Prise en charge médicamenteuse de la douleur L’évaluation de la douleur

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Prise en charge médicamenteuse de la douleur
en médecine d’urgence pré- et intrahospitalière
Agnès Ricard-Hibon*, Jean Marty*
A
lors que de nombreux progrès ont été réalisés pour le traitement
de la douleur postopératoire, la douleur en situation d’urgence
reste encore trop souvent sous-estimée et insuffisamment traitée, aboutissant au concept d’“oligo-analgésie” (1), observé aussi bien en situation
extrahospitalière (2, 3) qu’intrahospitalière (4, 5). De nombreuses barrières, psychologiques et éducatives, contribuent à cette insuffisance
d’analgésie et aboutissent à des inégalités thérapeutiques en fonction de
l’âge, du sexe, de l’origine ethnique et/ou du niveau intellectuel (6).
Mots-clés : Médecine d’urgence – Douleur aiguë – Analgésie – Autoévaluation –
Morphine titrée.
L’oligo-analgésie paraît souvent liée
à un défaut d’enseignement des personnels soignants, reléguant le traitement de la douleur au second plan
(6-8), ainsi qu’à des préjugés erronés : peur des effets secondaires liés
aux morphiniques, fatalité de la
douleur en situation d’urgence (2),
nécessité de préserver le symptôme
douleur pour établir un diagnostic,
notion de priorité aux détresses vitales et, surtout, sous-estimation de
l’importance de la douleur évaluée
par le personnel soignant (6). Pourtant, les conséquences néfastes de
la douleur sur l’organisme ont été
largement démontrées, toujours et
à tout moment susceptibles de précipiter un état clinique déjà précaire
et justifiant largement l’instauration
précoce d’une analgésie (9). En dehors de la nécessité éthique évidente
de soulager toute douleur pour le
* Département d’anesthésie-réanimation et
SMUR, hôpital Beaujon, Clichy.
confort du patient, la mise en œuvre
d’une analgésie facilite la prise en
charge du patient sans compromettre l’analyse diagnostique (10,
11). Le soulagement de la douleur
doit donc faire partie des priorités
thérapeutiques. De même, la médicalisation préhospitalière des secours d’urgence autorise l’utilisation de médicaments et de techniques
efficaces dans des conditions de sécurité parfaitement respectées (12).
La fréquence et l’intensité de la douleur en situation d’urgence sont très
nettement sous-estimées, soit parce
que la question n’est pas posée au
patient, soit parce que sa réponse
est sujette à interprétation par les
soignants, qui jugent la douleur
moindre que celle réellement ressentie (2, 6, 13). Pareillement, l’administration des antalgiques ne peut
être guidée sur la seule réclamation
spontanée des patients qui, souvent
et même pour des douleurs intenses,
ne verbalisent pas spontanément
leur douleur et ne réclament que rarement l’administration d’antalgiques (2).
L’évaluation de la douleur
en situation d’urgence
Mise au point
Mise au point
L’évaluation systématique de la douleur est donc un objectif prioritaire,
permettant de reconnaître le patient
algique, d’instaurer le traitement et
de suivre son efficacité. Le dépistage
de la douleur repose sur l’interrogatoire du patient. La question “Avezvous mal ?” doit être systématiquement posée dès la prise en charge et
suivie d’une évaluation quantitative
de la douleur. La quantification de
l’intensité douloureuse repose sur
l’emploi d’outils objectifs, reproductibles et adaptés à la pratique de
la médecine d’urgence. Il existe deux
catégories d’outils d’évaluation : les
outils d’hétérévaluation, avec lesquels une tierce personne évalue la
douleur du patient, et les outils d’autoévaluation, avec lesquels seul le patient évalue sa douleur. La perception de la douleur étant multifactorielle et incluant diverses composantes émotionnelles, culturelles et
affectives, la sévérité de la douleur
ne peut être réellement estimée,
lorsque cela est possible, que par celui qui souffre. L’autoévaluation est
souvent considérée à tort comme difficile à réaliser dans le contexte de
l’urgence. En fait, l’utilisation des
échelles d’autoévaluation a été estimée en médecine d’urgence intraet extrahospitalière, avec un taux
de faisabilité dépassant 80 % après
une période d’adaptation des personnels soignants (7, 13, 14). Le
choix d’une échelle est déterminé par
plusieurs critères : objectivité, faisabilité, reproductibilité et adhésion
du personnel soignant à l’échelle
choisie (15).
Les échelles d’hétérévaluation manquent d’objectivité et ne sont pas re-
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15
Mise au point
Mise au point
tenues pour l’évaluation de première
intention car elles sous-estiment le
plus souvent la douleur ressentie par
le patient (13). En revanche, elles peuvent être utiles chez les patients présentant des difficultés de compréhension ou de langage. L’évaluation des
échelles unidimensionnelles montre
un taux de réussite très satisfaisant
pour les trois échelles EVS (échelle
verbale simple), EN (échelle numérique) et EVA (échelle visuelle analogique), avec une bonne corrélation
entre elles (2, 13, 14). Si l’EVS ne paraît pas devoir être utilisée en première intention en raison de sa faible
sensibilité, l’EN et l’EVA peuvent en
revanche être utilisées indifféremment
dans le contexte de l’urgence.
L’adhésion du personnel soignant à
l’échelle d’évaluation de la douleur
est un facteur déterminant de réussite
de la procédure. En effet, si le personnel n’adhère pas à la méthode
choisie, l’amélioration du traitement
de la douleur ne pourra pas être pérennisée. Il semble que les services
d’urgence intrahospitaliers aient une
préférence pour l’EN, et les services
d’urgence extrahospitaliers, une préférence pour l’EVA (12, 14, 16).
Comment améliorer
la prise en charge
de la douleur en situation
d’urgence ?
La prise en charge de la douleur aiguë
en situation d’urgence fait partie des
priorités thérapeutiques et peut être
améliorée (7, 17) par la mise en place
de procédures d’assurance-qualité et
de programmes d’enseignement ciblés sur cette problématique (18).
L’étude de Jones et al. (17) compare
l’intensité des douleurs observées
dans un service de médecine d’urgence intrahospitalier avant et après la
mise en place d’un programme d’éducation sur 4 heures des résidents et
montre une amélioration significative,
d’une part, des scores de douleur sur
l’EVA et, d’autre part, du pourcen-
16
tage de patients soulagés. L’étude réalisée en préhospitalier a évalué l’efficacité d’une procédure d’assurancequalité fondée sur la mise en place de
protocoles thérapeutiques utilisant la
morphine titrée associée à un programme éducatif. La mise en place
de cette procédure a permis une amélioration significative des scores de
douleur évalués sur l’EVA et sur
l’EVS, le pourcentage de patients correctement soulagés passant de 49 % à
67 %. L’amélioration de la prise en
charge de la douleur en situation d’urgence est donc possible et repose sur
une meilleure sensibilisation des
équipes, sur une évaluation rigoureuse
par des échelles d’autoévaluation, sur
la mise en place de protocoles thérapeutiques adaptés à l’urgence et sur
des procédures régulières d’audit de
pratique et d’efficacité (18). Deux
conférences d’experts organisées par
la SFAR (Société française d’anesthésie et de réanimation) et la SFMU
(Société française de médecine d’urgence) ont établi des recommandations pour la sédation et l’analgésie
en urgence afin de favoriser l’uniformisation des pratiques (12, 19). L’évaluation répétée de l’intensité douloureuse au cours du transport et l’utilisation large de la morphine titrée
pour des douleurs significatives sont
des éléments déterminants d’amélioration de la qualité de la prise en
charge de la douleur aiguë en médecine d’urgence préhospitalière.
Les techniques
analgésiques
Il n’existe pas de contre-indication à
l’analgésie, qui s’impose chaque fois
que le patient exprime une douleur
sur les échelles d’autoévaluation.
Ainsi, la douleur abdominale non encore diagnostiquée n’est en aucun cas
une contre-indication à l’utilisation
de morphiniques, puisque le soulagement par des morphiniques n’hypothèque en rien l’analyse diagnostique (10, 11). La stratégie thérapeutique est basée sur des protocoles
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thérapeutiques établis selon l’intensité de la douleur, la pathologie et les
éventuelles contre-indications spécifiques liées au terrain ou à la pathologie (12). Des algorithmes décisionnels doivent être enseignés et
validés au sein de chaque service,
avec un suivi organisé de l’efficacité
de ces traitements dans un programme d’assurance-qualité (7, 18).
L’analgésie médicamenteuse (12)
Le paracétamol est un antalgique
central qui peut être administré par
voie intraveineuse. La dose unitaire
est d’un gramme, administré en i.v.
lent sur 15 minutes (pour éviter les
douleurs à l’injection), à renouveler
toutes les 6 heures chez l’adulte (soit
4 g/24 h). Son délai d’action est
d’environ 30 minutes, avec un effet
maximal entre 60 et 120 minutes,
d’où la nécessité de l’administrer très
précocement. Les seules contre-indications sont l’insuffisance hépatique sévère et l’allergie. La toxicité
hépatique du paracétamol survient
pour des doses largement supérieures
aux doses thérapeutiques. C’est un
analgésique mineur, utilisé pour des
douleurs faibles à modérées ou en
association avec des analgésiques
puissants pour le traitement des douleurs intenses (20). Le paracétamol
est également efficace par voie orale
(gélules, comprimés secs ou effervescents…) et peut être administré
très précocement par l’infirmière
d’accueil et d’orientation (IAO) des
urgences selon un protocole thérapeutique institué dans le service.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) agissent en inhibant la synthèse des prostaglandines
par les cyclo-oxygénases 1 et 2 (respectivement constitutives et inductibles). Un certain nombre d’effets
secondaires sont liés à l’inhibition
des cyclo-oxygénases constitutives :
ulcérations et hémorragies digestives, inhibition de l’agrégation plaquettaire, diminution de la filtration
glomérulaire, rétention hydrosodée,
bronchoconstriction et des réactions
allergiques croisées avec l’aspirine.
Les effets secondaires sont d’autant
plus fréquents que l’administration
est prolongée, que les patients sont
âgés, que la dose administrée est importante et qu’il existe une pathologie sous-jacente (insuffisance rénale,
cardiaque, cirrhose hépatique, antécédents d’ulcère gastroduodénal).
Les AINS sont contre-indiqués chez
les patients hypovolémiques, chez
ceux qui présentent des anomalies
de l’hémostase, chez les insuffisants
rénaux ou cardiaques, chez les cirrhotiques, chez les patients ayant des
antécédents d’hémorragie digestive
ou d’ulcère gastroduodénal et chez
les asthmatiques. Ils sont principalement indiqués en cas de pathologie
avec réaction inflammatoire (coliques néphrétiques, douleurs articulaires aiguës, douleurs osseuses, pathologie stomatologique et ORL,
etc.). De nombreuses molécules existent et, dans le contexte de l’urgence,
la molécule la plus adaptée reste le
kétoprofène à la dose de 100 mg
toutes les 8 heures en intraveineux
lent sur 10 minutes. Le délai d’action est d’environ 15 à 20 minutes,
avec une durée d’action de 4 à
6 heures. Il peut être associé à
d’autres antalgiques (effet additif
avec le paracétamol et synergique
avec les morphiniques). Un nouvel
AINS, plus spécifiquement anti-cyclo-oxygénase 2, est depuis peu disponible pour l’administration intraveineuse : le parécoxib, prodrogue
du valdécoxib, n’est pas encore évalué dans le contexte de l’urgence, notamment traumatique.
Le mélange équimoléculaire protoxyde d’azote (N2O)-oxygène
(MEOPA) contient 50 volume-% de
chaque gaz. Son administration est
contre-indiquée lorsque la température extérieure est inférieure à 5 °C.
En effet, en dessous de -7 °C, le N2O
se liquéfie, d’où le risque d’administrer un mélange appauvri en oxygène.
Le N2O est un analgésique d’action
centrale dont les effets dépresseurs
hémodynamiques sont très modérés.
Beaucoup plus diffusible que l’azote,
le N2O pénètre plus rapidement dans
les cavités aériennes closes que
l’azote n’en sort. Il augmente donc le
volume des gaz quand les parois des
cavités sont distensibles ou augmente
la pression intracavitaire quand les
parois sont rigides. Son action analgésique est rapide et ses effets disparaissent en 2 minutes environ, même
après une administration prolongée
(effet on-off). Du fait du passage rapide sang-alvéole, le N2O diminue la
concentration des autres gaz présents
dans l’alvéole, pouvant entraîner une
hypoxie de diffusion. L’oxygénation
du patient doit donc être systématique
pendant au moins 15 minutes après
utilisation de Kalinox®. Kalinox® est
contre-indiqué dans les situations suivantes : traumatisme crânien avec
troubles de la conscience, traumatisme maxillo-facial, présence d’une
cavité aérienne close dans l’organisme (pneumothorax spontané ou lié
à un traumatisme thoracique, embolie gazeuse, distension gastrique ou
intestinale), température ambiante inférieure à 5 °C et risque d’hypoxie de
diffusion (patient hypoxémique). Son
utilisation intensive et prolongée expose le personnel aux risques des effets indésirables du N2O liés à l’inactivation de la vitamine B12. Il est très
utilisé pour l’analgésie préhospitalière dans les pays où la prescription
de morphinomimétiques n’est pas autorisée (21). Il est particulièrement
utile en traumatologie préhospitalière,
en association à d’autres antalgiques,
à la fois pour des gestes courts tels
que la réduction de fractures, mais
également pour l’analgésie continue
pendant le transport. Son utilisation
s’étend progressivement dans les services d’urgences, chez l’enfant
comme chez l’adulte, notamment en
traumatologie pour la réalisation de
gestes douloureux brefs.
Le néfopam est un analgésique non
morphinique d’action centrale prédominante qui agit par inhibition de la
recapture de la dopamine, de la noradrénaline et de la sérotonine et n’a aucune action anti-inflammatoire. Il est
contre-indiqué en cas d’antécédents
de convulsions, de risque de rétention
urinaire ou de glaucome à angle fermé
et chez l’enfant de moins de 15 ans. Il
est surtout utilisé par voie intravei-
neuse lente à la dose de 20 mg sur
45 minutes toutes les 4 à 6 heures.
L’administration trop rapide est marquée par une incidence accrue d’effets
indésirables à type de sueurs, somnolence, nausées et vomissements, malaises et réactions atropiniques. Un
travail récent sur la douleur aiguë
postopératoire montre une efficacité
supérieure de l’association néfopammorphine par comparaison à la morphine seule et à l’association morphine-propacétamol (20).
Le chlohydrate de tramadol est un
analgésique de mécanisme d’action
centrale complexe lié, d’une part, à
sa capacité d’augmenter la libération
ou de diminuer la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline et,
d’autre part, à une action opioïdergique faible. Il est métabolisé dans le
foie par le système enzymatique du
cytochrome P450 et les métabolites
ont une élimination rénale. Le produit est administré par voie intraveineuse lente à la dose initiale de
100 mg suivie par une titration en
bolus de 50 mg toutes les 15 à 20 minutes, sans dépasser la dose de
250 mg. La dose d’entretien est de 50
à 100 mg toutes les 4 à 6 heures. Le
pic analgésique est atteint en 60 minutes, la demi-vie d’élimination est
de l’ordre de 5 heures et la durée
d’action d’environ 6 heures. Certaines contre-indications en limitent
l’utilisation : l’insuffisance respiratoire, l’insuffisance rénale et/ou hépatique, l’épilepsie non contrôlée, le
sevrage toxicomaniaque, l’association aux IMAO et l’hypersensibilité
au tramadol ou aux opiacés. Le tramadol peut induire des effets collatéraux tels que nausées, vomissements, vertiges, sédation, prurit. Ces
effets paraissent d’autant plus fréquents que le produit est administré
rapidement. La survenue d’une dépression respiratoire est exceptionnelle. Son action analgésique est diminuée mais non abolie par la
naloxone. La place du tramadol en
médecine d’urgence préhospitalière,
notamment par comparaison à la
morphine titrée intraveineuse, reste à
démontrer.
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Mise au point
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Mise au point
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La nalbuphine est un morphinique
agoniste-antagoniste (agoniste κ et
antagoniste µ). Un effet plafond pour
l’analgésie limite son efficacité pour
des douleurs modérées à intenses.
L’effet sédatif est supérieur à celui
des agonistes pleins et la fréquence
des nausées et des vomissements est
identique à celle de la morphine. Le
risque de dépression respiratoire est
identique à celui de la morphine aux
doses équi-analgésiques (22, 23). La
dose est de 0,25 à 0,30 mg/kg toutes
les 4 à 6 heures. Le délai d’action est
rapide (5 à 7 mn en i.v.) et la durée
d’action, de 3 à 6 heures. Il peut être
utilisé par voie intrarectale chez l’enfant dont l’abord veineux est difficile. Sa place en situation d’urgence
par rapport à la morphine titrée reste
à démontrer en raison de l’effet plafond limitatif et de l’absence de
preuve d’une meilleure sécurité par
rapport à la morphine en situation
d’urgence. Cette molécule est principalement utilisée dans les pays et
les zones où le système préhospitalier n’est pas médicalisé et interdit
l’utilisation d’agonistes purs (22).
La buprénorphine est un agoniste
partiel des récepteurs µ, qui présente
de nombreux inconvénients le contreindiquant formellement en médecine
d’urgence : dépression respiratoire
non exceptionnelle et non antagonisable par la naloxone, effet plafond
limitant l’efficacité analgésique, antagonisme avec les agonistes morphiniques rendant leur utilisation difficile, fréquence des nausées, des vomissements et de la sédation.
Le chlorhydrate de morphine est un
agoniste pur produisant une analgésie
puissante, dose-dépendante et sans effet plafond. Analgésique de référence
pour les douleurs intenses en situation
d’urgence (7, 12), son efficacité et sa
sécurité ont été largement démontrées
pour l’analgésie postopératoire (23)
comme pour l’analgésie préhospitalière dans un système médicalisé (7).
L’analgésie morphinique doit être titrée afin d’obtenir l’analgésie suffisante en limitant le risque d’effets secondaires. La dépression respiratoire
est rare mais potentiellement grave et
les effets indésirables les plus fréquents sont les nausées et les vomissements, la rétention aiguë d’urines, le
prurit et le ralentissement du transit
intestinal. À l’instar de l’analgésie, la
dépression respiratoire, dose-dépendante, est à l’origine d’apnées centrales et obstructives et doit être prévenue par l’utilisation de la méthode
de titration. La voie intraveineuse est
la seule recommandée en urgence, les
voies parentérales (intramusculaires
et sous-cutanées) n’étant pas adaptées
du fait d’une résorption plasmatique
aléatoire et d’un délai d’action long.
La titration intraveineuse débute par
un bolus de 0,05 mg/kg suivi de bolus
itératifs de 1 à 4 mg toutes les 5 minutes (7, 12). Le délai d’obtention
d’une analgésie efficace est d’environ
12 mn lorsque le protocole de titration
est respecté (24). Face à un événement
indésirable majeur, la morphine peut
être antagonisée par la naloxone, également en titration (bolus itératifs de
0,04 mg). L’utilisation de la morphine
titrée en situation d’urgence impose
une surveillance rapprochée du patient, clinique et paraclinique, incluant
la surveillance régulière de la conscience et de la sédation éventuelle, du
niveau de douleur (échelles d’autoévaluation), de la fréquence respiratoire et de la saturation en oxygène,
ainsi que de la pression artérielle et de
la fréquence cardiaque (12). La surveillance médicalisée est poursuivie
aux urgences intrahospitalières, en
particulier lors des transferts pour investigations complémentaires, en raison du risque de dépression respiratoire retardé.
Les autres agonistes morphiniques
ne sont pas, à ce jour, recommandés
pour l’analgésie du patient laissé en
ventilation spontanée en médecine
d’urgence extrahospitalière. Bien
que le fentanyl et le sufentanil aient
été proposés en utilisation intraveineuse dans cette indication, ils n’ont
jamais été évalués dans ce contexte
et ne peuvent, de ce fait, être recommandés. Aucune étude n’a démontré leur supériorité par rapport à la
morphine titrée en situation d’urgence, que l’on considère l’effica-
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cité analgésique ou le délai d’obtention de l’analgésie. Le risque d’effets adverses, notamment hémodynamiques et respiratoires, n’est pas
négligeable, en particulier chez les
patients hypovolémiques. Ces agents
peuvent également générer une rigidité thoracique et une fermeture des
cordes vocales rendant la ventilation
difficile, voire impossible. En revanche, les agonistes purs tels que le
fentanyl ou le sufentanil restent les
morphiniques de choix pour la sédation et l’analgésie continue du patient intubé et ventilé (12), notamment lors des transports secondaires
ou des transferts intrahospitaliers.
La kétamine entraîne une analgésie et
une sédation sans effet secondaire majeur lorsqu’elle est injectée à faibles
doses (0,1 à 0,3 mg/kg) par voie intraveineuse lente (10 à 15 mn). La kétamine respecte le statut hémodynamique et n’entraîne ni dépression
respiratoire ni altération des réflexes
de protection du carrefour aérodigestif. Une évaluation prospective reste
cependant nécessaire pour l’utilisation préhospitalière. La kétamine est
fréquemment proposée pour l’analgésie du patient incarcéré (12).
L’analgésie locorégionale
(ALR) (25, 26)
Bien que sous-utilisées, les anesthésies locorégionales périphériques ont
une place dans la prise en charge de
la douleur en situation d’urgence (12,
27) et font l’objet d’une conférence
d’experts qui sera prochainement publiée (26) et diffusée aux professionnels. Dans tous les cas, afin
d’éviter toute contestation ultérieure,
un examen neurologique préalable à
la réalisation du bloc est indispensable et doit être consigné par écrit.
Le bloc fémoral est sans nul doute la
technique d’ALR la plus répandue en
urgence extrahospitalière (25-27).
Cette ALR, dont l’indication majeure
est la fracture de la diaphyse fémorale, procure de manière prévisible une
analgésie d’excellente qualité sans effet adverse notable. Sa simplicité, notamment par la technique ilio-fasciale,
en fait un procédé tout à fait adapté à
l’urgence extrahospitalière. La technique du bloc ilio-fascial, qui ne nécessite pas de neurostimulateur, est la
technique recommandée en médecine
d’urgence (26). L’anesthésique local
recommandé est la lidocaïne adrénalinée à 1 %, qui présente le meilleur
rapport bénéfice/risque. Les autres
anesthésiques locaux ne sont pas
conseillés en raison de leurs effets secondaires potentiels (toxicité cardiaque, en particulier). Les indications
de bloc doivent être larges, car il permet le ramassage et le transport, la réduction du foyer fracturaire et la réalisation des examens d’imagerie dans
des conditions optimales d’analgésie.
La technique présente des limites, en
particulier lors de fractures des extrémités supérieures et inférieures du fémur. Une fois le bloc installé, le
membre doit être soigneusement immobilisé afin de ne pas risquer un déplacement intempestif du foyer, cause
potentielle de fracture et de lésion vasculonerveuse secondaire.
Le bloc du plexus brachial n’est pas
recommandé en urgence extrahospitalière et ne peut être réalisé en urgence intrahospitalière que par un
opérateur entraîné. Les blocs tronculaires distaux du membre supérieur sont de réalisation simple, quasiment dénués de risques et peuvent
être utiles pour les plaies des mains
et des pieds (26). Les blocs de la face
sont sous-utilisés en situation d’urgence et devraient remplacer les
classiques anesthésiques locaux par
infiltration pour les sutures des plaies
étendues de la face (26).
Faut-il associer
une sédation à l’analgésie
en situation d’urgence ?
L’agitation et l’anxiété sont fréquentes, souvent liées à la douleur, et
elles sont, dans la majorité des cas,
calmées par une analgésie bien
conduite associée à un contact verbal
adapté. L’association d’une sédation
par benzodiazépines ne se justifie
qu’en cas de persistance de l’agitation
malgré une analgésie bien conduite.
En effet, le risque lié à l’utilisation
conjointe de benzodiazépines et de
morphiniques est important en raison
du cumul des effets secondaires. Les
benzodiazépines entraînent une dépression cardiovasculaire avec diminution du retour veineux, de la pression artérielle et du débit cardiaque.
Ces effets restent modérés chez les patients normovolémiques mais peuvent
être importants chez les sujets hypovolémiques. La benzodiazépine la
plus adaptée au contexte de l’urgence
est le midazolam, en utilisation titrée
en raison d’une variabilité interindividuelle importante, par bolus de
1 mg, éventuellement répétés (12).
Conclusion
La douleur aiguë en situation d’urgence est encore trop fréquemment
sous-traitée, voire négligée. L’amélioration de la prise en charge dans ce
contexte passe par une amélioration
de la sensibilisation et de la formation des personnels soignants, par
une autoévaluation de l’intensité
douloureuse par les patients et par la
réalisation de protocoles thérapeutiques favorisant l’utilisation large
des morphiniques. Cette démarche
doit s’intégrer dans un processus
d’assurance-qualité permettant une
amélioration progressive et continue
de la prise en charge de la douleur
dans ce contexte.
■
Mise au point
Mise au point
Résumé/Summary
La prise en charge médicamenteuse de la douleur en médecine d’urgence préet intrahospitalière
L’oligo-analgésie en situation d’urgence est encore trop fréquente. Les causes en sont
identifiées et sont souvent liées à des dogmes erronés. Il n’existe aucune contre-indication à l’analgésie en urgence. L’amélioration de la prise en charge de la douleur
passe par une meilleure sensibilisation des équipes et par des protocoles de prise en
charge thérapeutiques. La douleur aiguë en urgence doit être mesurée de manière systématique par une échelle d’autoévaluation (échelle numérique ou échelle visuelle
analogique). Le mélange équimoléculaire de protoxyde d’azote et d’oxygène, le propacétamol et le kétoprofène sont les antalgiques recommandés pour les douleurs
faibles à modérées. Les douleurs intenses nécessitent d’emblée l’administration d’un
morphinique. Le morphinique de choix en ventilation spontanée est la morphine intraveineuse par titration. Le bloc du nerf fémoral doit être plus largement diffusé. La
sédation complémentaire par benzodiazépines n’est justifiée qu’en cas de persistance
d’une agitation malgré une analgésie bien conduite. L’efficacité analgésique doit être
contrôlée par des évaluations répétées de l’intensité douloureuse au cours du transport et consignée par écrit sur les comptes-rendus d’intervention.
Acute pain treatment in out-of-hospital emergency medicine
Oligo-analgesia is a common feature in the emergency department (ED), most frequently resulting from misconceptions of pain and analgesia. There is no contra-indication to analgesia in emergency conditions. Improvement of our practice needs adequate theoretical and practical teaching to both medical and nursing personnel and also
implementation of specific quality-insurance programs. Pain measurement must be systematic, using visual analogic scale (VAS), numerical scales. Most popular analgesics
in use in french EDs to treat low to moderate pain are oral/injectable acetaminophen,
oral/injectable ketoprofene and inhaled mixture of nitrous oxide in oxygen. Severe pain
must be treated with intravenous titrated morphine. Regional anesthesia should be developped as several peripheral blocks proved very efficient in this setting (femoral
block, peripheral blocks of the upper limb, face...). Supplementary sedation (i.e. with
benzodiazepines) is sometimes useful but care must be taken to avoid any potentiation of opioid adverse effects.
Key-words : Emergency medicine – Out-of-hospital medicine – Acute pain – Analgesia
– Intravenous morphine.
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Mise au point
Mise au point
Références bibliographiques
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Communiqués publicitaires des conférences
de presse, symposiums, manifestations,
organisés par l’industrie pharmaceutique
Douleurs neuropathiques
chroniques rebelles :
stimulation des cordons
postérieurs de la moelle
Plus de 4 000 patients par an, en
France, souffrent de douleurs neuropathiques sévères (polyopérés du
dos, algodystrophies, lésions médullaires) pouvant être soulagées par stimulation des cordons postérieurs de
la moelle.
Cette technique à visée antalgique,
bien que parfaitement validée,
conservatrice et réversible, est encore insuffisamment répandue puisque
seuls 350 sujets ont été implantés en
20
tis : influence of early pain relief on accuracy of
clinical and US findings in the decision to operate
– a randomized trial. Radiology 1999 ; 210 : 63943.
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2001. C’est d’ailleurs la seule alternative pour soulager certaines douleurs neuropathiques chroniques
rebelles au traitement médical (antalgiques ou opiacés).
En moyenne, 60 % des patients sont
soulagés à long terme, et certains
peuvent reprendre des activités socioprofessionnelles. Il s’agit toutefois de
respecter étroitement les indications,
de bien sélectionner les patients et de
réaliser un test. En outre, plus le délai
sera court entre la dernière intervention et la neurostimulation, meilleurs
seront les résultats.
La thérapie par stimulation médullaire est fondée sur la théorie du “Gate
Control” qui suggère l’existence
d’une “ porte ” à l’entrée de la moelle
épinière ; celle-ci contrôle le flux de
signaux douloureux en direction du
cerveau. L’électrode de stimulation
médullaire, positionnée dans l’espace
épidural sur la dure-mère, déclenche
l’inhibition de la douleur en stimulant
les fibres nerveuses non douloureuses. La sensation de douleur est
couverte par une sensation de fourmillement (paresthésie). L’objectif est
de masquer la douleur sans en supprimer la cause.
Le système Medtronic, qui comprend une électrode percutanée
(Pisces Quad) ou chirurgicale
(Symmix ou Resume), une extension
et un neuromodulateur Itrel 3, est,
depuis septembre 2002, inscrit sur la
liste des produits et prestations remboursables de la Sécurité sociale
avec un tarif de remboursement de
6 285 euros.
Le Courrier de l’algologie (2), no 1, janvier/février/mars 2003
MP
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