D OSSIER thématique Thérapeutiques alternatives dans le domaine de la transplantation cardiaque Coordinateur : J.C. Chachques, hôpital Européen Georges-Pompidou, 75015 Paris. ! Assistance biologique de l’insuffisance cardiaque par cardiomyoplastie (tissulaire et cellulaire) et aortomyoplastie J.C. Chachques, B. Cattadori, A. Berrebi, M.C. Iliou, P. Meimoun, A. Carpentier " Chirurgie valvulaire mitrale chez les patients atteints de cardiomyopathie dilatée - J.P. Couetil ! Resynchronisation atrio-biventriculaire - C. Alonso,T. Lavergne, J. Ollitrault, J.Y. Le Heuzey, J.M. Darondel, M. Aitsaid, L. Guize ! Reduction ventriculoplasty - R.J.V. Batista ! Ventricular containment (Acorn Wrap) - M. Acker ! Left ventricular assist device as a bridge to heart transplantation: the Cleveland Clinic experience J.L. Navia, P.R.Vega, C. Faber, N.G. Smedira, P.M. McCarthy Chirurgie valvulaire mitrale chez les patients atteints de cardiomyopathie dilatée ! J.P. Couetil* Résumé Résumé La régurgitation mitrale fonctionnelle est une complication fréquente des cardiomyopathies dilatées et peut altérer gravement le pronostic vital des patients en défaillance cardiaque. La meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques de la régurgitation mitrale, conséquence du remodelage ventriculaire, et les nouveaux traitements chirurgicaux qui en sont issus permettent une excellente correction de l’insuffisance mitrale ainsi qu’un remodelage ventriculaire primaire par la plastie de la base du ventricule gauche et secondaire par la diminution de la tension pariétale. Mots-clés : Cardiomyopathie dilatée - Plastie mitrale - Remodelage ventriculaire. L’INSUFFISANCE CARDIAQUE CONGESTIVE L’insuffisance cardiaque congestive (ICG) est le problème cardiaque numéro un aux États-Unis (selon le National Center for Health Statistics et l’AHA) et en Europe de l’Ouest. Avec le vieillissement de la population, la prévalence de l’ICG augmente. Actuellement, aux États-Unis, le nombre de patients atteints d’ICG augmente de 500 000 par an, et seuls 2 000 d’entre eux peuvent être transplantés. Idéalement, tous ces patients devraient * Service de chirurgie cardiaque, hôpital BichatClaude Bernard, 75018 Paris. 63 bénéficier d’une transplantation cardiaque seule permettant un résultat prédictible. Cependant, du fait de la pénurie d’organes, il n’existe pas d’adéquation entre le nombre potentiel de receveurs et le nombre possible de donneurs ; de plus, il y a un âge limite pour les receveurs cardiaques. LA CARDIOMYOPATHIE DILATÉE La cardiomyopathie dilatée (CMD) idiopathique ou postischémique est très souvent associée à une régurgitation mitrale (RM) ; celle-ci est en rapport avec une altération de la géométrie ventriculaire (1, 2). Les conséquences fonctionnelles Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 2 - avril-mai-juin 2002 D OSSIER thématique sont graves, avec un très mauvais pronostic à court terme. La survie à un an dans la plupart des séries est de 20 % ou moins. En fait, en présence d’une insuffisance mitrale de haut grade, la survie peut être de 0 % (3). Dans la série de Bolling (4), les 1 421 patients présentaient une CMD en classe IV et avaient une fraction d’éjection inférieure à 35 %. Parmi ce groupe de patients à haut risque recevant un traitement médical optimal, 435 sont morts à un an (31 %), la mortalité à 5 ans était de 50 % et de 75 % à 10 ans. En analyse multivariée, le prédicteur de mortalité chez ces patients était l’insuffisance mitrale sévère fonctionnelle (grades 3 et 4). En fait, en termes de survie pour les patients atteints de CMD, la régurgitation mitrale a un plus mauvais pronostic que l’atteinte coronaire, les troubles du rythme ventriculaire ou le cancer. Les patients présentant une CMD avec insuffisance mitrale sont ceux qui, habituellement, décèdent sur la liste d’attente de transplantation cardiaque dans la plupart des séries (1-4) ; néanmoins, en cas de traitement de l’insuffisance mitrale par un remplacement valvulaire, le pronostic théorique serait très mauvais, avec une mortalité atteignant 50 à 75 % en postopératoire (évaluation du risque périopératoire de la Society of Thoracic Surgery) (4). La réparation valvulaire mitrale a un pronostic bien meilleur que le remplacement valvulaire, avec une mortalité cinq fois moindre (4). Pour une équipe envisageant un programme de réparation valvulaire mitrale pour les patients atteints de CMD avec RM, l’objectif initial est la réduction de la mortalité hospitalière, puis les résultats intermédiaires en termes de survie, de qualité de l’amélioration de la fonction cardiaque et du remodelage ventriculaire, d’évaluation du degré d’insuffisance cardiaque et du besoin résiduel de transplantation. (feuillets mitraux, cordages), mais présente une anomalie de fonction du fait d’une dilatation annulaire constante et d’une désorientation des piliers mitraux (déplacements latéraux) secondaire au remodelage ventriculaire de la CMD. Les modifications géométriques entraînent un excès de traction sur les cordages et augmentent les forces qui leur sont appliquées (tethering forces), avec pour conséquences une restriction des mouvements valvulaires (petite et grande valves) ainsi qu’une diminution puis une disparition de la surface de coaptation (5) (figure 1). En échographie, un aspect typique en “aile de mouette” est bien visualisé sur l’incidence parasternale grand axe. Selon la classification fonctionnelle de Carpentier, on est en présence, dans la CMD, d’une RM de type I-IIIb. B. Le cercle vicieux : remodelage ventriculaire-insuffisance mitrale. L’augmentation de la charge volumique chez les CMD entraîne une augmentation de la RM, qui entraîne elle-même une dilatation accrue de la chambre ventriculaire avec excès des tensions sur les parois, diminuant d’autant la performance ventriculaire, avec aggravation du pronostic. Les techniques de réparation mitrale doivent tenir compte de ces nouveaux concepts physiopathologiques proches de ceux récemment décrits pour les insuffisances mitrales d’origine ischémique (6). LA RÉPARATION VALVULAIRE MITRALE Technique Compte tenu des mécanismes mieux compris de la RM dans la CMD, le but de la plastie mitrale est dès lors de restaurer une surface de coaptation entre les feuillets valvulaires par réduction de l’anneau mitral natif par un anneau prothétique circonférentiel sous-dimensionné pour obtenir une continence valvulaire. En effet, le plan de coaptation des deux feuillets valvulaires, du fait de l’hypertraction des cordages, est déplacé vers l’apex du ventricule et s’éloigne du plan de l’anneau, avec pour résultat un effet “tente” augmentant la surface couvrante nécessaire des deux feuillets mitraux pour obtenir la fermeture de l’orifice mitral, et ce au détriment de la surface de coaptation. Il nous semble logique, en toute hypothèse, qu’une résection des cordages secondaires proposée pour la RM ischémique soit indiquée également dans ces cas de RM chez les CMD (7). Le bien-fondé de cette hypothèse reste néanmoins à démontrer. Résultats Dans la série pilote de Bolling (8, 9), 145 patients ont été inclus sur une période de 7 ans ; l’âge moyen était de 63 ans (33 ans-81 ans), et aucun des patients n’a subi de transplantation au cours de cette période. La fraction d’éjection moyenne était de 16 % LE REMODELAGE VENTRICULAIRE GAUCHE : PHYSIOPATHOLOGIE DE LA RÉGURGITATION MITRALE A. La restriction des mouvements valvulaires et la disparition de la coaptation. En présence de CMD avec RM, la valve mitrale est anatomiquement normale Figure 1. Hypertraction sur la grande valve mitrale avec aspect en “aile de mouette” (flèche). Disparition de la surface de coaptation. 64 Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 2 - avril-mai-juin 2002 D OSSIER thématique (6-26 %). Tous les patients étaient en classe IV de la NYHA avec une RM grade 4, 50 % des patients avaient une CMD idiopathique et 50 % une CMD ischémique. Les résultats intraopératoires sont excellents, puisqu’il n’est rapporté qu’un seul décès ; aucun n’a nécessité d’assistance ventriculaire gauche, et 10 % ont eu besoin d’un support immédiat par un ballon de contrepulsion aortique. La qualité des résultats est, selon les auteurs, due à la sélection des patients et à l’utilisation de milrinone (inhibiteur des phosphodiestérases) chez tous les patients. La norépinéphrine est également utilisée (elle fonctionne comme un agent non bêta), les patients étant “rechargés” en norépinéphrine pour augmenter son niveau dans les myocytes (9). Les récepteurs bêta-adrénergiques sont “ hypofonctionnels” et limités en nombre chez les patients grands insuffisants cardiaques, entraînant des nonréponses aux bêtastimulants en termes de contractilité cardiaque. Aucune RM significative n’a été observée après l’utilisation du plus petit anneau mitral possible ; une seule sténose mitrale a été rapportée. La mortalité à 30 jours est de 4,8 % (7/145), avec une survie à un an, 2 ans et 5 ans respectivement à 82 %, 71 % et 57 % ; la mortalité tardive à 7 ans est de 26 patients. La survie à 5 ans est proche de celle des transplantés cardiaques. Tous les survivants à 7 ans sont en classe I et II. Concernant 10 cas contrôles traités uniquement médicalement de façon optimale, tous seraient morts à un an. La fraction d’éjection est peu augmentée après plastie mitrale, mais le débit cardiaque (antérograde) l’est considérablement du fait de la suppression de la RM. À deux ans, le volume ventriculaire gauche télédiastolique est très diminué (1/3), démontrant le remodelage ventriculaire post-plastie mitrale (tableau I). Tous les patients reçoivent un traitement médical et peuvent bénéficier des agents bêtabloquants et des inhibiteurs de l’enzyme de conversion. L’amélioration de ces patients capables d’exercice physique se traduit par une augmentation de la consommation Tableau I. Cardiomyopathie et réparation mitrale. Paramètres Préopératoire Volume télédiastolique (ml) Fraction d’éjection (%) Fraction de régurgitation (%) Débit cardiaque (l/mn) Classe NYHA 280 ± 86 16 ± 5 70 ± 12 3,1 ± 1,0 3,9 ± 0,2 24 mois Postopératoire 206 ± 88* 26 ± 8* 13 ± 10* 5,2 ± 08* 1,8 ± 0,4* * : p < 0,5. d’oxygène avec une VO2max passant de 14 ml O 2/kg/mn à 19 ml O 2/kg/mn. L’index de sphéricité ventriculaire gauche diminue (de 0,82 ± 0,1 à 0,74 ± 0,07 ; p = 0,005). permet en outre de réintroduire à terme bêtabloquants et inhibiteurs de l’enzyme # de conversion. Sélection des patients La démarche essentielle est de définir quels patients peuvent bénéficier au mieux de la plastie mitrale et de quels paramètres dépendent les suites postopératoires. La mortalité à long terme est dépendante des chiffres de pression pulmonaire et du diamètre ventriculaire gauche. En général, la géométrie du VG détermine le devenir de ces patients. La plastie mitrale est en fait une plastie de remodelage de la base du ventricule gauche, redonnant à celui-ci une forme elliptique en postopératoire et lui permettant de poursuivre ce remodelage dans les suites. D’autres techniques chirurgicales remodelant la géométrie du VG offrent une alternative et peuvent même être associées à la plastie mitrale. Les techniques de remodelage ventriculaire actuelles sont l’opération de Dor, pour la dilatation antérieure du VG en rapport avec une maladie ischémique, l’“Acorn”, réalisant un sac périventriculaire, et le “Myocor” (10, 11). B I B L I O G R A P H I Q U E S CONCLUSION La plastie mitrale utilisant un anneau prothétique circonférentiel sous-dimensionné est une technique fiable, simple et rapide. Les patients présentent une nette amélioration fonctionnelle et un réel bénéfice en termes de survie compararativement à ceux bénéficiant uniquement d’un traitement médical. Le remodelage ventriculaire primaire (VG elliptique en postopératoire immédiat) et secondaire 65 R É F É R E N C E S 1. Kono T, Sabbah HN, Rosman H, Alam M, Jafri S, Goldstein S. Left ventricular shape is the primary determinant of functional mitral regurgitation in heart failure. J Am Coll Cardiol 1992 ; 20 : 1594-8. 2. Yellin T, Yoran C, Fréater R, Sonnern Blick E. Dynamics of acute experimental mitral regurgitation. In : Ionescu M, Cohn L, ed. Mitral valve disease : diagnosis and treatment. Boston : ButterWorth ; 1985 ; 11-25. 3. Blondheim DS, Jacob LE, Kotler MN, Costacurta GA, Pary WR. Dilated cardiomyopathy with mitral regurgitation : decreased survival despite a low frequency of left ventricular thrombus. Am Heart J 1991 ; 122 : 763-71. 4. Kawachi Y, Ope M, Asou T, Tominaga R, Tokunaga K. Comparative study between valve repair and replacement for mitral pure regurgitation – early and late postoperative results. Jp Circ J 1991 ; 55 : 443-52. 5. Kono T, Sabbah HN, Stein PO, Brymer JF, Khaja F. Left ventricular shape as a determinant of functional mitral regurgitation in patients with severe heart failure secondary to either coronary artery disease or idiopathic dilated cardiomyopathy. Am J Cardiol 1991 ; 68 : 355-9. 6. Messas E, Guerro JL, Handschumacher MD et al. Chordal cutting : a new therapeutic approach for ischemic mitral regurgitation. Circulation 2001 ; 104 : 1958-63. 7. Couetil JP, Pouzet B, Abdel Shafy AB. A new method to repair ischemic mitral valve regurgitation with basal chordal cutting. Ann Thoracic Surg. Sous presse. 8. Bolling SF. Mitral reconstruction in cardiomyopathy. J Heart Valve Dis 2002 ; 11 (suppl. 1) : 526-53. 9. Bolling SF, Pagani FD, Deeb GM, Bach DS. Intermediate term outcome of mitral reconstruction in cardiomyopathy. J Thorac Cardiovasc Surg 1998 ; 115 : 381-8. 10. Takagaki M, McCarthy PM, Ochiai Y et al. Novel device to change left ventricular shape for heart failure treatment ; device design and implantation procedure. ASAIO J 2001 ; 47 : 244-8. 11. McCarthy PM, Takayaki M, Ochiai Y et al. Device-based change in left ventricular shape : a new concept for the treatment of dilated cardiomyopathy. J Thorac Cardiovasc Surg 2001 ; 122 : 482-90. Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 2 - avril-mai-juin 2002