cette maladie héréAcidocétose Compensation glycémique et douleurs abdominales Acidocétose Acidocétose Juin 2014 Août 2014 Mars 2015 Avril 2015 Figure 3. Évolution du bilan hépatique selon l’équilibre glycémique du patient. Supplément au MCED n°83 – Cas Cliniques Diabète n°9 – Août 2016 CAS CLINIQUE ditaire secondaire à un déficit en glucose6-phosphate, caractérisée par des hypoglycémies à jeun, un retard de croissance et une hépatomégalie par accumulation de glycogène et de graisse dans le foie [1]. Dans le cadre du diabète, cette glycogénose hépatique a été initialement décrite par Mauriac [2], chez des enfants, devant l’association d’une hépatomégalie avec une augmentation des enzymes hépatiques, un retard de croissance, un retard pubertaire et un aspect cushingoïde. Cette entité est devenue rare depuis la mise à disposition des analogues de l’insuline et la généralisation de schémas d’insulinothérapie permettant d’obtenir un meilleur équilibre du diabète chez l’enfant. A l’âge adulte, la glycogénose hépatique se caractérise par des douleurs abdominales, une anorexie, des nausées et des perturbations du bilan hépatique dans un contexte de déséquilibre glycémique majeur. Dans le tableau classique, les transaminases sont très élevées, les ASAT pouvant atteindre 4 000 UI/l et les ALAT 1 900 UI/l [3, 4]. Comme dans le cas de notre patient, une hyperlactatémie peut s’ajouter à ce tableau [5]. L’échographie abdominale trouve une hépatomégalie et un aspect de surcharge [3]. Le diagnostic de glycogénose hépatique est un diagnostic d’élimination. Avant de porter le diagnostic, il est donc nécessaire d’éliminer les causes virales (hépatites A,B,C et E, CMV et EBV), métaboliques (maladie de Wilson et déficit en alpha 1 anti-trypsine), obstructives, de surcharge en fer ou auto-immunes [6]. Mais les examens d’imagerie ne permettent pas de différencier une glycogénose hépatique d’une stéatose hépatique non alcoolique [7]. Le seul examen permettant d’affirmer formellement le diagnostic est la biopsie hépatique avec un aspect de surcharge glycogénique visible à la coloration PAS (periodic acidschiff ) [6,8]. Néanmoins certains auteurs recommandent de ne pas la réaliser si le bilan hépatique se normalise avec le bon contrôle glycémique [6]. L’évolution est le plus souvent favorable grâce à l’équilibre glycémique, l’atteinte hépatique disparaissant en 2 à 4 semaines Diabète Glucose GLUT 2 (indépendant de l’insuline) Glucose Glucokinase Hépatocyte Glucose-6-phosphate Glycogène synthase Glycogène Figure 4. Formation du glycogène dans l’hépatocyte à partir de l’entrée de glucose passivement dans la cellule via GLUT 2. [9]. Cependant, les doses d’insuline journalières nécessaires à l’obtention de l’équilibre glycémique sont souvent plus importantes que chez les sujets diabétiques de type 1 sans glycogénose hépatique (1,33 U/kg contre 0,6 à 1,1 UI/kg) [10]. Deux cas de transplantations pancréatiques permettant une guérison de la glycogénose hépatique ont été décrits [11]. La physiopathologie est la suivante : en cas d’hyperglycémie majeure, le glucose entre passivement dans les hépatocytes via GLUT 2 (transporteur du glucose indépendant de l’insuline) et est rapidement transformé en glucose-6P par la glucokinase [12] ; l’administration importante d’insuline entraîne la transformation du glucose-6P en glycogène par la glycogène-synthase [3] (Figure 4). Ce phénomène est amplifié en cas d’acidocétoses fréquentes, comme chez notre patient : la séquence niveaux élevés d’hyperglycémie et fortes doses d’insuline intraveineux se répète [13]. Les auteurs de cet article n’ont aucun lien d’intérêt actuel ou passé avec l’industrie pharmaceutique dans le domaine de la diabétologie ou tout autre domaine qui soit susceptible d’influencer l’écriture de ce cas clinique, et son orientation diagnostique ou thérapeutique. Anne-Cécile Paepegaey, Aurore Mensah, Philippe Chanson [email protected] Références 1. Kishani PS, Austin SL, Abdenur JE, et al. Diagnosis and management of glycogen storage disease type I: a practice guideline of the American College of Medical Genetics and Genomics. Genet Med 2014; 16:e1. 2. Mauriac P. Gros ventre, hépatomégalie, trouble de la croissance chez les enfants diabétiques traités depuis plusieurs années par l’insuline. Gaz Hebl Sci Med Bordeaux 1930; 26:402-410. 3. Giordano S, Martocchia A, Toussan L, et al. 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