congrès RÉUNION Pratiques en cancérologie F. André-David* Enseignement postuniversitaire de l’institut Bergonié Bordeaux, 8 avril 2008 La renommée de l’institut Bergonié n’est plus à faire quant à la qualité des soins que les patients y reçoivent. On sait moins, en revanche, que ce centre s’est engagé dans une démarche continue et originale de formation postuniversitaire des médecins généralistes (MG) en oncologie. Le Pr G. Kantor et le Dr N. Bui en sont les principaux maîtres d’œuvre. Les enseignements postuniversitaires (EPU) qu’ils organisent régulièrement sont un modèle du genre : choix délibéré de sujets au cœur de la problématique des MG suivant des patients cancéreux, sélection judicieuse d’orateurs capables d’appréhender un thème technique pour faire passer des messages utiles en pratique, animation de la réunion afin que la parole soit donnée aux participants. C’est sans aucun doute la raison pour laquelle plus de 60 MG se sont retrouvés dans la salle de conférence de l’institut Bergonié en ce mardi 8 avril 2008. Quatre grands thèmes d’oncologie pratique étaient à l’ordre de cette soirée : la toxicité des thérapies anti-HER1 et anti-HER2 (Pr H. Bonnefoi), les nausées-vomissements et les troubles nutritionnels (Dr N. Houédé), la coordination des soins et l’action sociale (Dr O. Duguey-Cachet et Mme M.H Monira). Ce qu’il faut savoir sur la toxicité des thérapies anti-HER1 et anti-HER2 (1) De plus en plus de patients suivent ce type de traitement en ambulatoire : le MG est alors confronté aux effets indésirables de ces agents, sans avoir toujours les bonnes réponses à apporter aux questions des patients. Thérapies anti-HER1 Il s’agit principalement de l’erlotinib (Tarceva®), petite molécule indiquée dans le cancer du poumon non à petites cellules et celui du pancréas, et du cétuximab (Erbitux®), anticorps monoclonal pour le cancer du côlon et les tumeurs ORL. En effet, le géfitinib a été retiré du marché en 2005 et le panitumumab est encore en développement. Les deux principales sphères de toxicité de ces agents sont la peau et les phanères (10 % de rash sévère papulopustuleux amicrobien, 21 % d’alopécie discrète, 12 % * Paris. d’altérations unguéales et périunguéales), ainsi que la sphère digestive avec 6 à 10 % de diarrhées sous erlotinib. La toxicité cutanée des anti-HER1 est en rapport avec le blocage du récepteur HER1 fortement exprimé au niveau des kératinocytes cutanés. Les lésions du visage peuvent être handicapantes pour le patient, mais témoignent de l’efficacité de la molécule : la survie est significativement allongée en fonction de l’intensité du rash (2). Le Pr H. Bonnefoi a fait passer quelques messages clairs essentiels sur ce type de toxicité (encadré). • La toxicité cutanée de grade supérieur à 2 atteint environ 10 % des patients et survient 2 à 3 semaines après le début du traitement. Lors de la prescription par l’oncologue, une fiche explicative est remise au patient. De plus, le patient revoit l’oncologue à J15. • L’apparition de cet effet indésirable est presque une bonne nouvelle, car elle atteste de l’efficacité du médicament. L’application de crème hydratante le soir sur les lésions papulaires et, éventuellement, un traitement par cyclines peuvent améliorer la situation. • L a toxicité cutanée diminue progressivement alors que le traitement est poursuivi. • La diarrhée nécessite un traitement symptomatique et la suspension de l’anti-HER1 pendant 2 à 3 jours. Cet effet indésirable ne se reproduit généralement pas à la reprise du traitement. Encadré. Effets indésirables des thérapies anti-HER1. Thérapies anti-HER2 La plus connue est le trastuzumab (Herceptin®), approuvé en traitement adjuvant dans le cancer du sein par la FDA (2005) moins de vingt ans après l’identification du récepteur HER2 (1984). Cet agent majeur réduit de 50 % le risque de rechute chez les patientes porteuses de tumeurs mammaires surexprimant ce marqueur. Le trastuzumab présente une toxicité cardiaque, avec une diminution de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) 222 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 5 - mai 2008 LK5-NEW + pub.indd 222 27/05/08 17:08:01 congrès RÉUNION asymptomatique ou clinique. Le lapatinib, autre anti-HER2 indiqué en deuxième et troisième lignes de traitement du cancer du sein, présente la même toxicité. Contrairement à la cardiotoxicité des anthracyclines, celle des anti-HER2 est en grande partie réversible : son suivi se fait par échographie cardiaque, réalisée au début du traitement et à 1 an. Combattre les nauséesvomissements chimio-induits et les troubles nutritionnels en oncologie Parler des nausées-vomissements chimio-induits (NVIC) nécessite de bien connaître la terminologie précise de ce domaine (tableau I) [3]. La prévalence des NVIC est importante : ils touchent 70 à 80 % des patients recevant une chimiothérapie (CT) [2]. Les NVIC retardés sont présents chez 80 % des patients recevant du cisplatine, et la prévalence médiane des NVIC anticipatoires est de 33 % (1463 %) [3]. Outre le potentiel émétisant spécifique à certaines CT ou à certains cytotoxiques, il existe des facteurs de risque liés au patient tels que le sexe féminin, l’âge inférieur à 50 ans, les antécédents de mal des transports et la quantité hebdomadaire d’alcool consommé (≤ 10 boissons par semaine) [4-7]. Le rôle des neurotransmetteurs dans les NVIC est de mieux en mieux compris (3, 8). La dopamine et l’histamine ne sont pas impliquées dans les NVIC, alors que cette dernière entre dans le mécanisme des nausées-vomissements du mal des transports. En revanche, la sérotonine joue un rôle important dans les NVIC aigus (mais pas dans les NVIC retardés) ; et la substance P, via les récepteurs neurokine 1 (NK1) situés dans le complexe vagal dorsal, le tronc cérébral et le tube digestif, est concernée à la fois dans les NVIC aigus et retardés (8). Cela explique pourquoi les antagonistes des récepteurs 5-HT3 et l’aprépitant (Emend®), antagoniste sélectif de haute affinité pour les récepteurs NK1 de la substance P, sont recommandés depuis 2006 dans la prise en charge des NVIC par l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) [tableau II] (9). Il est essentiel que ce traitement préventif des NVIC soit entrepris dès le premier cycle. Le Dr N. Houédé a rappelé quelques conseils alimentaires simples pouvant aider les patients : prendre un repas léger la veille de la CT, ne pas fumer, manger léger et plutôt sucré, faire des repas fractionnés, boire de l’eau. Tableau I. Terminologie des NVIC (3). Type de NVIC Délai de survenue/autres caractéristiques NVIC aigus Dans les premières 24 heures après la CT NVIC retardés 16 à 24 heures après la CT NVIC anticipatoires Avant l’administration de la CT/réponse conditionnée à une CT antérieure NVIC intercurrents Se produisent malgré l’administration d’un traitement préventif NVIC réfractaires Se produisent durant les cycles suivant l’échec d’une prophylaxie ou d’un traitement de secours aux cycles antérieurs CT : chimiothérapie. Tableau II. Recommandations de l’ASCO sur l’utilisation préventive des antiémétiques (10). Potentiel émétisant de la chimiothérapie Traitement antiémétique Risque élevé (> 90 %) Aprépitant : J1, J2, J3 Antagoniste des récepteurs 5-HT3 : J1 Corticoïde : J1, J2, J3, J4 Risque modéré (30-90 %) Aprépitant : J1, J2, J3* Antagoniste des récepteurs 5-HT3 : J1 Corticoïde : J1 Risque faible (10-30 %) Corticoïde : J1 Risque minime (< 10 %) Si nécessaire * Dans le cadre d’une chimiothérapie comprenant anthracycline et cyclophosphamide. Dans la même optique, la lutte contre les troubles nutritionnels du patient est une priorité : en effet, une étude des centres de lutte contre le cancer portant sur 1 928 patients hospitalisés à J1 pour une CT et suivis jusqu’à J30 a montré que, si seuls 19 % des patients présentaient une perte de poids supérieure à 10 % à J1, 39 % des patients décédés entre J1 et J30 étaient dénutris (perte de poids supérieure à 10 %). La dénutrition est un facteur de risque reconnu de complications mortelles après une chirurgie oncologique, bien supérieur au surpoids. Au cours des CT, une étude portant sur 3 047 patients (12 types de CT différents) a évalué la perte de poids dans les 6 mois précédant le traitement, et la survie des patients : le mauvais état nutritionnel est fortement lié à la gravité de la maladie, et la dénutrition, pour un même stade, est un facteur pronostique défavorable, augmentant la morbi-mortalité et la durée de séjour et diminuant la tolérance de la CT. La coordination des soins en Aquitaine : le réseau 3C et les liaisons ville-hôpital Depuis la mise en œuvre, en 2003-2004, du Plan cancer, 10 réseaux de centres de coordination en cancérologie (3C) ont été mis en place en AquiLa Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 5 - mai 2008 | 223 LK5-NEW + pub.indd 223 27/05/08 17:08:01 congrès RÉUNION taine. Le Dr O. Duguey-Cachet, coordonnateur du 3C de l’institut Bergonié, œuvre à l’établissement des grands axes prioritaires, à savoir la qualité des pratiques et des décisions (référentiels, réunions de concertation pluridisciplinaire, accès aux professionnels des soins de support), la qualité des organisations pour assurer la continuité des soins (avec agrément des structures) et, enfin, la qualité de la communication aussi bien entre soignants qu’entre soignants et soignés. Ce dernier domaine fait appel à la mise en place du dossier communiquant et inclut le dispositif d’annonce ainsi que le programme personnalisé de soins. Assurer la continuité des soins va de pair avec une amélioration de la liaison hôpital-ville et avec le partage des informations avec le médecin référent dès que le patient sort de l’établissement hospitalier : cet objectif s’améliore mais n’est pas encore atteint. L’action sociale en cancérologie : anticiper pour mettre en œuvre au plus tôt toutes les démarches sociales nécessaires Mme M.H. Monira est l’exemple même de l’assistante sociale que tout MG assurant le suivi d’un patient cancéreux (et, a fortiori, de tout patient) désirerait croiser sur sa route ! Son exposé profondément humain a montré qu’il était possible d’agir dans le labyrinthe des démarches administratives si l’on s’y prenait tôt. L’alerte du besoin social peut se faire dans le cabinet du MG devant, par exemple, une mère célibataire avec de jeunes enfants qui doit être hospitalisée pour sa CT : l’équipe sociale de l’établissement organisera dès la première cure toutes les actions nécessaires à la prise en charge des enfants. Au cours du dispositif d’annonce, un bilan est fait afin de connaître l’état des revenus et les aides en cours, et de savoir s’il existe, par exemple, des prêts bancaires (en cas d’arrêt maladie supérieur à 3 mois, relais par l’assurance). Lors de la phase thérapeutique, l’équipe sociale prend en charge la régularisation des droits, les prestations diverses et toutes les autres démarches relevant des domaines familial, juridique, scolaire, professionnel, financier et médico-social. En phase de consolidation de la maladie, ce sont les questions de la reprise de l’activité, de la réinsertion et de l’assurabilité qui seront abordées. Enfin, en situation palliative, les demandes de soins à domicile ou d’aide à l’élaboration de dispositions testamentaires, la demande par un proche d’un congé d’accompagnement pour une personne en fin de vie ainsi que les démarches relatives aux obsèques peuvent être facilitées par l’équipe sociale. La mise en place d’une action sociale efficace nécessite donc d’anticiper et de prendre en compte la globalité des besoins du patient : elle s’appuie sur un travail en équipe pluridisciplinaire et en réseau. Conclusion Le médecin référent reste le point d’ancrage du patient cancéreux à sa sortie de l’hôpital. Ce type d’EPU abordant des thèmes courants dans la pratique (effets indésirables de la CT, action sociale) permet aux MG de mieux prendre en charge ce type de patients et de tisser des liens avec les équipes soignantes. À l’heure de la mise en place des réseaux ville-hôpital, l’Institut Bergonié se démarque par la qualité de sa démarche en matière d’EPU. ■ Références bibliographiques 1. Jonker DJ, O’Callaghan CJ, Karaetis CS et al. Cetuximab for the treatment of colorectal cancer. N Engl J Med 2007;357:2040-8. Symptom Control Committees of the National Cancer Institute of Canada Clinical Trials Group. J Clin Oncol 1997;15:116-23. 2. Cardiello F, Tortora G. EGFR antagonists in cancer treatment. N Engl J Med 2008; 358:1160-74. 6. Perez EA. 5-HT3 antiemetic therapy for patients with breast cancer. Breast Cancer Treat 1999;57:207-14. 3. Berger I et al. Cancer. Principles and Practice of Oncology. 6th ed. Philadelphie : Lippincott Williams and Wilkins 2001:2869-80. 7. De Wit R, Schmitz PI, Verweij J et al. Analysis of cumulative probabilities shows that the efficacy of 5-HT3 antagonist prophylaxis is not maintained. J Clin Oncol 1996;14:644-51. 4. Gralla RJ, Osoba D, Kris D et al. Recommendations for the use of antiemetics: evidence-based, clinical practice guidelines. American Society of Clinical Oncology. J Clin Oncol 1999; 17:2971-94. 5. Osoba D, Zee B, Pater J et al. Determinants of postchemotherapy nausea and vomiting in patients with cancer. Quality of Life and 8. Diemunsch P, Grélot L. Potential of substance P antagonists as antiemetics. Drugs 2000;60:533-46. 9. Kris MG, Hesketh J, Somerfield MR et al. American Society of Clinical Oncology guideline for antiemetics in oncology: update 2006. J Clin Oncol 2006;24:2932-47. 224 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 5 - mai 2008 LK5-NEW + pub.indd 224 27/05/08 17:08:02