C A S C L I N I Q U E CETTE RUBRIQUE A ÉTÉ RÉALISÉE AVEC LE SOUTIEN DE ONCOLOGIE De l’intérêt de l’examen clinique mammaire chez les femmes enceintes… ● C. Bouteille* M adame G., 32 ans, nous est adressée par son gynécologue mi-septembre 2002 à la suite du résultat d’une microbiopsie mammaire alors qu’elle est enceinte, à 20 semaines d’aménorrhée. Cette jeune femme souffrait de stérilité secondaire avec désir de grossesse depuis 3 ans et avait présenté en mars 2002, après un traitement stimulant l’ovulation, une fausse couche spontanée ne nécessitant pas de curetage. La grossesse en cours survient donc après 4 injections au total de gonadotrophine. La date de grossesse se situe autour du 10 mai, d’après la courbe de température, et la première échographie obstétricale est conforme, avec une bonne vitalité fœtale. La patiente ne présente pas d’antécédent personnel particulier ; en revanche, sa mère a été traitée pour un cancer du sein au stade métastatique il y a 4 ans. Elle signale par ailleurs, depuis avril 2002, une légère modification de son sein gauche, où l’on perçoit seulement une zone plus mastosique attribuée aux perturbations hormonales soit de la stimulation, soit du début de grossesse. Une mammographie (figure) et une échographie sont réalisées début mai 2002. Face gauche Oblique gauche En échographie, un petit kyste de 5 mm est signalé et une image solide de 11 par 7 mm à grand axe parallèle à la peau, “compatible avec un fibroadénome, et dont une confirmation cytologique est à discuter” est également décrite. La ponction sous échographie montre les résultats suivants le 22 mai : “Aspect d’hyperplasie canalaire floride dont l’aspect peut faire évoquer un fibroadénome mais comportant quelques placards présentant des atypies architecturales et cytologiques légères.” QUE PROPOSEZ-VOUS À CETTE PATIENTE DANS CE CONTEXTE ? Une macrobiopsie par mammotome sous échographie est réalisée le 2 septembre et les résultats montrent que “les prélèvements ont intéressé des formations microkystiques et des galactophores remaniés par une hyperplasie épithéliale intracanalaire d’allure atypique pouvant faire discuter, sur certains galactophores, un carcinome intracanalaire de bas grade.” QUELLE CONDUITE À TENIR DISCUTEZ-VOUS APRÈS CE RÉSULTAT ? Une zonectomie est effectuée et retrouve, outre “le remaniement hémorragique iatrogène postmacrobiopsie, un parenchyme mammaire constitué d’acini hypertrophiés de type gravide avec un parenchyme siège sur environ 16 mm de lésions de papilloadénomatose intracanalaire. Par ailleurs, les conduits galactophoriques sont le siège de lésions de transformation non systématisée variant de l’hyperplasie canalaire atypique à l’adénocarcinome in situ de faible grade nucléaire sans signe de prolifération tumorale carcinomateuse infiltrante.” DISCUSSION Figure. * Chirurgien gynécologue, Saint-Étienne. La Lettre du Sénologue - n° 18 - octobre/novembre/décembre 2002 Ce dossier illustre la difficulté de diagnostiquer le cancer du sein chez une femme non seulement jeune mais de surcroît enceinte. Malheureusement, compte tenu, d’une part, que 10 % des cancers du sein surviennent chez des femmes de moins de 40 ans (1) et, d’autre part, que l’âge au moment de la première grossesse tend à s’élever, l’association cancer du sein et grossesse est certes rare mais possible. 25 C A S C L I N I Q U E Le nombre annuel de cas a été évalué par Laurent Mignot à environ 200 en France. Il signale, par ailleurs, un retard au diagnostic (d’environ 5 mois) fréquent du fait de l’œdème mammaire, de la crainte d’effectuer des examens complémentaires et de la difficulté, pour le thérapeute, à imaginer cette association “contre nature”. Dans le cas de cette patiente, le diagnostic histologique favorable de carcinome in situ de faible grade a conduit à opter pour une surveillance clinique et échographique jusqu’à l’accouchement, avec une nouvelle évaluation radiologique, voire une IRM et/ou une évaluation mammoscintigraphique, après la naissance avec un éventuel nouveau contrôle chirurgical. Concernant le pronostic, seules trois études comparatives permettent d’apprécier l’influence de la grossesse sur le pronostic du cancer : celles de M.V. Peters (2) et de G. Ribeiro (3) montrent qu’il n’y a pas de différence significative sur la survie qu’une grossesse soit présente ou non, et que l’interruption de grossesse est sans influence pronostique. En revanche, l’étude française (4) conclut que la grossesse est un facteur pronostique péjoratif indépendant. En pratique, on doit proposer le protocole habituel, au moins pour la chirurgie, en essayant de préserver la grossesse. Cela se révèle souvent possible à partir du deuxième trimestre de grossesse, car la radiothérapie peut la plupart du temps être différée. S’il y a indication de chimiothérapie, les protocoles habituels peuvent être proposés également à partir du deuxième trimestre de grossesse. On peut rappeler que toute anomalie mammaire pendant la grossesse doit être prise au sérieux et que l’on peut proposer une échographie, voire une mammographie en utilisant une protection abdominale, une cytoponction ainsi que des micro- et/ou macrobiopsies. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S Réf. : DENV 4126 – 2002/10 1. Chaplain G. Estimation de l’incidence du cancer du sein en France en 1995. J Le Sein 1999 ; 9 : 126-30. 2. Peters MV. The effect of pregnancy in breast cancer. In : Forrest and Kunkler (ed). Pronostic factors in breast cancer. Londres : 1968 : 65-80. 3. Ribeiro G. Carcinoma of the breast associated with pregnancy. Br J Surg 1986 ; 73 : 607-9. 4. Bonnier P. Influence of pregnancy on the outcome of breast cancer : a casecontrol study. Groupe d’étude de la Société française de sénologie et de pathologie mammaire. Int J Cancer 1997 ; 72 : 720-7. 26 La Lettre du Sénologue - n° 18 - octobre/novembre/décembre 2002