oD sie Do r r er r er Dossi Dossiie s s o ssie D Les troubles affectifs chez les patients séropositifs pour l’hépatite C : la solution par l’anticipation ? Jean-Philippe Lang*, Thierry Royer, Jean-Christophe Coujitou, Michel Legal Actuellement nombre de patients séropositifs ne seraient pas dépistés et moins d’un malade diagnostiqué sur cinq bénéficierait d’un traitement antiviral. Cette situation préoccupante est probablement expliquée par les carences du dépistage souvent liées à une stigmatisation facile et inadaptée de populations à risques ainsi qu’à une insuffisance d’information des patients et des médecins concernant les conduites et les situations à risques responsables de transmission. Lutter contre cette infection et ses conséquences médicales est devenu, selon le plan national de lutte contre l’hépatite C-2002-2005, un enjeu de santé publique. Il impose de multiplier les indications de traitement antiviral, d’en favoriser l’observance et de limiter les ruptures thérapeutiques. Selon la dernière conférence de consensus de février 2002, il ne paraît pas du tout excessif de considérer les troubles psychiatriques comme le principal écueil de cette prise en charge.. Les troubles affectifs (troubles anxieux, troubles dépressifs, troubles maniaques) sont probablement la cause principale de non-initiation d’un traitement antiviral, de mauvaise observance et de rupture thérapeutique. La méconnaissance de ces troubles et la sous-utilisation d’une prise en charge spécialisée psychiatrique cohérente en ce domaine est très clairement préjudiciable au patient et à sa maladie. Il devient urgent que les troubles psychiatriques et * Praticien hospitalier (secteur 67 G 04), coordinateur de la Fédération intersectorielle de réseau de soins en toxicomanie, psychiatre du Pôle référence hépatite C de Strasbourg. Établissement public de santé Alsace nord, 67720 Hoerdt. leur prise en charge chez les patients séropositifs à l’hépatite C deviennent un sujet de réflexion pour les psychiatres en collaboration étroite avec les médecins somaticiens. Au sein du “Pôle référence hépatite C” de Strasbourg, nous avons développé depuis plus de trois ans une prise en charge globale en réseau de soins multidisciplinaires et mené une réflexion sur la sémiologie des troubles psychiatriques chez les patients séropositifs à l’hépatite C, sur la potentielle dangerosité des contre-indications psychiatriques actuelles d’un traitement antiviral et sur le bénéfice d’une prise en charge précoce psychiatrique préventive (psychothérapie et traitement antidépresseur) sur l’apparition et la tolérance des troubles affectifs chez les patients traités par interféron. Le Courrier des addictions (4), n° 2, avril/mai/juin 2002 74 Troubles affectifs chez les patients séropositifs pour le VHC Les troubles affectifs, qui représentent près de 80 % des symptômes psychiatriques retrouvés dans ce contexte, sont probablement les effets secondaires les plus fréquents d’un traitement antiviral par interféron classique ou pégylé. Ces manifestations restent sous-évaluées par les médecins traitants bien que considérées comme très douloureuses par les patients. Ces derniers témoignent de leurs difficultés à affronter les effets affectifs du traitement qu’ils subissent brutalement, sans anticipation possible, et ce d’autant plus qu’ils sont labiles, fluctuants et souvent inaccessibles à la raison. Nombre d’entre eux préféreraient souffrir d’un mal physique plutôt que de vivre cette incompréhension quotidienne. Troubles anxieux et dépressifs Ces états, qui peuvent être des syndromes dépressifs classiques, sont souvent de sémiologie atypique et donc considérés, notamment pour certains d’entre eux (troubles du sommeil, irritabilité, impulsivité, troubles du caractère, asthénie, etc.) comme mineurs ou secondaires à l’affection hépatique (particulièrement pour l’asthénie), alors qu’ils sont le nid de la dépression, des symptômes sentinelles de celle-ci ou des équivalents dépressifs. Ils seraient dose-dépendant et plus fréquents au premier trimestre de traitement. Ils sont en fait véritablement imprévisibles, fluctuants dans le temps, variants souvent d’une injection à une autre. Nous avons, par exemple, fréquemment diagnostiqué de véritables épisodes dépressifs au début du deuxième trimestre chez des patients ayant remarquablement toléré le traitement pendant le premier trimestre. La symptomatologie associe essentiellement une labilité émotionnelle, une asthénie anxieuse avec une incapacité à se reposer, des troubles de l’endormissement accompagnés de réveils fréquents ou de réveils précoces ou des hypersomnies douloureuses, des agitations anxieuses, des troubles de la concentration et de l’attention, une exacerbation du vécu algique et des troubles du caractère et du comportement avec une irritabilité et une impulsivité qui peuvent masquer d’authentiques sentiments dépressifs (tristesse, incapacité, r er r er oD s ie sDioessi DDososssiie os r D insuffisance, indignité, incurabilité) qu’il est primordial de rechercher systématiquement (3, 6). Ces souffrances psychologiques peuvent s’accompagner de conduites addictives illicites ou licites comme l’usage d’alcool qui est également un facteur de risque, d’apparition d’épisodes dépressifs de passages à l’acte, de rupture thérapeutique ou de résistance au traitement. Troubles réactionnels, secondaires à l’infection, aux traitements Ces troubles peuvent être réactionnels à l’annonce d’une séropositivité ainsi que de toute évolution de l’état clinique (aggravation de la maladie, décision thérapeutique, rémission ou guérison) par les deuils et les remaniements psychologiques qu’elle impose subitement (3). Ils peuvent être secondaires à l’infection elle-même et à ses complications somatiques (asthénie invalidante, maladies autoimmunes, dysthyroïdies). Le virus de l’hépatite C ne semble pas avoir d’action directe au niveau du système nerveux central. Ces troubles peuvent aussi compliquer le traitement antiviral. L’interféron alpha pourrait interagir de façon encore peu établie avec la sérotonine et la dopamine au niveau des structures de l’affectivité (2). Son absence de passage de la barrière hémato-méningée suggère un mécanisme pathogénique indirect, peut-être immunologique. Il est encore difficile de savoir si l’interféron pégylé (une injection sous-cutanée par semaine) est différemment toléré de l’interféron classique (trois injections par semaine), hormis le confort que procure la diminution des injections hebdomadaires. Il apparaît cependant selon les patients qui ont l’expérience des deux traitements que les effets secondaires psychiques de l’interféron pégylé seraient au moins équivalents, à ceux de l’interféron classique. La ribavirine ne semble pas avoir de conséquence psychique majeure, même si elle peut classiquement être responsable de troubles affectifs. Il est également important de garder à l’esprit les possibles effets secondaires anxieux de certains traitements antidépresseurs comme par exemple lors de prescriptions inadaptées dans le choix des doses initiales ou dans leurs augmentations, dans le manque d’informations spécifiques qui les accompagnent (prescription isolée), lors de syndromes sérotoninergiques ou lors de virages maniaques atypiques (1). Les contre-indications d’un traitement par interféron, comme elles sont évoquées actuellement, sont préjudiciables à la prise en charge de la maladie. En effet, considérer que les antécédents de dépression, de tentatives de suicide ou de toxicomanie sont une contre-indication absolue au traitement par interféron n’est pas acceptable actuellement (7). Au sein d’une prise en charge cohérente et adaptée, ces antécédents ne sont plus des contre-indications absolues au traitement antiviral. Comme nous l’avons déjà dit ces troubles restent indépendants de toute maladie préexistante, individuels dans leur vécu et très variables dans leur apparition dans le temps. Les études que nous avons réalisées à cet égard démontrent que le risque de faire une dépression sous traitement antiviral n’est pas fonction de l’existence ou non d’antécédent dépressif. Le risque de faire une dépression pourrait même être plus important chez les patients n’ayant jamais connu la dépression. Antécédents de dépression, de tentatives de suicide, de rupture de traitement En revanche, la consommation régulière d’alcool, des antécédents rupture de traitement antiviral pour troubles dépressifs ainsi que des antécédents de tentatives de suicide sont des facteurs de risques majeurs d’apparition d’un syndrome dépressif sous interféron et devraient imposer une prise en charge psychiatrique précoce. Il semble que les notions d’impulsivité ou de dépressivité en tant que trait de personnalité soient des facteurs à risque de troubles dépressifs sous traitement par interféron par l’incapacité qu’il procure à accepter les situations de pertes et de douleurs. En effet, les antécédents de dépression isolée sans antécédent de tentative de suicide ou de rupture de traitement ne sont pas plus prédictifs de l’apparition d’une dépression sous traitement par interféron que l’absence d’antécédent dépressif. Le mode de contamination par usage à risque de drogue n’est pas non plus un facteur à risque d’apparition de dépression sous traitement antiviral (7). Il convient de prolonger ce suivi après l’arrêt d’un traitement antiviral ou lors de l’annonce d’une rémission ou d’une guérison, car les troubles anxieux et dépressifs sont non seulement retrouvés au cours d’un traitement antiviral, mais peuvent également apparaître à l’arrêt (avec une prévalence comprise entre 75 5 et 10 %) de ce dernier, surtout s’il existe des antécédents de dépression et si le traitement antiviral a été bien toléré et investi par le patient et son médecin, afin de permettre une réorganisation affective personnelle ou familiale ou de stabiliser des conduites addictives associées. Troubles maniaques Les manies psychogènes ou “manies de deuil” peuvent également survenir à l’annonce d’une séropositivité ou de toute autre évolution de la maladie et de son traitement. De véritables épisodes maniaques ont été décrits sous interféron ainsi qu’à l’arrêt de ce dernier. Il est très difficile dans ce contexte de savoir si ces épisodes doivent être considérés comme de simples effets secondaires ou comme révélateurs d’une maladie maniacodépressive. Notre expérience nous pousse à penser qu’ils doivent être envisagés comme de véritables épisodes maniaques, analysés et traités comme tels (2). Les classiques virages maniaques sous traitement antidépresseur peuvent également être inclus dans cette réflexion. La prévalence de ces troubles affectifs, qui varient selon les études entre 10 et 50 %, est nettement sous-évaluée et trop souvent encore considérée comme négligeable malgré leur retentissement majeur et le risque de rupture qu’ils provoquent alors qu’il est possible de les traiter par un traitement psychothérapique et psychotrope adapté. L’arrêt du traitement par interféron ne doit pas être une démarche thérapeutique de première intention (4). Prise en charge préventive Un patient infecté par le virus de l’hépatite C, et ce quelle qu’en soit la cause, est subitement mis en position d’observateur passif de lui-même et de sa situation clinique, en l’absence totale de maîtrise des événements et de ce qui pourrait se passer, dans l’incapacité d’anticiper son avenir social, familial ou professionnel. Cette position observante de lui-même ne pourra que le fragiliser d’un point de vue psychosocial. Toute décision thérapeutique, venant s’ajouter à cet état, est susceptible de rendre le patient “malade” au sens propre et au sens figuré. En effet, prendre un traitement stigmatisera la maladie et, de plus, risquera d’entraîner des effets secondaires physiques et psychiques douloureux pour oD sie Do r r er r er Dossi Dossiie s s o ssie D un patient qui était préalablement asymptomatique. Être observant ou compliant à un traitement incertain dans ses résultats et dans son vécu, ainsi que potentiellement dangereux psychiquement en l’absence d’information, d’éducation et de toute anticipation au cours de l’initiation thérapeutique ne pourra que plus sensibiliser un patient déjà fragilisé. Favoriser l’observance Dans un contexte où il faut limiter les risques de passage à l’acte impulsif (tentative de suicide, usage de toxique ou rupture thérapeutique), il devient inconcevable de fonctionner dans l’urgence ou dans l’intervention isolée. Demander un avis psychiatrique pour ces patients, afin d’avaliser une indication thérapeutique sans qu’un suivi spécialisé soit programmé, ou souhaiter une intervention en urgence auprès d’un patient qui n’a jamais vu de psychiatre lorsque “tout va mal”, ne fera que multiplier les risques de rupture ou de prise en charge inadaptée (arrêt du traitement, choix de psychotropes inadaptés, etc.). Anticiper les troubles psychiatriques par une prise en charge spécialisée précoce, c’est offrir au patient la possibilité d’anticiper son avenir social, familial et professionnel, ainsi que son état clinique. Cette anticipation, ainsi que le dialogue autour de ses choix sociaux, familiaux et professionnels (la réflexion autour de bénéfices secondaires potentiels est très utile aux deuils nécessaires que peut provoquer la maladie), associée à une disponibilité d’une équipe psychiatrique spécialisée qui l’aura déjà rencontré et qui l’aura informé et éduqué, lui mais aussi sa famille, sur les troubles psychiatriques et “leur dépistage”, susceptibles d’apparaître sous traitement antiviral, sont un véritable gage de sécurité dans le cadre de ce soin. Le patient passera dès lors de l’observance à l’adhésion thérapeutique, relation beaucoup plus souple et, de ce fait, moins susceptible de se rompre. Cette information initiale pourra s’accompagner, si le patient le décide, d’un traitement antidépresseur préventif avant l’initiation du traitement antiviral, accompagné ou non de traitements adjuvants (anxiolytiques ou hypnotiques). Il sera maintenu tout au long du traitement antiviral et après l’arrêt de celui-ci pendant plusieurs semaines. La prescription des traitements psychotropes dans ce domaine ne doit pas se faire au hasard. Certaines molécules ont été étu- diées dans ce cadre et répondent plus spécifiquement aux nécessités cliniques et pharmacocinétiques qu’imposent la maladie et son traitement (1). Cette prescription ne peut se faire de manière isolée et doit être accompagnée d’informations, d’éducation et d’anticipation au sein d’un contexte psychothérapique. La prescription à l’aveugle d’un traitement antidépresseur ou anxiolytique peut être dangereuse. Choix du traitement précoce Dans ce contexte, nous avons proposé en première intention un traitement antidépresseur précoce par sertraline (50 % de nos prescriptions) et par citalopram (35 % de nos prescriptions). La viloxazine (5 % de nos prescriptions), la mirtazapine, la tianeptine ont également été utilisées. Un traitement déjà prescrit préalablement et bien toléré n’a jamais été changé initialement (moins de 5 % des situations : paroxétine, amitriptyline, fluoxétine). Près de 85 % de ces prescriptions n’ont pas été modifiées au cours du suivi spécialisé et toutes les réévaluations thérapeutiques se sont limitées aux molécules préconisées précédemment. Cette prise en charge est très satisfaisante dans ses résultats et le soulagement psychosocial qu’elle procure, puisqu’elle diminue le risque d’apparition de troubles affectifs sous traitement, l’intensité et la répercussion des symptômes psychiques, le risque de rupture thérapeutique et facilite l’action en urgence. Près de 85 % des patients déjà traités par interféron et ayant souffert d’un épisode dépressif ayant justifié l’arrêt ou non d’un traitement antiviral ont estimé que ce suivi précoce leur ont apporté un bénéfice psychosocial indéniable et permis le plus souvent de mener à terme leur traitement pour la dose et la durée efficace (90 % des patients aux antécédents de rupture de soins ont terminé leur traitement). Conclusion À l’heure de la curabilité de l’infection par le virus de l’hépatite C, il est nécessaire de multiplier les indications thérapeutiques, de favoriser l’observance et de limiter les ruptures thérapeutiques. Les troubles affectifs sont probablement le principal obstacle de cette prise en charge. Dans ce contexte, il convient de prévenir l’apparition de ces troubles par une prise en charge précoce et Le Courrier des addictions (4), n° 2, avril/mai/juin 2002 76 globale au sein d’une équipe multidisciplinaire disponible dans l’urgence. Selon nous, il y a lieu de proposer une prise en charge psychiatrique spécialisée à chaque patient sans préjugé, et ce au moins dès qu’une décision thérapeutique est posée, dans le cadre d’un bilan préthérapeutique. La réflexion que nous menons sur ce sujet nous conduit à penser qu’il est probablement important, pour ne plus limiter l’accès aux soins, de réévaluer les contre-indications psychiatriques du traitement par interféron et d’informer globalement les différents intervenants de cette prise en charge. C’est par cette seule voie que nous arriverons à endiguer cette maladie et ses complications, ainsi qu’à initier une démarche de recherche dans ce domaine. Références bibliographiques 1. Orefice C, Lang JP. Prise en charge des patients atteints d’hépatite C, traités par interféron alpha et présentant des troubles dépressifs. Synapse 2000 ; 162 : 43-51. 2. Lang JP, Nivoix J, Vecchionacci V. Prise en charge des troubles maniacodépressifs chez les patients séropositifs au VHC. 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Prise en charge des troubles affectifs chez les patients séropositifs à l’hépatite C : une enquête prospective chez 50 patients. En cours de parution.