COUP D’ŒIL Médecine & enfance EXAMEN DJIBRIL Djibril, quinze ans, est adressé aux urgences pour l’aggravation d’un exanthème apparu quelques jours plus tôt et laissant place progressivement à une desquamation généralisée (voir photos ci-dessous). Il souffre d’une encéphalopathie avec tétraparésie spastique sévère, associée à une épilepsie traitée par carbamazépine (Tégrétol®) depuis un mois. A l’examen, on retrouve une desquamation diffuse non prurigineuse de l’ensemble de l’épiderme associée à une érythrodermie. Il est apyrétique, son examen neurologique est stable par rapport à son état de base, et le reste de l’examen est normal. Quel est votre diagnostic ? EXAMEN THIERRY Thierry, dix ans, consulte pour une éruption cutanée non prurigineuse des poignets progressant depuis deux semaines. L’éruption a une disposition linéaire en bande et est constituée de petites papules hyperkéra- tosiques rosées de 1 à 2 mm de diamètre (voir photos ci-dessous). Le reste de l’examen est normal, sans adénopathies et sans fièvre. L’enfant n’a aucun antécédent particulier. Il n’utilise pas de topique cutané et ne prend pas de traitement par voie générale. Il n’y a pas de notion de lésions similaires dans son entourage. Quel est votre diagnostic ? J.C. Lips, F. Maiz, service de pédiatrie, centre hospitalier Sud francilien, Evry Photos : A. Leblanc Rubrique dirigée par A. Mosca, alexis.mosca@ ch-sud-francilien.fr Voir les diagnostics page suivante ➝ mai 2009 page 261 Médecine & enfance DIAGNOSTIC DJIBRIL Il s’agit d’un DRESS syndrome (drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms) dû à la carbamazépine. Le DRESS syndrome correspond à une réaction aiguë, sévère et spécifique à un médicament. La réaction est indépendante de la dose et de la concentration du médicament, et survient toujours de façon retardée (de une à huit semaines) après son introduction. La liste des molécules incriminées n’est pas exhaustive, mais les plus fréquemment retrouvées restent les anticonvulsivants. C’est un syndrome rare, qui touche 1/5 000 à 10 000 patients traités par antiépileptiques. Récemment, l’implication de la réactivation du virus HHV6 a été évoquée dans le déclenchement d’un DRESS et comme facteur de mauvais pronostic. Cliniquement, la présentation est polymorphe, avec une éruption maculopapuleuse et une érythrodermie évoluant vers une dermatite exfoliative et une atteinte des muqueuses. Ces lésions s’accompagnent d’adénopathies périphériques et d’une atteinte systémique (hépatique, rénale, cardiaque, pulmonaire, etc.). Biologiquement, on recherche une hyperéosinophilie. Il est également intéressant de réaliser une sérologie virale HHV6 pour son intérêt diagnostique et pronostique. Critères diagnostiques du DRESS (d’après Bocquet et al.) DRESS : association de trois critères, un de chaque catégorie Eruption cutanée médicamenteuse Anomalies hématologiques : – hyperéosinophilie : éosinophiles > 1,5 109/l – ou présence de lymphocytes atypiques Participation systémique : – adénopathies > 2 cm de diamètre – ou hépatite (augmentation des transaminases > 2 N) – ou néphrite interstitielle – ou pneumopathie interstitielle – ou cardite Le diagnostic positif est établi selon des critères cliniques et biologiques (cf. tableau). Le traitement repose sur l’arrêt du médicament incriminé dès la suspicion de son implication. L’application d’émollients locaux peut aider à la cicatrisation des lésions. Des traitements par corticoïdes, Ig polyvalentes et antiviraux sont à l’étude. L’évolution se fait vers la guérison en plusieurs semaines. La précocité de l’arrêt du médicament responsable est essentielle, car c’est un syndrome qui reste potentiellement dangereux avec 10 % de mortalité, principalement par hépatite fulminante, myocardite ou insuffisance rénale aiguë. La difficulté est ensuite de traiter l’épilepsie de ces enfants, car la survenue d’un DRESS contre-indique toutes les amines aromatiques (Gardénal® , Trileptal®, phénytoïne, etc.). DIAGNOSTIC THIERRY Il s’agit d’un lichen striatus. C’est une dermatose bénigne de l’enfant, rare, d’étiologie inconnue. Elle atteint le plus souvent les enfants entre deux et quinze ans (âge moyen : trois ans). L’atopie pourrait en être un facteur prédisposant. L’éruption est constituée de petites papules hyperkératosiques rosées ou brun pâle dont la topographie est caractéristique : les lésions sont disposées en bande unique, suivant les lignes de migration embryonnaire de Blaschko (cf. schéma). Elles siègent préférentiellement au niveau des membres, mais se trouvent parfois au niveau du tronc ou du visage. L’atteinte est le plus souvent unilatérale, mais les atteintes bilatérales sont possibles. L’atteinte unguéale est possible mais rare, formant alors des sillons ou des dépressions de la tablette. L’éruption progresse en quelques semaines, puis disparaît en un an environ. L’évolution vers une hypopigmentation n’est pas rare, surtout sur les peaux foncées. Le diagnostic est essentiellement clinique. La biopsie cutanée peut être utile mai 2009 page 262 Lignes de Blaschko des membres supérieurs en cas de doute diagnostique. Les diagnostics différentiels sont le lichen nitidus linéaire (rare) et surtout l’hamartome épidermique verruqueux inflammatoire. Le traitement n’est utile que pour des raisons esthétiques. Il comprend des corticoïdes topiques de classe II ou III, mais leur efficacité n’a pas été démontrée pour la prévention de l’hypopigmentation séquellaire. Les topiques à base de tacrolimus ou de pimécrolimus sont à l’étude. Le plus important est de rassurer les parents en leur expliquant l’absence de risque de contagion ou de généralisation. Pour en savoir plus Sur le DRESS syndrome : AUTRET-LECA E. et al. : « Le DRESS syndrome, une réaction d’hypersensibilité aux médicaments qui reste mal connue des pédiatres », Arch. Pédiatr., 2007 ; 14 : 1439-41. BOCQUET H., BAGOT M., ROUJEAU J.C. : « Drug-induced pseudolymphoma and drug hypersensitivity syndrome (Drug Rash with Eosinophilia and Systemic Symptoms : DRESS) », Semin. Cutan. Med. Surg., 1996 ; 15 : 250-7. BOSDURE E. et al. : « Oxcarbazépine et syndrome DRESS : un cas pédiatrique révélé par une hépatite fulminante », Arch. Pédiatr., 2004 ; 11 : 1073-1077. ESHKI M. et al. : « Twelve year analysis of severe cases of drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms », Arch. Dermatol., 2009 ; 145 : 67-72. TOHYAMA M. et al. : « Association of human herpesvirus 6 reactivation with the flaring and severity of drug-induced hypersensitivity syndrome », Br. J. Dermatol., 2007 ; 157 : 934-40. Sur le lichen striatus : HAUBER K., ROSE C., BRÖCKER E.B. et al. : « Lichen striatus : clinical features and follow-up in 12 patients », Eur. J. Dermatol., 2000 ; 10 : 536-9. GOSKOWICZ M.O., EICHENFIELD L.F. : « Onychodystrophy with lichen striatus », Pediatr. Dermatol., 1994 ; 11 : 282-3. PATRIZI A., NERI I., FIORENTINI C. et al. : « Lichen striatus : clinical and laboratory features of 115 children », Pediatr. Dermatol., 2004 ; 21 : 197-204.