FEV 98 MEP 27/04/04 12:29 Page 3628 Obser vation La série “Observation” est réalisée avec la collaboration de Schering Plough. Photo : Charles Dolfi-Michels Les médicaments utilisés dans le traitement des toxicomanes aux opiacés imposent une rigueur dans leur prescription. Cette situation contraint à un retour à l’observation clinique. C’est une chance pour le prescripteur et surtout... pour le patient et parfois pour les lecteurs ! Ces histoires de substitution se déclineront au fil des numéros. Toxicomanie et suicide Le cas M. G. est un patient de 29 ans, suivi dans le cadre d’un traitement par méthadone depuis 1 an. Il présente une dépendance aux opiacés dans le cadre d’une polytoxicomanie sévère et ancienne débutée à l’adolescence dans un contexte socio-familiale très défavorisé. Ce sont les grands-parents maternels qui l’élèveront, avec un cousin, mais eux-mêmes vivent dans un climat de violence et d’alcoolisme préjudiciable. Dès l’âge de 14 ans des conduites toxicomaniaques apparaissent chez les deux adolescents avec consommation de multiples toxiques et activités de revente. Nous apprendrons postérieurement que dès l’âge de 6 ans, un retard de développement psychomoteur avait été repéré chez le patient, et fait l’objet d’un traitement en psychothérapie, psychomotricité et orthophonie pendant 3 ans. Une organisation de type “prépsychotique” avait alors été évoquée. Par la suite, la même équipe soignante avait revu M. G. à l’âge de 16 ans pour des conduites délictueuses préoccupantes. Un diagnostic de psychopathie Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n°207, Février 1998 avait été écarté, et le trouble des conduites intégré dans le cadre d’un syndrome dépressif pour lequel une psychothérapie avait été indiquée. En 1984, le patient apprend qu’il est séropositif pour le VIH. Son cousin, contaminé également va rapidement déclarer la maladie. La compagne de celuici en décèdera ultérieurement. Devant ces événements de vie éprouvants, le patient va renforcer sa consommation de drogue en allant à deux reprises jusqu’à l’overdose. Depuis le début du traitement les dosages urinaires reviennent régulièrement positifs aux opiacés, amphétamines et benzodiazépines. Il réfute toute idée suicidaire consciente, mais parle de “se pousser jusqu’à la limite” avec une idée d’invulnérabilité et une certaine culpabilité de ne pas être malade du SIDA contrairement à son entourage. On note dans ces antécédents de multiples passages aux urgences pour tentatives de suicide par intoxication volontaire. Un syndrome dépressif est évoqué et un traitement par IRS (Inhibiteur de la Recapture de la Sérotonine) est prescrit, mais il s’avère inefficace. Le patient montre cependant une volonté manifeste à se soigner, se soumettant à la contrainte d’une venue quotidienne en centre spécialisé de soins aux toxicomanes, aux rencontres multiples avec les intervenants (infirmiers, assistante sociale, psychiatre), aux décisions d’hospitalisation prises compte tenu de ses mises en danger fréquentes. Alors qu’il parvient à une relative abstinence par rapport aux toxiques au prix d’un grand effort soutenu par le soin, on note une 3628 présentation peu soignée et un défaut d’hygiène corporelle persistants, associés à un syndrome dissociatif à minima. Il n’existe pas de production délirante. Il rapporte des conditions de vie très pénibles de conflit permanent avec son entourage (cousin mourant encore actif dans sa toxicomanie, maison repérée par le milieu toxicomane comme un lieu d’échanges, rixes avec le grandpère alcoolique, misère sociale...). Le travail social est alors intensifié pour lui permettre de quitter ce lieu de vie inadapté. Par ailleurs, un traitement par neuroleptique* à visée désinhibitrice a été mis en place, devant la suspicion d’une organisation psychotique chez ce patient, masquée jusqu’alors par la prise de toxiques. Un travail d’accompagnement est également entrepris sur des bases très pragmatiques (propreté, soins corporels, activités relationnelles...). Les attitudes de mise en danger ont alors cessé et le patient a pu parvenir à l’abstinence durable vis-à-vis des opiacés et des autres toxiques. Le comportement suicidaire s’intégrait donc dans un contexte pathologique psychotique tel que l’on peut l’observer chez les schizophrènes par exemple, et aggravé par une grande détresse sociale, un manque d’étayage familial, et la dangerosité potentielle des substances quotidiennement manipulées par le sujet. Ce comportement a parfaitement répondu à un traitement par méthadone associé à un neuroleptique* et à une prise en charge psychosociale adaptée. Le patient n’avait jamais eu, en effet, “envie de mourir” comme il nous le confirmera par la suite. *Sous strict surveillance en association FEV 98 MEP 27/04/04 12:29 Page 3629 Commentaires familiales et professionnelles, l’endettement, le HIV... Le toxicomane en état de manque est dans une situation clinique à haut risque de passage à l’acte suicidaire, comme les ivresses pathologiques. Par ailleurs, le risque d’homicide et de suicide par mort violente est significativement augmenté quand il est associé à l’utilisation de drogues illicites ou d’alcool, et ceci pas seulement pour les consommateurs mais également pour les personnes vivant sous le même toit (6). Les conduites d’alcoolisation augmentent de toute façon le risque suicidaire quel que soit le trouble associé. Enfin, soulignons que ces patients manient des substances dangereuses voire à risque léthal (surdose) et potentiellement dépressogènes (“descente” des amphétamines) ce qui augmente la probabilité de survenue de gestes suicidaires ou interprétés comme tels. Au total, le suicide chez le toxicomane est à considérer comme une complication possible et sérieuse, au même titre que pour d’autres pathologies psychiatriques comme la dépression ou la schizophrénie. Une évaluation du risque suicidaire est souhaitable, tenant compte de la comorbidité et des facteurs plus spécifiques à cette population. avec la méthadone. Le suicide est d’une façon générale repéré comme un événement à craindre dans certaines catégories cliniques dont les pathologies addictives (1). Les enquêtes rétrospectives sur les suicidés retrouvent à plus de 90 % des troubles psychiatriques au moment du passage à l’acte : la toxicomanie arrive en 4e position après la dépression, l’alcoolisme et les troubles anxieux (2). En ce qui concerne les “teenagers” (< 20 ans), une série limitée de diagnostics est retrouvée à l’origine de leur geste suicidaire : il s’agit le plus souvent de trouble de l’humeur seul ou associé avec un trouble des conduites (actes délictueux et hétéroagressifs) et/ou un abus de substances (3). A contrario, la fréquence des tentatives de suicides chez les toxicomanes varie selon les études entre 8 et 17 % (4). Ce taux est comparable à celui retrouvé dans les groupes de déprimés, de schizophrènes et d’alcooliques. A l’intérieur du groupe des toxicomanes, il semble que les femmes, de personnalité “borderline” soient plus particulièrement Photo : Charles Dolfi-Michels exposées (5). Plusieurs éléments caractérisant ce trouble permettent d’éclairer ces constatations. On peut comprendre qu’au même titre que d’autres pathologies psychiatriques à l’origine d’une grande souffrance, la toxicomanie constitue un groupe à risque. De plus, la comorbidité la plus fréquente chez les toxicomanes est la dépression (elle complique 40 à 70 % des cas), avec des caractéristiques particulières à savoir : irritabilité, raptus anxieux, comportements violents et intolérance majorée aux frustrations. Ces éléments ainsi que la dépression constituent à eux seuls des facteurs de risques suicidaires. En outre, ces patients sont particulièrement exposés à la répétition d’événements de vie pénibles comme les incarcérations, les ruptures Références 1) Wolfersdorf : Suicide prevention recognizing and treating acute suicidal behavior. Fortschr. Med., 1997, 115 : 38-40. 2) Facy, Michel, Philippe, Hatton : Mortalité par suicide. Doc. INSERM, Cahier n°143-147. 3) Schaffer, Gould, Fisher, Trautman : Psychiatric diagnosis in child and adolescent suicide. Arch. Gen. Psychiatry, 1996, 53 : 339-348. 4) Krausz, Degkwitz, Haasen, Verthein : Opioid addiction and suicidality. Crisis, 1996, 17 : 175-181. 5) Gupta, Trzepacz : Serious overdoses admitted to a general hospital : comparison with nonoverdose self-injuries and medically ill patients with suicidal ideation. Gen. Hosp. S. Afflelou * Unité de Soins pour Toxicomanes, Service de Psychiatrie du Pr J. Tignol, CHU de Bordeaux et CH Charles Perrens, Bordeaux. 3629