Biologie tissulaire : facteurs de pronostic dans le cancer du sein.

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F. Descotes
Biologie tissulaire : facteurs de pronostic dans le cancer du sein.
Françoise Descotes
Service de Techniques Nucléaires & Biophysiques - Unité In Vitro Pavillon 3B - CHU Lyon Sud - Pierre Bénite.
Résumé
De par son incidence, le cancer du sein reste le cancer le plus fréquent de la femme.
L’exploration de la biologie des tissus tumoraux a débuté, il y a plus de 30 ans, avec la découverte
du concept des récepteurs hormonaux qui a permis de rendre compte de l’hormonodépendance
des tumeurs. Par la suite, les recherches ont permis d’identifier un certain nombre d’autres facteurs biologiques responsables des modalités évolutives des tumeurs mammaires en raison de leur
implication dans les mécanismes de la progression tumorale. Ces facteurs tissulaires représentent
des caractères biologiques mesurables dont le rôle est connu soit dans les mécanismes propres de
la prolifération cellulaire soit dans les réactions paracrines avec les cellules de l’environnement
(activité protéasique ou angiogénique) qui participent à l’extension locale et métastatique.
Outre leur intérêt pronostique, on envisage désormais que certains de ces facteurs biologiques puissent être considérés comme des cibles thérapeutiques ce qui permettrait de freiner leur
activité.
Cancer du sein / Pronostic / Prolifération / Invasion
INTRODUCTION
ðLe cancer du sein est le cancer le
plus fréquent chez la femme : 34 000
nouveaux cas ont été observés en
France en 1995 et son incidence est
en augmentation constante (60 % entre 1975 et 1995). C’est ce qui expli-
que que, malgré les progrès dans la
prise en charge de ces malades et
l’amélioration globale de la survie, il
soit responsable de 19 % des décès
par cancer chez la femme (données
fournies par l’INSERM).
La dissociation entre l’augmentation
de l’incidence et celle de la mortalité est significative d’une améliora-
tion notable du taux de curabilité.
Celle ci tient à plusieurs facteurs : en
premier lieu, des diagnostics de tumeurs opérables à des stades beaucoup plus précoces, conséquence à
la fois de l’éducation sanitaire des
femmes, de la vigilance des médecins
spécialisés et de l’amélioration des
moyens techniques de diagnostic
(mammographies plus performantes,
Correspondance : Françoise Descotes - Service de Techniques Nucléaires & Biophysiques - Unité In Vitro - Pavillon 3B,
Centre Hospitalier Lyon Sud - 69495 Pierre Bénite Cedex
Tel : 04 78 86 21 50 - Fax : 04 78 86 32 63 - E-mail : [email protected]
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Biologie tissulaire : facteurs de pronostic dans le cancer du sein
échographies). En second lieu, les indications et les protocoles thérapeutiques ont été rationalisés et généralisés. Ces derniers ont bénéficié de
l’exploration de la biochimie des tissus tumoraux en relation avec les
aspects cliniques, le cancer du sein
étant le modèle de tumeurs solides
qui a sans doute été le plus étudié.
Les recherches ont démontré la variabilité individuelle quantitative des
activités qui sous-tendent les mécanismes eux-mêmes de la progression
tumorale. Les premières études ont
montré que les informations les plus
significatives sont celles qui traduisent le taux de division cellulaire, la
capacité de dissociation du tissu et
l’activité angiogène. Ces activités sont
maintenant mesurables avec précision dans une très petite masse tissulaire, ce qui permet d’établir une véritable carte d’identité tumorale.
L’intérêt est double puisque les informations fournies sont non seulement des indicateurs de risque de
récidives mais également des indicateurs de la nature de l’activité biologique impliquée dans ce risque et
qu’il convient, le cas échéant de réduire.
L’information clinique clé qui a servi
jusqu’à présent de critère de choix
des indications thérapeutiques (chirurgie, radiothérapie, traitements médicaux) est celle liée à la classification "TNM" de l’O.M.S. qui permet
d’évaluer de façon reproductible l’extension locorégionale, c’est-à-dire les
dimensions tumorales et le degré
d’envahissement ganglionnaire axillaire et/ou mammaire interne. Elle
inclut maintenant l’information
histopathologique (pTNM).
En effet, sur l’ensemble des populations traitées, il existe une relation très
forte entre le degré d’extension
locorégionale au moment du traitement initial et le risque d’une évolution secondaire. Mais l’étude des observations individuelles de tumeurs
opérables montre que cette corrélation est prise en défaut dans nombre
de cas où l’on observe, au cours de
l’évolution, des discordances avec le
pronostic initialement supposé,
1) évolution plus favorable qu’atten-
32
due des tumeurs T2-T3 accompagnées d’un faible envahissement ganglionnaire, 2) évolution métastatique
de tumeurs T1 ou T2 plus fréquente
que ne laissait prévoir l’envahissement ganglionnaire, et ce malgré les
traitements adjuvants standards,
3) évolution métastatique après 5 ans
de 20 % des tumeurs T1-T2 de moins
de 3 cm et sans envahissement ganglionnaire.
Pour pallier les 2 dernières éventualités, plusieurs lignes thérapeutiques
ont été mises en œuvre qui visent à
alourdir les programmes de chimiothérapie dans un cas et à introduire
dans l’autre une chimiothérapie de
principe même en l’absence de ganglions envahis. Les essais n’ont pas
apporté le bénéfice clinique attendu.
En effet il s’avère que le traitement
appliqué est insuffisant ou inapproprié pour certaines tumeurs ; pour
d’autres au contraire (80 % des tumeurs sans envahissement ganglionnaire), le traitement chimiothérapeutique est inutile tandis qu’il est montré qu’il augmente le risque d’induction d’une autre tumeur (cf. mise en
garde récente de l’AFSSAPS concernant les indications de la
Novantrone™ dans le cancer du sein)
[1].
JUSTIFICATION DE L’IDENTIFICATION DE NOUVEAUX FACTEURS
DE PRONOSTIC DANS LE CANCER
DU SEIN
ðL’établissement du stade d’extension d’une tumeur était jusqu’à présent basé sur les informations cliniques et les données morphologiques
histopathologiques. Les discordances
sont devenues beaucoup plus évidentes au cours de la dernière décennie en raison de la proportion relative bien plus élevée qu’autrefois de
tumeurs traitées au stade T1N0. Les
critères de la classification "TNM" sont
devenus insuffisants. Si une tumeur
récidive à distance après que la totalité de la lésion initiale ait été enlevée, cela signifie que l’essaimage s’est
produit précocement, en dehors des
relais ganglionnaires. La tumeur présente donc dès le début les propriétés biologiques caractéristiques responsables de ce phénomène d’essaimage.
Si l’on met à part les altérations géniques et les fonctions qui ont permis
l’induction de la tumeur, l’évolution
de celle ci est conditionnée par deux
types d’anomalies.
1) Celles qui contribuent à la perte
de contrôle de la division cellulaire,
ces anomalies concernent les cellules tumorales elles-mêmes.
2) Celles qui contribuent à l’altération
de l’environnement proche de la tumeur pour lui permettre d’essaimer.
Ces anomalies ont leur origine dans
des altérations des cellules tumorales elles-mêmes mais elles affectent
les cellules environnantes permettant
aux cellules tumorales d’essaimer
soient par voie lymphatique soit par
voie métastatique. Les anomalies que
l’on peut identifier, qu’elles soient
quantitatives ou qualitatives et qui
sont la conséquence de la tumorigénèse, n’ont pas forcément une valeur pronostique. Très souvent, ces
anomalies accompagnent la tumeur,
elles la caractérisent mais elles n’ont
pas d’impact sur le pronostic.
Un bon candidat comme facteur biologique de pronostic doit répondre
à certains critères. Il doit correspondre à une activité biologique caractérisée et ayant un rôle identifié dans
les mécanismes de prolifération ou
d’invasion locale. De plus, il doit être
mesurable par une technique robuste,
fiable, contrôlée et répondant aux recommandations du GBEA (Guide de
Bonne Exécution des Analyses).
PREMIERS FACTEURS
BIOLOGIQUES IDENTIFIÉS
PRÉDICTIFS DE LA RÉPONSE THÉRAPEUTIQUE, LES RÉCEPTEURS
HORMONAUX
ðLe seul facteur biologique tissulaire
dont la signification pronostique ait
été validée dans le cancer du sein est
le contenu en récepteurs des hormones stéroïdiennes.
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Ce sont les travaux de Jensen dès
1967 [2] qui ont permis de montrer
l’intérêt des récepteurs d’estrogènes
(RE) dans le cancer du sein. Ces récepteurs sont observés dans de nombreux organes cibles des estrogènes
et également dans des tissus non
estrogénodépendants. Différents types de cancer expriment ces récepteurs sans que l’on ait pu mettre en
évidence de valeur pronostique.Ainsi
80 % des cancers de l’endomètre présentent des RE sans que l’hormonosensibilité de ce type de cancer ne
puisse être utilisée pour mettre en
place un traitement hormonal. Ce
n’est que dans le cancer du sein
qu’ils ont une signification pronostique. Leur présence dans une tumeur
a permis de mettre en évidence
l’hormonosensibilité de cette tumeur.
La suppression de l’activité estrogénique permet d'inhiber l’action proliférative des estrogènes et donc de freiner la croissance cellulaire. A partir
de là, se sont développés des traitements hormonaux de type anti-estrogénique. En bloquant les sites récepteurs à l’aide de molécules comme
le Tamoxifène qui est un agoniste de
l'estradiol vis-à-vis de son récepteur,
on inhibe la prolifération cellulaire.
McGuire dès 1973 [3] montrait l’intérêt des récepteurs de progestérone
(RPg) dont la synthèse est estrogénodépendante. L’hormonosensibilité
d’une tumeur ne s’établit pas seulement par la présence de RE mais encore faut-il qu’ils soient fonctionnels
(capables d’induire la synthèse de
protéine estrogénodépendante
comme les RPg). C’est donc la mesure des deux types de récepteurs RE
et RPg qui permet de le dire. En ce
qui concerne la mesure biologique,
il existe une adéquation entre la mesure du nombre de sites récepteurs
et l’évaluation de l’activité de la protéine récepteur [4].
géré que le rapport des taux d’expression de REβ sur REα diminue durant
la tumorigénèse [6] ; REβ interviendrait comme un régulateur négatif du
REα [7]. La mesure de l’expression
de REα donne une réponse sur l’hormonosensibilité de la tumeur alors
que la mesure de l’expression de REβ
permettrait de prévoir l’échappement
aux traitements anti-estrogéniques [6],
le Tamoxifène n’ayant pas d’effet agoniste sur les REβ.
Actuellement, compte tenu que les
tumeurs sont diagnostiquées à des
stades de plus en plus précoces et
que dans ces stades le contenu en
récepteurs hormonaux est généralement peu altéré, leur seule mesure
ne permet pas de distinguer les malades à haut risque de récidive.
AUTRES FACTEURS LIÉS À LA
CAPACITÉ DE PROLIFÉRATION
CELLULAIRE
Les facteurs de croissance et
leur récepteurs
ðLa prolifération cellulaire peut être
évaluée par l’étude de ses facteurs de
régulation que sont les hormones et
les facteurs de croissance. Les estrogènes influencent soit directement
soit indirectement la prolifération cellulaire en modulant la production des
facteurs de croissance et l’expression
des récepteurs de ces facteurs de
croissance. Les facteurs de croissance
sont normalement produits par les
tissus dont ils assurent la régulation.
Ils ont un rôle dans l’entrée des cellules dans le cycle cellulaire au moment opportun. Mais lorsque les facteurs de croissance ou leur récepteurs sont produits à contre temps,
on parle de facteurs "transformants" ;
ils permettent l’expression de propriétés en dehors d’un contexte normal. Ces activités inappropriées contribuent au développement tumoral.
des cellules cibles. EGF est exprimé
dans les cellules épithéliales du tissu
mou, il a un rôle dans les mécanismes sécrétoires ou de lactation. Il informerait sur la capacité de la tumeur
à maintenir des caractéristiques de
type normal. TGFα donne un reflet
de l’état prolifératif et transformé de
la cellule. Il aurait un rôle dans les
étapes précoces de la tumorigénèse
[8].
Dans le cancer du sein, les récepteurs
des facteurs de croissance comme
EGFR, IGFR (Insulin-like Growth Factor Receptor) n’ont pas montré de valeur pronostique. Par exemple, pratiquement toutes les tumeurs du sein
expriment EGFR.
Les recherches se sont plus intéressées aux protéines apparentées des
formes altérées de ces récepteurs. Par
exemple, HER-2/neu qui est un EGFR
tronqué est retrouvé surexprimé
dans 20 à 30 % des cancers du sein.
Sa valeur pronostique au moment du
diagnostic reste faible ; il serait surtout informatif dans le sous-groupe
de patientes avec un envahissement
ganglionnaire. Il pourrait être un indicateur de réponse à certaines chimiothérapies. Les tumeurs HER-2/neu
positives répondraient mieux aux
chimiothérapies incluant une
anthracycline. Ces tumeurs présenteraient également une résistance accrue à une hormonothérapie. Mais
l’intérêt majeur de ce facteur est surtout lié au développement d’anticorps monoclonaux humanisés dirigés contre lui. La mesure de HER-2/
neu permet d’identifier les patientes
pouvant bénéficier de ce type de traitement [9,10].
Evaluation du taux de prolifération
cellulaire
Parmi les facteurs de croissance étudiés, on peut citer EGF (Epidermal
Growth Factor) et TGFα (Transforming Growth Factor alpha). Ces deux
facteurs de croissance se lient au
même récepteur EGFR à la surface
ðAu niveau de la prolifération cellulaire, le premier facteur qui ait été étudié a été la vitesse d’augmentation du
volume de la tumeur, telle qu’elle
pouvait être autrefois appréciée cliniquement. En effet, même si de nombreux mécanismes entrent en jeu
dans la croissance tumorale, celle-ci
passe obligatoirement par une augmentation du contingent cellulaire
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En 1996, Gustafsson [5] a identifié un
second isoforme appelé REβ en opposition au REα (premier isoforme
identifié). Il existe une très grande homologie structurale du gène (96 %)
entre les deux isoformes. Les contenus en REα et REβ seraient variables
suivant les tissus cibles. Il a été sug-
Biologie tissulaire : facteurs de pronostic dans le cancer du sein
malin. La division cellulaire est normalement régulée par de nombreux
facteurs externes différents suivant les
types cellulaires. Les cellules tumorales peuvent rester sensibles à une
partie de ces facteurs mais, ce qui les
caractérise, c’est qu’elles ont perdu
les moyens cellulaires propres de
contrôle négatif et sont devenues
potentiellement "immortelles". En
conséquence, quel que soit le profil
des facteurs mis en jeu dans la croissance de chaque tumeur, le taux de
division cellulaire représente la résultante de l’activité de ces facteurs au
moment de l’examen. Différentes
approches sont possibles pour les
évaluer ; les unes et les autres ne sont
cependant significatives qu’au prix de
contrôle de qualité et de standardisation extrêmement strictes. On peut
mesurer de façon directe le nombre
de cellules tumorales en division exprimé en pourcentage d’une population définie. Cette information est très
significative du pronostic. L’analyse
par cytométrie de flux, plus complexe, est encore plus significative parce
qu’elle renseigne sur les anomalies
de la ploïdie [11,12]. C’est une méthodologie lourde qui, s’appliquant
à des tumeurs solides, nécessite une
étape de dissociation cellulaire. Cette
technique ne peut être mise en œuvre que dans des centres spécialisés
ayant acquis, par une longue expérience, la pratique de cette méthodologie.
L’autre approche de l’évaluation du
taux de prolifération est la mesure
d’activités enzymatiques impliquées
dans la synthèse de l’ADN.
La thymidine kinase (TK) est l’enzyme qui intervient dans la voie de
récupération des bases pyrimidiques
issues de la dégradation de l’ADN. Il
existe plusieurs isoformes. C’est
l’isoforme TK1 qui est étudié ; il est
extrêmement élevé dans la phase G1S. Une valeur péjorative a été décrite
dans des tumeurs du sein pour des
concentrations élevées [13-16].
La thymidylate synthétase (TS) intervient pour sa part dans la voie de novo
de néosynthèse des nucléotides, voie
impliquant des enzymes comme la
dihydrofolate réductase, cible du mé34
thotrexate par exemple.A coté de leur
signification pronostique aussi bien
pour TK que pour TS [16,17], l’étude
de ces activités permet de désigner
des cibles thérapeutiques privilégiées.
Selon la voie de synthèse de l’ADN
qui est sollicitée, on pourra privilégier le médicament le mieux adapté.
FACTEURS LIÉS À LA CAPACITÉ
D’INVASION ET D’ANGIOGÉNÈSE
ðL’autre catégorie de propriétés biologiques évaluées concerne les mécanismes d’invasion locale et/ou à
distance. L’activateur du plasminogène de type urokinase ou uPA est
une protéase intervenant dans les mécanismes de dissolution de la matrice
extracellulaire lors des processus de
remodelage tissulaire au cours de la
cicatrisation. Dans les processus invasifs, uPA a le même rôle d’activation du plasminogène que dans les
processus physiologiques de cicatrisation. Dans les mécanismes cancéreux, uPA est exprimé par les cellules stromales au voisinage des cellules tumorales et plus exactement par
les myofibroblastes. Il a été montré
dans plusieurs types de cancers dont
le cancer du sein, que la détermination de uPA par des méthodes biochimiques sur un extrait cellulaire
avait une valeur pronostique de première importance [18, 19].
L’inhibiteur de l’activateur du plasminogène de type 1 ou PAI-1 est un autre
candidat comme facteur pronostique.
Il aurait un rôle beaucoup plus complexe que le seul rôle d’inhibiteur
d’uPA. Les premières hypothèses allaient dans le sens d’une inhibition
de la croissance tumorale ou de l’invasion. Mais de nombreux travaux
suggèrent un rôle plus complexe de
PAI-1 dans l’apparition des métastases. Il doit certainement exister un
équilibre très sensible entre protéolyse et inhibition. uPA et surtout PAI1 ont été définis comme des facteurs
indépendants de mauvais pronostic
dans le cancer du sein [20-25]. Depuis 1990, aucune publication n’est
en contradiction avec ces données.
Il semblerait que ce soit surtout PAI1 qui soit le facteur le plus pertinent
en terme de pronostic [26-29]. Il reste
très significatif dans la population des
tumeurs sans envahissement ganglionnaire [30]. uPA et PAI-1 sont utilisés comme paramètre de choix dans
l’essai européen Biomed-2 associés
à HER-2/neu [31]. Cet essai s’adresse
aux patientes sans envahissement ganglionnaire. Les taux d’uPA et de PAI-1
permettent de distinguer deux groupes de patientes : 1) celles pour lesquelles la tumeur présente des taux
faibles d’uPA et de PAI-1 et qui ne
bénéficieront pas de chimiothérapie
et 2) celles pour lesquelles on a un
taux élevé d’uPA et/ou de PAI-1 et qui
bénéficieront d’une chimiothérapie.
L’évaluation de HER-2/neu permet de
tester deux types de chimiothérapie
associant ou non une anthracycline.
D’autres protéases impliquées dans
les processus invasifs ont également
été étudiées. La stromélysine III est
exprimée dans 10 % des cancers in
situ et dans 65 % des cancers invasifs. Elle présente donc une forte corrélation avec la progression tumorale.
Son expression s’observe dans les cellules stromales au voisinage des cellules tumorales avec un gradient décroissant du centre de la tumeur vers
la périphérie [32-34]. Pour les gélatinases, on observe une expression
croissante de la gélatinase A des cancers in situ vers les formes invasives
puis métastatiques [35].
L’angiogenèse est un processus complexe par lequel de nouveaux vaisseaux sont générés à partir de vaisseaux préexistants. L’angiogenèse tumorale permet la vascularisation de
la tumeur pour que celle ci puisse
bénéficier de l’apport en oxygène et
en nutriments qui sont indispensables à une croissance rapide et aux
processus métastatiques. Les cellules
tumorales sécrètent des facteurs
angiogènes qui vont stimuler différentes catégories de cellules stromales
et ceci pour permettre 1) une dégradation de la matrice extracellulaire,
2) une lyse de la membrane basale
des capillaires lymphatiques et vasculaires et 3) une modification de la
perméabilité capillaire.
Ce processus aboutit à des échanges
cellulaires et à la prolifération des
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cellules endothéliales des vaisseaux.
Cette néoangiogenèse qui se met en
place au voisinage de la tumeur va
alors faciliter la croissance tumorale
et faciliter l’essaimage des cellules tumorales par voie vasculaire. Cette
néoangiogenèse est régie par des régulateurs qui peuvent être soient
positifs comme VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), bFGF (basic
Fibroblast Growth Factor), l’endothéline, soit négatifs comme la thrombospondine, l’angiostatine ou le TGFβ
(Transforming Growth Factor béta)
[36]. Sont également impliqués dans
ce processus d’angiogenèse les intégrines qui sont des récepteurs de différents composés de la matrice extracellulaire comme la laminine, la
vitronectine, la fibronectine et le collagène [revue dans 37]. Les mécanismes de transduction liés à ces récepteurs entraînent l’induction de la synthèse de collagènases, de stromélysines ou d’autres métalloprotéases
impliquées dans les processus de
dégradation de la matrice extracellulaire et donc, dans les processus invasifs. L’angiogenèse est une nouvelle
voie de thérapie. En utilisant des molécules anti-angiogènes comme l’angiostatine, l’endostatine ou TIMP-2
(Tissue Inhibitor of MetalloProteinase 2), on pourrait bloquer ce processus. La principale protéine angiogène VEGF représente une cible thérapeutique particulièrement intéressante ; son blocage permettrait d’induire l’apoptose des cellules tumorales directement ou indirectement
en augmentant la sensibilité des cel-
lules aux thérapies hormonales et/ou
aux chimiothérapies [38].
CONCLUSION
ðLes perspectives de la biologie des
tissus tumoraux sont tout d’abord
d’ordre méthodologique.
La rt-PCR (reverse transcriptase-PCR)
en temps réel est une méthode quantitative qui permet d’évaluer l’expression génique. Comme les tumeurs
sont de plus en plus petites au moment du diagnostic, il est nécessaire
de s’orienter vers une méthodologie
nécessitant le moins de matériel tumoral possible pour l’étude d’un
maximum de paramètres. Cette méthodologie est en cours de validation
pour les paramètres déjà évalués par
les méthodes biochimiques afin de
comparer les résultats obtenus par
ces deux méthodologies qui ne mesurent pas la même chose : les méthodes biochimiques mesurent l’expression protéique alors que la rt-PCR
mesure l’expression génique. Il existe
des automates très performants permettant d’avoir une approche vraiment quantitative. En complément, se
développent des techniques de microdissection permettant de sélectionner les îlots de cellules tumorales.
Une autre approche est la carte
d’identité des tumeurs. Cette carte
d’identité concerne tout d’abord le
tr
anscr
iptome
transcr
anscriptome
iptome. La technique fait appel à des biopuces d’ADN. L’étude du
transcriptome permettra d’établir un
profil d’expression de milliers de
séquences d’ARN. Sur des supports
de silice sont déposés quelques 8000
gènes et les développements technologiques laissent supposer que l’on
pourra aller encore plus loin. De plus,
les systèmes de lecture et d’interprétation évoluent très rapidement. Mais
à l’heure actuelle, ces biopuces d’un
coût encore élevé sont réservées à
des études ciblées. On ne peut pas
encore envisager de routine pour ces
méthodologies.
La 3 ème approche avec l’étude du
protéome est encore plus prometteuse puisqu’elle permettra l’étude
de l’expression des protéines car ce
sont elles qui assurent les fonctions
de la cellule.
En ce qui concerne l’étude des facteurs biologiques tissulaires, compte
tenu des stades de plus en plus précoces des cancers du sein au moment
du diagnostic initial, les facteurs les
plus prometteurs pour le pronostic
seront ceux qui apparaissent dans les
états précoces pré anatomiques de
l’invasion. Une meilleure connaissance de ces facteurs biologiques tissulaires, de leur rôle dans les mécanismes tumoraux, permettra également de définir de nouvelles cibles
pour une nouvelle génération de
biothérapie : traitement ciblé sur les
facteurs qui induisent ou contrôlent
l’entrée dans le cycle de prolifération
cellulaire, les facteurs impliqués dans
l’angiogenèse et les facteurs protéolytiques.
Tissue biology : prognostic factors in breast cancer
By its incidence, breast cancer remains the most frequent malignant tumor affecting
women. Biology of tumor tissue began thirty years ago with the steroid receptor concept that
showed tumor was hormonodependent. Subsequently, researches have helped to identify several
other factors responsible for mammary tumor development because of their implication in the
mechanisms of tumor progression. These factors represent measurable biological characteristics
whose role is known either in mechanisms of cellular proliferation or in paracrine reactions with
environmental cells (proteasis or angiogenic activities) that participate in local and metastastic
invasion. Besides their prognostic interest, we envisage in future that some of these biological
factors might be considered as therapy targets and thus allow the deceleration of their activities.
Breast cancer / Prognostic factor / Proliferation / Invasion
Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2002 - vol.26 - n°1
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Biologie tissulaire : facteurs de pronostic dans le cancer du sein
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