cas clinique Pneumologie Mots-clés Mélioïdose – Burkholderia pseudomallei – Pneumopathie Keywords Melioidosis – Burkholderia pseudomallei – Pneumopathie Mélioïdose ou la grande imitatrice Melioidosis, a diagnostic dilemma K. Cury1, J.L. Meynard1, V. Lalande2 Observation Un homme cambodgien de 47 ans, en France depuis 1981, est hospitalisé pour des douleurs abdominales fébriles évoluant depuis un mois. Ses antécédents comportent un diabète de type 2, une hyperréactivité bronchique sous corticothérapie inhalée et sous antileucotriène. Il ne signale pas de consommation alcoolo-tabagique. Son dernier séjour au Cambodge remonte à 7 ans. Un traitement antituberculeux d’épreuve a été instauré en 2003 devant une altération de l’état général fébrile associée à une toux sèche et à des opacités excavées radiologiques. Devant l’absence d’amélioration, une biopsie pulmonaire sous scanner a été réalisée, rapportant une nécrose sans caséum ni granulome et sans bacille acido-alcoolo-résistant (BAAR). Par la suite, le patient est perdu de vue. Un an plus tard, il revient consulter pour des douleurs abdominales intenses et des céphalées occipitales fébriles depuis un mois, associées à une perte de poids de 5 kilos. À l’admission, la température est de 39 °C ; le patient ne présente aucun signe de gravité hémodynamique. L’examen clinique retrouve une tuméfaction occipitale rénitente et douloureuse, ainsi qu’une douleur à la palpation de l’hypochondre droit sans défense. Le reste de l’examen est sans particularité. Le bilan biologique objective un syndrome inflammatoire (globules blancs à 13 980/­mm3, dont 77 % de neutrophiles, CRP à 180 mg/l) et une hépatite modérée (transaminases à 2 fois la normale, GGT à 6 fois la normale, phosphatases alcalines à 2 fois la normale). Le reste de la numération formule sanguine, l’examen cytobactériologique des urines, les hémocultures, la recherche de BAAR à l’examen direct des crachats, la radiographie de thorax et l’échographie abdominale sont normaux ou négatifs. Après l’échec d’un traitement probabiliste par amoxicilline pendant 72 heures, un scanner thoraco-abdomino- 1 Service des maladies infectieuses et tropicales, 2 Laboratoire de microbiologie, hôpital Saint-Antoine, Paris. 108 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIV - n° 3 - mai-juin 2009 ▲ Figure 1. TDM thoracique : condensation pulmonaire gauche. ▼ Figure 2. TDM abdominal : multiples abcès hépatiques et spléniques. cas clinique pelvien est réalisé, mettant en évidence une condensation du lobe supérieur et postéro-basal gauche (figure 1), de multiples abcès hépatiques, une splénomégalie hétérogène avec des nodules hypodenses (figure 2), une collection sous-pariétale périsplénique, des adénopathies cœliaques et une adénopathie pédiculaire hépatique. Une ponction de la collection périsplénique (figure 3) ramène de nombreux polynucléaires altérés et des bacilles à Gram négatif d’identification difficile avec les techniques habituelles. Un séquençage de l’ARN-16S-ribosomal est alors réalisé, identifiant Burkholderia pseudomallei comme agent responsable de la mélioïdose. Considérant les données de l’antibiogramme et de la littérature, une antibiothérapie par ceftazidime, triméthoprime, sulfaméthoxazole et doxycycline est instaurée. Devant la persistance de la fièvre, un bilan d’extension est réalisé. L’échographie cardiaque et la fibroscopie bronchique avec lavage broncho-alvéolaire ne montrent pas d’anomalies. Le scanner cérébral retrouve une lyse osseuse en regard de la collection occipitale (figure 4). La ponction lombaire est normale. L’abcès occipital est drainé, mettant en évidence la persistance de B. pseudomallei. La sérologie VIH est négative. L’apyrexie est finalement obtenue à J20 de l’antibiothérapie adaptée. Le patient quitte l’hôpital à J44, avec un traitement d’entretien par triméthoprime, sulfaméthoxazole et doxycycline pour une durée prévue de 20 semaines. L’évolution est favorable, avec une diminution lente des abcès viscéraux entraînant la prolongation de l’antibiothérapie jusqu’à 60 semaines. Aucune récidive n’est survenue à ce jour. ▲ Figure 3. TDM abdominal : ponction de l’abcès périsplénique. ▼ Figure 4. TDM cérébral : collection occipitale. Discussion Ce cas de mélioïdose disséminée illustre la difficulté du diagnostic clinique de cette pathologie, que l’on pourrait qualifier de “grande imitatrice”. Son grand polymorphisme clinique rend en effet son diagnostic difficile (1, 2). La rapidité de mise en route d’un traitement adapté conditionne le pronostic de cette infection sévère. La mélioïdose est une zoonose liée à un bacille à Gram négatif, B. pseudomallei. Cette infection est observée en zone d’endémie (Asie du Sud-Est – foyer originel –, nord de l’Australie, Inde), notamment lors de la saison des pluies. B. pseudomallei est impliqué dans 20 % des septicémies communautaires en Thaïlande (1). Des cas sporadiques ont été rapportés dans les pays tempérés chez des patients ayant voyagé ou vécu en zone endémique (2). La contamination se fait par voie percutanée à partir des eaux ou des sols infestés (3), par voie aérienne ou, plus rarement, par voie digestive. Des infections nosocomiales et des contaminations de laboratoire ont été décrites. L’expression clinique de la mélioïdose et son pronostic sont très variables, la mortalité pouvant atteindre 100 % en l’absence de traitement adéquat dans les formes sévères (4). Le diagnostic clinique est difficile et il faut savoir l’évoquer chez un patient revenant de pays endémique. Les facteurs de risque des formes sévères sont l’insuffisance rénale chronique, le diabète et l’alcoolisme (2). On distingue trois formes différentes (1) : septicémique, viscérale et latente. La forme septicémique est la plus sévère : son début est brutal et réalise un état de choc septique avec défaillance multiviscérale. La mortalité, malgré un traitement adapté, est de 40 %. La forme viscérale survient dans un contexte d’altération de l’état général fébrile et peut atteindre un ou plusieurs organes. L’atteinte pulmonaire est la plus fréquente (50 %) ; elle est aiguë, réalisant un tableau de pneumopathie lobaire – voire d’abcès pulmonaire –, ou bien chronique, se manifestant par une toux avec expectorations hémoptoïques. Dans la forme chronique, la radiographie de thorax La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIV - n° 3 - mai-juin 2009 | 109 cas clinique objective des infiltrats excavés apicaux, comme dans notre cas, et est souvent prise à tort pour une tuberculose pulmonaire (2). Dans les formes multiviscérales, il peut y avoir des abcès souscutanés (13 %), spléniques, hépatiques, rénaux, pancréatiques, prostatiques ou cérébraux. La parotidite est fréquente dans les formes affectant les enfants (30-40 %). L’atteinte ostéo-articulaire réalise une arthrite septique des genoux ou une ostéomyélite. Les manifestations cutanées peuvent être isolées : ulcération, pustule, lymphangite, cellulite, abcés sous-cutanés (3). Des cas d’anévrismes mycotiques ont été décrits (5). La forme latente, dépistée par la sérologie, est la plus fréquente. Les réactivations symptomatiques ont été décrites jusqu’à 30 ans après la contamination. C’est la “bombe à retardement” du Vietnam : 3,5 % des soldats américains blessés au Vietnam ont révélé une sérologie positive (2). Le diagnostic microbiologique doit être rapide et ne doit pas retarder le traitement. L’examen de référence reste la culture des prélèvements (hémocultures, ponction des abcès, expectorations). L’examen direct retrouve un bacille à Gram négatif, mobile, avec une coloration bipolaire caractéristique pour les laboratoires des zones d’endémie. La détection d’antigène par immunofluorescence directe sur ces prélèvements a une moindre sensibilité (70 %) mais permet un diagnostic plus rapide, en 30 minutes (1). Dans les pays non endémiques, l’identification de B. pseudomallei peut être difficile et peut nécessiter le séquençage de l’ARN-16S-ribosomal comme dans notre observation. B. pseudomallei est naturellement résistant à l’ampicilline, aux aminosides et aux céphalosporines de 1re et 2e générations. Le traitement d’attaque de référence est la ceftazidime (120 mg/ kg/j). Il a montré sa supériorité sur le traitement conventionnel par chloramphénicol, doxycycline, triméthoprime et sulfaméthoxazole en diminuant la mortalité de 50 % (2, 4). L’alternative possible est l’imipénème (50 mg/kg/j). La durée recommandée de traitement est de 14 jours au minimum (4). La réponse clinique est lente, avec une durée médiane de la fièvre de 9 jours, pouvant aller jusqu’à 30 jours en cas d’abcès volumineux, lesquels doivent être drainés si possible. Les récurrences après traitement sont fréquentes (30 %), la durée médiane de leur survenue étant de 21 semaines. Un traitement d’entretien est indiqué dans toutes les formes et permet de diminuer les rechutes à 10 % des cas. La référence reste l’association chloramphénicol (pendant 8 semaines) avec doxycycline et cotrimoxazole pendant 20 semaines. En pratique, pour limiter la toxicité, un traitement par cotrimoxazole seul ou associé à la doxycycline pendant 20 semaines est souvent prescrit. Conclusion La mélioïdose reste une infection rare en France, avec un polymorphisme clinique qui explique les difficultés de diagnostic. Il faut l’évoquer chez les patients ayant séjourné en zone d’endémie présentant un sepsis sévère ou des abcès multiples. Son pronostic est conditionné par la rapidité du diagnostic et l’instauration d’un traitement adapté, ce dernier étant long et difficile. ■ ✥ Les points à retenir »» La mélioïdose est fréquente en zone d’endémie mais rarement observée en France. »» La mélioïdose doit être évoquée chez les patients provenant de zone endémique. »» Le diagnostic clinique est difficile du fait de son grand polymorphisme. »» Le pronostic des formes septicémiques est sévère. »» Le traitement est long et difficile. Références bibliographiques 1. White NJ. Melioidosis. Lancet 2003;361:1715-22. 2. Currie BJ. Melioidosis: an important cause of pneumonia in residents of and travellers returned from endemic regions. Eur Respir J 2003;22:542-50. 3. Zulkiflee AB, Prepageran N, Philip R. Melioidosis: an uncommon cause of neck abscess. Am J Otolaryngol 2008;29(1):72-4. 4. Choawagul W. Recent advances in the treatment of severe melioidosis. Acta Trop 2000;74(2-3):133-7. 5. Hong Low JG, Lin Quek AM, Sin YK, Peng Ang BS. Mycotic anevrism due to Burkholderia Pseudomallei infection: case reports and literature review CID 2005;40:193-8. Abonnez-vous en ligne ! www.edimark.fr Bulletin d’abonnement disponible page 93 110 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIV - n° 3 - mai-juin 2009