Les troubles de l'apprentissage du langage chez l’enfant C. Billard* Les troubles du langage oral Quand y a-t-il pathologie du langage, comment dépister un tel trouble ? Le langage est constitué d’un versant réceptif comportant la compréhension lexicale, sémantique ou grammaticale ainsi que la perception de la parole, dont la discrimination des sons proches (le “cra” de crapaud et le “dra” de drapeau) et la métaphonologie (conscience que la parole peut être découpée en unités : la phrase en mots, le mot en syllabes [lavabo : la-va-bo] ou en phonèmes [l-a-v-a-b-o]). Le versant expressif comporte l’évocation lexicale et les systèmes phonologique, syntaxique, sémantique et pragmatique. Les études longitudinales du développement normal du langage montrent qu’avant 3 ans-3 ans et demi, les systèmes phonologique et syntaxique se développent très différemment d’un enfant à l’autre (1), pour * Catherine Billard est médecin des hôpitaux, neurologue, pédiatre et neuropsychologue. Elle a consacré son activité clinique, d’enseignement et de recherche à la lutte contre les troubles spécifiques et sévères des apprentissages de l’enfant. Elle dirige une unité hospitalo-universitaire dans le service de neuropédiatrie de l’hôpital de Bicêtre, où sont pratiqués le diagnostic, l’évaluation et la prise en charge de ces déficits. Elle travaille également à la création d’un partenariat étroit en réseau ville-hôpital, avec les représentants de l’Éducation nationale et les professionnels libéraux assurant les soins. Enfin, sa recherche clinique a contribué à améliorer le dépistage de ces troubles, et ses liens avec la recherche fondamentale à en assurer les soins. Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 3, avril 2003 aboutir finalement à cet âge à un niveau comparable chez tous les enfants. Silva (2) a effectué la principale enquête épidémiologique prospective sur une population d’environ 1 000 enfants de 3 ans. Elle a montré que 7 % de ces enfants présentaient un déficit, soit de l’expression, soit de la compréhension, soit des deux associées. En outre, le suivi longitudinal montre la signification réelle d’un tel déficit, puisque près de 40 % de la population déficitaire aura, à 7 ans et demi, soit un déficit du langage oral, soit du langage écrit, soit une déficience mentale. C’est peu dire que la politique médicale du “ça s’arrangera” n’a pas de sens, même si tout déficit à cet âge n’a pas forcément une signification définitivement pathologique. La signification d’un déficit du langage oral est très différente selon qu’il s’agit d’un déficit modéré et isolé, ou isolé et sévère, ou situé dans un contexte pathologique débordant le langage. Le souci pratique de repérer ou de dépister tôt les troubles du langage afin d’agir efficacement a conduit au développement d’outils cliniques qui permettent d’apprécier le niveau de langage d’un enfant en référence à une population normale. Le questionnaire de Chevrie-Müller (ANAE, 75017 Paris [3]) et l’OPL 3 (Ortho-Éditions, 62330 Isbergues) permettent de repérer les troubles dès l’âge de 3 ans. L’ERTL 4 (4), l’ERTLA 6 (ComMedic, 54500 Vandœuvre) et la batterie mise au point par Zorman et Jacquier-Roux (Cogni Sciences, 38100 Grenoble) s’adressent également à une seule tranche d’âge (respectivement 4 et 5-6 ans). La BREV, plus complète et soigneusement évaluée (Kiosque production, 75013 Paris L e langage oral est le principal outil de communication. C’est un système symbolique qui s’élabore en interaction étroite avec l’intelligence et la pensée. Son développement nécessite donc des fonctionnements cognitif, psychique et sensoriel adéquats et harmonisés. L’environnement socioculturel joue également un rôle important. Un trouble du développement du langage peut donc avoir plusieurs significations, d’où l’importance de savoir le dépister et diagnostiquer le cadre dans lequel il se situe. L’apprentissage du langage écrit constitue l’un des principaux objectifs de l’école primaire. La fréquence des dyslexies dysorthographies est évaluée entre 3 et 10 % des enfants d’âge scolaire. Elles représentent une des grandes causes de l’échec scolaire et, faute de prise en charge correcte, elles peuvent conduire à l’illettrisme. Elles génèrent chez ces enfants et leurs familles une grande souffrance liée à la situation d’échec et à l’insuffisance, dans notre pays, de la mise en œuvre de solutions pédagogiques et rééducatives . [5, 6]), permet un examen sommaire des fonctions verbales, non verbales, de l’attention, de la mémoire et des apprentissages chez les enfants de 4 à 9 ans, afin de dépister ceux qui seraient porteurs d’un déficit et d’en préciser le profil. Ces batteries ne sont pas des outils formels de diagnostic. Les enfants suspects doivent alors être testés de façon conventionnelle par un bilan orthophonique lorsque le déficit langagier est isolé ou, de façon plus complète, lorsque le déficit ne concerne pas uniquement le langage. 85 Plate-forme : troubles du langage II Plate-forme Déficits secondaires et primitifs du langage La première démarche devant un trouble du développement du langage est de différencier les déficits secondaires des déficits spécifiques. Dans les déficits secondaires, le trouble du développement du langage oral peut être expliqué par une autre pathologie. Le retard mental en est la cause la plus fréquente et les compétences verbales doivent toujours être comparées aux compétences non verbales. En cas de doute sur les compétences non verbales, l’intelligence non verbale doit être mesurée par un test psychométrique (W1PPSI ou WISC). Une surdité, une paralysie des organes de la voix, une infirmité motrice cérébrale sont également responsables de troubles secondaires du langage oral. Les troubles de la communication, en particulier les troubles envahissants du développement, se présentent aussi comme un trouble du développement du langage oral associé à un trouble des communications visuelle et tactile. Enfin, les carences psychoaffectives et socioculturelles profondes peuvent également entraîner un déficit du développement du langage oral. Les troubles spécifiques (ou primitifs) du langage oral se définissent, au contraire, comme les troubles ne s’expliquant pas par un des grands cadres pathologiques évoqués. Les retards de langage et les dysphasies de développement sont les deux cadres de ces troubles spécifiques du développement du langage oral. Du retard de langage aux dysphasies de développement Les dysphasies de développement se définissent comme un trouble du développement du langage oral sévère, spécifique, structurel, durable, perdurant bien au-delà de 6 ans, tandis que les retards de langage se caractérisent par un langage se développant avec délai, mais en suivant les étapes habituelles et se normalisant avant ou autour de 6 ans. Dans les deux cadres, le trouble du langage oral est spécifique. Sans que l’on dispose de chiffres épidémiologiques formels, on estime que les retards sont de loin les plus fréquents et que les dysphasies sont rares (0,5 à 1 % des enfants). C aroline, à 4 ans, parle mal. La passation de la BREV montre que ses compétences en graphisme, raisonnement spatial, résolution de labyrinthes, discrimination, attention visuelle et calcul sont normales. Son niveau de compréhension syntaxique est également normal, mais sa production phonologique, la qualité de son évocation lexicale et la structure de ses phrases sont bien inférieures aux - 2 écarts-types des enfants de son âge. À 5 ans elle aborde la grande section de maternelle avec un langage qui reste encore modérément et spécifiquement déficitaire sur le plan de la production. Un bilan formel de langage confirme un niveau de production phonologique et syntaxique à - 3 écarts-types des enfants de son âge. Après 20 séances de rééducation orthophonique, le langage se normalise. Ses acquisitions scolaires seront normales. présente un retard ➧ Caroline de langage typique La symptomatologie des retards de langage est caractérisée par un déficit isolé de la production phonologique, syntaxique et éventuellement de l’évocation lexicale. La production phonologique est simplifiée (élision : “voitu” pour “voiture” ; inversion des groupes consonantiques : “carpo” pour “crapaud”). La cible est reconnaissable. Les phrases sont aussi simplifiées avec des articles supprimés, des verbes non conjugués et des formes immatures (“à le garçon” pour “au garçon”). Le langage s’étaye sur celui de l’adulte et les formes incorrectes sont progressivement remplacées par les formes correctes. Le vocabulaire est éventuellement pauvre. La symptomatologie des dysphasies de développement est caractérisée par des signes communs quasi constants et par une grande diversité du déficit du langage oral qui conditionne la diver- S téphane est le second d’une fratrie de quatre. Deux de ses sœurs n’ont aucun trouble des apprentissages tandis que sa sœur cadette est suivie pour un retard de langage. Son père, deux de ses oncles et tantes ainsi que sa grand-mère paternelle parlent peu, mal et sont illettrés. Stéphane a un développement moteur et relationnel normal, mais à 3 ans, il n’a aucune expression de langage. À 5 ans, son langage est limité à une dizaine de mots intelligibles sans phrase. À 7 ans, après deux grandes sections de maternelle, le langage reste quasi inintelligible. Il n’apprendra pas à lire malgré deux cours préparatoires. Stéphane sera orienté vers une structure pour enfants dysphasiques où il apprendra à lire avec une dysorthographie sévère mais sans difficultés majeures en mathématiques. Il réintégrera un collège d’éducation spécialisée, passera son CAP de menuisier. Stéphane est devenu un adulte au langage encore réduit, avec une persistance de difficultés phonologiques et syntaxiques n’entravant plus l’intelligibilité. ➧ L’histoire de Stéphane est une histoire caractéristique de dysphasie de développement sité des prises en charges et du pronostic (6). Le trouble du langage oral touche toujours l’expression du langage, qui reste inintelligible pour l’entourage, bien au-delà de 6 ans. Il affecte toujours, mais à un degré et sous une forme variables, la phonologie et la structure de la syntaxe. S’il existe une simplification, comme dans le retard de langage, il existe aussi des signes de déviance du langage, comme des complexifications (“palapapluie” pour “parapluie”), des productions longtemps loin de la cible (“ani” pour “parapluie”), de nombreuses approches phonémiques (“ra”, “rami”, “rapi”, puis “radis”), et des paraphasies sémantiques (“fourchette” pour “cuillère”), ou phonémiques (“raladateu” pour “radiateur”). Les productions ne sont jamais stabilisées, et les formes très pathologiques coexistent longtemps avec les formes simplifiées ou normales, témoignant 86 Plate-forme : troubles du langage II Plate-forme de l’absence de conscience des formes usuelles de notre langue. Les structures syntaxiques erronées (“on a vu le cheval qu’attendait bientôt”) coïncident avec les simplifications à 1’extrême (“cheval attendre bientôt”) et les morphèmes indifférenciés (“na poule na pond na zœufs”). Sur le versant réceptif, l’atteinte est infiniment variable. Tous les enfants présentent, à des degrés divers, un trouble de la perception des sons pourtant normalement entendus (discrimination de sons : “canif” et “caniche”). La compréhension lexicale et syntaxique est le plus souvent discrètement déficitaire, mais mieux préservée que l’expression. Les troubles du langage écrit sont quasi constants. La gravité de l’atteinte du langage et son profil ne sont pas fixés d’un enfant à l’autre ni parfois chez un même enfant au cours de son évolution. Cette grande diversité explique la nécessité absolue, audelà des grandes règles, de faire des projets thérapeutiques individuels, régulièrement fondés sur la symptomatologie rigoureusement évaluée, à un moment précis. Actuellement, tous les auteurs s’entendent pour différencier les dysphasies d’expression (de loin les plus fréquentes, où le trouble touche avant tout les versant expressif du langage) et les dysphasies réceptives, rares mais plus graves (où l’atteinte touche à la fois de façon majeure les versants réceptif et expressif). La diversité tient aussi à la gravité très variable du déficit, certains enfants, contrairement à d’autres, étant encore quasiment inintelligibles à 10 ans. Sur 14 enfants dysphasiques revus à 1’âge adulte : 4 restent difficilement inintelligibles, 2 ont un langage oral quasi normal et les 8 autres présentent des séquelles d’intensité variable. On peut résumer le problème de l’étiologie des dysphasies en disant qu’elle reste mystérieuse et multifactorielle, même si les particularités du cerveau du dysphasique et les facteurs génétiques sont actuellement décrits (7). L’existence de formes familiales avec Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 3, avril 2003 un arbre généalogique évoquant une transmission autosomique dominante est actuellement bien admise (même si elle ne rend pas compte de la majorité des dysphasies) et un gène, appelé “speech 1”, situé en 7q31, a été isolé dans une large famille de déficit sévère de la programmation phonologique. Les données neuropathologiques de Galaburda (8), puis plusieurs études morphométriques et en imagerie fonctionnelle, suggèrent l’absence de l’asymétrie usuelle du planum temporal et l’existence d’hétérotopies neuronales comme témoin d’un cerveau “singulier” (9). Les hypothèses épileptiques (10) qui feraient des dysphasies des formes précoces de syndrome de Landau-Kleffner ne semblent pas se confirmer, en tout cas pour la majorité des cas, et les anomalies paroxystiques intercritiques retrouvées chez un enfant dysphasique sur trois n’en sont pas la cause directe, mais plutôt l’expression du trouble de maturation cérébrale, luimême responsable de la dysphasie. Les troubles spécifiques des apprentissages du langage écrit Les dyslexies dysorthographies ont également une définition à la fois précise et insuffisamment précise. Elles se caractérisent par un trouble significatif du développement du langage écrit (décalage de 18 à 24 mois entre l’âge de lecture et l’âge chronologique), qui ne peut être expliqué ni par une déficience mentale, ni par des carences pédagogique, éducative, psychoaffective ou socioculturelle, ni par un trouble sensoriel, ni par une pathologie neurologique ou psychiatrique authentifiée. C’est-à-dire qu’elles doivent être différenciées des troubles des apprentissages multiples liés à une déficience mentale, ou multiples et complexes sans déficience. Il existe plusieurs types de dyslexie qui nécessitent des programmes de rééducation très différents. Les liens entre langage oral et langage écrit : des troubles du développement du langage oral a l’illettrisme, une réaction en chaîne qu’il est aujourd’hui possible d’enrayer La fréquence de l’illettrisme représente entre 4 et 10 % des jeunes adultes de sexe masculin. Il s’agit donc d’un problème de société de première importance. Si l’illettrisme est principalement lié aux difficultés socioculturelles, la dyslexie de développement est enfin reconnue comme une de ses étiologies. Une enquête récente témoigne que près de 20 % des jeunes en grande situation de précarité socioprofessionnelle ont, en fait, toutes les caractéristiques de la forme la plus fréquente de dyslexie de développement : la dyslexie phonologique (11). D’où l’importance d’un dépistage précoce des troubles du langage oral et écrit, débouchant sur une action appropriée. Les déficits du développement du langage oral sont très fortement prédictifs d’un déficit ultérieur en lecture. Menyuk (12) a suivi prospectivement trois populations d’enfants diagnostiqués à 5 ans comme porteurs d’un retard de langage ou d’une dysphasie, en comparaison d’une population contrôle d’anciens prématurés. La quasi-totalité des enfants dysphasiques étaient à 8 ans mauvais lecteurs, versus 25 % des retards de langage et environ 10 % seulement pour les anciens prématurés. La littérature de ces dernières années s’est intéressée aux liens entre la perception de la parole et l’apprentissage du langage écrit et suggère un trouble fondamental du traitement de la parole, commun aux dyslexies et aux déficits du langage oral, accessible à un entraînement intensif. Les capacités métaphonologiques à 5-6 ans sont également prédictives des compétences ultérieures en lecture, et un entraînement dès cet âge permet d’améliorer ces dernières. La psychologie cognitive a permis d’en préciser alors les straté- 87 Plate-forme : troubles du langage II Plate-forme gies déficitaires portant sur la voie d’assemblage et les techniques de rééducation efficaces. Cela souligne la nécessité de suivre les apprentissages en langage écrit de tout trouble du langage, même guéri. La dyslexie dysorthographie et les différents sous-types Si la dyslexie est particulièrement fréquente chez les enfants ayant présenté un trouble du langage oral, elle peut se manifester après le CP, alors que rien ne la laissait prévoir Son diagnostic est fait sur l’existence d’un décalage significatif entre l’âge de lecture et l’âge chronologique, avec des stratégies de lecture perturbées, alors que le niveau intellectuel et le plus souvent le niveau en calcul sont normaux. Même si la dyslexie entraîne souvent un retentissement psychoaffectif lié à l’échec scolaire, il n’y a pas de troubles psychopathologiques plus profonds. La dysorthographie (figure 1) est constante chez les enfants dyslexiques, mais elle peut aussi être isolée à la suite d’une dyslexie guérie. Les progrès de la psychologie cognitive ont permis de démontrer l’existence de différents sous-groupes de dyslexies caractérisés par des déficits différents. Les modèles : l’enfant apprenti lecteur et le lecteur habile Le modèle de Frith, même s’il est trop simpliste, rend bien compte de la pathologie. L’acquisition de la lecture évoluerait en 3 stades. Le stade logographique est caractérisé par une reconnaissance des mots de l’environnement (comme le prénom, “maman”, “Coca-Cola®”, etc.) et sur la présence de lettres saillantes. Ce vocabulaire visuel est évidemment limité. Pour aborder des mots nouveaux, l’enfant doit absolument mettre en place les règles de la correspondance entre les lettres (graphèmes) et les sons (phonèmes), caractéristiques du second stade dit alphabétique. L’enfant apprend alors à segmenter le mot dans Figure 1. Orthographe phonétique. Des erreurs de segmentation de mots, de fusion ou des découpage erronés sont liés à une mauvaise conscience des mots, de leurs limites, de leur nature. La persistance à un âge avancé de toutes les erreurs de cette dictée signe la dysorthographie. ses différentes unités (lavabo : 3 syllabes la/va/bo, 6 phonèmes l/a/v/a/b/o) ; il peut alors lire un logatome comme “mati”, “picrado”). En revanche, il continuera à faire des erreurs pour certaines graphies contextuelles (“tion” de “révolution” lu “tion” et non “sion”), et pour la lecture des mots ambigus (“transiger” sera lu “transsiger” et non “tranziger”). L’acquisition du dernier stade orthographique est donc indispensable à la lecture fluente. L’enfant accède à la lecture directe, visuosémantique pour les mots connus qui font partie de son stock lexical et peut alors lire correctement les mots irréguliers ou ambigus (“femme” ou “tabac”), puisqu’il les identifie sur la correspondance entre leur aspect visuel et leur sens. Il ne fera plus les erreurs de lecture logographique (“femme” assimilé à un mot visuellement proche, comme “ferme”). Il ne fera plus non plus les erreurs de lecture alphabétique qui conduisaient à régulariser les mots (“femme” lu “fème”). Ce stade orthographique se développe dès 7-8 ans et est complètement acquis à 9 ans, âge auquel l’enfant est un lecteur habile capable d’identifier correctement tous les mots, qu’ils soient courts ou longs, réguliers ou irréguliers, concrets ou abstraits, fréquents ou rares, connus ou inconnus, grâce aux “deux voies”. La première voie lexicale, ou lexicosémantique ou par adressage, lui permet d’identifier rapidement les mots dont la forme écrite est connue. La seconde voie non lexicale, analytique ou par assemblage, lui permet de lire les mots dont la forme écrite est inconnue. Elle est beaucoup plus longue. Ces deux voies partent de l’analyse visuelle du mot écrit et convergent ensuite vers un système de mémoire temporaire appelé le “buffer phorémique” qui permet de préparer l’accès au lexique phonologique de sortie ou réponse orale. La stratégie utilisée par un enfant pour identifier un mot écrit sera appréciée en comparant les scores de lecture de différents items (mots réguliers ou irréguliers, logatomes, mots fréquents, rares, courts ou longs) et par le temps de latence pour lire le mot beaucoup plus rapide en lecture lexicale que non lexicale (figure 2). La forme la plus fréquente est la dyslexie phonologique, caractérisée par les difficultés d’acquisition du stade alphabétique et donc d’accès à la voie d’assemblage. Ce sont les formes observées après les troubles du langage oral : leur prise en charge nécessitera un travail intensif sur la perception de la parole et sur la voie Analyse visuelle des mots écrits Mots connus (“livre”) Mots inconnus (“picrado”) Lexique orthographique d’entrée Segmentation : pi/cra/do Accès au sens Conversion en lettres et en sons Assemblage Accès au sens Buffer phonémique : lexique phonologique de sortie Figure 2. Modèle à deux voies de l’identification des mots écrits. 88 Plate-forme : troubles du langage II Plate-forme d’assemblage en s’aidant de codes (gestes Borel, syllabes en couleur ou sémantisées, etc.). Dans cette forme, le stock lexical de mots écrits permettant de les aborder par la voie d’adressage, est souvent très limité et nécessite aussi sa constitution en rééducation pour permettre une lecture rapide accédant au sens, et une orthographe d’usage correcte. Il existe d’autres formes de dyslexie : les dyslexies de surface sont, au contraire des précédentes, caractérisées par des difficultés d’accès à la voie d’adressage. La lecture se fait donc uniquement par assemblage, lente et en déchiffrant. Les formes mixtes où les deux stratégies sont déficitaires existent aussi. Elles sont particulièrement graves et rendent compte des enfants non lecteurs en fin de primaire. Les dyslexies visuo-attentionnelles, souvent associées à un trouble déficitaire de l’attention, se caractérisent par des prises d’indice visuel insuffisantes, aussi bien dans la lecture des non-mots, mots réguliers ou irréguliers. L’intérêt de ces sous-types est de définir la nature de la rééducation et de la pédagogie qui seront totalement différentes. La dysorthographie accompagne la dyslexie et perdure souvent, même chez les enfants devenus de bons lecteurs. Dans les dysorthographies phonologiques, la transcription des sons en lettres est à l’origine de nombreuses confusions, alors que la dysorthographie de surface est avant tout lexicale (figure 3). L’orthographe grammaticale est déficitaire dans tous les cas. La rééducation des dyslexies doit être précoce (sans attendre les 2 ans de décalage de la définition), le plus souvent intensive (3 fois par semaine) et, surtout, précisément adaptée au trouble de l’enfant. L’évaluation de l’efficacité de cette rééducation doit être précise pour réorienter les objectifs. Le grand drame des enfants dyslexiques en France est lié à l’absence d’harmonisation pédagogie-rééducation. Un enfant dyslexique de 8 ans non lecteur ou de 10 ans pauvre lecteur, dans le système ordinaire, passe dix heures de français par semaine qui ne lui sont pas adaptées, voire ne lui servent à rien... Cette situation a récemment ému les pouvoirs publics. Certaines techniques modernes de rééducation, comme l’entraînement phonologique intensif par CD, sont en cours d’évaluation. On peut penser qu’elles seront bénéfiques, mais elles ne seront pas la solution “réparatrice” et ne concerneront pas tous les enfants dyslexiques à chaque phase de leur évolution. Réferences 1. Le Normand MT. Modèles psycholinguistiques du développement du langage. In : C. Chevrie Muller et J. Narbona (eds). Le langage de l’enfant. Paris : éditions Masson (2e éd), 1999 : 28-43. 2. Silva PA, Mc Gee R, Williams SM. Developmental language delay from 3 to 7 years and its significance for low intelligence and reading difficulties at age 7. Figure 3. Camille, 10 ans, dysorthographie lexicale. Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 3, avril 2003 Dev Med Child Neurol1983 ; 25 : 783-93. 3. Chevrie-Muller C, Goujard J, Simon AM, Dufouil C. Questionnaire “Langage et communication”. Observation pour l’enseignant en petite section de maternelle. 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