C A S C L I N I Q U E Découverte fortuite d’un volumineux anévrisme congénital du sinus de Valsalva développé dans le ventricule droit ● V. Le Bouffos, M. Berhouet, S. Lafitte, H. Douard, E. Choukroun, R. Roudaut* OBSERVATION Un homme de 62 ans bénéficie pour la première fois en 2000 d’une consultation cardiologique dans le cadre du bilan préopératoire d’un cancer du côlon. Parmi ses antécédents médicochirurgicaux, on ne retient qu’une hypertension artérielle. L’interrogatoire ne retrouve pas de douleur thoracique ni de dyspnée. Sa tension artérielle est à 135/80 mmHg, avec une fréquence cardiaque à 75 bpm. L’auscultation cardiaque ne retrouve pas de souffle et le reste de l’examen clinique est strictement normal. L’électrocardiogramme met en évidence un rythme sinusal, avec une hypertrophie ventriculaire gauche. L’échographie transthoracique réalisée chez cet ancien hypertendu met en évidence un volumineux anévrisme du sinus de Valsalva coronaire droit dont les dimensions sont de 3,5 cm par 4 cm, avec un collet de 1,3 cm (figure 1). Aucun thrombus ni écho de stase n’est mis en évidence. Le reste de l’aorte est de calibre normal. En revanche, on retrouve une HVG concentrique modérée et une insuffisance aortique minime. Malgré une information complète sur les risques qu’induirait l’absence de traitement chirurgical de cet anévrisme, le patient refuse l’intervention. Il est opéré du côlon avec des suites simples. Après deux ans, sa femme réussit à le convaincre de revoir un cardiologue. Il accepte alors le cathétérisme cardiaque. L’aortographie confirme les données échographiques, avec un diamètre transversal maximal de l’anévrisme mesuré à 4,7 cm (figure 2). L’examen ne révèle ni shunt, ni obstruction sur la chambre de chasse du ventricule droit. À la coronarographie, le réseau gauche est sain. L’injection sélective de la coronaire droite ne peut être réalisée en raison de l’intrusion systématique de la sonde dans la cavité anévrismale. Cependant, l’aortographie permet d’obtenir une faible injection, éliminant donc une sténose très serrée sur la coronaire droite. L’ostium de la coronaire est visualisé, proche du collet de l’anévrisme. Nous expliquons donc à nouveau longuement au patient les risques que lui fait courir cet anévrisme. Il refuse l’intervention dans un premier temps, mais reprend contact avec notre service six mois plus tard pour être opéré. Figure 1. Incidence apicale cinq cavités par échocardiographie transthoracique montrant le volumineux anévrisme du sinus de Valsalva coronaire droit en regard du ventricule droit. * Hôpital cardiologique du Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux, Pessac. 36 Figure 2. Aortographie avec injection sus-sigmoïdienne permettant la visualisation de l’anévrisme du sinus de Valsalva coronaire droit. La Lettre du Cardiologue - n° 382 - février 2005 C Figure 3. Incidence parasternale grand axe par échocardiographie transthoracique montrant l'anévrisme du sinus de Valsalva coronaire droit thrombosé et le tube valvé. L’examen peropératoire met en évidence un anévrisme du sinus de Valsalva coronaire droit admettant trois doigts avec un développement sous-épicardique. L’ostium droit est situé à proximité du collet de l’anévrisme. Il n’existe pas de dilatation de l’anneau aortique. Le traitement chirurgical consiste en une intervention selon la technique de Bentall (tube valvé de 25 mm et réimplantation des ostia coronaires), excluant l’aorte ascendante et le volumineux anévrisme. La réparation par simple patch ne peut pas être réalisée en raison de la largeur du sinus atteint. L’examen anatomopathologique met en évidence une valvulopathie dystrophique sans signe d’endocardite, et la présence d’athérosclérose aortique associée à de la média-nécrose. Les suites postopératoires sont simples. L’échographie transthoracique réalisée au huitième jour montre un bon fonctionnement de la prothèse aortique et met en évidence la thrombose de l’anévrisme du sinus de Valsalva exclu de la circulation (figure 3). DISCUSSION La physiopathologie exacte des anévrismes du sinus de Valsalva est mal connue, mais il existe probablement une faiblesse structurelle de la média à sa jonction avec l’anneau fibreux favorisant leur formation. L’incidence retrouvée dans la littérature est de l’ordre de 0,1 %, avec une nette prédominance masculine (75 % des cas) (1). On retrouve deux groupes d’étiologies : congénitales ou acquises. Parmi les étiologies congénitales, il faut distinguer, d’une part, les anévrismes des sinus de Valsalva et/ou de l’aorte ascendante se développant dans un contexte de maladies du tissu conjonctif, et, d’autre part, les anévrismes congénitaux en doigt de gant, développés en général à partir d’un seul sinus dans la partie extraou intracardiaque de l’aorte ascendante. Parmi les étiologies acquises, on retrouve les maladies chroniques inflammatoires (comme la maladie de Behçet), les infections (endocardites, La Lettre du Cardiologue - n° 382 - février 2005 A S C L I N I Q U E syphilis, etc.) et enfin les anévrismes survenant secondairement à une chirurgie cardiaque ou à un traumatisme. Chez ce patient, l’anévrisme est très probablement congénital. L’anévrisme peut se situer sur un ou plusieurs sinus. La localisation exacte du ou des sinus atteints est facilement accessible par échocardiographie transœsophagienne (ETO) (2). L’atteinte de plusieurs sinus concerne les maladies du tissu conjonctif. L’atteinte prédomine sur le sinus coronaire droit (environ 70 % des cas) (3), puis sur le sinus non coronaire (10 %) et, très rarement, sur le sinus gauche. Il convient par ailleurs de rechercher systématiquement des anomalies congénitales, souvent associées, telles une communication interventriculaire, une atteinte aortique (coarctation aortique, bicuspidie, sténose valvulaire ou régurgitation), une persistance du canal artériel, une sténose pulmonaire valvulaire ou infundibulaire. La mise en évidence de l’anévrisme peut être fortuite. Dans les autres cas, la présentation clinique est variée. Les symptômes le plus souvent retrouvés sont la douleur thoracique, la dyspnée et les palpitations. Parfois, c’est la survenue d’une complication qui conduit à la découverte de l’anévrisme. Parmi les complications, la fistulisation semble être la plus fréquente, concernant jusqu’à 50 % des cas (4), et est associée à une mortalité importante (5). Cette fistulisation s’effectue avec une cavité cardiaque (surtout ventricule droit ou oreillette droite), l’artère pulmonaire, la veine cave supérieure, la plèvre ou encore le péricarde. Cliniquement, on retrouve alors la survenue d’une douleur thoracique, de signes d’insuffisance cardiaque, et l’apparition d’un souffle continu à l’auscultation situé au niveau du quatrième ou du cinquième espace intercostal gauche. Les autres complications sont la compression (sur l’oreillette droite, la chambre de chasse du ventricule droit ou les coronaires [6]), les troubles de la conduction (par compression des voies de conduction au niveau du septum interventriculaire), les événements thromboemboliques et, enfin, la greffe endocarditique. Les techniques chirurgicales se sont diversifiées depuis la première intervention, réalisée dans les années 1950 (1), et varient en fonction de la taille de l’anévrisme. Elles peuvent se limiter à une résection avec ou sans mise en place d’un patch, comporter un remplacement de la valve ou de la racine aortique ou encore conduire à la réalisation d’une intervention selon la technique de Bentall, comme chez ce patient. Le traitement chirurgical de ces anévrismes présente de faibles risques et de bons résultats à long terme, comme l’ont montré plusieurs équipes (4, 5). Des fermetures percutanées d’anévrisme fistulisé ont été réalisées ces dernières années, avec de bons résultats, à court terme en tout cas (7). La place du traitement médical de ces anévrismes du sinus de Valsalva semble réduite. Les bêtabloquants ont cependant montré un bénéfice dans la prévention de leur progression dans le cadre de la maladie de Marfan (8). L’histoire naturelle de ces anévrismes reste malheureusement mal connue. La littérature rapporte des cas d’évolution rapide (4), mais aussi des cas restant stables avec jusqu’à dix-neuf ans de recul (9). Il semble que le risque de rupture se situe plutôt dans la troisième ou quatrième décennie de vie. L’amélioration des techniques d’imagerie conduira vraisemblablement à une augmentation de la mise en évidence fortuite de ces anévrismes parfois asymptomatiques malgré leur taille importante, comme chez 37 C A S C L I N I Q U E ce patient. Même si l’anévrisme de ce patient est resté stable pendant plus de deux ans, il convient de ne pas oublier les risques que fait courir cette pathologie. Étant donné le faible risque opératoire (de l’ordre de 2 à 4 % suivant les équipes [4]), il semble licite de proposer la chirurgie pour éviter la survenue de complications, dont certaines peuvent être rapidement fatales. ■ Bibliographie 1. Morrow AG, Baker RR, Hanson HE, Mattingly TW. Successful repair of a ruptured aneurysm of the sinus of Valsalva. Circulation 1957;16:33-8. 2. Abdelkhirane C, Roudaut R, Dallocchio M. Diagnosis of ruptured sinus of Valsalva aneurysms: potential value of transesophageal echocardiography. Echocardiography 1990;7(5):555-60. 3. Sakakibara S, Konno S. Congenital aneurysm of the sinus of Valsalva. Anatomy and classification. Am Heart J 1962;63:405-24. 4. Takach TJ, Reul GJ, Duncan JM et al. Sinus of Valsalva aneurysm or fistula: management and outcome. Ann Thorac Surg 1999;68:1573-7. 5. Sawyers JL, Adams JE, Scott HW Jr. Surgical treatment for aneurysms of the aortic sinuses with aorticoatrial fistula: experimental and clinical study. Surgery 1957;41:46-8. 6. Turgeman Y, Bloch L, Atar S, Merin G, Rosenfeld T. Anginal syndrom due to giant unruptured sinus of Valsalva aneurysm. Int J Cardiovasc Intervent 2001; 4(1):39-42. 7. Cullen S, Somerville J, Redington A. Transcatheter closure of a ruptured aneurysm of the sinus of Valsalva. Br Heart J 1994;71(5):479-80. 8. Shores J, Berger KR, Murphy EA et al. Progression of aortic dilatation and the benefit of long-term beta-adrenergic blockade in Marfan’s syndrome. N Engl J Med 1994;330(19):1335-41. 9. Martin LW, Hsu I, Schwartz H et al. Congenital aneurysm of the left sinus of Valsalva: report of a patient with 19-year survival without surgery. Chest 1986; 90:143-5. Le grand rendez-vous de la FMC Coordination scientifique : Éric Abergel, Patrick Attuel, Alain Berrebi, Alain Cohen-Solal, Stéphane Cosson, Nicolas Danchin, Alain Ducardonnet, Olivier Hanon, Serge Kownator, Jean-François Leclercq, François Luizy, Jean-Michel Mallion, Yves Nadjari, Hanna Raffoul. En partenariat avec ENTRÉE GRATUITE Mercredi 23, jeudi 24, vendredi 25 mars 2005 Palais des Congrès Place de la Porte Maillot 75017 Paris Inscrivez-vous dès maintenant sur notre site www.21scp.com Information : 01 55 38 91 80