DOSSIER THÉMATIQUE Grossesse et cancer du sein Grossesse après cancer du sein dans un contexte de mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2 Pregnancy after breast cancer in BRCA1/2 mutation carriers Anne de la Rochefordière* A * Département d’oncologie radiothérapie, Institut Curie, Paris. ucune étude n’a spécifiquement examiné l’influence pronostique d’une grossesse postthérapeutique chez les patientes porteuses d’une altération délétère des gènes BRCA1 ou BRCA2. Les données collectées portent essentiellement sur le rôle d’une grossesse chez des patientes non atteintes d’un cancer, mais présentant une mutation génétique favorisant la survenue d’un cancer du sein ou d’un cancer de l’ovaire. Les études à ce sujet sont contradictoires. L’une d’elles a montré que le risque de cancer du sein est proportionnel à la parité (1). Ces résultats sont contredits par une autre étude rétrospective, plus large, de Cullinane et al. (2) montrant une diminution de 38 % du risque de survenue d’un cancer du sein chez les femmes multipares comparées aux femmes nullipares dans un contexte BRCA1+. À l’inverse, le risque de cancer du sein survenant avant l’âge de 50 ans semble proportionnel à la parité chez les femmes porteuses d’une altération du gène BRCA2, ce risque étant augmenté dans les 2 ans suivant l’accouchement, mais de façon non significative (RR : 1,70 ; IC95 : 0,97-2,99) [3]. En pratique, il n’existe actuellement pas de restriction particulière à un projet de grossesse post-thérapeutique dans un contexte de mutation génétique. Il est essentiel de réaliser un bilan local complet par IRM mammaire, mammographie et échographie mammaire dans les 4 mois précédant le projet de conception. Rappelons que le bilan mammaire doit être réalisé au maximum à 1 an d’intervalle. On pourra donc envisager un bilan clinique et morphologique mammaire par mammographie et échographie mammaire avec protection abdominale plombée durant la grossesse à 1 an du précédent bilan. 20 | La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 L’allaitement est-il possible après un cancer du sein ? L’allaitement est particulièrement favorable au bon développement du nourrisson, réduisant le taux d’infections néonatales, des allergies, des maladies auto-immunes et le risque d’obésité (4). Il n’existe aucun élément publié démontrant que la lactation augmenterait le risque de rechute d’un cancer du sein ou la survenue d’un cancer controlatéral. Une étude suédoise a montré l’absence d’effet délétère de l’allaitement sur l’évolution du cancer du sein, voire l’association non significative à une augmentation de la survie globale chez les 30 % de patientes qui avaient allaité dans les suites de leur accouchement (5). De ce fait, les femmes traitées pour un cancer du sein unilatéral sont maintenant encouragées à allaiter du côté du sein non traité (6, 7). Le sein traité par radiothérapie antérieure présente généralement une lactation pauvre, voire inexistante (6, 8). La jeune mère doit cependant toujours être rassurée par une production lactée unilatérale qui sera suffisante pour allaiter son nourrisson. Elle doit modifier régulièrement la position de la tétée pour obtenir un drainage optimal de toutes les portions de la glande mammaire. La surveillance clinique, voire morphologique est difficile durant la période d’allaitement et peut potentiellement rendre difficile la détection d’une rechute locale ou controlatérale (9). Il est donc souhaitable de limiter la période d’allaitement de manière à reprendre une surveillance mammaire efficace. Cette limitation est particulièrement importante chez les jeunes femmes porteuses d’une altération des gènes BRCA1 ou BRCA2 dont le risque annuel d’apparition d’un cancer controlatéral est de l’ordre de 3 à 4 %. L’imagerie IRM peut être modifiée par la lactation, mais doit être reprise, comme Points forts Mots-clés » Actuellement, il n’existe pas de contre-indication particulière à un projet de grossesse post-thérapeutique dans un contexte de mutation du gène BRCA1 ou BRCA2. Il est essentiel de réaliser un bilan local et métastatique complet incluant la palpation, l’IRM mammaire, la mammographie et l’échographie mammaire dans les 4 mois précédant le projet de conception. » L’allaitement est tout à fait envisageable, sans influence sur le pronostic du cancer du sein. Sa durée doit être limitée pour permettre la reprise de la surveillance radiologique. » Il est souhaitable de réaliser un bilan cardiaque et de surveiller étroitement la grossesse et l’accouchement des femmes traitées par anthracyclines pour un cancer du sein. la mammographie et l’échographie mammaire, dès la fin de l’allaitement. Risque de fausse couche après chimiothérapie ou d’anomalie génétique Le traitement locorégional mammaire par radiothérapie est sans effet sur la grossesse post-thérapeutique, qu’il s’agisse du risque d’accouchement prématuré, du taux de fausses couches, du poids de naissance ou de l’anomalie génétique (5, 10-14). L’interruption thérapeutique de grossesse doit être conseillée si cette dernière survient en cours de radiothérapie. Aucune étude n’a rapporté l’expérience de grossesses menées dès la fin de la radiothérapie. Il est généralement recommandé aux patientes d’attendre 1 an après la fin de l’irradiation avant d’envisager de commencer la grossesse, sans que cette recommandation soit formelle. En effet, le risque d’irradiation du fœtus n’existe plus dès l’arrêt définitif de l’irradiation (15). Les conséquences de l’administration d’une chimiothérapie ou d’une hormonothérapie sur la fertilité des femmes de plus de 30 ans ne sont pas négligeables et sont abordées dans un autre chapitre de ce journal. Compte tenu du temps nécessaire à la maturation ovocytaire après altération des ovocytes primordiaux, il est préconisé de patienter au moins 6 mois après la fin d’une chimiothérapie avant de commencer une grossesse (en dehors des recommandations liées aux facteurs pronostiques) [16]. Deux études contradictoires ont porté sur les événements péjoratifs survenus lors de la grossesse après chimiothérapie d’un cancer du sein. L’étude danoise de Langagergaard et al. (13) – réalisée sur 216 nais- sances post-thérapeutiques et 33 443 naissances issues de femmes sans antécédent de cancer du sein – n’a pas mis en évidence d’augmentation significative du risque de prématurité, de fausse couche, de faible poids de naissance ou d’anomalie congénitale en rapport avec un antécédent de chimiothérapie. À l’inverse, l’étude suédoise de Dalberg et al. (5) – comparant 331 naissances après traitement d’un cancer du sein à une population de femmes sans antécédent de cancer, ajustée sur l’âge, la parité, l’année de l’accouchement – a constaté une augmentation significative du risque d’accouchement prématuré à moins de 32 semaines de grossesse (RR : 3,2 ; IC95 : 1,7-6,0), 32 et 36 semaines de grossesse (RR : 1,5 ; IC95 : 1,0-2,3), faible poids de naissance (< 1,5 kg ; RR : 2,9 ; IC95 : 1,4-5,8) et de malformations congénitales (RR : 1,7 ; IC95 : 1,1-2,5).Celles-ci étaient plus particulièrement observées dans la période d’étude la plus récente (1988-2002), période durant laquelle les traitements systémiques avaient plus souvent été utilisés. Seul 1 enfant parmi les 331 présentait un syndrome de Dow. En outre, le risque de complications de la délivrance était plus élevé (RR : 1,5 ; IC95 : 1,2-1,9), ainsi que le taux de césariennes (RR : 1,3 ; IC95 : 1,0-1,7). Ces 2 études ne détaillaient pas les modalités thérapeutiques locales ou systémiques. Quoi qu’il en soit, les résultats de l’étude suédoise incitent à recommander la surveillance étroite de la grossesse des femmes traitées par chimiothérapie pour un cancer du sein, et de prévoir une surveillance toute particulière de l’accouchement et de ses suites. Bien que le tamoxifène et le létrozole soient utilisés dans le cadre de la stimulation ovocytaire, les effets tératogènes d’une hormonothérapie durant le déroulement d’une grossesse font recommander d’attendre un minimum de 2 mois après l’arrêt de tout traitement hormonal avant la conception (17). ■ Grossesse après cancer du sein BRCA1 BRCA2 et grossesse Allaitement après cancer du sein Highlights Currently, BRCA1 or BRCA2 gene mutation is not a contraindication to project a pregnancy following breast carcinoma. It is essential to achieve a complete local as well as distant disease assessment, including breast clinical examination, MRI, mammograms as well as breast ultrasound, in the 4 months preceding pregnancy. Breastfeeding is feasible without influence on the prognosis of breast cancer. The duration must be limited to allow the resumption of the radiological follow-up. Cardiac ultrasound, as well as close monitor of the pregnancy and childbirth are recommended in patients previously treated with anthracyclines systemic treatment Keywords Pregnancy after breast cancer BRCA1 BRCA2 and pregnancy Breastfeeding following breast cancer Références bibliographiques 1. Narod SA. Modifiers of risk of hereditary breast and ovarian breast cancer. Nat Rev Cancer 2002;2:113-23. 2. Cullinane CA, Lubinski J, Neuhausen SL et al. Effect of pregnancy as a risk factor for breast cancer in BRCA1 or BRCA2 mutation carriers. Int J Cancer 2005;117:988-91. 3. Andrieu N, Goldgar DE, Eaton DF et al. 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